Pour tous les détails que ne comporte pas le cadre de cet ouvrage et pour les pièces justificatives, nous renvoyons, comme nous l'avons fait déjà plusieurs fois pour tout ce qui concerne les prisonniers du Temple, à l'ouvrage si éminemment intéressant de M. de Beauchesne, Louis XVII.I Le 16 janvier, Louis XVI avait appris par ses défenseurs le résultat des deux premiers appels nominaux, mais il ne s'en était pas ému ; depuis longtemps il s'attendait à tout. Dès le 17, tandis que la Convention délibérait encore sur son sort, la Commune, le considérant déjà comme condamné, ordonnait aux commissaires de service de ne le perdre de vue ni jour ni nuit, et de se tenir dans son appartement toujours au moins au nombre de quatre. Le 18, à neuf heures du matin, de Sèze, Tronchet et Malesherbes se présentent à la porte du Temple et sont admis sans difficulté. L'ancien ministre de Louis XVI se précipite aux pieds de son maître, et par ses sanglots lui apprend la fatale nouvelle. Le roi, toujours calme et digne, le relève, le serre tendrement dans ses bras, et lui dit d'une voix pleine de douceur : Ah ! mon cher Malesherbes, ne m'enviez pas le seul asile qui me reste. — Sire, tout espoir n'est pas perdu ; on va délibérer sur le sursis, et, s'il est refusé, nous aurons encore l'appel à la Nation. — Non, non, il n'y a plus d'espoir ; je suis prêt à m'immoler pour mon peuple ; puisse mon sang le sauver des horreurs que je redoute pour lui ! — Sire, beaucoup de sujets fidèles ont juré d'arracher votre Majesté des mains des bourreaux ou de périr avec elle. — Remerciez-les de leur zèle ; mais dites-leur que je ne leur pardonnerais pas s'il y avait une goutte de sang versée pour moi ; je n'ai pas voulu qu'il fût répandu, quand peut-être cela m'aurait pu conserver le trône et la vie ; je ne m'en repens pas. A la fin de cette touchante entrevue, le roi embrasse ses défenseurs et leur fait promettre de revenir. Mais il ne devait plus les revoir ; la porte du Temple s'était refermée pour jamais derrière eux. La Commune, fidèle à son système de persécutions incessantes et de défiances puériles, avait, sur la première nouvelle du jugement, pris un arrêté ainsi conçu : Considérant que, dans la circonstance actuelle, Louis Capet communiquant avec ses conseils, il serait possible qu'ils lui procurassent quelque moyen d'échapper à la justice et à la vengeance des lois ; Le procureur de la Commune entendu ; Arrête que sur-le-champ il sera rédigé une adresse à la Convention, pour demander d'être autorisé à prendre toutes les mesures nécessaires commandées par les circonstances. Cette adresse est aussitôt rédigée par Hébert ; quatre commissaires sont chargés de la porter, le 18 au matin, à la salle du Manège. Toute la journée se passe sans qu'ils puissent réussir à se faire admettre à la barre. A huit heures du soir, ils reviennent à l'hôtel de ville et annoncent qu'ils n'ont pu remplir leur mission, mais que beaucoup de députés leur ont paru approuver individuellement les mesures qu'ils étaient chargés de soumettre à l'Assemblée. Sur ce rapport, les plus exaltés d'entre les municipaux demandent que, dès ce moment, il soit décidé que toute communication sera interdite entre Louis et ses défenseurs. D'autres, plus humains, font observer que la loi n'a jamais défendu à un condamné de voir ses conseils jusqu'au dernier moment ; que, dans l'espèce, il y a une décision spéciale de la Convention qui ne peut être enfreinte tant qu'elle n'aura pas été rapportée. Chaumette et Hébert, qui certes ne sont pas suspects de modérantisme, se rangent de cet avis. Néanmoins, quelques-uns .de leurs rivaux en popularité insistent avec tant de passion que l'arrêté suivant est adopté : Le conseil général, considérant que la mission des conseils de Louis Capet a cessé au moment du jugement prononcé par la Convention ; que, par l'arrêté du pouvoir exécutif de ce jour, la municipalité de Paris est spécialement chargée de toutes les mesures de sûreté, et qu'il importe à la tranquillité publique que Louis Capet n'ait aucune communication extérieure ; Le procureur de la Commune entendu, et sans s'arrêter à son réquisitoire, arrête, que toute communication entre Louis Capet et ses ci-devant conseils sera suspendue ; charge son président d'informer sur-le-champ la Convention nationale du présent arrêté ; Arrête, en outre, que les commissaires de service au Temple seront tenus de faire les plus exactes recherches dans l'appartement de Louis Capet. BAUDRAIS, vice-président. COULOMBEAU, secrétaire-greffier. Le 19, conformément au dernier article de cet arrêté, un officier municipal nommé Gobeau, sous prétexte de s'assurer qu'aucun instrument tranchant n'est à la disposition du condamné, vient dès le matin fouiller avec le soin le plus minutieux toutes les dépendances de l'appartement du roi. Il profite de l'occasion pour faire l'inventaire des meubles et des effets qui s'y trouvent. Deux jours auparavant, la Commune avait agi comme si Louis XVI était déjà condamné ; maintenant ses commissaires agissent comme s'il était déjà exécuté. Gobeau trouve un secrétaire fermé à clef ; il en exige impérieusement l'ouverture. Le roi, qui s'était retiré dans la tourelle située auprès de sa chambre, interrompt sa lecture et vient donner satisfaction aux exigences de l'officier municipal. Dans ce secrétaire se trouvaient trois rouleaux d'or de mille livres chacun : Cet argent ne m'appartient pas, dit Louis XVI, il est à M. de Malesherbes ; je l'avais préparé pour le lui rendre. En effet, sur les rouleaux était inscrit, de la main de l'auguste prisonnier, le nom du propriétaire. Gobeau se fait remettre les trois rouleaux, et délivre enfin Louis de sa présence[1]. La journée du 19 janvier fut peut-être la plus douloureuse de la captivité royale. Louis se savait condamné, il ne savait rien de plus. De tout le jour, il ne voit pas d'autre visage ami que celui du fidèle Cléry. Plusieurs fois, il demande M. de Malesherbes, mais ses geôliers municipaux ne lui font que des réponses évasives. Le soir, il se décide à faire passer aux commissaires de garde au Temple le billet suivant : Je prie messieurs les commissaires de la Commune d'envoyer au conseil général ma réclamation : 1° Sur l'arrêté de jeudi, qui ordonne que je ne serai perdu de vue ni nuit ni jour. On doit sentir que, dans la situation où je me trouve, il est pénible de ne pouvoir être seul et avoir la tranquillité nécessaire pour me recueillir, et que la nuit on a besoin de repos ; 2° Sur l'arrêté qui m'interdit de voir mes conseils. Un décret de l'Assemblée nationale m'avait accordé de les voir librement sans fixer de terme, et je ne sache pas qu'il soit révoqué. LOUIS. Ce billet ne fut porté à la Commune que le 20 au matin ; le Conseil général ne daigna y répondre que par l'ordre du jour. Du reste, sa responsabilité était couverte ; car, dans la séance du 19, la Convention avait enfin eu connaissance de l'arrêté qui interdisait aux conseils du prisonnier de pénétrer jusqu'à lui, et cette communication n'avait soulevé aucune réclamation dans le sein de l'Assemblée. II Les derniers décrets, qui fixaient irrévocablement le sort de Louis XVI, n'avaient été rédigés que le 20 à trois heures du matin, il fallait les signifier au condamné. Garat se trouvant eu possession de la présidence du conseil exécutif, que, d'une semaine à l'autre, les ministres se transmettaient tour à tour, c'était à lui que revenait la triste mission. Il se fait accompagner par le ministre des affaires étrangères, Lebrun, et par le secrétaire du conseil, Grouvelle. Arrivé au Temple, il y trouve le président et l'accusateur public du tribunal criminel, le maire et le substitut de la Commune, le président et le procureur général syndic du département. convoqués d'avance. Santerre est à son poste, et, en sa qualité de commandant de la force armée, il précède les autorités constituées ; dans l'antichambre, il rencontre Cléry et lui ordonne, d'une voix brutale, d'annoncer le pouvoir exécutif. Au bruit, le roi se lève ; bientôt la chambre est envahie par les envoyés de la Convention et les commissaires de la Commune. Lorsque le cercle est formé, Garat, le chapeau sur la tête, dit : Louis, la Convention nationale a chargé le conseil exécutif provisoire de vous signifier ses décrets. Le secrétaire du conseil va vous en faire lecture. Grouvelle lit d'une voix émue les quatre articles dont se compose la terrible sentence. Le roi ne prononce pas une parole ; mais une joie céleste illumine son visage ; on dirait qu'il est déjà en possession de la couronne du martyre. Dès que le secrétaire a rempli son pénible devoir, le roi s'avance vers lui d'un pas assuré, prend le papier et le place dans son portefeuille ; puis, se tournant vers le président du Conseil exécutif, il lui tend un pli cacheté, qu'il lui demande de remettre à la Convention. Garat, qui craint d'engager sa responsabilité, semble hésiter à se charger du message, mais Louis le rassure en lui déclarant que ce qu'il réclame de lui n'a rien de compromettant. Il déchire l'enveloppe et lit, sans que l'on puisse surprendre la moindre altération dans sa voix, la série des demandes suprêmes qu'il adresse à l'Assemblée qui vient de le condamner. Il recommandait à la bienfaisance de la nation les personnes qui avaient été attachées à sa personne ou à sa maison, il exprimait le désir que la Convention s'occupât de suite du soin de sa famille et lui permît de se retirer librement où elle le jugerait à propos. Il réclamait : 1° un délai de trois jours pour pouvoir se préparer à paraître devant Dieu ; 2° l'autorisation de voir pendant cet intervalle sa famille sans témoins ; 3° la faculté d'appeler un prêtre de son choix. Enfin il demandait à être délivré de la surveillance perpétuelle que la Commune avait établie autour de lui depuis quelques jours. Garat promet au roi de porter, sans retard, sa lettre à la Convention. Louis lui remet alors un papier. C'est, dit-il, l'adresse de la personne que je désire voir. Ensuite il se dirige vers la tourelle qui lui sert d'oratoire, et tous les représentants de l'autorité révolutionnaire se retirent en silence[2]. Garat retourne auprès du Conseil exécutif, qui siée en permanence, et lui fait part des demandes que vient de formuler Louis XVI. Quoique chargé du soin de prendre toutes les mesures de sûreté et de police nécessaires pour assurer l'exécution de la sentence, le Conseil ne pense pas avoir le droit de prononcer sur les divers vœux exprimés par le condamné, et croit devoir en référer à la Convention. Garat y court et, vu l'urgence, obtient immédiatement la parole. Il expose la manière dont il s'est acquitté de la mission que ses collègues l'avaient chargé de remplir ; il lit la lettre que Louis XVI lui a remise. Sur la proposition de Cambacérès, le décret suivant est rendu : La Convention autorise le conseil exécutif provisoire : 1° à satisfaire aux demandes de Louis, à l'exception du délai, sur lequel elle passe à l'ordre du jour ; 2° à répondre à Louis que la nation française, aussi grande dans sa bienfaisance que rigoureuse dans sa justice, prendra soin de sa famille et lui fera un sort convenable. Ce sort devait être l'échafaud pour la femme et la sœur, les leçons de Simon pour le fils, et une dure captivité pour la fille du condamné ; mais au moins, dans ce moment, l'Assemblée daigne permettre qu'un prêtre, librement choisi par Louis, adoucisse les derniers moments du malheureux roi. Rendons hommage à cette générosité et entrons au Conseil exécutif, où le secrétaire du ministre de la justice vient d'introduire le confesseur de Mme Élisabeth, resté à Paris en bravant toute la rigueur des lois contre les prêtres insermentés. Vous êtes, lui dit Garat, le citoyen Edgeworth ? — Oui, monsieur. — Louis Capet a témoigné le désir de vous avoir auprès de lui dans ses derniers moments. Nous vous avons, en conséquence, mandé pour savoir si vous consentez à lui rendre le service qu'il attend de vous ? — Je suis prêt à me rendre au devoir qu'il m'impose. — En ce cas, accompagnez-moi au Temple, où je retourne à l'instant. Le digne prêtre était en habit laïque ; il demande à Garat la permission d'aller revêtir un costume plus convenable. C'est inutile, répond celui-ci, ce serait vous exposer ; et, d'ailleurs, le temps nous presse. Arrivés à la prison, ils éprouvent toute sorte de difficultés de la part des commissaires de garde, qui veulent bien admettre le ministre, mais non celui qui l'accompagne. Pendant que Garat monte seul signifier à Louis la réponse que la Convention a cru devoir faire à ses demandes, l'abbé Edgeworth est fouillé minutieusement. Ce n'est que lorsqu'on s'est assuré qu'il n'a sur lui rien de suspect, qu'on lui permet de pénétrer jusqu'au prisonnier. Dans ces moments suprêmes, le condamné était encore le roi. En apercevant l'homme de Dieu, il fait un geste pour que tous les municipaux, gardiens, officiers de la garde nationale qui se trouvaient. dans sa chambre, aient à se retirer ; il est obéi à l'instant. Il s'entretient quelque temps avec le prêtre qui lui donne une aussi éclatante preuve de dévouement. Mais bientôt, sur l'avis que sa famille va descendre, il prie l'abbé Edgeworth de passer dans l'oratoire, de peur que sa présence ne redouble la douleur de la reine. L'entrevue devait avoir lieu sans témoins, suivant le décret de la Convention ; mais, d'un autre côté, les commissaires de garde étaient liés par l'arrêté de la Commune, qui leur ordonnait de ne quitter Louis ni jour ni nuit. Le ministre de la justice avait cru pouvoir concilier toutes choses en autorisant les commissaires à choisir pour le lieu de l'entrevue la salle à manger, qui n'était séparée de l'antichambre que par une cloison vitrée, grâce à laquelle les municipaux pouvaient voir sans trop entendre. Le roi, averti de cette décision, est obligé de s'y soumettre. Bientôt sa famille parait. N'essayons pas de peindre le tableau déchirant que présentent ces infortunés, enlacés dans les bras les uns des autres. Tout récit resterait au-dessous de la réalité. Après avoir raconté son procès et parlé avec la plus grande générosité de ceux qui l'ont condamné, le roi fait jurer à son fils de ne pas songer à venger sa mort ; il le bénit ainsi que sa fille. La reine exprime le désir que la famille royale puisse passer réunie cette nuit suprême ; Louis, qui veut épargner à sa famille de si dures angoisses, prétexte le besoin qu'il a de tranquillité et de recueillement. Quand, après sept quarts d'heure d'un entretien sans cesse interrompu par des larmes et des sanglots, il se décide à congédier sa sœur, sa femme et ses enfants, il n'ose pas prononcer l'éternel adieu. Il conduit jusqu'à l'escalier toute sa famille, et lui promet de la revoir le lendemain matin ; enfin, par un effort héroïque, il s'arrache à ses embrassements. Mais, dès qu'il a rejoint son confesseur, il reprend son calme et ne songe plus qu'à se préparer à paraître devant Dieu. L'abbé Edgeworth propose d'aller demander aux commissaires municipaux les moyens de célébrer la messe et de donner la communion au roi. Louis XVI s'effraye des dangers auxquels s'expose le courageux ecclésiastique. Celui-ci se mettait en effet complètement à la merci de ceux qui, tous les jours, sévissaient avec la dernière rigueur contre les prêtres insermentés. L'homme de Dieu triomphe des scrupules et des craintes du roi, et va résolument présenter sa requête aux commissaires de garde. Ceux-ci, après une assez longue délibération, consentent à satisfaire le dernier désir du condamné ; ils envoient chercher à l'église la plus voisine (celle de Saint-François d'Assise) tout ce qu'il faut pour célébrer la messe. Jusqu'à minuit, Louis XVI reste avec son confesseur. Il se couche alors et s'endort d'un sommeil profond. A cinq heures, Cléry le réveille et bientôt la messe commence. C'est Cléry qui fit les répons ; Louis XVI, à genoux, suit avec le plus grand recueillement et sans montrer la moindre émotion, les prières du mystère divin. La porte est ouverte, et de l'antichambre les municipaux surveillent leur prisonnier. Le roi communie ; puis, la messe finie, il attend avec un calme admirable qu'on vienne le chercher pour le conduire au supplice. III Pendant toute la nuit du 20 au 21 janvier, le département, la commune, les comités des sections siègent en permanence[3]. La société des Jacobins surveille les autorités constituées et leur envoie, à plusieurs reprises, des députations pour réchauffer leur zèle. A peine le jour commence-t-il à paraître, que la générale est battue dans tous les quartiers. Bientôt les gardes nationaux se rendent, mornes et silencieux, aux lieux de rassemblement indiqués dans l'ordre du jour de Santerre[4]. La ville se hérisse de canons. Les pièces de Saint-Denis, livrées trois jours auparavant par Pache, sont braquées sur les places principales. Depuis la porte du Temple jusqu'à la place de la Révolution sont échelonnés de forts détachements pris dans chacune des six légions entre lesquelles sont réparties les quarante-huit sections armées. Le commandant général Santerre semble avoir pris soin d'éloigner ces diverses légions de leurs quartiers respectifs, afin que nul concert ne puisse s'établir entre les citoyens sous les armes et les habitants des maisons devant lesquelles ils se trouvent. Ainsi la cinquième légion, qui compte dans son sein les sections voisines de la rue Vivienne et des Champs-Élysées, est placée sur le boulevard, entre le faubourg du Temple et la porte Saint-Martin ; la sixième, qui comprend la circonscription du faubourg Saint-Germain, s'étend de la porte Saint-Martin à la rue Montmartre. La première, composée des sectionnaires de la rue et du faubourg Saint-Antoine, occupe le boulevard Montmartre jusqu'à la rue Mirabeau — autrefois de la Chaussée-d'Antin — ; la seconde, qui est recrutée dans le faubourg Saint-Marceau, est postée sur le boulevard des Capucines et de la Madeleine, jusqu'à la rue Saint-Honoré ; la quatrième, qui représente les faubourgs Poissonnière et Saint-Denis, occupe les abords de la place de la Révolution et se tient derrière les fossés qui la limitaient alors de tous côtés. La troisième, qui renferme dans ses rangs les citoyens des Gravilliers, des Arcis et des Lombards, c'est-à-dire du centre révolutionnaire de Paris, est massée dans l'intérieur de la place, et s'étend jusqu'au pont de la Liberté — c'est le nom que portait, à cette époque, le pont Louis XV. La place d'honneur, en face de l'échafaud, à l'entrée des Champs-Élysées, est réservée aux bataillons de fédérés d'Aix et de Marseille. Des réserves nombreuses sont disposées sur la place des Piques (autrefois place Vendôme), dans le jardin des Tuileries, au Louvre, sur la place de l'Hôtel de ville. Les gardes descendante et montante du Temple sont réunies, avec ordre de rester à ce poste jusqu'après l'exécution. L'escorte qui doit accompagner le condamné s'assemble dans les avant-cours du Temple ; elle est de douze cents hommes choisis, à raison de vingt-cinq hommes par section, parmi les citoyens habitués à manier leurs armes et dont les principes ne sont pas équivoques[5]. Chacun de ces douze cents sectionnaires armés doit avoir 'a la boutonnière une carte portant son nom, son domicile et la signature du président de sa section. Un officier de confiance de Santerre fait, au moment où arrive chaque détachement, l'appel des hommes qui le composent. Il est chargé d'expulser tous ceux qui se seraient immiscés indûment dans les rangs, et dont on aurait à présumer que les intentions sont contrariées[6]. De nombreux tambours, sous les ordres du tambour-major de la 2e légion (faubourg Saint-Marceau), doivent tenir la tète de l'escorte et se ranger autour de l'échafaud. Cent gendarmes à cheval, à l'avant-garde, et cent cavaliers de l'École militaire à l'arrière-garde, complètent le funèbre cortège. Paris présente l'aspect d'un vaste sépulcre. Les rues sont désertes ; les sectionnaires armés occupent les postes qui leur ont été assignés et ne peuvent plus les quitter sous aucun prétexte. Tous les autres citoyens ont ordre de ne pas bouger de chez eux. Les fenêtres sont fermées, les portes sont closes. Le temps est voilé et brumeux ; depuis la veille, un linceul de neige semble étendu sur toute la ville ; mais la pluie, qui est tombée pendant la nuit, l'a déjà fait disparaître en partie. IV Il est huit heures. Le roi exprime le désir de revoir un instant sa famille comme il le lui a promis la veille ; mais l'abbé Edgeworth le supplie de ne pas mettre la reine et ses enfants à une aussi cruelle épreuve. Louis se rend avec douceur à cette observation et exprime le désir que Cléry lui coupe les cheveux ; il ne voulait pas que la main du bourreau le touchât. Mais la défiance est si grande, la pitié est tellement éteinte dans les cœurs de tous ceux qui l'entourent, que cette demande, dont le motif est pourtant bien facile à comprendre, lui est brutalement refusée. Santerre parait, suivi de Claude Bernard et de Jacques Roux, que la Commune a désignés pour conduire le condamné à l'échafaud. Les commissaires de garde et quelques gendarmes de l'escorte les accompagnent. Louis XVI, qui a entendu, sans laisser paraître aucune émotion, la porte d'entrée s'ouvrir avec fracas. sort de son oratoire où il s'est enfermé avec son confesseur, et demande à Santerre si l'heure est venue. Oui, répond laconiquement le commandant en chef de la force armée. — Je suis en affaire, attendez-moi, répond le roi avec autorité. La seule affaire qui préoccupât Louis XVI à cet instant, était son salut éternel. Il rentre tranquillement dans la tourelle, s'agenouille devant le ministre de Dieu, reçoit sa bénédiction. Bientôt, revenant dans sa chambre, il s'avance vers Santerre et ceux qui l'escortent. Y a-t-il parmi vous quelque membre de la Commune ? dit-il. — Jacques Roux s'avance, le roi lui tend un papier cacheté : Je vous prie de remettre cet écrit entre les mains du président du Conseil général. — Je ne puis me charger d'aucun paquet, cela ne me regarde pas ; je suis ici pour vous conduire à l'échafaud. Le roi s'adresse alors à un des commissaires de service au Temple, Baudrais ; celui-ci au moins ne refuse pas d'accomplir le dernier vœu d'un homme qui va mourir. S'apercevant que tous ceux qui l'entourent sont couverts, Louis XVI met son chapeau, et désignant aux municipaux le fidèle Cléry : Je désirerais, dit-il, qu'on le laissât au Temple, à la disposition de la reine, — de ma femme, reprend-il. — Personne ne répond. Le roi s'avance vers Santerre : Partons ! dit-il. Aussitôt les gendarmes qui se trouvaient dans la chambre sortent et Santerre après eux ; le roi, l'abbé Edgeworth les suivent ; les officiers municipaux ferment la marche ; Cléry reste seul. Le roi traverse d'un pas ferme la première enceinte. Après avoir jeté sur la tour un regard plein de tendresse et de regret pour ceux qu'il y laisse, il monte dans la voiture qui doit le conduire au lieu du martyre. Son confesseur se place à côté de lui ; deux gendarmes sont sur le devant de la voiture. Celle-ci est précédée par Santerre, ayant à ses côtés les deux officiers municipaux, Jacques Roux et Claude Bernard. Le funèbre cortège se met en marche ; le trajet du Temple à la place de la Révolution dure une heure ; il n'est troublé par aucune tentative sérieuse pour délivrer le prisonnier. L'abbé Edgeworth remet au roi le bréviaire dont il est porteur, et lui indique les prières des agonisants. Le roi les récite à voix basse ; aucune parole n'est échangée entre Louis XVI et ses deux gardiens pendant toute la durée du pénible voyage. Dix heures viennent de sonner. Le cortège arrive à l'extrémité de la rue Royale. La voiture qui renferme Louis XVI tourne sur la droite et se dirige vers l'échafaud, dressé entre l'entrée des Champs-Élysées et le piédestal qui, après avoir servi de soubassement à la statue de Louis XV, supportait alors celle de la Liberté. Pendant ce temps, Santerre court prendre le commandement de toute la force armée rassemblée sur la place ; Jacques Roux et Claude Bernard montent à l'hôtel de la marine[7] et vont retrouver les commissaires du département, Lefèvre et Momoro, les commissaires du pouvoir exécutif, Sallais et Isabeau, chargés avec eux d'assister au supplice du condamné et d'en dresser le procès-verbal officiel. Louis XVI est complètement absorbé dans sa lecture ; il ne s'aperçoit qu'on est arrivé qu'au moment où la voiture s'arrête. Il lève les yeux, puis reprend la lecture du psaume qu'il a commencé. Les aides de Sanson ouvrent la portière et abaissent le marche-pied ; mais le roi achève tranquillement sa dernière prière ; puis il ferme le livre, le rend à l'abbé Edgeworth, recommande aux gendarmes de veiller à la sûreté du courageux ecclésiastique, et descend de voiture. Les bourreaux veulent s'emparer de lui ; il les repousse, ôte lui-même son habit et sa cravate, se met à genoux aux pieds du ministre de Dieu, reçoit la dernière bénédiction. Il se relève et se dirige vers l'escalier qui monte à l'échafaud. Les aides l'arrêtent et veulent lui saisir les mains. — Que prétendez-vous faire, dit Louis XVI ? — Vous lier. — Me lier ; je n'y consentirai jamais ! c'est inutile, je suis sûr de moi. Une scène violente peut s'engager : Faites, sire, ce dernier sacrifice, dit l'abbé Edgeworth, c'est un nouveau trait de ressemblance entre Votre Majesté et le Dieu qui va être sa récompense. Louis se soumet et tend ses mains aux bourreaux. On les lui lie avec un mouchoir ; on lui coupe les cheveux ; les apprêts sont terminés. Louis monte résolument les quelques marches qui le séparent de la plate-forme. S'avançant vers l'extrémité de l'échafaud, la face tournée vers le palais de ses pères, il fait un geste impérieux aux tambours, qui n'ont cessé de battre depuis que la voiture est arrivée sur la place. Ces hommes, dominés malgré eux par le double sentiment du respect et de la pitié, se taisent aussitôt. Français, s'écrie Louis, je suis innocent, je pardonne aux auteurs de ma mort ; je prie Dieu que le sang qui va être répandu ne retombe jamais sur la France ; et vous, peuple infortuné... A ce moment un officier à cheval fond sur les tambours, l'épée à la main, et leur ordonne de battre. Les bourreaux s'emparent de la victime, la jettent sous le fatal couperet. La tête tombe, un des aides de Sanson la ramasse et la montre au peuple[8]. Des cris de vive la nation ! vive la République ! éclatent alors et vont en s'accroissant jusqu'aux extrémités de la place ; quelques hommes se précipitent vers l'échafaud pour se repaître de plus près de l'effroyable spectacle. La foule, qui n'a pu approcher au delà des fossés, s'écoule silencieusement. Les témoins de l'exécution vont porter dans tous les quartiers de Paris la nouvelle que le dernier roi des Français vient de mourir sous le glaive de la loi, et que la République est pour jamais fondée en France. V Ce que nous venons de raconter s'était passé en quelques instants ; il était dix heures vingt minutes lorsque tout fut consommé. Une demi-heure après, une voiture s'arrêtait devant le cimetière de la paroisse de la Madeleine, situé rue d'Anjou-Saint-Honoré ; elle était escortée d'un détachement de gendarmerie et contenait les restes mortels de Louis XVI. Depuis plus d'une heure, deux membres du département, Leblanc et Dubois, assistés des deux vicaires constitutionnels de la paroisse, attendaient qu'on leur amenât le triste dépôt. On n'avait pas même eu la précaution de mettre dans une bière le corps de Louis XVI pour le transporter de la place de la Révolution à la rue d'Anjou ; cet oubli impardonnable est réparé au cimetière. Le corps est descendu dans une fosse préparée d'avance, les deux prêtres psalmodient les vêpres et le service des morts ; on recouvre la bière de chaux, et les quatre témoins de l'inhumation vont en dresser procès-verbal au presbytère voisin. Par une tolérance dont on ne devait pas tarder à se départir, on avait laissé Louis XVI appeler un prêtre de son choix pour recevoir les dernières consolations. Mais, dès que l'âme du petit-fils de saint Louis se fut envolée vers le ciel, dès qu'il ne resta plus qu'un cadavre entre les mains des bourreaux, la religion d'État s'empara de ces restes inanimés et amena un curé constitutionnel réciter les prières ordinaires sur le cercueil qui les renfermait. Ainsi, deux cultes avaient successivement présidé aux tristes événements que nous venons de retracer. L'un, dont les ministres errants et proscrits n'avaient, pour célébrer leurs mystères, que quelques chaumières et quelques greniers, devait survivre à la plus effroyable des persécutions, et se relever, plus vénéré que jamais, du fond des ruines sous lesquelles on croyait l'avoir enseveli. L'autre, qui régnait officiellement sur toute l'étendue de la République, devait succomber bientôt sous l'indifférence publique et tomber en dissolution plus vite que le corps mutilé qu'on avait à grande hâte jeté près de la fosse commune. VI Deux générations d'hommes ont passé sur la terre depuis que le fossoyeur de la Madeleine a renfermé, dans le cercueil du pauvre, les restes mortels du successeur de Louis XIV. Cinquante ans se sont écoulés depuis que les quelques ossements, pieusement recueillis au milieu d'un immense lit de chaux, ont été transportés à Saint-Denis. L'heure est arrivée de juger le condamné, le jugement, les juges. Louis XVI fut un homme bon, charitable, humain. Doué de toutes les vertus domestiques, il ne possédait presque aucune des qualités nécessaires à un roi. Procédant par boutades dans son intérieur, par soubresauts dans le maniement des affaires publiques, il ne sut jamais persister dans aucune ligne de conduite. Tantôt il voulut user de la force et menaça sans frapper, tantôt il voulut recourir à l'inertie et signa sans discuter les décrets qui froissaient ses convictions les plus intimes. Préoccupé avant tout d'éviter la guerre civile, il l'organisa en donnant sa sanction aux lois de l'Assemblée constituante sur le serment ecclésiastique. S'étant sans cesse étudié à éviter le sort de Charles Ier, il succomba comme lui ; niais, hormis la fin, tout entre eux devait être différent, aussi bien leur conduite pendant les troubles que leur attitude pendant le procès. Charles Ier ne reconnut jamais la compétence de la haute cour devant laquelle on le força de comparaître[9]. Il s'assit devant ses juges, le chapeau sur la tête, affectant de ne pas faire attention à la lecture de l'acte d'accusation, ne daignant pas répondre aux questions du président Bradshaw. Lorsque le procureur général voulut prononcer son réquisitoire, il lui toucha l'épaule avec sa canne et lui imposa silence. Jusqu'au dernier moment, pour lui comme pour ses juges, Charles Ier resta roi d'Angleterre[10]. Tout autre fut la conduite de Louis XVI. Dans son désir de se laver devant son peuple et devant la postérité de l'accusation qui lui pesait le plus sur le cœur, celle d'avoir voulu verser le sang de ses sujets, il accepta le rôle d'accusé, le seul qui lui permît de faire entendre sa défense. Par là, il sembla donner à ses prétendus juges le droit de le traiter comme un prévenu ordinaire, de le découronner avant de l'envoyer à l'échafaud. Quoi qu'on en ait dit, Louis XVI ne livra aux ennemis de la France ni le secret des forces dont la nation pouvait disposer, ni ses arsenaux, ni ses places fortes. Longwy et Verdun qui, en septembre 1792, furent occupées par les Prussiens, étaient depuis longtemps délabrées et mal entretenues. Autant vaudrait accuser Napoléon d'avoir, en 1814, laissé tomber, de son plein gré, les citadelles de l'Alsace, de la Lorraine, de la Champagne entre les mains des armées coalisées, parce que vingt ans de guerres lointaines en avaient fait négliger l'entretien. Le roi et même la reine blâmèrent et craignirent l'émigration armée ; ils détournèrent de cette voie tous ceux de leurs serviteurs sur la volonté desquels ils pouvaient avoir quelque influence. Louis XVI, il est vrai, désirait que la France se montrât sensible aux représentations des puissances étrangères, manifestement intéressées à ce que l'on ne bouleversât pas le droit public de l'Europe. Mais l'histoire des derniers siècles était remplie des actes d'ingérence d'un pays sur un autre et le principe de non-intervention dans les affaires intérieures d'un État n'avait pas encore été proclamé. La Constitution de 1791 avait prévu le cas où le roi se mettrait à la tète d'une armée et en dirigerait les forces contre la nation. Elle avait déclaré que, par ce fait, il serait censé avoir abdiqué la royauté[11]. En inscrivant cette disposition dans la Constitution de 1791, les législateurs d'alors avaient bien su ce qu'ils faisaient ; ils prévoyaient que leur œuvre aurait à se défendre contre tous ceux dont elle ruinait les projets ; que le roi, entouré de conseils de toute nature, d'instigations de toute espèce, pourrait nourrir le regret d'avoir perdu son autorité absolue, l'espoir de la recouvrer. Dans la crainte que ce regret et cet espoir ne se traduisissent par des attaques à main armée, ils édictaient d'avance la peine la plus grave qui pût être infligée au roi : la déchéance. C'était la reconnaissance tacite de la situation exceptionnelle faite à ce monarque, passant sans transition de la plénitude de la toute-puissance au rôle essentiellement secondaire que lui créait le nouveau régime. C'était le prix de l'acceptation de la Constitution par Louis XVI. La Constitution, une fois consentie par la nation et par le roi, formait entre elle et lui un contrat synallagmatique. Dans le cas où ce contrat serait violé par lui, le roi savait la peine qui pouvait l'atteindre, la nation savait la peine dont elle pouvait le frapper. La Convention n'avait évidemment pas un droit plus étendu que le peuple lui-même. Pour aller au delà de ce droit, elle invoqua le salut public, maxime commode à l'usage de quiconque, peuple ou prince, veut se mettre au-dessus de toutes les lois, au-dessus de tous les serments. Cette barrière franchie, la Convention foula aux pieds les principes les plus élémentaires de la justice. Elle proclama sa compétence dans un procès qu'aucune loi n'avait prévu. Elle se fit cour de justice tout en restant assemblée législative. Elle ne respecta aucune des formes protectrices des droits de l'accusé ; elle ne reconnut aucun motif de récusation ; elle s'affranchit des règles nouvellement établies sur le mode de votation des jurés et la quotité des voix nécessaires pour la condamnation. Cependant les avertissements ne lui manquèrent pas. Toutes ces illégalités furent non-seulement signalées par ceux qui voulaient sauver Louis XVI, mais encore avouées par ceux qui voulaient le perdre. La Convention en arriva à cette effrayante monstruosité de faire égorger par la main du bourreau un roi couvert par une déclaration solennelle d'inviolabilité, un homme condamné par une majorité très-contestable. Le vote, au moins, fut-il libre ? Sans doute, un certain nombre des membres qui se prononcèrent, les uns pour la clémence, les autres pour la sévérité, votèrent librement ; mais la majorité céda loche-ment à l'effroyable pression exercée sur elle au dedans et au dehors[12]. Cette majorité fut, durant le procès du roi, ce qu'elle se montra pendant toute la durée de la tourmente révolutionnaire : un troupeau faible et timide baissant la tête aux premiers grondements de l'orage, se laissant parquer dans un exclusivisme de plus en plus intolérant, s'étendant aux pieds de celui qui disposait de la force brutale, léchant la main qui le décimait pour la boucherie. La Convention dans ses annales ne compte-t-elle pas beaucoup d'heures entachées des mêmes défaillances, des mêmes lâchetés ? A la journée du 17 janvier n'a-t-on pas vu succéder celle du 9 mars, où elle vota la création du tribunal révolutionnaire ; celle du 31 mai, où elle laissa arracher de son sein les chefs mêmes de la majorité ; celle du 3 octobre, où elle proscrivit et livra cent vingt-six de ses membres ; celle du 11 germinal an II, où elle abandonna Danton, Héraut-Séchelles et leurs amis à la haine du Comité de salut public ; celle enfin du 22 prairial, où, à la voix de Couthon et de Robespierre, elle accepta les abréviations monstrueuses que ces deux terribles pourvoyeurs de la guillotine proposèrent à la procédure, déjà si sommaire, suivie par Fouquier-Tinville ? Elle ne commença à montrer quelque énergie que dans les journées qui marquèrent la fin de sa carrière. Elle fut près de deux ans à apprendre que, pour toute assemblée populaire, le courage est la meilleure des tactiques et la plus sûre des sauvegardes. D'ailleurs, tous les conventionnels qui votèrent la mort de Louis XVI avaient-ils donc une vertu à toute épreuve, une âme inaccessible à la crainte et à la séduction, comme l'imagination de certains historiens ou de certains poètes s'est plue à nous les peindre ? N'a-t-on pas vu, quelques années après, bon nombre de ces farouches républicains remplir les salons des Tuileries, où ils avaient naguère siégé comme membres d'une assemblée souveraine, solliciter l'honneur de servir d'instruments dociles au régime intronisé le 18 brumaire ? Beaucoup avaient prêté les mains à l'escamotage de cette journée et s'empressèrent de faire exécuter, comme sénateurs, conseillers d'État ou préfets, les volontés de l'Empereur et Roi, aussi docilement que jadis ils avaient exécuté, comme représentants en mission, celles du Comité de salut public. D'autres, en plus grand nombre, allèrent cacher leur triste existence dans les emplois subalternes que le vainqueur de Marengo leur fit jeter en pâture[13]. A ces honteuses apostasies il y eut quelques exceptions honorables, nous aimons à le reconnaître. Mais gardons-nous de conclure du particulier au général et de donner un brevet d'abnégation et de stoïcisme à tous ceux qui ne participèrent pas aux faveurs napoléoniennes. Il ne reste plus qu'une question à poser à tous les hommes impartiaux, quelque opinion qu'ils professent : La mort de Louis XVI fut-elle utile au triomphe des idées au nom desquelles le roi de France fut livré au bourreau ? Qui oserait répondre affirmativement après avoir parcouru du regard l'histoire des soixante-treize années qui se sont écoulées depuis la date fatale du 21 janvier 1703, après avoir compté combien de trônes se sont élevés, écroulés et relevés depuis que la Convention crut avoir pour jamais détruit la royauté ? FIN DU TOME CINQUIÈME |
[1] Le conseil général de la Commune auquel les trois mille livres furent envoyées, décida que cette somme ne serait pas rendue à Malesherbes, puisqu'il ne la réclamait pas. Que devint-elle ? Nul ne le sait. Mais ce qui est certain, c'est que, lors de la comparution de Malesherbes devant le tribunal révolutionnaire, Fouquier-Tinville fit un crime au vertueux vieillard d'avoir donné à son maitre, en lui prêtant cette somme, une dernière preuve de fidélité.
[2] Au moment où Louis XVI remettait à Garat l'adresse de M. Edgeworth de Firmont, un autre ecclésiastique également insermenté s'offrait au conseil général de la Commune pour remplir l'office de charité et de dévouement qui allait immortaliser le nom du confesseur de Louis XVI. Voici la teneur de sa pétition :
20 janvier 1793.
René Legris-Duval, natif de Landernau, département du Finistère, employé jusqu'au 10 août au séminaire de Saint-Sulpice, demeurant à Versailles, chez le sieur Cerisier, boulevard du Roi, de mande à être admis auprès de Louis Capet en qualité de confesseur. Il déclare qu'il n'a pas prêté serment parce que sa conscience ne le lui permettait pas.
La Commune n'avertit point le prisonnier du Temple de cette demande, mais elle fit arrêter le pétitionnaire.
[3] Par deux fois dans la nuit, à onze heures du soir et à deux heures et demie du matin, le conseil général de la Commune fit faire un appel nominal de tous ses membres et envoya des ordonnances chercher ceux qui n'étaient pas à leur poste.
[4] Le conseil général du département avait pris un arrêté par lequel il était ordonné à tous les citoyens, excepté les fonctionnaires publics et les employés des administrations, d'être sous les armes dès sept heures du matin.
[5] Ordre du jour de Santerre.
[6] Ce sont les expressions mêmes de Santerre.
[7] Dès cette époque, ce ministère occupait le coin de la colonnade et de la rue Royale.
[8] Le plus beau témoignage que l'histoire ait à enregistrer sur la sublimité des derniers moments de Louis XVI, lui a été délivré par le bourreau lui-même. Sanson, écrivant le 20 février 1793 à Dulaure, rédacteur du Thermomètre du jour, s'exprime ainsi dans sa brutale naïveté : Pour rendre hommage à la vérité, il a soutenu tout cela avec un sang-froid et une fermeté qui nous a tous étonnés. Je reste très-convaincu qu'il avait puisé cette fermeté dans les principes de la religion, dont personne plus que lui ne paraissait pénétré ni persuadé. (Voir la lettre de Sanson dans l'ouvrage déjà cité de M. de Beauchesne).
[9] Cette haute cour avait été composée de 135 commissaires nommés par la seule Chambre des communes et pris exclusivement dans son sein. Le plus grand nombre des commissaires s'abstint de paraître aux séances. Une cinquantaine de juges seulement siégèrent pendant tout le cours du procès. Ce fut à grand'peine que, pour l'ordre d'exécution, on put réunir 59 signatures, recrutées par les violences bouffonnes de Cromwell ; encore quelques-unes de ces signatures furent-elles apposées, à dessein, de manière à rester complètement illisibles. — Guizot, Histoire de la Révolution d'Angleterre.
[10] Après l'exécution de Charles Ier, son corps resta sept jours exposé avec grande pompe à Whiteball, il fut ensuite transféré à Windsor. Six chevaux, drapés de noir, trairaient le cercueil, quatre voitures suivaient, portant les derniers serviteurs du roi. Le lendemain, 8 février, de l'assentiment des Communes, le duc de Richmond, le marquis de Hertford, les comtes de Southampton et de Lindsay, l'évêque de Londres, se rendirent à Windsor et assistèrent aux funérailles. Ils firent graver sur le cercueil ces mots :
CHARLES ROI,
1646.
[11] Les articles 6, 7, 8 de la section Ire du chapitre II de la Constitution de 1794, étaient ainsi conçus :
Art. 6. Si le roi se met à la
tète d'une armée et en dirige les forces contre la nation, ou s'il ne s'oppose
pas par un acte formel à une telle entreprise qui s'exécuterait en son nom, il
sera censé avoir abdiqué la royauté.
Art. 7. Si le roi, étant sorti
du royaume, n'y rentrait pas après l'invitation qui lui en serait faite par le
Corps législatif et dans le délai qui sera fixé par la proclamation, lequel ne
pourra être moindre de deux mois, il serait censé avoir abdiqué la royauté.
Le délai commencera à partir
du jour où la proclamation du Corps législatif aura été publiée dans le lieu de
ses séances, et les ministres seront tenus, sous leur responsabilité, de faire
tous les actes du pouvoir exécutif, dont l'exercice sera suspendu dans la main
du roi absent.
Art. 8. Après l'abdication expresse ou légale, le roi sera dans la classe des citoyens, et pourra être accusé et jugé comme eux pour les actes postérieurs à son abdication.
Ce dernier article n'était en aucun cas applicable, puisque la déchéance de Louis XVI avait été prononcée le 10 août, après l'occupation des Tuileries, et que depuis cette époque sa famille et lui avaient été renfermés dans une étroite prison.
[12] Sur ce point, nous ne croyons mieux faire que de nous en rapporter à deux des juges qui prononcèrent le verdict fatal ; ce ne sont pas les plus obscurs d'entre eux. Carnot, dans ses Mémoires, publiées par son fils, tome I, page 293, s'exprime ainsi : Louis XVI a commis le plus grand des crimes dont un roi puisse se rendre coupable. Malgré cela, il eût été sauvé si la Convention n'eût pas délibéré sous les poignards.
Berlier, dans un écrit laissé par lui à ses enfants et publié en 1838, déclare qu'il a voté la mort parce que l'effervescence populaire, portée à son comble, eût empêché de tirer Louis XVI de sa prison pour le conduire sain et sauf jusqu'aux frontières. Certes, voilà une bien pitoyable raison. Mais c'est celle même que Barbaroux donna à la tribune. Il faut donc y croire.
[13] Sur les 364 membres de la Convention qui votèrent la mort du roi sans restriction :
31 sont morts sur l'échafaud ; 48 ont péri de mort violente avant le 18 brumaire an VIII ; 25 sont décédés pendant le cours de la session conventionnelle ou pendant le Directoire ; ensemble, 74.
2 ont été ministres de Napoléon Pr ; 4 sont devenus sénateurs ; 12 ont siégé au Tribunat ou au Corps législatif ; 2 au Conseil d'État ;
3 au Conseil des prises ; 9 à la Cour de cassation ; 10 dans les cours d'appel ; 12 dans les tribunaux de première instance ; 5 ont été procureurs impériaux ; 10 préfets ; 3 sous-préfets ; 5 receveurs généraux ; 1 a été receveur particulier ; 30 ont occupé des emplois divers, soit dans l'administration des finances, au ministère de l'intérieur et même dans la police ; 3 ont été employés dans les consulats ; 4 ont servi comme généraux sous l'Empire ; 1 comme colonel de gendarmerie ; 2 comme sous-inspecteurs aux revues ; 2 ont été conseillers d'État du roi de Naples Murat ; 3 se sont résignés à accepter l'emploi subalterne de messagers d'État près le Corps législatif ; total 121.