HISTOIRE LA TERREUR 1792-1794

TOME CINQUIÈME

 

LIVRE XXIII. — LA LIBERTÉ DE LA PRESSE ET LA LIBERTÉ DES THÉÂTRES EN 1793.

 

 

I

Dès sa première entrevue avec Malesherbes, Louis XVI avait exprimé la conviction intime qu'il était perdu. Le 26 décembre, le roi, en sortant de la salle de la Convention, avait dit à ses défenseurs : Êtes-vous convaincus à présent que, avant même que je fusse entendu, ma mort était jurée ? Rentré au Temple il écrivit à la reine un mot pour la rassurer sur son sort. Ses conseils étant survenus, il prit M. de Malesherbes à part et lui témoigna son regret de ne pouvoir, dans le dénuement où il était réduit, s'acquitter envers MM. Tronchet et de Sèze qui venaient de se dévouer pour sa défense. Sire, répondit le noble vieillard, ils seront plus que récompensés si vous leur exprimez que vous êtes touché de leur zèle. Le roi, se rapprochant de ses deux nouveaux amis, les serra dans ses bras, mais sans pouvoir proférer une parole.

Le 1er janvier arriva. Ce jour où le souverain avait l'habitude de recevoir les hommages empressés de sa cour, Louis le passa seul avec le compagnon de sa captivité, Cléry. A peine put-il entretenir un instant ses défenseurs qui venaient respectueusement le voir chaque matin[1]. Il fat réduit à employer l'intermédiaire d'un membre de la Commune pour adresser à la reine, à sa sœur, à ses enfants, ses souhaits de nouvelle année : triste message, messager encore plus triste ! Et cependant, il faut le dire pour l'honneur de l'humanité, à l'aspect de cette immense infortune plus d'un cœur s'était attendri, plus d'une âme s'était ouverte à la pitié. L'officier municipal Vincent, entrepreneur de bâtiments, s'était chargé de porter secrètement à la reine un exemplaire du plaidoyer de de Sèze ; pour récompense de ce léger service, il exprima au roi le désir d'avoir la moindre chose qui lui eût appartenu. Le petit-fils de Louis XIV n'avait plus le moyen de faire de riches présents : il détacha sa cravate, et la remit à Vincent. Quelque temps après, il donna ses gants à un autre municipal qui lui avait fait une demande analogue. Aux yeux de ses gardiens, déjà ses dépouilles étaient sacrées.

La nécessité avait suggéré aux prisonniers du Temple divers expédients pour se ménager des relations qui échappassent à la vigilance inquiète de leurs geôliers. Un ancien garçon de la bouche, nommé Turgy, était parvenu à se faire employer au Temple avec deux de ses camarades, Marchand et Chrétien. Ils sortaient de la prison à tour de rôle, s'informaient de ce qui se passait dans Paris et rapportaient ce qu'ils avaient appris au fidèle serviteur du roi. Quelquefois ils réussissaient à introduire des journaux, des mémoires et autres imprimés qui pouvaient intéresser la famille royale. Turgy, se glissant sous différents prétextes dans l'appartement du roi, les plaçait dans une cachette convenue d'avance. La chambre de Cléry était placée au-dessous de celle de Mme Élisabeth. Une ficelle, qui avait servi à lier des paquets de bougies et que le valet de chambre avait su cacher à tous les yeux, permettait de transmettre d'un étage à un autre les billets qui s'échangeaient entre les illustres prisonniers.

Ces billets étaient écrits par les princesses avec des piqûres d'épingle ; ceux du roi avec de l'encre. Car, aussitôt son procès régulièrement commencé, on n'avait pu refuser à l'accusé les moyens de préparer sa défense. C'était à la nuit tout à fait close que s'établissaient ces communications mystérieuses. Après avoir plus d'une fois rassuré les prisonniers sur la santé des uns des autres, ce fil conducteur, messager discret, associa le roi aux inquiétudes de sa famille. A l'approche du 15 janvier, jour où allait se décider son sort, il apprit que sa fille, Madame Royale, était malade. Il ne fut tranquillisé qu'en sachant que les sollicitations de la reine avaient obtenu qu'on fit entrer au Temple M. Brunier, médecin des enfants de France. L'indisposition de la princesse n'eut heureusement pas de suites.

Grâce aux journaux qu'on lui faisait passer, le roi, bien qu'il n'espérât déjà plus, put éprouver au moins la consolation de savoir qu'il n'était pas oublié et méconnu de tous ses anciens sujets. Paris, depuis trois semaines, était fort agité, et la véritable opinion publique, malgré l'effroyable pression exercée par la presse. par les clubs, par les sections, saisissait avec empressement toutes les occasions qui se présentaient pour faire entendre sa voix et réclamer les droits de la justice et de l'humanité.

Jetons un coup d'œil rapide sur ce qui se passait dans la capitale, et prenons pour guide le rapport du nouveau maire de Paris.

 

II

Dans la séance du 24 décembre, la Convention avait, sur la proposition de Bréard et de Barère, ordonné à la municipalité de venir, le 5 janvier, à midi, rendre compte de l'état de Paris, de son esprit, de sa police, de sa force publique. Le 6, jour des Rois — devenu le jour des nations suivant Barère, le jour des sans-culottes, suivant Hébert —, le conseil exécutif provisoire devait, à son tour, présenter un rapport général sur l'état des relations extérieures, des colonies, de la marine et des armées[2].

Au jour prescrit, Chambon vient lire le compte rendu officiel de la situation de la capitale. L'organe de la municipalité est le premier à reconnaître qu'il existe une fermentation dangereuse, que les souffrances populaires sont grandes et résultent de la cherté des vivres, de la cessation du travail dans beaucoup d'ateliers et de l'absence d'un grand nombre de soutiens de famille partis comme volontaires.

La force armée, qui compte 121.000 hommes, ajoute-t-il, suffirait amplement au maintien de l'ordre et à la sûreté publique, si le service de la garde nationale était fait par tous les citoyens avec le même zèle. Par malheur, — et le maire insiste sur ce point, — les gens aisés ne veulent pas s'assujettir à monter leur garde, et manifestent la plus grande indifférence pour leur plus grand intérêt... L'ancienne police est désorganisée ; la nouvelle n'a pas encore reçu les perfectionnements nécessaires.

Ce rapport avait été rédigé, non par Chambon lui-même, mais dans ses bureaux. Il est empreint de l'esprit qui régnait à l'Hôtel de Ville depuis le 10 août. On y sent la main de Chaumette et celle d'Hébert. On voit que leur haine s'est détournée des ministres insermentés du culte catholique pour se porter tout entière contre les prêtres jureurs[3]. On peut en juger par le passage suivant : Le Conseil général avait ordonné de tenir exactement fermées pendant la nuit de Noël les églises, pour qu'elles ne servissent pas de repaire aux malveillants. Cette mesure, toute de précaution, a servi de prétexte aux agitateurs qui ont vivement réclamé la liberté des cultes et tenté de jeter l'alarme dans plusieurs quartiers[4]. Car il faut vous dire toute la vérité, législateurs ; plusieurs de ceux qui ont d'abord annoncé le plus de patriotisme, n'ont voulu que des places terrestres. Nous craignons moins les prêtres réfractaires que les menées de ces pontifes qui, dans les assemblées publiques, profèrent des serments démentis par leur conscience.

Ce factum se terminait par des récriminations très-vives contre Roland, par des plaintes très-amères sur le peu de sympathie que l'Assemblée, comme le pouvoir exécutif, témoignait aux intérêts particuliers de la ville de Paris. Ces intérêts, y disait-on, n'ont été défendus par personne ni à la Constituante, ni à la Législative. ni à la Convention ; ce qui a rendu les Parisiens inquiets. soupçonneux, prêts à s'alarmer.

Aussitôt que le chef de la municipalité parisienne a terminé la lecture de son exposé, quelques représentants en demandent l'impression et l'envoi aux départements. Mais un député de Paris, Dussaulx, s'y oppose à moins qu'on ne rectifie le passage où il est dit que la capitale ne trouve au sein de l'Assemblée nationale aucun soutien de ses droits. Lanjuinais ne veut pas non plus que la Convention paraisse donner un caractère officiel à un document, où la grande cité est représentée comme partageant l'opinion de quelques factieux qui s'efforcent de faire renvoyer un ministre aimé, estimé de la France entière.

Comment d'ailleurs, pourrait-elle se plaindre de n'avoir pas vu sa cause défendue dans le sein des assemblées qui se sont succédé dans cette enceinte, lorsqu'il est constaté, par un récent rapport de votre comité des finances, que depuis la révolution elle a coûté à l'État 110 millions.

Chabot, au contraire, prend la défense de Paris et des Parisiens : Oui, cette ville a été oubliée dans la révolution ; oui, elle a fait d'énormes sacrifices depuis quatre ans. La suppression des entrées, avec lesquelles elle pouvait payer ses dettes, a tourné au profit des cultivateurs des départements, mais les denrées n'ont point baissé. Paris a beaucoup perdu au départ des princes ; le commerce de luxe se trouve anéanti, et le pain est plus cher que sous l'ancien régime. Oui, ceux que le peuple de Paris accuse, ne cessent d'exciter contre lui les haines du reste de la France. En voulez-vous la preuve ? Lisez l'arrêté que vient de prendre le département de la Haute-Loire et que vous dénonce la section Bonne-Nouvelle.

La Montagne n'attendait très-probablement que le mot d'ordre de Chabot pour changer le terrain de la discussion. Elle demande à grands cris qu'on lise l'arrêté auquel l'orateur vient de faire allusion. Cette lecture est faite par un des secrétaires.

Citoyens, écrivaient les administrateurs de la Haute-Loire aux habitants de ce département, les agitateurs de Paris et les ennemis de la révolution conspirent tous les jours contre elle et flagornent le peuple de cette ville, en lui persuadant qu'il est le souverain presque exclusif de la République dont il n'est que la quatre-vingt-quatrième partie. Le seul moyen de remédier à ces abus est d'organiser une garde départementale qui puisse environner la Convention et l'escorter vers la ville qu'elle choisira pour son séjour, si elle juge cette démarche nécessaire.

Hâtez-vous, citoyens, et souscrivez l'enrôlement momentané que nous vous proposons pour dissoudre une horde de brigands qui veut usurper les fruits d'une révolution qui coûte tant de sacrifices à tous les citoyens.

L'extrême gauche veut que cette adresse soit renvoyée au pouvoir exécutif, pour qu'il en poursuive les auteurs et rende compte de leur punition à l'Assemblée dans le plus bref délai.

La Gironde rappelle, par l'organe de Guadet, les arrêtés que prennent chaque jour les sections parisiennes, et où la désobéissance aux lois est prêchée avec le cynisme le plus éhonté.

Ah ! ils savent bien ce qu'ils font, les anarchistes ! s'écrie le véhément député de Bordeaux, en faisant élire à haute voix les membres de la municipalité, comme vient de le faire aujourd'hui même la section des Gravilliers. Ils ne veulent avoir que des hommes selon leur goût. Ils dictent leur volonté avec des bourreaux, leurs ordres avec des assassins. Certes, je ne prétends pas accuser la majorité des sections de Paris. Consultez-les ; elles vous diront que la faction désorganisatrice et anarchique a des émissaires dans leur sein ; que ces émissaires jettent, par leurs menaces sanguinaires, l'épouvante dans le cœur de tous les bons citoyens ; que les délibérations les plus importantes sont livrées à quelques factieux et à quelques brigands. Tous les bons citoyens sont unanimes pour faire cesser enfin cet état d'anarchie qui donnerait à la République naissante une base d'argile et de sable. Mais, nous dit-on, c'est le fédéralisme que vous prêchez ; vous cherchez à rompre l'unité de la République, vous voulez armer les départements contre Paris. Citoyens, il faut en finir une bonne fois avec toutes ces insinuations. Et, d'abord, le fédéralisme n'a-t-il pas d'abord été proposé, il y a encore peu de temps, par un des coryphées du parti qui nous jette aujourd'hui cette accusation à la face, par Billaud-Varennes ? Mais là n'est pas la question. On vous propose de casser l'arrêté du département de la Haute-Loire ; cassez donc avant tout les arrêtés liberticides, désorganisateurs, insensés de certaines sections parisiennes ; sachez prendre des mesures pour faire exécuter vos décrets dans la ville même où vous tenez vos séances. Ordonnez de poursuivre ces hommes qui, en quatre jours, ont fait reculer d'un siècle la liberté de l'Europe... Ils m'entendent.

Électrisée par ces paroles, la Convention prononce, à une grande majorité, l'ordre du jour sur toutes les propositions tendant à casser et même à blâmer l'arrêté du département de la Haute-Loire ; puis elle vote l'impression, mais repousse l'envoi aux départements du compte rendu de la municipalité de Paris.

 

III

Dès l'ouverture de la séance du 6, la lutte de la veille se ranime plus vive et plus ardente. Comme la Haute-Loire, le Finistère envoie à la Convention une adresse contre les agitateurs et les démagogues : Nos plus grands ennemis, y était-il dit, sont dans votre sein. Les Marat, les Robespierre, les Danton, les Chabot, les Bazire, les Merlin et leurs complices, voilà les anarchistes, voilà les vrais contre-révolutionnaires... Chassez-les du sanctuaire de vos délibérations, vous n'avez rien de commun avec eux ; vous ne pouvez respirer le même air que des scélérats. Si vous croyez manquer de pouvoirs pour prononcer leur exclusion, consultez le souverain, interrogez les assemblées primaires ; elles parleront hautement, et bientôt le danger de la patrie disparaîtra[5].

On conçoit facilement la fureur qu'un pareil acte d'accusation excite au sein de la Montagne. Je demande, s'écrie Marat, que cette adresse soit renvoyée à sa source, au boudoir de la femme Roland ! Les murmures de l'immense majorité de l'Assemblée, bien loin de lui imposer silence, ne font que l'animer davantage : Oui, je veux vous dénoncer cette faction qui cherche à immoler à ses projets criminels la députation de Paris ; cette faction qui met tout en œuvre, intrigue, imposture, diffamation, sourdes menées, pour en arriver à ses fins. On vous demande de vous faire respecter : il n'y a qu'un moyen, c'est d'être respectables. — Disparaissez, lui réplique-t-on à droite, et nous le serons !

La discussion, mise sur ce ton, devient de plus en plus tumultueuse ; pendant une heure, des interpellations de la dernière violence s'échangent et se croisent. Aussitôt qu'un orateur veut prendre la parole, il est violemment interrompu par le côté de l'Assemblée qui ne partage pas ses opinions. Robespierre et Roland ont le même sort, ils ne peuvent parvenir à se faire entendre. Ils sont tous les deux à la tribune, et le président est impuissant pour faire obtenir un moment de silence à l'un ou à l'autre. Votre devoir, s'écrie Robespierre, est de m'entendre ; j'ai à dénoncer un complot contre la tranquillité publique ; il ne peut appartenir à un parti de m'ôter la parole ; je l'aurai, en dépit des âmes vénales et des ministres factieux !

Roland le regarde et sourit ; l'immense majorité se soulève d'indignation. Marat, se dressant sur son banc et montrant le poing à la droite, crie : Coquins de l'ancien régime, s..... faction rolandiste, gredins éhontés, vous trahissez impudemment la patrie ! Les tribunes acclament l'ami du peuple et poussent d'effroyables vociférations contre ceux qu'il dénonce à leurs vengeances. Le président sollicite en vain le silence, la sonnette se brise des ses mains, il se couvre ; les huissiers font longtemps des efforts inutiles avant d'obtenir que les députés, réunis en groupes animés au milieu de la salle, consentent à reprendre leurs places.

Enfin le calme se rétablit peu à peu, et le président Barère petit déclarer que la discussion est ouverte de nouveau. Mais auparavant, dit-il, il faut que la République sache s'il existe une Convention nationale, car je ne vois ici qu'une assemblée anarchique. Je rappelle les tribunes au respect et Robespierre à l'ordre avec censure.

La Montagne invoque alors en faveur de son orateur le droit qui appartient à tout membre rappelé à l'ordre de faire entendre sa justification.

Robespierre obtient la parole. Il se garde bien de présenter des excuses à l'Assemblée, et prend à partie le président, qui met plus d'art à prouver son impartialité que d'exactitude à suivre les règles. La censure qui m'a été infligée, ajoute-t-il, ne peut m'atteindre, puisque je ne l'ai pas méritée ; l'opiniâtreté de Barère a seule causé tout le désordre.

Abusant du prétexte qui lui a livré la tribune, le héros de la démagogie s'y installe et parvient à débiter le long acte d'accusation qu'il a préparé contre Roland, contre ce ministre qui se prétend chargé de former l'esprit public et qui le déprave en se louant, lui et ses amis, comme des modèles de vertu, en dépeignant ses adversaires comme des scélérats, des brigands, des factieux et des désorganisateurs.

Lorsque l'orateur a fini sa harangue, Barère, qui ne veut pas rester sous le coup des paroles du chef du parti jacobin, qui ne tient pas cependant à rompre avec le trop populaire et trop dangereux tribun, se contente de dire : Je pourrais répondre à Robespierre, mais je ne veux pas occuper l'Assemblée de moi ; il y a entre nous un juge qu'il ne peut ni récuser, ni corrompre, c'est l'opinion publique.

Il veut donner ensuite la parole à Roland qui, depuis longtemps, attend qu'il plaise à la Montagne de le laisser lire son rapport sur la situation intérieure de la République.

Mais on fait observer que la Convention n'a point appelé les ministres pour entendre leurs rapports individuels ; qu'elle a réclamé du Conseil exécutif provisoire tout entier un exposé collectif et général de la situation de la République. La majorité reconnaît que tel est, en effet, le vrai sens du décret du 2/t décembre, et la parole est retirée au ministre de l'intérieur. Celui-ci, à peine rentré en son hôtel, se hâte de protester contre cette décision dans une lettre où il déclare rester à son poste jusqu'à ce qu'on le renvoie ou qu'on l'immole[6].

 

IV

L'agitation n'était pas seulement dans l'Assemblée ; elle était dans Paris tout entier. Chaque jour, des incidents imprévus venaient donner un nouvel aliment à la fièvre qui s'était emparée des esprits. Deux méritent d'être spécialement remarqués, car l'un intéresse la liberté de la presse, l'autre, la liberté des théâtres.

Vers la fin du mois de décembre, la Chronique, journal rédigé par Condorcet, publiait une lettre de Charles Villette, député de l'Oise. Dans cette lettre très-courageuse, celui qui avait été l'ami de Voltaire mourant dénonçait aux Parisiens le tort immense que faisait aux citoyens paisibles et au commerce de la capitale la recrudescence des dénonciations contre les signataires de la pétition Guillaume et de celle sur le camp de Paris, contre les anciens membres du club de la Sainte-Chapelle et du club de 1789 ; il assurait qu'à la suite de ces dénonciations quatorze mille personnes avaient quitté Paris ; il se demandait comment imposer silence aux brigands dénonciateurs. Au lieu de déguerpir, s'écriait-il, il faut rosser ces fabricateurs de listes comme nos volontaires étrillent les soldats de la Prusse et de l'Autriche. Si on se résigne à subir ce joug, si on se soumet à de nouvelles visites domiciliaires, pourquoi s'étonner des massacres de septembre exécutés si paisiblement ? Pourquoi s'étonner que Paris devienne un désert, que l'herbe croisse dans ses plus belles rues, que le silence des tombeaux règne dans les thébaïdes du faubourg Saint-Germain ? Pensez-vous que l'on soit tenté d'habiter une ville où la violence et l'assassinat sont à l'ordre du jour, où les autorités sont avilies, où les représentants du peuple sont insultés jusque dans le sanctuaire des lois ?... N'accusons point les départements d'une ridicule jalousie contre l'ancienne métropole. Il ne faut pas que Paris soit le vampire de la République ; mais il faut reconnaitre la nécessité d'un point central d'où partent les rayons du gouvernement. Ne craignons pas ces fédérés qui nous arrivent de toutes parts, ce sont nos vrais défenseurs ; ils 'viennent protéger l'éloquence et la raison qu'une ligue impie repousse tous les jours de la tribune nationale[7].

Cette lettre est à peine publiée que la section du Panthéon-Français la dénonce au Conseil général de la Commune. Celui-ci ordonne au procureur-syndic de poursuivre Charles Villette et tous les autres journalistes payés par Roland pour soulever les départements contre Paris, en le représentant comme un ramas de factieux toujours en opposition avec les autorités constituées[8].

Villette se montre prêt à soutenir contre la Commune du 2 décembre une lutte pareille à celle que Girey-Dupré a soutenue quelques mois auparavant contre la Commune du 10 août[9] ; mais le collaborateur de Brissot n'était pas député, tandis que l'ami de Condorcet est membre de la Convention. Aussi, dès le 31 décembre. Villette écrit-il au chef de la municipalité parisienne pour lui annoncer que c'est à la barre de l'Assemblée nationale qu'il l'attend, si le Conseil général veut donner suite à la dénonciation de quelques oisifs de la section du Panthéon-Français[10]. Cette menace n'arrête pas les poursuites ; le 5 janvier, le député de l'Oise reçoit une assignation à comparaître devant le tribunal de police pour avoir employé, dans une lettre rendue publique, des expressions, des tours de phrase anticiviques et tendant à diminuer la confiance due à la municipalité.

Villette envoie l'exploit à la Convention en l'accompagnant de deux lettres, l'une adressée à Chaumette, l'autre au président de l'Assemblée nationale. Dans la première, il plaisante le magistrat municipal sur ses prétentions à faire revivre le code de l'ancien lieutenant de police, ce code que l'on croyait enseveli sous les ruines de la Bastille. Dans la deuxième, il demande à la Convention s'il doit obéir. J'invoque, dit-il, la liberté de la presse, l'inviolabilité des législateurs, le droit que nous avons d'exprimer librement nos pensées, sans en devoir compte qu'au souverain. Il est temps de montrer la puissance nationale dont nous sommes investis ! il est temps d'imposer aux autorités provisoires qui voudraient se rendre permanentes ! il est temps d'écraser les anarchistes et les agitateurs ! Mandez à votre barre ces hommes turbulents qui soulèvent les sections paisibles et n'ont d'autre but que de nous troubler et de nous avilir.

La conduite de la Commune était impossible à défendre. Marat lui-même ne l'ose pas. Il abandonne Chaumette qui, dit-il, n'est qu'un intrigant ; mais il veut voir dans cette affaire la main de la faction criminelle qui cherche à compromettre les sections et la Commune pour ensuite dénoncer leurs actes à la vindicte de la Convention. L'Assemblée ne prend pas au sérieux les audacieux mensonges de l'impudent bouffon ; elle décide, sur la demande de Kersaint, de Lanjuinais et de Boyer-Fonfrède, que le procureur-syndic sera immédiatement mandé à la barre.

Chaumette obéit. Ce fougueux démagogue, nous l'avons déjà vu plus d'une fois, savait s'humilier à propos et ne reculait pas devant une palinodie nouvelle. Il déclare donc que c'est par une erreur de commis que la citation a été envoyée à Charles Villette, que l'arrêté qui ordonnait la comparution du représentant du peuple devant le tribunal de police a été révoqué le matin même. Il était difficile d'admettre ces excuses, si on avait pris la peine de les examiner à fond ; mais la Convention sait depuis longtemps à quoi s'en tenir sur le personnage. Elle se contente de la nouvelle preuve qu'il vient de donner de sa platitude ; seulement elle lui refuse les honneurs de la séance, bien que la Montagne les eût réclamés pour le représentant de la Commune de Paris, bien que d'ordinaire ils fussent accordés presque comme un droit à tout individu mandé à la barre, lorsqu'il s'était justifié[11].

Pendant qu'à la Convention la liberté de là presse était ainsi consacrée, elle était proscrite dans la salle des Jacobins par ceux-là mômes qui ne cessaient de s'en proclamer les seuls vrais défenseurs. Les démagogues de tous les temps et de tous les pays sont ainsi faits. Ils se considèrent comme une caste à part, ayant seule en dépôt l'avenir de l'humanité ; ils s'arrogent le droit de briser, de réduire en poussière, de jeter au vent ce qui. avant eux, a fait l'objet du culte des siècles antérieurs. Mais ils regardent la moindre atteinte portée à leurs préjugés et à leurs superstitions comme un sacrilège digne des derniers châtiments. Dès qu'on n'épouse pas toutes leurs querelles, dès qu'on ne flatte pas toutes leurs passions, ils vous renient et lancent sur vous les plus terribles anathèmes. Nous avons vu naguère les vainqueurs du 10 août proscrire en masse tous les journaux royalistes et distribuer leurs presses aux écrivains patriotes. Cinq mois plus tard, les frères et amis de la rue Saint-Honoré se montrent plus exclusifs encore. Ils jettent à la porte du lieu de leurs séances le rédacteur du Journal des débats et de la correspondance de la société, dont tout le crime consiste à avoir inséré maladroitement dans sa feuille quelques adresses dirigées par quelques sociétés affiliées contre les idoles du jour, Marat et Robespierre. Ils arrêtent qu'à l'avenir aucun journal n'aura le droit de publier le compte rendu des séances du club, si préalablement son rédacteur ne le soumet à l'examen de censeurs qu'ils nomment à cet effet. Bien plus, de peur d'être trahis par un des leurs, ils excluent de la société tous les journalistes, à l'exception du patriote créole Milscent, de Marat et de Tallien[12]. C'est ainsi que ceux qui faisaient parade de sentiments ultra-libéraux entendaient, en 1793, la liberté de la presse. Comment maintenant comprenaient-ils la liberté des théâtres proclamée par l'Assemblée constituante ? c'est ce que nous allons voir.

 

V

Le 2 janvier, le Théâtre-Français donnait la première représentation de l'Ami des Lois, comédie en Cinq actes et en vers du citoyen Laya ; la pièce était jouée par l'élite de la comédie française, Fleury, Dazincourt, Saint-Prix, Saint-Phal, etc. L'ouvrage, il faut le reconnaître, était assez pauvre d'intrigue ; les vers n'étaient pas très-châtiés, mais on sentait qu'ils avaient été écrits sous le coup d'une vertueuse indignation. Ce n'était pas une bonne pièce, c'était beaucoup mieux que cela : une bonne action.

Le personnage principal, ami des lois, voyait les suspicions populaires excitées contre lui, sa maison pillée, sa conduite dénoncée devant un tribunal auquel il avait grande peine à faire reconnaître son innocence. Malgré les péripéties imaginées par l'auteur, la pièce en elle-même ne pouvait, il faut le reconnaître, inspirer qu'un médiocre intérêt. Mais, dans les trois dénonciateurs à la fin démasqués, dans le trio démagogique que, durant cinq actes, l'auteur flagellait de ses sarcasmes, chacun reconnaissait le type des révolutionnaires les plus célèbres. La pièce avait été écrite de verve, elle était jouée de même. Les moindres allusions aux doctrines et aux événements du jour, vigoureusement soulignées par les interprètes, soulevaient tour à tour de formidables tonnerres d'applaudissements ou d'immenses éclats de rire.

Il nous serait impossible de citer tous les vers qui avaient le privilège d'exciter chez les spectateurs un enthousiasme sans doute plus politique que littéraire ; quelques passages de la pièce suffiront pour en faire comprendre la saisissante actualité.

L'un des trois démagogues mis en scène explique ainsi ses principes d'économie politique et sociale :

De la propriété découlent à longs flots

Les vices, les horreurs, messieurs, tous les fléaux.

Sans la propriété, point de voleurs !...

. . . Si le mal vient de ce qu'on possède,

Donc ne plus posséder est le plus sûr remède.

Murs, portes et verrous, nous brisons tout cela ;

On n'en a plus besoin dès que l'on en vient là.

Cette propriété n'était qu'un bien postiche,

Et puis le pauvre naît dès qu'on permet le riche.

Dans votre République, un pauvre bêtement

Demande au riche ! Abus ! dans la mienne, il lui prend.

Tout est commun. Le vol n'est plus vol ; c'est justice.

J'abolis la vertu pour mieux tuer le vice.

Forlis, l'ami des lois, flétrit en ces termes les démagogues de tous les temps :

Patriotes ! ce titre et saint et respecté

A force de vertus veut être mérité.

Patriotes ! Eh quoi, ces poltrons intrépides

Du fond d'un cabinet prêchant les homicides,

Ces Solons nés d'hier, enfants réformateurs

Qui rédigent en lois leurs rêves destructeurs !...

Ah ! ne confondez pas le cœur si différent

Du libre citoyen, de l'esclave tyran.

L'un n'est point patriote et vise à le paraître ;

L'autre tout bonnement se contente de l'être.

Le mien n'honore point, comme vos messieurs font,

Les sentiments du cœur de son mépris profond.

L'étude, selon lui, des vertus domestiques

Est notre premier pas vers les vertus civiques.

Il croit qu'ayant des mœurs, étant homme de bien,

Bon parent, on peut être alors bon citoyen.

Compatissant aux maux de tous tant que nous sommes,

Il ne voit qu'à regret couler le sang des hommes ;

Et du bonheur public posant les fondements,

Dans celui de chacun en voit les éléments.

Voilà le patriote ! il a tout mon hommage.

Vos messieurs ne sont pas formés à cette image...

Ce sont tous ces jongleurs, patriotes de places,

D'un faste de civisme entourant leurs grimaces ;

Prêcheurs d'égalité, pétris d'ambition ;

Ces faux adorateurs dont la dévotion

N'est qu'un dehors plâtré, n'est qu'une hypocrisie ;

Ces bons et francs croyants dont l'âme apostasie ;

Qui, pour faire haïr le plus beau don des cieux,

Nous font la liberté sanguinaire comme eux.

Mais non, la liberté, chez eux méconnaissable,

A fondé dans nos cœurs son trône impérissable.

Que tous ces charlatans, populaires larrons,

Et de patriotisme insolents fanfarons,

Purgent de leur aspect cette terre affranchie !...

Royalistes tyrans, tyrans républicains,

Tombez devant les lois ; voilà vos souverains !

Brigands, l'ombre a passé ; songez à disparaître !

Enfin, faisant allusion à la théorie du salut public. invoquée à chaque instant dans le procès qui s'agitait alors au sein de la Convention, un personnage se hasarde à dire :

Et quoi qu'enfin du peuple ordonne l'intérêt,

S'il frappe l'innocence, il n'est plus qu'un forfait !

La plupart des journaux annoncent le succès de la première représentation ; le Moniteur, d'ordinaire si réservé, fait lui-même l'éloge des sentiments patriotiques dont la nouvelle pièce est remplie[13]. A chaque représentation, une foule de plus en plus nombreuse se porte vers le théâtre de l'Odéon, dont étaient en possession ceux des sociétaires de la Comédie-Française restés fidèles aux anciennes traditions. Tout Paris veut rire aux dépens des démagogues qui depuis cinq mois le font trembler, tout Paris veut s'associer à l'acte de courage de Laya. Les Jacobins sont furieux qu'on ose traduire leurs dieux sur la scène. Ils avaient trouvé très-légitime et très-naturel que l'on représentât chaque soir des pièces où les plus basses et les plus viles passions étaient lâchement adulées, où le sarcasme et le ridicule étaient déversés à pleine main sur tout ce qui jadis était entouré de respect. Mais ils bondissent de colère à la seule pensée que, au nom de la liberté, on puisse offrir aux républicains du 'vine siècle un spécimen des épigrammes qu'Aristophane lançait impunément contre les hommes puissants de son époque. A chaque séance du club Saint-Honoré, les frères et amis éclatent en menaces contre l'auteur, les acteurs et les spectateurs. Laya, qui voit grossir l'orage, s'empresse en homme prudent et avisé de chercher un abri dans la protection de la Convention elle-même. Il lui dédie son ouvrage par une lettre ainsi conçue :

Citoyens législateurs,

Ce n'est point un hommage que je vous présente, c'est une dette que j'acquitte. L'Ami des lois ne peut paraître que sous les auspices de ses modèles.

 

La lecture de cette lettre est favorablement accueillie d'une grande partie de l'Assemblée. On demande qu'il soit répondu à l'auteur par une mention honorable insérée au procès-verbal. C'est un ouvrage détestable, c'est une œuvre contre-révolutionnaire ; l'ordre du jour doit en faire justice, répliquent Prieur, Chasles, David et quelques autres montagnards. La majorité, qui ne veut prendre parti ni pour ni contre, renvoie l'ouvrage à l'examen du comité d'instruction publique.

La Commune est plus prompte à se décider. Sur la demande de plusieurs sections, qui lui dénoncent les principes affreux prêchés dans l'Ami des lois, elle prend, le 11 janvier, un arrêté qui défend aux comédiens de jouer la pièce. Cet arrêté est affiché très-tard dans la soirée, notifié plus tard encore aux sociétaires du Théâtre-Français, de sorte que, le 12 au matin, l'annonce de la cinquième représentation s'étale sur tous les murs de Paris à côté de la défense officielle de la donner. Dans la journée, une foule immense se dirige vers l'Odéon, désireuse de connaître comment se terminera le conflit qui s'élève entre la municipalité parisienne et les comédiens français. Les bureaux s'ouvrent comme à l'ordinaire ; bientôt la salle, les couloirs, les escaliers regorgent de monde. Les abords du théâtre et les rues adjacentes sont encombrés de milliers de curieux, qui ne veulent pas se disperser avant de savoir si, oui ou non, la pièce sera jouée.

 

VI

Un peu avant l'heure fixée pour le commencement du spectacle[14], un grand mouvement se produit dans la foule : c'est le maire Chambon qui arrive en voiture. Mais il est bientôt obligé de mettre pied à terre, et ce n'est pas sans peine qu'on lui ouvre passage au milieu de la foule compacte qui invoque à grands cris la loi outrageusement violée par l'arrêté municipal. Aucune insulte personnelle n'est adressée à Chambon ; bien plus, on lui déclare que l'on a confiance en sa sagesse et en sa loyauté. Le maire arrive enfin dans la salle. Il essaye d'expliquer les motifs sur lesquels s'est basée la municipalité pour interdire la représentation de l'Ami des Lois. Mais sa voix est couverte par les cris des spectateurs. On demande que le rideau soit levé et la pièce jouée quand même. Cependant, pour tout concilier, on propose d'envoyer à la Convention une députation chargée d'obtenir que la liberté des théâtres soit respectée. Chambon, bien qu'il soit venu avec l'ordre formel de la Commune d'empêcher à tout prix la représentation, est forcé d'appuyer par écrit la demande unanime du public. Une députation est envoyée à l'Assemblée ; elle est conduite par Laya lui-même.

L'auteur et ses amis sollicitent l'honneur d'être admis sur-le-champ à la barre. Après un violent débat et une épreuve douteuse, leur admission est refusée. Laya fait alors parvenir au président le billet écrit par le maire. Les Montagnards prétendent que cette affaire ne peut regarder la Convention, qu'elle doit, comme toute autre, suivre la filière administrative et que, s'il y a des citoyens qui se trouvent lésés par l'arrêté municipal, ils doivent s'adresser au département, ensuite au ministre de l'intérieur. Cependant Kersaint propose un biais qui concilie le respect des formes légales avec le désir de faire prompte justice de l'arrêté de la Commune. C'est un ordre du jour motivé sur la lettre même du maire et qui déclare qu'il n'y a point de loi qui autorise les corps municipaux à censurer les pièces de théâtre[15].

Chambon n'avait pas quitté l'Odéon ; il était retenu dans sa loge à peu près en chartre privée. Santerre, qui, pendant ce Temps, est survenu, accompagné de son état-major empanaché, tâche de parvenir jusqu'au maire pour prendre ses ordres ; il est repoussé, bafoué, conspué. ll veut haranguer la foule ; il ne peut se faire entendre et, de guerre lasse, il quitte la place et va rendre compte de sa déconvenue au Conseil général.

Quelque temps après, arrive la députation munie du décret rendu par la Convention Un silence complet s'établit lorsqu'on voit le maire s'apprêter à en donner lecture à haute voix. Aussitôt que Chambon a fini de lire, une immense acclamation retentit, la toile se lève et la représentation commence au milieu des plus vifs applaudissements. Elle se termine sans encombre et sans tumulte.

On avait appris successivement à l'Hôtel de Ville que l'arrêté de défense était bravé par les comédiens, que la Convention avait levé l'interdiction, que le maire assistait tranquillement à la représentation. Chacune de ces nouvelles redouble la colère du Conseil général. Il envoie un exprès à Chambon pour qu'il ait à revenir sur-le-champ à la Maison commune. Mais le maire fait répondre qu'il ne peut quitter le théâtre parce qu'il est obligé de veiller à l'ordre, tant au dedans qu'au dehors. Il reste jusqu'à la fin de la représentation et ce n'est que vers minuit qu'il se rend auprès du Conseil qui siège en permanence. En entrant dans la salle, il est accueilli par les murmures de ses collègues. Il veut prendre le fauteuil de la présidence ; on s'y oppose avec violence, on lui fait subir un véritable interrogatoire. Après un long débat, et sur un réquisitoire de Chaumette, le Conseil général déclare improuver la conduite du maire et ordonne que l'arrêté de censure sera imprimé et envoyé aux quarante-huit sections.

En présence du décret de la Convention, il était difficile de proscrire nominativement l'Ami des Lois ; mais on s'avise d'un autre moyen qui doit avoir le même résultat. Le Conseil décide que le maintien de la tranquillité publique, sur laquelle il est spécialement chargé de veiller, exige qu'au moment où le jugement du roi peut être prononcé d'un moment à l'autre, tous les théâtres soient fermés jusqu'à nouvel ordre.

Le pouvoir exécutif casse ce nouvel arrêté, en déclarant que les circonstances ne nécessitent pas une mesure aussi extraordinaire. Voulant cependant ménager jus-. qu'au bout les autocrates de la Commune, il a l'imprudence d'insérer au bas de sa décision une espèce de post-scriptum qui infirme complètement la mesure vigoureuse qu'il vient de prendre : Au nom de la paix publique, il invite les directeurs de théâtre à éviter la représentation des pièces qui, jusqu'à ce jour, ont occasionné des troubles et qui pourraient les renouveler dans le moment présent. Le Conseil général, fort de la faiblesse qu'on montre à son égard, maintient son premier arrêté, et pousse la dérision jusqu'à déclarer que, s'il en agit ainsi, c'est parce qu'il est de son devoir de maintenir le respect dû aux autorités[16].

L'audace toujours croissante de la Commune est dénoncée par Buzot à la Convention, mais l'Assemblée, au moment de reprendre les débats sur le jugement de Louis XVI, ne parait pas disposée à continuer, à propos d'une comédie, la lutte avec le pouvoir qui trône it l'Hôtel de Ville. Eh bien ! s'écrie Kersaint, je fais la motion expresse que, si la Convention ne fait pas ouvrir les spectacles, elle ordonne que tout lieu de rassemblement soit fermé. Du moins, les assassins du 2 septembre n'iront plus aiguiser leurs poignards sur le bureau du président des Jacobins. Cette dernière apostrophe n'a pas même le don de galvaniser l'Assemblée. Elle passe à l'ordre du jour sur les plaintes des deux girondins.

L'arrêté municipal ne fut pas, il est vrai, exécuté en ce qui concernait la fermeture des spectacles, mais les comédiens français ayant compris qu'ils ne seraient soutenus ni par le pouvoir exécutif, ni par la Convention, et qu'ils couraient grand risque d'être livrés sans défense au courroux des Jacobins, se le tinrent pour dit ; ils firent disparaître de leur affiche toute annonce qui aurait pu faire espérer que la pièce de Laya serait jouée de nouveau[17]. C'est tout ce que voulait la Commune.

Ainsi, tantôt en s'humiliant comme dans l'affaire Villette, tantôt en payant d'audace comme dans l'affaire de l'Ami des Lois, les meneurs de l'Hôtel de Ville en arrivaient toujours à leurs fins : confisquer toutes les libertés et n'en laisser aucune à qui ne pensait pas Comme eux.

 

VII

Dans la Convention, il n'y avait qu'un petit nombre de membres qui parussent comprendre que la nouvelle Commune s'apprêtait résolument à suivre l'exemple de celle du 10 août. La situation était toujours la même. Nulle direction, nulle cohésion, nulle entente parmi les Girondins. Les propositions les plus importantes, lancées au hasard, soutenues avec ardeur pendant quelques instants, puis abandonnées presque aussitôt, retombent de tout leur poids sur la tête de ceux qui les ont soulevées. Le 6 janvier, au milieu d'une très-vive discussion engagée entre la Montagne et la Gironde, un député assez obscur, Richoux (de l'Eure), demande que l'on supprime la permanence des sections[18]. Cette motion est appuyée par Fockedey, combattue par Duhem et Billaud-Varennes. Thuriot essaye de l'écarter par un simple ajournement, sous prétexte que les dangers publics ne sont pas encore passés. Salles insiste pour que l'on brise immédiatement un instrument révolutionnaire qui chaque jour peut faire naître de nouveaux mouvements, ramener de nouveaux massacres. — Oui, oui, s'écrie Marat, nous savons les motifs de cette demande. Les intrigants ont hâte de se soustraire à la surveillance des patriotes. Mais les injures de l'Ami du peuple ne font pas grand effet sur la majorité. Robespierre se décide alors à combattre de toute l'autorité de sa parole une proposition dont nul mieux que lui ne comprend l'importance. Je crains, dit-il, que, une fois la vigilance des sections disparue, on ne veuille, en excitant perfidement une émeute populaire, violer le dépôt à la fois fatal et précieux qui est au Temple. Que sais-je, moi, au milieu de tant d'étrangers qui affluent dans Paris, que sais-je ce qui se tramera quand le peuple sera dispersé !... Les sections, au commencement de la Constituante, ont maintenu la tranquillité ; elles ont fait la révolution ; elles l'ont soutenue contre les aristocrates et contre les perturbateurs. La tranquillité règne en dépit de quelques factieux, elle règne dans les sections et ce sont les sections qui la maintiennent[19].

Robespierre avait entremêlé son discours de toutes sortes de récriminations contre Roland et contre la droite, de toute espèce d'éloges pour ceux qui, comme lui, avaient le courage de résister au ministre. Aussi réussit-il merveilleusement à égarer la discussion et à empêcher qu'il ne soit immédiatement donné suite à la motion de Richoux. Le lendemain, la Gironde, occupée d'un autre objet, ne pense plus à renouveler le débat.

Les meneurs des sections parisiennes ne virent dans ce nouvel avortement qu'un motif de plus pour redoubler d'extravagance. Choisissant leur jour et leur heure, ils apostaient d'avance leurs affidés pour se préparer un triomphe facile et éclatant ; ils cherchaient à enchérir les uns sur les autres par le dévergondage de leur civisme. Dans des pièces d'éloquence, où le bon sens et la grammaire étaient également maltraités, ils décernaient le blâme et l'éloge aux autorités constituées, gourmandaient la Convention, ébranlaient ou rétablissaient l'Europe sur sa base. A toute autre époque, on aurait ri des prétentions ridicules de ces mouches du coche ; mais, dans ces jours de troubles, ces espèces de taons, en ne laissant aucune trêve, aucun repos à la population parisienne, l'entretenaient dans un état de fièvre continuelle. Peu leur importait d'ailleurs que la révolution, ainsi surmenée, tombât d'épuisement avant d'avoir fourni la fin de sa carrière. Ce que voulaient ces politiques de carrefour, c'était sortir de la foule, se faire un nom ; ce que voulaient les sections qui subissaient leur influence, c'était se montrer plus révolutionnaires que toutes les autres, se donner la gloire de l'initiative des motions les plus retentissantes et les plus audacieuses.

La section du Théâtre-Français se déclare en état d'insurrection, tant que Louis XVI ne sera pas immolé, et prête ce serment, qui serait burlesque s'il n'était atroce : Nous le jurons par les droits du peuple, par le souvenir des victimes du 10 août, par le besoin d'être libres ; Louis périra ou aucun républicain ne lui survivra !

La section des Gravilliers invite ses sœurs à nommer des commissaires pour se réunir en Comité central à l'Évêché et aviser en commun au moyen de maintenir efficacement la tranquillité publique et notamment de veiller à la sûreté de la Convention nationale.

Cette protection n'est pas du goût de Gensonné, celui de tous les Girondins qui avait le plus l'esprit d'organisation. Lui et ses amis reprennent donc le projet qu'ils ont plus d'une fois mis en avant, celui d'enlever à la Commune de Paris son plus puissant moyen d'action en lui retirant l'administration de la police et en l'attribuant exclusivement au Comité de sûreté générale. Mais, pour cela, il faut commencer par épurer le Comité qui se trouvait composé, depuis le début de la session conventionnelle, presque mi-partie de Montagnards et mi-partie de modérés. Ces derniers avaient la majorité lorsqu'ils y étaient exacts, mais ils l'étaient peu ; en revanche, leurs adversaires, très-disciplinés et très-ardents, l'étaient beaucoup.

La Gironde et la Montagne étaient d'accord pour signaler la fâcheuse composition de ce Comité[20]. Il était, en effet, impossible de faire une police tant soit peu efficace avec des éléments aussi hétérogènes. Pour remédier à un pareil état de choses, chacun des deux partis proposait une solution différente : la Gironde voulait augmenter le nombre des membres du Comité ; la Montagne, le restreindre. Ce fut la Gironde qui l'emporta et qui, le 7 janvier, fit adopter le décret suivant :

La Convention nationale décrète que le nombre des membres du Comité de sûreté générale sera doublé ; qu'il ne pourra donner de mandats d'arrêt que d'après une délibération prise à la majorité des deux tiers des voix et inscrite sur le registre, et que ces délibérations ne pourront être prises qu'autant que les membres seront réunis au nombre de dix-huit.

Dès le 9, le nouveau Comité de sûreté générale est élu. Il se trouve composé en presque totalité de membres de la droite et de la Plaine[21]. Lorsque le président donne lecture de la liste, la Montagne se répand en murmures : C'est une conspiration ! s'écrie Marat. Reconnaissez-vous enfin les intrigues de la faction ? C'est Roland qui a fait la liste. Ce ne sera plus un Comité de sûreté générale, mais un Comité de contre-révolution[22].

Ce n'était pas assez que d'avoir renouvelé le Comité chargé de la police ; il fallait lui assurer un pouvoir incontesté. Le 14, Gensonné propose à la Convention, comme complément de la réorganisation qu'elle avait ébauchée le 7, un décret ainsi conçu :

ARTICLE 1er. La police de la ville où la Convention tient ses séances lui appartient.

ART. 2. Aucune mesure de sûreté générale ne pourra être prise à la municipalité et au Conseil général sans en avoir préalablement rendu compte à la Convention nationale.

ART. 3. Tous les matins le maire sera tenu de rendre compte par écrit de la situation de Paris[23].

 

En entendant cette proposition, la Montagne se met en fureur. Voilà les conspirateurs qui se démasquent, crie-t-elle en chœur.

Eh bien, réplique Louvet, je demande que l'on entende le Comité de sûreté générale ; il vous prouvera que les tyrans sont là ! et, du doigt, il désigne les bancs où siègent les interrupteurs.

Chambon[24] lit l'arrêté de la section des Gravilliers qui institue une nouvelle police dans Paris. Léonard Bourdon prend la défense de cette section, dont il a été le principal représentant à la Commune insurrectionnelle. Suivant lui, la proposition de Gensonné annihile entièrement le pouvoir exécutif. Il rappelle que ce pouvoir a été, par un décret formel, chargé d'assurer la tranquillité publique pendant toute la durée du procès du roi.

Ce décret, réplique Barbaroux, ne vous lie pas tellement qu'il vous empêche de prononcer sur un fait qui vous est dénoncé. Si vous attendez des renseignements du pouvoir exécutif, vous attendrez longtemps. La municipalité ne rend jamais compte au département, le département ne rend jamais compte au ministre. Plusieurs lettres 'de ce dernier sont restées plusieurs mois sans réponse.

Par malheur, la motion de Gensonné était trop énergique pour le tempérament de la majorité. Elle avait adopté la première partie du programme des Girondins, mais elle rejette la seconde, qui seule pouvait rendre efficace l'ensemble des mesures prises et à prendre contre la dictature démagogique de la Commune de Paris et du club des Jacobins. C'est ce qui n'arrivait que trop souvent à la Convention, assemblée dont on a bien mal à propos, selon nous, vanté l'inébranlable fermeté.

 

VIII

S'apercevant de la faiblesse de plus en plus manifeste de la majorité, la Gironde hésitait à remettre sur le tapis la question de la garde départementale, si souvent débattue, si souvent ajournée. Elle avait résolu de réaliser en fait l'organisation de cette garde avant de la faire décréter en droit. La Montagne ne tarda pas à pénétrer cette tactique. Pour la déjouer, elle poussait chaque jour la Commune et les sections à venir dénoncer à la barre l'arrivée clandestine de nombreux volontaires, envoyés par les directoires de département en communion d'idées et de principes avec la Gironde. Mais la majorité de la Convention ne demandait pas mieux que d'être entourée d'une garde sûre et nombreuse, capable de tenir en échec les sections armées qui avaient le monopole de faire la police, et Dieu sait quelle police ! aux abords de la salle du Manège : Aussi répondait-elle invariablement par l'ordre du jour pur et simple aux pétitions qui lui arrivaient des divers centres d'action établis dans la capitale pour répandre et répercuter par des échos successifs les élucubrations jacobines.

Il était, à Paris, un corps qui recevait naturellement toutes les circulaires envoyées par les directoires à l'Assemblée, pour l'assurer de leur concours si on osait attenter à sa liberté et à son indépendance : c'était le Conseil général du département. Depuis qu'il avait été reconstitué[25], et bien qu'il comptât dans son sein quelques démagogues exaltés, il avait joué un rôle assez effacé. Néanmoins les meneurs de l'Hôtel de Ville avaient pris ombrage des éléments modérés que ce Conseil renfermait encore. Se targuant tout à coup d'un ardent amour de légalité, ils avaient invoqué le caractère provisoire de la loi du 13 août, et, après un débat assez vif qui fut porté jusque dans le sein de la Convention, ils étaient parvenus à obtenir que l'on procédât à la réorganisation du département. Les élections nouvelles donnèrent le fameux Lhuillier pour successeur à l'obscur Berthelot comme procureur-général-syndic, et opérèrent des changements analogues dans tout le reste du personnel du Conseil[26]. Mais, avant qu'ils cédassent la place aux nouveaux élus, on insinua aux anciens administrateurs qu'ils devaient laisser un testament politique attestant leur civisme et leur sympathie pour les intérêts parisiens.

Le 11 janvier, le département de Paris, ayant encore à sa tête le procureur général Berthelot, se présente à la barre de l'Assemblée nationale et dénonce les adresses que chaque jour il reçoit des départements, adresses, dit l'orateur, qui se ressemblent toutes et ne peuvent émaner que de directoires corrompus ou égarés. On y prétend que les agitateurs dominent dans la capitale, que la Convention n'est ni libre ni respectée ; on y annonce l'envoi vers Paris d'une force imposante pour débarrasser l'Assemblée d'une poignée de factieux. Toutes ces calomnies ne sont que la répétition de celles dont la Constituante et la Législative ont fait justice, lorsqu'après le massacre du Champ-de-Mars, lorsqu'après le 20 juin, des adresses écrites dans le même esprit prétendirent flétrir la conduite du peuple de Paris dans ces grandes circonstances...

Nous ne venons point repousser les calomnies atroces répandues contre les citoyens de Paris : la justice et la vérité n'ont pas besoin de défenseurs. Ces citoyens ont renversé le despotisme, voilà leur droit à la reconnaissance publique ; ils ont tout sacrifié pour la patrie, voilà leur réponse ; ils ont bien mérité de la patrie, vous l'avez décrété, voilà leur récompense. Nous ne venons pas vous demander, comme les directoires de département se le sont permis de leur autorité privée, de lever une force armée sous le prétexte de vous servir de garde, quand vous, dépositaires des droits de la nation, n'avez pas cru, après une mûre délibération, devoir la décréter. Nous réclamons de vous les moyens de prévenir les obstacles que des mesures aussi illégales qu'inattendues ont jetés dans l'administration départementale. Veuillez nous tracer la marche à tenir relativement à cette force armée extraordinaire qu'on envoie languir dans Paris, tandis que tous les jours il sort du sein de la capitale de nouvelles phalanges pour marcher à l'ennemi. — Citoyens, après avoir parlé comme administrateurs, nous venons comme citoyens vous déclarer que nous irons au-devant de nos frères ; nous les serrerons dans nos bras, nous remplirons à leur égard tous les devoirs de la fraternité. Leur erreur ne sera pas de longue durée ; ils retrouveront encore les hommes du 14 juillet et du 10 août. Réunis et confondus dans les mêmes sentiments, nous jurerons tous .ensemble guerre aux tyrans, guerre aux calomniateurs, guerre aux factieux, unité indivisible de la République, amitié éternelle entre tous les citoyens.

Vergniaud présidait. Il désirait, ainsi que ses amis, ne pas laisser entamer de discussion sur ce sujet brûlant ; aussi ne répond-il au directoire du département que par quelques phrases banales. Mais les Montagnards, qui se sentent, par extraordinaire, sur le terrain de la stricte légalité, entendent bien profiter de la circonstance pour forcer leurs adversaires à dévoiler leurs projets définitifs. Il est temps, s'écrie Robert, que la Convention nationale se montre aussi franche que les habitants de Paris ; il est temps qu'elle s'occupe des mesures à prendre sur les forces déployées dans les départements. Nous avons délibéré en principe l'organisation d'une force armée pour le service de l'Assemblée nationale. Pendant deux mois cette question a constamment été à l'ordre du jour. Je demande qu'on la discute demain.

Fidèles à la tactique qu'ils ont adoptée, les Girondins s'opposent à la prise en considération de la motion de Robert. En novembre, c'était Buzot, le rapporteur même de la loi, qui avait demandé que l'on ajournât le débat sur la garde départementale, sous prétexte qu'il y avait des questions plus urgentes à résoudre. Aujourd'hui, c'est Rouyer qui veut que l'on sursoie à cette même discussion jusqu'après le procès du roi ! Mais il dévoile toute la pensée de la Gironde lorsqu'il s'écrie : Vous avez décrété le principe de l'organisation d'une force départementale, il ne vous reste plus qu'à l'organiser ; mais, pour cela, il faut que vous l'ayez !

Couthon et Chaudron-Rousseau, s'emparant de cet aveu, demandent que la Convention se fasse faire un rapport sur toutes les adresses départementales, qui contiennent une usurpation manifeste du pouvoir législatif.

Il devenait de plus en plus difficile aux Girondins de refuser à leurs adversaires une explication catégorique. Buzot, dont ses amis ne peuvent retenir l'ardeur juvénile, court à la tribune. Les adresses qu'on vous dénonce, dit-il, sont très-nombreuses ; il y en a mille du même genre qui sont déposées au Comité de correspondance. Mais que résulte-t-il de toutes ces délibérations ? C'est que, dans les départements, même les plus éloignés de Paris, on est très-bien renseigné sur la situation où nous sommes. On n'a pas eu besoin d'instigations étrangères ; il a suffi de connaître, par vos décrets, l'état affreux où est Paris. — De violents murmures partis de la Montagne interrompent l'orateur. — Vos décrets n'apprennent-ils pas chaque jour à tous que les autorités constituées ne sont pas respectées dans cette ville, et que vous ne pouvez pas y faire exécuter les lois ? Souvenez-vous du rapport qu'est venu vous faire récemment le maire, ici, à votre barre ; c'est la seule pièce de conviction que je veuille vous opposer. Cent vingt et un mille hommes, vous a-t-il dit, composent la garde de Paris ; mais, s'il y a beaucoup d'hommes inscrits, la force réelle est insuffisante, parce que le plus grand nombre se dispense du service. Oui, je vous le dis, la capitale est dominée par une poignée d'hommes turbulents. Dans des sections qui contiennent trois à quatre mille citoyens, vingt-cinq seulement forment l'assemblée et parlent au nom de tous. Ces hommes audacieux sont parvenus à chasser tous les bons citoyens des lieux de réunion. Il n'y a pas un seul homme ayant quelque chose dans cette ville qui ne craigne d'être insulté, frappé, s'il ose, dans sa section, élever la voix contre les dominateurs.

Si de tels désordres existent, crie Couthon, prenez des mesures pour les faire cesser ; décrétez même l'établissement d'une force armée ; mais ne permettez pas aux départements de la décréter eux-mêmes.

Sans se laisser émouvoir, le jeune girondin poursuit son éloquente apologie du soulèvement des départements contre l'anarchie de la capitale : S'il est vrai que les assemblées permanentes des sections de Paris sont composées d'un petit nombre d'hommes qui en ont éloigné le reste des citoyens, si c'est par ce petit nombre d'hommes que la Convention nationale est obsédée ; si ces mêmes hommes viennent nous insulter jusqu'aux portes de ce sanctuaire, s'ils nous menacent de leurs poignards...

L'extrême gauche semble vouloir protester contre ces assertions. Eh bien ! j'en atteste mes collègues ! dit Buzot, et aussitôt deux cents membres se lèvent à la fois et répondent : Oui ! oui ! c'est vrai !

L'orateur reprend : Quand trente ou quarante hommes au plus, flétris ou ruinés, qui ont besoin de troubles pour vivre, qui se rassasient de crimes, composent ou dirigent dans chaque section des assemblées permanentes ; quand ces assemblées suffisent pour remuer tout Paris ; quand nous sommes environnés sans cesse de ces coquins, peut-on croire à notre liberté ?

A ce mot de coquins appliqué si heureusement aux affidés de la Commune, les Montagnards se récrient : Vous calomniez Paris !Vous prêchez la guerre civile !Vous n'êtes qu'un factieux... !Oui, continue Buzot, quand on sait que certaines sections se sont déclarées en insurrection, quand on sait qu'il nous faut une force départementale même pour pouvoir librement en décréter l'institution...

A ce nouvel aveu du projet secret de la Gironde, nouveaux cris, nouveau tumulte.

Je dis qu'en présence des faits que je viens de rappeler, il est impossible aux départements de résister à l'impulsion du civisme qui fait marcher aujourd'hui une partie de leurs citoyens à la défense de l'Assemblée nationale. Et pourquoi les départements n'auraient- ils pas une volonté à eux ? pourquoi la Convention, lorsqu'elle n'a pas encore réprimé les sections de Paris qui se sont déclarées en insurrection, lorsqu'elle a permis au procureur de la Commune de Paris de l'insulter au milieu du corps municipal, lorsqu'elle ne l'a pas poursuivi pour avoir attenté à l'inviolabilité d'un de ses membres, pourquoi se montrerait-elle rigoureuse seulement envers les citoyens des départements plus éloignés qui quittent leurs foyers par cela seul qu'ils ont des inquiétudes sur la liberté de leurs représentants ? Quels seraient donc les motifs de cette faveur particulière pour Paris ? Chez nous les lois sont observées, les autorités respectées, les impôts payés ; ici les lois sont ouvertement violées, les autorités méconnues, les contributions ne se payent point. Sont-ce là, sectionnaires de Paris, vos titres à l'insurrection ?

 

Buzot est encore arrêté par les vociférations de l'extrême gauche, mais il n'en tient pas compte. Se tournant vers les administrateurs départementaux qui sont restés à la barre, il les apostrophe en ces termes :

Et vous, directoire de Paris, qui vous vantez de votre respect de la loi au moment même où vous prêchez l'insurrection au sein de la Convention, n'avez-vous donc pas autre chose à dénoncer que les départements qui ne partagent pas le vertige inconcevable d'une partie de vos concitoyens ? Que ne venez-vous nous présenter les arrêtés liberticides émanés de certaines sections de Paris ? mais que dis-je ? ne vois-je pas parmi vous un Momoro, qui présidait la section qui s'est déclarée en insurrection ? L'Assemblée nationale serait coupable si elle osait renvoyer au Comité de sûreté générale, c'est-à-dire au Comité chargé de la recherche des conspirations, les adresses de nos propres commettants.

Je demande que, reconnaissants du zèle de concitoyens qui nous jugeront un jour, et qui aujourd'hui sacrifient leur fortune et leur vie pour venir nous défendre, je demande, dis-je, que vous décrétiez la mention honorable, dans votre procès-verbal, des arrêtés et des actes sur lesquels Couthon vous proposait d'émettre un vote de censure.

 

L'effet du discours de Buzot avait été très-grand ; aussi Rabaut Saint-Étienne propose-t-il de discuter sur-le-champ l'organisation de la force armée. Cette proposition est appuyée par un grand nombre de membres ; mais la Gironde croit plus prudent d'attendre la manifestation que Barbaroux et ses amis se préparent à faire faire par les fédérés eux-mêmes.

 

IX

Deux jours après, le dimanche 13 janvier, paraît à la barre la députation officielle des volontaires des départements, réunis à Paris pour le maintien de la liberté et de l'égalité contre toute espèce de tyrannie.

Nous venons vous demander, dit son orateur, à partager avec les citoyens de Paris la garde des représentants du peuple français. C'est ici, c'est en nous pressant auprès des pères de la patrie que nous attendons nos frères des autres départements. Nous voulons ne sortir de cette enceinte que lorsque les anarchistes seront soumis et vaincus. Les hommes du 2 septembre peuvent se présenter ; ils trouveront en face d'eux les hommes du 10 août ; c'est un cartel que la vertu donne au crime.

Eh quoi ! faudra-t-il souffrir longtemps encore que cinquante ou soixante factieux se constituent en tyrannie permanente dans quelques-unes des sections de la quatre-vingt-quatrième partie de la République, et que, rivalisant entre eux d'extravagance, ils viennent vous prescrire ce qu'ils appellent la volonté du souverain ? que des tribunes forcenées injurient nos représentants, leur prodiguent les insultes et les menaces de mort ? qu'autour de cette enceinte les suppôts de l'anarchie, les apôtres de l'assassinat vous couvrent d'injures à votre passage et vous crient que cinq cents de vos tètes rouleront bientôt à leurs pieds ? France ! France ! n'auras-tu nommé des représentants que pour les envoyer à la boucherie ?...

Notre devoir est de sauver vous et la patrie ; nous jurons de maintenir la souveraineté du peuple, l'unité et l'indivisibilité de la République, et d'immoler tout traître, tout conspirateur qui oserait y porter atteinte[27].

Le président Vergniaud déclare que la Convention applaudit au zèle des pétitionnaires, Kersaint convertit leur demande en motion.

Aucun bon citoyen, dit-il, ne peut s'opposer à ce que réclament nos frères des départements. Je suis sûr que le décret que je vais lire sera adopté à l'unanimité :

Les fédérés qui sont à Paris feront le service près de la Convention conjointement avec la garde nationale de cette ville ; le Comité de défense générale présentera demain un projet de décret sur l'organisation des fédérés, aux fins du service auquel ils sont admis[28].

 

Vergniaud met aux voix le décret. L'extrême gauche ne vote ni pour ni contre. Tout le reste de la Convention l'adopte avec enthousiasme.

Le soir, au club Saint-Honoré, on est dans la consternation.

Nous avions bien prédit, s'écrie un orateur, que les rassemblements secrets des fédérés n'avaient d'autre but que d'organiser la garde départementale... La Convention a décrété aujourd'hui la force armée contre laquelle la Montagne s'était toujours élevée avec tant de chaleur et de raison...

Les fédérés qui se sont présentés aujourd'hui à la Convention, ajoute Chabot, étaient de faux Marseillais. Ils se sont dits les hommes du 10 août ; ils en ont menti. Je connais tous ceux qui étaient à la prise des Tuileries, je n'en ai pas reconnu un seul. Les Marseillais du 10 août n'étaient que trois cents, ceux-ci sont plus de huit cents. On veut faire jouer à ces prétendus volontaires le rôle des grenadiers des Filles-Saint-Thomas ; mais cela ne réussira pas[29].

 

Le plus difficile n'était pas de faire décréter la création d'une garde départementale, mais de l'organiser et. après l'avoir organisée, d'y maintenir une discipline sévère et rigoureuse. C'est ce que les Girondins négligèrent complètement. Or, les démagogues étaient très-versés dans l'art d'endoctriner un à un les soldats (troupe de ligne ou fédérés), de les attirer dans les sociétés populaires, de leur offrir tous les enivrements de la flatterie et de la débauche. Ils étaient parvenus plus d'une fois à démoraliser des troupes anciennes et régulières ; à plus forte raison devaient-ils réussir auprès de volontaires arrivant de différents points de la France, ne se connaissant pas entre eux, n'ayant pas de chefs sur lesquels ils pussent compter et qui leur inspirassent confiance.

Les affidés de la Commune s'étaient déjà mis à l'œuvre. Après l'adoption du décret proposé par Kersaint. ils redoublent d'efforts. Déjà les Jacobins avaient ouvert une souscription pour construire dans la salle Saint-Honoré de nouvelles tribunes d'où les volontaires provinciaux pussent entendre les discours de leurs frères et amis. Marat envoie cent francs pour témoigner combien il est sympathique à cette œuvre de propagande. On fait demander par les premiers fédérés séduits que la salle du club soit mise à leur disposition, afin que tous les matins ils puissent délibérer sur les moyens de sauver la patrie. Naturellement, la permission est accordée avec le plus grand enthousiasme[30].

Le 14, au soir, ceux des fédérés qui ont fait leur soumission entre les mains des Jacobins et qui marchent sous leur bannière, se réunissent dans l'église Saint-Bon, près la place de Grève, avec les délégués des quarante-huit sections. Un comité mixte organise une fête pour célébrer l'union intime des volontaires départementaux avec les sans-culottes parisiens. La Commune consent à honorer de sa présence la cérémonie fraternelle qui se prépare. La place du Carrousel est le lieu de réunion assigné par le programme. On doit y brûler les pamphlets de Roland, verser des larmes sur la tombe des citoyens morts en combattant un tyran qui respire encore, mais dont le glaive de la loi va bientôt purger la terre ; se jurer une union indissoluble et se donner l'accolade fraternelle[31].

Le 17, ce programme s'accomplit de point en point. Les embrassements terminés, Marseillais et officiers municipaux, sectionnaires et fédérés, mêlés les uns aux autres, se rendent à l'Hôtel de Ville. Le Conseil, qui avait suspendu sa séance à midi, la rouvre à une heure, au milieu d'une affluence considérable. Sur le réquisitoire du procureur-syndic Chaumette, il arrête[32] : que l'historique de cette belle journée sera gravé sur des pierres de la Bastille, envoyé aux quatre-vingt-quatre départements, et que, au milieu de la place du Carrousel sera planté un arbre vivant, dit arbre de la fraternité[33]. Des applaudissements éclatent ; plusieurs fédérés prononcent des discours, on renouvelle les baisers fraternels et l'on descend sur la place de l'Hôtel de Ville danser la carmagnole !

Toutes ces danses, toutes ces embrassades, toutes ces fêtes étaient parfaitement calculées pour jeter le trouble et la confusion dans la future armée de la Gironde. Aussi pouvait-on prévoir que, si jamais la garde départementale se formait, elle serait, par son manque d'unité et de discipline, plus embarrassante pour ceux qui avaient provoqué sa création que dangereuse pour ceux qui l'avaient combattue.

 

 

 



[1] La plupart de ces détails nous ont été transmis par l'ancien valet de chambre du roi, M. François Hue, dans son livre intitulé : Dernières années du règne et de la vie de Louis XVI. Il les avait recueillis de la bouche de M. de Malesherbes lorsque, quelques mois après la mort du roi, ils se trouvèrent réunis tous les deux dans les bâtiments de l'ancienne abbaye de Port-Royal, convertie alors en prison et dont, par une amère dérision, on avait changé le nom en celui de Port-Libre.

[2] Moniteur, n° 360.

[3] Voir ce que nous avons dit déjà à cet égard, t. IV, livre XVIII, § X.

[4] Le 24 décembre, plusieurs sections, notamment celles de l'Arsenal, de Mauconseil, du Louvre et de la Maison Commune, avaient demandé au Conseil général de revenir sur l'arrêté qui ordonnait la fermeture des églises pendant la nuit de Noël ; de nombreuses députations, venant des différents quartiers de Paris, firent la même demande. Mais, sur le réquisitoire de Chaumette, la Commune déclara persister dans son arrêté, et donna à plusieurs officiers municipaux, entre autres aux deux prêtres qu'elle comptait dans son sein, Jacques Roux et Claude Bernard, la mission d'aller prêcher aux citoyens, rassemblés aux portes des églises, la paix et la concorde. Les envoyés de la Commune furent accueillis avec très-peu de faveur. A Saint-Merry, à Saint-Jacques-de-la-Boucherie, à Saint-Eustache, ils faillirent être écharpés. C'est ce que nous apprend le procès-verbal du Conseil général lui-même.

[5] Le département du Finistère, en même temps qu'il envoyait cette adresse à l'Assemblée, invitait les autres départements à diriger vers Paris, comme il allait le faire lui-même, une force armée de cent hommes choisis entre les plus braves et les plus patriotes, pour protéger la Convention nationale. Presque tous les jours, des adresses de même nature arrivaient à l'Assemblée. Nous citerons notamment celles émanées des directoires de la Loire-Inférieure, du Morbihan et des Côtes-du-Nord.

[6] Voir cette lettre datée du 6 janvier même et insérée au n° 10 du Moniteur.

[7] La lettre de Ch. Villette se trouve in extenso au Moniteur de 1793, n° 10.

[8] Procès-verbal du Conseil général, séance du 28 décembre 1792.

[9] Voir t. III, livre X, § X.

[10] Voir la lettre de Charles Villette, Moniteur de 1793, n° 1.

[11] Moniteur, n° 10.

[12] Journal des débats des Jacobins, n° 324, 329 et 333.

[13] Voir le Mercure des 8 et 14 janvier, le Patriote français des 12 et 14 janvier, les Annales patriotiques et littéraires du 12 janvier, le Moniteur du 4 janvier, les Révolutions de Paris, n° CLXXXIV.

[14] A cette époque, les théâtres s'ouvraient généralement à quatre heures de l'après-midi.

[15] On trouve au Moniteur, n° 14, la lettre de Chambon au président de la Convention et celle qu'il écrivit le soir au Conseil général pour expliquer sa conduite. Mais ni le Moniteur ni le Journal des Débats et Décrets ne donnent le texte même du décret que fit adopter Kersaint. Le voici ; sa rédaction assez vicieuse prouve qu'il fut écrit au courant de la plume :

12 janvier 1793.

Sur la lecture d'une lettre du maire de Paris qui annonce qu'il y a un rassemblement autour de la salle du théâtre de la Nation, qui demande que la Convention nationale prenne en considération une députation dont le peuple attend l'effet avec impatience, et dont l'objet est d'obtenir une décision favorable afin que la pièce de l'Ami des Lois soit représentée nonobstant l'arrêté du corps municipal de Paris qui en défend la représentation,

La Convention nationale passe à l'ordre du jour, motivé sur ce qu'il n'y a point de loi qui autorise les corps municipaux à censurer les pièces de théâtre.

[16] Moniteur, n° 17.

[17] Laya fut arrêté quelque temps après et ne dut son salut qu'à la chute de Robespierre. Nous avons retrouvé l'arrêté du Comité de sûreté générale qui lui rendit la liberté trois mois après le 9 thermidor ; il porte la date du 10 vendémiaire an III :

Le Comité, considérant que le citoyen Jean-Louis Laya, auteur de plusieurs ouvrages qui ont servi à propager l'esprit public et à a consolider le républicanisme, n'a été mis en arrestation que par les traîtres qui ont subi la peine due à leur crime ; arrête que ledit citoyen Laya sera mis sur-le-champ en liberté et les scellés levés au vu du présent arrêté.

Les représentants du peuple : A. DUMONT, LEGENDRE, LESAGE-SENAULT, CLAUZEL, LAPORTE, LA REVEILLÈRE-LÉPAUX.

[18] Le Moniteur, n° 8, nomme Richaud comme l'auteur de cette proposition. Cela est évidemment une erreur. Richaud, l'ancien maire de Versailles, dont nous avons raconté, tome III, livre XIII, § XI, l'héroïque conduite au 9 septembre, lors du massacre des prisonniers d'Orléans, était, il est vrai, député suppléant à la Convention nationale pour le département de Seine-et-Oise, mais il ne fut appelé à y siéger que le 22 février 1793, par suite de la démission que Kersaint donna le 20 janvier. Richaud ne pouvait donc faire une motion le 6 janvier. Il faut restituer à Richoux, député de l'Eure, l'un des soixante-treize girondins exclus de la Convention le 3 octobre 1793, l'honneur de cette proposition.

[19] Moniteur, n° 9.

[20] Marat avait déclaré (Journal de la République, n° du 28 novembre), qu'il ne reconnaissait dans le Comité de sûreté générale que onze bons patriotes, à savoir : Héraut-Séchelles, Basire, Rovère, Ruamps, Ingrand, Chabot, Maribon-Montaut, Brival, Goupilleau, Lavicomterie et Musset ; il refusait sa confiance à plusieurs montagnards et notamment au fameux Drouet. On peut juger par là de l'ardeur et du zèle que déployaient les onze membres qui avaient trouvé grâce devant l'Ami du peuple.

[21] A peine si dans la nouvelle liste figuraient deux montagnards bien avérés, Ingrand et Dartygoyte ; les autres membres appartenaient tous aux opinions modérées ; les plus connus étaient Grangeneuve, Fauchet, Kervélégan, Chambon, Duperret, Gomaire, Rebecqui, Gorsas, Biroteau, Delahaye, qui faisaient partie du groupe girondin proprement dit ; Zangiacomi, Génissieux, Delaunay, Durand-Maillane y représentaient la Plaine, c'est-à-dire la portion de l'Assemblée qui ne voulait pas s'enrôler sous la bannière exclusive de l'un des deux partis, mais qui à cette époque votait généralement avec la Gironde et lui assurait la majorité.

[22] Ce nouveau Comité ne subsista que du 9 au 21 janvier ; les Montagnards s'étaient promis de profiter de la première occasion pour le renverser, ils n'y manquèrent pas. Nous verrons dans le volume suivant comment ils y réussirent.

[23] Pour démontrer jusqu'où allait l'audace de certaines sections, nous n'avons qu'à citer l'arrêté suivant par lequel, maintenant leur premier arrêté cité plus haut, les Gravilliers faisaient la leçon à la Convention sur le décret qu'elle venait de rendre, organisaient dans Paris une police nouvelle et investissaient des commissaires flou reconnus par la loi du droit de lancer des mandats d'arrêt.

Sur la motion d'un membre, la section, considérant la difficulté a d'approcher du Comité de sûreté générale, à cause de la multiplicité de ses travaux ; instruite qu'aux termes d'un dernier a décret, les mandats d'arrêt à lancer par ce Comité doivent être signés par dix-huit membres, nombre difficile à réunir, ce qui peut donner le temps aux conspirateurs de se soustraire à la vengeance de la loi, arrête : 1° Que les quarante-sept autres sections seront invitées à nommer, chacune dans leur sein, deux commissaires, à l'effet de se constituer en comité central et secret de sûreté publique ; 2° que les membres du Comité recevront toutes les dénonciations contre la chose publique ; ils auront le droit de lancer des mandats d'arrêt contre les prévenus, de les interroger, et, après les vingt-quatre heures, de les traduire au Comité de sûreté générale de la Convention nationale, pour en ordonner comme il le jugera convenable ; sauf même, si lesdits quatre-vingt-seize commissaires le jugeaient à propos, à rendre responsable les patriotes dénonciateurs des suites de la dénonciation, afin que la liberté individuelle et mobilière soit plus respectée et moins violée ; sauf enfin, à faire part des opérations aux autorités constituées, et à requérir l'autorisation de la Convention.

[24] Il ne faut pas confondre Chambon, député de la Corrèze, avec son homonyme Chambon, maire de Paris ; ils n'étaient pas parents ; le premier, l'un des plus courageux girondins, avait été trésorier de France ; aussi Marat, son ennemi personnel, lui reprochait-il à chaque instant ses antécédents aristocratiques. Il fut mis hors la loi après le 31 mai 1793, et périt obscurément dans son pays, où il s'était réfugié. Le second était médecin ; il se retira, dès le 1er février 1793, de la scène politique et survécut à la tourmente révolutionnaire.

[25] Voir t. III, livre X, § IV.

[26] Voir, à la fin de ce volume, la note que nous avons consacrée au renouvellement du Conseil général du département de Paris et à la lutte assez vive que cette question amena entre le corps électoral, le pouvoir exécutif et la Convention. Le récit de cette lutte peut mieux que tout autre commentaire servir à faire comprendre le mécanisme assez compliqué de la loi du 27 décembre 1789, qui institua les conseils généraux de département.

[27] Moniteur, n° 15.

[28] Moniteur, n° 16 ; Journal des Débats et Décrets, n° 118, page 169.

[29] Journal des débats du club des Jacobins, n° 338 et 340.

[30] Journal des débats du club des Jacobins, n° 336.

[31] Journal des débats du club des Jacobins, n° 341.

[32] Moniteur, à l'article Commune, 17 janvier (n° 19).

[33] La plantation de cet arbre devait servir de prétexte à une nouvelle fête célébrée le 22 janvier (Moniteur, n° 25).