HISTOIRE LA TERREUR 1792-1794

TOME CINQUIÈME

 

LIVRE XX. — LE TRIOMPHE ÉPHÉMÈRE DE LA GIRONDE.

 

 

I

Précédemment, nous nous sommes efforcé d'initier nos lecteurs aux diverses phases de la lutte qui, dès le lendemain du 10 août, s'était établie entre la Commune insurrectionnelle et la représentation nationale. Nous avons montré les orateurs de la Gironde aussi bien que ceux de la Plaine, Barbaroux aussi bien que Barère, essayant, mais en vain, de refréner l'audace toujours croissante de la Commune ; les dictateurs de l'Hôtel de Ville, opposant la force d'inertie aux décrets de cassation lancés contre eux par les Assemblées législative et conventionnelle ; les meneurs des sections, cherchant plusieurs fois de suite à faire substituer le vote à haute voix au scrutin secret dans toutes les élections partielles ou générales[1]. Mais nous ne sommes pas encore entré dans le détail des élections municipales qui, pendant ce temps, se traînaient péniblement de scrutins en scrutins, à travers les innombrables formalités que les législateurs de 1790 avaient imaginées pour déjouer les efforts de la démagogie, et qui ne devaient en définitive qu'assurer son triomphe.

Après avoir signalé les hésitations, les tâtonnements, les défaillances de la représentation nationale, il nous reste à décrire la coupable indifférence et la stupide apathie de la population parisienne. Au sein des assemblées primaires, comme au sein de la Convention, nous allons voir la même cause produire les mêmes effets, le défaut d'entente frapper d'une égale impuissance l'un et l'autre de ces pouvoirs souverains.

Dans l'Assemblée, une majorité évidente, considérable, exécrait les crimes de septembre, méprisait et haïssait ceux qui en avaient été les promoteurs ou les complices. Mais cette majorité sans cohésion, sans initiative et sans guide, ne sut pas profiter de l'heure où son autorité était incontestable et incontestée, pour chasser honteusement de l'Hôtel de Ville cette Commune usurpatrice, qui, née au bruit du canon et au son du tocsin, aurait dû, au dire même de ceux qui avaient applaudi à la chute du trône constitutionnel, disparaître dès le lendemain du 10 août[2].

Désertées depuis longtemps par la population honnête et tranquille, les sections avaient été abandonnées aux turbulents et aux audacieux ; cinquante à soixante individus composaient à eux seuls ces assemblées de quartier, dont la circonscription comprenait souvent deux à trois mille citoyens ayant droit de vote ; les élections les plus importantes n'avaient pas le privilége de réunir plus de cent cinquante à deux cents votants[3]. Déjà, lorsque par hasard ce nombre était atteint, on voyait se modifier sensiblement les tendances ordinaires et se produire d'assez vives résistances. Mais cette majorité pour ainsi dire d'occasion n'avait pas la conscience de sa force et ne possédait pas le don de la persévérance. Faute d'accord préalable, elle restait incertaine et hésitante ; elle témoignait plutôt de ses répulsions que de ses préférences. Procédant presque toujours par exclusion, elle ne savait pas adopter franchement une résolution, un candidat. Par cela même, elle perpétuait l'anarchie et favorisait, sans s'en douter, les desseins secrets des hommes du 10 août et du 2 septembre.

Ceux-ci s'étaient cantonnés à l'Hôtel de Ville comme dans la citadelle de la démagogie ; ils avaient résolu de n'en sortir à aucun prix. Sous la pression de certaines circonstances, nous les avons vus et nous les verrons encore sacrifier tels ou tels de leurs complices, mais toujours avec l'espoir de les faire remplacer par d'autres individus animés du même esprit, disposés à subir les mêmes inspirations. Nous les avons vus et nous les verrons encore changer de ton, d'attitude et de langage, suivant les exigences de la situation, s'affranchir de tout scrupule, démentir le lendemain leurs actes et leurs promesses de la veille, fouler aux pieds la légalité lorsqu'elle leur est importune, et s'en servir comme d'un étendard lorsqu'elle peut abriter leurs prétentions. Le duel à mort entre la Commune et la Gironde se continuera quelque temps encore ; plus d'une fois on pourra croire que la Commune va succomber aux coups redoublés que ne cesse de lui porter son adversaire ; mais, insaisissable Protée, elle traversera tous les dangers et parviendra à tirer meilleur parti de ses défaites, que la Gironde de ses victoires.

 

II

Le 4 octobre, les sections avaient été convoquées pour procéder à l'élection du maire de Paris. Aux termes de la loi des 21 mai — 27 juin 1790, la nomination de ce magistrat et des autres fonctionnaires municipaux précédait celle des membres du conseil général. La première de ces opérations électorales devait naturellement avoir une influence considérable sur les suivantes. Aussi les jacobins s'y préparèrent-ils dans une séance solennelle tenue le 3 octobre au soir[4].

Beaucoup de noms furent prononcés, mais l'on ne s'arrêta que sur trois : Antonelle, Lhuillier, Héraut-Séchelles.

Le premier, ex-marquis, ancien maire d'Arles et membre de l'Assemblée législative, n'avait pas été réélu à la Convention ; il attribuait son exclusion à Barbaroux, président de l'assemblée électorale des Bouches-du-Rhône. De dépit, il était devenu très-hostile au parti girondin et s'était livré corps et âme à la Montagne.

Lhuillier occupait le siège de l'accusateur public près le tribunal du 17 août. Il s'était improvisé homme de loi depuis la Révolution. Auparavant, il avait exercé la profession plus humble de cordonnier, rue du Petit-Lion Saint-Sauveur[5]. C'était l'oracle de la section Mauconseil et en même temps l'un des plus fidèles séides de Robespierre. Grossier, violent, vindicatif. il formait le type exact de ces meneurs de bas étage qui peuvent bien, grâce à la force de leurs poumons, soulever un quartier un jour d'émeute, mais qui ne sauraient aspirer à de plus hautes destinées sans mettre à découvert leur profonde et radicale nullité.

Héraut-Séchelles, issu d'une ancienne famille de robe, avait franchi rapidement les premiers degrés de la magistrature, grâce à la faveur spéciale de la reine ; en 1789, il était avocat général au Parlement. de Paris. Pour faire oublier son origine, il s'était jeté à corps perdu dans le mouvement ultra-révolutionnaire. Affectant de ne parler avec ses familiers que le langage des halles, il étalait en public la phraséologie la plus ampoulée ; favori de la foule après l'avoir été de la cour, il avait conservé cette prestance majestueuse qui lui avait valu tant de succès à une autre époque. Aussi la Législative et la Convention le mettaient-elles instinctivement à leur tête toutes les fois qu'il s'agissait de présider une fête publique ou de calmer une émotion populaire.

Quelques jacobins essayèrent de poser la candidature de Robespierre, mais leur motion fut bien vite abandonnée ; car on ne pouvait espérer que le tribun consentit à quitter le siège qu'il occupait dans l'Assemblée souveraine pour accepter une fonction qui, si haute qu'elle fût, le subalternisait en lui imposant une immense responsabilité.

Un enfant perdu de la société voyant que le grand nom de Robespierre n'est pas mieux accueilli, se met tout à coup à en lancer un autre plus significatif encore : Il est un homme, s'écrie-t-il, qui a été calomnié par les intrigants, persécuté par les factieux. Mais c'est un honneur pour lui ; il a porté l'endos de tout ; il a fait la révolution du 2 septembre ; nommons Panis !

Le capucin Chabot se hâte de reconnaître que l'ancien administrateur de police a les plus grands titres à la confiance .des Parisiens ; pour sa part, il a la meilleure opinion de ce candidat. Mais, ajoute-t-il, cette candidature me semble un peu trop accentuée ; elle serait difficilement adoptée par la majorité des sections. Il importe de placer à l'Hôtel de Ville le maire le plus nul qu'il soit possible de trouver, un homme qui, n'ayant ni ambition dans le cœur ni grande force d'esprit, puisse facilement se laisser travailler par la municipalité vigoureuse dont il faut l'entourer.

Pétion avait admirablement joué ce rôle dans l'ancienne comme dans la nouvelle municipalité. En septembre comme en août, il avait réalisé l'idéal de l'ex-capucin. N'ayant pas encore rompu entièrement avec ses anciens amis du parti démagogique, il avait un pied dans les deux camps. Élu premier président de la Convention, il présidait aussi le club des Jacobins et avait conservé au sein de la population parisienne un reste de cette immense popularité dont l'éclatante manifestation ne datait pas de trois mois[6]. Sa candidature resta donc posée.

Des 160.000 électeurs[7] ayant droit de vote, 14.37 seulement, c'est-à-dire moins du dixième prirent part au scrutin du 4 octobre ; sur ce nombre 13.746 votèrent pour l'ancien maire[8]. Pétion n'avait point décliné à l'avance une nomination qu'il regardait comme la réparation tardive de l'injure que lui avaient faite un mois auparavant les électeurs du deuxième degré en lui préférant Robespierre, Danton et leurs amis. Mais le jour même où le résultat du scrutin fut proclamé, il écrivit une lettre de refus[9].

L'événement avait été prévu ; aussi les plus purs jacobins n'avaient-ils fait aucune opposition à l'élection de Pétion. C'était autant de temps gagné pour la Commune insurrectionnelle.

Commencées le 4 octobre, les opérations électorales ne purent être reprises que le 22. A ce deuxième tour de scrutin comme au premier, elles furent entravées par la lutte de plus en plus vive établie entre ceux qui voulaient voter conformément à la loi et ceux qui s'obstinaient à réclamer et à imposer le vote à haute voix[10]. Un peu plus de quatorze mille électeurs[11] prirent part au scrutin, les voix se dispersèrent sur une douzaine de candidats. Antonelle et Héraut-Séchelles se trouvaient à la tête de la liste, le premier avec 2.195 voix ; le second avec 1.704 voix ; puis arrivait, avec un millier de voix, un candidat nouveau dont aucun journal n'avait appuyé la candidature et qui certes, lui-même, n'avait rien fait pour se mettre en avant.

H.-F. Lefèvre d'Ormesson avait été, sous l'ancien régime, conseiller au Parlement, maitre des requêtes, intendant des finances, un moment contrôleur général et enfin conseiller d'État. Il avait été élu chef de bataillon lors de la formation de la garde nationale en 1.789, président de l'un des tribunaux de Paris à la nouvelle organisation judiciaire en 1791. Il avait signé la pétition des vingt mille, et peut-être celle des huit mille. Aussi, dès que son nom apparut à la surface des scrutins, tous les aboyeurs du club des Jacobins s'écrièrent : Quel est cet homme ?[12]C'est le représentant de l'aristocratie qui se réveille, dit Bazire. — C'est un membre gangrené de la partie lépreuse de l'ancien régime, ajoute Legendre, c'est un laquais de la monarchie ; de plus, il est myope ; il ne distingue pas à quatre pas de lui, il ne sait ni marcher, ni monter à cheval. C'était une honte de l'avoir pour chef de bataillon, et maintenant on veut en faire un maire de Paris !

 

III

Le résultat de ce deuxième scrutin était bien de nature à inquiéter les dictateurs de l'Hôtel de ville. Au même moment ils étaient atteints en pleine poitrine par le célèbre rapport de Roland et la philippique de Louvet contre Robespierre. Ils voyaient leurs violences et leurs malversations dénoncées à la France entière, leur principal défenseur réduit au rôle d'accusé[13]. Aussitôt, se métamorphosant comme par enchantement, de loups ils deviennent agneaux et se posent en victimes.

Le 30 octobre, le Conseil général, par un arrêté solennel, déclare ne pas vouloir représenter la grande cité de Paris contre le vœu des citoyens dont elle se compose, et invite les sections à se réunir le lendemain, 1er novembre, pour faire connaître si elles le jugent toujours digne de leur confiance. Mais un dernier article de cet arrêté laisse voir le fond de la pensée des meneurs :

Le Conseil espère que, dans tous les cas, les sections lui accorderont au moins le droit de se réunir en bureaux pour suivre la grande opération de la reddition des comptes[14].

Dès le lendemain, l'attitude du Conseil général se modifie, car il s'est aperçu que ses adversaires, soit dans la Convention, soit parmi la population parisienne, sont moins décidés à agir qu'il ne l'a cru d'abord. Sous prétexte que, par son précédent arrêté, les sections ont été convoquées trop tard, il en prend un nouveau qui remet au samedi, 3 novembre, le vote sur la continuation de ses pouvoirs. Mais le samedi se passe sans qu'il soit question de rien. La semaine suivante, quelques sections isolées envoient une déclaration banale de confiance. Le Conseil général se contente de ce simulacre d'adhésion ; il se garde de publier le recensement des votes, de produire le résultat vrai de son appel au peuple. D'autre part, il fait les avances les plus significatives aux officiers municipaux qui représentent, au sein de l'administration de la capitale, la Commune légale dont il a usurpé les fonctions dans la nuit du 9 au 10 août. Il affecte de ne pas se souvenir que ces officiers municipaux ont eux-mêmes dénoncé à la Convention, quelques jours auparavant, l'irrégularité de ses pouvoirs et les désordres de sa gestion[15]. Par un arrêté du 4 novembre, il les invite à venir désormais partager ses travaux. Bien plus, les honneurs de la présidence sont par lui décernés à Boucher-René, l'un des amis les plus intimes de Pétion et qui depuis un mois remplissait les fonctions de maire par intérim[16].

Cependant les opérations électorales pour la nomination du premier magistrat de la cité menaçaient de s'éterniser, grâce au peu d'entente et d'énergie que montraient les bons citoyens, grâce à l'habile tactique adoptée par les jacobins pour jeter de l'indécision dans l'esprit des électeurs sur le mode de votation et sur les questions d'incompatibilité. Entre le deuxième et le troisième scrutin Antonelle déclare, par une lettre insérée dans les journaux, qu'il refuse les votes qui pourraient lui être donnés. La section du Panthéon envoie une députation demander à la Convention s'il est permis de prendre un maire dans le sein de l'Assemblée nationale. En attendant une réponse qui était faite à l'avance, puisque, depuis longtemps, l'Assemblée avait déclaré qu'il y avait incompatibilité entre le mandat de député et l'exercice de n'importe quelle fonction publique, le Panthéon et les sections animées du même esprit, s'abstiennent. Néanmoins, quelques autres s'étant mises à voter dès le 31 octobre, la plupart finissent par suivre leur exemple. Du 1er au 6 novembre ont lieu des votes successifs et partiels, dont le résultat général est proclamé le 8. Quarante-trois sections avaient pris part à l'élection ; les 9.361 suffrages exprimés s'étaient éparpillés sur plus de vingt-cinq noms.

Les candidats qui avaient réuni le plus de voix étaient d'Ormesson (1,74.1 voix) ; Chambon (1.034) ; Lhuillier (857) ; Fréteau (807) ; Héraut-Séchelles (801) ; Thouret (601) ; Antonelle (326) ; Rœderer (300), etc.[17]. Sur ces huit premiers noms, à peine trois, Lhuillier, Antonelle et Héraut appartenaient au jacobinisme ; les autres représentaient les opinions modérées des anciens constituants.

Aux termes de la loi, il devait y avoir un scrutin de ballottage entre les deux candidats qui avaient obtenu le plus de voix, c'est-à-dire entre d'Ormesson et Chambon. Mais ces deux noms étaient aussi désagréables l'un que l'autre aux meneurs de la Commune. Nous avons déjà fait connaître pourquoi d'Ormesson était repoussé par eux ; Chambon, qui avait fait partie de l'administration municipale dès avant le 10 août et se trouvait encore à la tête du service des hôpitaux, ne pouvait guère leur être plus sympathique.

Afin de ne pas laisser la population parisienne choisir entre l'ancien ministre de Louis XVI et le collaborateur de Bailly et de Pétion, le Conseil général fait un appel adroit à la légalité qu'il a si souvent violée. Se souvenant à propos de la loi qui exige que les sections votent toutes le même jour, pour que le choix des unes n'influe pas sur le choix des autres, il dénonce au corps municipal, seul compétent à cet égard, le vice qui entache le dernier vote. En droit strict la question ne pouvait être douteuse. Les scrutins du 31 octobre au 6 novembre sont déclarés nuls et non avenus.

Les Jacobins se décident alors à porter leurs suffrages sur Lhuillier, pour empêcher la nomination de d'Ormesson. Malgré tous leurs efforts, Lhuillier n'obtient que 2.021 voix, d'Ormesson en réunit 2.567 ; un millier de voix se dispersent sur d'autres noms. La majorité absolue, nécessaire à ce tour de scrutin qui, bien que le quatrième, est censé le premier, n'est obtenue par aucun candidat.

D'Ormesson, effrayé des menaces des clubistes et des injures des journaux, annonce qu'il refuse les suffrages dont il a été spontanément honoré[18]. Néanmoins les électeurs modérés s'obstinent à le porter et, le 19, au scrutin de ballottage, il est élu par 4.910 voix contre 4.896 données à Lhuillier. Le 21, d'Ormesson est proclamé officiellement maire de Paris par le Conseil général qui l'invite à accepter ou à refuser sur-le-champ les fonctions auxquelles il vient d'être appelé. Moins courageux que les électeurs qui l'ont nommé, l'ancien contrôleur général maintient son refus et rentre dans l'obscurité pour le reste de ses jours[19].

L'historique de ces scrutins sans résultat, qui se succèdent pendant six semaines (du 4 octobre au 22 novembre), est éminemment instructif. Les chiffres officiels et irrécusables que nous avons relevés prouvent qu'il ne se présenta jamais plus du dixième des électeurs ayant droit de voter ; que les candidats jacobins ne purent jamais obtenir plus de 5.000 voix dans tout Paris ; que souvent ils ne purent même réunir la moitié de ce nombre, bien que les frères et amis de la rue Saint-Honoré eussent mis en œuvre tous les moyens de propagande dont ils disposaient. On peut dire, sans crainte de se tromper, que les électeurs qui s'abstinrent n'appartenaient pas aux opinions les plus avancées et que, s'ils avaient voulu imiter tant soit peu l'exemple de ceux qui osaient voter pour des candidats modérés, ils auraient assuré à ceux-ci, et dès les premiers jours, une écrasante majorité. Malgré l'apathie des citoyens de la grande cité, la victoire n'était pas une seule fois restée aux démagogues ; preuve éclatante de la réprobation qu'inspiraient à l'immense majorité des Parisiens les fauteurs des journées de septembre, leurs complices et leurs adhérents.

 

IV

La persistance des électeurs à ne pas vouloir s'engager dans les voies où les coryphées de la démagogie essayent de les entraîner, encourage les officiers municipaux, qui représentent encore à l'Hôtel de Ville les débris de la Commune légale, à tenter une démarche auprès de la Convention. Déjà le 29 octobre ils lui avaient, par l'organe de l'un d'eux, Bidermann, dénoncé les dissentiments profonds qui les séparaient des intrus devenus leurs collègues de par le seul droit de l'insurrection. Le 22 novembre, le maire par intérim, Boucher-René, se présente à la barre de l'Assemblée, suivi d'une députation du corps municipal, et lui expose que ce corps chargé d'administrer la ville de Paris sous la surveillance du Conseil général, est réduit au quart de ses membres, et qu'il lui est dès lors impossible de remplir utilement ses fonctions. L'Assemblée reçoit avec faveur la pétition de Boucher-René ; elle en ordonne le renvoi au comité de législation, qu'elle charge d'en faire le rapport dans les quarante-huit heures.

Aussitôt qu'ils sont instruits de cette démarche, les dictateurs de l'Hôtel de Ville jettent feu et flamme. Ils accusent le maire par intérim de perfidie, de trahison, bien plus, de violation flagrante de la loi. Ces contempteurs incessants de la légalité l'invoquent à grands cris ; ces usurpateurs, qui avaient accumulé entre leurs mains tous les pouvoirs financiers, administratifs, politiques, se prennent tout à coup d'un beau zèle pour les prérogatives du conseil de département qu'ils avaient eux-mêmes, pendant trois mois, vilipendé, conspué, dépouillé de ses attributions, réduit au rôle le plus subalterne. Ils lui dénoncent Boucher-René et ses collègues comme coupables d'avoir méconnu toutes les règles de la hiérarchie en saisissant directement la Convention de leur pétition[20].

Le département n'eut pas le temps d'examiner cette prétendue violation de la loi, le comité de législation s'étant trouvé prêt à faire son rapport dans le délai fixé par la Convention. A la séance du 24, Piorry, député assez obscur, vint, au nom de ce comité, confirmer en tout point les allégations de Boucher-René : Le corps municipal de Paris, dit-il, au lieu de quarante-huit membres dont il doit être composé d'après la loi organique, n'en compte plus que dix ou douze ; les uns ont passé à la Convention ou au département, d'autres à des places de juges de paix et de commissaires de police[21]. La nomination des officiers municipaux est le dernier acte de la constitution de la municipalité. Cette constitution ne fait que commencer et ne sera complète que dans deux mois et plus. Sans doute, les dix ou douze officiers municipaux restés à leur poste remplissent leur devoir avec autant d'intelligence que de zèle, mais ils ne sauraient suffire à l'administration compliquée d'une ville telle que Paris. Comment peut-on parvenir à compléter le nombre légal des officiers municipaux de Paris ? Faut-il rappeler, pour procéder à cette élection, l'ancien conseil qui n'a pas été réuni depuis le 10 août ? faut-il en confier la formation aux commissaires insurgents[22] ? Mais l'ancien conseil n'inspirerait peut-être pas assez de confiance, et, d'autre part, les 288 commissaires ont été nommés sans qu'il y ait eu de procès-verbaux de leur élection[23] ; rarement même ils se sont tous rassemblés, jamais il n'y a eu de liste fixe, arrêtée, authentique. Ils forment un tableau mouvant, révocable au gré de chaque section. De ces prémisses, le rapporteur conclut que, ni l'un ni l'autre des deux partis proposés n'étant acceptable, il faut recourir à un troisième, beaucoup plus radical : Renouveler immédiatement et en entier le conseil qui doit élire les officiers municipaux et dans le sein duquel ils doivent être pris. Les conclusions de la pétition de Boucher-René se trouvent ainsi singulièrement modifiées ; pour lui, il ne fallait que compléter le nombre des officiers municipaux chargés des détails de l'administration de la ville ; dans le rapport de Piorry il ne s'agit de rien moins que de faire, pour ainsi dire, table rase ; de casser la fameuse Commune insurrectionnelle, de considérer comme nuls et non avenus, sinon ses actes, malheureusement irréparables, au moins ses pouvoirs ; de ne reconnaître de mandats réguliers que ceux dont sont investis les douze officiers municipaux, dernier débris de l'ancienne administration.

Aux termes du décret proposé[24], le nombre des membres du Conseil général de la commune était fixé à 144 ; il devait être élu, dans un délai de trois jours, cent trente-deux citoyens qui, avec les douze officiers municipaux en exercice, devaient former provisoirement le Conseil général, jusqu'au renouvellement définitif décrété par la loi du 19 octobre 1792. Les élections des 132 nouveaux membres devaient se faire à raison de trois par section ; celles des sections qui étaient déjà représentées par un ou deux des officiers municipaux en fonction devaient simplement compléter le nombre de trois. A raison de l'urgence, les élections devaient être faites par un seul tour de scrutin et à la pluralité relative des suffrages. Le Conseil général provisoire, ainsi composé des 132 nouveaux élus et des 12 officiers municipaux conservés, était tenu de procéder, dans les trois jours, à l'élection des membres du corps municipal. Enfin, le cas où quelques sections négligeraient de procéder aux élections dans le délai prescrit, était prévu ; le Conseil du département recevait la mission de nommer des commissaires à la place de ceux que les sections récalcitrantes auraient dû élire.

Après la lecture de ce projet de décret personne n'ose prendre la parole. La proposition du comité de législation est donc adoptée sans conteste.

Mais la Commune ne se montre pas aussi timide que ses amis de l'Assemblée. Dès le lendemain, se prévalant d'une différence entre le nombre des officiers municipaux encore en exercice et le chiffre qu'a énoncé le maire par intérim, elle fulmine un nouvel arrêté d'anathème contre Boucher-René et le corps municipal[25].

La Convention est très-peu touchée des réclamations de la Commune et se borne à rectifier l'erreur de chiffres qui lui est signalée avec une si bruyante colère. Le 29, un décret confirmatif et explicatif de celui du 2Lt fixe à cent vingt-deux le nombre des conseillers à élire et à vingt-six le nombre des officiers municipaux à prendre dans ces nouveaux élus pour, avec les vingt-deux alors en fonctions, former le corps chargé de la gestion des intérêts de la ville. Ce second décret, comblant une lacune qui existait dans le premier, autorise le nouveau Conseil général à nommer lui-même dans son sein, contrairement à la loi organique des 21 mai-27 juin 1790, trois citoyens pour exercer par intérim les fonctions de procureur syndic et de substituts[26].

Les décrets des 24 et 29 novembre ne contenaient aucune disposition relative à la nomination du maire, parce qu'il était permis d'espérer qu'après tant de scrutins infructueux on allait enfin aboutir à une élection régulière.

A raison du refus absolu de d'Ormesson, la lutte s'était concentrée entre Lhuillier, le candidat des jacobins, et Chambon, celui des modérés. Sur 10.223 votants[27] le sixième tour de scrutin avait donné 3.632 voix à Chambon et 2.491 seulement à Lhuillier ; au ballottage, sur 11.365 votants[28], les Jacobins ne parvinrent à faire obtenir que 3.906 suffrages à Lhuillier ; 8.358 furent donnés à Chambon, qui se trouva ainsi définitivement élu maire de Paris ; le 30 novembre. Cette nomination, faite à une si éclatante majorité, dut être et fut considérée comme une approbation librement donnée par les habitants de Paris aux décrets des 24 et 29, comme la condamnation, sans appel possible, de la Commune du 10 août.

 

V

Ce pouvoir usurpateur, ne pouvant plus se faire d'illusion sur sa prochaine disparition, emploie ses derniers moments à consacrer la mémoire de ses exploits révolutionnaires et à lancer contre ses principaux ennemis de suprêmes dénonciations.

Le 26 novembre, en communiquant aux sections le décret du 24, il ordonne de dresser la liste de tous les citoyens qui ont composé le Conseil général depuis la dernière révolution avec la mention de ceux qui ont juré de mourir à leur poste[29]. Un crédit de !i00.000 livres avait été ouvert par un décret à la Commune pour distribuer des secours aux blessés et aux orphelins du 10 août ; une commission avait été nommée pour recueillir les noms des ayant droit[30]. Le Conseil, afin d'immortaliser les noms des fondateurs de la République, arrête que le tableau des noms des citoyens morts ou blessés dans la journée du 10 août sera exposé dans la salle de ses séances, surmonté d'une couronne civique[31].

Après s'être ainsi glorifiée dans ceux qui se sont fait tuer pour elle et dans chacun de ceux qui l'ont composée aux jours de son triomphe, la Commune insurrectionnelle charge quatre de ses membres[32] de rédiger une adresse aux quarante-huit sections et aux quatre-vingt-trois départements, pour leur faire connaître les manœuvres astucieuses et mensongères au moyen desquelles le corps municipal a surpris à la Convention les deux décrets qui ont ordonné la réélection provisoire du Conseil général[33]. Elle enjoint à Boucher-René de déposer sur le bureau la pétition qu'il a présentée pour obtenir cette réélection, ainsi que la lettre de convocation du nouveau Conseil, pièces qui devront être remises au secrétariat après avoir été paraphées par le président, le substitut du procureur-syndic et le secrétaire greffier de la Commune.

Mais il était un homme auquel les ex-dictateurs de l'Hôtel de Ville en voulaient encore plus qu'au maire par intérim. C'était Roland qui, par son rapport du 29 octobre sur l'état de Paris, avait dévoilé toutes les turpitudes dont ils s'étaient rendus coupables. Le 22 novembre, la section des Piques, — celle de Robespierre, — avait déclaré dans un arrêté transmis aux quarante-sept autres sections, que le ministre de l'intérieur avait perdu sa confiance[34]. Donnant à cet arrêté sa haute sanction, le Conseil général s'était empressé de charger sept de ses membres d'examiner la conduite du ministre déclaré suspect et d'inviter tous les citoyens à fournir des renseignements contre lui[35]. Le 29, l'acte d'accusation se trouve définitivement dressé. Il est aussitôt approuvé et envoyé à la Convention sous le titre d'Adresse pour dénoncer la conduite coupable du ministre Roland.

L'Assemblée nationale reçoit cette adresse le dimanche 2 décembre au soir[36]. Elle la renvoie à l'un de ses comités qui l'enfouit dans ses archives. Nous l'y avons retrouvée, et malgré sa longueur, nous la donnons tout entière. L'histoire, suivant nous, ne peut dédaigner un document aussi caractéristique.

Citoyens législateurs, le moment de notre installation comme commissaires de la municipalité fut un moment de force, et vous célébrâtes le courage des hommes du 10 août ; celui de notre retour dans nos sections ne sera pas marqué par la faiblesse. Nous venons, dans les derniers instants d'une existence qui déjà depuis longtemps pesait sur nos cœurs, vous présenter des vérités importantes, vous parler en hommes libres.

Nous venons vous dénoncer le ministre Roland comme indigne de notre confiance, indigne de celle des citoyens que nous avons eu le courage de représenter dans les temps orageux de la formation de la République.

Des écrits incendiaires contre la ville de Paris circulent dans les autres départements. Quel est, non pas peut-être l'auteur de ces écrits, mais celui qui les stipendie, celui qui les a fait parvenir, celui qui arrête la circulation des papiers patriotes ? C'est Roland.

Un compte moral a été rendu, et ce compte encore est particulièrement contre la ville de Paris ; quel en est l'auteur ou le stipendiaire ? C'est Roland.

Déjà un imprimé de lui a provoqué, contre cet agent aussi ambitieux qu'infidèle du pouvoir exécutif, l'arrêté de plusieurs sections, et vous en connaissez les motifs.

Mais ce n'est pas tout ; écoutez, Législateurs, et jugez-nous. Nous vous dénonçons Roland comme ayant méprisé les autorités constituées, ayant enfreint la loi, ayant fait briser des scellés, sans les faire reconnaître par ceux qui les avaient apposés ; comme ayant fait, dans le château de nos anciens tyrans, des découvertes sans avoir pris aucune des précautions légales, comme si l'homme qui approche le plus de la loi ne devait pas être le premier à se soumettre devant elle. Nous vous le dénonçons comme ayant pu, puisqu'il vous a présenté la substance analytique des pièces qu'il vous rapportait, d'après sa découverte aux Tuileries, comme ayant pu, disons-nous, soustraire une partie de ces pièces[37]. Nous vous le dénonçons enfin comme ayant osé vous présenter, avant-hier, le trouble et la sédition dans Paris, calomnier le peuple de Paris qu'il fait investir de quantité de satellites secrets et mal intentionnés, lorsque la paix et la tranquillité règnent, malgré les efforts perfides des agitateurs et peut-être de Roland lui-même. Tels sont, citoyens législateurs, les motifs qui nous appellent dans votre sein avant notre séparation. L'envie et la calomnie ne les ont pas dictés. Ces deux passions affligeantes n'eurent jamais d'accès dans nos âmes. Les hommes qui ont sauvé la patrie le 10 août, n'ont d'autre objet que de vous desciller la vue et d'arracher Paris à une puissance dont l'intrigue de quelques factieux le menace. D'après ces observations, il est évident que Roland est coupable. Dira-t-on qu'il est égaré ? dira-t-on qu'il est au-dessous de sa place ? Dans l'un comme dans l'autre cas, qu'il la quitte ! il le doit à la sûreté de la République ; il se le doit à lui-même ; il doit remettre à des hommes plus dignes, plus éclairés, enfin à de vrais républicains, un poids qu'il ne peut plus soutenir[38].

 

La Commune du 10 août n'eût pas fait des adieux complets si, après s'être ainsi attaquée au roi du jour, elle avait oublié de s'attaquer au roi de la veille ; si, après avoir tenté d'obtenir la destitution de Roland, elle n'avait pas réclamé la mort de Louis XVI. Seulement, au lieu de faire directement cette seconde démarche, elle emploie un procédé qui lui est habituel. Elle charge ses commissaires d'accompagner à la barre de l'Assemblée une députation qui se prétend l'organe des quarante-huit sections et qui n'est tout au plus déléguée que par l'une d'entre elles, celle du Panthéon français. Mais la Convention ne s'y trompe pas, et le discours de son président, Barère, est bien plus directement adressé aux commissaires présentateurs qu'aux pétitionnaires eux-mêmes. Voici, du reste, la demande et la réponse.

Représentants du peuple français, dit l'orateur de la députation, que tardez-vous à accomplir la vengeance nationale ? Le monstre qui voulait anéantir la liberté et l'égalité est enchaîné. Bientôt il sera livré à votre justice. Pourquoi donner le temps aux factions de renaître ?... La mort ne peut-elle pas vous soustraire votre victime ? Alors que nous serviraient tous vos serments ? L'ignorance et la calomnie répandraient impunément le bruit que les Français n'ont pas osé juger leur roi et qu'ils ont lâchement préféré l'empoisonner. Écartez jusqu'à la possibilité de cette injure ; temporiser, c'est consentir à la durée de nos maux. Le peuple, tout patient qu'il est, peut s'ennuyer... Or donc, les sections vous demandent :

1° De poser la question comme elle le devrait être : Louis, ci-devant roi des Français, est-il digne de mort ? Est-il avantageux à la République de le faire mourir sur l'échafaud ?

2° De redoubler de zèle et d'activité tant que durera cette affaire.

 

Citoyens, réplique Barère, la Convention n'a pas attendu que les sections de Paris lui témoignassent leur sollicitude sur le jugement du dernier roi des Français. Elle écoutera toujours avec intérêt les pétitions des citoyens, c'est un devoir ; mais elle ne sera jamais devancée par aucune section du peuple sur les objets de salut public. Elle n'a ni torpeur, ni pusillanimité. Elle aura le courage d'étouffer toutes les factions qui entourent le berceau de la République, même la faction impie des avilisseurs du pouvoir national... La République une et indivisible a confié à ses représentants le droit de préparer ses lois et de la délivrer du royalisme comme de l'anarchie, des traîtres couronnés comme des factieux mercenaires. La Convention nationale en répond à la patrie... La Convention nationale ne doit compte de ses travaux, de ses pensées et du jugement de Louis le Traître qu'à la République entière.

 

VI

La plupart des sections avaient eu, dans une occasion ou dans une autre, à se plaindre de l'insupportable tyrannie de ceux auxquels Barère venait de faire une si singulière oraison funèbre. D'ailleurs, beaucoup de meneurs de bas étage s'agitaient dans ces petits centres d'influence locale et aspiraient à prendre la place des commissaires qui, depuis quatre mois, trônaient à l'Hôtel de Ville. Tout le monde se croyait propre à remplir des fonctions municipales, depuis que l'on avait pu juger de l'incapacité de ceux que l'insurrection en avait revêtus. Aussi, beaucoup de sections n'attendirent pas le résultat des protestations de la Commune insurrectionnelle contre le décret du 24 ; quelques-unes commencèrent leurs opérations électorales dès le 27, la plupart le 28 ; celles qui furent le plus longtemps à prendre leur parti, votèrent le 30. Mais le nombre des électeurs se trouva encore moindre pour le choix des nouveaux membres du Conseil général que pour la nomination du maire. La moyenne de un votant sur dix descendit à un sur vingt. Les urnes de quelques sections ne reçurent pas cent suffrages ; celles du plus grand nombre n'en reçurent pas deux cents. Les nominations ayant lieu à la majorité relative, beaucoup d'élus ne tinrent leurs pouvoirs que d'un nombre vraiment dérisoire d'électeurs.

Certains commissaires de la Fontaine-de-Grenelle, des Champs-Élysées, du Mont-Blanc, du Ponceau, se trouvèrent nommés par vingt et même seize voix[39] !

Devant l'indifférence de l'immense majorité des électeurs parisiens, les candidats les plus connus éprouvèrent le même sort que les plus obscurs ; les deux hommes qui avaient joué à l'Hôtel de Ville, depuis trois mois, et qui devaient jouer jusqu'en mars 1794 les rôles les plus importants, Hébert et Chaumette, furent réélus. le premier par cinquante-six voix dans la section Bonne-Nouvelle, et le second par cinquante-trois voix dans la section du Théâtre-Français[40].

Les suffrages d'une cinquantaine de démagogues suffirent pour maintenir sur leur chaise curule ces deux futurs grands prêtres de la déesse Raison et pour les autoriser à parler au nom du peuple de Paris !

Les agitateurs subalternes de quartier, qui, las de travailler pour le compte d'autrui, avaient aspiré à l'honneur de siéger dans le Conseil général provisoire, avaient généralement réussi dans leurs calculs et dans leurs manœuvres. D'un autre côté, plusieurs sections, animées d'un esprit tant soit peu réactionnaire, avaient nommé des personnes depuis longtemps revêtues de leur confiance, mais qui étaient loin d'approuver ce qui s'était fait depuis quatre mois. Parmi les cent vingt-deux élus vingt-huit seulement avaient fait partie plus ou moins longtemps de la Commune insurrectionnelle. Quelques autres s'étaient fait connaître dans des circonstances diverses. La plupart n'avaient encore acquis aucune notoriété.

 

VII

Le 2 décembre au matin, Boucher-René, se présente à la tête des nouveaux élus dans la grande salle de l'Hôtel de Ville. Les membres de la Commune insurrectionnelle y occupent leurs siéger ordinaires. Aussitôt qu'ils voient le maire par intérim se diriger vers le bureau pour y prendre le fauteuil, ils se lèvent en tumulte, et poussent d'effroyables vociférations : C'est un traître, c'est un imposteur, les hommes du 10 août ne peuvent être présidés par un faussaire ! Boucher-René dédaigne de faire attention à ces clameurs et va s'asseoir à l'écart.

Mais il était réservé au pouvoir près d'expirer de recevoir le coup de grâce de celui-là même qui avait été son serviteur docile, son instrument aveugle, de Santerre. Le farouche républicain qui avait sollicité les faveurs des ministres de Louis XVI, et qui devait un jour se précipiter aux pieds de Napoléon[41], savait parfaitement mettre la rudesse de sa prétendue franchise au service de ses intérêts. Toutes les fois qu'il s'agissait de saluer l'apparition d'un pouvoir nouveau, il était des plus vite arrivés.

Les commissaires insurgents avaient résisté à la première sommation que le maire par intérim leur avait faite ; ils semblaient attendre qu'au nom du peuple, les spectateurs des tribunes les invitassent à garder leurs sièges. Pendant ce temps, ils recevaient des adresses, entendaient des harangues et ne songeaient nullement à lever leur séance. Un bataillon de vétérans se présente et obtient facilement l'autorisation de défiler dans la salle ; Santerre qui les accompagne reste à la barre et, après leur sortie, demande la parole. Va-t-il donner le signal d'une nouvelle insurrection, va-t-il offrir à ses anciens complices le secours de son épée ? Non. Il n'a garde de vouloir soutenir un pouvoir qui tombe ; bien au contraire, il déclare que parmi les membres de la nouvelle Commune il y a beaucoup de citoyens faits pour mériter la confiance publique, et que pour lui, en sa qualité de républicain, il donnerait sa démission s'il était possible que la Commune de Paris s'écartât un instant des principes si heureusement professés par les hommes du 10 août.

Devant cette harangue qui leur enlève leur dernière espérance, les ex-dictateurs de l'Hôtel de Ville courbent la tète, se résignent et se séparent. A une heure et demie, Boucher-René peut enfin occuper le fauteuil de la présidence et prononcer la dissolution de la Commune insurrectionnelle[42].

Santerre avait dit vrai, beaucoup de membres du nouveau Conseil étaient dignes de leurs prédécesseurs. C'étaient d'autres noms, d'autres visages, mais c'était le même esprit. La Commune du 2 décembre ne devait pas tarder à épouser toutes les rancunes, à imiter toutes les illégalités et toutes les violences de celle du 10 août[43]. Le nouveau Conseil inaugure son règne par une violation flagrante du Code municipal. La loi des 21 mai-27 juin 1790, qui était toujours en vigueur, avait établi une espèce de droit d'ostracisme exercé par chaque section sur le choix des quarante-sept autres[44]. De son autorité privée, la nouvelle Commune leur enlève ce droit et se l'attribue ; elle déclare qu'elle ne sera définitivement constituée qu'après s'être assurée des qualités civiques de chacun des individus qui la composent. Puis, accumulant illégalité sur illégalité, elle modifie le serment que, aux termes du décret du 11 août, chaque fonctionnaire public doit prêter en entrant en fonctions. A la formule officielle, elle fait des additions qui sont la négation formelle d'une loi de conciliation et d'apaisement rendue par la Législative. Chaque membre appelé par le secrétaire-greffier est obligé de déclarer que, non-seulement il n'a pas été suspendu par la Commune du 10 août des fonctions publiques qu'il exerçait auparavant, mais encore qu'il n'a signé aucune pétition anticivique, ni fait partie d'aucun club réactionnaire[45].

Plusieurs nouveaux membres se trouvent compris dans ces catégories inventées par une ombrageuse inquisition, notamment deux des élus de la section de la Fraternité, autrefois l'île Saint-Louis. Cette section qui s'était toujours distinguée par ses choix modérés, était restée fidèle à ses précédents. L'un de ses commissaires, Dommanget, était un avocat assez obscur ; mais l'autre, Royer-Collard, secrétaire-greffier adjoint de la Commune avant le 10 août, avait eu ce jour-là le courage de dresser acte de la violence dont les intrus de la Commune insurrectionnelle et leurs affidés avaient usé envers ses collègues et lui, en les expulsant de l'Hôtel de Ville ; le matin du 2 septembre, il avait eu le courage plus grand encore de venir à la barre de la Législative dénoncer, au nom de sa section, les bruits précurseurs des massacres qui se préparaient. A l'appel de son nom, à son apparition devant le bureau du président, un orage terrible éclate dans l'assemblée. De toutes parts on lui adresse les inculpations les plus graves, les reproches les plus violents. Après une longue discussion, le Conseil ajourne son admission et celle de Dommanget[46].

Quelques autres membres éprouvent le même sort. Celui-ci est accusé d'avoir été l'ami de La Fayette et de Bailly, leur complice dans l'affaire du Champ-de-Mars ; celui-là, d'avoir assisté une fois à la séance du club des Feuillants. A certains, on reproche leur peu de civisme, à d'autres leur peu de probité. Bien plus, la nouvelle Commune va jusqu'à soumettre au même scrutin épuratoire les vingt-deux officiers municipaux qui n'avaient pas eu besoin d'être réélus par leurs sections respectives, puisqu'ils avaient été conservés par une disposition formelle des décrets des 24 et 29 novembre. Parmi ces vingt-deux se trouvaient Cousin et Bidermann. Cousin, le savant professeur du Collège de France, avait présidé le Conseil légal dans la nuit du 9 au 10 août ; il avait montré la plus grande faiblesse envers les énergumènes des tribunes au commencement de la soirée du 9, et plus tard envers les députations les plus arrogantes des sections insurgées[47]. Le banquier Bidermann s'était joint à Royer-Collard dans sa protestation contre la violente usurpation des prétendus commissaires des sections ; depuis, il s'était mis en lutte ouverte avec la Commune insurrectionnelle et l'avait dénoncée à la Convention[48]. Cousin et Bidermann avaient été chargés spécialement dans l'administration municipale de toutes les questions qui se rattachaient aux subsistances. Aussitôt que leurs noms sont prononcés, ils sont l'un et l'autre accusés d'impéritie et même de malversation ; on demande leur arrestation immédiate. Après des débats tumultueux, le Conseil décide que six commissaires seront chargés de se transporter chez eux, de remonter à l'origine de tous les marchés qu'ils ont signés, d'examiner leur conduite dans tous ses détails[49].

Cependant certaines sections n'admettaient pas la légalité de ce scrutin épuratoire, et insistaient vivement pour l'admission pure et simple de leurs élus. Aux députations qui viennent lui exprimer leur mécontentement, le Conseil général répond par une adresse explicative de sa conduite[50] ; puis, tout en maintenant à son profit le droit d'ostracisme qu'il a usurpé, il reconnaît à chaque section le droit de révoquer les commissaires qu'elle a nommés, s'ils ont perdu sa confiance.

C'était rentrer complètement dans les errements de la Commune du 10 août, renouveler le procédé que celle-ci avait si habilement employé pendant les quatre mois de son existence, pour écarter successivement les membres qui, suivant elle, n'étaient pas à la hauteur de leur mission.

 

VIII

L'épuration illégale de la nouvelle Commune aurait pris de très-grandes proportions si, le 5 décembre, elle n'eût été dénoncée à la Convention par Rabaut Saint-Étienne, sur la plainte de la section de la Fraternité (île Saint-Louis). En vain Thuriot prétend-il que le Conseil général n'a fait qu'user du droit d'ostracisme créé par la législation de 1790. Sans vouloir discuter, l'Assemblée déclare nul et attentatoire à la souveraineté du peuple tout scrutin qui aurait été ou serait fait par un corps administratif, municipal, électoral ou judiciaire, pour écarter des membres de son seins.

Mais ce que ce décret empêchait les meneurs de l'Hôtel de Ville de faire par eux-mêmes, ils l'essayèrent à l'aide des sections. Par un triste retour des choses d'ici-bas, Cousin, dont la déplorable inertie et la coupable connivence avaient si puissamment contribué à la révolution du 10 août, n'était plus en décembre qu'un vil réactionnaire. On obtint de sa section, le Panthéon, deux délibérations qui annonçaient à tout Paris qu'il avait perdu la confiance de ses commettants[51]. Le même procédé fut encore employé contre d'autres citoyens, moins connus mais non moins suspects de modérantisme que le savant professeur. Cependant, comme ces répudiations partielles ne marchaient pas assez vite, on imagina, dès le 22 décembre, c'est-à-dire vingt jours après l'installation du nouveau Conseil, de faire déclarer par le corps municipal[52], que, les élections ordonnées par les décrets des 24 et 29 novembre n'étant que provisoires, il y avait lieu de procéder à des élections définitives. Nous raconterons plus tard cette nouvelle phase de l'histoire de la municipalité parisienne, que les historiens, nos prédécesseurs, n'ont ni décrite ni même mentionnée.

Le décret du 29 novembre avait conféré à la nouvelle Commune le droit de choisir dans son sein trois de ses membres pour remplir provisoirement les fonctions de procureur syndic et de substituts. Mais les législateurs avaient oublié d'établir une distinction entre les élections à faire au premier degré par les sections et celles à faire au deuxième par le Conseil. Voulant en finir vite plutôt que bien, craignant d'éterniser le vote, comme cela venait d'avoir lieu pour la nomination du maire, ils avaient prescrit d'une manière générale que toutes les élections destinées à opérer le renouvellement de la municipalité seraient faites par un seul scrutin et à la majorité relative, quel que fût le nombre des votants.

Ce mode expéditif s'explique pour des nominations urgentes et extraordinaires à faire par It8 sections, mais il ne se comprend plus lorsqu'il s'agit de choix à effectuer dans le sein d'un conseil relativement peu nombreux. Cette complète assimilation entre deux ordres si différents d'élections prouve une fois de plus la déplorable légèreté des chefs de la majorité conventionnelle, c'est-à-dire des Girondins, qui ne savaient pas prévoir les conséquences les plus simples des décrets qu'ils proposaient, et qui se jetaient tête baissée dans des dangers que la moindre connaissance des hommes et des choses leur eût fait éviter.

Les élections du deuxième degré furent faites comme l'avaient été celles du premier, par la minorité votant en l'absence de la majorité. Sur 144 membres du Conseil, il n'y eut que 59 votants : Chaumette réunit 31 voix pour être procureur syndic ; Hébert 34, et Lebois 31, pour être premier et deuxième substituts. Aucun des trois élus n'obtint le quart des suffrages qui auraient dû être exprimés, et cependant Hébert et Chaumette étaient les héros du jour. Depuis que les Danton, les Robespierre, les Billaud-Varennes avaient quitté l'Hôtel de Ville pour entrer à la Convention, toutes les délibérations du Conseil général avaient été inspirées, dirigées par Chaumette et par Hébert. Provisoirement investis, depuis le mois de septembre, des fonctions du ministère public, ces deux hommes requéraient sans cesse l'adoption des mesures les plus révolutionnaires. On lisait leurs noms au bas .de tous les arrêtés, de toutes les proclamations de la Commune. Dans les réceptions solennelles, dans les fêtes publiques, c'était eux que l'on voyait à la tête de toutes les députations ; c'était eux qu'on entendait chaque jour et en tout lieu prendre la parole au nom des 48 sections, au nom de la Commune, au nom du peuple. Inconnu avant le 10 août, Chaumette avait conquis l'admiration des tribunes de l'Hôtel de Ville par sa faconde emphatique, par les comparaisons ampoulées et les rapprochements bizarres dont ses discours étaient parsemés. Célèbre dans les faubourgs depuis plusieurs années, grâce à sa feuille immonde, le Père Duchêne, Hébert n'avait pas eu de peine à devenir l'oracle de la populace, dont nul mieux que lui ne savait écrire et parler la langue. Lebois n'était qu'un comparse qui ne parut qu'un instant sur la scène politique[53].

Toutes les élections étant faites, on procéda à l'installation des diverses autorités qu'elles avaient produites. Ce fut dans cette occasion solennelle et en prenant possession du siège destiné au procureur syndic, que Chan-mette fit au président qui lui demandait ses nom et prénoms, cette réponse célèbre : Sous l'ancien régime, je m'appelais Pierre-Gaspard Chaumette, parce que mon parrain croyait aux saints ; mais, depuis la Révolution, j'ai pris le nom d'un saint qui a été pendu pour ses principes de républicanisme ; c'est pourquoi je m'appelle maintenant Anaxagoras Chaumette[54].

 

IX

La Commune du 10 août avait, en disparaissant, lancé le trait du Parthe contre son ennemi le plus haut placé, le ministre de l'intérieur. Sa dénonciation n'avait été, du reste, que le résumé des diatribes tous les jours débitées aux Jacobins contre Roland, le vertueux, l'éternellement vertueux Roland[55] ; que la copie du long acte d'accusation lancé peu auparavant par les frères et amis contre leur ancien coreligionnaire, sous le titre d'Adresse aux quatre-vingt-quatre départements[56]. Mais ces levées de bouchers successives n'avaient abouti à rien. Le ministre de l'intérieur restait en place, et l'immense majorité de la Convention semblait fermement résolue à l'y maintenir. Il fallait donc à tout prix lui ravir la confiance et l'estime de l'Assemblée nationale ; pour cela il n'était pas de meilleur moyen que de le montrer conspirant non pas contre le jacobinisme avec les Girondins, mais contre la République avec, les émigrés.

Or, le plus remuant des démagogues, Chabot, venait de mettre la main sur une espèce de mouchard diplomatique, nommé Achille Viard. Cet individu était, comme tous ses pareils, fort disposé à dénoncer ceux qui refusaient de l'employer suivant le mérite qu'il s'attribuait ou de le payer le prix qu'il s'estimait. Le 7 décembre, l'ex-capucin l'amena devant un petit cénacle de montagnards, Ingrand, Rovère, La Vicomterie, Ruamps, Tallien, Montant et Basire, appartenant tous au comité de sûreté générale, mais n'en formant que la minorité.

On recueille, sous forme de procès-verbal, toutes les sornettes dictées par cet intrigant de bas étage, qui se vante d'avoir reçu du ministre des affaires étrangères, Lebrun, par l'intermédiaire de Fauchet, la mission d'aller espionner les émigrés résidant à Londres. Il a vu, prétend-il, d'Aiguillon, Talleyrand[57], etc. Il a été présenté à plusieurs évêques et à plusieurs grands seigneurs de l'ancien régime. Il a aussi causé avec Narbonne, et cet ancien ministre de Louis XVI lui a fait des confidences qui compromettent Roland. Enfin, il a reçu à son retour un billet de Mme Roland, lui assignant un rendez-vous auquel, du reste, il ne s'est pas rendu.

Chabot avait dessein de tenir en réserve la dénonciation de Viard et de ne s'en servir que lorsqu'il aurait pu réunir d'autres pièces de nature à donner quelque apparence de réalité à ces pitoyables inventions. Mais un des membres du comité de surveillance, Grangeneuve, autrefois confident intime du moine défroqué[58], aujourd'hui son ennemi acharné, avait surpris la lettre de convocation envoyée aux seuls Montagnards pour recevoir les aveux de Viard. Il court à la Convention dénoncer le conciliabule clandestin. Là-dessus, grands cris et violentes récriminations de la part des membres inculpés. Ils veulent d'abord tourner la chose en plaisanterie : Il s'agissait, s'écrie Ruamps, de manger un dindon ! Mais Grangeneuve déclare que la lettre de convocation portait : Pour entendre la dénonciation d'une affaire importante. Un autre membre du comité, Vardon, affirme que Basire et ses amis sont coutumiers du fait et qu'il a vu, tout préparé sur le bureau de ce dernier, le rapport de plusieurs affaires qui n'avaient été délibérées que par la minorité dont le signalement vient d'être donné par Grangeneuve.

On demande à droite le renouvellement du comité, à gauche l'ordre du jour. Mais l'Assemblée veut évidemment connaître le secret de toute l'intrigue. Chabot, poussé dans ses derniers retranchements, est obligé de confesser le fait ; il cherche à l'excuser au nom de l'intérêt public. La confiance, dit-il, ne se commande pas. Un citoyen désire nous communiquer en particulier un grand complot dont plusieurs des membres du comité de surveillance sont les principaux auteurs. — Nommez-les, s'écrie-t-on de toutes parts. — Oui, je les nommerai, car j'ai en main le procès-verbal qui constate le complot. Ses amis veulent le faire taire, parce que, disent-ils, ses révélations intempestives vont compromettre l'arrestation de grands coupables ; mais l'ex-capucin était doué d'une intempérance de langue qu'il était difficile de refréner.

Quoi ! citoyens, reprend-il, lorsqu'un grand complot s'ourdit, lorsque des membres du comité de surveillance trempent dans ce complot, me ferez-vous un crime de ne pas admettre à la révélation qui m'est offerte les ennemis de la chose publique ? Me ferez-vous un crime de réunir mes amis, ceux que je sais encore purs et sans reproches, afin de conférer avec eux sur les moyens de saisir les fils d'une conspiration funeste ?

On réclame la production immédiate du procès-verbal auquel Chabot vient de faire allusion. L'orateur est obligé de le tirer de sa poche et de le passer à Defermon, l'un des secrétaires, qui en donne lecture. La pièce annoncée avec tant de fracas contenait de telles absurdités, de telles contradictions, qu'elle provoque les éclats de rire de la majorité de l'Assemblée. On demande que Viard soit mis sur-le-champ en arrestation et traduit à la barre. Comment, s'écrie Marat, cet homme vient vous faire une dénonciation officielle, une révélation civique, et vous allez le faire arrêter comme un scélérat ? Sans daigner prêter la moindre attention à ce que dit l'ami du peuple, la majorité exige la lecture des autres pièces qui, au dire des dénonciateurs, doivent corroborer la dénonciation.

Chabot, reprend Defermon directement interpellé, Chabot m'a bien remis une lettre pour la lire, mais il ne veut plus maintenant qu'elle soit lue. — Non, non ! elle ne sera pas lue, s'écrient à la fois Marat, Legendre et Tallien ; il y va du salut public.

Un décret formel ordonne à Chabot de déposer sur le bureau la lettre que le secrétaire de l'Assemblée a eue un instant entre les mains. Chabot est obligé d'obéir et Defermon constate que cette lettre n'est pas adressée à l'ex-capucin, mais bien au président de la Convention. Lisez, lisez, répète la majorité. — Tout est perdu, dit avec douleur Montant, les scélérats vont nous échapper ! Merlin (de Thionville) ajoute : Nous allions arrêter Narbonne et Malouet, qui sont à Paris. Vous les sauvez ! En effet, la pièce lue par Defermon n'était rien moins qu'une lettre en date de Paris, 6 décembre, dans laquelle Narbonne, Malouet et deux Anglais, annonçaient au président de la Convention qu'ils allaient se présenter à la barre pour défendre le roi, à la tête d'une garde de douze mille bons républicains, qui ne voulaient pas la mort de Louis XVI. Seulement, les signatures de Narbonne et de Malouet, vérifiées par nombre d'anciens constituants, étaient fausses, et les deux Anglais, dont les noms avaient été lus plus d'une fois dans les feuilles de Marat, étaient de pure invention.

On a donc voulu, dit Defermon, tromper la Convention, l'avilir ! Quelques membres demandent l'ordre du jour ; mais Jean Debry s'écrie : Il faut que la Convention s'éclaire, il faut que nous sachions s'il existe parmi nous des membres dont nous devions nous purger. S'il y a des trames, qu'elles soient découvertes ; il est temps que nous quittions cette route souillée de fange et de dénonciations. Sur la motion de l'orateur, la parole est aussitôt accordée à Chabot pour s'expliquer.

Le ci-devant capucin prétend que ce n'est pas lui qui a été chercher Achille Viard, mais que Viard est venu le trouver il y a huit jours et lui a remis le journal de son voyage à Londres. Quant à la lettre attribuée à Narbonne, elle a été déposée la veille chez son portier. Ce n'est pas ma faute, ajoute-t-il, si Grangeneuve m'a contraint à produire des pièces que je n'ai pas eu le temps de vérifier.

Ces explications sont accueillies par des rires et des murmures. Marat s'élève avec violence contre ceux qui osent se moquer de son trop clairvoyant ami. Oui, s'écrie-t-il, un grand complot a été ourdi contre la sûreté publique. Tous les ennemis de la liberté sont coalisés dans ce moment pour empêcher le jugement de Louis Capet, le chef des conspirateurs. Ils veulent arriver à leurs fins par tous les moyens possibles, par toutes les basses menées, par toutes les sourdes intrigues. Mais certains membres du comité de surveillance les gênent ; ils veulent faire renouveler le comité ; ils veulent en éloigner les membres patriotes, et pour cela ils cherchent à les rendre ridicules par de fausses dénonciations. La lettre qui vient d'être lue a été évidemment forgée par des fripons. Mais ces fripons, quels étaient-ils ? Là était toute la question. Marat s'abstient de la résoudre.

Pendant une heure l'Assemblée est en proie à une violente agitation, les interpellations les plus passionnées se croisent, les propositions les plus contradictoires s'entrechoquent. Enfin, l'on annonce l'arrivée de Viard. Au même moment, le ministre de l'intérieur entre dans la salle et va prendre sa place accoutumée. Mais la Montagne déclare qu'elle ne souffrira pas que Viard, amené à la barre, soit interrogé en présence du ministre.

Viard ne doit pas subir d'interrogatoire, s'écrie Basire, il n'est point accusé ; il n'y a ici d'accusé que Roland.

Le président consulte l'Assemblée ; mais trois fois l'épreuve est interrompue par les cris de la Montagne. Manuel, qui tous les jours se détachait de plus en plus de ses anciens amis, s'élance à la tribune. Eh ! quoi, dit-il, est-on résolu à avilir la Convention aux yeux de l'Europe entière ? Si la Convention continue à entendre des dénonciations aussi absurdes, la chose publique sera bientôt en péril. Quoi ! sur des lettres particulières ou supposées, vous mandez ici le pouvoir exécutif. Ne voyez-vous pas que l'on cherche à faire avilir les fonctionnaires les uns par les autres ? Citoyens, il est quatre heures, passons à l'ordre du jour !

Mais Montagnards et Girondins ne veulent pas que la discussion finisse. Les Montagnards espèrent qu'il surgira tout à coup quelque incident dont ils pourront profiter. Les Girondins veulent que l'affaire soit poussée jusqu'au bout, pour que la confusion de leurs adversaires soit complète. Désirant contenter les deux partis, l'Assemblée décide que Roland sera entendu avant Viard.

 

X

Il n'est pas, dit le ministre de l'intérieur, une seule personne nommée dans le procès-verbal que j'aie jamais vue, à qui j'aie jamais parlé, à qui j'aie jamais écrit... Je défie qui que ce soit de rapporter une signature de moi qui prouve que j'aie jamais connu un de ces hommes-là. Si la personne présente à la barre est le dénonciateur, je déclare que c'est la première fois que je la vois. D'ailleurs, comme ma femme est inculpée dans cette affaire, je demande qu'elle soit mandée séance tenante. le resterai ici dans l'intervalle. n Cette déclaration est accueillie par des applaudissements presque unanimes. La Convention décrète que la citoyenne Roland sera invitée à se rendre à la barre.

L'interrogatoire d'Achille Viard commence. Pressé de questions par le président Barère et les secrétaires Defermon et Treillard, le dénonciateur est obligé d'avouer qu'il a servi dans la maison du roi ; qu'il a reçu, avant le 10 août, des missions des ministres Chambonas et Dubouchage ; qu'il en a été payé, mais par des voies secrètes ; qu'il a falsifié dans sa dénonciation le sens de la lettre que Mme Roland lui a écrite. A mesure que se déroule ce long interrogatoire, auquel à la fin Viard ne répond plus que par des paroles vagues et incohérentes, l'indignation la plus vive s'empare de l'Assemblée. On demande à grands cris la mise en accusation de l'in-Mme imposteur. Mais voici que l'on annonce l'arrivée de Mine Roland. Le tumulte s'apaise comme par enchantement. Il est décidé que la femme du ministre de l'intérieur sera immédiatement reçue par la Convention. Son apparition est saluée par un tonnerre d'applaudissements. La Gironde fait fête à son Égérie, et la Plaine, par galanterie, suit l'entraînement de la Gironde.

Mme Roland se trouve à la barre presque à côté du dénonciateur. Celui-ci se tourne vers elle avec une grossièreté familière ;

N'est-il pas vrai, madame, dit-il...

Vous n'avez pas le droit d'interroger, lui crie-t-on de toutes parts.

Citoyenne, dit le président, la Convention a désiré vous entendre sur un objet dont il va vous être donné connaissance. Quel est votre nom ?

Roland, nom dont je m'honore ; c'est celui d'un homme de bien.

Connaissez-vous le citoyen Achille Viard ?

Je ne connaissais point Viard lorsque je reçus une lettre de lui, dans laquelle ce citoyen, c'est ainsi qu'il l'avait souscrite, ce citoyen me disait que, chargé d'une mission secrète pour l'Angleterre et prêt à partir, il avait à communiquer à M. Roland des choses de la plus grande importance et me priait de lui ménager un moment d'entretien avec lui. Je répondis sur-le-champ, par un billet non signé, que je n'étais qu'à côté des affaires ; que je m'en tenais à mon rôle de femme, que je n'en voulais pas d'autre et que sa lettre me prouvait qu'il partageait avec beaucoup de personnes une erreur semée par la malignité ou l'envie. J'ajoutai que, cependant, s'il était question de quelque chose d'un intérêt particulier pour M. Roland, on me trouverait tous les jours jusqu'à onze heures. Viard ne vint point le lendemain, et dès lors je jugeai que ces choses si importantes n'étaient pas d'un intérêt tel que je l'avais pensé d'abord sur l'annonce. Le surlendemain, Viard se présenta chez moi ; il parla longtemps. Je l'écoutai en silence. Je lui répétai ce que contenait ma lettre ; je l'invitai à s'adresser directement à M. Roland. Il ne parut point satisfait ; il partit, et, sans avoir l'œil bien exercé, je conclus de sa visite que cet homme avait en plutôt pour objet de savoir comment on pensait que toute autre chose.

Ces explications sont suivies d'applaudissements réitérés. Quelques rumeurs se font entendre à l'extrême gauche. Le président, s'adressant à Mme Roland, lui déclare, que la Convention nationale, satisfaite des éclaircissements qu'elle vient de donner, l'invite aux honneurs de la séance. Mme Roland traverse la salle au milieu des plus vifs témoignages de sympathie et va s'asseoir au banc réservé aux pétitionnaires. Rien ne manque à son triomphe, pas même la grossière insulte du soldat ivre suivant le char du vainqueur. Ce dernier rôle est pris par Marat, qui s'en acquitte avec son cynisme ordinaire. Sur un signe de lui, les tribunes se taisent, et l'ami du peuple de s'écrier : Voyez le silence du public : il est plus sage que nous ![59]

Viard était resté à la barre ; on l'eût dit attaché au pilori. Les plus timides comme les plus compromis ne craignent plus de l'insulter. Pons (de Verdun) lui reproche d'avoir été soupçonné de fabrication de faux assignats. Sergent affirme que cet homme a toujours été signalé à la police comme un individu plus que suspect.

Celui des jeunes Girondins auquel la médisance publique accordait le privilège d'occuper le cœur de madame Roland, Buzot monte à la tribune. Au point où le débat était arrivé, il eût été prudent de sa part de s'abstenir, mais, désireux de briller devant celle qu'il aime, il demande à poser quelques questions au dénonciateur. Thuriot, Basire, Tallien s'y opposent, en menaçant l'orateur du geste et de la voix. Fatiguée de tant de violence et de scandale, l'Assemblée se bâte de rendre un décret d'accusation contre Achille Viard et de lever une séance qui n'avait pas duré moins de neuf heures[60].

 

XI

L'ovation faite à Roland et surtout à sa femme soulève au club Saint-Honoré[61] les plus violentes déclamations contre le couple infernal, contre l'indigne, le perfide, le scélérat Buzot. En vain Jean-Bon Saint-André, qui pourtant n'était pas suspect de modérantisme, se hasarde-t-il à dire : Commençons par sauver la patrie, nous verrons ensuite ce que nous ferons de Roland et des rolandistes ! Il est traité d'endormeur par Robespierre lui-même. Il ne faut pas se le dissimuler, s'écrie le chef de la députation parisienne, la liberté est menacée de toutes parts ; la nation est entre les mains de fripons. Nous avons un gouvernement détestable mené par un scélérat. La meilleure politique à l'égard de ceux qui dominent la Convention, qui ont en main le pouvoir, n'est pas la politique du dédain, mais la politique de la haine, dût cette haine passer pour de la peur exagérée.

Pour un instant, le tribun oublie les soupçons qu'il entretient contre tous ceux qui portent une épée, contre les généraux qu'il a accusés déjà, qu'il accusera bientôt encore de conspirer contre la liberté. II se fait la caution de Custine, qu'il a connu à la Constituante, dont il estime la franchise, de Dumouriez, qui n'est pas plus traître que Custine, qui aime la gloire et méprise Brissot et sa faction. Que l'on cesse donc, ajoute-t-il avec une insistance très-remarquable, de dénoncer les généraux pour ne s'occuper que des ministres, de ceux qui trament l'anéantissement des Jacobins et la mort des plus purs patriotes ; j'ambitionne l'honneur d'être massacré le premier par les Brissotins... J'espère si peu de la liberté publique que je demande à être assassiné par Roland. Tant qu'il existera un ministère qui tiendra en ses mains la liberté et surtout celle de la pensée, un ministre qui pourra disposer des biens du ci-devant clergé ; tant qu'aucun homme de probité ne pourra lui demander compte des sommes immenses qu'il a entre les mains ; tant qu'il aura le pouvoir de calomnier non-seulement le peuple, mais encore les amis du peuple ; tant qu'il donnera des (liners et des places, vous n'aurez que le despotisme d'un seul, gouverné par une trentaine de fripons ; tant que Roland existera, tous les aristocrates se réuniront à lui... Le but de cette faction est d'anéantir la société des Jacobins et les sociétés affiliées, d'accabler tout homme qui n'est point dévoué à cette faction et de plonger le poignard dans le sein de ceux qui ont le courage de lui résister. Voilà l'important secret que j'avais à révéler à la société.

Ce discours soulève le plus vif enthousiasme. Oui, crient Chasles et Bentabole, Roland a établi un bureau de la formation de l'esprit public et il s'en sert pour assassiner l'esprit public ; c'est un crime de lèse-nation, de haute trahison !

A la Convention, dit Tallien, nous existons sous la dictature de Roland. Rallions-nous autour des principes éternels de la justice et de la raison ; voilà nos chefs de file. Il est temps de nous montrer à découvert et de terrasser nos ennemis... Je finis par inviter les députés à se réunir ici, car c'est ici qu'on a sauvé la patrie deux fois, et c'est ici qu'on la sauvera une troisième. — Oui, oui, répondent tous les assistants agitant leurs chapeaux, battant des mains, en proie à une véritable frénésie[62].

Les manifestations jacobines devaient naturellement avoir leur contre-partie à la Convention. Les Girondins firent tomber leur colère sur celui qui, de tous les ennemis de Roland, était le plus dangereux et le plus acharné ; le plus dangereux, parce qu'il avait le plus de places à donner, le plus acharné, parce qu'il était le plus ingrat : nous avons nommé Pache.

Les sujets de récriminations ne manquaient pas contre le ministre de la guerre. La correspondance de tous les généraux sans exception était remplie de plaintes sur son incurie, sur l'incapacité et les déprédations de ses agents, choisis parmi les plus fervents Jacobins.

Le 10 décembre, on venait de lire une lettre des commissaires de la Convention en mission à Nice ; ils donnaient, concernant l'administration militaire, les plus déplorables détails ; tout manquait aux soldats, fourrages, vivres, habits, souliers. Amar demande que les commissaires ordonnateurs et leurs subordonnés, coupables de friponneries, éprouvent toute la rigueur des lois. Ce n'est pas, s'écrie Buzot, qui cette fois encore s'est chargé d'attaquer corps à corps l'homme désigné à sa haine par l'enchanteresse de la Gironde, ce n'est pas sur les commis du ministre que doit tomber la responsabilité, mais sur le ministre lui-même. Il ne doit choisir que des hommes dignes de la confiance publique ; il est responsable des agents qu'il emploie. Les plaintes se multiplient de toutes parts ; soit mauvaise intention, soit insouciance, soit impéritie de ce ministre, nos armées manquent de tout au moment où elles ont besoin d'être encouragées. Les bureaux de la guerre sont presque tous composés ou d'ignorants ou de gens qui, par état, sont malintentionnés. Il existe certainement un projet de désorganiser nos armées ; nos ennemis n'ont pas d'autre moyen de nous vaincre, et les divers agents du département de la guerre semblent s'entendre avec eux. La crise est trop violente, vous devez en sortir par un coup d'éclat.

Ici, l'orateur est interrompu par les cris de l'extrême gauche. Le président Barère réclame le silence et Buzot reprend :

Si un autre ministre eût commis la dixième partie des délits dont le ministre de la guerre est prévenu, il y aurait déjà dix décrets d'accusation.

C'est vrai, c'est vrai, crie-t-on à droite.

Je pourrais, d'après les dénonciations des généraux et de vos commissaires, demander le décret d'accusation contre le ministre de la guerre et je le motiverais. Mais j'aime mieux encore le croire innocent ; je demande que le comité examine sa conduite et en fasse le rapport sous trois jours.

Quelques montagnards veulent défendre Pache. Marat se présente à la tribune pour attester le patriotisme du ministre. Mais l'Assemblée ferme la discussion et prononce le renvoi au comité de la guerre de la lettre qui a servi de base à l'accusation de Buzot.

Les Roland triomphaient, Robespierre était obligé de se réfugier aux Jacobins pour exhaler sa rage impuissante, Pache était mis en suspicion. Mais cette triple victoire. ne fit qu'accélérer la perte de la femme célèbre qui venait d'en être l'héroïne. Reine d'un jour, madame Roland fut exposée à tous les dangers de la royauté. Sa vie privée devint le point de mire de toutes les calomnies, comme cela n'arrive que trop souvent aux têtes couronnées. La foule, si crédule en matière de scandale, se complut au récit des amours plus ou moins platoniques de la déesse de la Gironde[63]. Hébert, Marat, tous les folliculaires des faubourgs s'amusèrent aux dépens de son débonnaire époux et brodèrent sur ce thème leurs plus plates rapsodies. Quel prestige aurait pu résister à tant de sarcasmes ?

Malheureuse femme ! le mot de Mirabeau ne tardera pas à lui être applicable comme il devait l'être à bien d'autres. Elle apprendra, elle aussi, que la roche Tarpéienne est près du Capitole. Un an ne s'écoulera pas sans que la mort, après l'avoir frappée, atteigne sous les formes les plus diverses et souvent les plus hideuses tous ceux qui l'ont aimée et admirée.

 

XII

Pendant que la Commune insurrectionnelle était battue en brèche et succombait enfin, la cour de justice, instituée par les vainqueurs du 1.0 août pour rechercher et livrer au bourreau les vaincus et leurs prétendus complices, subissait le même sort. Nous avons raconté l'origine et les premiers jugements du tribunal du 17 août[64] ; nous devons ici en rapporter brièvement les derniers actes et la dissolution.

Le tribunal extraordinaire existait depuis quinze jours à peine, lorsque survint l'effroyable cataclysme de septembre. Aux décisions soi-disant juridiques avaient succédé les vengeances prétendues populaires, aux exécutions individuelles les meurtres en masse. Les sicaires de la Commune avaient d'un seul coup vidé les prisons. Les accusés politiques, à bien peu d'exceptions près, avaient été égorgés. Des malfaiteurs, prévenus ou jugés, la moitié environ avait subi le même sort ; les autres s'étaient réunis aux assassins soldés, puis, les massacres achevés, s'étaient cachés dans ces innombrables sentines du vice que recèle la grande cité parisienne ; ils n'avaient pas tardé du reste à mériter d'être arrêtés de nouveau. Mais ces criminels ordinaires appartenaient de droit aux tribunaux réguliers, et, quelle que fût l'activité des dénonciateurs à gages, il leur était bien difficile de fournir au tribunal extraordinaire des justiciables en suffisante quantité. Aussi les inventeurs du tribunal du 17 août, qui craignaient de le voir supprimé faute d'emploi, saisirent-ils la première occasion qui se présenta pour étendre sa compétence.

Le 11 septembre, quelques citoyens accompagnés d'un officier municipal[65], membre du comité de surveillance de la Commune, viennent annoncer à l'Assemblée qu'il est à craindre que les scènes sanglantes qui ont .épouvanté Paris la semaine précédente, ne se renouvellent, si le peuple croit apercevoir quelque ralentissement dans la répression des crimes qui tiennent à la sûreté de l'État. Déjà une très-vive émotion populaire s'est manifestée à la suite de l'arrestation de deux individus prévenus d'avoir emporté la caisse de leur régiment. — Le peuple, ajoute l'orateur, allait en faire justice, mais, à notre voix, il a bien voulu suspendre l'exécution jusqu'à aujourd'hui. Les juges du tribunal criminel vont vous instruire du reste.

Le tribunal criminel ordinaire, dont les membres avaient été nommés dans d'autres temps et sous l'empire d'autres préoccupations, était fort peu désireux d'avoir quelque chose à démêler avec la politique. Aussi n'avait-il pas demandé mieux que d'envoyer à l'Assemblée une députation, pour lui annoncer qu'il était tout prêt à poursuivre les deux criminels qui venaient de lui être amenés, mais qu'il lui semblait préférable de confier à la juridiction extraordinaire du 17 août le soin de connaître provisoirement de tous les crimes et délits dénoncés par le peuple, ou qui seraient de nature à compromettre la sûreté générale et la tranquillité publique. Thuriot et Couthon s'emparent de cette requête et la convertissent en motion ; seulement, dans la rédaction qu'ils proposent et qu'ils font adopter, ils généralisent les dispositions qui doivent régler la compétence du tribunal extraordinaire et l'étendent à tous les crimes commis dans le département de Paris[66].

Heureux d'avoir assuré son existence et jaloux de justifier l'accroissement de ses pouvoirs, le tribunal du 17 août redouble d'activité ; il englobe dans ses poursuites, non-seulement un grand nombre de personnes suspectes de royalisme, mais encore les voleurs du garde-meuble et leurs complices[67], des déserteurs, des fournisseurs infidèles, des concussionnaires, des usurpateurs de fonctions publiques[68], et même des assassins dont le crime, de près ou de loin, ne pouvait se rattacher à aucune circonstance politique.

Le 18 septembre, un nommé Roussel est condamné à mort, comme ayant coopéré, par l'envoi de quelques rapports de police, aux embrigadements que d'Angremont avait cherché à opérer pour le compte du roi[69]. Quelques jours après, commence le procès de Cazotte. Ce malheureux vieillard de 74 ans, maniaque et illuminé, avait été épargné par les juges de Maillard[70]. Sa fille, dont le dévouement héroïque l'avait sauvé et qui veillait sur lui avec une admirable sollicitude, n'avait pas songé un instant à le faire cacher, tant elle le croyait à l'abri de toute poursuite. Mais, huit jours ne se sont pas écoulés depuis que les portes de l'Abbaye se sont ouvertes pour laisser passer le père et la fille au milieu des assassins, qu'un nouvel ordre d'arrestation les réintègre l'un et l'autre dans les prisons de la Conciergerie. Mue Cazotte est d'abord impliquée dans le procès comme complice des trames de son père, parce qu'elle lui a servi de secrétaire ; bientôt on disjoint les causes ; on craint que les jurés du tribunal extraordinaire ne se laissent à leur tour attendrir par la beauté et la candeur de cette conspiratrice de vingt ans. Cazotte comparaît seul devant la première section du tribunal. En vain son défenseur invoque-t-il l'arrêt de grâce arraché aux égorgeurs de septembre ; en vain veut-il, pour le besoin de sa cause, représenter les affidés de Maillard comme les interprètes des volontés du peuple souverain. Le tribunal refuse d'admettre ce système, que développaient cependant tous les jours à la Convention, aux Jacobins, à la Commune, Robespierre, Collot-d'Herbois, Hébert, ceux qui avaient poussé aux massacres comme ceux qui y avaient applaudi, ceux qui les avaient préparés comme ceux qui les avaient excusés après coup.

Cazotte est déclaré coupable d'avoir conspiré contre la liberté, parce qu'il a écrit à un ami, commis de la liste civile de Louis XVI, un fatras de lettres où s'entrechoquent mille projets incohérents, aussi absurdes que contradictoires, où l'illuminisme et la folie éclatent à chaque ligne[71].

Les hommes publics de cette époque ne perdaient jamais l'occasion de faire un discours, par lequel ils prétendaient prouver qu'ils réunissaient en leur propre personne l'homme sensible, idéal de J.-J. Rousseau, et l'homme antique, idéal de Montesquieu. Pour composer leurs sinistres harangues, ces étranges rhéteurs mettaient en lambeaux l'Émile, le Contrat social, le Dialogue de Sylla et d'Eucrate. Pourvu qu'ils eussent accompagné une sentence de mort de quelques phrases sonores, ils s'estimaient en règle avec leur conscience ; pourvu que dans leur exorde ils se fussent proclamés les ardents amis de l'humanité, ils se croyaient permis de l'outrager ensuite tout à leur aise.

Nous verrons, à l'occasion du procès de Louis XVI, cette sensiblerie de parade s'étaler à la tribune de la Convention ; saisissons-la au moment où elle s'épanouit au Palais de Justice, et conservons à la postérité le discours que Lavau, président de la première section du tribunal extraordinaire, adressa au malheureux Cazotte :

Faible jouet de la vieillesse, victime infortunée d'une vie passée dans l'esclavage, toi dont le cœur ne fut jamais assez grand pour sentir le prix d'une liberté sainte, mais qui as prouvé par ta sécurité dans les débats que tu savais sacrifier jusqu'à ton existence pour le soutien de ton opinion, écoute les dernières paroles de tes juges !... puissent-elles, en te déterminant à plaindre le sort de ceux qui viennent de te condamner, t'inspirer cette stoïcité qui doit présider à tes derniers instants.

Tes pairs t'ont entendu, tes pairs t'ont condamné ; mais au moins leur jugement fut pur comme leurs consciences !... Va ! reprends ton courage, rassemble tes forces, envisage sans crainte le trépas. Songe qu'il n'a pas droit de t'étonner, ce n'est pas un instant qui doit effrayer un homme tel que toi...

Regarde ta patrie libre verser des larmes sur ces cheveux blancs qu'elle a cru devoir respecter jusqu'au moment de ta condamnation. Que ce spectacle te porte au repentir ; qu'il t'engage, vieillard malheureux, à profiter du moment qui te sépare encore de la mort pour effacer jusqu'aux moindres traces de tes complots par un regret justement senti.

Encore un mot : tu fus homme, chrétien, philosophe, initié ; sache mourir en homme, sache mourir en chrétien. C'est tout ce que ton pays peut encore attendre de toi[72].

 

Pendant que Lavau prononçait cette harangue, on entraînait hors de l'audience Élisabeth Cazotte ; les cris déchirants de la fille du condamné se mêlaient à la voix emphatique du président. Le lendemain on relâcha la pauvre enfant. Tout était consommé[73].

 

XIII

Le 26 septembre, le lendemain de l'exécution de Cazotte, un décret supprimait la haute cour d'Orléans[74].

Elle n'avait plus de raison d'être ; Fournier l'Américain lui avait enlevé ses justiciables et les avait fait égorger à Versailles. Le tribunal du 17 août se trouva dès lors seul chargé des causes politiques.

Mais quelque extension qu'on eût donnée à la compétence de ce tribunal, il était un délit qui fut toujours maintenu en dehors de sa juridiction, le délit d'émigration. L'Assemblée constituante avait refusé de l'inscrire dans le Code pénal ; mais elle avait cru pouvoir, sans violer la Déclaration des droits, le frapper d'une amende. Sous la pression de l'opinion publique, et peu de temps avant de se séparer, le 9 juillet 1791, elle avait rendu un décret imposant à tout Français absent du royaume et qui n'y rentrerait pas dans le délai d'un mois, une contribution directe triple de celle qu'il aurait payée régulièrement. Des rôles spéciaux avaient dû être établis pour la perception de cet impôt extraordinaire ; mais, en croyant ne prescrire qu'une simple mesure fiscale, le législateur avait ordonné en réalité de dresser de véritables listes de proscription. La besogne faite pour le percepteur facilita singulièrement celle du bourreau.

Lorsque l'on entre dans la voie des mesures exceptionnelles, on ne sait jamais où vous conduira la logique impitoyable des partis. On commence par l'arbitraire administratif, on aboutit aux mesures juridiques les plus exécrables. Du moment que l'on triplait la contribution directe à payer par les absents, il fallait définir ce qui constituait le délit d'absence. Où commençait-il ? comment le constater ? quelles justifications apporter pour n'en être pas déclaré convaincu ? quelles excuses légitimes faire valoir pour n'en pas être accusé ? Rien de plus difficile que de donner à de telles questions une solution tant soit peu équitable. Ces lois de circonstance, que le vulgaire trouvait très-justes et qu'il croyait d'une application des plus aisées, devinrent le point de départ d'embarras inextricables et d'iniquités de toute nature.

Ce fut bien pis quand des choses on passa aux personnes. Dans tous les temps, le fait de porter les armes contre sa patrie a constitué un crime, et ce crime a été puni de mort. La morale et l'histoire ont été d'accord pour flétrir le connétable de Bourbon se plaçant à la tête des ennemis de la France, afin de se venger de François Ier et de sa mère. Elles ont été à la vérité plus indulgentes envers Turenne et Condé, et aussi envers quelques-uns des protestants chassés de France par la révocation de l'édit de Nantes. Mais ce que les mœurs féodales, les troubles de la Fronde, les injustices de Louis XIV avaient pu faire autrefois excuser, ne pouvait trouver grâce devant la France révolutionnaire au moment où s'engageait une lutte à mort entre elle et l'Europe. La Législative et la Convention n'outrepassèrent donc pas leur droit en livrant à toutes les rigueurs du code militaire les Français pris les armes à la main dans les rangs des armées étrangères ; mais elles se montrèrent brutalement iniques et lâchement cruelles en faisant tomber le glaive de la loi sur des femmes, des enfants, des vieillards et même sur des hommes valides qui, usant de la liberté naturelle, consacrée par la Déclaration des droits, d'aller et de venir en dedans et en dehors des frontières, avaient fui les troubles de leur pays pour chercher à l'étranger, et souvent dans des pays neutres, une vie sûre et tranquille.

Indiquons rapidement la série des mesures que les passions, surexcitées par les menaces des puissances étrangères et par les intrigues de quelques-uns des principaux émigrés, firent adopter aux Assemblées législative et conventionnelle, de 1791 à la fin de 1792.

Le 9 novembre 1791, un décret, revêtu de la sanction royale, déclare tous les Français rassemblés en dehors des frontières coupables de conspiration s'ils ne sont pas rentrés en France avant le 1er janvier. Trois décrets des 12 février, 8 avril et 27 juillet 1792, prononcent la mise sous séquestre de tous les biens meubles et immeubles possédés par les Français qui n'auront pas dans un très-bref délai réintégré leur domicile. Ces trois décrets sont, il est vrai, frappés de veto par Louis XVI, mais, aussitôt le trône constitutionnel renversé, ils acquièrent force de loi. Après le 10 août, on répare le temps perdu, et de la mise en séquestre on passe à la confiscation. Cette peine qui étendait aux enfants la punition des fautes paternelles, venait d'être solennellement abolie ; elle est rétablie par un décret de 6 septembre 1792. La vente immédiate des biens confisqués est ordonnée, on oblige les officiers publics et les banquiers à faire la déclaration des fonds déposés chez eux par les émigrés. Sur tous ces biens et fonds, la loi ne réserve qu'une très-faible part aux femmes, aux enfants, aux pères et mères résidant en France et reconnus dans le besoin. Tous les absents, quels que soient leur sexe et leur âge, sont considérés comme émigrés. A peine admet-on une exception en faveur des négociants qui prouveront n'avoir voyagé à l'étranger que pour leurs affaires, et encore la loi n'indique-t-elle pas de quelle nature seront les preuves à fournir. Tout est laissé à l'arbitraire des administrations départementales, chargées de dresser la liste des émigrés.

Dès le mois de septembre, les municipalités reçoivent l'ordre de consigner dans leur domicile les pères, mères, femmes et enfants d'émigrés, de les arrêter s'ils cherchent à rejoindre leurs parents. Les chefs de famille sont tenus de justifier de la résidence à l'intérieur ou du décès de leurs enfants ; s'ils ont des fils émigrés, ils sont destitués de leurs emplois, privés de leurs pensions, déclarés incapables d'en obtenir désormais. Ils ne peuvent, sans se rendre criminels, entretenir aucune correspondance avec leurs parents résidant à l'étranger. Ils sont contraints de fournir l'habillement, l'armement et la solde d'abord de un, puis de deux volontaires par chaque absent[75].

Dès le début de sa session, la Convention entreprend de coordonner en une seule loi les divers décrets précédemment rendus contre les émigrés. Bientôt elle abandonne, ou du moins ajourne cette besogne trop difficile. D'ailleurs les événements marchent vite ; les dévastations commises en Champagne par l'armée de Brunswick, les incendies allumés à Lille par les boulets rouges du duc de Saxe-Teschen exigent des représailles. Montagnards et Girondins réclament l'application immédiate des lois contre les émigrés ; le 9 octobre, sur la proposition de Vergniaud et de Collot-d'Herbois, de Guadet et de Merlin (de Douai), l'Assemblée décrète que tous les Français pris les armes à la main, seront fusillés dans les vingt-quatre heures, dès qu'ils auront été reconnus coupables de ce crime par une commission militaire de cinq membres, dont le choix est confié à l'état-major de l'armée qui les aura faits prisonniers. Aux Français émigrés sont assimilés les étrangers qui étaient le 14 juillet 1789 au service de la France, et qui, en le quittant, ont rompu les engagements qu'ils avaient contractés.

Cependant il répugnait aux généraux que Dumouriez avait lancés à la poursuite de l'armée austro-prussienne, de faire passer par les armes les émigrés qui se rendaient ou se laissaient prendre ; ils préféraient les diriger sur Paris et les mettre à la disposition de l'autorité civile. Un décret formel leur enjoint, le 16 octobre, d'exécuter la loi selon sa forme et teneur. Mais déjà un premier convoi de treize émigrés est en marche ; il arrive le 19 dans la capitale. Aussitôt la Convention ordonne la formation d'une commission militaire de cinq membres, sous la présidence du général Berruyer, commandant l'armée et le camp de Paris. Cette commission, installée au palais de justice[76], décide dans la journée même du sort des treize prisonniers. Du reste, rien de plus simple que ses formes de procédure : point de témoignages à recueillir, point de réquisitoires, point de plaidoiries à entendre ; le président interroge, et sur ce simple interrogatoire, les juges prononcent. Des treize accusés, neuf sont condamnés à mort, quatre sont acquittés ; ces derniers étaient des domestiques qui avaient suivi leurs maîtres[77].

Peu de jours après, le 23 octobre, la Convention votait, sur la proposition de Buzot, un décret ainsi conçu :

Les émigrés français sont bannis à perpétuité du territoire de la République ; ceux qui rentreraient au mépris de cette loi, seront punis de mort ; sans néanmoins déroger aux décrets précédents qui condamnent à la peine de mort les émigrés pris les armes à la main.

Ce décret n'indiquait aucun délai, passé lequel l'émigration devait être considérée comme définitive. Aussi, à la nouvelle de son adoption, et avant qu'il eût été régulièrement promulgué, beaucoup d'émigrés, surtout de ceux qui habitaient l'Angleterre et la Belgique, cherchèrent à rentrer en France pour échapper au bannissement perpétuel et à la confiscation, en obtenant des certificats de résidence, soit par complaisance, soit à prix d'argent[78]. Un certain nombre de ceux qui tentèrent cette entreprise dangereuse étaient, il est vrai, porteurs de passeports réguliers délivrés par les agents diplomatiques français encore accrédités auprès des puissances étrangères. Ces agents, assez peu nombreux d'ailleurs, puisque la République se trouvait déjà en guerre avec la moitié de l'Europe, étaient dans l'impossibilité de distinguer parmi leurs nationaux, les simples voyageurs des émigrés. Ils délivraient donc des passeports à qui leur en demandait, et n'en refusaient qu'aux personnes qui leur avaient été nominativement désignées par le pouvoir exécutif.

Mais la Commune de Paris et la Convention ne l'entendaient pas ainsi. La Commune ordonne des perquisitions minutieuses dans toutes les auberges et dans tous les hôtels garnis de la capitale. La Convention, sur la dénonciation de Jean Debry et le rapport de Treilhard (5 novembre), rend un décret, aux termes duquel les émigrés rentrés en France sont tenus de sortir de Paris et des villes de 20.000 âmes dans les vingt-quatre heures, des autres communes dans quinze jours. Passé ce délai, ils seront censés avoir enfreint la loi de bannissement et punis de mort. Quelques jours plus tard, sur la nouvelle que beaucoup d'émigrés n'osent quitter les lieux où ils sont cachés, de peur d'être massacrés en route, que d'autres sont détenus et dans l'impossibilité d'obéir au décret, la Convention ordonne de conduire les uns et les autres aux frontières, sans délai, sous bonne et sûre garde ; elle défend toute voie de fait contre les émigrés ou suspects d'émigration qui, une fois dénoncés, doivent être poursuivis dans les formes légales, expulsés ou mis à mort suivant les cas (26 novembre).

Ces mesures rigoureuses sont appliquées sans distinction de sexe ou de rang. Les noms les plus populaires d'alors ne peuvent sauver ceux qui les portent de l'intraitable rigueur de la loi. En vain le général Biron implore-t-il une exception pour sa femme[79], le duc d'Orléans pour sa fille[80] ; Camus fait passer à l'ordre du jour sur leurs demandes. Osselin élève la voix en faveur des domestiques qui ont suivi leurs maîtres à l'étranger. La loi que nous faisons est une loi de circonstance, une loi de guerre, réplique le rapporteur du comité de législation ; pourquoi nous occuper des quelques injustices qu'elle peut entraîner ?

Ces injustices étaient flagrantes ; cette loi était plus qu'une loi de guerre, c'était une loi de proscription. A partir du moment où elle fut promulguée, il n'y eut plus qu'une peine contre le délit d'émigration, et cette peine était la mort.

 

XIV

Si la Gironde et la Montagne se montraient l'une et l'autre impitoyables vis-à-vis des émigrés, elles étaient au contraire divisées toutes les fois qu'il s'agissait de l'existence du tribunal du 17 août. Les amis de Vergniaud et de Guadet ne pouvaient oublier que c'était Robespierre, à la tête d'une députation de la Commune, qui avait arraché à la Législative la création de cette juridiction exceptionnelle ; ils avaient donc résolu d'en provoquer l'abolition.

Le 23 octobre, un individu nommé Joseph Picard et sa femme, Anne Leclerc, sont déclarés complices du vol du garde-meuble ; comme ce vol est réputé le résultat d'une conspiration contre la République, ces deux conspirateurs d'un nouveau genre sont condamnés à mort et exécutés dans les vingt-quatre heures. C'était la première fois qu'une femme montait à l'échafaud par les ordres du tribunal institué pour juger les délits politiques. Ce fait qui, quelques mois plus tard, devait se renouveler si souvent, émeut profondément la population parisienne ; cette émotion trouve de l'écho dans la presse et au sein de la Convention. Le Girondin Mazuyer demande que le tribunal de sang qui vient d'outrepasser la loi, soit cassé immédiatement.

Le tribunal, voyant son existence menacée, se hâte de tenter une démarche solennelle. Le 28 octobre, l'accusateur public Lhuillier, se présente avec ses collègues à la barre de l'Assemblée nationale et lit l'adresse suivante :

Citoyens législateurs,

Le tribunal du 17 août vient déposer dans votre sein le sentiment de douleur profonde dont il est pénétré ; il vient vous demander justice. Dénoncé à la nation, à l'Europe entière, comme un tribunal de sang, il vient avec le courage inflexible de la vérité, s'arracher lui-même à la calomnie qui le poursuit, confondre ses calomniateurs, et vous déclarer que des hommes du 10 août, des hommes qui n'ont été nommés par le peuple pour juger les grands esclaves, les lâches sectateurs des complots, que parce que, libres avant la Révolution, ils n'ont jamais su s'écarter (le la route de la liberté depuis 1789, parce qu'on leur a cru cette fermeté du républicain ; que de tels hommes peuvent bien être remerciés, renvoyés de leurs fonctions, si la Convention ne les croit plus utiles, mais qu'ils ne doivent pas l'être comme ces hommes véritablement de sang, qui ne respirent que le carnage, qui ne prêchent que l'agitation, le meurtre et l'anarchie. Plus le tribunal a eu de pouvoir, plus il a cherché à prévenir jusqu'au soupçon d'en abuser. Chaque procédure a été instruite avec la franchise et le courage des hommes libres ; toutes les fois que nous avons prononcé, dans l'une ou l'autre section. la peine capitale, la loi dictait notre jugement sur la déclaration du jury. Et puisque nous sommes réduits à parler de nous, nous vous dirons, sans crainte d'être démentis, que nous avons consacré tout notre temps, toutes nos veilles, depuis notre institution, à la gloire de la République. Nous a-t-on vus, à la suite de diverses instructions de trente et quarante et jusqu'à cinquante-quatre heures sans désemparer, nous a-t-on vus craindre les efforts et les murmures du peuple, ou, pour mieux nous exprimer, de ses agitateurs ? Ne nous a-t-on pas vus, au contraire, maintenir le respect pour la loi dans le procès Montmorin, braver le fer et les piques pour arracher Bachmann aux vengeances du peuple et conserver l'honneur de la nation au milieu des scènes affligeantes des 2 et 3 septembre, en ne faisant tomber cette tête criminelle que sous la hache de la loi ? Eh quoi ! lorsque les testaments de mort des condamnés contiennent la preuve écrite de leur crime, lorsqu'ils ont reconnu eux-mêmes la justice de nos jugements, on vient dénoncer un tribunal qui n'a cessé de donner des preuves de son patriotisme, en demander la suppression, et dans quel moment ! Lorsqu'il déjoue les agitateurs, lorsqu'il éclaire de plus près les complots formés contre la République, lorsqu'il tient le fil de cette trame criminelle qui a ourdi le vol du garde-meuble et ceux du 10 août. Vous pouvez, citoyens législateurs, vous pouvez nous supprimer, nous sommes prêts à donner à ceux qui nous remplaceront tous les renseignements qui seront en notre pouvoir ; mais nous vous demandons, par amour pour la justice, par considération pour des services qui peuvent mériter d'être appréciés, nous vous demandons de nous laisser sortir de la carrière pénible que nous nous étions dévoués à parcourir, dignes du peuple qui nous a nommés, dignes de vous et de nous-mêmes[81].

 

Cette adresse est accueillie par les applaudissements de la Montagne ; mais le président Guadet y répond avec une extrême froideur :

Le plus grand malheur dont puissent être accablés les hommes chargés de prononcer sur la vie de leurs semblables est sans doute le soupçon d'arbitraire et de prévarication. La Convention examinera votre pétition, elle vous accorde les honneurs de la séance.

Tallien réclame néanmoins l'impression du factum lu par Lhuillier. Mais Lanjuinais s'écrie : Je ne vois aucune raison de dépenser l'argent du Trésor public à l'apologie d'un tribunal qui, sans doute, n'en a pas besoin. Au reste, il ne me parait pas qu'il se soit lavé de l'inculpation, qui lui a été faite par un de nos collègues, (l'avoir condamné à mort pour recel. Je demande l'ordre du jour et le renvoi au Comité de législation[82]. Sans plus souffrir de discussion, l'Assemblée adopte la proposition du député de Rennes. La réponse du Comité de législation ne se fait pas longtemps attendre ; seulement, pour ne pas trop effaroucher les partisans de la justice révolutionnaire, elle a lieu en deux fois. Un premier décret du 15 novembre enlève au tribunal du 17 août la plus exorbitante de ses prérogatives, celle de prononcer des jugements non susceptibles de recours en cassation. Un deuxième, du 29 novembre, le supprime purement et simplement[83].

Le tribunal, en apprenant l'adoption du décret qui le frappe, ne désespère pas de retarder l'époque où il cessera ses fonctions. Il envoie à la Convention une députation pour obtenir un délai de quelques jours, sous prétexte de terminer plusieurs affaires entamées ou prêtes à être présentées au jury. Mais l'Assemblée répond dédaigneusement à cette supplique par un ordre du jour qui ordonne aux pétitionnaires de renvoyer immédiatement au tribunal criminel du département de Paris les pièces des affaires encore pendantes, et au Comité de surveillance de la Convention les pièces concernant le ci-devant roi.

Il fallait se résigner. Lhuillier, qui occupe le siège du ministère public, se voit obligé de requérir la cessation des fonctions du tribunal du 17 août. Mais peut-il négliger de faire une dernière fois le panégyrique de ceux que la loi vient de dépouiller de leur pouvoir et de faire rentrer dans la classe des simples citoyens. En leur nom, au sien propre, il s'adresse en ces termes à cette espèce de public, toujours le même, qui suivait assidûment les audiences du tribunal et qui devait plus tard former le noyau de la bande des aboyeurs de Fouquier-Tinville et des furies de la guillotine :

Citoyens, nommé par le peuple, le tribunal en a eu la force et l'énergie. Toutes les autorités ont paru devant nous, sans aucune exception particulière, parce que nous n'avons connu que l'égalité. Mais un caractère de justice aussi prononcé, en nous faisant redouter de cette classe d'hommes farouches qui tendent sans cesse à la suprématie et qui n'usent de la puissance du peuple que pour l'asservir ; ce caractère, dis-je, devait faire de tous ces hommes des ennemis cruels pour le tribunal. En effet, vous avez vu la calomnie verser sur nous ses poisons subtils et dangereux ; mais vous étiez là, vous avez applaudi à nos travaux, et, tiers de vos suffrages, nous avons méprisé la calomnie. Aujourd'hui, citoyens, le tribunal est supprimé. Mais, toujours dignes de vous, toujours dignes de nous-mêmes, nous refusons de regarder en arrière pour connaître la main qui nous a frappés. La loi a parlé, nous suspendons nos fonctions. C'est à vous de juger de quelle manière nous les avons remplies[84].

 

Ainsi, tribunal extraordinaire, commune insurrectionnelle, disparaissent de la scène politique presque le même jour (30 novembre-2 décembre), mais tous deux auront des successeurs qui les égaleront, qui les dépasseront même. Bientôt, des cendres du tribunal du 17 août naîtra le tribunal révolutionnaire du 9 mars. La commune renouvelée se montrera le 31 mai aussi audacieuse contre la représentation nationale que l'avait été contre la royauté la commune du 10 août. Du reste, celle-ci, pouvait déposer ses pouvoirs sans craindre de voir son œuvre inachevée. Le roi qu'elle avait détrôné allait être livré au bourreau par la Convention.

 

 

 



[1] Voir tome IV, passim.

[2] Voir le discours de Barère, tome IV, livre XVIII, § IV.

[3] Voir la note remarquable insérée au Moniteur, n° 299.

[4] Voir le n° 276 du Journal du Club des Jacobins.

[5] Voir le portrait que trace de ce personnage le Patriote français, n° 119.

[6] Voir tome II, livre V, § II.

[7] Voir tome IV, livre XIV, § VI in fine.

[8] Moniteur, n° 291.

[9] Moniteur, n° 291.

[10] A la Halle aux draps, le président s'écrie : Ceux qui ne voudront pas voter à haute voix n'ont qu'à s'en aller (Moniteur, n° 300). Au Panthéon, une centaine d'individus déclarent que l'on votera au scrutin public, et que si, par ce fait, le président est mandé à la barre de la Convention, il y sera accompagné par la section entière en armes (Moniteur, n° 299).

[11] 14.066, suivant le Moniteur, n° 302.

[12] Journal des débats du Club des Jacobins, n° 292, séance du 28 octobre.

[13] Voir tome IV, livre XVII, § IX, séance de la Convention du 29 octobre.

[14] Moniteur, n° 306.

[15] Voir, tome IV, livre XVII, § IV, le discours que Bidermann prononça le 28 octobre à la barre de la Convention, au nom du corps municipal.

[16] Voir, tome I, passim, la part que Boucher-René prit aux événements du 20 juin, comme délégué du maire, pour maintenir l'ordre aux abords des Tuileries.

[17] Moniteur, n° 343.

[18] Moniteur, n° 328.

[19] D'Ormesson survécut à la Terreur. Il remplit des fonctions municipales sous le Directoire et le Consulat, et mourut en 1807. Il ne faut pas le confondre avec d'Ormesson de Noiseau, l'ancien constituant, qui fut guillotiné le 20 avril 1794, avec vingt-trois autres membres du Parlement de Paris.

[20] L'article 56 de la loi du 14 décembre 1789 dont la Commune insurrectionnelle se faisait une arme pour dénoncer le corps municipal au Conseil du département, était ainsi conçu : Quant à l'exercice des fonctions propres au pouvoir municipal, toutes les délibérations, pour lesquelles la convocation du Conseil général est nécessaire, ne pourront être exécutées qu'avec l'approbation de l'administration ou du Directoire du département.

Cet article, que la Commune invoquait ainsi in extremis, était fort peu applicable, ce nous semble, à la circonstance actuelle. Boucher-René avait saisi la Convention par voie de pétition de la connaissance de faits anormaux, et lui avait demandé d'aviser. On avait répété sur tous les tons que le droit de pétition était sacré, que rien ne pouvait en gêner l'exercice, que tout citoyen avait le droit de dénoncer à la représentation nationale tout ce qui pouvait nuire aux intérêts publics. Boucher-René n'avait donc fait que ce qu'avaient fait avant lui des milliers de pétitionnaires ; mais la Commune insurrectionnelle, qui proclamait à tout propos le droit de pétition, quand il s'agissait de l'exercer à son profit, ne le reconnaissait plus lorsqu'on l'exerçait contre elle.

[21] Piorry, dans l'énumération des vacances qui se sont opérées dans le corps municipal, ne parle pas, et pour cause, des officiers municipaux qui ont été mis à mort en septembre comme Perron, ou qui ont été réduits à se cacher comme Leroux, Lafisse, et plusieurs autres.

[22] Il est bon de remarquer en passant comment le Comité do législation qualifie les individus qui siégeaient depuis trois mois à l'Hôtel de Ville.

[23] Ainsi se trouve de nouveau confirmé par un document authentique ce que nous avons dit de ces prétendues élections faites dans la nuit du 9 au 10 août, et même dans les jours qui suivirent. (Voir. tome II, livre VII, § VI).

[24] Voir le Moniteur, n° 330.

[25] Voici le texte même de cet arrêté, qui ne se trouve ni au Moniteur, ni dans le Journal des Débats et Décrets, ni dans aucun recueil imprimé :

Considérant qu'une des plus odieuses manœuvres employées centre le Conseil, et en même temps une des plus propres à troubler la tranquillité publique, est la démarche du corps municipal, présidé par le citoyen Boucher-René, faisant les fonctions de maire ;

Considérant que tout est faux et controuvé dans le rapport dudit Boucher-René à la Convention nationale, en ce qu'il a annoncé que douze membres formaient actuellement le corps municipal, tandis qu'il avoue aujourd'hui qu'il en existe vingt-deux ;

Considérant qu'il s'est rendu coupable d'une infraction à la loi en convoquant les sections pour nommer cent vingt-deux représentants seulement, quand la loi en demande cent trente-deux ;

Considérant enfin qu'il n'a pas rougi d'avancer une calomnie atroce en alléguant à la Convention nationale quo les membres du Conseil général étaient sans pouvoirs des sections, tandis que tous les pouvoirs sont vérifiés, et que l'existence légale du Conseil général a été reconnue par un décret de l'Assemblée nationale, dans lequel on déclare que le Conseil général a bien mérité de la patrie ;

Arrête 1° que le citoyen Boucher-René sera dénoncé à la Convention nationale, aux quarante-huit sections ; que le présent sera imprimé, affiché, et envoyé comme dénonciation à toutes les autorités constituées ;

Arrête 2° que la liste des douze membres, que le citoyen Boucher-René a annoncée à la Convention nationale, sera déposée sur le bureau et signée par lui, afin qu'il soit prononcé qu'elle est fausse, en ce qu'il a omis les citoyens Dreux et Lesquilliez, qui se sont exactement occupés de leurs devoirs depuis le 10 août, et qu'il leur a substitué Étienne Leroux et Lafisse, qui n'ont jamais paru au Conseil général depuis la glorieuse époque de notre révolution ;

Arrête enfin que la liste des douze membres nommés par le citoyen Boucher-René, ainsi que celle des vingt-deux composant réellement le corps municipal, seront imprimées à la suite du présent.

Le secrétaire-greffier est autorisé à faire imprimer par travail de nuit, et à ordonner l'affiche pour demain matin.

[26] Voir le texte même de ce décret dans le Journal des Débats et Décrets, n° 72, page 477.

[27] Moniteur, n° 334.

[28] Moniteur, n° 336.

[29] Moniteur, n° 333. C'est probablement cette liste que les auteurs de l'Histoire parlementaire ont reproduite ; liste incomplète et en plusieurs points erronée, ainsi que nous l'avons démontré dans la note XI du tome II.

[30] Voir la notre XVII du tome II sur les morts et blessés du 10 août.

[31] Jamais cet arrêté ne fut mis à exécution ; jamais la liste exacte et complète ne fut dressée.

[32] Hébert, Lavau, Marino et Martin.

[33] Séance du conseil général, 1er décembre 1792.

[34] Moniteur, n° 330.

[35] Moniteur, séance de la Commune, 23 novembre.

[36] Le Moniteur ne dit rien de cette adresse ; mais nous lisons, page 36 du n° 76 du Journal des Débats et Décrets : Le conseil général, avant de quitter ses fonctions, vient dénoncer Roland et demander une loi contre l'agiotage. Il proteste que, divisés, rentrant dans la classe des simples citoyens, ses membres veilleront toujours au bonheur public.

[37] Ici la Commune fait allusion à un incident important, la découverte de l'armoire de fer, dont nous parlerons dans le livre suivant.

[38] Roland aurait pu imiter la Convention et dédaigner de relever le gant que lui jetait la Commune insurrectionnelle. Il ne fit point, il est vrai, de réponse directe à la pétition de la Commune, mais il envoya au Moniteur (n° 342) une longue note signée de lui, et dont la tournure ironique trahit la coopération de madame Roland, rédacteur ordinaire des factums de son mari.

J'apprends par un journal, y disait-il, que le conseil général a un registre ouvert, une commission spéciale nommée pour recevoir et rassembler toutes les dénonciations que l'on veut bien faire contre moi ; qu'un rapport se prépare ; que le tribunal me juge déjà à l'avance... Tout cela est très-bien. De telles préventions sont le lot des hommes en place dans une république. Je le savais dès longtemps ; cela ne m'a pas empêché de désirer cette république : cela ne m'empêchera pas de la défendre. Le conseil général et moi la servons également, quoique d'une manière différente.

J'ai raison d'écrire au conseil général lettre sur lettre pour lui demander, au nom de la loi, des comptes de sa gestion pendant deux mois de désordre et de dilapidation. Il a raison, sans doute, d'employer à s'indigner contre moi le temps qui pourrait servir à répondre à mes lettres, car il en résultera, pour la chose publique, deux très-grands avantages : l'un que tant de recherches et de dénonciations amèneront nécessairement une punition exemplaire, si je suis coupable ; l'autre, qu'il sera bien constaté que le conseil général de la Commune de Paris préfère, au parti si simple de rendre ses comptes, celui de persécuter les surveillants incommodes, à qui la loi ordonne de les lui demander...

Il ne m'appartient pas de prévenir mon jugement : je n'en ai d'ailleurs pas le temps, et je ferai mieux d'attendre, pour me justifier, que le rapport, qui s'enfle tous les jours, lance enfin contre moi sa redoutable explosion. Alors, à mon tour, je jugerai mes juges. Je veux bien leur accorder ce délai et ne répondre à rien en détail que quand on verra l'ensemble.

[39] Nous n'avons pu vérifier les faits que nous venons à citer que pour trente-trois sections sur 48. Les quinze autres ont omis d'indiquer le nombre des votants et le chiffre de voix obtenues par les candidats. On ne doit voir, dans cet oubli sans doute volontaire, que le désir de ne pas faire connaître des faits analogues, et peut-être plus significatifs encore.

[40] Nous ne voulons pas accumuler les citations individuelles. Bornons-nous à citer le chiffre des voix obtenues par les personnages les plus marquants de la Commune du 2 décembre : Les deux prêtres qui conduisirent Louis XVI à l'échafaud, Jean-Claude Bernard et Jacques Roux, n'obtinrent que 24 et 46 voix dans les sections de Montreuil et des Gravilliers sur 104 et 300 votants ; Destournelles. qui devait présider le conseil général au 31 mai, et, en récompense de sa conduite dans cette journée, être appelé au ministère des finances, fut élu dans la section de la Bibliothèque par 46 électeurs ; le secrétaire de l'ancienne et de la nouvelle Commune, Coulombeau, n'obtint, aux Droits de l'homme, que 25 voix sur 155 ; Geney, le maitre tonnelier dont nous avons parlé (tome I), fut élu par 34 voix sur 213 dans la section du Finistère ; le tailleur Lechenard, dont nous avons parlé (tome II), par 39 voix sur 303 dans la section Mauconseil ; Douce, désigné sous la qualification d'ouvrier en bâtiment, n'obtint, à la Croix-Rouge, que 24 voix sur 137 votants.

[41] Voir la note VIII du premier volume.

[42] Pour tous ces divers incidents de la séance du 2 décembre, nous avons suivi les indications du procès-verbal officiel et celles du Moniteur, n° 339 ; nous les avons complétées les unes par les autres.

[43] Quelqu'un qui a été à même de voir de près les membres des deux municipalités, qui a pu apprécier leur conduite vis-à-vis des malheureux prisonniers du Temple, Cléry s'exprime ainsi dans ses mémoires : Plusieurs de ces nouveaux commissaires me donnèrent lieu de regretter leurs prédécesseurs. Ceux-ci étaient plus grossiers et plus insolents. La méchanceté des seconds était bien plus réfléchie. Les nouveaux municipaux voulaient surpasser le zèle des anciens, et ce zèle ne fut qu'une émulation de tyrannie.

[44] Voir les articles 14, 15 et 16 du titre 11 de la loi du 21 mai-27 juin 1790. Le mécanisme de cette forme compliquée d'élection a été expliqué tome I, note III.

[45] Le serment civique, décrété par la loi du 14 août 1792, pouvait être prêté par tous sans blesser aucune conscience, sans obliger qui que ce fût à renier ses opinions antérieures. Il était ainsi conçu : Je jure de maintenir la liberté, l'égalité, ou de mourir à mon poste. Voici l'addition faite à cette formule par le Conseil général de la Commune : Je jure de n'avoir jamais été d'aucune société anticivique, tels que les clubs monarchiques des Feuillants ou de la Sainte-Chapelle, et de n'avoir jamais signé ni colporté aucune pétition contraire aux droits du peuple. notamment celle des huit mille et celle des vingt mille.

Nous avons vu (tome IV, livre XIV, § II) que la Législative avait décrété que les originaux de ces deux pétitions seraient brûlés, afin que les signataires ne pussent jamais être recherchés ni incriminés.

[46] Le 19 décembre, Royer-Collard donna sa démission, malgré le désir manifesté par un grand nombre des citoyens de la section de la Fraternité de lui voir continuer ses fonctions. Nous le retrouverons encore sur la brèche à l'approche du 31 mai. (Voir les procès-verbaux de la section de la Fraternité.)

[47] Voir tome II, livre VII, § VII.

[48] Voir tome II, livre VII, § XII, et tome IV, livre XVII, § IV.

[49] Les commissaires nommés pour examiner la gestion des anciens administrateurs des subsistances déposèrent le lendemain leur rapport ; il en résultait que les bruits répandus sur les dilapidations de Bidermann et de Cousin et sur le mauvais état de l'approvisionnement en farine de la ville de Paris étaient complètement faux. (Moniteur, n° 343.)

[50] L'arrêté qui ordonnait la rédaction de cette adresse était ainsi conçu : Le Conseil, considérant que la responsabilité solidaire de ses membres serait compromise, que la République serait exposée aux plus grands périls si les fonctions importantes qui lui sont déléguées étaient confiées à des hommes qui ont démérité de la patrie et qui ne mériteraient pas la confiance du peuple ; arrête qu'il sera fait une adresse aux quarante-huit sections pour expliquer les motifs qui l'ont engagé à soumettre tous ses membres à une censure rigoureuse. (Moniteur, n° 342.)

[51] Nous avons déjà donné le texte de ces deux délibérations, t. II, p. 245.

[52] Les Jacobins y étaient entrés en majorité, 27 contre 24.

[53] La nomination de Chaumette, Hébert et Lebois par le Conseil n'était que provisoire. Quelques jours plus tard, conformément à la loi de 1790, les 48 sections furent invitées à élire le procureur-syndic et ses deux substituts. Elles ne mirent pas, semble-t-il, beaucoup de zèle à confirmer les choix de la Commune. Au premier tour de scrutin, le 6 décembre, Chaumette n'obtint que 4.586 voix sur 7.062 ; au scrutin de ballottage, le 16, Il en réunit, il est vrai, 5.089, mais son concurrent, Réal, qui en avait encore gardé 2.243, fut nommé, le 22, premier substitut. Hébert dut se contenter de la troisième place dans le ministère public établi près de la municipalité parisienne. C'était, du reste, la place qu'avait occupée Danton. Comme lui, Hébert sut en faire la première. Il devint, en 1793, ce que son prédécesseur avait été en 1792 : la véritable incarnation de la démagogie parisienne.

[54] La citation de Chaumette manquait complètement d'exactitude. Anaxagoras, de Clazomène, avait été poursuivi non pour ses principes républicains, ce qui aurait été assez bizarre à Athènes, mais bien sous l'accusation d'impiété légale ; grâce à la protection de Périclès, son ancien disciple, il ne fut pas mis à mort, mais seulement exilé. Le nouveau procureur-syndic, pas plus que ses auditeurs, n'y regardaient de si près.

La réponse de Chaumette ne se trouve pas consignée an procès-verbal officiel du Conseil général, le secrétaire l'aura peut-être omise à cause de son emphase ridicule ; mais le nouveau procureur-syndic, qui désirait qu'elle ne fût pas perdue pour la postérité, la communiqua probablement lui-même au Moniteur. Elle se trouve au n° 380 de ce journal.

[55] C'est ainsi que le désignait Merlin (de Thionville) en l'accusant de dépenser des sommes folles à répandre dans les départements les libelles girondins. (Journal des débats de la Société des Jacobins, n° 296.)

[56] Voir cette adresse dans ce même journal, n° 306, 309 et 340. On sait que Roland avait commencé sa fortune politique en se mettant, à la fin de 1794, à la tête du comité de correspondance de la fameuse société.

[57] Talleyrand avait été deux jours auparavant, le 5 décembre, décrété d'accusation, à raison de trois lettres écrites par Laporte à Louis XVI, dans lesquelles son nom était prononcé. L'ancien évêque d'Autun réclama vivement contre cette messire dans deux notes insérées au Moniteur, l'une anonyme (n° 350), l'autre signée de lui (n° 359). Dans le courant de janvier 1793, il en adressa une troisième au comité de sûreté générale. Mais toutes ses démarches furent inutiles, Talleyrand ne put obtenir sa radiation de la liste des émigrés que sous le Directoire.

[58] Voir, dans les Mémoires de madame Roland, le récit de l'étrange complot où Chabot et Grangeneuve jouaient les principaux rôles. Ce complot avait pour but de simuler un guet-apens dont les deux amis d'alors devaient être censés les victimes, et qu'on devait accuser le parti de la Cour d'avoir soudoyé.

[59] Le lendemain, Marat avait encore l'audace d'affirmer que toute cette affaire du 7 décembre n'était qu'un complot tramé par la clique Roland et par sa Pénélope, aidée de ses principaux servants, pour engager les patriotes du comité de surveillance dans de fausses démarches, et les donner en spectacle comme des imbéciles.

[60] Pour le récit de cette orageuse séance, nous avons combiné la version du Moniteur, n° 344 et 345, avec celle du Journal des Débats et Décrets, n° 80 et 84.

Le 10 décembre, un des commissaires chargés de la levée des scellés posés sur les papiers de Viard, déclara n'avoir rien trouvé d'intéressant, si ce n'est des monuments d'indigence toujours renaissante, et des preuves que cette indigence l'avait déterminé, pour subsister, à se vendre à toutes les autorités constituées. (Journal des Débats et Décrets, p. 182 du n° 83 ; Moniteur, n° 347.) Viard fut maintenu en état d'arrestation provisoire, probablement chez lui, car nous n'avons trouvé son nom sur le registre d'écrou d'aucune des prisons de Paris en décembre 1792. On lui fit subir un nouvel interrogatoire que lut Treillard à la Convention, le 20 décembre, et qui prouva simplement une fois de plus que le prévenu n'était qu'un chevalier d'industrie. (Moniteur, n° 357.) Il ne fut plus question pendant longtemps de Viard. Plus tard il fut arrêté comme l'un des complices de la conspiration dite de l'étranger, et guillotiné le 29 prairial an II, un mois après que Chabot eut porté sa tête sur l'échafaud.

[61] Journal des débats de la Société des Jacobins, n° 345.

[62] Journal des débats de la Société des Jacobins, n° 349, séance du 12 décembre.

[63] Les lettres de madame Roland à Buzot, publiées récemment par M. Dauban (Étude sur madame Roland) démontrent que cette femme célèbre, suivant à la lettre les préceptes de son maître, J.-J. Rousseau, en était venue à penser que, pourvu qu'elle réprimât l'ardeur de ses sens, elle pouvait se livrer à toute la fougue de son imagination. Elle n'avait pas hésité, on le sait pertinemment aujourd'hui, à faire connaître à son mari, au père de sa fille, qu'elle avait transporté sur un autre l'affection qu'en public elle se faisait gloire de lui porter. C'est sans doute à l'époque où nous sommes arrivés (décembre 1792-janvier 1793) qu'elle fit à Roland cette étrange confidence, car c'est à partir de ce moment qu'on voit le ministre de l'intérieur, qui avait toujours rejeté bien loin toute idée de démission, se laisser prendre d'un incroyable découragement, puis, sous un prétexte futile, résigner ses fonctions. Il ne fallait rien moins que l'abandon moral de la femme qui inspirait toutes ses pensées, toutes ses actions, pour briser une force de volonté jusqu'alors inébranlable. Cette démission fut le signal de la déroute du parti girondin. Madame Roland, pour avoir mêlé le roman à la politique, la Nouvelle Héloïse au Contrat social, ne contribua pas peu à ce triste résultat.

[64] T. III, livre IX, § VI et livre XII, § VIII.

[65] Cet officier municipal n'était autre que le citoyen Duffort, que Paris avait introduit dans le comité de surveillance et qui, quelque temps après, fut véhémentement soupçonné de s'être livré à d'insignes dilapidations pendant les journées de septembre. (Voir Moniteur de 1792, n° 321.)

[66] Voici le texte même du décret du 11 septembre :

L'Assemblée nationale, après avoir décrété l'urgence, décrète ce qui suit :

Le tribunal criminel, établi par la loi du 17 août dernier, connaîtra provisoirement, et jusqu'à ce qu'il en ait été autrement ordonné, dans la forme prescrite par la loi du 19 du même mois, de tous les crimes commis dans l'étendue du département de Paris ; il sera nommé, par chaque canton du district du bourg de l'Égalité et de Saint-Denis, deux jurés d'accusation et deux jurés de jugement dont il sera formé une liste séparée, et ils ne seront convoqués que pour le jugement des délits commis dans l'étendue desdits districts.

A partir de ce moment, le tribunal prit le titre de Tribunal extraordinaire, établi par la loi du 17 août pour juger souverainement les crimes et délits commis le 10 août dernier, circonstances et dépendances, est encore institué par la loi du 14 septembre pour juger tous les délits commis dans l'étendue du département de Paris, et ce provisoirement. (Bulletin du tribunal extraordinaire, n° 42 et suivants.)

Cette extension exorbitante donnée à une juridiction exceptionnelle, dont les arrêts étaient exécutoires dans les vingt-quatre heures, sans recours en cassation, avait dépouillé par le fait le tribunal criminel ordinaire de toutes ses attributions. Celui-ci ne tarda pas à se plaindre. L'Assemblée eut honte de ce qu'elle avait fait et lui rendit quelques-unes de ses attributions par le décret explicatif du 20 septembre :

L'Assemblée nationale déclare que dans l'attribution qui accorde au tribunal criminel, établi à Paris par la loi du 17 août 1792, la connaissance provisoire des délits commis dans l'étendue du département de Paris, elle n'a pas entendu comprendre les affaires existant au tribunal criminel dudit département à l'époque du décret, en vertu d'actes d'accusation admis par les jurés d'accusation établis près les tribunaux civils, comme aussi ne sont point compris dans cette attribution les crimes de faux, péculat, concussion et autres, sur lesquels il ne peut être statué que par des jurés spéciaux.

Le Moniteur se contente de mentionner l'adoption des décrets des 14 et 20 septembre, et ne donne aucune explication. Le Journal des débats et décrets, n° 350 et 360, est plus explicite.

[67] Voir t. IV, livre IX, § I.

[68] Le Bulletin du tribunal criminel du 17 août, n° 23-25, 32-34, contient le résumé de deux affaires extrêmement curieuses, dans lesquelles un sieur Louvatière, qui s'était improvisé aide de camp de Santerre, et un sieur Stévenot, commissaire de la section de la Butte-des-Moulins, étaient accusés de concussion et d'usurpation de fonctions publiques. Ces deux procédures peuvent faire juger quelle anarchie régnait dans Paris pendant les mois d'août et de septembre 1792. Louvatière fut acquitté, Stévenot condamné à douze ans de fers.

[69] Voir ce qui a été dit du procès de d'Angremont, t. III, livre IX, § VII in fine.

[70] Voir t. III, livre XII, § V.

[71] Le recueil de ces lettres n'occupe pas moins d'une douzaine de numéros du Bulletin du tribunal extraordinaire du 17 août. Il fallait être bien dépourvu de preuves concernant les complots attribués à la cour, pour prêter la moindre attention à cette correspondance. On y voyait un vieillard retiré au fond d'une campagne, à plus de trente lieues de Paris, accabler de ses conseils et de ses projets un employé subalterne, qui probablement ne les prenait pas lui-même au sérieux et ne les communiquait à personne. Dans tout autre temps, on eût envoyé Cazotte aux Petites-Maisons ; en 1792, on l'envoya à l'échafaud.

[72] Ce n'était pas la première fois que Lavau enveloppait ainsi une sentence de mort dans une allocution sentimentale. Voici le discours qu'il avait adressé quelques jours auparavant à l'agent de la police secrète Roussel (Bulletin du tribunal criminel, n° 43) : Victime sacrée de la mort, je peux encore t'adresser des consolations ; le crime que tu t'es permis criait vengeance contre toi ; il te poursuivait ; il t'a atteint... Regarde sans frémir le supplice qui t'attend. Ce n'est plus la mort qui doit t'étonner. Ton pays est libre et tu as voulu lui donner des fers ; voilà ta véritable peine !...

[73] Nous avons retrouvé les deux pièces suivantes qui concernent Élisabeth Cazotte :

Le concierge des prisons de la Conciergerie du Palais gardera en dépôt mademoiselle Cazotte jusqu'à nouvel ordre, sur la réquisition du commissaire national. Ce 24 septembre 1792, l'an Ier de la République.

LEGANGNEUR,

J.-A. LAVAU,

Commissaire national près du tribunal du 17 août.

Président.

 

Je prie le concierge des prisons de la Conciergerie du Palais, à Paris, de laisser sortir mademoiselle Cazotte, que je lui ai laissée en dépôt. Ce 25 septembre 1792, an Ier de la République.

Signé : LEGANGNEUR,

Commissaire national.

[74] A l'occasion de cette suppression, nous ne devons pas omettre une lettre qui montre comment les juges du tribunal du 17 août faisaient valoir les services qu'ils rendaient à la chose publique :

Paris, 14 octobre 1792.

Citoyen ministre,

La haute cour nationale a coûté trois millions et n'a jugé que trois petites affaires. Le tribunal criminel, établi par la loi du 17 août, est à son vingtième procès, et sa dépense ne s'élève pas à dix mille francs, compris tous les frais de bureau. Veuillez bien, en faisant va-Joie cette comparaison, demander avec toute l'énergie dont vous êtes capable le payement des appointements des membres d'un tribunal aussi économique pour la République.

DU BAIL,

HARDY.

Vice-président de la deuxième section du tribunal.

 

[75] Décrets des 3, 9, 12, 13 et 18 septembre 1792.

[76] Les quatre autres membres de la commission militaire étaient Louis Lestrange, colonel ; Louis Carrois, lieutenant adjoint à l'adjudant général ; Claude Sablot, canonnier ; Antoine Marly, gendarme. — Voir le Bulletin du tribunal criminel extraordinaire, n° 35-39.

[77] En vertu du décret du 9 octobre 1792, des commissions militaires, à l'instar de celle de Paris, se formèrent auprès de chaque corps d'armée. Il est extrêmement difficile de se rendre compte du nombre d'exécutions qu'elles ordonnèrent. Nous l'essayerons cependant au moment où nous décrirons les procédés et compterons les victimes des tribunaux révolutionnaires et des commissions militaires.

[78] Ces rentrées clandestines furent notamment signalées par les représentants alors en mission dans le département du Nord, du Pas-de-Calais et des Ardennes ; les autorités municipales de Boulogne annonçaient aussi à la Convention qu'à chaque marée débarquaient un certain nombre de Français qui avaient longtemps séjourné à l'étranger.

[79] Moniteur, n° 328, séance du 22 novembre.

[80] Moniteur, n° 323 et 331.

La princesse Adélaïde d'Orléans était comprise dans le texte de la loi comme ayant résidé quelque temps en Angleterre, et comme ne pouvant justifier sa résidence à l'étranger ni par une mission du gouvernement, ni par les besoins d'un commerce quelconque. Elle fut obligée de sortir du territoire de la République et de se réfugier à Tournay, où elle habita pendant tout le temps de l'occupation de la Belgique par l'armée française. Mais, après la défection de Dumouriez et l'arrestation de son père, elle fut déclarée bien et dûment émigrée.

Nous avons retrouvé sur le registre spécial des délibérations du corps municipal de Paris les deux pièces suivantes qui ont trait à cet incident :

Le 27 novembre 1792, les citoyennes Louise-Adèle-Eugénie-Egalité, Stéphanie-Félicité Sillery, et Henriette Sercey se sont présentées au corps municipal ; elles ont déclaré que, bien qu'elles se fussent absentées pendant un certain temps pour raison de santé et d'éducation, elles ne se regardent cependant pas comme émigrées, et que c'est par respect pour la loi qu'elles s'engagent à sortir de la République, si elles ne sont pas comprises dans la loi d'exception qui sera portée par la Convention nationale, et si la Convention n'a pas prononcé sur la réclamation qu'elles ont faite avant la quinzaine, terme prescrit, et ont signé.

Le corps municipal a ordonné de délivrer acte aux susdites citoyennes pour leur servir et valoir ce que de raison.

Le corps municipal prenant en considération la déclaration faite par les citoyennes Louise-Adèle-Eugénie-Égalité, Stéphanie-Félicité Sillery et Henriette Sercey, portant qu'en exécution de la loi, elles se préparaient à quitter le territoire de la République si elles ne sont pas comprises dans la loi d'exception qui sera portée par la Convention nationale, autorise la section de la fontaine de Grenelle, dans l'arrondissement de laquelle lesdites citoyennes résident, à leur délivrer sans délai des passeports pour les mettre en état d'obéir à la loi.

La citoyenne Stéphanie-Félicité Sillery n'était autre que la fameuse comtesse de Genlis, qui avait quitté son titre pour obéir aux lois de l'époque.

[81] Cette pièce n'est donnée ni par le Moniteur ni par le Journal des débats et décrets. La minute que nous avons retrouvée est revêtue de la signature de Fouquier-Tinville, Naulin, Desvieux, Maire, Dobsen, Scellier, qui devaient siéger au tribunal révolutionnaire. Il faut convenir que de tels hommes avaient bien raison de protester de leur justice et de leur humanité.

[82] Moniteur, n° 303.

[83] Ce fut Garran-Coulon, le président du Comité de législation, qui eut l'honneur de présenter ces deux décrets réparateurs. Ils furent adoptés l'un et l'autre presque sans discussion. (Journal des débats et décrets, n° 57, p. 255 ; n° 70, p. 479.

[84] Bulletin du tribunal criminel, n° 55.

L'accusateur public attaché au tribunal du 17 août était, on le sent au ton de son discours, fort attristé d'être obligé de déposer la toge au moment même où l'écharpe municipale venait de lui être refusée par les sections qui, l'avant-veille, lui avaient préféré, comme nous l'avons vu plus haut, le médecin Chambon. Mais, quelques jours après, il fut dédommagé de ce double échec par les électeurs du deuxième degré qui avaient envoyé Robespierre, Danton et Marat à la Convention. Ils lui décernèrent l'important emploi de procureur général syndic du département de Paris, qu'il conserva pendant presque toute la Terreur.