HISTOIRE LA TERREUR 1792-1794

NOTES, ÉCLAIRCISSEMENTS ET PIÈCES INÉDITES

 

VIII. — LETTRES CONFIDENTIELLES RELATIVES À LA CAMPAGNE DE L'ARGONNE ET À LA RETRAITE DE L'ARMÉE AUSTRO-PRUSSIENNE EN 1792.

 

 

La campagne de l'Argonne a été racontée avec les plus grands détails par tous les historiens de la Révolution. Aussi avons-nous essayé, dans le cours de notre récit, d'en résumer le plus brièvement possible les faits les plus importants, afin de réserver une plus large place au récit beaucoup moins épuisé de ce qui se passait à cette époque à la Convention et au club des Jacobins. Mais nos recherches nous ayant permis de réunir un certain nombre de lettres confidentielles et inédites qui jettent un jour nouveau sur plusieurs points historiques relatifs à cette campagne et lui donnent sa véritable physionomie, nous avons cru devoir les publier presque sans commentaires en les accompagnant seulement de notes qui indiquent : 1° les événements auxquels certains passages font allusion 2° la concordance qui existe entre la correspondance intime et les lettres ostensibles signées souvent des mêmes personnes. On a ainsi le récit confidentiel mis en regard du récit officiel. C'est au lecteur à comparer les différences que l'on rencontre souvent entre ce qui se disait tout haut et ce qui se pensait tout bas.

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Dumouriez, général en chef de l'armée du Nord, à Servan, ministre de la guerre.

 

Sainte-Menehould, le 11 septembre 1792, l'an IVe de la Liberté.

 

Je ne peux pas m'empêcher de vous dire, mon cher Servan, qu'en voulant réparer le mal qui est arrivé dans le département du Nord, vous faites un autre mal irréparable, car vous allez être cause de la désorganisation du corps excellent que m'amène Beurnonville.

Je ne connaissais point M. de Ruault ; c'est sur la recommandation du sage et vertueux La Bourdonnaye que je l'ai proposé pour maréchal de camp, pour le suppléer à Lille ; vous l'en ôtez ; sans doute il l'a mérité, mais il est possible que cet homme qui n'a pas assez de tête pour être en chef soit bon avec La Bourdonnaye ainsi, écrivez-lui sur cela.

Le premier mal a été d'ôter La Bourdonnaye du commandement général, et je ne vous connais d'autre moyen que de le renvoyer en chef.

Beurnonville est excellent pour l'armée et ne vaut rien pour un commandement stable. Il n'est pas encore assez fait pour cela. Les détails l'impatienteront il sera fâché de ne pas être à la guerre et avec moi ; le corps de troupes qu'il amène sera découragé. D'ailleurs je n'ai que lui pour les avant-gardes, car Dillon ne vaut rien du tout ; je m'en rapporte à ce que vous dira le commissaire Pâris. Je vous prie même de le rappeler au plus tôt pour m'éviter la contradiction de le destituer, après l'avoir soutenu contre votre opinion à tous, parce que je lui croyais des talents militaires qu'il n'a pas.

Quelque utile que puisse être La Bourdonnaye auprès du maréchal pour le salut de la patrie, donnez-lui le commandement en chef de l'armée du Nord, et faites-le marcher avec dix mille hommes du camp de Soissons. Je lui donnerai tous les conseils de mon expérience et de l'amitié ; mais il est nécessaire en Flandre, où il est aimé. Répondez-moi courrier par courrier. Vous vous plaignez, mon ami, de ce que je fais trop d'officiers généraux, et nous n'en avons pas assez ici debout.

Chazot n'a pas de santé et ne peut qu'être attaché au. corps de bataille. Il faut absolument renvoyer Dillon, que les commissaires de l'Assemblée et moi-même avons jugé trop favorablement. Dubouquet, Duverger, Diethmann sont de vieux routiers, honnêtes gens, mais sans de grands talents. Stengel est le seul bon officier que j'aie ; Miaczinski et Mouet, sont deux étrangers le dernier n'a qu'un baragouin inintelligible et ne peut pas mener nos troupes.

Je fais venir Beurnonville pour mon avant-garde il a encore besoin de mes conseils ; il a la confiance des troupes, à cause de sa figure, de sa bravoure, de sa loyauté ; j'en aurais fait en six mois un bon général ; vous me l'ôtez pour le charger d'un commandement au-dessus de ses forces. Vous m'ôtez Dampierre, qui de même est un général de main et n'a ni les talents, ni l'âge pour un commandement stable. Desforêts, que vous laissez pour conduire le renfort, est plus propre dans une place et n'a pas cette réputation patriotique qui peut maintenir dans ce renfort l'esprit du camp de Maulde.

Je vous prie, pour le salut de fa patrie, de changer cette disposition ; si je n'ai pas de coopérateurs à mon choix, je ne réponds plus de rien. J'ai encore besoin de deux officiers généraux excellents que je vous demande. L'un est M. de Pouthier, colonel du 21e régiment de cavalerie, qui a sauvé son régiment ; l'autre est M. Neuilly, colonel de dragons, qui est propre à tout.

Je retourne ce soir à mon camp ; et, à tout hasard, je vais renvoyer le général Duval au-devant des dix mille hommes que je n'ai fait venir de Flandre qu'à. regret et sur votre sollicitation, car je craignais de dégarnir ce côté aussi ne m'y suis-je décidé qu'après la prise de Verdun, et à l'extrémité. Je peux, si vous voulez, renvoyer en Flandre M. de Vouillers, chef de mon état-major, et je reprendrai Moreton, mais c'est encore faire tort à La Bourdonnaye, qui est nécessaire en Flandre. Vous me direz qu'il est utile auprès du maréchal ; point du tout, donnez-lui des commissaires civils et il ira bien.

Mon dernier mot est que, si vous ne vous dépêchez pas d'envoyer La Bourdonnaye en Flandre, ce pays est perdu ; que Beurnonville ne peut pas le suppléer et qu'il m'est nécessaire ici, parce que je n'ai que lui, Stengel, Duval et Neuilly, à employer détaches. Je serai ce soir à Grandpré.

Le général en chef de l'armée du Nord,

DUMOURIEZ.

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Beurnonville au maréchal Luckner.

 

A La Cheppe, le 16 septembre 1792.

 

Monsieur le Généralissime,

J'avais eu le bonheur d'échapper cette nuit au nombreux ennemi qui s'oppose à ma jonction avec M. le général Dumouriez à deux heures elle devait être faite à Dammartin, mais j'ai trouvé l'ennemi placé à Contrevout, entre M. Dumouriez et moi ; je suis forcé de me replier sur Châlons, où j'arriverai à sept heures du soir. Je vous supplie d'ordonner que l'on m'envoie bois et paille pour près de onze mille hommes accablés de fatigue, qui ont huit jours et trois nuits de marche sans relâche, par la pluie, par la boue, par la traverse, et qui meurent de fatigue, mais pleins de zèle pour se réunir à leurs braves camarades.

Voilà quatre nuits, Monsieur le Général, que nous ne dormons point, nous comptons sur vos bontés. J'ai besoin d'un logement de trois mille hommes d'avant-garde, le reste campera.

Je demande repos pour demain, et après je serai au général Dumouriez. Je crois qu'il sera attaqué ce soir, je l'en préviens, et vous prie de lui faire parvenir diligemment ma lettre.

Le lieutenant général,

BEURNONVJLLE.

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Dumouriez à Philippe Devaux, son aide de camp[1].

 

Le 18 septembre, à deux heures, au camp du Braux.

 

Dites à mon brave ami Kellermann, mon cher Devaux, que je crois qu'il n'y a pas d'inconvénient à ce qu'il campe à Dampierre, mais que je serais bien aise. pour prouver à mon armée quels secours lui arrivent, qu'il m'envoyât soit des ordonnances, soit des détachements de plusieurs espèces de troupes pour qu'on les vît dans le camp. Il n'y a rien qui paraisse en avant de mon front de ce côté-ci de la Tourbe, dont j'ai fait couper tous les ponts. Le général Stengel observe tout ce fond.

C'est le général Duval qui est attaqué du côté de ce bois, entre l'Aisne et la forêt. Il m'annonce trois colonnes de plus de vingt-cinq escadrons de cavalerie. Je lui ai envoyé cinq bataillons de renfort. J'en ai envoyé deux à Florent avec deux pièces de position ; je lui ai conseillé de perfectionner les abêtis qu'il a commencés, pour n'être pas tourné par le bois ; il a coupé tous les ponts et il a sept mille hommes, dont moitié d'excellente cavalerie, pour tomber sur les têtes de colonnes en cas qu'elles s'avisent de vouloir passer le canal de la Biesme devant lui. C'est une attaque à faire périr beaucoup de Prussiens. J'espère qu'ils n'en tenteront pas une sur la Tourbe : si cela était, j'aurais le temps d'avertir mon ami Kellermann, et il aurait le temps de. m'envoyer du secours. J'ai le plus grand désir de l'embrasser.

Le général d'armée,

DUMOURIEZ.

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Le général Dumouriez au général La Bourdonnaye.

 

Quartier général de Sainte-Menehould, le 19 septembre 1792, l'an IVe de la Liberté, et le 1er de l'Égalité.

 

Je vous envoie sur-le-champ, mon cher La Bourdonnaye, le pauvre Valence[2], comme vous le désirez je suis enchanté qu'enfin on ait suivi mon avis, quoique un peu tard, et qu'on ait remis en vos mains le commandement de l'armée du Nord, qu'on n'aurait jamais du vous laisser quitter un seul moment. Je vous enverrai à Valenciennes tous les papiers qui concernent ce commandement, et je vous conseille de laisser à Lanoue les détails du camp de Maubeuge et de l'arrondissement de Rocroy, Philippeville, Marienbourg et Givet. Gardez-vous Malus ? si vous voulez Vouillers, qui est un homme sage et de détails, envoyez-moi Moreton et nous ferons l'échange.

J'ai été plus brave que vous pour mon adresse à l'armée de Chatons je Fai fait publier ici à l'ordre aux sept bataillons que vous m'avez envoyés, ils ont été très-souples et m'ont promis monts et merveilles ; je leur tiendrai parole et je ne les raterai pas. Si je ne prenais ce parti, ils ruineraient mon armée et finiraient par me pendre, ce que je ne suis point du tout d'humeur à endurer. — Les Prussiens sont accablés de maladies, exténués de fatigue et mourant de faim. En tenant cette position-ci, j'achèverai de ruiner leur armée ; c'est l'affaire de quinze jours et je réponds du succès, à moins de crise fâcheuse dans t'armée même, ce qui, j'espère, n'arrivera pas. Ainsi tenez-vous sur la défensive les Autrichiens ne peuvent faire aucun siège il est trop tard et ils n'ont pas ce qu'il faut. Je vous promets avant le 10 octobre de mener trente ou quarante mille hommes à votre secours, et de pénétrer encore cet hiver en Brabant. Je vous conjure de bien examiner l'instruction que j'ai laissée à Moreton, de pousser la levée des bataillons francs et surtout celle des Belges. Faites venir Maret, qui est auprès de vous. Voyez ce qui reste des six cent mille francs, et demandez six cents autres mille francs qu'il faut vous envoyer sans délai. Vous pouvez envoyer copie de ma lettre au Conseil exécutif pour appuyer vos demandes. Donnez-moi de vos nouvelles. Votre présence vaut beaucoup dans un pays où vous êtes aimé et estimé. Notre tendre et sincère amitié ajoutera encore au concert qui va s'établir entre nous, et j'espère que nous finirons cette guerre heureusement ensemble. Je vous embrasse.

Le général en chef de l'armée du Nord,

DUMOURIEZ.

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Dumouriez à Biron.

 

Sainte-Menehould, 25 septembre 1792.

 

Tout se réunit ici, mon cher Biron ; le roi de Prusse s'est fourré dans le guêpier et meurt de faim. Vous m'avez mande que vous avez quinze mille hommes prêts. Faites-les marcher par Metz et Toul sur Bar avec la plus grande diligence. Là, je leur indiquerai les moyens de couper la communication de Verdun. Ne perdez pas de temps, nous tenons les ennemis, et sous quinze jours nous pouvons ruiner leur armée et terminer la guerre.

Votre ami,

DUMOURIEZ.

P. S. Je réunis ici près de cent mille hommes. Je couvre Reims, Châlons et Vitry votre corps d'armée achèvera le reste.

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Dumouriez, général en chef de l'armée du Nord, au ministre de la guerre.

 

Sainte-Menehould, le 26 septembre 1792, l'an IVe de la Liberté, le 1er de la République.

 

J'ai reçu, ministre citoyen, votre lettre du 23, par laquelle vous me demandez des lettres plus fréquentes et plus détaillées. Si tout était en bon ordre, si tout marchait comme je le désire, je n'aurais à faire que mon métier de général, et alors j'aurais du temps de reste pour vous écrire ; mais je suis obligé de faire tous les métiers et de passer à tout moment au travers de toutes les contrariétés.

Le petit nuage est entièrement dissipé entre Kellermann et moi. Je lui ai développé mon plan il l'entend parfaitement bien, il l'a entièrement adopté, et nous sommes convenus de tous nos faits ; mais je n'en crois pas moins nécessaire que vous donniez une décision sur le commandement du plus ancien, quand deux armées sont réunies, pour tout le temps qu'elles passent ensemble. Vous devez être sûr que je n'en abuserai pas et que je ferai faire par amour ce que je pourrais exiger par droit. Kellermann me fait dire que vous lui écrivez une lettre très-pressante pour l'engager à se porter sur Chatons. Je vous avoue, mon cher Servan que je pourrais être un peu étonné de ce que vous vous adressez séparément à un des deux chefs de t'armée 1° parce que vous avez l'air de craindre que je m'obstine à garder ma position de Sainte-Menehould ; 2° parce que, si Kellermann prenait au pied de la lettre votre dépêche, ou il me forcerait la main et dérangerait mon plan, ou il partirait seul et m'abandonnerait à l'ennemi. Si j'ai votre' confiance, comme vous me le mandez dans toutes vos lettres, n'écrivez rien qui puisse me faire croire le contraire ; sinon, je vous demanderai des ordres, je les exécuterai, et vous répondrez de tout. Ne vous laissez point aller par l'es frayeurs de la ville, et analysons de sang-froid ma conduite depuis l'ouverture de la campagne.

Je suis arrivé à Sedan le 28 d'août la totalité de l'armée du traître La Fayette était de dix-sept à dix-huit mille hommes. Le roi de Prusse et Clerfayt en avaient quatre-vingt mille contre moi je leur ai tenu tête, sans être entamé, jusqu'au 15 de ce mois.

Depuis lors, au moyen des différentes réunions, j'ai rassemblé au camp de Sainte-Menehould cinquante-huit mille hommes. Ce camp, contre lequel on crie tant à Paris, a tenu si bien en échec l'armée prussienne, que, quoique placée entre Reims et Châlons et moi, elle n'a osé pénétrer ni à Reims ni à Chatons.

Je suis arrivé au point d'épuiser cette armée par tes bivouacs, la famine, les maladies et la désertion. J'ai eu l'avantage dans tous les combats particuliers c'est en quoi le brave Kellermann m'a vigoureusement aidé. J'ai été le Fabius, il a été le Marcettus.et nous minons sensiblement l'Annibal Brunswick. Après avoir joué le rôle de temporiseur tout le temps nécessaire pour en imposer à ces fameux généraux prussiens, lorsque j'ai appris qu'ils avaient écrit pour recevoir des secours, j'ai fait un plan pour réunir soixante-dix à quatre-vingt mille hommes, avec lesquels je vais les forcer à faire un mouvement. En attendant, nous nous amusons mutuellement avec de vaines négociations dont j'ai tout t'avantage, parce que cette espèce de trêve donne l'occasion à nos postes avancés d'inonder les leurs du décret des déserteurs en allemand. Vous verrez, par le plan développé dans la dépêche que vous porte M. Vialla, que par mon projet de réunion je couvre également Chatons et Reims sans découvrir Vitry. Je tiendrai cette nouvelle position beaucoup plus facilement encore que celle de Sainte-Menehould. Je recevrai mes convois avec une extrême facilité et j'embarrasserai fort l'ennemi, à qui je ne laisserai pas même la ressource désespérée de hasarder une bataille. Si, au lieu de cela, nous nous divisions, le général Kellermann et moi, nous courrions risque l'un et l'autre de nous voir accablés par la totalité des Prussiens avant 'd'être secourus ; nous nous éloignerions trop de l'ennemi, nous laisserions trop de terrain à sa disposition et nous intimiderions nos deux armées, parce que nous aurions l'air de fuir un ennemi qui n'ose nous attaquer.

Le général Dubouquet est déjà rendu d'hier au soir au Frêne ; sa cavalerie légère est en avant de lui sur Tilloy. Voilà donc notre communication de Châlons bien parfaitement rétablie. Quant à celle de Reims, comme j'espère que, le 28 ou le 29 au plus tard, le général d'Harville sera campé à Auberive sur Suippe, alors je pourrai faire mon mouvement par la gauche et déborder la droite du roi de Prusse. Je fais partir aujourd'hui les gros équipages pour Vitry, ainsi que Kellermann les siens, afin d'être moins embarrassé dans nos mouvements, et, vers le 30, j'exécuterai ma grande disposition ; jusque-là, rien ne périclite, et si vous montrez mon plan au patriote Laclos, je le fais juge hu-même de cette disposition militaire.

J'attends ce que mon ami Le Brun me mandera sur les propositions de l'aide de camp général Manstein il a diné chez moi hier avec Kellermann,. Valence et les deux princes Égalité. Je lui ai remis le Moniteur, et je lui ai expliqué avec beaucoup de franchise que le roi de Prusse, s'il voulait traiter, devait )e faire avec la Convention nationale. J'ai aujourd'hui chez le roi de Prusse M. Thouvenot, adjudant général, pour traiter l'échange des prisonniers. Je crois que, malgré la répugnance du monarque prussien, on me rapportera de nouvelles propositions. Je les ferai passer sur-le-champ par un courrier..J'avoue que je suis intimement persuadé que rien ne serait plus heureux pour la France que de détacher le roi de Prusse jusqu'à présent je ne suis que la raquette qui reçoit et qui renvoie les propositions de négociations. Comme les Prussiens paraissent me témoigner une confiance exclusive, parce que j'ai été ministre des affaires étrangères, je pourrai, si la République le juge à propos, et si on m'envoie des bases, travailler activement et profiter des circonstances. J'attends sur cela des ordres ultérieurs, mais on peut être persuadé que la négociation ne dérangera en rien mes opérations militaires, et que dans la position militaire où nous sommes, j'aime mieux couper le nœud gordien que le délier. Il faut nécessairement que le roi de Prusse 1° reconnaisse la République et traite avec elle 2° rompe la convention de Pillnitz 3° évacue les places de Longwy et Verdun qu'il a prises et remmène ses troupes 4° ne se mêle point de notre guerre avec la maison d'Autriche, et déclare qu'il ne la regarde point comme une guerre d'empire 5° se contente d'une simple intercession en faveur de Louis XVI ; sans rien exiger à cet égard ; 6° laisse terminer par une discussion juridique l'affaire des princes possessionnés.

Si ces six articles, avec peut-être quelques modifications, peuvent être accordés, il s'ensuivra très-vite un traité d'alliance entre la France et la Prusse qui donnera, presque sans combattre, la liberté aux peuples de la Belgique. Je n'ai rien entamé à cet égard avec M. Manstein, mais dans la conversation d'hier je lui ai fait entrevoir l'impossibilité de traiter autrement, et le peu d'intérêt que mettent les Français à traiter de quelque manière que ce soit. Je saurai ce soir quelle impression ma conversation a pu faire au quartier général.

Vous pouvez annoncer à nos pères conscrits que les soldats montrent autant de persévérance que de courage ; que, quoique sans pain depuis deux jours par la lenteur des convois, non-seulement ils ne murmurent pas, mais que, plus ils souffrent, plus ils semblent redoubler de confiance en leurs généraux. Je vais encore faire quelques exemples pour achever d'établir l'obéissance aux lois. Dans l'armée de Dubouquet, on ne parle que de couper des têtes. J'ai écrit une lettre qui, j'espère, fera effet. Si cela ne suffit pas, je prendrai d'abord le parti de chasser avec infamie les motionnaires, et, si cela ne suffit pas encore, j'en ferai faire une justice sévère et expéditive. Les troupes républicaines doivent avoir, avec moins de châtiments avilissants, une discipline plus austère que les satellites des despotes.

Le général en chef de l'armée du Nord,

DEMOURIEZ.

 

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Beurnonville à Dumouriez[3].

 

J'ai trouvé sur les journaux que le général Kellermann n'a pas oublié les louanges pour son armée le jour de l'affaire du 20. Je n'en demande point pour moi, mais dites quelque chose pour votre avant-garde à mes ordres elle lit elle verra avec plaisir que vous ne l'oubliez pas.

Voilà plus de 250 prisonniers dans la semaine ; mais depuis hier à aujourd'hui, 200 prisonniers, émigrés officiers de la maison du roi, régénérée à Coblentz, 1 aumônier, 80 chevaux, 24 chariots chargés voilà le résultat de mes prises dans quarante-huit heures.

Tués, 27 hussards et fantassins, et l'officier commandant les hussards.

Assaisonnez ce bulletin pour louer votre avant-garde sur le premier journal. Vous avez fait trêve de feu, mais je n'ai point cessé de courir sur le butin ; aussi tous mes hussards ont des montres et de l'or.

AJAX[4].

Ajax se rappelle à MM. les commissaires, et surtout à Ulysse qui a de si bon vin de Sillery, à qui il présente ses hommages.

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Beurnonville à Dumouriez.

 

La Neuville-au-Pont, le 29 septembre 1792.

 

Comme j'aime à vous faire plaisir, mon cher général, je joins aux 18 chariots de ce matin l'envoi d'environ 70 prisonniers, savoir 1 sergent, 1 chirurgien, 46 soldats, un Liégeois, 3 domestiques, 4 femmes, plus deux hussards déserteurs de Chamboran ; plus MM. de Boisseuil, émigré, se disant major de la nouvelle gendarmerie, Detrès de Tissard, officier aux gardes françaises, et de Nauvray, officier de chevau-légers, avec M. Girard, aumônier des hussards Lauzun. Demain matin j'espère vous envoyer autre chose mes corsaires sont en course.

J'envoie le commissaire des guerres et un adjoint pour voir si, dans l'envoi que je fais, il y a des chemises, souliers et eau-de-vie, afin que vous fassiez donner à l'avant-garde ce qu'elle a besoin de ces objets qui lui manquent.

Je vous embrasse, bien content de votre fils aîné.

BEURNONVILLE.

Je vous recommande ces b..... d'émigrés qui ont l'air de pendards et qui nous font tant de mal. Vous voyez ici qu'on les abandonne à la sévérité des lois.

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Westermann au ministre de la guerre.

 

Du quartier général de Sainte-Menehould, le 30 septembre 1792.

 

Mon général,

MM. les députés de l'Assemblée nationale ont été hier aux deux armées, et avant-hier à celle de M. Dubouquet, ils ont harangué les soldats avec force et un Vive la nation ! Vive la république ! est devenu le refrain général de l'armée. J'ai parlé à M. Kellermann ; les deux généraux ont resserré de nouveaux nœuds d'amitié ; l'amour-propre ni de l'un ni de l'autre ne fera souffrir la chose publique, quoique vous en ayez été effrayé un instant. L'ennemi lève dans le moment son camp, et nous le nôtre pour le suivre nous ne savons pas encore où il porte sa marche. Soyez parfaitement rassuré sur notre position l'ennemi est aux abois, nous lui avons coupé sa communication avec Verdun ; 105 prisonniers avec 27 voitures de vivres ont été le fruit du courage du brave Beurnonville ; il y a 8 émigrés au. nombre des prisonniers ; nos hussards avaient déjà pris 60 voitures de vivres, mais le bataillon de la section des Lombards de Paris devant soutenir ce convoi a pris la fuite à l'approche d'un escadron de hussards ; ces malheureux crièrent aussitôt, en fuyant, à la trahison, et qu'on les conduisait à la boucherie nos hussards, forcés d'abandonner leur proie, ont coupé les jarrets à 40 chevaux, et ont amené encore 6 de ces voitures. 25 volontaires de ce bataillon des Lombards ont eu la tête rasée, et ont été chasses en veste[5].

Je n'entrerai dans aucun détail sur la négociation avec les Prussiens. M. Dumouriez a fait imprimer le tout, qui va vous parvenir, et MM. les députés de l'Assemblée nationale vont de même en rendre compte[6].

Je vous demande pardon de mon griffonnage ; les chevaux sont à la porte pour suivre l'ennemi.

Je suis avec respect, mon général,

Votre très-humble et très-obéissant serviteur,

WESTERMANN.

J'apprends par des paysans près du camp de l'ennemi que, chaque jour, ils enterrent une grande quantité de monde.

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Westermann à Pétion.

 

Du quartier général de Sainte-Menehould, le 30 septembre 1792, à onze heures du soir.

 

Monsieur le Maire,

Nous n'avons pas eu d'attaque ; l'ennemi s'est replié pour se rapprocher de ses magasins. Il s'est campé à Saint-Jean-sur-Tourbe. Le chirurgien-major de l'armée a visité le camp qu'ils ont abandonné. Il dit qu'il est pestiféré et qu'il faut y brûler beaucoup de vinaigre et autres choses. Demain toute la route de Châlons sera bien garnie ; notre communication y est rétablie. Je vous envoie des lettres du général Beurnonville à M. Dumouriez, où vous verrez ses projets et ses prises ; elles me dispensent d'entrer en détail. Demain je vous enverrai une espèce de supplique des Prussiens et la réponse imprimée de M. Dumouriez, après le manifeste de Brunswick. Je sors des prisons ; tous les prisonniers sont d'accord que l'armée prussienne et autrichienne est attaquée de la dysenterie. Sur 200 prisonniers, 45 sont à l'hôpital. Nous avons appris qu'ils ont 8.000 malades a Grand-Pré. Tous disent qu'ils manquent de tout. En voilà assez ; je vais me coucher bien fatigué. A demain.

Envoyez de ma part, si vous le pouvez, plusieurs de ces imprimés aux Jacobins.

WESTERMANN.

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Du quartier général de Sainte-Menehould, le 1er octobre 1792, an 1er de la République française.

 

Monsieur le Maire,

Indépendamment des nouvelles que vous apprendrez par les pièces ci-jointes, je vous dirai qu'environ 26 à 28 autres prisonniers et 6 voitures nous ont été amenés, 3 émigrés, les sieurs Condé, Gissert et Montigny, ci-devant officiers d'Angoulême, Français. Mais ces braves chevaliers revenaient tranquillement en France reconnaître leur erreur ; c'est te refrain de tous ceux qui sont pris.

J'ai été aujourd'hui au camp que l'ennemi a occupé hier la nuit. J'y ai trouvé 6 chevaux et 2 hommes morts, je crois qu'ils retournent chez eux. Tout va au mieux.

Je viens d'embrasser la malheureuse victime, Georges, qui, avec une très-grande barbe, accompagnera vos commissaires à Paris ; demain je vais avec un trompette au camp de l'ennemi, au risque de ma vie, pour délivrer un autre député, nommé Daude, que Georges m'a dit être aux fers à Verdun. Heureux si je puis être assez heureux de le délivrer aussi A demain d'autres nouvelles.

WESTERMANN[7].

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Dillon à Dumouriez.

 

A la ferme de Milet, le 1er octobre 1792, l'an 1er de la République, huit heures du soir.

 

Je rentre, mon cher général, de ma petite excursion contre les Hessois. En arrivant le matin à Passavant, j'ai appris qu'un corps de Hessois avait passé à six heures du matin à Lavoye et se portait sur Fleury, où il avait commandé hier des vivres. Les hussards et la brigade de dragons se portèrent sur ces deux villages pour connaître la force et la position des ennemis. Je me portai avec mon infanterie au coin du bois Labbé, en avant de la verrerie de Waly. J'appris, presque au même moment, qu'un corps ennemi occupait les villages d'Autrécourt et de Fleury. Je me portai immédiatement en avant, et je découvris un corps d'infanterie hessoise d'environ 600 hommes, et 200 chevaux, ainsi qu'un escadron d'émigrés, postés sur une hauteur entre Autrécourt et Fleury les deux villages occupés par de petits postes de tirailleurs. Malheureusement la rivière d'Aire, qui n'est guéable que dans un point, s'est trouvée entre nous et les ennemis. Je fus obligée d'attendre quelque temps mon canon et mon infanterie, et de la faire passer par le pont de Fleury. Aussitôt que les ennemis virent notre canon, ils firent leur retraite sur Rarecourt. Le général Neuilly, qui était à ma gauche à Autrécourt, n'a pas attendu que le bataillon de M. Fegond fût arrivé ; il s'est précipité à la tête de ses dragons dans le village, y a rencontré trente Hessois qui gardaient le pont, les a culbutés ils ont été tous tués, à l'exception de deux, qui sont prisonniers et fort blessés, et du lieutenant Lindon, que j'ai ici prisonnier, et que je vous mènerai demain. Il y a eu de plus 7 Hessois et 1 officier appelé Haller tué à Lavoye.

Le général Galbaud a pointé toi-même un canon sur les émigrés et en a culbuté un. Sans la maudite rivière et le chemin immense que mon infanterie avait fait, j'enveloppais le corps hessois ; mais il eût été imprudent de le suivre plus loin que Lavoye. Nos hussards et nos dragons ont été jusqu'à une petite lieue de Clermont. J'ai admiré la patience et l'ardeur des troupes, après avoir fait six lieues dans des chemins affreux. L'intrépidité et la promptitude des dragons est au-dessus de tout éloge. Le général Neuilly a tué le premier Hessois de sa main, et a donné la vie au lieutenant Lindon.

Cette petite expédition fera, je crois, très-bien ces ennemis verront que les Français vont partout au-devant eux ; j'ai donné aux troupes des bœufs tués par les Hessois.

Si vous avez quelques nouveaux ordres à me donner, mon cher général, faites-les-moi passer tout de suite ; sans quoi je me propose de renvoyer mes troupes a Bienne, quitte à les faire revenir si les Hessois reparaissent, ce que je ne crois pas.

Le lieutenant général DILLON.

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Sillery à Pétion.

 

Sainte-Menehould, le 2 octobre.

 

Vous pouvez juger, mon cher ami, par ma correspondance avec la Convention, que je suis dans la plus parfaite sécurité relativement à notre position. Dumouriez fait la plus belle et la plus savante campagne que la France ait jamais faite. Vous verrez quelle est mon opinion dans le petit résumé que j'en ai fait dans la lettre qui arrive à la Convention parce même courrier. Ce général a su tenir tête contre l'opinion générale, et ta France est sauvée. Elle eût été dans un grand danger, s'il ne s'était pas obstiné à garder sa position. En effet, s'Il s'était jeté sur Châlons ou Reims, les ennemis mourant de faim, n'eussent point cherché à l'attaquer, mais ils se seraient emparés du Barois, auraient hiverné dans nos campagnes abondantes, et là ils se seraient raccommodés et renforcés t'année prochaine ils eussent entamé une nouvelle campagne, au lieu que je les en défie maintenant.

Depuis trois jours que nous sommes ici, plus de 4 ou 500 prisonniers ont été faits ; toutes les routes sont sillonnées de cadavres et de chevaux morts en un mot, il n'en sortira pas de France 30.000 hommes, et ils sont venus au nombre de plus de 80.000. La France doit une grande marque de sa reconnaissance aux généraux qui l'ont si honorablement servie.

Malgré ma goutte, je suis à cheval depuis le matin jusqu'au soir, et je sens, mon cher ami, que lorsqu'on est mû par un grand intérêt, on oublie ses maux facilement.

Les nouvelles de cette nuit annoncent que Dillon a attaqué les passes de l'arrière-garde de l'ennemi qui décampe de Clermont ; il leur a tué 30 hommes et fait quelques prisonniers. Tout va bien, je suis content, et d'ici à vingt jours, ces b..... là ne seront plus sur notre terrain. Dumouriez a envoyé un courrier à Metz pour faire venir de l'artillerie de siège, des mortiers, et bientôt Verdun et Longwy seront assiégés. Adieu, cher ami, je vous embrasse de tout mon cœur.

SILLERY.

Mes respects aux deux bonnes citoyennes.

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Westermann à Pétion.

 

De Vienne-le-Château, le 3 octobre 1792, à six heures du matin.

 

Tout continue à aller bien nous suivons l'ennemi, nous faisons toujours des prisonniers nous prenons des équipages sans pour ainsi dire perdre des hommes.

Ci-joint des lettres des généraux en sous-ordre à M. Dumouriez, ou vous verrez notre position ; une autre, prise sur un paysan arrêté, et envoyée à un émigré de Grand-Pré a Verdun, ou vous connaîtrez aussi la déplorable position des armées ennemies c'est là la meilleure correspondance. Ces misérables sont à Grand-Pré, et marchent selon toute apparence sur Longwy et Verdun. Nous les suivons de près. De l'eau-de-vie, du vinaigre, du riz et des munitions, et nous chasserons ces ennemis de notre félicité jusqu'à Vienne et Berlin.

J'écris sous un arbre ; excusez mon griffonnage. Mes hommages à vos dames, qui, à l'heure qu'il est, sont bien sûrement plus leur aise que moi.

WESTERMANN.

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Le général Westermann au citoyen Philibert, négociant à Strasbourg.

 

Du quartier général de Sainte-Menehould, le 3 octobre 1792.

 

Ne m'accusez pas, mon ami, d'ingratitude de ce que je suis si longtemps sans vous écrire ; je n'ai pas le temps de respirer, je ne dors pas, et je ne puis plus résister à la fatigue. Chef de la légion du Nord, adjoint à l'état-major de l'armée, et commissaire général du pouvoir exécutif, mes occupations et mes courses sont inexprimables.

J'ai été au camp prussien, diner avec le roi de Prusse j'ai fait plus que jamais l'on n'a espéré de moi ; dans ce moment je suis tout-puissant ; que peux-je faire pour vous, mon ami ? J'ai fait chasser Thomassin. La place n'était pas pour vous ; dites-moi quelle est la place de l'imprudent Ehremann fils ; je le ferai chasser et vous la ferai donner ; ou marquez-moi ce que vous désirez. Tout va bien ; les Prussiens se séparent d'avec les Autrichiens toutes leurs armées sont en déroute chaque jour nous leur prenons des équipages de vivres et des hommes, et nous leur tuons passablement. La République sera établie malgré l'univers. Oubliez vos anciens préjugés. Aimez-moi, et je vous aimerai toujours.

Adieu, mille choses à vos dames.

WESTERMANN.

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Sillery à Pétion.

 

Sainte-Menehould, le 3 octobre, an 1er de la République.

 

Tout va, cher ami, au delà de nos espérances ; les ennemis f. le camp grand train ; ils ont déjà dépassé les gorges de Grand-Pré, et si Dumouriez était obéi par le général Kellermann, on les aurait écrasés dans leur retraite. A deux heures du matin, j'ai été réveillé par un aide de camp du général, qui m'annonce que Kellermann a donné ordre aux troupes qui sont sous ses ordres de rétrograder. Kellermann a probablement imaginé ce mouvement sur un faux avis qu'il a reçu, que les Hessois qui étaient à Clermont se portaient du côté de Bar-le-Duc. Nous avions reçu, hier au soir, le même avis de la part des administrateurs du département, et je n'en avais été nullement inquiet, parce que j'avais été le même jour — qui était hier au soir — à Clermont, et que je n'en étais revenu qu'à dix heures du soir j'y avais appris que les Hessois se repliaient du côté de Verdun en grande hâte, et déjà nous avions dix mille hommes à Clermont.

Dumouriez, qui s'était porté en avant, avait fait ses dispositions, et son ancienneté lui donnant le droit de commander Kellermann, il lui avait prescrit le mouvement qu'il devait faire. Ce dernier, enorgueilli d'être général en chef, ne reçoit qu'avec répugnance de tels ordres, et il se croit le maître d'agir d'après ses idées. Vous sentez, mon ami, combien il est fâcheux que des f..... disputes de commandement nuisent ainsi au bien de la chose publique. Je n'ai pas hésité, j'ai fait réveiller mes collègues, et voilà la lettre que nous avons envoyée au général Kellermann :

Général Kellermann,

C'est avec une surprise extrême que nous apprenons le mouvement rétrograde que vous vous proposez de faire. Rien ne motive une démarche aussi étrange dans la circonstance, et si vous donniez pour raison l'avis que vous avez reçu, que les ennemis se portaient sur Saint-Mihiel, nous vous répondrions que c'est un faux avis, dont on nous a envoyé le double. Nous avons été hier à Clermont ; les ennemis ont pris la fuite et font leur retraite par Verdun ; le général Dillon est à leur poursuite.

Il serait bien étonnant qu'au moment de terminer la campagne la plus brillante, le mouvement que vous vous proposez de faire pût faire en un moment changer toutes les espérances que nous donne la situation des ennemis. Nous ne pouvons vous cacher que le général Dumouriez, par son ancienneté, a le droit de vous commander et que vous ne pouvez opérer aucune séparation sans ses ordres positifs. La circonstance est trop urgente pour ne pas vous déclarer, au nom de la patrie, que nous vous rendons personnellement responsable du mouvement que vous allez opérer et que nous vous ordonnons, au nom de la Convention nationale, d'obéir aux différents ordres que vous recevrez du général Dumouriez, et de reprendre votre position, si vous l'avez quittée.

Les commissaires de la Convention nationale.

 

Vous jugez, mon ami, combien il était instant de prendre une mesure vigoureuse. Nous avons peut-être outrepassé nos pouvoirs ; mais à ma conscience et à mon amour pour le bien public, j'ai cru que c'était une de ces circonstances où un sot ne fait rien de bien.

Carra et Prieur sont allés cette nuit au camp de Kellermann il m'a été impossible d'y aller ; j'avais été hier jusqu'à Clermont et je n'étais rentré qu'a dix heures du soir avec une attaque de goutte affreuse ; à leur retour, je verrai s'il faut rendre compte de ce détail à la Convention nationale ; faites part de ce détail à nos vrais amis.

Nous venons d'apprendre les grandes victoires de Custine et vous ne tarderez pas à apprendre que tous ces coquins-là sont partis. Mon cher ami, i ! n'y a pas deux partis à prendre il faut donner à Dumouriez le grade de maréchal de France qui ôte tout prétexte de division entre les chefs ; )ui seul a tenu tête à toutes les opinions différentes, et le résultat est qu'il a sauvé la France et fait la plus savante campagne que jamais général ait faite. Il faut promptement décider cette querelle et que toutes les petites rivalités cessent.

Arthur Dillon va à merveille ; il les saboule dans leur retraite ; hier, il a tué trente hommes et fait quelques prisonniers.

On assure que Verdun est évacué ; cependant nous n'en avons encore aucune nouvelle positive ; le fait est très-probable. Dumouriez va sous peu de jours assiéger Longwy ; il a demandé de la grosse artillerie à Metz, elle est en route.

Leur retraite, leur séjour en France, leur contera plus de trente mille hommes. Vive la République française Je vous embrasse de tout mon cœur.

SILLERY.

Westermann[8] vous rendra à peu près un pareil compte et vous fera sentir la nécessité de donner a Dumouriez un grade qui ôte tout prétexte de lui désobéir. J'espère que Carra et Prieur auront arrangé cette affaire à l'amiable car, sans cela, ils sont décidés à agir avec autorité, le bien public l'exige.

Ne rendez pas ma lettre publique sur cette querelle. Prieur et Carra reviennent du camp de Kellermann ; les généraux sont d'accord, mais je n'en persiste pas moins à demander que Dumouriez commande le tout. Ne parlez de rien de ce qui est contenu dans cette lettre, qui est pour vous seul. Montrez-la à Gensonné.

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Beurnonville à Dumouriez.

 

Au quartier général, à Marcq, le 5 octobre 1792, l'an V de la République.

 

Pour calmer vos inquiétudes sur le sort de vos enfants, mon cher général, je vous dirai où je suis, ce que je possède, et en jetant après un coup d'œil sur votre carte vous verrez que je serai votre avant-garde par quel trou il vous plaira passer la chaîne du précipice (sic) et que je suis parfaitement en mesure pour vous la faire passer avec sécurité.

Mes vedettes sont à portée de fusil des vedettes ennemies. J'ai fait un pont avec des charrettes, que j'ai consolidé sur l'Aire.

Je veux faire suivre l'ennemi pour lui prendre jusqu'aux semelles de ses souliers, qu'il laissera dans les boues, par le temps affreux qu'il fait. Du reste j'ai une position, la plus défensive. Ma retraite est sure, et j'ai ma correspondance assurée avec le général Dillon je puis enfin me porter à tous vos débouchés et vous en faciliter la sortie. Voilà, cher général, le fruit le plus essentiel, mais bien nécessaire de cette expédition infernale.

Telle est la position de l'ennemi par rapport à son emplacement et aux entraves de sa marche il occupe tous les espaces qui se trouvent entre Remonville, Bayonville, la côte de Chaumont, Thenorgue et Sivry ; mes postes avancés sont à Verpel et Sinécourt, les postes ennemis en sont à portée de fusil. Vous voyez que je fais mieux que de les observer.

Telle a été mon expédition, et le fruit que j'en ai tiré.

Je me suis arrêté à Condé-lez-Autry, à huit heures du soir.

J'ai donné ordre au général Rozière de partir à minuit d'Autry avec la légion belgique et liégeoise, avec les volontaires de Cambray et cinq compagnies des volontaires de Paris, suivis de six cents chevaux des chasseurs et hussards du 6e régiment, sous les ordres de l'excellent capitaine Zunig Hellemen, que vous m'avez chargé de recevoir lieutenant-colonel du 6e des hussards. Cette avant-garde de votre avant-garde a eu ordre de fouiller les bois de Marcq, les bois de Nègremont, de se porter sur les hauteurs de Grand-Pré même, à votre ancien camp, enfin à Grand-Pré avec prudence et précaution. Enfin, à sept heures, cette avant-garde était en possession de Grand-Pré. Elle n'a eu la peine que de tuer une douzaine de chasseurs prussiens et de mettre en fuite une cinquantaine de hussards, que l'on avait laissés en vedette pour imposer ; on en' a pris onze, qui demandent à s'enrôler dans les Belges, et j'y ai consenti.

Je n'ai pu faire usage de mon infanterie, elle a mis huit heures pour faire deux lieues.

Il y a des bataillons qui n'ont pas eu le pain depuis deux jours, il était dû à tous aujourd'hui il pleut, il fait un temps abominable, leurs tentes sont restées au milieu des bois ; ils vont passer la nuit sous les haies ; je leur ai dit que l'ennemi fuyait et était plus mal qu'eux ; si je les écoutais, nous irions l'ensevelir dans la boue.

Quant aux captures, cela se borne à une trentaine de chevaux, à quelques voitures, à une vingtaine de prisonniers, à une douzaine de tués et à cent vingt moribonds du flux de sang chargés sur une vingtaine de voitures de nos paysans, et que je leur ai envoyés plutôt que de conserver la peste chez nous.

J'ai cependant observé à M. Manstein, dans la lettre que le trompette lui a portée, que vous n'aviez pas eu tort de prévoir les difficultés qui pouvaient résulter de la retraite de l'armée prussienne ; si j'étais arrivé un peu plus matin, j'aurais pu prendre cent voitures de pareils malades, et un tel convoi aurait été très-embarrassant. Je me suis porté avec douze cents chevaux sur Champigneulle ; en arrivant, ne trouvant plus de pont sur l'Aire, je l'ai passée, l'eau au ventre du cheval j'ai fait charger les piquets et vedettes prussiens ; tout s'est replié sur le camp que j'ai trouvé très-grand ; j'ai fait placer mes vedettes, qui ont été respectées. Ce soir on veillera exactement.

Malgré les circonstances fâcheuses du temps, la retraite de l'ennemi s'est faite dans le plus grand ordre ; l'armée campée avant-hier entre Termes et Grand-Pré est venue camper entre Briquenay et Thenorgues. L'arrière-garde de douze mille hommes avec vingt-quatre pièces d'artillerie à cheval est partie de Termes à minuit, a passé à Grand-Pré à deux heures ; tous les gros équipages étaient filés ; alors cinquante voitures de malades sont restées en arrière, parce que l'on ne trouvait pas de chevaux ; partie sont passés à deux heures à Champigneulle. Nos troupes ont trouvé les autres à sept heures, et j'ai ordonné qu'on leur laissât porter la peste à leur armée. Au demeurant ces messieurs s'en vont, je suis en mesure d'observer leurs mouvements et de vous attendre[9].

BEURNONVILLE.

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Biron à Dumouriez.

 

Strasbourg, le 4 octobre 1792.

 

Je vous envoie, mon ami, copie de la lettre du général Custine, par laquelle vous verrez qu'il ne s'éloignera pas de Spire[10] ; qu'il pourra y recevoir votre réponse, et concerter ses mouvements avec les vôtres. Nos affaires sont en bien bon train, et je crois les Autrichiens et les Prussiens également dégoûtés de venir faire la police chez nous ; leurs soldats commencent à déserter beaucoup par Bâle et à nous venir trouver. Le seul moyen qui nous ait réussi de leur faire passer nos décrets sur la désertion, a été de payer fort cher des gens pour les attacher la nuit dans toutes les latrines. Celui-ci n'avait pas été prévu, et il est le seul auquel les ennemis n'aient pas paré.

Voici, mon cher Dumouriez, deux rapports d'espions ensemble, assez intéressants pour nous, et peut-être même un peu pour vous.

Voici encore quelques décrets de désertion.

Je vous aime et vous embrasse de tout mon cœur.

BIRON.

P. S. Renvoyez-moi mon courrier le plus promptement que vous pourrez, mon bon ami, et adressez en même temps au ministre de la guerre copie de la réponse que vous me ferez, pour qu'il n'y ait pas de temps perdu, et que tout puisse marcher ensemble.

Vous communiquerez, si vous le jugez à propos, la lettre du général Custine au général Kellermann, à qui je n'en adresse point de copie.

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Le général Dumouriez, commandant en chef l'armée du Nord au général Biron, commandant en chef l'armée du Rhin.

 

Au quartier général, à Autry, le 6 octobre, l'an Ier de la République.

 

J'envoie sur-le-champ au ministre, mon cher Biron, votre lettre en original. Je vous ai mandé dernièrement quelques détails formant une espèce de précis historique de ma campagne, qui est certainement une des plus singulières que l'histoire militaire des peuples ait présentée. Depuis le 1er du mois, les Prussiens sont en déroute, et cependant ils se retirent avec un ordre que je ne peux trop Jouer. J'ai mis à leurs trousses Kellermann avec plus de cinquante mille hommes nous nous séparons demain ; il se porte sur Verdun, que cette armée évacue il se porte de là sur Longwy par où ces malheureux se retirent. Leur route est jalonnée de chevaux et d'hommes morts. Les chemins sont détestables, ce qui est contre nous autant que contre eux ; ils sont affamés et remplis de maladies ; j'estime déjà leur perte effective à plus de vingt-cinq mille hommes, et je suis persuadé qu'il ne reste pas quarante mille hommes en état de combattre. Les paysans en assomment beaucoup. Le roi de Prusse est furieux contre les Autrichiens et les émigrés. Il a traité Monsieur comme un nègre, et l'a chassé d'auprès de lui.

J'espère que cela facilitera nos négociations et que je finirai par lui faire préférer l'alliance de la France à celle de la dangereuse et perfide Autriche. Je charge Kellermann d'achever sa conversion à coups de canon, et comme il n'y a plus de guerre offensive à craindre dans ce pays-ci, je fais filer, dès après-demain, trente mille hommes pour aller délivrer le département du Nord j'y marche à leur tête, et vous jugez d'avance, mon ami, que je ne compte pas m'en tenir là, et que j'espère passer mon carnaval à Bruxelles. C'est la seule récompense que je demande pour avoir sauvé la patrie.

Entretenez dorénavant une correspondance exacte ..........[11], c'est un brave et digne homme. On avait cherché à nous brouiller en lui soufflant la jalousie du commandement ; on n'a pas réussi et il m'aime à la folie. Voilà ce que fait la République, et ce que l'on n'aurait pas obtenu sous un roi.

Pendant la marche de mon armée pour la Flandre, je vais faire une tournée militaire ; je passerai par Paris, et je rejoindrai mes braves compagnons à Valenciennes je vous donnerai de mes nouvelles quand je pourrai, mais je vous aimerai tous les jours.

DUMOURIEZ.

P. S. Les détails des succès du brave Custine nous ont infiniment réjouis. Son attaque de Spire est digne du bon temps des armées françaises, et prouvera aux Allemands combien les émigrés leur en ont imposé sur l'esprit de nos troupes ; son acte de vigueur assurera la discipline, et nous rendra invincibles[12].

Mandez-lui nos succès en lui faisant nos tendres et sincères compliments. S'il n'avait affaire qu'aux troupes des cercles, je serais fâche qu'il rompît le cours de ses conquêtes mais je crains qu'il n'ait sur les bras les Autrichiens, qu'il ne soit engagé à une retraite difficile, et qu'il ne finisse par être entamé, ce qui diminuerait beaucoup vos moyens de défense. Je crois donc qu'il n'est pas mal de se contenter de ce succès qu'il vaut mieux qu'il se rapproche de vous, et qu'ensuite il concerte un bon plan d'invasion avec Kellermann, que je laisse à la tête de plus de cinquante mille hommes, qui par conséquent pourra vous rendre les cinq à six mille hommes que vous lui avez prêtés, avec lesquels vous pourrez fortifier Custine, pour lui faire faire une expédition plus solide, que les contingents de l'empire ne gêneront ni n'empêcheront. Cette expédition peut être concertée avec mon entrée dans les Pays-Bas, et avec une attaque intermédiaire de Custine, et même avec une attaque de l'armée de Montesquiou, qui doit bientôt se faire sur Genève. C'est ainsi que nous pourrons travailler en grand, au lieu de nous livrer à des opérations partielles.

Je vous expliquerai une autre fois cette grande idée, qui est faite pour vous plaire.

 

 

 



[1] Cette lettre est adressée par Dumouriez à Devaux qui était déjà à Dampierre auprès de Kellermann elle était évidemment faite pour être montrée à ce dernier.

[2] En marge est écrit, de la main du général La Bourdonnaye : C'est -M. de Sparre qui est arrivé.

[3] Cette lettre n'est pas datée, mais elle fait allusion au rapport de Kellermann sur la canonnade de Valmy. Ce rapport, ainsi que celui de Dumouriez, se trouve au Moniteur du 24 septembre, n° 268. Il n'a pu être connu des avant-postes français que le 27 ou le 28 ; d'un autre côté, on voit que l'armistice sur le front de l'armée dure encore ; il ne finit que le 30. On peut donc avec certitude assigner à cette lettre la date du 28.

[4] Beurnonville signe Ajax. C'est un surnom que Dumouriez lui avait donné quelques jours auparavant et dont on trouve la confirmation dans la lettre écrite par celui-ci au ministre de la guerre, datée du 1er octobre (Journal des Débats et décrets, n° 13, p. 221.) L'armée, y est-il dit, a baptisé le brave Beurnonville du nom d'Ajax français. On voit par une lettre de Carra (Moniteur, n° 182) que l'on s'était plu à donner aux principaux personnages de cette guerre des surnoms qui rappelaient les héros d'Homère. Ainsi à côté d'Ajax-Beurnonville, figuraient Ulysse-Sillery, Agamemnon-Dumouriez, Diomède-Duval.

[5] C'est à cet incident que Dumouriez fit allusion dans son discours à la section des Lombards. (Voir livre XVI, § VII de ce volume.).

[6] Voir au n° 277 du Moniteur la lettre par laquelle Dumouriez annonce, le 1er octobre, au ministère de la guerre, l'envoi de ces pièces : Je vous envoie quelques exemplaires de ma négociation, écrit le général en chef ; je l'ai fait imprimer, parce que le général d'une armée d'hommes libres ne doit point laisser de soupçon sur sa correspondance avec les ennemis. — Les pièces sont publiées au Moniteur, n° 280. Elles se composent 1° d'un Mémoire de Dumouriez au roi de Prusse ; 2° d'une Lettre de l'aide de camp prussien Manstein ; 3° de la Réponse de Dumouriez à cette lettre, 28 septembre ; 4° d'une nouvelle Lettre de Manstein, 29 septembre ; 5° de la Réponse de Dumouriez, en date du même jour.

[7] Les trois lettres de Westermann, les deux lettres de Beurnonville et les autres lettres qui vont suivre doivent être rapprochées :

1° De la dépêche écrite de Sainte-Menehould, le 30 septembre, par les commissaires Carra, Sillery, Prieur, et de la lettre de Dumouriez, en date du 1er octobre, qui se trouvent toutes deux au Moniteur, n° 277 ;

2° De la lettre des trois commissaires, en date du 2 octobre, et de la lettre de Dumouriez, en date du 1er octobre au soir, Moniteur, n° 278 ;

3° De la lettre de Dumouriez, datée de Vienne-la-Ville, 2 octobre, Moniteur, n° 279 ;

4° De la lettre des trois commissaires, datée de Sainte-Menehould, 2 octobre, Moniteur, n° 280 ;

5° De la lettre de Carra, du 2 octobre, dont extrait est donné au Moniteur, n° 282.

[8] Vraisemblablement Westermann porta lui-même la lettre de Sillery à Pétion, car, par une note qui se trouve à la fin du Moniteur, n° 280, on voit que Westermann arriva le 5 octobre au matin à Paris ; il avait fait diligence, puisque nous venons de le voir dater une lettre de Sainte-Menehould, 3 octobre. Westermann faisait à chaque instant la route de Sainte-Menehould à Paris et de Paris à Sainte-Menehould. Nous avons constaté sa présence à Paris le 26 septembre (Moniteur, n° 272) ; nous la constatons de nouveau le 5 octobre (Moniteur, n° 280) ; dans l'intervalle, il avait été diner chez le roi de Prusse, et donner quelques coups de sabre à l'avant-garde de Beurnonville.

[9] Le Moniteur, n° 283, contient en quelques lignes t'analyse de cette lettre que nous donnons tout entière.

Pour compléter le tableau de la retraite de l'armée austro-prussienne, il faut recourir aux dépêches des trois commissaires, en date des 7, 10, 13, 18, 22, 25 octobre. Moniteur, n° 283, 286, 291, 295, 300, 302.

[10] On voit par cette lettre que Custine avait promis a Biron de ne pas dépasser Spire. Il tint bien mai ses promesses.

[11] Le reste de la phrase est en blanc dans l'original ; évidemment les mots que par discrétion Dumouriez a laissés au bout de sa plume sont ceux-ci : avec Kellermann.

[12] Dumouriez fait ici allusion aux mesures sévères que Custine avait prises contre les pillards de Spire (livre XVI, § 12 de ce volume), et qu'il se proposait d'imiter à la première occasion ce qu'il fit quelques jours après en apprenant les meurtres de Rethel.