HISTOIRE LA TERREUR 1792-1794

TOME QUATRIÈME

 

LIVRE XV. — LA CONVENTION ET LA COMMUNE.

 

 

I

En vertu des décrets des 10 et 12 août, la Convention devait se réunir le 21 septembre.

La veille, les nouveaux représentants du peuple tinrent une séance préparatoire dans la salle des Cent-Suisses, au palais des Tuileries. J !s s'empressèrent de constituer leur bureau. Un vote presque unanime décerna la présidence à Pétion quatre anciens membres de la Législative, Condorcet, Brissot, Vergniaud et Lasource, deux ex-constituants, Rabaut-Saint-Étienne et Camus, furent élus secrétaires. Ils appartenaient tous à l'opinion modérée.

La question de la vérification des pouvoirs aurait pu soulever de grandes et nombreuses difficultés. Les députés présents, qui ne formaient pas même la moitié de la nouvelle Assemblé[1], y coupèrent court en décidant que cette vérification ne porterait que sur la formule des procès-verbaux et l'identité des élus.

Quelques voix timides contestèrent, il est vrai, la validité des élections faites par ceux des corps électoraux qui avaient apporté des restrictions à l'admission des électeurs. Mais, sous le prétexte que le peuple souverain, réuni dans ses assemblées primaires, avait gardé le silence sur les mesures prises par les corps électoraux qui le représentaient, et que par cela même il avait ratifié leur conduite, on passa outre et on légalisa en bloc toutes les illégalités qui s'étaient commises à Paris et dans certains départements.

Le 21, la Convention se réunit de nouveau aux Tuileries et fit notifier son existence officielle à l'assemblée dont les pouvoirs expiraient. C'était dire aux membres de la dernière législature non réélus à la nouvelle, qu'ils eussent à évacuer la salle du Manège, où devaient siéger a leur tour les nouveaux souverains de la France, jusqu'à ce que l'on eût approprié à leur usage le château des anciens rois[2].

L'un des anciens présidents de l'Assemblée législative qui, pour des raisons de santé, avait déclaré ne pas vouloir accepter un nouveau mandat, François (de Neufchâteau), occupait le fauteuil et n'attendait que la notification de la Convention pour déclarer à ses collègues que leur mission était terminée. Cette déclaration faite solennellement, les ex-députés sortent avec leur président et se rendent aux Tuileries pour saluer la souveraineté populaire dans la personne de ses nouveaux représentants.

En ce moment la Convention délibérait sur un objet qui concernait justement l'assemblée dont le mandat venait d'expirer. On avait proposé de voter des remercîments à la Législative comme celle-ci en avait voté à la Constituante, lorsqu'elle l'avait remplacée : En faisant leurs efforts pour assurer le triomphe de la liberté, s'écrie un nouveau député, nos prédécesseurs n'ont fait que remplir leur devoir. La proposition est écartée par la question préalable.

Ainsi la malheureuse assemblée, qui occupe dans l'histoire une si triste place entre la Constituante et la Convention, après avoir, pendant un an, traîné une existence bien peu digne d'envie, devait mourir sans même emporter dans la tombe le banal hommage d'un regret officiel.

François de Neufchâteau, introduit dans la salle des Cent-Suisses, donne l'accolade fraternelle à Pétion, qui la lui rend ; puis, dans deux discours d'apparat, l'ancien et le nouveau président promettent aux Français, le premier, que la nouvelle Assemblée va inaugurer le règne des lois, de la liberté et de la paix ; le second, que ses collègues et lui sont disposés à fouler aux pieds toutes les petites passions qui dégradent l'homme, toutes les prétentions méprisables de la jalousie et de l'orgueil. Les deux orateurs, il faut en convenir, n'étaient pas meilleurs prophètes l'un que l'autre.

Cet échange d'embrassades et de harangues officielles étant terminé, les membres de la nouvelle assemblée quittent les Tuileries, leur président en tête, et se dirigent à travers le jardin vers la salle du Manège.

A leur entrée, les tribunes font entendre plusieurs salves d'applaudissements. Mais à l'enthousiasme succède l'étonnement, lorsque les spectateurs habituels s'aperçoivent qu'un changement considérable s'opère dans la prise de possession des sièges placés des deux côtés du fauteuil présidentiel. Les anciens membres de la Législative qui marchent sous la bannière de Brissot, de Vergniaud et autres chefs de la Gironde, se dirigent non plus vers les bancs de la gauche, qu'ils occupaient jadis mais vers la droite, à la place ou siégeaient quelques jours auparavant les derniers défenseurs de la Constitution de 1791, les Jaucourt, les Girardin les Mathieu Dumas, les Beugnot. Ils veulent marquer par ce changement de place le changement qui va s'opérer dans leur politique. Pour eux. il ne s'agit plus de détruire, il faut édifier ; il ne s'agit plus de pousser les masses en avant. il faut les retenir, il faut, en un mot, opposer à l'anarchie une digue infranchissable, à l'abri de laquelle puisse s'établir une république qui fonde l'ordre sur.les principes éternels de la justice et de la liberté. Les révolutionnaires de la veille sauront-ils devenir les conservateurs du lendemain ? Les tempêtes qu'ils ont soulevées s'apaiseront-elles à leur voix ? Pourront-ils dire au flot populaire qui vient de submerger la royauté : Tu n'ira pas plus loin ? C'est ce que les événements nous apprendront bientôt.

 

II

A peine l'un des secrétaires a-t-il achevé de lire le procès-verbal des opérations préparatoires qui ont eu lieu la veille et le jour même aux Tuileries, que plusieurs nouveaux députés s'empressent de prendre possession de la tribune et de faire assaut d'éloquence. Manuel, l'ex-procureur-syndic de la Commune de Paris, dans le style ampoulé que nous lui connaissons déjà, compare l'Assemblée conventionnelle à celle que Cinéas trouva en arrivant dans Rome ; pour donner au peuple une juste idée du pouvoir souverain qui réside en elle, il demande que celui qui a l'honneur de la présider soit logé aux Tuileries, et que, toutes les fois qu'il paraîtra en public, il marche précédé des attributs de la loi et de la force.

Cette réminiscence de l'histoire romaine ne flatte que la vanité incommensurable de l'ex-maire de Paris, auquel Manuel, comme d'habitude. venait de servir de compère ; mais elle ne touche guère la Convention, qui paraît très-peu disposée à inaugurer le règne du roi Pétion.

Tallien déclare que l'Assemblée a bien autre chose à faire que de s'occuper d'un vain cérémonial et propose que, sans plus tarder, elle jure de ne pas se séparer avant d'avoir donné au peuple français une Constitution fondée sur les bases de la liberté et de l'égalité.

Point de serments, s'écrie Merlin (de Thionville) ; sur-le-champ mettons la main à l'œuvre ! — Je ne crains point, dit Couthon, qu'on ose ici reparler de royauté ; elle ne convient qu'aux esclaves... Mais j'ai entendu parler, non sans horreur, de l'établissement d'un triumvirat, d'une dictature... Vouons une exécration égale à la royauté, à la dictature, au triumvirat, à toute espèce de puissance individuelle quelconque qui tendrait à restreindre la souveraineté du peuple. Des applaudissements retentissent. Bazire les interrompt en répétant : Point de serments ; on les a trop violés depuis quatre ans.

Danton se lève et déclare qu'il parle comme simple mandataire du peuple, non comme ministre, car il se démet des fonctions qu'il a reçues au bruit du canon du 10 août. On vous a parlé de serments, dit-il, il faut qu'en entrant dans la vaste carrière que vous avez à parcourir le peuple reconnaisse, par une déclaration solennelle, que vous allez vous montrer dignes de lui. Ann de faire disparaître les vains fantômes de dictature, les idées extravagantes d'un triumvirat, toutes les absurdités inventées pour effrayer le peuple, déclarez qu'il n'y aura d'autre pacte constitutionnel que celui qui aura été accepté par le peuple ; déclarez aussi qu'il faut que les lois soient aussi terribles contre ceux qui y porteraient atteinte que le peuple l'a été en foudroyant la tyrannie ; qu'il faut qu'elles punissent tous les coupables afin que le peuple n'ait plus rien à désirer ; confondez toutes les idées de désorganisation déclarez que toutes les propriétés territoriales, individuelles et industrielles seront éternellement maintenues. Souvenez-vous ensuite que nous avons tout à revoir, tout à recréer ; que la déclaration des droits elle-même n'est pas sans tache, et doit passer à la révision d'un peuple vraiment libre... Posez ces grandes bases en représentants dignes du peuple, et, après les avoir posées, levez votre séance ; vous aurez aujourd'hui assez fait pour le peuple.

Quoique accueillies avec la plus vive sympathie quant au principe, les propositions de Danton soulèvent une vive discussion quant à la forme. Enfin la Convention nationale proclame successivement qu'il ne peut y avoir de constitution que celle acceptée par le peuple, que la sûreté des personnes et des propriétés est sous la sauvegarde de la nation que toutes les lois non abrogées. tous les pouvoirs non révoqués ou suspendus sont conservés que les contributions actuellement existantes seront perçues comme par le passé.

Déjà plusieurs orateurs avaient demandé incidemment que l'Assemblée décrétât solennellement l'abolition de la royauté en France. Collot d'Herbois s'écrie que l'Assemblée ne peut, sans être infidèle au vœu de la nation, différer un seul instant la proclamation de ce grand principe. Ce n'est pas la royauté, ajoute l'évêque constitutionnel de Blois, Grégoire, c'est Louis XVI qu'il faut punir. Toutes les dynasties n'ont jamais été que des races dévorantes qui ne vivent que de chair humaine. Les rois sont dans l'ordre moral ce que les monstres sont dans l'ordre physique. L'histoire des rois est le martyrologe des peuples.

L'Assemblée, convaincue par des raisons aussi péremptoires, décrète, au milieu des plus vifs applaudissements :

LA ROYAUTÉ EST ABOLIE EN FRANCE[3].

La Convention avait maintenu provisoirement toutes les autorités alors existantes mais, dès le lendemain, elle revient sur cette décision. Des pétitionnaires parlant au nom des sections d'Orléans, dont elles ne représentaient cependant qu'une infime minorité, dénoncent la municipalité de cette ville comme responsable, par son inertie et même par sa connivence, des troubles qui y ont éclaté les 16 et 17 septembre. Danton réclame vivement la parole. La veille, il avait donné des gages au parti modéré en faisant décréter le respect des propriétés aujourd'hui, il veut prouver à la Montagne qu'il est toujours digne de rester à la tête du parti jacobin. Il s'élève donc contre les corps administratifs et judiciaires, qui sont, dit-il, gangrenés de royalisme, et il en propose la révocation générale, immédiate ; bien plus, il déclare qu'afin de consommer la régénération sociale, il faut abolir immédiatement toutes les conditions d'éligibilité pour les fonctions déjuges, et reconnaître que tous les citoyens français sont aptes à rendre la justice et a faire l'application des lois civiles et criminelles. Ceux qui se sont fait un état de juger les hommes, ajoute-t-il, étaient comme les prêtres les uns et les autres ont éternellement trompé le peuple. En fait, les juges existants ont excité des suspicions légitimes en pétitionnant contre les sociétés populaires, en signant des adresses flagorneuses au pouvoir exécutif. Les preuves de leur incivisme, adressées à Dejoly, ministre de la tyrannie, sont arrivées à son successeur, à moi, le ministre du peuple.

Cette idée est appuyée par Léonard Bourdon, Billaud-Varennes et Osselin ; elle est énergiquement combattue par deux anciens constituants, Chasset et Lanjuinais, qui avouent n'être pas encore habitués à voir emporter d'assaut des résolutions aussi graves.

On veut donc tout désorganiser, s'écrie Chasset, on veut donc nous jeter dans l'anarchie ? Savez-vous à quelles folies conduirait l'ignorance absolue des citoyens que le suffrage populaire pourrait installer dans les postes les plus élevés ?

L'Assemblée, ajoute Lanjuinais, veut-elle donc faire des lois à l'heure et à la minute ? Il ne suffit pas de détruire l'essentiel est de créer.

Mais c'est en vain que des voix isolées se font entendre, la Convention décrète :

Que tous les corps administratifs, municipaux et judiciaires seront renouvelés, et que les juges pourront être choisis indistinctement parmi tous les citoyens[4].

Cette discussion avait démontré la nécessité absolue de faire un règlement pour la tenue des séances. Lanjuinais, en signalant les dangers de la précipitation avec laquelle avait été accueillie la proposition de Danton, avait fait entendre à ses collègues de dures vérités : Nous périssons avant que de naître, avait-il dit, si nous ne faisons pas un règlement prenez-y garde, si vous ne mûrissez pas vos lois, on les méprisera et on vous méprisera vous-mêmes.

Grâce à l'insistance du député breton, la Convention décréta, dans sa séance du 22 au soir, la création d'une commission chargée d'élaborer un règlement et de proposer la division de l'Assemblée en divers comités[5].

 

III

Roland avait été élu représentant du peuple par le département de la Somme, et il aurait pu à la rigueur venir, comme Danton, siéger dès la première séance au sein de la Convention nationale. Mais son élection donnait lieu à quelque contestation[6], et, dans l'incertitude, il ne savait s'il devait opter pour le mandat populaire ou pour le portefeuille de l'intérieur. Sa femme, naturellement, le pressait fort de conserver le ministère où, restant dans la pénombre, elle pouvait projeter sur lui le reflet de sa grâce et de son esprit, et par un effet d'optique le faire paraître un grand homme à ceux qui le regardaient de loin. Mais de toute manière Roland devait à la nouvelle assemblée un compte rendu de sa gestion, il le lui envoya le 23. Le rapport de l'ex-ministre de Louis XVI débutait ainsi :

Les Français ont en horreur les crimes des nobles, l'hypocrisie des prêtres et la tyrannie des rois ; des rois ils n'en veulent plus. L'énergie de la nation est extrême, mais il faut qu'elle soit bien dirigée.

Pour la diriger Roland assurait avoir employé les plus grands moyens. Lesquels ? toujours ceux que mettait en usage ce vieillard rogue et morose, habitué aux paperasseries de l'ancien régime et qui croyait avoir rempli tous ses devoirs lorsque, sous l'inspiration de sa femme, il avait libellé une belle pièce d'éloquence et l'avait fait expédier aux directoires des quatre-vingt-trois départements, avec ordre de la transmettre aux autorités inférieures.

Le rapport du ministre contenait quelques allusions très-voilées aux journées de septembre et aux usurpations continuelles de la Commune. Il y était dit, comme par hasard : N'est-il pas à craindre que Paris, qui a tout fait pour le bien de l'empire, ne puisse devenir la cause de son malheur ? Et, pour résoudre cette grave question, Roland, à travers mille circonlocutions, émettait une idée qui, depuis quelques jours, était vivement agitée dans les conciliabules secrets de la Gironde : La Convention nationale, investie de la confiance publique, devrait se prémunir contre certains mouvements en s'entourant d'une force armée imposante, d'une troupe soldée.

N'était-ce pas rétablir, à l'usage de la Convention, la garde constitutionnelle du roi, que les amis de Roland avaient fait dissoudre quelques jours avant le 20 juin[7] ? Les girondins étaient ainsi obligés de recourir aux armes qu'ils avaient brisées entre les mains des feuillants. Cette contradiction manifeste ne pouvait échappera leurs nouveaux ennemis, qui devaient leur opposer leurs propres paroles et leurs propres actes.

Le ministre ne faisait, du reste, que mettre en avant un projet que ses amis s'étaient réservé de reproduire à la première occasion favorable sans le développer, il se hâtait d'aborder des questions moins irritantes. Passant en revue toutes les parties de son administration, il déclarait que les services hospitaliers étaient en souffrance, les routes en mauvais état, l'agriculture, l'industrie, le commerce et les arts dans la pire situation. Le mal, disait-il en terminant, serait irrémédiable si on ne réprimait pas l'anarchie, si on ne rétablissait pas la paix intérieure, le respect des propriétés, l'obéissance aux lois.

Le compte rendu de Roland n'était certes pas rassurant. Celui de Cambon, chargé par le comité des finances de vérifier les caisses de la trésorerie, ne l'était pas davantage. Deux milliards sept cent millions d'assignats avaient été créés, et de cette masse immense de valeurs fiduciaires, fabriquées depuis deux ans, il ne restait plus qu'une somme insignifiante, 24 millions environ, et cependant, ajoutait le rapporteur, les besoins du Trésor sont urgents, les dépenses considérables, les impôts ne rentrent point parce que la plus grande partie de leur produit est employée dans les départements mêmes en achats de grains.

 

IV

L'Assemblée était encore sous l'impression de ces deux rapports, lorsque, le 2~ septembre, une lettre de Roland annonce : que la ville de Châlons-sur-Marne, quartier général de l'armée de réserve et rendez-vous des fédérés, vient d'être ensanglantée par de nouveaux meurtres ; que le courrier de Strasbourg a été arrêté et fouillé, et que des dépêches importantes ont été retardées de douze heures. La lettre du ministre girondin se terminait ainsi : Que la Convention nationale prenne des mesures !

Aussitôt Kersaint s'élance à la tribune : Il est temps, dit-il, d'élever des échafauds pour ceux qui commettent des assassinats et pour ceux qui les provoquent, il est temps de venger les droits de l'homme violés par tout ce qui se passe en France ; la Convention a juré l'exécution des lois, elle a mis les personnes et les propriétés sous la sauvegarde de la nation... Cependant les désordres, les meurtres se propagent ; on agite le peuple, on le pousse à l'anarchie. Sans doute vos cœurs, comme le mien, bondissent d'indignation au récit des scènes d'horreur dont on veut déshonorer le nom français... Des applaudissements frénétiques éclatent dans la plus grande partie de la salle l'orateur reprend avec une nouvelle énergie : Il y a peut-être plus de courage qu'on ne pense à s'élever contre les assassins !... Mais, dussé-je tomber sous leurs coups, je serai digne de la confiance de mes concitoyens. Je demande que séance tenante quatre commissaires soient nommés pour examiner la situation de l'empire, celle de la capitale, et pour vous présenter des mesures contre le brigandage et les assassinats[8].

Kersaint venait de dire tout haut ce que le plus grand nombre des conventionnels se répétaient tout bas les uns aux autres, depuis trois jours qu'ils étaient rassemblés. En entendant le courageux orateur, toute l'Assemblée a compris qu'elle touche à un moment décisif. Allait-elle répudier par une mesure éclatante la responsabilité des actes qui avaient déshonoré les derniers moments de la Législative, ou bien, à son tour, devait-elle courber la tête sous le joug de ceux qui, depuis le 10 août, régnaient dans Paris, au nom de la commune insurrectionnelle ?

Les organisateurs des massacres de septembre et leurs amis de la Montagne sentent qu'ils ne peuvent conjurer l'orage qu'en le bravant avec leur impudence habituelle. C'est Tallien qui leur sert d'organe. Comment trouver, dit-il, dans le sein de cette assemblée quatre hommes assez exactement instruits de la situation de la France pour proposer des mesures qui puissent concilier l'intérêt public et les droits des citoyens ? Les lois existent ; c'est aux tribunaux a en faire l'application. Attaqué extérieurement, trahi à l'intérieur, le peuple a droit d'être défiant. Ceux qui ont saisi les correspondances pour découvrir les complots ont fait acte de civisme. La question préalable ! crient quelques montagnards. L'ajournement demandent d'autres membres de la gauche, un peu moins audacieux.

Demander l'ajournement, s'écrie Vergniaud, c'est demander l'impunité des assassins ! invoquer la question préalable, c'est appeler l'anarchie, c'est proclamer qu'il est permis d'assassiner Il existe dans la République des hommes qui osent se dire républicains ils répandent les soupçons, les haines, les vengeances ; ils voudraient voir les citoyens français, comme les soldats de Cadmus s'entr'égorger au lieu de combattre les ennemis de la patrie. La preuve que les lois sont insuffisantes, c'est que chaque jour est souillé par un nouveau crime...

Les applaudissements redoublent ; en vain trois autres amis des dictateurs de l'Hôtel de Ville. Fabre d'Églantine, Sergent, Collot d'Herbois, essayent-ils de détourner les colères de l'Assemblée. Lanjuinais d'un mot leur rappelle leur crime : Interrogez votre mémoire. Qui de nous ignore que les citoyens de Paris dans la stupeur de l'effroi... Le terrible Breton va nommer Septembre. La Montagne murmure, et Tallien s'écrie : Les citoyens de Paris ne sont point dans la stupeur !Je souhaite, reprend Lanjuinais, que le mot ne soit pas plus vrai que je ne le désire ; mais, à mon arrivée à Paris, j'ai frémi.

A ces mots, l'Assemblée se sent aussi frémir dans toutes les fibres de son cœur ; un courant électrique semble la parcourir. De toutes parts se font entendre des cris : Aux voix la motion de Kersaint ! Mais soudain un profond silence s'établit. Buzot vient de paraître à la tribune.

Buzot avait siégé à côté de Pétion et de Robespierre, à l'extrême gauche de l'Assemblée constituante. Depuis un an, retiré dans son pays natal, le département de l'Eure, il y avait accepté une charge de judicature et s'était tenu à l'écart de toutes les intrigues politiques. On est impatient de savoir duquel de ses deux amis, autrefois étroitement unis, aujourd'hui séparés par une haine mortelle, il va suivre la bannière. Le doute ne dure pas longtemps. Aux premières paroles de l'orateur, on comprend que son choix est fait, que la Gironde peut le compter désormais parmi ses membres les plus résolus.

Étranger aux révolutions de la ville de Paris, dit-il, je suis arrivé ici avec la confiance que j'y conserverai l'indépendance de mon âme. J'ai fait mes preuves. La République a toujours eu mes sympathies, et, lorsqu'en 1791, on tremblait de prononcer ce mot, j'étais ici à mon poste et je votais pour elle. Mais cette âme républicaine est incapable de fléchir sous les menaces, sous les violences d'hommes dont je ne connais ni le but ni les desseins. Croit-on que nous puissions devenir les esclaves de certains députés de Paris ?

Buzot, non-seulement appuie la proposition de Kersaint, mais il y ajoute la motion qui naissait naturellement de l'idée émise la veille par Roland, celle d'une garde départementale : Car il faut, s'écrie-t-il, que la Convention soit entourée d'une force tellement imposante, que non-seulement nous n'ayons rien à craindre, mais que nos départements soient bien assurés que nous n'avons rien à craindre.

Buzot termine son discours en formulant en termes nets et précis les trois propositions qu'il vient de développer :

Il sera nommé une commission de six membres chargés

1° De rendre compte, autant qu'il sera possible, de l'état actuel de la République et de celui de la ville de Paris ;

2° De présenter un projet de loi contre les provocateurs au meurtre et a l'assassinat ;

3° De rendre compte des moyens de donner à la Convention nationale une force publique à sa disposition, prise dans les quatre-vingt-trois départements.

 

Personne n'ose répondre à Buzot. Les amis de la commune insurrectionnelle sont réduits au silence. Le projet présenté par l'ex-constituant est adopté à la presque unanimité[9].

 

V

Le soir, à la nouvelle de ce qui vient de se passer à l'Assemblée, la plus grande fermentation règne au club des Jacobins. Là aussi, les deux partis sont en présence, car la Société des ex-amis de la Constitution compte encore dans ses rangs un certain nombre de membres qui sont disposés à suivre la fortune de la Gironde. Fabre d'Églantine, tout ému de la défaite que ses amis et lui ont essuyée dans une autre enceinte, fulmine un violent réquisitoire contre Buzot. Pétion veut défendre son ami, mais on refuse de l'écouter ; on déclare que la Convention vient de donner le signal de la guerre civile. Et cependant l'on applaudit Barbaroux, lorsqu'il annonce que huit cents de ses compatriotes sont en marche pour venir en aide à leurs braves frères parisiens et pour assurer le règne de la liberté et de l'égalité. Le jeune député des Bouches-du-Rhône n'avait pas encore publiquement rompu avec les ultra-révolutionnaires ; personne ne suppose que les nouveaux Marseillais pourraient bien ne pas être animés des mêmes sentiments que leurs devanciers, les trop fameux vainqueurs du 10 août[10].

La Société se sépare en, adjurant tous les députes présents de faire leurs efforts pour obtenir, le lendemain, le rapport du décret jeté comme un défi à la députation parisienne.

Des l'ouverture de la séance du 25, les Montagnards, fidèles à la promesse qu'ils ont faite à leurs amis du club de la salle Saint-Honoré, demandent que l'on revienne sur la mesure décrétée la veille. C'est le bouillant Merlin (de Thionville) qui commence l'attaque, et qui retourne contre les Girondins les accusations que depuis quatre jours ils avaient jetées a la face de leurs ennemis.

Le décret que vous a proposé hier Buzot mène directement à l'établissement d'une dictature ou d'un triumvirat. J'ai juré de combattre toute dictature et tout triumvirat. Or Lasource m'a déclaré hier qu'il existait dans le sein de la Convention un parti qui avait de telles aspirations. Qu'il le démasque, et je déclare que je suis prêt a poignarder le premier qui voudrait s'arroger un pareil pouvoir.

 

Directement interpelé, Lasource reproche à Merlin d'avoir porté à la tribune les confidences d'une conversation particulière. Néanmoins il accepte le débat. Hier au soir, raconte-t-il, dans une assemblée publique, j'ai entendu dénoncer les deux tiers de la Convention nationale comme aspirant a écraser les vrais amis du peuple, et à détruire la liberté. Dans le groupe qui m'entourait et dont Merlin faisait partie, on déclamait contre le projet de loi proposé pour la punition des provocateurs au meurtre et à l'assassinat ; j'ai dit et je dis encore que cette loi ne peut effrayer que ceux qui méditent des crimes nouveaux. On s'élevait contre la proposition de confier la Convention nationale à une garde composée de citoyens de tous les départements ; j'ai dit et je dis encore que la Convention ne peut ôter à tous les départements de la République le droit de veiller de concert sur la représentation nationale. Je crains le despotisme de Paris. Je ne veux pas que ceux qui y disposent de l'opinion d'hommes qu'ils égarent, dominent la Convention nationale et la France entière. Je ne veux pas que Paris devienne dans l'empire français ce que fut Rome dans l'empire romain. Il faut que Paris soit réduit à un quatre-vingt-troisième d'influence, comme chacun des autres départements. Jamais je ne consentirai qu'il tyrannise la République, comme )e veulent quelques intrigants contre lesquels j'ose m'élever le premier, parce que je ne me tairai jamais devant aucune espèce de tyran j'en veux à ces hommes qui, voûtant écarter à tout prix de la Convention nationale les membres de l'Assemblée législative dont ils redoutaient la résistance et F énergie, ont tenté de les faire égorger ; a ces hommes qui, le jour même où se commettaient les massacres, ont porté leur scélérate audace jusqu'à décerner des mandats d'arrêt contre huit députés à la Législative qui n'avaient cessé de servir la cause de la liberté.

C'était désigner assez clairement les dictateurs de l'Hôtel de Ville et la députation de Paris en qui ils se personnifiaient. Mais Lasource ne croit pas encore le moment venu de déchirer le voile qu'il a soulevé il termine ainsi la véhémente philippique que la brusque interpellation de Merlin vient de lui arracher

Je ne désigne personne. Je veux attendre que les hommes que je dénonce m'aient fourni assez de traits de lumière pour les montrer a la France tels qu'ils sont ; alors je viendrai à cette tribune, dussé-je en sortant tomber sous leurs coups homicides.

 

Mais ces ménagements ne peuvent convenir au bouillant Rebecqui, l'ami de Barbaroux : Oui, s'écrie-t-il, oui, il y a dans cette assemblée un parti qui aspire à la dictature ; c'est le parti Robespierre : voila l'homme que je vous dénonce.

Les anciens membres de la Commune, leurs amis et leurs complices, étaient trop directement incriminés pour pouvoir garder le silence ; Osselin, Billaud-Varennes, Tallien, Danton, Robespierre demandent en même temps la parole. Les trois premiers n'étaient que des comparses ; l'Assemblée les écoute à peine, tant elle a hâte d'entendre les explications des deux coryphées de la députation parisienne.

Danton se sentait sur un mauvais terrain ; il commence par un appel à la conciliation, et déclare qu'il regarde comme un beau jour celui qui amène une explication fraternelle entre tous les membres de l'Assemblée. Après s'être élevé contre les accusations vagues de dictature et de triumvirat, qui se renouvellent sans que personne ose les formuler d'une manière nette et précise, il essaye adroitement d'écarter la solidarité qu'on prétend établir entre tous les membres de la députation de Paris ! Je ne chercherai pas, dit-il, à justifier chacun de mes collègues ; je ne suis responsable pour personne. Je ne vous parlerai donc que de moi. Et il énumère tous les services que, depuis trois ans, il croit avoir rendus à la liberté.

Puis, imitant l'exemple que lui avaient donné quelques jours auparavant les membres de la commune insurrectionnelle, lorsqu'ils avaient voulu, eux aussi, se décharger de toute la responsabilité des journées de septembre sur celui que Panis avait subrepticement introduit dans le conseil de surveillance, Danton ajoute : Il existe dans la députation de Paris un homme dont les opinions sont pour le parti républicain ce qu'étaient celles de Royou pour le parti aristocratique : c'est Marat. Eh bien, j'invoque le témoignage du citoyen qui nous préside qu'il se rappelle et la lettre menaçante que moi, ministre de la justice, j'ai reçue de celui que l'on représente comme écrivant sous ma dictée, et l'altercation que nous eûmes ensemble à la mairie[11]. Du reste, il faut beaucoup pardonner à cet homme ; car son âme est ulcérée par les vexations qu'il a subies, par une vie passée, depuis trois ans, dans les souterrains où il s'était réfugié ; mais, pour quelques individus exagérés, n'accusons pas une députation tout entière. Quant à moi, je n'appartiens pas à Paris ; je suis né dans un département vers lequel je tourne toujours mes regards avec un sentiment de plaisir. Du reste, est-ce que nous appartenons à tel ou tel département ? Nous appartenons a la France entière.

Qui vous parle de détruire cette unité ? réplique Buzot ; quelle mesure peut d'ailleurs mieux la consolider que celle, adoptée hier en principe par la Convention, de la formation d'une garde composée de citoyens de tous les départements ?

Danton venait de séparer sa cause de celle de ses collègues de la députation de Paris, et de se mettre pour ainsi dire sous l'égide de Pétion. Une position aussi humble ne pouvait convenir à Robespierre. Prenant la parole pour la première fois depuis que, se présentant comme simple pétitionnaire, il avait, dans cette même enceinte, essuyé les dédains de t'Assemblée législative, l'orgueilleux tribun ne devait pas manquer une si belle occasion d'étaler les prétentions naïves de son absorbante personnalité. Pendant une heure entière, il se comptait dans le récit de ses faits et gestes révolutionnaires. Chacune des phrases de sa harangue commence invariablement ainsi : C'est moi qui ai fait ceci, c'est moi qui ai fait cela. On lui demande à plusieurs reprises d'abréger son apologie, mais il ne peut s'y résoudre, et la Convention est obligée de subir l'interminable récit des grands actes de civisme par lesquels, à t'entendre, il a si souvent sauvé la patrie, car il plaide, dit-il, non sa propre cause, mais la cause publique, que modestement il identifie avec la sienne.

Mais quand Robespierre s'est enfin décidé à clore son panégyrique, un jeune homme se lève des bancs de la droite, et, au milieu d'un profond silence, dit d'une voix haute et ferme : Barbaroux de Marseille se présente pour signer la dénonciation qui a été faite contre Robespierre. Et alors il précise les faits sur lesquels il base cette dénonciation ; Rappelez-vous la conspiration patriotique qui a été tramée pour renverser le trône de Louis XVI le tyran. Alors chaque parti voulait s'appuyer sur les valeureux combattants que nous avions amenés des Bouches-du-Rhône. Rebecqui et moi avons été le point de mire de toutes les intrigues et de toutes les séductions on nous fit venir chez Robespierre. Là on nous dit qu'il fallait se rallier aux citoyens les plus populaires. Panis nous désigna nominativement Robespierre comme l'homme vertueux qui devait être dictateur de la France. Nous lui répondîmes que les Marseillais n'abaisseraient jamais le front ni devant un roi, ni devant un dictateur. Voilà ce que je signerai et ce que je défie Robespierre de démentir.

Après avoir ainsi démasqué celui qu'il considère comme le principal coupable, le jeune orateur s'attaque à ses complices :

Je dénonce cette commune désorganisatrice qui envoyait des commissaires dans toutes les parties de la République pour commander aux autres communes ; qui délivrait des mandats d'arrêt contre des députés du corps législatif, contre un ministre, homme public dont la personne appartient, non pas à la ville de Paris, mais à la République entière. On ne veut pas de dictature, mais pourquoi alors s'opposer à ce que la Convention décrète que des citoyens de tous les départements se réuniront pour sa sûreté et celle de Paris. Citoyens, ces oppositions seront vaines ; les patriotes vous feront un rempart de leurs corps huit cents Marseillais sont en marche pour venir concourir à la défense de cette ville et à la vôtre. Marseille, qui a constamment prévenu les meilleurs décrets de l'Assemblée nationale, a choisi ces huit cents hommes parmi les citoyens les plus patriotes et les plus indépendants de tout besoin leurs pères leur ont donné à chacun deux pistolets, un sabre, un fusil et un assignat de 500 livres ils sont accompagnés par deux cents hommes de cavalerie armés et équipés à leurs frais. Ils vont arriver. Les Parisiens, nous n'en doutons pas, les recevront avec fraternité.

 

Cette explication de la nouvelle que les Jacobins avaient si bien accueillie la veille, parce qu'ils ne l'avaient pas comprise, excite les murmures de l'extrême gauche ; mais l'Assemblée presque tout entière éclate en applaudissements enthousiastes.

Tout a coup, de la crête de la Montagne part cette exclamation lancée d'une voix stridente : C'est pour me dénoncer que je demande la parole !

A ce cri, les députés se retournent, tous les yeux se dirigent vers l'interrupteur. On voit s'agiter sur son banc un être hideux, de qui ses voisins s'écartent avec une visible répugnance, mais qui semble jouir avec volupté de l'effroi qu'il inspire. Sa tête est couverte d'un mouchoir sordide, ses lèvres livides sont contractées par un affreux sourire, ses yeux jettent des lueurs sinistres, sa face jaunâtre respire l'audace et l'impudence, ses gestes sont convulsifs et saccadés. — C'est Marat, s'écrie-t-on. On se le montre du doigt, on contemple avec une sorte de stupeur le monstre que les érecteurs de Paris viennent de faire sortir de son antre pour le lancer au milieu de la Convention. Cependant, après le premier moment donné à la surprise l'Assemblée comprend que ce n'est qu'à force de calme et de dignité qu'elle peut conjurer l'effroyable apparition du spectre de Septembre. Le silence se rétablit, et tes accusations les plus précises viennent se formuler contre la Commune de Paris.

J'atteste, dit Boileau, que l'assemblée électorale de l'Yonne m'ayant délégué pour aller au-devant des commissaires du pouvoir exécutif, ceux-ci m'ont dit que la Commune de Paris s'était emparée de tous les pouvoirs, qu'elle était décidée à exercer la surveillance la plus active sur tous les actes du conseil exécutif et de l'Assemblée nationale qu'elle invitait les autres communes à se défier des administrateurs et des généraux, à se rallier à elle !

Autant de calomnies ! crie Tallien.

Je veux, dit Cambon, attester ici devant mes nouveaux collègues ce dont j'ai été témoin comme membre de l'Assemblée législative ; je veux renouveler devant eux une dénonciation qui a été faite à nos prédécesseurs sans qu'ils aient eu le temps d'y faire droit Je déclare avoir vu afficher dans Paris un imprimé ou l'on disait qu'il n'y avait d'autre moyen de salut public que le triumvirat. Cet imprimé était signé Marat.

En entendant de nouveau prononcer son nom, l'Ami du peuple bondit et apostrophe t'orateur ; mais Cambon ne s'émeut pas, et, faisant allusion à l'une des scènes les plus douloureuses des journées de septembre, à la démission présentée par Vergniaud au nom de la commission extraordinaire[12], il s'écrie Oui, j'ai vu, en des jours de deuil, j'ai vu des membres du corps législatif, forcés par d'audacieuses dénonciations de venir se démettre ici, à cette tribune, des fonctions qui leur avaient été confiées par !'Assemblée nationale ; j'ai vu des municipaux. violer des dépôts publics, mettre les scellés sur les caisses appartenant à la nation, s'emparer de tous les effets précieux renfermés dans des édifices nationaux, sans dresser aucun procès-verbal de tous ces enlèvements, et lorsqu'un décret a ordonné que ces effets fussent apportés à la trésorerie nationale, j'ai vu encore ce décret rester sans exécution. J'ai vu la Commune de Paris s'élever au-dessus des lois et refuser d'y obéir. N'existe-t-il pas une loi qui porte que la Commune de Paris sera renouvelée ? Elle ne l'est pas encore ! Les lois ne sont-elles donc pas obligatoires pour cette commune comme pour toutes les communes de la République ?Voilà les faits. Répondez, vous qui niez le projet d'établir à Paris une autorité dictatoriale.

A Douai, ajoute Fockedey[13], ou je me trouvais comme membre du directoire du département du Nord, les émissaires de la Commune de Paris ont osé tenir les propos les plus incendiaires. Ils ont dit à la société populaire : Dressez des échafauds que les remparts soient hérissés de potences, et que celui qui ne sera pas de notre avis y soit attaché. La Commune de Paris s'est emparée de tous les pouvoirs ; approuvez toutes les mesures qu'elle prendra, et elle sauvera l'empire !

A Meaux, ajoute encore un représentant de Seine-et-Marne, deux députés de la municipalité de Paris, décorés de leur écharpe, sont venus dans l'assemblée électorale nous annoncer qu'il n'y avait plus de lois que nous étions maîtres de faire ce que nous voulions, que nous étions souverains. Ils ont ensuite prêché le peuple, et le soir même quatorze têtes sont tombées. Ces municipaux, prétendus amis de la liberté, n'étaient que des incendiaires, des voleurs et des assassins[14].

Après cette avalanche de faits accablants pour la Commune et ses suppôts, Panis obtient la parole pour répondre à ce qui le concerne personnellement dans l'accusation de Barbaroux. JI oppose son adversaire une dénégation formelle et lui demande quels sont ses témoins.

Moi, a réplique Rebecqui.

Vous êtes son ami, objecte Panis, je vous récuse. Alors l'ex-administrateur de police commence un long récit tendant à expliquer comme quoi, magistrat chargé de veiller à la sûreté de la capitale et au maintien des lois, il a été la cheville ouvrière de l'insurrection du 10 août. Je n'ai vu, dit-il, Barbaroux que deux fois, et j'atteste que ni l'une ni l'autre je ne lui ai parlé de dictature. Depuis plusieurs jours, je faisais de vains efforts pour engager les Marseillais à venir prendre possession de la caserne des Cordeliers, section du Théâtre-Français, parce que cette section me paraissait devoir être, dans les moments de danger, le point de ralliement des patriotes. Danton y présidait. J'adjurai Barbaroux de m'aider à décider cette translation nous nous réunîmes un certain nombre de bons citoyens pour tramer patriotiquement le siège des Tuileries, et nous sauvâmes la patrie. Je n'ai pas revu depuis le citoyen Barbaroux, et j'atteste que je n'ai proposé ni à lui ni à d'autres la dictature de Robespierre.

Panis se voyant écouté, grâce à l'intérêt qu'éveillent ses révélations, se déclare prêt à justifier le comité de surveillance des inculpations qui viennent d'être formulées par les précédents orateurs.

Eh bien ! puisqu'il en est ainsi, s'écrie Brissot, qui se hâte assez maladroitement de se porter partie plaignante dans sa propre cause, pour quel motif avez-vous délivré un mandat d'arrêt contre un député ? N'était-ce pas pour l'immoler avec les prisonniers de l'Abbaye ?

Panis ne s'embarrasse pas pour si peu. On ne se reporte pas assez, reprend-il, aux circonstances terribles où nous nous trouvions. Nous vous avons sauvés, et vous nous abreuvez de calomnies Voilà donc le sort de ceux qui se sacrifient au triomphe de la liberté... Qu'on se représente notre situation : nous étions entourés de citoyens irrités des trahisons de la cour, on nous mettait le pistolet sur la gorge ; nous nous sommes vus forcés de signer des mandats, moins pour notre propre sûreté que pour celle des personnes qui nous étaient dénoncées. Un grand nombre de bons citoyens viennent nous dire que Brissot va partir pour Londres avec les preuves écrites de ses machinations ; je ne croyais pas sans doute à ces inculpations, mais je ne pouvais pas répondre personnellement et sur ma tête qu'elles ne fussent pas vraies ; je ne crus pouvoir mieux faire que d'envoyer chez lui des commissaires pour lui demander fraternellement communication de ses papiers. Les papiers ont prouvé l'innocence de Brissot, j'en étais convaincu d'avance.

 

VI

Certes l'impudence de Panis avait été grande ; un seul homme pouvait la surpasser, un seul homme pouvait augmenter l'invincible dégoût dont l'Assemblée n'avait pu se défendre en entendant l'ancien président du comité de surveillance, l'ancien pourvoyeur de la Force et de l'Abbaye, prétendre que c'était dans l'intérêt de la sûreté personnelle des individus qu'il lançait contre eux des mandats d'amener.

A peine cet audacieux menteur a-t-il quitté la tribune que Marat l'escalade et s'y cramponne. Un cri d'indignation s'élève de toutes parts ; la Convention, animée d'un sentiment presque unanime, voudrait écraser sous ses pieds le reptile venimeux qui s'étale devant elle et semble la défier. Mais Lacroix réclame le silence. Il importe, dit-il, que l'Assemblée ne prononce que lorsqu'elle aura tous les éclaircissements qui lui ont manque jusqu'ici. Le tumulte s'apaise ; l'Ami du peuple promène ses yeux hagards sur les diverses parties de la salle et commence ainsi :

J'ai dans cette assemblée un grand nombre d'ennemis personnels.

Tous, tous ! s'écrie l'Assemblée presque tout entière.

Eh bien ! je les rappelle a la pudeur, continue Marat impassible, car ce' ne sont pas de vaines clameurs, des huées, des menaces que l'on doit opposer à un homme qui s'est dévoué pour la patrie. Les accusations a l'aide desquelles on a espéré jeter de la défaveur sur la députation de Paris, je les accepte, mais je les accepte pour moi seul, car Danton, Robespierre et tous les autres ont constamment improuvé l'idée de dictature et de triumvirat...

Si quelqu'un est coupable d'avoir jeté dans le public ces idées-là, c'est moi. J'appelle sur ma tête la vengeance de la nation ! Mais avant de faire tomber sur ma tête l'opprobre ou le glaive, daignez m'entendre...

Lorsque j'ai vu la patrie entrainée au bord de l'abîme, me ferez-vous un crime d'avoir appelé sur la tête des coupables la hache vengeresse du peuple ? Non, si vous l'osiez, le peuple vous démentirait ; car, obéissant à ma voix, il a senti que moyen que je lui proposais était le seul pour sauver la partie, et, devenu dictateur lui-même., il a su se débarrasser des traîtres.

 

A cette apologie éhontée des attentats de septembre répond un long cri de réprobation. Le misérable folliculaire daigne à peine laisser voir qu'il s'en est aperçu :

J'ai frémi moi-même des mouvements impétueux et désordonnés du peuple lorsque je les ai vus se prolonger ; et, pour que ces mouvements ne fussent pas essentiellement vains, et qu'il ne se trouva pas dans la nécessité de les recommencer, j'ai demandé qu'il nommât un bon citoyen, juste et ferme, connu par son ardent amour de la liberté, pour diriger ses mouvements et les faire servir au salut public.

Si l'on m'avait cru, si l'on avait créé ce dictateur, auquel, pour l'enchaîner à la patrie, je voulais qu'on mit un boulet aux pieds et pour qui je ne demandais d'autre pouvoir que celui d'abattre des têtes criminelles, on verrait aujourd'hui la justice et la liberté établies dans nos murs. Telles sont mes opinions ; je les ai imprimées, j'y ai mis mon nom, je n'en rougis pas. Si vous n'êtes pas encore à la hauteur de m'entendre, tant pis pour vous. On m'a accusé de vues ambitieuses, mais voyez-moi et jugez-moi.

 

A mesure que Marat parlait, l'indignation se changeait en mépris. La péroraison grotesque du sanguinaire bouffon provoque un immense éclat de rire.

L'Ami du peuple ne s'en émeut pas ; la tète haute, il traverse la salle et va se rasseoir à son banc en bravant ses collègues du regard et du geste. Mais à l'ignoble 77 ;e/e succède le prince des orateurs de la Gironde ; Vergniaud paraît a la tribune. Pendant que le président l'invite à attendre que l'agitation se soit un peu calmée, le député de Bordeaux, abîmé dans ses réflexions, semble mesurer avec stupeur toute l'étendue de la honte qui vient d'être Infligée à la représentation nationale. Enfin d'une voix émue et avec un accent plein d'amertume, il débute ainsi :

S'il est un malheur pour un représentant du peuple, c'est d'être obligé de remplacer à cette tribune un homme charge de décrets de prise de corps qu'il n'a pas purgés...

Je m'en fais gloire ! hurle Marat.

Sont-ce les décrets du Châtelet dont on parle ? demande Chabot.

Sont-ce ceux dont il a été honoré pour avoir terrassé La Fayette ? ajoute Tallien.

... Un homme, continue Vergniaud, contre lequel il a été lancé un décret d'accusation, et qui ose encore lever sa tête audacieuse au-dessus de la loi un homme enfin tout dégoûtant de calomnies, de fiel et de sang.

Puis, sans entrer dans de plus longs développements, il se prépare à donner lecture d'une pièce qu'il a déjà dénoncée il y a quelques jours à l'Assemblée législative, il déploie un exemplaire de la fameuse circulaire du comité de surveillance[15]. A cette vue, la Montagne réclame l'ordre du jour avec fureur, les tribunes trépignent de colère ; mais la droite et le centre appuient l'orateur du geste et de la voix. Il faut en finir, s'écrie-t-on ; il est bon de les connaître tous.

Vergniaud relit cette page sanglante que l'on croirait datée des enfers, puis il rappelle que, le soir même des massacres, Robespierre dénonçait à la Commune le prétendu complot qui devait livrer la France à Brunswick, et dans lequel il impliquait impudemment lui, Vergniaud, et avec lui Ducos, Brissot, Guadet, Condorcet, Lasource, d'autres encore.

A ces mots, Robespierre se lève et s'écrie : C'est faux !J'en ai la preuve, répond un autre membre[16].

Vergniaud ajoute : Comme je parle sans amertume, je me fouetterai d'une dénégation qui me prouvera que Robespierre aussi a pu être calomnié.

Jean Debry demande que la pièce incriminée soit renvoyée a une commission spéciale, et que, passant a l'ordre du jour sur toutes les dénonciations, l'on s'occupe des principes fondamentaux de la République. Mais Boileau, le même qui déjà, au commencement de la séance, avait raconté les prédications des commissaires de la Commune envoyés dans l'Yonne, vient dénoncer un nouvel écrit de Marat : Voilà, dit-il, ce que ce léopard écrit avec ses griffes teintes de sang[17] : Si dans les huit premières séances de la Convention les bases de la Constitution ne sont pas posées, n'attendez plus rien de vos députés ; vous êtes perdus pour jamais... Ô peuple babillard, si tu savais agir ?

A l'Abbaye ! à l'Abbaye ! crie-t-on de toutes parts[18].

Et moi, ajoute Boileau, je demande que ce monstre soit décrété d'accusation.

Marat était au pied de la tribune, impassible et souriant ; il semblait prendre en pitié les colères et les agitations que les écrits signés de son nom venaient de soulever. Dès que Boileau a fini de parler, il demande la parole. Qu'il s'explique à la barre ! crie-t-on de différents côtés. Sans s'émouvoir, l'Ami du peuple prie l'Assemblée de ne pas se livrer à un accès de, fureur, mais bien plutôt d'écouter tranquillement le premier numéro d'une nouvelle feuille qu'il vient de fonder sous le nom de Journal de la République française : L'article lu par Boileau, dit-il, date déjà de dix jours ; je l'ai écrit lorsque j'ai vu nommer à la Convention des hommes que j'avais dénoncés comme ennemis publics, lorsque je craignais de voir triompher cette faction de la Gironde qui me poursuit aujourd'hui. Mais la preuve incontestable que je veux marcher avec vous, avec les amis de la patrie, c'est l'article que je vais vous lire. Alors vous jugerez l'homme que l'on accuse devant vous.

L'Assemblée ordonne que la lecture réclamée par Marat sera faite par un secrétaire. Dans cet article, l'Ami du peuple se louait pompeusement de sa propre sagacité, de son patriotisme, de son désintéressement, et déclarait vouloir immoler à l'amour sacré de la patrie ses préventions et ses haines.

La lecture terminée, Marat, qui n'a pas quitté la tribune, reprend la parole avec une nouvelle assurance et déclare qu'il s'honore de tous les décrets de prise de corps lancés contre lui par la Constituante et par la Législative : Ces décrets, s'écrie-t-il, le peuple les a anéantis en m'appelant parmi vous, car ma cause est la sienne. Si, du reste, mes ennemis vous avaient arraché un nouveau décret d'accusation j'étais déterminé à me brûler la cervelle au pied de cette tribune.

Aussitôt, il tire de sa poche un pistolet et se !'applique sur le front ; mais, voyant le peu d'effet que produit cette scène digne des tréteaux de la foire, il fait disparaître son arme, se croise fièrement les bras, promène son impudent regard sur les bancs de l'Assemblée et s'écrie : Eh bien je resterai parmi vous pour braver vos fureurs.

Une violente explosion de murmures répond à cette nouvelle insulte de l'Ami du peuple. Couthon demande que l'on cesse de s'occuper des individus et que l'on se mette enfin a travailler aux affaires de la République. De guerre lasse et aucune proposition formelle ne lui étant faite, l'Assemblée passe à l'ordre du jour. Alors, mais alors seulement, Marat se décide à évacuer la tribune ; il l'avait souillée, une heure durant, de sa hideuse présence[19].

 

VII

La Convention était réunie depuis cinq jours seulement, et déjà s'étaient dessinés les deux partis qui devaient la remplir de leurs querelles. La Gironde avait emporté tous les votes qu'elle avait réclamés ; une immense majorité s'était associée à elle lorsque, par la voix de ses plus illustres orateurs, elle avait flétri les massacres de septembre et leurs organisateurs, les usurpations de la Commune et ses commissaires ; lorsqu'elle avait proposé des lois nouvelles contre les provocateurs au meurtre et contre les fauteurs d'anarchie. Mais toute assemblée nombreuse veut être conduite, dirigée. Eue ne demande pas mieux, que de reconnaître des chefs, à la condition que ces chefs soumettront à ses votes des motions nettes et précises, qu'en lui montrant un but constant, certain, saisissable, ils lui donneront l'exemple de la discipline. Or, c'est ce que ne sut jamais le parti girondin. Composé d'individualités brillantes, mais, par cela même, jalouses de leur initiative et de leur indépendance, il n'en était que plus exposé aux divisions intérieures. Ses principaux membres avaient en outre ces hésitations, ces incertitudes, cette répugnance pour les moyens extrêmes, enfin toutes ces généreuses faiblesses qui ne permettent pas aux natures d'élite de diriger longtemps un mouvement révolutionnaire. Leurs motions se croisaient, s'entrechoquaient, se contredisaient l'une l'autre. Sans force de cohésion, sans esprit de suite, ces ardents polémistes, ces brillants orateurs avaient tout ce qu'il faut pour vaincre, mais ils ne savaient pas profiter de leur victoire.

Tout autres étaient leurs adversaires. La Montagne, au début de la session conventionnelle, ne comptait peut-être pas cinquante membres qui, suivant l'expression de Collot d'Herbois, adoptassent pour crédo politique le manifeste des septembriseurs ; mais tous les adeptes de cette monstrueuse doctrine étaient liés par la plus étroite solidarité, celle du crime. Ils savaient que la ténacité et la violence tiennent lieu du nombre et des talents. Ne se lassant, ne se rebutant jamais, ils revenaient sans cesse à la charge, redemandaient le lendemain le rapport des décrets votés la veiile à des majorités considérables. lis n'avaient qu'un but : perpétuer l'état d'anarchie dans lequel était plongée la France, parce que cette anarchie pouvait seule leur permettre d'assouvir à leur aise leurs vengeances et leur cupidité.

Entre la Montagne et la Gironde se trouvait la masse immense des conventionnels qui étaient arrivés des départements sans parti pris, sans autre dessein nettement formulé que de défendre le territoire contre l'invasion étrangère et la liberté contre l'anarchie. Cette masse ne demandait pas mieux que de suivre les inspirations de ceux que les journaux leur avaient depuis un an appris à considérer comme les plus fermes appuis de la Révolution elle se défiait de Robespierre et méprisait Marat ; Danton lui aurait plu par son énergie, son courage, par ses élans généreux et patriotiques mais elle voyait sur ses mains la trace du sang de Septembre. Pétion lui avait, de loin, été représenté comme le modèle de la sagesse et de la vertu ; mais, en le voyant de près, elle n'avait pas tardé à mesurer à sa juste valeur cet homme si complaisamment surfait. Vergniaud l'aurait subjuguée, entraînée, si elle avait pu compter sur la persistance de ses desseins comme sur l'éloquence de sa parole ; si elle n'avait pas vu le brillant orateur, après avoir rempli de sa voix puissante les échos de la salle du Manège, retomber dans ses rêveries et dans sa nonchalance habituelle.

Plusieurs des députés qui, à la Constituante ou à la Législative, s'étaient acquis un certain renom, Lacroix, Barrère, Rewbell, Cambon, bien d'autres encore, flottaient incertains entre les deux partis, ne sachant de quel côté pencher. Nous les avons déjà entendus, nous les entendrons encore proposer ou soutenir des mesures très-peu en harmonie avec les opinions ultra-révolutionnaires qu'ils professèrent plus tard. Leurs sympathies les portaient vers la Gironde, mais l'absence de direction et de logique qui se manifestera de plus en plus dans la conduite de ce parti les en éloignera peu à peu, et les forcera de se jeter dans les bras de la Montagne.

Si dans les huit premiers jours de la réunion de la Convention les Girondins, complètement maîtres de la situation, avaient, avec le concours de leurs amis du pouvoir exécutif, Servan, Clavière, Roland, proposé une série de mesures pour abattre le pouvoir de la Commune. punir les auteurs des massacres de septembre, et rétablir dans toutes les branches de l'administration publique l'ordre et la régularité si violemment bouleversés par les commissaires parisiens ; si surtout, après avoir fait adopter ces mesures, ils en avaient poursuivi la prompte et énergique exécution, une grande partie des effroyables calamités dont la France eut si longtemps à gémir auraient vraisemblablement été conjurées. Le crime était patent ; le sol des prisons était encore imprégné du sang des victimes, les dilapidations étaient avérées, les preuves contre les principaux coupables pouvaient être facilement rassemblées. tf eût fallu envoyer tous ces scélérats à la haute cour d'Orléans, qui probablement en aurait fait prompte et bonne justice mais il eût fallu vouloir, et vouloir avec logique, avec persévérance. Il eût fallu que la vigueur de l'exécution répondit à la véhémence des paroles il eût fallu faire moins de frais d'éloquence, et ne pas se contenter de ces triomphes de tribune, qui ne font le plus souvent qu'irriter les ressentiments et éveiller les jalousies.

 

VIII

La politique de la Commune, dans la situation que lui avaient faite les premières discussions de la Convention, était toute tracée céder devant l'orage, louvoyer, gagner du temps, et, s'il le fallait, jeter par-dessus .bord ceux de ses membres qui avaient contribué le plus à soulever la tempête. Le soir même du jour où Marat avait joué sa ridicule comédie du pistolet, elle envoie à la barre de la- Convention une députation.

Vous voyez devant vous, dit l'orateur, les délégués du conseil générât de la Commune provisoire de Paris. Ils viennent en hommes libres dire la vérité à des hommes libres. Nous avons, il est vrai, envoyé des commissaires dans différentes municipalités de la République française. Mais de quelle mission les avions-nous chargés ? C'était de propager cette union fraternelle dont nous avions besoin pour repousser l'ennemi. Voilà les instructions qu'ils étaient chargés de répandre. S'ils ont dépassé leurs pouvoirs, c'est à vous de les en punir. Nous vous dénonçons nous-mêmes le comité de surveillance de la ville. Le comité a beaucoup agi à l'insu du conseil général en paraissant agir en son nom. Nous avons révoqué une partie des membres, nous vous abandonnons le reste.

N'étant plus défendus par la Commune, les membres du comité de surveillance étaient dans la nécessité de se défendre eux-mêmes. C'est au nom du salut public que, le 27, deux des membres de ce comité viennent demander qu'on les maintienne au poste qu'ils ont si étrangement usurpé : Forts de notre conscience, disent-ils, nous repoussons les calomnies dont nous avons été l'objet. Nous avons cherché à déjouer tous les complots, a dévoiler toutes les trames nous en tenons le fil nous avons les preuves de la trahison des grands conspirateurs. Dans l'intérêt du peuple, il serait dangereux de remettre à d'autres l'achèvement de notre œuvre. Les membres du comité de surveillance demandent et sont prêts à continuer leurs fonctions sous leur responsabilité.

Devant une pareille audace, Rewbell s'écrie : Qu'est-ce que tout cela signifie ? quelles sont ces gens qui viennent nous dire qu'ils ne veulent pas exécuter la loi ? Je demande l'ordre du jour. Mais la majorité veut faire preuve d'impartialité la pétition est renvoyée au comité de sûreté générale, pour en faire rapport sous trois jours[20].

Ainsi toujours atermoyer, lorsque la Commune elle-même ne cherchait qu'à gagner du temps, lorsque rien n'était plus facile que de profiter de la réaction qui se manifestait de toutes parts contre les actes de la Commune et de ses suppôts. Cette réaction se traduisait chaque jour par des adresses fulminantes qu'apportaient a la barre les délégués des sections les moins suspectes de constitutionnalisme ou de modérantisme, comme on disait alors. Écoutons la pétition du faubourg Saint-Antoine

Législateur[21],

La section des Quinze-Vingts, qui n'a pas craint de poursuivre autrefois le despotisme couronné, vient vous dénoncer aujourd'hui la Commune de Paris. Les décrets de l'Assemblée législative sont sans vigueur ou méprisés ; les vôtres même demeurent sans exécution, et cependant le pouvoir exécutif ne poursuit pas devant les tribunaux les magistrats prévaricateurs, qui cherchent à perpétuer le désordre et l'anarchie. Lorsque, deux jours avant votre installation l'Assemblée législative décréta que, sous trois jours, la municipalité de Paris serait renouvelée en entier ; lorsque vous-mêmes, citoyens législateurs, avez ajouté à cette loi quelques articles pour en faire le complément, vous êtes-vous imaginé que la municipalité ne la mettrait pas à exécution, ou que le ministre négligerait les mesures nécessaires pour venger la majesté nationale outragée ? Cependant le fait est constant, et nos municipaux provisoires se jouent de vos décrets, comme ils ont fait de ceux de vos prédécesseurs ; la loi est méprisée, et votre autorité avilie ; nous n'avons plus de procureur de la Commune, plus d'administrateurs de police en état de remplir des fonctions aussi essentielles. Enfin, malgré vous, tout est provisoire à Paris. La tyrannie seule de nos municipaux patrioticides semble s'éterniser.

N'est-il donc pas temps que l'empire de la loi prenne la place de l'anarchie, du despotisme et de la licence ? Parlez, législateurs, et bientôt les nouveaux tyrans ne souilleront plus le sol de la liberté ; la section des Quinze-Vingts vous offre à cet effet son courage et ses forces.

 

De nombreux applaudissements accueillent la lecture de cette adresse ; le girondin Valazé demande qu'un décret contraigne la municipalité de Paris à rendre compte de l'exécution de la loi.

Léonard Bourdon ex-membre de la commune insurrectionnelle, essaye de défendre ses amis. II déclare que, si le conseil général n'a pas exécuté la loi qui ordonne son renouvellement immédiat, c'est qu'elle avait auparavant à exécuter une autre loi, celle qui concerne la distribution des cartes civiques. Il fallait, dit-il, que cette opération, qui a traîné en longueur, fût achevée avant la nomination du nouveau corps municipal.

On veut nous amuser avec des cartes ! s'écrie Barbaroux ; il est temps que l'autorité municipale s'abaisse devant l'autorité nationale ! Bazire, ancien membre du comité de surveillance de la Législative, et qui, par sa position spéciale, avait été fort au courant de tout ce qui s'était passé au comité qui portait le même nom à la mairie, Bazire fait observer que la commune de Paris a entre les mains pour plus de douze millions de bijoux, d'objets d'or et d'argent, d'assignats, d'effets de toutes sortes provenant des maisons royales, des saisies opérées chez les suspects. Il faut, dit-il, que les officiers municipaux soient tenus de rendre leurs comptes avant leur remplacement ; d'ailleurs, il est impossible de ne pas considérer comme solidaires le conseil général de la Commune et son comité de surveillance.

Tallien cherche à soutenir ses anciens collègues, et à expliquer les retards calculés que la Commune apporte a son renouvellement. L'organisation actuelle est vicieuse, le conseil général se propose de vous demander de la modifier en l'adaptant au régime de la liberté républicaine ; il désirerait notamment que les élections se fissent désormais à haute voix[22] ; il a néanmoins convoqué les sections pour le 9 du mois prochain. L'indication de cette date soulevant des murmures, Tallien veut bien reconnaître que le terme est un peu reculé ; mais le ministre de l'intérieur, dit-il, peut prendre des mesures pour hâter l'exécution du décret.

La Commune se moque des ordres du ministre, crie-t-on à droite.

Tallien, sans répondre à l'interruption, insiste sur la nécessité où se trouve la Commune, avant de se dissoudre, de faire rendre leurs comptes à chacun de ses membres. Il faut, dit-il, que la municipalité ait rassemblé tous les comptes particuliers, et qu'elle les ait apurés, pour vous présenter un compte général. Les miens sont apurés depuis trois jours ; mais je crois que plusieurs autres membres qui siègent dans cette Assemblée n'ont pas encore satisfait à cette formalité. Quant aux dépôts qui lui ont été confiés, je puis assurer qu'elle n'en a point abusé...

Et les prisonniers du 2 septembre ? lui crie-t-on.

Tallien feint encore de ne pas entendre. Il avoue que plusieurs anciens officiers municipaux ont désobéi à l'arrêté qui exigeait qu'aucun d'eux ne se retirât sans avoir préalablement rendu ses comptes. Il avoue également que les comptes du comité de surveillance ne sont point apurés. Mais le conseil général rendra les siens. Ce sera, ajoute-t-il, un nouveau triomphe pour la Commune de Paris et un moyen victorieux de détruire les calomnies dont elle a été l'objet. Son compte sera clair, exact, précis, et répondra parfaitement à ceux qui méconnaissent les services que la Commune de Paris a rendus à la chose publique. On voudrait faire oublier qu'elle a fait la révolution du 10 août...

Et celle du 2 septembre[23] ? répètent encore plusieurs voix au moment où Tallien descend de la tribune.

Cette date fatale revenait ainsi sans cesse, comme un glas funèbre rappelant le souvenir des victimes, et apprenant aux proscripteurs que l'heure de leur punition pouvait sonner d'un moment à l'autre.

 

IX

L'Assemblée semble vouloir en finir elle décrète que dès le lendemain, i' octobre, le ministre de l'intérieur fera un rapport écrit sur les mesures prises pour l'exécution du décret concernant la municipalité et les comptes qu'elle doit rendre.

Mais le lendemain, nouvel incident, pour l'explication duquel nous sommes obligés de remonter de quelques jours en arrière. Le conseil général de la Commune, comme nous l'avons vu, avait résolu de faire de son ancien comité de surveillance le bouc émissaire de toutes les iniquités commises depuis six semaines. Il avait révoqué de leurs fonctions les membres qui y siégeaient le 2 septembre, il leur avait même interdit de s'immiscer dans aucune fonction municipale sous peine d'être poursuivis, suivant la rigueur de la loi[24] ; mais Panis, Sergent et leurs amis n'avaient tenu aucun compte de ces arrêtés ; ils étaient restés nantis des objets précieux et des papiers sur lesquels ils avaient mis la main.

Devant cette résistance passive, le conseil avait simulé une très-violente colère ; le 29 septembre, au moment ou, par l'organe de ses défenseurs officiels et officieux, il s'efforçait de décliner toute solidarité entre lui et l'ancien comité, il avait ordonné :

1° Que les membres de ce comité seraient mandés à la barre, et tenus de faire connaître sa véritable composition au 2 septembre, en distinguant, parmi ses membres, ceux qui appartenaient et ceux qui n'appartenaient pas au conseil général de la Commune ;

2° Qu'il serait apposé sur les murailles de la capitale une affiche pour inviter les citoyens qui auraient des réclamations à faire contre le comité, pour raison d'actes arbitraires exercés depuis le 2 septembre dernier, a les produire dans le sein de la Commune, afin d'obtenir la justice qui leur était due ;

3° Que deux commissaires nommés par chacune des sections seraient invités a venir à la mairie examiner les comptes du comité de surveillance ;

4° Que les scellés seraient mis sur les effets d'or et d'argent et sur les bijoux dont le comité se trouvait dépositaire.

Après avoir joué l'indignation, il fallait jouer le désintéressement. Par un dernier arrêté, le conseil général ordonnait que tous ses membres, même ceux qui s'étaient retirés, seraient tenus de rendre compte de toutes les gestions dont ils avaient été chargés et de tous les dépôts qui leur étaient passés par les mains.

La reddition de tous ces comptes particuliers et leur réunion en un résumé générât devaient prendre un temps assez long le conseil général cassé et par la Législative et par la Convention, comptait bien que, durant cette période, il saurait se perpétuer dans un pouvoir auquel il tenait d'autant plus qu'il en avait plus abusé. Il fondait aussi ses espérances dilatoires sur les ambages dont la loi de 1790, encore en vigueur, avait hérisse les élections de la municipalité parisienne[25].

Il fallait, en effet, procéder d'abord a l'élection d'un maire, d'un secrétaire greffier et de ses deux adjoints, d'un procureur syndic et de ses deux substituts. Ces nominations préliminaires terminées, et elles pouvaient les unes et les autres entraîner plusieurs tours de scrutin, on devait alors, mais seulement alors, procéder dans chacune des quarante-huit sections a l'élection de trois membres du conseil général ; enfin, l'installation de la nouvelle Commune ne pouvait avoir lieu qu'après que le droit d'ostracisme, établi par la loi de 1790 sur les choix respectifs de chaque section, aurait été exercé par les quarante-sept autres.

Pendant ce temps, ne pourrait-on pas susciter, au sein de la Convention, des querelles sans cesse renaissantes, des incidents inopinés, qui émousseraient bien vite son énergie de fraîche date ? Mais s'il était facile au conseil générât de la Commune d'attendre tranquillement l'effet de ces machinations souterraines, il-n'en était pas de même pour l'ancien comité de surveillance. En vertu des derniers arrêtés du conseil général, les scellés venaient d'être apposés sur les locaux que ce comité occupait a l'hôtel de la mairie ; il se trouvait ainsi, par lé fait, dépouillé de tous ses moyens d'action. Acculé dans ses derniers retranchements, il lui fallait absolument tenter un nouveau coup d'audace. Panis et ses amis résolurent donc d'intervertir les rôles et de devenir accusateurs, d'accusés qu'ils étaient.

Le 1er octobre, le jour même où Roland devait faire connaître la manière dont Ja Commune exécutait les ordres réitérés du pouvoir exécutif et de t'Assemblée nationale, une députation du comité de surveillance demande à être admise à la barre pour un objet qui ne souffre aucun délai. La Convention décrète qu'elle sera entendue sur-le-champ. L'orateur s'exprime ainsi :

Les membres du comité de surveillance sont venus, il y a cinq jours, contracter vis-à-vis de vous {'engagement de démasquer les traîtres ; ils viennent aujourd'hui le remplir et se présentent devant leurs juges. Comme on pourrait soustraire de nos bureaux les pièces qui attestent les complots des traîtres avec la cour, nous vous apportons quelques pièces prises au hasard dans les cartons. Voici deux lettres l'une, datée de Hambourg, démontre que la cour faisait des accaparements de sucre et de café ; l'autre, adressée par Laporte à Septeuil, et datée du 3 février 1792, apprend combien les décrets de l'Assemblée nationale coûtaient à la liste civile.

L'accusation était catégorique. Aussi une vive agitation s'empare-t-elle de la Convention ; on demande qu'à l'instant même l'orateur produise la liste des députés qu'il prétend s'être ainsi vendus

Nous ne sommes pas en état de le faire immédiatement, répondent les délégués du comité maratiste.

Il nous faut la liste ! crie-t-on de toutes parts.

Mais, continuent les délégués, nous avons pris les précautions nécessaires pour que les prévenus ne puissent échapper à l'empire de la loi.

Ne précipitons rien, dit Kersaint. Lorsqu'une dénonciation qui porte un caractère aussi terrible éclate dans une assemblée, il faut se garder d'une détermination irréfléchie. Je demande que votre comité de sûreté générale vérifie à l'instant même les faits que l'on vient de signaler sans les prouver.

Un autre député ajoute : Puisque le comité de surveillance a pris des précautions pour s'assurer de la personne des coupables, il doit savoir leurs noms et être en état de les donner.

Nous ne nous refusons pas, réplique l'orateur du comité, à donner les lumières qu'on nous demande ; mais — et c'était là le but des habiles metteurs en scène de toute cette comédie — pour que la liste soit formée, il est indispensable que les scellés qui ont été apposés sur nos papiers soient levés immédiatement.

Comment ! s'écrie Rewbell, leurs papiers sont sous les scellés, et ils viennent faire une accusation semblable sans preuves, sans avoir la liste de ceux qu'ils dénoncent. Us sont bien coupables ceux qui agissent ainsi.

Tallien, Chabot, Merlin (de Thionvillel veulent défendre le comité de surveillance ; ils osent prétendre que, par la conduite qu'il vient de tenir, il a bien mérité de la patrie.

Lacroix propose que t'en apporte tous les papiers du comité de surveillance, et que la Convention les examine elle-même.

Si on nous prend nos papiers, si on les transporte ici, nous n'en répondons plus, objecte Panis.

Mais alors, nommez ceux que vous accusez, s'écrie Vergniaud ; il est affreux de soulever de semblables soupçons, c'est un assassinat moral.

Enfin, au milieu d'un grand nombre de propositions qui s'entrecroisent, Barbaroux lit un projet de décret qu'il vient d'écrire sur le bureau des secrétaires et qui est aussitôt adopté.

En vertu de ce décret, il devait être formé une commission de vingt-quatre membres, dont ne pourrait faire partie aucun des anciens membres des Assemblée constituante ou législative, ni aucun membre de la députation de Paris. Cette commission devait se transporter sur-le-champ à la mairie, sceller, contre-signer tous les cartons du comité de surveillance et faire l'inventaire de toutes les pièces qu'ils contenaient.

 

X

Il était écrit que la Convention ne verrait pas se passer une de ses séances sans qu'elle eût à s'occuper de la Commune et de ses agents. Le 2 octobre, Joseph Delaunay, au nom de la commission extraordinaire et du comité de sûreté générale, présenta un long rapport sur des pétitions signées par un grand nombre de personnes détenues dans les prisons de Paris en vertu de mandats d'arrêt plus ou moins réguliers. Ces infortunés demandaient à être mis en liberté provisoirement, à être soustraits non à la justice, mais au fer des assassins ; car, ajoutait le rapporteur, ils tremblent à chaque instant d'éprouver dans les prisons le sort de ceux qu'ils y ont remplacés.

Jamais encore les événements de septembre n'avaient été condamnés et nétris avec autant d'énergie.

Il est, disait Delaunay, il est de l'intérêt et de la dignité de la Convention nationale de prouver à la France et à l'Europe que la personne des individus innocents ou coupables jetés dans les prisons de Paris est aussi sacrée que celle des autres citoyens, et qu'étant sous la protection de la loi, les assassiner, c'est assassiner la loi même. Il faut que nous périssions ici ou que le règne des lois renaisse, que l'anarchie expire et que la hache révolutionnaire ne soit plus dans les mains des scélérats un instrument de terreur, de crime et de vengeance. En effet, si le gouvernement ne devait marcher qu'accompagné d'insurrections, si les scènes d'horreur qui se sont passées sous nos yeux devaient se renouveler, si l'autorité des représentants du peuple pouvait être un jour avilie et méconnue, si la force publique pouvait être égarée ou anéantie, la société serait dissoute, et il ne nous resterait qu'à gémir sur les ruines de la liberté[26].

Ce rapport, souvent interrompu par des applaudissements, concluait par un décret ainsi conçu :

Le comité de sûreté générale est autorisé à se faire rendre compte des arrestations relatives à la révolution, qui ont eu lieu dans toute l'étendue de la république depuis le 10 août ; à prendre connaissance de leurs motifs ; à se faire représenter la correspondance des personnes arrêtées, et généralement toutes les pièces tendant ou à leur justification ou à donner des preuves des délits dont ils sont accusés, pour en faire le rapport à la Convention nationale, et pour être par elle pris telle détermination qu'elle jugera convenable ;

La Convention décrète en outre que le rapport du comité de sûreté générale sera imprimé et envoyé aux quatre-vingt-trois départements.

Le surlendemain, 4 octobre, Valazé présente, au nom des Vingt-quatre[27], le rapport provisoire sur le travail de dépouillement et d'examen auquel les commissaires se sont livrés, par suite de la remise que le comité de surveillance de la Commune a été obligé de leur faire de tous ses papiers. II annonce qu'il faudrait des mois entiers pour dresser l'inventaire complet de ces dossiers, renfermés dans quatre-vingt-quinze cartons, six boîtes, dont une de trente-quatre pieds cubes, vingt portefeuilles, trente-quatre registres, et des pièces innombrables jetées pêle-mêle dans des sacs à blé.

— Jusqu'à présent, dit un autre membre de la commission, Lehardy, quoique nous ayons interrogé les accusateurs et que nous les ayons sommés de prouver leurs dires, nous n'avons rien trouvé qui fût relatif à la dénonciation faite d'une manière si vague et si perfide contre les membres des anciennes assemblées. Nous avons en main la preuve de beaucoup de faits à la charge du ci-devant roi et des agents de sa liste civile, mais rien qui puisse incriminer ni des hommes qui, dans l'Assemblée législative, ont employé leurs veilles a déjouer l'aristocratie, ni ce ministre vertueux qui jouit de l'estime de la nation entière[28].

Un troisième commissaire, Biroteau, ajoute :

Nous sommes tous convaincus, par l'examen auquel nous nous sommes livrés, que la dénonciation faite à cette barre n'était qu'une calomnie dirigée par les membres du comité de surveillance contre plusieurs de nos collègues qu'ils ne nomment pas, qu'ils sont dans l'impuissance de nommer ; mais nous devons dire à la charge de ces mêmes membres du comité, que nous avons trouvé des documents qui prouvent l'innocence de plusieurs personnes massacrées dans les prisons...

L'orateur est interrompu par un mouvement d'horreur. Ils ont été sacrifiés, continue-t-il, parce que celui qui expédiait les mandats d'arrêt s'était trompé sur leurs noms.

L'indignation est au comble dans l'Assemblée et même dans les tribunes. Biroteau poursuit :

Nous avons demandé au comité de surveillance de nous indiquer les pièces à J'appui de sa dénonciation. Il ne nous a remis que des lettres, la plupart insignifiantes. On a trouvé une liste de personnes contre lesquelles des mandats d'amener devaient être lancés. Nous avons fait venir toutes ces personnes, nous les avons interrogées, eh bien ! ces interrogatoires n'ont servi qu'à prouver leur innocence et leur civisme.

On demande à grands cris la mise en accusation des massacreurs.

Il faut, s'écrie Kersaint, que l'Europe sache que quelques scélérats ne sont pas la nation, et que ces scélérats vont être punis par elle[29].

— Il est temps que les factieux rentrent dans le néant, reprend Biroteau au milieu d'applaudissements prolongés. Il est temps que le peuple de Paris, peuple bon et juste, mais trop facile à séduire et qui a donné jusqu'ici une confiance aveugle à quelques intrigants, connaisse ses véritables amis.

— Oui, oui ! s'écrie la majorité ; la minorité murmure.

Vos commissaires ont rougi de servir d'instruments a une faction qui mérite d'être dévoilée, et qui, dans la postérité la plus reculée, sera un objet d'opprobre pour tous les Français.

Les montagnards bondissent.

Je demande que la Convention charge les commissaires qu'eue a nommés de dresser un état raisonné de leurs opérations, non pas seulement en ce qui concerne la dénonciation faite par les membres du comité de surveillance, mais encore pour tout ce qui pourra servir à dévoiler les factions dont je parle. Je demande que dès demain la Convention s'occupe de l'organisation de la force armée des départements qui doit garder Paris.

Osselin essaye de présenter la défense de ses amis de l'Hôtel de Ville. Il fait observer que les commissaires de la Convention qui crient à la calomnie devraient eux-mêmes n'accuser que pièces en mains. Marat vient au secours d'Osselin et prétend que le comité de surveillance a fourni des pièces authentiques qui prouvent le projet formé par les agents de la cour de corrompre certains membres de la Législative pour rejeter sur là nation des dépenses qui devaient incomber la liste civile ; et l'Ami du peuple se met à parler d'un portefeuille qui, dit-il, contient des pièces très-importantes.

Ce portefeuille, répond Barbaroux, renferme des pièces qui prouvent les manœuvres des agents de la liste civile ; mais, en même temps, l'examen sommaire des pièces qu'il contient nous a déjà convaincus que les membres du comité de surveillance vous en ont audacieusement imposé, quand ils vous ont affirmé qu'ils possédaient les preuves et la liste d'une distribution d'argent faite pour corrompre des membres de la Législative.

Les soupçons tombaient principalement sur Ribes. On a trouvé, en effet, la signature de Ribes dans les papiers de la liste civile, mais non pas celle de Ribes, membre de t'Assemblée législative, mais celte de Ribes, banquier et directeur des monnaies à Perpignan. Il y a plus c'est que, loin d'avoir reçu 800.000 francs, c'est lui qui les a prêtés.

Toutes ces dénonciations, s'écrie Lacroix, ne sont qu'une tactique pour accabler la commission de fatigues inutiles et l'abreuver de dégoûts.

Il faut que les calomniateurs soient frappés du glaive de la loi, ajoute Lecointe-Puyraveau. Je vous dénonce les misérables qui ne peuvent vivre qu'au milieu des troubles et ne s'abreuvent que de sang. Je vous dénonce un homme qui ne cesse de tapisser les murs de ses productions incendiaires, un homme qui, le soir même de la dénonciation du comité de surveillance, faisait annoncer par ses crieurs à gages qu'un grand complot de la faction brissotine venait d'être découvert.

 

Trois fois déjà Marat avait demandé à défendre ses anciens collègues du comité de surveillance, et trois fois la bruyante indignation de la majorité avait étouffé sa voix.

Mais, à cette dernière dénonciation, l'.4nM du peuple s'étance a la tribune et réclame à grands cris la parole. On veut la lui refuser, il la prend. J'applaudis au zèle du citoyen courageux, qui m'a dénoncé à cette tribune... Les murmures l'empêchent de continuer. On réclame de toutes parts la clôture de la discussion ; cependant Buzot obtient un instant de silence pour faire de sa place une motion d'ordre : Prenons garde, dit-il, de donner à Marat une importance qu'il ne mérite pas ; tant discuter un tel homme, c'est paraître faire attention à lui. Lorsque l'on demande que Marat soit entendu, il me semble entendre les Prussiens le demander eux-mêmes ; car laisser parler Marat, le laisser sans cesse attaquer les membres de la Convention, n'est-ce pas avilir la Convention elle-même ? N'est-ce pas faire ce que les Prussiens désirent ? Les envahisseurs étrangers ne peuvent avoir d'espérance que dans nos divisions intestines. Que fait chaque jour Marat, si ce n'est diriger contre nous les poignards des assassins et allumer la guerre civile ? Eh quoi ! lorsque nous avons l'ennemi à repousser, lorsque nous avons besoin de l'union la plus intime, lorsque tant et de si importants travaux nous pressent, verra-t-on toujours les représentants d'un grand peuple s'occuper d'un homme de cette espèce ?

A ces mots, l'immense majorité de l'Assemblée éclate en applaudissements. La crête de la Montagne insiste pour que l'on écoute la justification de Marat. Le hideux personnage est toujours à la tribune, !'œil fixe, la tête haute. A chaque apostrophe, il sourit dédaigneusement ; a chaque interruption il déclare qu'il a la parole et qu'il ne la cèdera à personne.

Devant une pareille insistance, quelques députés croient que l'on en finira plus vite en le laissant parler d'autres ne veulent absolument pas l'entendre. Les Girondins, comme presque toujours, se divisent eux-mêmes sur cette question. Les uns appuient la motion de Buzot pour que la parole soit retirée à Marat par un décret formel de l'Assemblée ; les autres consentent à l'écouter, mais ils lui font acheter cher leur dédaigneuse tolérance.

Lasource : Il faut que la France connaisse cet homme ; je demande moi-même qu'il soit entendu.

Lidon : Puisque le corps électoral de Paris a prononcé contre nous le supplice d'entendre un Marat, je réclame le silence.

Cambon : Comme il est juste d'entendre le crime aussi bien que la vertu lorsqu'ils sont attaqués, je demande que Marat soit entendu.

L'Ami du peuple débute ainsi :

Je ne m'abaisserai pas à relever les invectives qui viennent de m'être adressées... Le peuple méjugera, il prononcera entre vous et moi... Quant à mes opinions, quant à mes sentiments, quant à ma vie politique, je suis au-dessus de vos décrets.

A l'ordre ! à l'ordre ! crie-t-on de toutes parts. Mais la voix de l'orateur domine le tumulte ; plus on le hue, plus il s'exalte.

Non, reprend-il, il ne vous est pas donné d'empêcher l'homme de génie de s'élancer dans l'avenir... Ah si l'on avait eu, dès le commencement de la révolution, le bon sens de comprendre les avantages de ce que je proposais alors !... J'ai cru apercevoir, dans cette Assemblée, un parti formé contre le comité de surveillance, je l'ai dénoncé. Le but de ce parti était d'enlever au comité les pièces de conviction des trahisons de la cour...

Les rires et les murmures avaient interrompu à chaque phrase l'Ami peuple, mais une si scandaleuse diffamation fait éclater une colère générale. On demande de toutes parts que la parole soit retirée à Marat ; mais lui, hurlant de toute la force de ses poumons, dénonce nominativement aux vengeances du peuple Brissot, Lasource, Guadet, Vergniaud, tous ces hommes qui ont intrigue au moment des élections, tous ces hommes qui ont proposé naguère une guerre désastreuse devenue il est vrai favorable par des événements imprévus, tous ces hommes qui ont demandé la suppression de la Commune de Paris, parce qu'elle a fait la révolution du 10 août...

Et les crimes du 2 septembre, répètent plusieurs voix.

Mes interrupteurs, reprend Marat, ne jettent ici en avant qu'une imputation calomnieuse. C'est le déni de justice du tribunal criminel par l'absolution de Montmorin, qui a produit les événements du 2 septembre.

Marat quitte enfin la tribune. Guadet s'y élance.

Citoyens, s'écrie-t-il, au milieu des dénonciations où se vautre un homme dont je me suis bien promis de ne jamais prononcer le nom, je devais m'attendre a être impliqué dans ses calomnies... Il m'a accusé d'avoir intrigué dans mon département ; oui, j'ai écrit à Bordeaux pour demander a mes amis de ne pas se souvenir de moi lors des élections conventionnelles, parce que ma santé délabrée me faisait un besoin du repos, mais aussi parce que je redoutais d'être associé dans cette Assemblée à quelques hommes pour qui révolution signifie massacre, liberté signifie licence, pour qui la patrie enfin ne signifie que parti et faction. Malgré mes prières, mon département m'a donné de nouveau sa confiance ; mais cette confiance, je ne l'ai pas obtenue sous l'auspice des poignards, je ne la dois pas à la terreur et à l'épouvante dont ici, a Paris, tous les citoyens étaient saisis. Je m'en tiens à ce mot.

 

L'Assemblée ratifie par de frénétiques acclamations cette condamnation des élections parisiennes, et adopte la rédaction définitive du décret proposé dans le but d'investir les Vingt-quatre de pouvoirs illimités pour la vérification des pièces que leur a remises le comité de surveillance. Puis, la séance est levée sans que l'on songe à prendre des résolutions plus énergiques et surtout plus efficaces.

 

XI

Les injonctions réitérées de la Convention et du ministre de l'intérieur avaient forcé la municipalité parisienne à avancer de quelques jours l'époque primitivement fixée par elle pour le commencement des opérations électorales. Les quarante-huit sections avaient été convoquées pour procéder, le 4 octobre, à l'élection du maire. Aussitôt, la question du mode de votation fut remise sur le tapis au club des Jacobins. Le scrutin secret était le seul mode légal, mais le vote à haute voix avait été audacieusement pratiqué pour l'élection de la députation parisienne, et la Convention avait couvert de sa tolérance cette inégalité flagrante en n'élevant aucune contestation sur la validité des pouvoirs de Robespierre, de Danton et de leurs collègues. Enhardis par ce précédent, les orateurs de la salle Saint-Honoré développent sur tous les tons la théorie inventée récemment par les meneurs de la démagogie : Le peuple, chaque portion. du peuple, et par conséquent chaque section, à le droit d'user de sa part de souveraineté comme bon elle l'entend.

Cette singulière théorie n'était rien moins que la négation de toutes les lois. Mais les Jacobins n'y regardaient pas de si près. Ils invitèrent donc leurs affidés à soutenir et à faire adopter dans leurs sections respectives le mode de votation publique à haute voix.

La proposition en ayant été faite dans la plupart des sections, un certain nombre d'entre elles envoyèrent des députations à l'Assemblée nationale pour lui demander de rendre d'urgence un décret qui substituât le vote à haute voix au scrutin secret, non-seulement pour l'élection du maire, mais encore pour le renouvellement du conseil général.

Pendant trois jours, ces députations se succèdent a la barre sans obtenir le moindre succès. Enfin, le 7, la section des Gravilliers revient à la charge, et ses délégués lisent une adresse où, tout en protestant de leur respect pour les décisions de la Convention, ils revendiquent à chaque phrase la liberté absolue dont doit jouir le peuple souverain assemblé dans ses comices. Cette adresse se terminait ainsi : Nous ne souffrirons pas que le despotisme sénatorial remplace le despotisme monarchique ; nous ne souffrirons pas qu'il s'élève de nouveaux tyrans, sous quelque dénomination qu'ils se déguisent et de quelque masque qu'ils se couvrent.

La lecture d'un si audacieux manifeste avait été interrompue par les murmures de l'Assemblée ; le président Lacroix se rend l'organe des sentiments qui animent ses collègues. Citoyens, dit-il, le droit de pétition est sacré ; mais ceux qui se présentent à la barre pour en faire usage ne doivent pas oublier le respect qu'ils doivent aux représentants du peuple français, et non pas seulement du peuple de Paris. La Convention ne connaît qu'un peuple, qu'un souverain, c'est la réunion des citoyens de toute la République. Ce n'est pas par les menaces qu'on intimidera les représentants de la nation ; ils ne craignent rien, ils l'ont déclaré solennellement, et ce que vous dites pour les rassurer était parfaitement inutile. La Convention entendra toujours avec plaisir le langage de la liberté ; mais elle ne souffrira jamais celui de la licence ; elle vous permet d'assister à sa séance au nombre fixé par la loi, vingt !

L'Assemblée s'associe par des applaudissements presque unanimes à la réponse du président, elle en ordonne l'impression et l'envoi aux départements, puis elle passe à l'ordre du jour sur la pétition des Gravilliers et sur toutes celles du même genre qui lui avaient été précédemment adressées en adoptant le considérant proposé par La Révellière-Lepaux il n'y a pas lieu de faire une exception à la loi pour la ville de Paris.

Le lendemain 8, la Gironde fait une autre réponse, plus significative encore, aux menaces des sections ultra-révolutionnaires. Buzot, au nom de la commission des six[30], dépose son rapport sur l'organisation de la garde départementale.

Un nouvel ordre de choses, y disait l'ex-constituant, commence pour la France ; nous ne devons plus reconnaître d'autre maître que la loi qui émane de la volonté librement exprimée par les représentants de la république entière.

A qui appartiennent les représentants ? A toute la nation donc la nation doit être appelée a tes honorer de sa vigilance et à les couvrir de son égide... Le principe de l'unité et de l'indivisibilité de la République est sacré, c'est dans ce principe que Paris puise sa richesse et sa splendeur. Paris doit donc voir avec reconnaissance la proposition qui est faite. Paris a renversé le despotisme, bien servi la liberté, bien mérité de la patrie mais Paris eût en vain combattu si le peuple des départements n'avait applaudi au renversement du despotisme, juré de soutenir la révolution, multiplié ses sacrifices pour la liberté, envoyé de nombreuses légions, prodigué son or avec son sang pour la défense de la patrie.

Il y a solidarité entre les départements et Paris ; s'ils réunissent leurs efforts pour défendre les intérêts communs, qui peut le redouter, si ce n'est les factieux ?... Reconnaître aux départements leur droit à concourir à la garde de ce qui leur appartient, leur en assurer l'exercice, les attacher enfin au centre vers lequel il faut rappeler les forces et les affections de toutes les extrémités, prévenir les défiances et les divisions si faciles à naître et si funestes dans leurs suites, c'est en même temps ôter à la malveillance tout prétexte de saper la Constitution que vous devez établir, c'est vous mettre à même de la méditer avec sagesse et de l'offrir pure et entière au vœu du peuple dans les assemblées primaires.

 

Le rapport concluait à ce que chaque département envoyât autant de fois quatre fantassins et deux cavaliers qu'il avait de députés. On devait avoir ainsi un total, de quatre mille quatre cent soixante-dix gardes nationaux .qui seraient casernés à Paris et recevraient la paye de la gendarmerie. Les hommes destinés à composer cette garde devaient être choisis par les conseils généraux des départements parmi les citoyens auxquels les districts et les communes auraient donné des certificats de civisme. Le choix de leur commandant était réservé a l'Assemblée nationale.

La Convention, après avoir entendu le rapport de Buzot, décide qu'elle fixera ultérieurement le jour ou il sera discuté ; mais le parti démagogique n'attend pas une heure pour se déchaîner contre le projet girondin. Robespierre commence l'attaque dans une de ses Lettres à ses commettants.

Cette proposition, écrit-il, est aussi bizarre par son objet qu'importante par ses conséquences ; c'est une œuvre préparée de longue main par les dénonciations journalières du ministre de l'intérieur et les déclamations de quelques députés contre tout ce qui porte le nom parisien. Elle n'a d'autre but que d'assurer contre Paris le triomphe de la coalition qui domine la Convention. Ces idées développées, ou plutôt ressassées en d'interminables périodes, Robespierre déclare, au nom de ce qu'il appelle les principes, que dans tout État constitué, la force publique est une comme la volonté générale qu'elle est destinée à faire respecter ; que toute force particulière affectée à un homme, à une assemblée, quelque constituée qu'elle soit en puissance, est un monstre dans l'ordre social. Il pose ce dilemme : Ou bien les délégués du peuple ont sa confiance, ou ils ne l'ont pas. Au premier cas, ils n'ont pas besoin de force armée ; dans le second, ils ne l'appellent que pour opprimer le peuple.

Le texte ordinaire des déclamations de tous les ennemis de la liberté, c'est la tyrannie du peuple de Paris, comme si les Français de Paris étaient d'une autre nature que ceux qui habitent les autres contrées de la France !... Paris fut l'écueil du despotisme royal. Il est destiné à être celui de toutes les tyrannies nouvelles. Aussi, tant qu'il y aura en France dés ambitieux qui méditeront des projets contraires à la cause publique, ils chercheront à calomnier, à détruire Paris.

Prudhomme, dans ses Révolutions, Marat, dans son Journal de la République, font chorus a Robespierre ; mais c'est surtout dans la salle Saint-Honoré qu'éclatent les colères montagnardes. Furieux de voir leurs amis en minorité dans le sein de la Convention, et les nouveaux conventionnels se montrer très-peu disposés à se faire inscrire sur la liste de leurs adeptes[31], les jacobins attendaient l'occasion de frapper un grand coup. Le rapport de Buzot la leur fournit. Ils le regardent comme une déclaration de guerre et veulent user de représailles envers la Gironde. Ne pouvant atteindre l'ex-constituant qui avait été jadis l'un des fondateurs du club, mais qui s'était bien garde, à son retour a Paris, de se faire réinscrire sur ses registres, ils font tomber leur ressentiment sur le député qui, à tort ou à raison, passe pour le chef du parti. Brissot, par une décision solennelle, est exclu de la société pour avoir osé mal parler de la Commune de Paris. Chabot formule la sentence, et la société la vote par acclamation[32].

 

XII

L'excommunication fulminée, aux Jacobins, par le capucin Chabot n'intimida pas Brissot et ses amis. La commission des Vingt-quatre, on se le rappelle,. avait été chargée d'examiner toutes les questions qui se rattachaient à la gestion de la municipalité parisienne. Elle se trouvait saisie de l'examen de pétitions signées par des citoyens qui n'avaient pas pu obtenir le récépissé des dépôts d'or et d'argent faits à la Commune. Le 10 octobre, par l'organe de l'un de ses membres, Bailleul, elle annonce qu'à l'occasion de ces pétitions des faits graves lui ont été révélés, mais que les immenses occupations dont elle est surchargée ne lui permettent pas de donner à l'instruction de cette partie des comptes municipaux tout le temps nécessaire ; qu'en conséquence il y a lieu d'instituer une commission nouvelle, spécialement chargée de recevoir les déclarations des dépôts faits à la Commune et à la mairie, avec spécification de leur nature et du lieu de leur remise.

Cette proposition fait jeter les hauts cris aux amis de la Commune. Léonard Bourdon et Thuriot réclament un délai, le premier de deux mois, le second de quinze jours, pour la réception des déclarations et la reddition des comptes municipaux. Albitte demande que les comptes de la Commune soient imprimés préalablement à la réception des déclarations. C'eût été ajourner indéfiniment l'ouverture de l'enquête sur la gestion si embrouillée de la Commune. La majorité le comprend ; elle exige que l'on ferme la discussion et que l'on vote immédiatement le décret proposé par les Vingt-quatre. Vous voulez donc mettre l'honneur de la Commune de Paris à la discrétion de quelques malveillants ! ') s'écrie Legendre.

L'honneur de la Commune de Paris, réplique Lanjuinais, consiste à présenter un compte exact et clair. Depuis que la Convention est assemblée, on s'est joué d'elle avec persévérance.

Je n'accuse ni la Commune, ni le comité de surveillance, ajoute Barbaroux, mais il faut connaître les dilapidateurs. De l'aveu même du comité de surveillance, il a disparu, depuis le 10 août, une très-grande quantité d'argenterie et une somme de onze cent mille livres en or.

Le décret, dit Cambon, toujours attentif à ce qui concerne les finances de l'État, le décret qui ordonne à tous les dépositaires d'effets d'or et d'argent appartenant à la nation de les faire transporter a l'hôtel des monnaies n'a point été exécuté... Je ne conçois pas comment on peut s'opposer ce que la lumière soit portée sur toutes les opérations de finances. Il faut que le peuple souverain connaisse l'emploi qu'on a fait de ce qui lui appartient ; il faut qu'il connaisse les dilapidations et les dilapidateurs ; et puisque les lois sont insuffisantes, puisqu'elles sont impunément éludées, je demande qu'on en appelle au peuple ; c'est lui qui jugera toutes les opérations. Cambon est très-vivement applaudi.

Les affidés de la Commune, désespérant d'empêcher l'adoption du décret, usent alors d'une tactique qui leur a déjà souvent réussi. Ils proposent que les déclarations soient faites haute voix et qu'on leur donne immédiatement la plus grande publicité possible. C'est Tallien qui, le premier, émet l'idée d'organiser ainsi un vaste système d'intimidation autour de la commission d'enquête, c'est Danton qui l'appuie.

Vous voulez, dit l'ancien ministre de la justice, porter la lumière sur les opérations de la Commune de Paris ? Eh bien c'est demander une chose qui va droit au but que de vouloir que les déclarations soient publiques. Celui qui n'a pas le courage de signer sa dénonciation et de la soutenir publiquement doit être réputé délateur.

Si vous décrétiez que ces déclarations seraient faites publiquement, réplique Rewbell, les recherches deviendraient inutiles. Celui qui a osé voler ose assassiner pour couvrir son vol.

Mais Sergent insiste ; il voudrait au moins que les déclarations fussent appuyées de pièces justificatives, car, dit-il, je ne vois dans votre décret que l'intention de faire calomnier l'honnête homme par le scélérat payé.

Lorsque des délits ont été commis, répond Lanjuinais, aux applaudissements de la majorité, lorsque des fonds ont été dilapidés, les coupables en font-ils dresser des actes notariés ?

La Convention, sans plus s'arrêter aux objections intéressées des anciens membres de la Commune, de leurs amis ou de leurs complices, vote le décret proposé par les Vingt-quatre[33].

Ce décret témoignait à chaque ligne du peu de confiance que l'Assemblée avait dans les étranges dépositaires de l'Hôtel de Ville. Il ordonnait, en effet, que six commissaires fussent choisis parmi les membres de la Convention, à l'effet de recevoir les déclarations des citoyens qui avaient fait, entre les mains des membres de la Commune de Paris, des dépôts d'argenterie et autres objets. Les commissaires devaient ensuite rapprocher ces déclarations des procès-verbaux, et, après en avoir vérifié l'exactitude, exiger la représentation des objets mentionnés et leur dépôt immédiat à la Monnaie. Dans le cas ou les objets déclarés ne seraient pas mentionnés dans les procès-verbaux dressés par la Commune, et ou les personnes désignées comme en ayant reçu le dépôt ne les représenteraient pas, les six commissaires étaient autorisés à faire comparaître devant eux et contradictoirement les déclarants et les dépositaires ; procès-verbal serait dressé de leurs explications respectives, et il en serait référé à la Convention. Enfin, le décret devait être envoyé, lu et affiché dans les quarante-huit sections[34].

 

XIII

La proposition des Vingt-quatre était à peine adoptée, que Marat s'élance à la tribune et demande que les dispositions que l'on vient de voter soient étendues à tous les fonctionnaires publics ayant eu entre les mains des effets enlevés aux émigrés ou dans les dépôts nationaux. A l'agitation qui règne dans cette assemblée, dit-il, on pourrait croire que la vérité n'est pas l'objet de vos recherches. Comme on l'interrompt, il reprend ironiquement : J'écarte de moi tout soupçon. La justice est dans vos cœurs. Vous ne croirez pas devoir rendre un décret tombant sur la municipalité de Paris seule... — Oui, oui, crie-t-on de toutes parts, nous sommes justes et impartiaux !La municipalité parisienne elle-même, continue l'Ami du peuple, a été la première à vous demander de faire examiner ses opérations. Il est incontestable qu'il y a des mauvais sujets dans la municipalité et dans le comité de surveillance de la Commune. Ce comité de surveillance du 10 août a lui-même expulsé deux de ses membres dont il suspectait la pureté[35]. Mais hier on a dit à cette tribune qu'il avait été enlevé du comité de surveillance onze cent mille livres en or. J'ai voulu connaître le fait. Je suis allé moi-même au comité de surveillance, et je me suis assuré que ce n'était encore qu'une présomption. Mais un fait bien certain, c'est que les commissaires des sections qui ont été à la recherche des diamants volés au garde-meuble, ont déposé ceux qu'ils ont retrouvés entre les mains du vertueux Roland, sans en dresser procès-verbal, et tout le monde sait qu'il est très-facile de substituer des diamants de très-peu de valeur à des diamants d'un grand prix. On a déposé aussi entre les mains du ministre Roland l'argenterie enlevée au château de Louvois et une cassette qui contenait plusieurs diamants de la couronne je demande que votre décret soit étendu au ministre Roland.

L'Assemblée murmure ; les tribunes applaudissent.

Lanjuinais déclare être le premier a consentir à ce que le décret devienne applicable à tous les fonctionnaires dépositaires de bijoux ; mais il ne saurait s'élever avec trop d'énergie contre la dénonciation nominative pour laquelle la proposition d'extension du décret semble avoir été faite uniquement. On semble oublier déjà les six jours et demi du mois de septembre, s'écrie-t-il. On paraît oublier la situation de Roland, les devoirs pénibles qu'il avait à remplir, les dangers qu'il a courus pendant ces jours de deuil... On l'accuse d'avoir reçu des effets précieux en dépôt, sans en avoir fait dresser procès-verbal. Il faut d'abord que le fait soit vérifié.

Il faut enfin que les faits s'éclaircissent ! ajoute un autre girondin, Lehardy ; je demande moi-même que le décret s'applique à Roland et aux faits qu'on lui impute, car Marat, dans sa feuille d'aujourd'hui même, représente le ministre Roland comme payant des assassins et des coupe-jarrets avec les diamants de la couronne. C'est le moyen de ne pas laisser le ministre sous cet odieux et exécrable soupçon. Goupilleau insiste pour que le décret soit généralisé. Cela n'est pas nécessaire, fait remarquer Camus. La loi du 28 septembre déclare tous les fonctionnaires publics qui ont reçu des dépôts comptables de ces dépôts mêmes.

La droite demande la question préalable sur la proposition de Marat ; mais un autre montagnard, venant au secours de l'Ami du peuple, lance de nouvelles insinuations contre la probité de Roland. C'est Thuriot, qui déclare que, comme l'un des commissaires nommés par l'Assemblée législative pour surveiller la procédure entamée contre les voleurs du garde-meuble, il sait pertinemment que Roland a reçu plusieurs objets provenant de ce vol, mais qu'il ignore si le dépôt en a été constaté suivant les formes prescrites. Il demande que les effets soient transmis au greffe du tribunal criminel, ainsi que les procès-verbaux qui en ont été dressés.

Un ami de Roland, Guadet, fait promptement justice de cette malveillante confidence ; il soutient que, si Roland a eu un instant entre les mains une partie des objets volés au garde-meuble, c'est qu'il a pu, par l'intermédiaire d'un joaillier auquel il a avancé quinze mille livres, faire rentrer au Trésor des objets de la plus grande valeur.

L'Assemblée, suffisamment édifiée sur toutes les calomnieuses récriminations des amis de la Commune, adopte enfin la question préalable et se débarrasse ainsi, pour quelques jours au moins, de cette interminable discussion qui, se transformant sans cesse et renaissant d'elle-même, avait absorbé la presque totalité de ses séances.

Le renouvellement des autorités administratives, l'organisation de la garde départementale, la reddition des comptes du comité de surveillance, l'enquête ordonnée pour déterminer l'importance des dépôts faits à la Commune, tout cela aboutissait à une seule et même question plus heureuse et plus résolue que la Législative à son déclin, la Convention naissante saura-t-elle trancher d'une main hardie les liens dont la Commune l'enveloppe et l'enlace ? saura-t-elle faire prévaloir la volonté nationale sur celle des organisateurs des massacres de septembre ?

A peine, en effet, depuis l'ouverture de la session, la nouvelle Assemblée avait-elle pu rendre quelques décrets d'intérêt général ; tout le temps qu'elle n'avait pas employé à combattre l'insolente tyrannie de la Commune insurrectionnelle, elle l'avait consacré à entendre et les lettres des généraux qui défendaient pied à pied le territoire envahi, et les rapports des commissaires que, dès ses premières séances, elle s'était empressée d'envoyer aux armées. Jetons donc un coup d'œil sur cette seconde moitié des préoccupations conventionnelles. Aussi bien, il est temps, pour nos lecteurs et pour nous, de quitter l'atmosphère pestilentielle des discordes civiles et de respirer plus à l'aise, au milieu des camps où s'étaient alors réfugiés le patriotisme, l'honneur et le courage.

 

 

 



[1] Le procès-verbal de la séance préparatoire porte que l'appel nominal constata la présence de 371 membres. Nous avons quelques raisons de douter de la véracité du fait constaté officiellement, car les notes laissées par un représentant du Nord, M. Fockedey, que nous avons eu occasion de consulter, font connaître qu'il n'arriva a Paris que le 34 septembre, quatre jours après la séance préparatoire, et que le Comité d'inspection de la salle lui délivra, ce jour-là, une carte qui portait le numéro 304. Il est très-probable que l'on confondit à dessein le nombre des députés dont l'élection était constatée par des procès-verbaux réguliers avec celui des députés présents.

[2] Ces travaux d'appropriation des Tuileries, commencés en septembre 1792, ne furent achevés qu'au commencement de mai 1793. Le procès de Louis XVI eut lieu dans la salle du Manège. La Convention ne prit possession de l'antique palais des rois de France que quelques jours avant d'être décimée en la personne des girondins (31 mai 1793). La demeure royale porta malheur à ceux qui avaient renversé le trône de Louis XVI.

[3] Il est à remarquer que la Convention oublia de décréter formellement l'avènement de la république. Le lendemain seulement, sur la proposition de Billaud-Varennes, elle décida que les actes publics seraient datés de l'an Ier de la république française, et adapta le sceau de l'État au nouveau régime.

[4] Grâce à ce décret, les tribunaux civils et criminels furent bientôt peuplés de citoyens ignorant les plus simples procédés de la justice et sachant souvent à peine lire et signer leur nom.

[5] On trouvera à la fin de ce volume une note indiquant les principaux articles de ce règlement et les attributions des comités.

[6] Le département de la Somme avait droit d'élire treize députés. Le 12 septembre, il avait épuisé ce droit par une série de nominations régulières et avait notifié ses choix au président de l'Assemblée législative par une lettre officielle.

Mais, le 13, on apprit à Abbeville, où siégeait l'assemblée électorale de la Somme, que deux des élus, Carra et Merlin (de Thionville), optaient pour d'autres départements.

Le même jour plusieurs électeurs attaquèrent la validité de l'élection de deux autres députés, Hourrier-Éloi et Dufestel, anciens administrateurs du département, qui avaient signé des protestations contre les journées du 20 juin et du 4 août, et qui avaient, pour ces faits, été déclarés, par un décret de la Législative, inhabiles à remplir aucune fonction publique. Cette dénonciation parut fondée aux électeurs, qui procédèrent tout de suite à la nomination de quatre nouveaux députés. Roland fut élu le quatrième de cette nouvelle série. Son élection était valable si les deux administrateurs étaient exclus, elle avait chance de ne pas l'être s'ils étaient admis. Ceux-ci n'avaient pas passé condamnation sur l'arrêt prononcé contre eux par l'assemblée électorale de la Somme, ils avaient protesté et étaient venus à Paris soutenir leur protestation. Les montagnards, qui avaient résolu de poursuivre à outrance les signataires des protestations anticiviques, se trouvaient fort embarrassés entre le désir d'exclure les deux administrateurs de la Somme et la volonté bien arrêtée de ne pas laisser Roland venir renforcer les rangs des girondins, leurs ennemis. Leur haine contre le ministre t'emporta bien vite sur toute autre considération, et les deux signataires des pétitions anti-civiques furent admis sans conteste comme députes de la Somme. Mais l'option d'Héraut-Séchelles pour le département de Seine-et-Oise et la démission d'un autre député, nommé Delaunay de Mailly, vinrent de nouveau ouvrir des droits a Roland, et il était si bien décidé à les faire valoir que, le 26 septembre (voir le Moniteur, n° 373), il écrivait a la Convention une lettre où il remettait son portefeuille de ministre et proposait pour le remplacer le vénérable Pache. Mais, trois jours après, Danton ayant insisté pour que la démission de son ancien collègue fût acceptée définitivement, parce que, disait-il, la nation avait besoin de ministres qui pussent agir sans être conduits par leurs femmes, Roland, blessé dans son amour-propre, déclara qu'il restait à son poste de ministre, comme plus périlleux. François (d'Albert), le premier des suppléants élus après Roland, réclama alors les droits qui lui advenaient par suite de cette détermination et siégea à la place du ministre girondin pendant toute la session conventionnelle.

[7] Voir t. Ier, livre Ier, § Ier.

[8] Moniteur, n° 269. — Journal des Débats et Décrets, p. 66, n° 5.

[9] Le fait est constaté par le Moniteur lui-même (séance du 24 septembre).

[10] Journal du Club des Jacobins, n° CCCXXI.

[11] Nous avons raconté avec détail, t. III, Livre XIII, fin du § V, la scène à la quelle Danton fait allusion.

[12] Voir t. III, livre XII, § XII.

[13] Les Débats le nomment ; le Moniteur dit : un membre.

[14] Ni les Débats, ni le Moniteur ne nomment le courageux député de Seine-et-Marne qui fit cette dénonciation ; mais il est a croire que ce député était Bailly, ancien oratorien de Juilly. Ce qui permet cotte supposition, c'est l'interruption lancée par Marat, au moment où l'orateur racontait le massacre de Meaux, ou sept prêtres avaient péri : J'invite l'opinant à nommer son état. L'Ami du peuple voulait évidemment infirmer ce témoignage en l'attribuant à une rancune de caste religieuse. Le Moniteur, selon son habitude, ne note pas cette interruption. Nous l'avons retrouvée dans le Journal des Débats et Décrets, p. 88, n° 7.

[15] Nous avons donné le texte de cette circulaire, t. III, livre XII, fin du § XI.

[16] Le Moniteur attribue à Sergent la dénégation lancée à Vergniaud. Le Journal des Débats et Décrets la restitue à Robespierre (p. 91) et la fait suivre à l'instant même de la contre-dénégation d'un autre députe qui offre d'administrer la preuve de ce qu'avance Vergniaud. M. Louis Blanc, qui ne connaît que le Moniteur et qui n'a jamais songé à le comparer aux autres journaux de l'époque, commet donc une grave erreur lorsqu'il prétend (t. VII, p. 273) que Vergniaud resta sous le coup de ce démenti. L'accusation lancée le 1er et le 3 septembre par Robespierre contre les chefs de la Gironde n'était-elle pas d'ailleurs de notoriété publique ? n'était-elle pas consignée à sa date sur les registres de la Commune ? (V. t. III, p. 205 et 341.)

[17] Journal des Débats et Décrets, p. 94.

[18] Plusieurs historiens, notamment M. Louis Blanc, prétendent que des cris à la guillotine se firent entendre à ce moment. Comment une assemblée qui aurait eu quelque souci de sa dignité, aurait-elle pu laisser impunie une pareille manifestation ? Ni le Moniteur, ni le Journal des Débats et Décrets n'en font mention. On trouve ce fait consigné dans le Journal de la République, c'est-à-dire dans le journal de Marat lui-même. Voilà, il faut en convenir, un témoignage bien solide et bien acceptable !

[19] Voici les réflexions qu'inspire cette scène au rédacteur des Révolutions de Paris, journal qui ne peut être taxé de modérantisme :

Qui ne hausserait les épaules à la vue de Marat, la tribune, tirant de sa poche un pistolet, comme autrefois nos capucins, en chaire, tiraient un petit bon Dieu de leur manche, et dire en se démenant comme un polichinelle d'Italie :

Je ne crains rien sous le ciel ! (Lui, Marat, qui se vante de s'être caché dans un trou de cave pour se soustraire aux poursuites de La Fayette !) Mais, si un décret est lancé contre moi, je me brûle la cervelle devant vous. Puis rengainant son instrument de mort, qui vraisemblablement ne contenait que de la poudre : Mais non, je resterai au milieu de vous pour braver vos fureurs.

[20] Journal des Débats et Décrets, n° 9, p. 142.

[21] Cette adresse de la section des Quinze-Vingts se trouve au n° 276 du Moniteur ; mais les expressions en sont généralement atténuées. Nous rétablissons le texte d'après l'original que nous avons retrouvé.

[22] Dans la séance du 27 septembre, une députation du conseil général de la Commune était venue demander que, par dérogation à la loi de 1790, l'éjection du maire se fit non plus au scrutin secret, mais à haute voix. L'Assemblée, sur les observations de Thuriot et de Rewbell, avait passé à l'ordre du jour. (Journal des Débats et Décrets, n° 9, p. 137.)

[23] Le Moniteur, qui supprime très-volontiers tout ce qui peut être désagréable aux montagnards, ne mentionne pas ces deux interruptions. Le Journal des Débats et Décrets nous les a conservées, p. 180 et 185.

[24] Voir le texte de ces arrêtés, t. III, note XVII.

[25] Voir l'analyse de la loi des 21 mai-17 juin 1790, spécial à la Commune de Paris, t. Ier, note n° III.

[26] Le discours de Joseph Delaunay se trouve in extenso au Moniteur, n° 277. Il a été reproduit dans l'Histoire parlementaire, t. XIX, p. 204.

[27] La commission, dans laquelle, comme on l'a vu plus haut, ne pouvait siéger aucun représentant ayant appartenu aux deux premières Assemblées ou appartenant à la députation de Paris, fut ainsi composée Barbaroux, Cavaignac, Lehardy, Biroteau, Bailly, Bernier, Daubermesnil, Delbrel Laurenceot, Lejeune, Dorazey (de l'Indrel, Valazé, Delahaye, Vernier, Petitjean, Laurent (du Bas-Rhin), Bailleul, Philippeaux, Lesage, Boutroüe, Pelletier (du Cher), Froger, Drouet, Poulain-Grandpré. (Journal des Débats et Décrets, n° XII, p. 307.) Cette commission joua un grand rôle dans le procès de Louis XVI, comme nous le verrons dans le volume suivant.

[28] L'orateur entendait parler de Roland, que les meneurs de la Commune avaient voulu aussi englober dans leurs accusations, à raison d'une lettre dans laquelle la commission déclara n'avoir vu que le langage d'un homme probe qui gémit des excès auxquels on entraine le peuple.

[29] Journal des Débats et Décret, p. 231. Le Moniteur dédaigne encore, dans cette occasion, d'indiquer les interruptions qui donnent la véritable physionomie de la séance.

[30] La création d'une commission de six membres, pour examiner les questions relatives à la garde départementale et à une nouvelle législation contre lès provocateurs à l'assassinat, avait été décrétée en principe dans la séance du 24 septembre (voir page 80). Le 27, la Convention procéda à la nomination des députés qui devaient la composer Buzot, Lesage (d'Eure-et-Loir), Lacroix, Manuel, Thuriot et Mathieu furent élus. Le 6 octobre, J.-B. Louvet profita du renvoi d'un document à la commission pour demander qu'elle fût augmentée de trois nouveaux membres ; Buzot appuya cette demande en ces termes : Nous sommes, dit-il, dans cette commission, trois qui pensons d'une manière et trois qui pensons d'une autre. Il nous est impossible de nous accorder et de faire un rapport.

Malgré l'opposition de Tallien, la proposition de Louvet fut acceptée. Le président, c'était Lacroix, fut investi par l'Assemblée du droit de choisir les trois nouveaux membres, il proposa Garran-Coulon, Rewbell et Rouyer. Nulle opposition ne fut faite à la désignation présidentielle. Cette adjonction assura aux girondins la majorité dans la commission ; ils s'empressèrent de faire nommer pour rapporteur, Buzot, l'auteur même de la proposition que la commission avait a examiner. (Voir le Journal des Débats, p. 301, n° 18.)

Le Moniteur ne dit pas un mot de cet incident important.

[31] Au commencement de la session, 113 députés seulement sur 749 étaient membres de la société des Jacobins (Journal du club des Jacobins, n° CCLXXVII). Encore la plupart de ces 113 avaient-ils fait partie de l'Assemblée législative, et étaient-ils inscrits de longue date sur les listes de la société. Beaucoup appartenaient au parti de la Gironde. Ceux-ci en furent successivement exclus et remplacés par des députés, flottants et incertains durant les premiers mois, mais qui se rallièrent aux jacobins, dès que ceux-ci devinrent les plus forts.

[32] Brissot, à l'occasion de son expulsion de la société des Jacobins, publia une brochure pleine de révélations très-importantes. Elle est intitulée : J.-P. Brissot, à tous les républicains de France, sue la société des Jacobins de Paris. Elle a été reproduite in extenso dans l'Histoire parlementaire de Buchez et Roux, t. XX, p. 123.

[33] Voir le n° 386 du Moniteur.

[34] Les six commissaires nommés par la Convention elle-même, en exécution de ce décret, furent Cambacérès, Armonville, Foussedoire, Rudel, Bion et Treilhard. L'Assemblée avait voulu donner la preuve de sa complète impartialité en introduisant dans la commission l'ami intime, le séide de Marat, Armonville, dont nous avons déjà parlé au tome III, p. 338. Cinq hommes honorables, et notamment celui qui devait être un jour l'archichancelier de l'Empire, furent condamnés à siéger côte à côte avec le misérable ivrogne que les démagogues de Reims avaient, à la suite des massacres de cette ville, envoyé siéger à la Convention.

[35] La phrase en italique ne se trouve pas dans le Moniteur, qui écourte singulièrement cette discussion et ne mentionne même pas le discours de Lanjuinais. Toutes les fois qu'il est question de la Commune et de ses comptes, le Moniteur a des restrictions singulières, des omissions plus singulières encore ; il faut ici consulter le Journal des Débats et Décrets, p. 373, 378, 390 et 393, n° 24 et 23.