HISTOIRE LA TERREUR 1792-1794

TOME QUATRIÈME

 

LIVRE XIV. — LES ÉLECTIONS CONVENTIONNELLES.

 

 

I. Le lendemain des journées de septembre. — II. Réaction contre les auteurs du massacre. — III. Les commissaires du pouvoir exécutif et de la commune. — IV. La commune renie le comité de surveillance. — V. Décret du 20 septembre, pour le rétablissement de l'ordre et de la sûreté individuelle. — VI. Les élections de Paris. - Le vote à haute voix. — VII. L'assemblée électorale aux Jacobins. — VIII. La députation de Paris. — IX. Les élections départementales. — X. Composition de la nouvelle assemblée.

 

I

Au lendemain des journées de septembre, Paris présentait tous les symptômes d'une complète désorganisation sociale.

Avez-vous assisté à un phénomène singulier, qui se produit parfois dans certaines villes du Nord ? Tout à coup, au milieu du jour, une brume épaisse les envahit et les plonge dans une obscurité profonde. Toute activité, toute vie s'arrête instantanément. Vous êtes pris au dépourvu, vous comprenez que vous ne pouvez plus compter sur les secours que la civilisation accumule autour de vous dans les temps ordinaires. En vain vous appelleriez à votre aide voisins, amis, parents les ténèbres interceptent le son et la lumière ; on ne voit plus, on n'entend plus. Vous sentez vos forces paralysées par une frayeur insurmontable, vous n'osez faire un pas ni en avant ni en arrière ; car vous ignorez le danger que vous pouvez rencontrer, vous vous sentez incapable de le prévenir ou de l'éviter. Accoutumés a vivre dans l'obscurité des nuits, les malfaiteurs profitent de la circonstance pour exercer leur métier avec plus de sécurité ; ils dévalisent les passants, forcent les maisons et font main basse sur tout ce qui est à leur convenance.

La lumière du soleil éclairait la capitale de la France, mais ses habitants étaient moralement plongés dans d'épaisses ténèbres ; tous les liens sociaux étaient détendus les idées du juste et de l'injuste flottaient, confuses et indécises, dans les consciences obscurcies. On ne savait auprès de quelle autorité chercher aide et assistance on était livré à ses seuls instincts, on ne pensait qu'a sa sûreté personnelle ; nul n'était assuré, même pour un instant, de sa propriété, de sa liberté, de sa vie. Le crime, sous toutes les formes, régnait en maître absolu dans la métropole des arts et de la civilisation. Paris se sentait retomber à l'état sauvage[1].

Les assassins qui avaient travaillé dans les prisons, leurs amis et complices qui étaient accourus des villes environnantes, les voleurs qui ne tuent pas, mais qui épient les tueries comme les corbeaux épient les batailles, les filous qui, d'ordinaire, se contentent de dépouiller les vivants, mais à l'occasion ne se font aucun scrupule de dépouiller les morts, tous ces misérables enfin qui hantent les bouges malfamés et ne vivent que d'industries inavouées, se donnaient libre carrière. L'écume de !a civilisation montait à la surface et semblait avoir tout envahi.

L'armée du mal existe à l'état latent dans les grandes villes, principalement dans celles qui sont depuis longtemps le théâtre de crises révolutionnaires ; mais, en ce moment, cette armée antisociale se trouvait naturellement doublée par les bandits que les envahisseurs des prisons s'étaient empressés de relaxer et de s'adjoindre. Paris, pendant plus de huit jours, fut littéralement abandonné aux voleurs. Les citoyens paisibles, ne se sentant plus protégés, n'osaient se protéger eux-mêmes ; aucune résistance individuelle n'était opposée aux tentatives des malfaiteurs, dont l'impunité toujours croissante augmentait sans cesse et le nombre et l'audace.

On vit en plein jour se produire ce fait inouï des groupes d'individus arrêtant les passants dans les rues, sur les places et sur les boulevards les plus fréquentés, leur prenant leur bourse, leur montre, leurs bagues. Ces brigandages s'exécutaient avec une certaine régularité. Des hommes apostés proclamaient tout haut que les bijoux étaient devenus inutiles, que chacun était tenu de déposer ceux qu'il possédait sur l'autel de la patrie, afin qu'ils fussent fondus, transformés en numéraire et employés à couvrir les frais de la défense nationale. Survenaient d'autres individus, porteurs de balances, qui, mettant aussitôt en pratique les théories de leurs affidés, pesaient gravement les objets dont ils s'emparaient et en délivraient un reçu aux victimes. Ces méfaits ne se passaient pas seulement dans les quartiers que leur renom aristocratique exposait à être le théâtre de pareils actes de civisme. Les dépouillés n'étaient pas toujours ces suspects bien mis contre lesquels suivant la morale maratiste, tout pouvait être permis, puisqu'ils étaient présumés désirer le triomphe des ennemis de la patrie. Les collecteurs de cet impôt somptuaire d'un nouveau genre opéraient sur le boulevard du Temple et à la Halle, sur les ouvriers comme sur les messieurs, sur les marchandes de légumes ou de poisson comme sur leurs pratiques ; aux barrières, sur les laitières et sur les maraîchers. La saisie se pratiquait avec une telle brutalité que plusieurs femmes eurent les oreilles arrachées, parce qu'elles ne livraient pas assez vite leurs boucles d'or ou d'argent.

Quelques jours après, un autre crime vint révéler l'absence de toute espèce de police des voleurs émérites, presque tous mis en liberté par les massacreurs, préparèrent, avec une rare habileté, un coup de main sur le garde-meuble de la couronne. Ce dépôt était alors établi dans une des dépendances du monument qui était et qui est encore affecté au ministère de la marine, au coin de la rue Saint-Florentin et de la place Louis XV. Durant la nuit du 16 au 17 septembre, tandis que de faux gardes nationaux se tenaient en observation sur la place et dans les rues voisines, le reste de la bande escalada la colonnade, força les croisées, enfonça les portes et les armoires, enfin saisit, parmi les richesses royales entassées, tout ce qui se trouvait d'un transport facile[2].

 

II

Le trouble et ta confusion n'étaient pas seulement dans la rue, ils étaient aussi et plus encore dans les esprits. La presse, dont la mission sainement entendue est de défendre le faible et l'opprimé, d'éclairer les masses et d'adoucir les mœurs, n'était pas même restée muette et atterrée comme l'immense majorité de la population parisienne ; elle avait applaudi aux massacres, elle avait cherché des excuses, des justifications aux crimes qui s'étaient perpétrés sous ses yeux. Les journaux girondins, pour la plupart, ne se montrèrent pas moins lâches à l'égard des assassins, pas moins infâmes à l'égard des victimes que les feuilles de Marat et de ses imitateurs. Ils croyaient qu'en nattant les passions de !a tourbe ils conserveraient cette popularité qu'ils s'étaient acquise en déblatérant à tout propos contre les royalistes et les constitutionnels, cette popularité que de nouveaux venus leur disputaient déjà et allaient bientôt leur ravir[3].

Cependant l'Assemblée législative semblait avoir honte d'elle-même ; elle commençait a comprendre qu'elle avait failli à son devoir le plus sacré en n'allant pas se présenter tout entière aux égorgeurs et les adjurer d'inaugurer, par le meurtre en masse de la représentation nationale, le triomphe de l'anarchie et l'anéantissement de toutes les lois divines et humaines. Ayant conscience de la tache éternelle qui, aux yeux de l'histoire, devait souiller les derniers mois de son existence, elle gardait contre la Commune de Paris la rancune dont s'arme la faiblesse vis-à-vis de la violence qui l'a maîtrisée et déshonorée. Cette rancune, elle attendait pour l'exhaler une occasion favorable ; l'initiative de quelques citoyens courageux ne tarda pas à la faire naître.

Plusieurs sections, où les honnêtes gens étaient parvenus à ressaisir la majorité, se déclarèrent, dans des délibérations solennelles, prêtes à suppléer par elles-mêmes à l'impuissance des autorités pour le maintien de l'ordre et le rétablissement de la sécurité publique. Elles proposèrent de former, entre elles et en dehors de toute organisation municipale, une confédération dans le but de se garantir mutuellement contre le retour des saturnales qui venaient d'ensanglanter Paris. Elles prirent sous leur protection spéciale les signataires des pétitions des huit mille et des vingt mille, auxquels chaque jour les ultra-révolutionnaires prédisaient le sort des malheureux prisonniers de la Force et de l'Abbaye ; elles demandèrent qu'il fut fait un auto-dafé des originaux de ces pétitions, qui avaient été déposés à l'Assemblée nationale.

Les sections du Mail, du Marais et des Lombards, qui eurent l'initiative de cette mesure, s'adressèrent en même temps à la Législative et à la Commune ; mais leur pétition reçut de ces deux autorités un accueil bien différent. Le conseil général, fidèle aux inspirations de son oracle Robespierre, refusa net d'y faire droit, parce qu'il était imprudent — ce sont les termes mêmes du procès-verbal — de se laisser aller à un tolérantisme capable de perdre la chose publique. La Législative, au contraire, sur la proposition du montagnard Choudieu et des girondins Larivière et Brissot, rendit le décret suivant :

L'Assemblée nationale, considérant qu'au moment où tous les Français prennent les armes pour !a défense de la liberté et de l'égalité, tous les sentiments doivent se confondre dans le seul amour de la patrie, et les haines particulières s'anéantir, décrète que l'original de la pétition dite des vingt mille, et celui de la pétition dite des huit mille, et autres pétitions semblables, seront brûlés.

L'Assemblée nationale invite tous les citoyens qui auront ces listes imprimées à les anéantir, et déclare ennemis de l'union fraternelle qui doit régner désormais entre tous les Français ceux qui voudraient donner quelque effet à ces listes.

 

Mais cet appel à l'oubli et à l'union fut peu entendu. De nombreux exemplaires des fatales pétitions se conservèrent dans les archives de la démagogie elles se retrouvèrent plus tard pour servir de listes de proscription contre ceux qui avaient eu la naïveté de croire à l'amnistie solennellement décrétée par la Législative.

 

III

L'Assemblée semblait vouloir profiter des derniers jours de son existence pour réparer quelque peu le mal qu'elle avait laissé commettre par son impéritie et sa pusillanimité. Le ministre de l'intérieur aidait dans la mesure de ses forces à cette réaction encore bien timide ; il venait chaque jour apporter à la tribune ses doléances sur les attentats aux personnes et aux propriétés qui, dans un grand nombre de départements, suivaient de près l'apparition de certains hommes partis de Paris et revêtus du titre de commissaires extraordinaires. Or, par une singularité bien digne de ce temps d'effroyable anarchie, les hommes que dénonçait Roland étaient porteurs de pouvoirs signés et expédiés par lui-même. Vers la fin d'août, l'Assemblée avait autorisé le pouvoir exécutif à envoyer dans les départements des agents chargés de presser la formation des nouveaux bataillons de gardes nationaux et de pourvoir aux besoins de la défense nationale. Danton s'était fait donner la mission de choisir ces agents[4] ; ses préférences étaient naturellement tombées sur les apôtres les plus fervents des doctrines maratistes. Par des retards calculés, il les avait retenus à Paris jusqu'au ou 5 septembre, de manière qu'ils pussent emporter avec eux la circulaire du comité de surveillance par laquelle les autorités des départements étaient invitées à imiter l'exemple de Paris, c'est-à-dire à exterminer d'un seul coup tous les ennemis de la patrie[5].

Ces individus voyageaient aux frais de l'État, dans des voitures confisquées sous toutes sortes de prétextes. La plupart avaient en poche deux commissions l'une, ostensible, signée de Roland et de ses collègues, leur connaît le droit de réquisition et était accompagnée d'instructions parfaitement avouables[6] ; l'autre, émanée du comité de surveillance de la Commune, leur donnait l'ordre de faire réimprimer et de répandre, par la voie de l'affichage ou autrement, la trop fameuse circulaire. Naturellement ils ne manquaient pas d'en prêcher les doctrines et de soulever, partout ou ils passaient, les passions les plus désordonnées, les appétits les plus brutaux. Ils déclaraient ouvertement qu'il n'existait plus de loi, que chacun était maître, puisque le peuple était souverain que chaque fraction de la nation pouvait prendre les mesures qui lui conviendraient au nom du salut de la patrie ; qu'on avait le droit de taxer les blés, de les saisir dans les granges des laboureurs, de faire tomber les têtes des fermiers qui refuseraient d'amener leurs grains sur les marchés[7]. De la mainmise sur les récoltes à la doctrine du partage des terres, à la lui agraire, il n'y avait qu'un pas il fut bientôt franchi, et les doctrines les plus subversives de tout ordre social furent ouvertement prêchées.

Outrepassant leurs pouvoirs, les commissaires du pouvoir exécutif et de la Commune de Paris se mirent à destituer de leur seule autorité les magistrats élus par le peuple, à créer des comités de surveillance qu'ils investissaient d'une autorité supérieure à celle de toutes les administrations et de toutes les magistratures. Semblables à ces insectes que produit la terre après la tempête[8], ils semblaient, par leur apparition, faire surgir des myriades d'êtres plus malfaisants encore. Leur passage était partout signalé comme une véritable calamité publique. Cette nouvelle plaie d'Egypte paraissait ne devoir épargner aucun département, car dans tous il y avait des déprédations à commettre, des proscriptions à édicter.

Un des plus importants objets de la mission qui leur avait été confiée par Danton et ses amis était d'exercer une pression révolutionnaire sur les corps électoraux alors tous réunis pour choisir les députés à la future Convention. Dans chaque chef-lieu ou se tenait une assemblée électorale, ils s'empressaient de se mettre en rapport avec les plus purs Jacobins, que leur avait désignés d'avance la société mère de Paris et auprès desquels ils étaient secrètement accrédités. Ils leur Indiquaient les candidats qu'il fallait soutenir, ceux. qu'il fallait écarter, et, selon l'exemple que nous verrons donner par l'assemblée électorale de Paris, ils s'efforçaient de faire prévaloir, contrairement à la loi, le système du vote à haute voix, grâce auquel, en plus d'un endroit, la majorité terrorisée laissa passer les candidats de la minorité terrorisante.

Du reste, ces étranges agents du pouvoir exécutif ne cessaient de diffamer les ministres dont ils tenaient leurs commissions. Ils n'exceptaient de leurs anathèmes que Danton, en qui seul, disaient-ils, les vrais patriotes avaient confiance. Partout où ils passaient, ils répétaient que les mauvais députés ne seraient point acceptés, qu'on saurait se défaire de ceux qui ne marcheraient pas dans le sens de la Commune de Paris.

Aussitôt que Roland avait été averti des hauts faits de ces commissaires, il refusa de signer les passeports de ceux d'entre eux qui n'avaient pas profité, pour quitter Paris, du premier moment de trouble et de confusion. Mais le ministre de la justice, qui exerçait une sorte de fascination sur ses autres collègues, s'embarrassa peu de ce refus tardif et n'en continua pas moins de leur faire signer les commissions qu'il apportait au conseil toutes préparées. S'apercevant de l'inutilité de son opposition muette, et enhardi par les plaintes qui commençaient à arriver des départements[9], Roland se détermina à venir, le 17 septembre, faire à l'Assemblée cette incroyable confession

Je me repens d'avoir signé dans le conseil des commissions sans connaître ceux à qui je les donnais non que je veuille inculper les intentions de quiconque a choisi les personnes, mais parce qu'on a pu se tromper avec de bonnes intentions, ainsi qu'il le paraît par les plaintes auxquelles plusieurs de ces commissaires ont donné lieu. Je le déclare ici, pour infirmer autant qu'il est en moi, la portion de confiance que pourrait faire accorder ma signature à ceux qui se trouveraient capables d'en abuser.

 

Mazuyer, Kersaint, Vergniaud font ressortir tour à tour l'importance de la déclaration ministérielle et tonnent contre la Commune de Paris d'où est parti le signal de tous les désordres qui déshonorent la France. La Commune continue le système de terreur qui lui a si bien réussi, s'écrie Mazuyer ; les prisons s'emplissent de nouveau sans que l'on sache la plupart du temps qui a délivré des mandats d'arrêt ; les richesses accumulées dans les maisons d'émigrés, dans les Tuileries, sont livrées au pillage ; tout ce qui peut tenter la cupidité d'un agent subalterne est mis en réquisition et disparaît sans qu'on puisse en retrouver !a trace dans le moindre procès-verbal des ressources précieuses sont gaspillées sans profit pour la nation les moyens de défense sont annihilés ; Paris et la France sont livrés aux folies les plus absurdes comme à !a plus insatiable avidité. Il faut qu'une loi décide si la nation française est souveraine ou si c'est la Commune de Paris.

Kersaint veut que la Commune usurpatrice réponde sur la tête de chacun de ses membres de la sûreté des prisonniers. Vergniaud s'élève contre les hommes hypocrites et féroces tout à la fois qui prêchent les délations infâmes, les arrestations arbitraires, l'oubli des lois, en un mot l'anarchie générale, contre ces hommes qui aristocratisent la vertu et démocratisent le vice pour perdre l'une et déifier l'autre. Puis, il lit au milieu de l'indignation générale le texte même de la circulaire du comité de surveillance qui avait été tenue secrète à Paris pendant qu'elle était répandue a profusion dans les provinces et termine ainsi son réquisitoire contre les dictateurs de l'Hôtel de Ville :

Les citoyens de Paris osent se dire libres. Ah ! ils ne sont plus, il est vrai, esclaves des tyrans couronnés, mais ils le sont des hommes les plus vils et les plus scélérats. Il est temps de briser ces chaînes honteuses, d'écraser cette nouvelle tyrannie. Il est temps que ceux qui auront fait trembler les hommes de bien tremblent à leur tour. Apprenez à l'Europe que, malgré les calomnies dont on cherche à flétrir la France, il est encore, au sein même de l'anarchie momentanée où des brigands nous ont plongés, il est encore dans notre patrie quelques vertus. Périsse l'Assemblée nationale et sa mémoire si elle épargne un crime qui imprimerait une tache au nom français ! Périsse l'Assemblée nationale et sa mémoire si sur. nos cendres nos successeurs peuvent établir une constitution qui assure le bonheur de la France et consolide le règne de la liberté et de l'égalité !

 

Ces magnifiques paroles galvanisent l'Assemblée ; saisie d'un élan spontané, elle se lève et répète avec Vergniaud : Oui, périssons tous, périsse notre mémoire, et que la France soit libre !

Aussitôt est proposée et votée, par acclamation unanime, toute une série de décrets, par lesquels il est déclare :

1° Que les commissaires du pouvoir exécutif sont tenus de se renfermer strictement dans les bornes des pouvoirs qui leur ont été donnés, d'exhiber ces pouvoirs à toutes les autorités constituées ; que, s'ils s'y refusent ou s'ils se permettent des réquisitions et des actes abusifs, ils devront être sur-le-champ arrêtés par les ordres des autorités constituées, à charge par celles-ci d'en donner avis, sans délai, au pouvoir exécutif qui en instruira l'Assemblée nationale ;

2° Que les suspensions et les destitutions qu'ils pourraient avoir prononcées, doivent être considérées comme nulles et non avenues

3° Que le pouvoir exécutif est tenu de rappeler à l'instant même ceux de ces commissaires contre lesquels il est parvenu des plaintes fondées et de leur faire rendre compte de leur conduite

4° Que les municipalités ne peuvent ni donner d'ordre, ni envoyer de commissaires, ni exercer aucune fonction municipale que dans l'étendue de leur territoire ;

5° Qu'il est défendu à tous corps administratifs ou militaires comme à tout citoyen d'obéir aux réquisitions faites par des commissaires envoyés par une municipalité hors des limites de sa compétence

6° Que si, à partir de ce jour, de prétendus commissaires font de pareilles réquisitions, ils devront être poursuivis comme coupables d'offense et de rébellion aux lois ;

7° Que le ministre de l'intérieur et le commissaire de la trésorerie nationale rendront compte, dès le lendemain, de l'exécution de la loi qui les charge de recevoir tous les effets d'or et d'argent et tous les bijoux provenant des églises, maisons dites royales ou particulières, qui ont dû leur être remis par les représentants de la Commune de Paris, commissaires de sections ou particuliers.

 

IV

Le ministre de l'intérieur venait d'avouer son impuissance et son impéritie. Il était dit que ce jour-là !'Assemblée devait entendre des aveux du même genre de la part d'un magistrat chargé, lui aussi, d'une immense responsabilité. A peine Vergniaud est-il descendu de la tribune[10] que Pétion paraît à la barre, conduisant une nombreuse députation du conseil général de la Commune.

Il commence sa harangue par cette phrase d'une solennité ridicule : Ma tête a toujours été dévouée à la liberté de mon pays ; elle tombera avant que le maire de Paris cesse de remplir ses devoirs. Il énumère avec complaisance tous les efforts qu'il a faits pour le rétablissement de l'ordre. Il cherche à faire admettre une distinction entre le conseil général et le comité de surveillance, auquel seul il faut imputer les derniers mandats d'amener dont l'Assemblée nationale s'est émue à si juste titre. Il déclare, comme Roland l'avait fait avant lui, qu'il est sans pouvoir et sans force il avoue avec douleur qu'il est toujours le dernier instruit de tout ce qui se passe. Son discours se termine par une phrase où achève de se révéler ce personnage chez lequel la duplicité n'excluait pas la niaiserie : Tout ce que je désire, c'est d'être averti avant que les forfaits commencent ; car, lorsqu'ils sont commencés, on ne sait plus ou placer la force publique, on ne sait quel usage en faire, quel langage tenir, quels moyens employer, et le crime se consomme.

Le président, c'était le courageux Dubayet, congédie Pétion et la députation de la Commune par ces quelques paroles : L'Assemblée qui a détruit le despotisme et qui résiste encore aux tyrans de l'Europe, saura bien affronter les poignards de quelques scélérats !

Le conseil général était averti, et par les décrets rendus coup sur coup contre ses commissaires et par l'accueil que la députation venait de recevoir à l'Assemblée. Il comprit qu'il était plus que temps de séparer définitivement sa cause de celle de son comité de surveillance.

Dès le lendemain du jour où le président de l'Assemblée nationale avait si vertement admonesté le maire et les municipaux qui l'accompagnaient, le conseil général, dans une séance extraordinaire présidée par Pétion en personne, mande à sa barre Panis, celui-là même qui s'était permis un si étrange abus de pouvoir en introduisant, de sa seule autorité, dans le comité de surveillance, des membres qui ne faisaient partie ni de la nouvelle ni de l'ancienne municipalité. Panis essaye de tenir tête à l'orage. Il se déclare prêt à présenter la justification complète du comité et à prouver que ses collègues et lui n'ont jamais cessé d'être animés et dirigés par le plus pur patriotisme.

Pétion lui répond. Mais, fidèle a ses habitudes de ménager tous les partis et de changer de langage en changeant d'auditoire, il n'est pas, à beaucoup près, aussi explicite qu'il l'a été la veille devant l'Assemblée nationale. It ne demande pas mieux que de rejeter sur une impérieuse nécessité toutes les illégalités que l'on peut reprocher au Comité. tt se hasarde seulement à exprimer le regret que Panis et ses collègues aient pris Marat pour collaborateur. C'était ta première fois qu'à ce nom, jusque-là toujours applaudi dans cette enceinte, s'attachaient des paroles de blâme. Aussi Pétion s'arrête-t-il un moment pour voir comment ses paroles seront accueillies.

Aucun murmure, aucune protestation ne se fait entendre. Pétion enhardi ajoute : Ce Marat est un fou atrabilaire ou le plus grand ennemi de la liberté.

La réaction qui s'opérait dans la masse de la population parisienne et même dans l'auditoire habituel qui garnissait la salle des séances de la Commune était déjà si accentuée, que de vifs applaudissements accueillent ces paroles.

Pétion, de plus en plus rassuré, croit donc pouvoir généraliser un peu plus ses reproches et s'élever contre le triomphe éphémère de ces prétendus patriotes, qui, n'ayant aucune responsabilité, agitent le peuple sans cesse et entretiennent ses défiances. En quel état affreux se trouverait Paris, ajoute-t-il, si les gens riches fuyaient loin de ses murs, si la Convention nationale, craignant d'y faire son séjour, entraînait avec elle dans une autre ville et le conseil exécutif et tous les bureaux, changeait ainsi le centre de toutes les affaires et de toutes les personnes dont le concours alimente cette ville immense ?

Panis ne croit pas devoir réfuter ces dernières considérations, mais il tente un effort suprême pour défendre son ami. Marat est un homme extraordinaire, dit-il, hors de la règle commune ; il ne dort point, il est sans cesse occupé de la chose publique son expérience, ses connaissances très-étendues, lui ont fait prédire tout ce qui est arrivé. Avec une âme brûlante, une imagination vive et toujours tendue vers le même objet, est-il étonnant qu'il dise des choses extraordinaires Mais il serait le premier à couvrir de son corps le plus criminel des aristocrates. Il a provoqué les vengeances les plus terribles, mais c'était pour effrayer les scélérats, pour qu'une crainte salutaire les détournât de leurs affreux projets... Au reste, dans le sein du comité de surveillance, jamais Marat n'a eu d'influence particulière, jamais son avis n'a prévalu sur celui d'aucun autre patriote.

Le conseil coupe court à cette discussion et se hâte d'adopter deux arrêtés préparés d'avance, et au moyen desquels il espère donner le change et à l'Assemblée législative, qui n'a plus que quelques jours à vivre, et a la Convention, qui va lui succéder.

Par le premier de ces arrêtés, il déclare que :

Ceux des membres adjoints au comité de surveillance qui n'ont point été nommés par leur section, ne peuvent revêtir de leur signature aucun des actes de l'autorité publique émanés de ce comité.

Par le deuxième :

Il reconnaît lui-même qu'il importe à la chose publique que les affaires reprennent leur cours ordinaire ; qu'il y a lieu par conséquent de présenter une pétition à l'Assemblée, pour que, dès la semaine prochaine, les sections soient convoquées a l'effet de procéder au remplacement du maire, du procureur général de la Commune, et à l'organisation de la municipalité ; que les élections du conseil général qui devaient avoir lieu, d'après la loi, à la Saint-Martin prochaine, soient avancées ; que les officiers municipaux nommés au mois de novembre 1791 puissent être réélus cette fois seulement pour un an[11].

 

Ces votes, à première vue, semblaient être une concession à l'opinion publique en réalité ils consacraient une fois de plus l'usurpation commencée le 10 août et continuée depuis, grâce à la faiblesse de l'Assemblée législative.

En effet, en demandant à celle-ci d'avancer de six semaines environ les élections de la moitié du conseil général, la commune insurrectionnelle n'offrait pas un bien grand sacrifice, mais par cela même elle faisait confirmer, pour une année encore, les pouvoirs plus que contestables de l'autre moitié du conseil, et elle légalisait tout son passé.

 

V

Les Girondins comprirent cette fois ce qui était au tond de la proposition de la Commune leur réponse ne se fit pas attendre. Elle était contenue dans un projet de loi que Gensonné, au nom de la commission extraordinaire, vint soumettre à la sanction de l'Assemblée et qui fut immédiatement adopté sous ce titre :

Décret rendu pour le rétablissement de l'ordre et de la sûreté individuelle des citoyens dans la ville de Paris.

Ce décret, qui porte la date du 20 septembre, peut être considéré comme le testament politique de la Législative. En le lisant on sent à chaque ligne que l'Assemblée expirante a sondé toute la profondeur de l'abîme de misère et d'ignominie dans lequel elle est tombée ; qu'à sa dernière heure elle veut essayer au moins de préserver son héritière, la Convention, des mêmes dangers et de la même honte.

Les huit premiers articles du décret détaillent toutes les précautions à prendre pour la délivrance des cartes de sûreté dont chaque citoyen de Paris doit être tenu de se munir ; puis, sans transition et comme une conséquence du rétablissement de l'ordre, l'arrêt de mort de la Commune insurrectionnelle est libellé en ces termes :

Il sera procédé à la réélection de tous les membres composant la municipalité de Paris et le conseil général de la Commune. Ces élections se feront suivant le mode prescrit par la loi de 1790. Elles commenceront dans le délai de trois jours après la publication de la loi et seront continuées sans interruption.

 

En vertu des articles suivants, les mandats d'arrêt, dans les cas où la loi permettait à la municipalité de les décerner, devaient être désormais signés par le maire et quatre officiers municipaux dans les trois jours expédition en serait envoyée à t'Assemblée nationale avec l'énoncé des motifs qui les auraient nécessités ; tous les auteurs ou complices d'une arrestation arbitraire, outre la peine de six années de prison édictée par le Code pénal, devenaient passibles solidairement de dommages-intérêts en faveur des personnes arbitrairement détenues. Enfin les articles 17 et 18 posaient pour la première fois les principes tutélaires de la liberté individuelle.

ART. 17. L'asile du citoyen est déclaré inviolable, même au nom de la loi, durant !a nuit. En conséquence nulle perquisition ne pourra être faite dans la maison d'un citoyen d'un soleil à l'autre, hors le cas d'un coupable surpris et poursuivi en flagrant délit.

ART. 18. Hors le cas prévu par l'article précédent, tout citoyen dont on voudrait violer l'asile est autorisé à résister à une telle violence par tous les moyens qui sont en son pouvoir, et les auteurs d'une pareille tentative seront poursuivis à la requête de l'accusateur public comme coupables d'attentat à la liberté individuelle.

 

Ces principes n'ont pas cessé depuis 1792 d'être inscrits dans nos Codes. Si depuis cette époque ils ont été outrageusement violés, toutes les fois que le règne de l'arbitraire a remplacé celui de !a loi si, dans ce pays, où depuis soixante-dix ans la responsabilité des agents du pouvoir n'a jamais pu être efficacement établie, ils n'ont pas été protégés par les garanties qui les consacrent chez d'autres peuples, ce n'est pas une raison pour nous montrer ingrats envers l'Assemblée qui les proclama la première. Après avoir flétri, comme elles le méritaient, les fautes et les défaillances de la Législative, nous sommes heureux d'avoir au moins à la louer de s'être souvenue, à sa dernière heure, qu'elle avait sa part de responsabilité dans les visites domiciliaires exécutées durant la nuit du 29 août, et qu'elle devait à l'humanité une réparation éclatante pour les effroyables attentats dont ces visites avaient été le prélude[12].

Le dernier article du décret du 20 septembre était ainsi conçu :

Dans les villes où le corps législatif tiendra ses séances, l'ordre pour faire sonner le tocsin et tirer le canon d'alarme ne pourra être donné sans un décret du corps législatif. En cas de contravention au présent article, ceux qui auront donné cet ordre ou qui auront sonné le tocsin et tiré le canon d'alarme sans ordre seront punis de mort.

 

Pourquoi, dans une loi spécialement destinée à régler la police de Paris, le législateur insérait-il un article qui prévoyait le cas où le siège du gouvernement, serait transféré dans une autre ville ? Pour répondre à cette question et pour comprendre toute la portée de la menace contenue dans cet article, il faut se reporter au discours prononcé la veille par le chef de la municipalité parisienne devant le conseil général.

Pétion venait de se démettre (le ses fonctions de maire. Il était furieux contre les électeurs parisiens qui, après tous les gages qu'il avait donnés, tous les services qu'il avait rendus au parti démagogique, avaient, pour nous servir de ses propres expressions, poussé l'oubli de toutes les convenances jusqu'à lui préférer Robespierre, Danton et leurs amis. Secouant la poussière de ses souliers au moment de quitter l'Hôtel de Ville, où il avait trôné pendant une année entière, il avait tenu à montrer qu'il ne voûtait plus rien avoir de commun avec l'ingrate cité qui, t'ayant adopté comme premier magistrat, à sa sortie de l'Assemblée constituante, ne s'était pas empressée de le mettre en 1792 à la tête de la députation conventionnelle. Il avait jusqu'alors louvoyé entre tous les partis, ménagé Montagnards et Girondins. Mais devant une pareille injure, dont il reportait avec raison la responsabilité à son ancien collègue et ami Robespierre, il oublia sa prudence ordinaire. Se jetant résolument dans les bras de Brissot et de ses adhérents, il épousa leurs querelles et leurs antipathies.

Les Girondins n'étaient pas fédéralistes dans la véritable acception du mot. Ils n'avaient garde de rêver le démembrement de la France, comme on devait les en accuser injustement plus tard. Ils voulaient, comme leurs adversaires, l'unité et l'indivisibilité de la république. Seulement, ils se préoccupaient des moyens d'abattre la suprématie de cette grande cité où l'influence commençait a leur échapper ; après s'être appuyés sur les démagogues parisiens pour renverser le trône de Louis XVI, ils voulaient briser l'instrument de leur triomphe, ou du moins le laisser à l'écart en transférant ailleurs le siège du gouvernement. C'était cette pensée qui s'était révélée à deux jours d'intervalle, à l'Hôtel de Ville par la bouche de Pétion, à la salle du Manège par celle de Gensonné, pensée qui, rappelée sans cesse et sous toutes les formes, devait plus que toute autre cause amener la chute du parti girondin. Car, à la longue, tous les citoyens de Paris, de quelque classe de la société qu'ils fissent partie, quelles que fussent d'ailleurs leurs opinions, devaient se sentir froissés, dans leur amour-propre comme dans leurs intérêts, en entendant chaque jour retentir à leurs oreilles la même menace. Dans tous les temps, mais particulièrement en temps de révolution, rien ne sert de menacer, il faut agir ; c'est ce que ne surent jamais Brissot et ses amis ; c'est ce que savaient Marat et ses adeptes.

Chaque jour les murs de Paris étaient couverts de nouveaux placards où l'Ami du Peuple prêchait le meurtre de tous ceux auxquels il soupçonnait le dessein de s'opposer à ses fureurs, et dénonçait d'avance aux vengeances populaires ces hommes flétris par leur incivisme, ces hommes reconnus pour traîtres à leur patrie, ces hommes pervers l'écume de l'Assemblée constituante et de l'Assemblée législative. — Français, s'écriait cet énergumène, qu'attendez-vous d'hommes de cette trempe ? Ils achèveront de tout perdre.... si vous ne les livrez au glaive de la justice populaire dès l'instant qu'ils viendront à manquer à leurs devoirs... Nous sommes trahis de toutes parts... par les ministres, les corps administratifs, les officiers généraux, les commissaires des guerres et la majorité pourrie de l'Assemblée nationale, centre de toutes les trahisons... Il importe que la Convention nationale soit sans cesse sous les yeux du peuple, a6n qu'il puisse la lapider si elle oublie ses devoirs[13].

C'était par ces cris de bête fauve que le promoteur des massacres de septembre saluait l'arrivée de la nouvelle assemblée. Il avait été désavoué par la Commune, dénoncé à la Législative, mis au ban de l'empire comme le plus exécrable des scélérats. Mais que lui importait ? L'action des lois ne pouvait pas t'atteindre. Il était inviolable ; il allait entrer triomphalement à la Convention, accompagné de deux des principaux membres du comité de surveillance, Panis et Sergent ; du procureur et du substitut de la Commune, Manuel et Billaud-Varennes, qui avaient harangué les assassins de l'Abbaye ; de Danton, de Camille Desmoulins et de Fabre d'Églantine, qui avaient si fraternellement secondé au ministère de la justice leurs amis de la mairie.

Aussi bien il est temps de faire connaître par quelle série de violences et d'illégalités tous les héros du 2 septembre parvinrent à former cette trop fameuse députation de Paris qui était destinée à effrayer d'abord, à dominer ensuite la Convention.

 

VI

Pour les élections conventionnelles, le système des deux degrés avait été maintenu par les décrets du 10 et du 12 août[14]. En conséquence, les assemblées primaires furent convoquées pour le dimanche 26 août, et les assemblées électorales pour le dimanche suivant 2 septembre. Les lois du 22 décembre 1789 et du 3 février 1790, relativement à la tenue de ces assemblées, n'avaient point été abrogées ; seulement, la distinction constitutionnelle entre les citoyens actifs et les citoyens passifs ayant été supprimée, les corps électoraux du degré inférieur étaient composés de l'universalité des citoyens majeurs et domiciliés.

Déjà, avant la chute de la royauté et surtout après le 10 août, chacune des ~8 sections de Paris avait, comme nous l'avons vu, pris les allures d'une assemblée souveraine et s'était habituée à exécuter ou modifier, selon son bon plaisir, les lois générâtes édictées par l'Assemblée législative. Dans une république la loi émanant de !a volonté générale doit, avant tout, être uniformément appliquée et obéie ; mais les sections parisiennes, donnant au principe de la souveraineté populaire la plus singulière des interprétations, prétendaient que chaque assemblée primaire devait avoir la faculté d'exercer la portion de souveraineté qui lui appartenait, de la manière qui lui paraissait la plus sage et la plus expéditive[15]. A l'occasion des élections conventionnelles, leur esprit d'insubordination, soutenu et encouragé par le conseil général de la Commune lui-même, se manifesta avec plus d'éclat que jamais. Dès que les sections constituées en assemblées primaires eurent à s'occuper du choix des électeurs du deuxième degré, on les vit, sans le moindre égard pour les dispositions les plus formelles de la loi électorale, agiter dans un sens ultra-révolutionnaire les questions les plus graves. Celles qui eurent le privilège de passionner le plus grand nombre des sections furent :

L'abolition du mode d'élection à deux degrés ;

Le droit d'ostracisme à réserver aux assemblées primaires sur les choix faits par le corps électoral ;

Le vote à haute voix dans les assemblées du premier et surtout du deuxième degré.

Dès le 16 août, la première de ces questions avait été mise à l'ordre du jour par une délibération de la section de Montreuil, qui déclarait qu'elle était décidée à ne plus reconnaître de corps électoral, toutes les élections, notamment celles des députés à la Convention nationale, devant être faites directement par le peuple. Un certain nombre de sections adhérèrent à cette proposition, des commissaires furent nommés pour rédiger et présenter une adresse à l'Assemblée nationale ; mais le rédacteur ordinaire de ces notifications du peuple souverain, Collot-d'Herbois, avait à peine achevé son œuvre, que l'on jugea prudent de n'en point faire usage. La grande croisade contre les élections à deux degrés s'arrêta tout d'un coup ; on avait été averti que l'Assemblée législative ne se rendrait certainement pas à la première sommation, et qu'il ne serait pas prudent de passer outre après son refus, parce que des élections, faites d'après un mode si évidemment contraire au mode légal, seraient contestées et peut-être cassées par les élus du reste de la France. Les meneurs ne voulurent point courir cette chance et résolurent d'arriver à leurs fins en tournant fa difficulté. Le point essentiel, c'était de faire arriver à la Convention les coryphées de la démagogie parisienne. Le mode importait peu, pourvu que l'on fut assuré du succès.

Les 48 sections parisiennes réunies en assemblées primaires comprenaient 160.000 électeurs ; les 16 cantons ruraux, 30.000 environ[16]. Une aussi nombreuse armée, composée d'éléments très-divers, était naturellement difficile à discipliner ; les démagogues sentaient que, quand bien même ils parviendraient à écarter de l'urne, par la crainte ou par le dégoût, un nombre considérable de citoyens, il en resterait toujours assez pour qu'on ne pût exercer sur eux une pression efficace. Le nombre échappe à l'intimidation. Les opinions extrêmes ne sauraient longtemps prévaloir dans une grande réunion d'hommes, à plus forte raison dans soixante réunions différentes votant au même instant. Mais il en est tout autrement lorsqu'on n'a affaire qu'à quelques centaines de personnes rassemblées dans une même salle, votant publiquement et a haute voix devant un public composé avec soin. Les meneurs et leurs affidés sont là, surveillant les votes et poursuivant de leurs applaudissements ou de leurs imprécations les électeurs qui donnent ou refusent leur suffrage au candidat désigné d'avance. Enfin, il est un dernier moyen à employer pour se débarrasser de quelques choix malsonnants, si, à travers tant de précautions prises, il a pu s'en glisser de tels dans la liste des députés élus. Le droit d'ostracisme existant dans la loi spéciale qui règle l'organisation de la municipalité parisienne, pourquoi n'en pas faire une application que la loi n'a pas prévue, mais qu'elle n'a pas non plus explicitement interdite ? pourquoi ne pas transporter des élections locales aux élections générales ce droit dont l'exercice a servi jadis à écarter certains démagogues[17], et qui pourra cette fois être retourné contre les citoyens que leurs talents, leurs services, leur ancienne popularité auraient pu encore, malgré tout, désigner au choix des électeurs ?

Toutes ces hypothèses débattues, toutes ces questions posées et résolues, le programme des élections parisiennes est ainsi fixé :

1° On n'insistera plus sur l'abolition du corps électoral, c'est-à-dire du vote à deux degrés.

2° On forcera les électeurs, dans les assemblées primaires et surtout dans la réunion du corps électoral, à voter à haute voix.

3° On installera les sept à huit cents électeurs du deuxième degré dans une salle, dont les abords sont depuis longtemps surveillés et gardés par des affidés aux gages des dictateurs de l'Hôtel de Ville, dont les tribunes sont garnies de spectateurs dévoués, dont l'atmosphère est imprégnée de la démagogie la plus pure, en un mot dans la salle du club des Jacobins.

4° On réservera aux sections, après qu'elles auront remis légalement leurs pouvoirs à des électeurs de leur choix, le droit d'exclure de la députation parisienne les élus qui ne conviendraient pas.

5° Enfin on organisera un système général de terreur s'étendant sur tout Paris, au moyen de visites domiciliaires, d'arrestations, de meurtres s'il le faut, pour que les élections, au premier comme au deuxième degré, soient faites sous l'inspiration unique et sous la dépendance absolue de la commune insurrectionnelle.

 

Ce programme avait été secrètement arrêté dans la matinée du 27 août. Robespierre se charge de le faire adopter, le jour même, parles divers degrés de juridiction qu'il doit nécessairement parcourir avant de recevoir une pleine et entière exécution. Tout-puissant dans sa section, à la Commune, aux Jacobins, le tribun peut seul amener toutes ces volontés, la veille encore si divergentes, à soutenir d'un effort unanime ce qui a été décidé dans le cénacle démagogique. Il se transporte d'abord à la section des Piques (place Vendôme), dont il fait partie depuis qu'il demeure chez le menuisier Duplay. Après avoir expliqué d'une manière plus ou moins explicite le changement de front qu'il propose d'opérer dans la stratégie précédemment suivie, il fait prendre à cette section une délibération ainsi conçue :

1° En principe, tous les mandataires du peuple doivent être nommés immédiatement par le peuple, c'est-à-dire par les assemblées primaires ; ce n'est qu'a cause de la nécessité des circonstances que la méthode de nommer les députés à la Convention nationale par l'intermédiaire des assemblées électorales est adoptée.

2° Pour prévenir, autant que possible, les inconvénients attachés à ce système, les électeurs voteront à haute voix et en présence du public.

3° Afin de rendre cette dernière précaution efficace, ils se rassembleront dans la salle des Jacobins, et les députés nommés par les électeurs seront soumis à la révision et à l'examen des sections en assemblées primaires, de manière que la majorité puisse rejeter ceux qui seraient indignes de la confiance du peuple[18].

 

Armé de cette délibération, Robespierre se transporte au conseil général de la Commune ; it y ajoute quelques considérants et la transforme en un arrêté municipal qui, signé par Huguenin et Tallien, est aussitôt imprimé et placardé dans Paris. Les sections, même les moins engagées dans le mouvement ultra-révolutionnaire, sont obligées de s'y conformer ma !gré les velléités de résistance que manifestent d'abord certaines d'entre elles[19].

 

VII

Nous avons raconté dans le volume précédent les événements qui, dans les derniers jours d'août et dans les premiers jours de septembre, épouvantèrent Ja capitale. Nous ne reviendrons pas sur cette lamentable histoire. Les élections du premier degré eurent lieu dans toutes les sections, et dans toutes les communes composant le département, du dimanche 26 août au samedi suivant. Le 2 septembre, jour de funeste mémoire, pendant que le canon d'alarme retentissait au Pont-Neuf, pendant que !a bande de Maillard commençait ses exploits à l'Abbaye et aux Carmes le corps électoral se réunissait dans !a grande salle de l'Évêché, où il avait siégé déjà plusieurs fois depuis trois ans, et notamment pour les élections de !a Législative.

Aussitôt après la constitution du bureau provisoire, un affidé de Robespierre fait observer que le peuple doit être témoin de toutes les opérations électorales, que la salle où les électeurs se trouvent ne contient pas de tribunes et que, dès lors, il n'est pas possible de continuer d'y siéger ; il propose de demander aux Jacobins de vouloir bien prêter leur salle au corps électoral. Personne n'ose s'élever contre cette motion, et il est décidé que les électeurs iront, en corps, sous la conduite de Collot-d'Herbois et de Robespierre, demander une hospitalité fraternelle à la Société des Amis de la liberté et de l'égalité. Celle-ci n'avait garde de repousser une démarche qui témoignait pour elle une si haute estime et qui, par le fait, la rendait l'arbitre des élections parisiennes.

Le 3 au matin, les membres du corps électoral allèrent processionnellement prendre possession de leur nouveau local ; dans le trajet de l'Évêché à la salle de la rue Saint-Honoré, ils eurent à passer sur le Pont-au-Change devant la haie de cadavres que les égorgeurs de la Conciergerie et du Châtelet y entassaient au même moment.

A peine la deuxième séance était-elle ouverte que Robespierre, qui vient de retrouver sa tribune et son auditoire habituels, s'abandonne à ses instincts de proscription. Ce soi-disant adorateur de la souveraineté du peuple ne trouve rien de mieux, pour en inaugurer le culte, que de proposer d'exclure du corps électoral quiconque a été affilié à des sociétés anti-civiques ou s'est avisé de signer une des deux fameuses pétitions des huit mille ou des vingt mille. Cette proposition est adoptée sans conteste, et, à l'instant même, commence l'appel nominal des 900 électeurs[20]. Chacun d'eux est obligé de venir se placer au milieu de la salle et de déclarer à haute et intelligible voix si, oui ou non, il s'est rendu coupable d'un acte qui, bien que datant de plusieurs mois, doit, d'après la singulière décision de l'assemblée, vicier le mandat électoral que sa section vient de lui confier[21].

L'appel de son nom paraît à Robespierre une occasion favorable pour se draper, suivant sa tactique habituelle, dans son dévouement héroïque. Je braverai tranquillement, s'écrie-t-il, le fer des ennemis du bien public et j'emporterai au tombeau la satisfaction d'avoir bien servi la patrie et l'assurance que la France conservera sa liberté.

Quel moment ce misérable rhéteur choisit-il pour parler de poignards dirigés contre lui ? celui-là même ou ses amis et ses collègues de l'Hôtel de Ville remplissent de meurtres sept prisons différentes !

Le 4 septembre, Collot-d'Herbois et Robespierre furent proclamés à l'unanimité et par acclamation, le premier président, le second vice-président du corps électoral ; Marat, Santerre et Carra furent élus secrétaires. Robespierre dut être profondément blessé de cette préférence accordée sur lui à un vil histrion. Il le fit sentir à ses amis, et le lendemain ceux-ci donnèrent satisfaction à son orgueil en l'élisant premier député de Paris. Danton fut le deuxième, Collot-d'Herbois dut se contenter de la troisième place ; Manuel et Billaud-Varennes vinrent après.

Le mode d'élection établi par !a Constituante pour l'élection des représentants était le scrutin individuel ; la majorité absolue était nécessaire pour être élu ; c'est ce qui explique comment le corps électoral employa vingt-trois séances à élire vingt-quatre députés et huit suppléants.

Dans toute assemblée, quel que soit l'emportement des opinions, il se forme nécessairement après quelques jours un groupe d'hommes qui, moins ardents que les autres, se refusent à suivre jusqu'au bout l'entraînement de la masse. Un certain nombre d'électeurs jugèrent les cinq premiers choix suffisants pour donner satisfaction aux ultra-révolutionnaires. Ils résolurent de porter leurs suffrages sur un ancien membre du conseil général du département, qui, l'année précédente, avait été élu à une grande majorité député de Paris à l'Assemblée législative, sur Kersaint, qui ne pouvait être suspect d'incivisme, puisqu'il était un des trois représentants que La Fayette, moins d'un mois auparavant, avait fait arrêter et enfermer à la citadelle de Sedan[22].

Mais cette velléité d'opposition à leurs volontés souveraines déplut vivement aux dictateurs de l'Hôtel de Ville. Le candidat inclinait du côté de Roland, de Brissot et autres modérantistes. C'en était assez pour lui mériter une exclusion formelle et acharnée de la part des amis de Robespierre et de Danton. Ils opposèrent au nom de Kersaint celui de Camille Desmoulins, l'ami intime des deux coryphées de la démagogie.

Depuis six jours que les électeurs étaient réunis, jamais ils n'avaient été si nombreux ; jamais l'animation dans les groupes n'avait été aussi grande ; chacun comprenait que le combat qui allait se livrer devait décider de l'émancipation ou de l'asservissement définitif du corps électoral. Le premier tour de scrutin ne donne pas de résultat ; mais Camille Desmoulins a obtenu plus de voix que son concurrent ; encore un effort, et le triomphe des ultra-révolutionnaires est assuré. Un de leurs affidés demande qu'avant de procéder à un second tour, et pour toutes les étêtions qui vont suivre, on ait la faculté de discuter les titres des divers candidats, ce qui n'avait pas eu lieu pour les cinq premiers élus. Les amis de Robespierre et de Danton exigent que l'on mette immédiatement aux voix cette proposition. Toute discussion est étouffée sous leurs vociférations, et le président Collot-d'Herbois déclare que la motion est adoptée. L'assemblée électorale devient alors un véritable club ou les orateurs de la démagogie se donnent carrière pour, aux applaudissements frénétiques des tribunes, vanter leurs amis et dénigrer leurs adversaires. Kersaint[23] est l'objet des plus infâmes calomnies, Camille Desmoulins est célébré, prôné sur tous les tons. Ouvert après ce simulacre de débat contradictoire, le second tour de scrutin donne la majorité à l'auteur des Révolutions de France et de Brabant, à celui qui s'était proclamé lui-même le procureur général de la lanterne.

Le succès fait naître chez les exagérés l'idée de mettre en avant la candidature à laquelle ils tenaient le plus, parce qu'elle était la plus difficile à faire réussir, celle de Marat. Quoique vaincus dans la personne de Kersaint, ceux des électeurs que les menées et les fureurs des démagogues n'ont pas encore terrorisés, lui opposent le fameux Priestley, savant anglais, auquel un décret solennel venait de décerner le titre de citoyen français pour les écrits nombreux qu'il avait publiés en faveur de la Révolution.

Robespierre, qui depuis quelques jours s'était abstenu avec soin de paraître vouloir influer d'une manière trop directe sur les votes de l'Assemblée, demande la parole à l'occasion de cette dernière candidature. Il entame un long exposé des découvertes scientifiques du patriote anglais, mais il termine son panégyrique en regrettant d'être obligé de constater que, dans l'illustre Priestley, l'homme politique n'est pas à la hauteur de l'homme de science. Robespierre s'était bien gardé de dire un mot de Marat, l'ancien médecin des écuries du comte d'Artois, qui avait fait rire tout Paris à ses dépens avec ses prétendues découvertes avant qu'il se fût avisé de le faire trembler avec ses sanglantes utopies. Les affidés comprennent ce que signifie cette prétérition calculée ; Marat est élu.

A moins d'une injustice apparente, pouvait-on imputera Robespierre l'élection d'un homme dont il n'avait pas même prononcé le nom et cependant son double but était atteint il avait réussi à prouver à ses adversaires de la Législative que leur recommandation n'était d'aucun poids, lorsqu'elle n'avait pas obtenu son assentiment ; dans la personne de Marat, il avait récompensé les organisateurs des massacres de Septembre de leur complaisance à lancer des mandats d'amener contre les chefs de la Gironde, ses ennemis personnels.

Ces deux échecs successifs suturent pour convaincre les plus incrédules du corps électoral qu'il était impossible de faire la moindre opposition aux nominations arrêtées d'avance dans les conciliabules de la démagogie. Quel courage, en effet, n'eût-il pas fallu pour braver les menaces de deux ou trois cents énergumènes, revêtus du titre d'électeurs, pour affronter les vociférations des tribunes, peuplées du public ordinaire du club des Jacobins ? Et d'ailleurs, ces menaces, ces vociférations ne se mêlaient-elles pas aux hurlements des tueurs et aux cris suprêmes des victimes dont retentissaient encore les échos des prisons[24] ?

Aux journalistes Desmoulins et Marat furent adjoints quelques folliculaires en sous-ordre, Laignelot, Lavicomterie, Robert, Fréron, tous alors les très-humbles serviteurs de Robespierre. Celui-ci exerçait sur l'assemblée électorale une telle domination qu'il faisait repousser ou élire à son gré qui bon lui semblait. Le secrétaire-greffier de la commune insurrectionnelle, Tallien, avait donné assez de gages aux ultra-révolutionnaires pour croire son élection assurée ; un mot imprudent lancé contre le grand prêtre de la démagogie le fit écarter de la liste[25]. Robespierre avait un jeune frère qui avait toujours habité Arras ; il manifeste le désir de le voir siéger à ses côtés à la Convention. Ce désir est un ordre pour les électeurs, qui s'empressent d'élire député de Paris ce jeune homme sans antécédents et qu'aucun d'eux ne connaît[26]. Ainsi, à peine en possession de la puissance publique, ceux qui se prétendent les représentants des idées nouvelles imitent et amplifient les pratiques de l'ancien régime. En 1792, un aîné dispose, en faveur de son frère, d'un siège à la Convention attendons quelque temps encore, et un autre parvenu de la révolution fera asseoir ses puînés sur des trônes.

 

VIII

Le 19 septembre, vingt-trois députés avaient été élus, Il n'en restait plus qu'un à nommer. Les démagogues parisiens consentirent à donner leur appui à un candidat qui espérait trouver, au sein de la Convention, un refuge contre les proscriptions futures, et qui n'y rencontra que les remords, le désespoir, le trépas.

Le duc d'Orléans avait depuis longtemps séparé sa cause de celle du reste de la famille royale. C'est l'inévitable tendance des branches cadettes que de vouloir se différencier de !a branche régnante en exagérant dans un sens ou dans un autre les idées qui s'agitent autour du trône. Le comte d'Artois et les Condé s'étaient, dès le commencement de la révolution, déclarés les soutiens des opinions les plus rétrogrades. Le duc d'Orléans avait, au contraire, pris parti pour les innovations. Le comte de Provence avait d'abord paru vouloir embrasser les idées constitutionnelles mais bientôt, voyant qu'il lui était difficile de se maintenir en équilibre entre les deux partis extrêmes, il était allé rejoindre les princes de sa maison qui, dès le Il juillet 1789, avaient cru devoir abandonner Louis XVI et la reine à leur malheureux sort. L'antagonisme entre les Tuileries et le Palais-Royal s'était accru à mesure que le roi s'était trouvé isolé du reste de sa famille.

Cependant d'heure en heure la tempête révolutionnaire augmentait de violence ; chaque éclair, en découvrant de nouveaux abîmes sous les pieds du malheureux monarque, semblait illuminer pour le duc d'Orléans les flatteuses perspectives d'un avenir inespéré. Après le voyage de Varennes, le mot de déchéance avait été prononcé, la date de 1688 avait été rappelée ; mais l'arrière-petit-fils du régent n'était pas Guillaume d'Orange, il était trop léger et trop inconsistant pour ourdir, de longue main, de vastes et ténébreuses conspirations, comme on l'en a si souvent accusé. Amoureux de popularité, désireux d'humilier ses ennemis, il était le jouet de misérables intrigants qui exploitaient à leur profit son nom et ses richesses. Chacun de ses favoris, chacune de ses maîtresses le poussait en avant ou cherchait à le retenir, suivant la passion ou l'intérêt du moment.

Quelque temps avant le 10 août, des amis fidèles et dévoués avaient essayé d'opérer un rapprochement entre le roi et lui mais on avait paru douter de son repentir, comme en d'autres temps on avait cherché à faire douter de son courage. Une visite qu'il risqua aux Tuileries fut, de la part de quelques subalternes, l'occasion d'avanies nouvelles qui achevèrent de t'exaspérer. Toute réconciliation devint désormais impossible par !a faute de ces imprudents et trop zélés serviteurs, qui, se faisant les échos des ressentiments de leurs maîtres, se plaisent à décupler la portée du moindre propos ou de la confidence la plus intime.

Le duc d'Orléans avait dans le caractère presque autant d'indécision que son infortuné cousin Louis XVI ; il ne possédait aucune des qualités qui constituent un chef de parti. Mirabeau, avant de se rapprocher de la cour, avait songé un instant à se servir du premier prince du sang ; mais il n'avait pas tardé à voir que l'homme n'était pas à la taille du rôle qu'il lui destinait, et il avait été porter aux pieds de la reine l'hommage de son respect malheureusement trop tardif. A cette même époque, La Fayette avait fortement contribué à faire abandonner au duc d'Orléans son poste dans le sein de l'Assemblée constituante, pour l'obliger à accepter une mission en Angleterre qui déguisait assez mal un ex) forcé. Depuis son retour, les feuillants et les girondins l'avaient systématiquement écarté de toutes les combinaisons qu'ils avaient pu concerter dans leurs conciliabules intimes.

Repoussé ainsi par toutes les fractions du parti constitutionnel auxquelles il aurait voulu lier son sort, le duc se précipita dans les bras des plus ardents jacobins ; il s'abandonna aveuglément aux conseils d'un des hommes les plus dépravés de ce temps où la dépravation était si répandue. Choderlos de Laclos, Fauteur du fameux roman des Liaisons dangereuses, le rédacteur de la pétition du Champ de Mars qui demandait la déchéance de Louis XVI, fut le Méphistophélès de cet autre Faust. Comme le personnage de ['antique légende allemande que Goethe, en ce moment même, se préparait à ressusciter dans un poème immortel, le premier prince du sang évoqua les esprits infernaux pour triompher de ses ennemis comme lui, il but à la coupe empoisonnée, au fond de laquelle il espérait puiser une vie nouvelle. Dès lors, entraîné dans le pandemonium jacobin, au milieu du tourbillon où tel est poussé qui croit pousser[27], il n'eut plus ni trêve ni repos. A chaque pas qu'il fit dans cette voie funeste, il croyait, mais en vain, atteindre un terrain ferme et solide, d'où, à l'abri de la tourmente, il pût contempler les événements et voir s'accomplir les destinées que ses confidents lui avaient plus d'une fois présagées.

Avant de le prendre sous leur protection, les dictateurs de l'Hôtel de Ville imposèrent à leur nouvel adepte l'obligation de se dépouiller du nom qu'il avait reçu à sa naissance. L'arrière-petit-neveu de Louis XIV dut s'appeler Égalité en vertu d'une décision du conseil général de la Commune.

L'arrêté municipal fut pris le 15 septembre, inséré au Moniteur le 17, l'ex-duc fut élu le 19. Ainsi se trouva accompli dans toutes ses conditions le pacte en vertu duquel le malheureux prince appartint désormais corps et âme aux hommes qui devaient le pousser jusqu'à l'abîme du régicide.

Cette nomination fut le dernier acte important qui marqua la session du corps électoral. Satisfaits de posséder un mandat qui semblait les rendre inviolables, les meneurs du parti démagogique ne donnèrent qu'une attention très-médiocre au choix des suppléants qui, cependant, devaient tous venir, avant la fin de la session conventionnelle, occuper les places que l'échafaud allait rendre vacantes dans les rangs de la députation parisienne[28].

Nous avons vu plus haut que les ultra-révolutionnaires avaient fait adopter le principe d'un scrutin épuratoire auquel, dans chaque section, seraient soumis les députés élus. Cette mesure devait, aux termes de la délibération, renouveler l'esprit de souveraineté dans tous les membres du corps politique. Mais elle n'avait été inventée que dans l'hypothèse où quelques anciens membres du parti constitutionnel auraient réussi à se glisser parmi les vingt-quatre élus ; c'était une dernière carte a jouer que les habiles meneurs de l'Hôtel de Ville s'étaient réservée. La députation parisienne étant sortie de l'urne électorale pure de tout mélange anticivique, la précaution devint naturellement inutile. Quelques sections, fidèles au programme primitif, déclarèrent approuver les choix du corps électoral, beaucoup d'autres s'abstinrent ; on ne fit aucun recensement officiel de ces votes. La session du corps électoral fut déclarée close[29], et l'on congédia ce troupeau d'électeurs que pendant vingt-trois jours on avait parqué dans la salle des Jacobins et auquel on avait imposé les Collot-d'Herbois, les Robespierre, les Marat et les Santerre pour guides et pour pasteurs.

 

IX

Dans les départements les élections conventionnelles se firent généralement d'une manière plus légale. L'esprit qui dominait en chacune des quatre-vingt-deux villes où se rassembla le corps électoral, influa beaucoup sur le caractère des opérations[30]. Il fut dans quelques localités franchement jacobin ; beaucoup plus souvent girondin, quelquefois même constitutionnel. Dans un certain nombre de départements, la réunion du corps électorat fut précédée d'une messe du Saint-Esprit célébrée par l'évêque assermenté, un de ses grands vicaires ou un ecclésiastique érecteur[31].

Le vœu manifesté par les élus des assemblées primaires de se conformer aux usages de l'ancienne monarchie, leur réunion au pied des autels de nos vieilles basiliques, indiquent assez que dans la plupart des provinces, on était encore loin d'avoir adopté les idées de la démagogie parisienne, qui déjà professait tout haut la négation de toute idée religieuse.

La première opération des corps électoraux fut naturellement la vérification des pouvoirs donnés par les assemblées primaires. Cette vérification fit connaître que plusieurs de celles-ci avaient eu le courage de demander le maintien de la monarchie et de la constitution de 1791, et de donner à leurs délégués mandat de voter en ce sens[32].

De semblables pouvoirs étaient en trop flagrante opposition avec l'opinion alors victorieuse pour être admis par les assemblées électorales ; les délégués qui en étaient revêtus furent repoussés de l'urne du scrutin. Le même ostracisme fut prononcé, dans quelques départements, à l'égard des signataires des pétitions et des protestations contre la journée du 20 juin[33]. C'était l'exécution du mot d'ordre adopté à Paris sous l'inspiration de Robespierre, expédié par la société des Jacobins à toutes les sociétés affiliées et transmis par elles aux corps électoraux sur lesquels elles pouvaient avoir quelque influence. Conformément à une autre partie du programme parisien, les ultra-révolutionnaires essayèrent de faire substituer le vote à haute voix au mode légal du scrutin secret. Ils n'y réussirent que dans une dizaine de départements[34]. Partout où cette violation flagrante de la loi fut commise, on voit qu'elle ne fut acceptée que sur l'invitation, c'est-à-dire sur l'ordre de la Société des Amis de la constitution du chef-lieu électoral à Meaux, ce furent trois commissaires de la Commune de Paris qui l'imposèrent le lendemain du jour où le massacre de sept prêtres avait ensanglanté les prisons de cette ville[35].

Certaines assemblées électorales se prétendant, suivant la doctrine démagogique, investies de la totalité de la souveraineté populaire dans leur ressort, se substituèrent aux administrations régulières et, de leur autorité privée, prirent en main tous les pouvoirs. Parmi celles qui se livrèrent à de pareilles usurpations, il faut citer l'assemblée des Bouches-du-Rhône, qui était présidée par Barbaroux. Fier d'avoir, le 10 août, abattu à ses pieds l'antique monarchie, le jeune révolutionnaire était venu jouir dans son pays natal de son triomphe éphémère. Il préconisait hautement des doctrines dont, huit mois plus tard, il devait être une des premières victimes. Sur sa motion, le corps électoral des Bouches-du-Rhône envoya 1.200 hommes de gardes nationales avec cinq pièces de canon contre la ville d'Arles, dans le sein de laquelle des troubles venaient d'éclater ; il décida que tous les frais de l'expédition seraient payés par la caisse de l'État et conféra aux commissaires qu'il mit à la tête des troupes un pouvoir qu'il n'avait pas lui-même, celui de suspendre et de faire emprisonner les fonctionnaires publics qui n'obéiraient pas à ses ordres ou qui lui paraîtraient suspects[36].

Les électeurs d'Eure-et-Loir réunis à Dreux tirent du moins un plus noble usage de l'autorité morale dont les circonstances les avaient investis. On vient les avertir que quarante prêtres insermentés, voyageant ensemble pour se rendre en exil et obéir à la loi, sont arrêtés aux portes de la ville et menacés de mort aussitôt l'assemblée tout entière se lève et sort du lieu de ses séances. sous la conduite de son président ; la foule s'écarte devant cette manifestation imposante, et les quarante malheureux sont sauvés

Terminons ce tableau des élections de 1792 par le récit de deux scènes qui nous ont paru caractéristiques. Nous copions textuellement les procès-verbaux des corps électoraux de la Drôme et de la Sarthe, qui siégeaient, le premier à Valence et le second à Saint-Calais.

Valence, le 8 septembre.

Sur la motion d'un citoyen, les membres du bureau se couvrent du bonnet de la liberté, tous les électeurs sont invités à l'arborer, et à l'instant la salle présente le spectacle d'une longue file de bonnets rouges, emblème cher à tous les amis de l'égalité.

 

Saint-Calais, le 9 septembre.

Les dames patriotes de la ville sont introduites elles sont accompagnées d'un détachement de gardes nationaux et de plusieurs officiers municipaux en écharpe ; une musique guerrière les précède ; les grâces et les ris les suivent. La joie est peinte sur tous les visages. Les dames se rangent autour du bureau, Mme Froger prononce un discours et le termine en posant sur la tête du président Philippeaux le bonnet de la liberté. Le secrétaire, les scrutateurs et les autres députés présents reçoivent la même faveur des autres dames. Le président répond en ces termes :

Le corps électoral est heureux de se voir encouragé et approuvé dans ses efforts patriotiques par le sexe aimable et enchanteur qui fait la consolation et les délices de l'espèce humaine. Quant à moi, paré parla main des grâces, je vais, au nom de rassemblée, donner à ces dames le baiser de la fraternité.

 

X

Dans certains départements, les honneurs de la députation conventionnelle n'étant pas très-enviés, les électeurs se virent obligés de prendre pour mandataires des hommes qui leur étaient personnellement inconnus ; ils allèrent naturellement les choisir dans les rangs des journalistes parisiens on des révolutionnaires émérites. L'Assemblée législative, par un décret, solennel du 26 août, avait accordé le titre de citoyen français à quelques étrangers qui, suivant elle, avaient bien mérité de la France[37]. Trois d'entre eux, Priestley, Anacharsis Cloots et Thomas Payne, furent élus par plusieurs départements. Le premier refusa les deux autres acceptèrent[38].

Le nom du journaliste Carra, l'ex-conspirateur du Soleil d'Or, l'ami de Roland qui venait de le nommer conservateur de la Bibliothèque nationale, sortit six fois de l'urne électorale la Somme, l'Orne, l'Eure, la Charente, Loir-et-Cher et Saône-et-Loire se disputèrent l'honneur d'être représentés par le rédacteur des Annales patriotiques.

Dubois-Crancé, ex-constituant, qui alors était attaché à l'état-major de l'armée du Midi, obtint les suffrages du Var, des Bouches-du-Rhône et de l'Isère, où se trouvait cantonnée cette armée ; les Ardennes, son pays natal, lui décernèrent un quatrième mandat, qu'il accepta[39].

Condorcet fut, comme Dubois-Crancé, honoré d'une quadruple élection dans la Sarthe, l'Aisne, la Loire et l'Eure. Brissot et lui étaient députés de Paris à la Législative. Mais leur influence, qui était considérable en 1791 dans la capitale, avait fort diminué en 1792 ; ils ne purent ni l'un ni l'autre se faire réélire par leurs anciens électeurs. Brissot en fut consolé par les suffrages d'Eure-et-Loir, de l'Eure et du Loiret. Pétion, qui n'avait plus voulu courir les chances de la députation parisienne depuis qu'il n'avait pas été le premier élu, ne reçut qu'un seul mandat, celui de Chartres, sa patrie.

Robespierre fut élu à Arras en même temps qu'à Paris, Sieyès dans l'Orne et dans la Sarthe, Merlin (de Thionville) dans la Moselle, son pays natal, et dans la Somme, où il était en mission ; Héraut-Séchelles, Corsas et Barrère furent également nommés deux fois.

De tous les départements celui qui se montra le moins disposé à choisir ses mandataires dans son propre sein, fut certainement celui de Seine-et-Oise. Sur les quatorze députés qui furent nommés par le corps électoral de ce département, cinq seulement lui appartenaient en propre et étaient assez obscurs les neuf autres étaient empruntés aux célébrités de la capitale, savoir : Treilhard, député de Paris à l'Assemblée constituante ; Kersaint et Héraut-Séchelles, députés de la même ville à la Législative ; trois journalistes, Mercier, l'auteur du Tableau de Paris, Gorsas, le rédacteur du Courier des départements, et Audouin, qui publiait le Journal universel ; Tallien, le fameux secrétaire de la commune insurrectionnelle dont, pour un mot imprudent, Robespierre avait fait échouer la candidature à Paris ; Marie-Joseph Chénier, l'auteur de Charles IX (ainsi le désigne le procès-verbal), et enfin Dupuis, l'auteur de l'Origine des cultes.

Cette manie d'élire des individus sans les connaître produisit un curieux incident qui prit naissance dans l'assemblée électorale de l'Oise et se termina dans la salle des Jacobins de Paris. L'Oise avait choisi pour douzième et dernier député un sieur Bourdon, qualifié dans le procès-verbal de vainqueur de la Bastille et de membre de la Commune de Paris. Or, parmi les démagogues parisiens, il y avait deux Bourdon Léonard, instituteur, et Louis-François, ex-procureur au Châtelet. Lorsqu'on apprit qu'un Bourdon avait été élu député dans l'Oise, les deux homonymes, l'un et l'autre membres du corps électoral parisien, réclamèrent à la fois le bénéfice de cette nomination. Ils s'accablèrent mutuellement des récriminations les plus vives et fatiguèrent leurs auditeurs du pompeux étalage de tous les titres qu'ils prétendaient avoir au suffrage du peuple. Ils faisaient surtout valoir Léonard, son élection au tribunal du 17 août, la mission de confiance dont Danton l'avait honoré en l'envoyant récemment à Orléans préparer le départ des accusés de la haute cour, sa nomination récente aux fonctions de substitut du procureur de la Commune ; Louis-François, les services qu'il avait rendus à la patrie en se mettant à la tête des volontaires qui avaient dépouillé de ses merveilles le château de Chantilly et en allant au-devant des Marseillais dans les premiers jours d'août. La querelle menaçait de s'envenimer et de produire un scandale dont commençaient à rire les gens mal intentionnés. Des amis communs s'interposèrent entre ces deux citoyens si bien faits pour s'entendre. Léonard Bourdon, qui avait appartenu à la section du Finistère, avant d'être le meneur de celle des Gravilliers, avait oublié de rendre compte de l'argent qui lui avait été confié par ses anciens commettants pour des achats de grains ; une accusation de malversation lancée par eux, et qui lui mérita même d'être chassé de t'assemblée électorale parisienne[40], vint fort à propos lui faire comprendre combien il avait intérêt, à ne pas trop éveiller l'attention publique sur ses antécédents. D'un autre côté, il apprit que, grâce à l'influence de son ami Lombard-Lachaux, le maire d'Orléans, il avait été élu par le Loiret. Il renonça donc de bonne grâce au vain honneur d'une double élection et remit entre les mains de Louis-François Bourdon le procès-verbal, si peu explicite, de l'élection de l'Oise. Louis-François s'en servit pour se faire reconnaître comme représentant d'une population qui n'avait peut-être jamais songé à l'étiré. Afin de mieux prendre possession d'un mandat fort contestable, il ajouta à son nom celui du département, auquel il s'était si singulièrement imposé ; il devint ainsi le fameux Bourdon (de l'Oise) dont le nom est resté inscrit en caractères sanglants dans les fastes révolutionnaires.

La Convention, comme la Législative, devait compter 749 membres[41]. Parmi les conventionnels, 75 avaient fait partie de la Constituante et 183 de la seconde Assemblée nationale[42].

En parcourant la liste des députés à la Convention, on est étonné de trouver des députations tout entières composées de dix à douze individus, dont pas un n'a laissé un souvenir dans la mémoire des hommes ; tant, au sein de la redoutable assemblée, on sentait le besoin de s'effacer et de cacher sa propre individualité.

Les conventionnels furent recrutés en grande majorité dans les administrations départementales, qui renfermaient el !es-mêmes beaucoup de propriétaires et d'hommes de loi. Au milieu d'eux se trouvaient un assez grand nombre d'officiers ayant appartenu à l'ancienne armée et surtout aux corps privilégiés, mousquetaires et gardes du corps ; quelques-uns de ceux-ci étaient même titrés, ce fut pour eux une raison de plus de faire preuve d'ardent républicanisme.

Le clergé constitutionnel était aussi très-largement représenté 17 évêques, 6 vicaires généraux, 25 curés ou simples prêtres vinrent, dès le début de la session, siéger dans cette assemblée, dont l'un des premiers actes devait être d'envoyer à l'échafaud le roi très-chrétien[43].

 

 

 



[1] C'est l'expression dont se sert M. Michelet, Histoire de la Révolution, tome IV, p. 219.

[2] Montagnards et Girondins se renvoyèrent, à l'occasion de ce vol, les accusations les plus acrimonieuses et les plus mal fondées. Les Girondins prétendirent que leurs adversaires l'avaient fait exécuter par leurs affidés pour solder ce qui était dû aux assassins de septembre. Nous avons prouvé dans le volume précédent qu'ils n'avaient pas besoin de recourir à ce moyen pour se procurer de l'argent. Les visites domiciliaires et les violations de dépôts les avaient nantis de tout ce qui pouvait leur être nécessaire à cet égard. Marat et ses amis lancèrent de leur côté des insinuations contre la probité de Roland qui, comme ministre de l'intérieur, avait le garde-meuble sous sa responsabilité. Quelques-uns des voleurs et de leurs complices furent arrêtés et jugés par le tribunal du 17 août. Les débats prouvèrent (nous en avons eu toutes les pièces entre les mains) qu'il avait été tout simplement commis par des individus sortis récemment des prisons et qui avaient voulu fêter leur délivrance par une audacieuse déprédation. Plusieurs condamnations à mort furent prononcées, parce que, d'après les déclarations du jury, le vol devait être considéré comme le résultat d'une conspiration tendant à spolier la République à force ouverte. Huit au moins des condamnés furent exécutés entre le 16 octobre et le 11 novembre 1793.

Tant que dura la Terreur, les démagogues parurent attribuer une grande importance à ce que te vol du garde-meuble ne cessât pas d'être considéré comme une affaire politique. C'est pourquoi te tribunal criminel de Paris refusa, en prairial an n, déjuger un nommé Duvivier, ancien commis du ministère de la guerre, accusé de complicité dans la soustraction d'un chétif mobilier, marqué aux armes royales. Ce malheureux fut renvoyé devant te tribunal révolutionnaire qui le condamna à mort, comme convaincu d'avoir aidé et facilité le vol fait, en 1792, au garde-meuble, des diamants de la Couronne, pour fournir de secours aux ennemis coalisés contre la France. Ce qui était matériellement faux, puisque, d'après les pièces du procès, Duvivier n'avait eu aucune espèce de rapport avec les voleurs du 17 septembre, et que les objets dont il s'était trouvé détenteur n'étaient rien moins que des diamants, mais bien une couchette et des matelas !

[3] Nous avons réuni à la fin du volume les jugements émis sur les journées de septembre par les journaux du temps et par quelques contemporains illustres. Nous avons voulu ainsi fournir à nos lecteurs le moyen de juger entre notre opinion et celle des hommes qui ont cru devoir excuser ces exécrables événements.

[4] L'ineptie de Roland dans cette circonstance est constatée par le passage suivant des Mémoires de sa femme, p. 64 : On avait imaginé, comme l'une des premières mesures à prendre par le conseil, l'envoi dans les départements de commissaires chargés d'éclairer sur les événements du 10 août, etc. Dès qu'il fut question de leur choix en même temps que de la proposition de leur envoi, Roland demanda jusqu'au lendemain pour réfléchir aux sujets qu'il pourrait indiquer :Je me charge de tout, s'écria Danton, la Commune de Paris nous fournira d'excellents patriotes ! Le lendemain il arrive au conseil avec les commissions toutes dressées. Il ne s'agit plus que de les remplir des noms qu'il présente et de signer. On examine peu, on ne discute point et on signe. Voilà donc un essaim d'hommes peu connus, intrigants de sections ou brouillons de clubs, patriotes par exaltation et encore plus par intérêt, mais très-dévoués a Danton leur protecteur et facilement épris de ses mœurs et de sa doctrine licencieuses, les voilà représentants du conseil exécutif dans les départements !

Nous avons réuni dans une note spéciale à la fin de ce volume les documents que nous avons pu trouver sur la manière dont les commissaires du pouvoir exécutif et les commissaires de la Commune, nommés dans les mois d'août et de septembre 1792, remplirent leur mission, et sur les débats auxquels l'arrestation de plusieurs d'entre eux par les autorités de certains départements donna lieu au sein de la Convention.

[5] Nous avons donné le texte de cette circulaire, tome III, livre XII, fin du § XI.

[6] Voir le modèle de ces commissions, tome III, livre XIII, § V.

[7] Nous copions presque textuellement un rapport fait, le 6 novembre 1792, par Fauchet, à la Convention nationale, sur la mission de certains de ces commissaires. Ce rapport fut imprimé par ordre de l'Assemblée à un très-grand nombre d'exemplaires pour être envoyé aux départements et aux sociétés populaires, preuve évidente qu'elle lui donnait sa complète approbation.

[8] Cette expression est de Vergniaud, séance du 17 septembre 1792.

[9] La ville d'Amiens signala la première à l'Assemblée l'infâme circulaire du comité de surveillance. Les autorités d'autres départements eurent le courage d'arrêter quelques-uns de ces apôtres du pillage et de l'assassinat et de les faire reconduire à Paris par la gendarmerie, de brigade en brigade. La municipalité de Quimper notamment mit la main sur l'un des émissaires du comité de surveillance, Royou, dit Guermeur, et le retint prisonnier jusqu'au commencement du mois de mars 1793. (Voir, à la fin du volume, la note sur les commissaires.)

[10] Journal des Débats et Décrets, séance du 17 septembre, n° 337, p. 326.

[11] Les détails de cette séance si curieuse sont très-peu connus. On ne comprend pas pourquoi MM. Buchez et Roux, qui ont extrait du registre des délibérations de la Commune tant de discussions peu importantes, ont complètement négligé celle-ci. On trouve dans le Thermomètre du jour (3e trimestre de 1793, p. 657) un extrait du discours de Pétion, sans doute envoyé par Pétion lui-même à son ami Dulaure ; la version du Thermomètre confirme pleinement le procès-verbal que nous avons suivi.

[12] Nous n'avons pas pu, sans interrompre notre récit, insister sur les derniers travaux purement législatifs de notre seconde Assemblée nationale. Citons au moins les principaux, ceux qui complètent l'œuvre de la Constituante et préparent, dans nos codes, celle de la Convention

Du 11 août. — Suppression de la prime en faveur de la traite des noirs (mesure décisive pour arriver à l'abolition de l'esclavage).

Du 14 août au 14 septembre. — Plusieurs décrets sur les biens et usages communaux, en faveur des communes et des citoyens dépouillés par l'effet de la puissance féodale.

Du 16 août au 21 septembre. — Nombreux décrets éteignant les procès en matière féodale, supprimant sans indemnité certains droits ci-devant féodaux, convertissant d'autres droits fixes et casuels en rentes annuelles, remboursant tes offices des justices seigneuriales, etc.

Du 16 août au 2't septembre. — Plusieurs décrets sur les primes et encouragements accordés au commerce ; sur l'enregistrement et l'imposition des effets au porteur ; sur les postes et courriers ; sur le code monétaire, etc.

Du 19 août et du 7 septembre. — Décrets sur le tribunal de cassation.

Des 25 août et 3 septembre. — Décret qui interdit les substitutions et proclame l'égalité des successions.

Du 29 août. — Suppression de la régie générale des économats ; des congrégations séculières et des confréries, etc.

Des 30 et 31 août. — Loi relative aux conventions faites entre tes auteurs dramatiques et les entrepreneurs des spectacles.

Du 3 au 20 septembre. — Liquidation des dettes des ci-devant provinces et pays d'États.

Des 6 et 17 septembre. — Construction d'un canal de jonction du Rhône au Rhin.

Des 11 et 19 septembre. — Répartition des fonds destinés à récompenser les travaux et découvertes utiles à l'agriculture.

Des 15 et 18 septembre. — Liquidation et recouvrement des indemnités dues pour l'abolition des jurandes et maîtrises.

Des 17 et 18 septembre. — Décrets sur l'organisation de la marine (en deux titres) ; sur les aspirants entretenus par la marine, sur les officiers et sous-officiers.

Des 20 et 25 septembre. — Décret sur les causes, tes modes et les effets du divorce (en quatre chapitres).

Du 20-11 septembre. — Décret qui détermine le mode de constater l'état civil des citoyens (en six titres).

Des 20 et 21 septembre. — Décret concernant la restitution des biens des religionnaires fugitifs.

[13] L'Ami du Peuple, du 15 septembre, cité dans l'Histoire parlementaire, tome XVIII, p. 40 à 42.

[14] Voir livre XIII, § IX, au tome II, et livre IX, § III, au tome III.

[15] Ce sont les termes mêmes d'un arrêté de la section de la Fontaine de Grenelle, en date du 17 août.

[16] Ces nombres se déduisent des calculs suivants. Les électeurs parisiens, sous l'empire de la constitution de 1791, qui tes partagea en citoyens actifs et non actifs, étaient au nombre de 812 (Voir t. Ier, note III). Les électeurs des 46 districts ruraux étaient au nombre de 438. Comme il y avait un électeur par 100 citoyens actifs, il y avait donc a cette époque, à Paris et dans la banlieue, 95.000 citoyens actifs. On peut considérer que le chiffre des électeurs des assemblées primaires fut doublé par le décret qui supprima, après le 10 août, la distinction établie par la loi de l'Assemblée constituante.

[17] Voir tome premier, passim.

[18] Nous avons retrouvé cette délibération sur le registre de la section des Piques. Chose remarquable, Robespierre, qui présidait la séance, n'a pas signé la minute, comme l'ont fait les autres officiers du bureau. C'était son habitude : il faisait prendre des résolutions importantes à sa section, à la Commune mais il ne les signait pas, se réservant ainsi la faculté de les désavouer, s'il le croyait plus tard utile à sa politique.

[19] Quoique l'arrêté de la Commune ne soit que la reproduction presque textuelle de la délibération de la section des Piques, nous croyons devoir le donner ici in extenso. Nos lecteurs pourront comparer ces deux documents et suivre les transformations, du reste très-peu importantes, que la même idée, reproduite par le même homme, subit en suivant la filière administrative.

COMMUNE DE PARIS.

Le conseil général, considérant que le salut de la patrie réside <dans le choix qu'on va faire des membres appelés à la Convention nationale ; que les assemblées électorales ayant constamment trompé l'espérance du peuple, il est instant de prendre des mesures pour prévenir les abus résultant d'un mode d'élection évidemment vicieux, lorsqu'il ne reste plus assez de temps pour l'abolir ;

Que la publicité est la sauvegarde du peuple ;

Arrête, le substitut du procureur de la Commune entendu :

1° Que les sections ordonneront à leurs électeurs de faire leurs élections à haute voix et par appel nominal ;

2° Que les membres nommés par l'assemblée électorale seront soumis individuellement à la sanction de toutes les autres sections et des municipalités composant le département de Paris, qui seront invitées d'adopter cette mesure ;

3° Que les séances du corps électoral se tiendront en présence du peuple, et que, la salle de l'Évêché n'offrant pas les dispositions nécessaires pour recevoir le public, l'assemblée électorale siégera dans le local occupé par les amis de la Constitution.

HUGUENIN, président.

TALLIEN, secrétaire-greffier.

[20] Quoique le nombre des électeurs primaires eût été au moins doublé, on ne changea rien au nombre d'électeurs du second degré attribué antérieurement à chaque section et à chaque canton rural.

[21] Cette exclusion fut appliquée séance tenante à plusieurs électeurs. D'autres, craignant d'être atteints par elle ou même seulement discutés, se retirèrent prudemment avant l'appel de leur nom.

Dans une séance subséquente (celle du 8 septembre), des délégués de la section des Arcis vinrent réclamer contre l'exclusion de plusieurs de leurs électeurs qui avaient été accusés d'avoir fait partie du club de la Sainte-Chapelle. L'assemblée électorale passa a l'ordre du jour sur cette délibération, par le motif, dit le procès-verbal, qu'elle n'émane pas de la section et n'est que le résultat de t'intrigue de quelques signataires de pétitions anticiviques.

Voilà, il faut en convenir, une manière commode d'écarter des réclamations embarrassantes.

[22] Voir tome III, livre IX, § X.

[23] Kersaint ne faisait pas partie du corps électoral, il n'avait donc pas pu se défendre à la salle Saint-Honoré ; mais, le soir même, il livra à l'impression sa réponse aux attaques dont il avait été l'objet. Il s'y élevait contre le droit qu'on s'était arrogé de calomnier publiquement les absents et qualifiait cette manière d'agir de véritable assassinat moral. Cela était parfaitement vrai mais n'en est-il pas de même dans les luttes électorales, chaque fois que l'arbitraire, armé de tous les pouvoirs, foule aux pieds tous les droits, et, n'admettant pas plus la contradiction que la résistance, s'assure un facile triomphe en étouffant la voix importune de ses adversaires sous les calomnies de la dernière heure ?

[24] Le procès-verbal de l'assemblée électorale ne fait qu'une seule allusion aux meurtres qui se commettaient alors dans Paris c'est pour enregistrer ta motion d'un électeur, appartenant probablement à la banlieue, qui demande qu'il soit jeté de la chaux vive dans les carrières où viennent d'être enterrées les victimes. Mais, en revanche, ce même procès-verbal mentionne la réception fraternelle faite : 1° aux citoyens de la patrie qui viennent d'accompagner les conspirateurs déposés dans les prisons d'Orléans, c'est-à-dire aux soldats de Fournier qui avaient égorge ou laissé égorger, à Versailles, les prisonniers confiés à leur garde 2° à une députation des malheureuses victimes de l'insurrection d'Étampes, c'est-à-dire aux assassins de Simonneau. L'assemblée électorale non-seulement invite aux honneurs de la séance ces deux bandes de meurtriers, mais elle presse le commandant général Santerre, l'un de ses membres, de faire entrer dans les rangs de l'armée les deux individus qui avaient été condamnés à mort trois mois auparavant, par le jury de Seine-et-Oise, comme convaincus d'être les auteurs principaux de l'assassinat du maire d'Étampes. (Voir tome Ier livre Ier, §§ VIII et IX, et note VII.)

[25] Tallien avait voulu commencer ainsi un discours : Je ne suis pas Brissot, — on l'acclame — je ne suis pas non plus Robespierre... on le hue et on l'empêche de continuer. (Voir la brochure J.-B. Louvet à Maximilien Robespierre et à ses royalistes, citée dans l'Histoire parlementaire, tome XXI, p. 116-138.)

[26] Dans la note I du tome II, nous avons donné un extrait du procès-verbal du département du Pas-de-Calais qui prouve qu'au commencement de juillet 1792, Robespierre jeune résidait à Arras, où il s'essayait dans le rôle de tribun que son frère jouait avec tant de succès à Paris ; le procès-verbal de l'assemblée électorale du même département (septembre 1792) constate que Robespierre jeune en faisait partie. Il n'était donc pas même à Paris lorsqu'il y fut élu député.

[27] Faust, 1re partie, nuit du sabbat.

[28] Des vingt-quatre députés de Paris, huit devaient successivement mourir sur l'échafaud durant la session conventionnelle : Égalité, Manuel, Danton, Desmoulins, Fabre d'Églantine, Osselin, Robespierre aîné, Robespierre jeune. Un neuvième, Marat, devait périr assassiné par la main vengeresse de Charlotte Corday.

[29] Dans tout le récit des opérations électorales de Paris, nous avons suivi exactement les indications du procès-verbal officiel que nous avons eu entre les mains.

[30] Aux termes de la loi des 26 février-4 mars 1790, le corps électoral de chaque département devait successivement se réunir dans les différents chefs-lieux de district, beaucoup plus nombreux que les chefs-lieux d'arrondissement actuels. Un roulement avait été établi entre tous les districts. La loi du 12 août, rectifiée par un décret du 19 du même mois, détermina les villes où les corps électoraux se rassembleraient. L'approche de l'ennemi dans les départements de l'Est et du Nord fit changer au dernier moment plusieurs des désignations primitives.

[31] Nous avons constaté, à l'aide des procès-verbaux officiels, que des messes solennelles précédèrent l'ouverture des séances du corps électoral dans les départements suivants :

Aisne, Allier, Aube, Aude, Calvados, Cantal, Charente-Inférieure, Creuse, Eure, Eure-et-Loir, Loire-Inférieure, Manche, Meurthe, Morbihan, Hautes-Pyrénées, Haut-Rhin, Somme.

La clôture des opérations électorales fut suivie d'un Te Deum dans les départements des Côtes-du-Nord, d'Ille-et-Vilaine et de Loir-et-Cher.

[32] Nous avons trouvé ce fait officiellement constaté dans les procès-verbaux des assemblées électorales de neuf départements, à savoir dans l'Allier, pour cinq assemblées primaires dont les noms ne sont point indiqués ; dans l'Ariège, pour une assemblée non dénommée ; dans les Bouches-du-Rhône, dont faisait alors partie le district d'Apt, pour l'assemblée de Saigeon dans le Lot, pour trois sections du district de Cahors ; dans Lot-et-Garonne, pour l'assemblée primaire de Cahuzac, district de Villeneuve ; dans la Meurthe, pour celle de Dieulouard, district de Pont-à-Mousson ; dans la Nièvre, pour celle de Cosne (extra muros) dans Rhône-et-Loire, qui comprenait en un seul les deux départements actuels du Rhône et de la Loire, pour celle de Saint-Symphorien de Lay ; et enfin dans les Vosges, pour celle de Damblin.

[33] Le fait est constaté dans les procès-verbaux de l'Aisne, d'Ille-et-Vilaine, de Maine-et-Loire, de la Haute-Loire et de la Somme. Dans l'Orne, on se livra à des recherches bien autrement rétrospectives. Un ancien constituant, Goupil de Préfeln, fut déclaré par ses co-électeurs indigne de siéger parmi des hommes libres, pour avoir, quinze mois auparavant, voté en faveur de la révision de la constitution. Par la même occasion, on exclut son gendre, qui n'avait pas le même méfait à se reprocher, mais que sa seule parenté rendait suspect.

[34] L'adoption du vote à haute voix est constatée dans les procès-verbaux des départements de la Corrèze, de la Drôme, du Gers, de l'Hérault, de l'Oise, des Hautes-Pyrénées, des Bouches-du-Rhône, du Lot et de Seine-et-Marne.

[35] Voir tome III, livre XIII, fin du § I.

[36] Cette même assemblée donna, en ces termes, un certificat de civisme au fameux Jourdan Coupe-tête, l'un des principaux auteurs du massacre de la Glacière :

Séance du 9 septembre au matin.

On lit une lettre de M. Jourdan, ci-devant général de l'armée de Vaucluse. Cette lettre est accompagnée de nombreux certificats de différentes communes du comtat Venaissin, attestant la bonne conduite de M. Jourdan, calomnié pendant si longtemps par les ennemis de la révolution avignonnaise. Le corps électoral, instruit des faits, arrête qu'il sera fait mention dans son procès-verbal de la justice qu'il rend à la conduite de M. Jourdan.

Voici, du reste, la description de l'assemblée électorale des Bouches-du-Rhône, telle que la donne le président même de cette assemblée, Barbaroux (Mémoires, p. 88 et suivantes) :

Qu'on se représente une réunion de neuf cents personnes, en général peu instruites, n'écoutant qu'avec peine les gens modérés, s'abandonnant aux effervescents, et, dans cette assemblée, une foule d'hommes avides d'argent et de places, dénonciateurs éternels, supposant des troubles ou les exagérant pour se faire donner de lucratives commissions ; des intrigants habiles à semer la calomnie, de petits esprits soupçonneux, quelques hommes vertueux mais sans lumières ; quelques gens éclairés mais sans courage beaucoup de patriotes, mais sans mesure, sans philosophie : tel était le corps électoral du département des Bouches-du-Rhône. Un trait le peindra mieux que ce tableau très-imparfait A la nouvelle des massacres du 2 septembre, il fit retentir la salle de ses applaudissements.

[37] Ce fut à l'occasion de ce décret qu'Anacharsis Clootz, venant remercier l'Assemblée législative, prononça ce mot fameux : Mon cœur est français, mais mon âme est sans culotte. Moniteur, p. 1026.

[38] Nous avons vu plus haut Marat préféré à Priestley par les électeurs parisiens mais le corps électoral de Rhône-et-Loire et celui de l'Orne vengèrent le savant anglais de cette injustice. Cloots fut élu dans Saône-et-Loire et dans l'Oise ; Thomas Payne dans l'Aisne, l'Oise, le Puy-de-Dôme et le Pas-de-Calais. La lettre par laquelle Priestley refusa la députation se trouve au Moniteur, 30 septembre, n° 294. Bien lui en prit de décliner cet honneur, car les belles phrases par lesquelles la Législative avait convié les écrivains, qu'elle déclarait dignes de la reconnaissance du peuple français, à venir s'asseoir au foyer de leur patrie adoptive, furent plus tard oubliées. Le titre d'étranger devint un motif de suspicion contre Cloots et Thomas Payne. Le premier, malgré son extravagance démagogique, fut déclaré déchu de son siège, enveloppé dans la proscription de son ami Hébert, le père Duchêne, envoyé avec lui au tribunal révolutionnaire, condamné à mort et exécuté le 4 germinal an II (24 mars 1794). Thomas Payne, exclu également de la Convention, fut trainé de prison en prison pendant toute la tourmente révolutionnaire ; mais le patriote américain eut plus de bonheur que le baron prussien : il ne fut pas désigné à Fouquier-Tinville par les pourvoyeurs de la guillotine, et, après la session conventionnelle, il retourna en Amérique.

[39] L'option de Dubois-Crancé pour les Ardennes laissa une place vacante dans la députation du Var. Le suppléant, qui en profita, fut le fameux Barras, alors parfaitement inconnu ainsi, celui qui plus tard devait jouer un si grand rote pendant tout le règne du Directoire, celui qui pendant cinq ans en fut le membre inamovible, n'entra à la Convention que par hasard.

[40] C'est le 13 septembre qu'eut lieu l'exclusion de Léonard Bourdon du sein de l'assemblée électorale séant aux Jacobins.

Le 13 septembre (Moniteur, p. 1005), la section des Gravilliers envoie à la barre de la Législative une députation pour se plaindre des intrigues qui agitent le corps électoral, dans lequel l'envie s'arme impunément de la calomnie contre les citoyens vertueux et patriotes qui ne partagent pas les fureurs de quelques factieux. M. Léonard Bourdon, électeur de cette section, l'un des représentants de la commune de Paris, et député à la Convention par les départements de l'Oise et du Loiret, vient d'être exclu de l'assemblée électorale par l'effet de ces intrigues. La section demande justice en faveur de ce citoyen qui a constamment montré le patriotisme le plus pur et est le principal auteur de la révolution du 10 août. Lecointe-Puyraveau et Cambon s'élèvent contre cette exclusion, qui est de nature, disent-ils, à infecter d'un vice radical toutes les opérations de l'assemblée électorale postérieures à cet acte. Cambon ajoute que ce sera a la Convention à connaître de la pétition des Gravilliers.

L'incident n'eut pas de suites. Au sein de la Convention, les opérations de l'assemblée parisienne ne furent attaquées ni pour les élections faites avant le 13 septembre ni pour celles faites après, et Léonard Bourdon fut admis sans s'être justifié de la grave accusation qui pesait sur lui.

[41] Sans compter les représentants des colonies et des départements annexés qui vinrent successivement siéger pendant la durée du règne conventionnel.

[42] On trouvera à la fin de ce volume la liste des 75 membres de l'Assemblée constituante et des 183 membres de l'Assemblée législative qui vinrent siéger le 20 septembre à la Convention.

[43] Sept ministres protestants figuraient aussi dans les rangs des conventionnels.

On trouvera à la fin de ce volume la nomenclature des quarante-huit ecclésiastiques et des sept ministres protestants qui faisaient partie de la Convention à son début.

La Législative ne comptait dans son sein que vingt-trois ecclésiastiques, dont onze évêques.