Sulpice Huguenin, l'orateur et le chef des émeutiers du 20 juin, le président de la commune insurrectionnelle du 10 août, fut, au moment même où triomphait la démagogie et lorsqu'il était lui-même tout-puissant, l'objet d'accusations graves de la part, non de ses ennemis, mais de ses propres commettants. Huguenin promit plusieurs fois, il est vrai, de se disculper, mais il ne remplit jamais sa promesse. Laissons parler les documents officiels ils émanent de sources qui ne sauraient être récusées. EXTRAITS DES REGISTRES DE LA SECTION DES QUINZE-VINGTS. Séance du 16 août 1792.M. le président a été autorisé à écrire au conseil général pour rappeler à MM. Huguenin et Fontaine, qu'ils ont à prouver leur éligibilité. Séance du 17 août.M. Huguenin s'est présenté pour se justifier, et, s'étant justifié[1], il a été arrêté après maints débats que M. Huguenin était invité de se retirer à son poste jusqu'à ce que l'on ait pris de suffisants éclaircissements sur les griefs à lui imputés pour prononcer sur son compte. Séance du 27 août.Une députation des Lombards est venue prévenir des malversations des commissaires provisoires du conseil générai, lequel avertissement nous ayant été communiqué et lu par un de ces commissaires, l'assemblée générale ayant trouvé cet arrêté tout à fait conforme à ses principes, l'a adopté avec adhésion à l'unanimité. Puis, la même section a demandé, d'après un arrêté de la section des Lombards, le rappel des commissaires à la commune t'Assemblée prenant en grande considération cette proposition a arrêté qu'elle rappellerait, dès demain, la moitié de ses commissaires et l'autre moitié dans une quinzaine ; que le rappel successif aura lieu par la voix du sort, à l'exception de Huguenin qui sortira sans tirer au sort dès demain, s'il ne donne la preuve légale tant d'un congé absolu[2] que des autres pièces qu'il s'était engagé à communiquer le lendemain du jour où il fut inculpé. L'Assemblée persistant dans son arrêté du 17 présent mois, et dans la promesse que lui a faite le sieur Huguenin de se justifier, elle le regarde comme n'étant plus son représentant et le rappelle, si demain, 29 du courant, il n'a pas satisfait à l'arrêté de la section et aux promesses qu'il avait faites à l'assemblée générale. Huguenin ne se justifia pas, mais, suivant l'exemple de ses pareils, il se fit donner une mission pour dépayser les délateurs importuns. Nous le retrouvons commissaire du pouvoir exécutif, à Chambéry, en Savoie, le 26 septembre 1792, et présidant, en compagnie d'Antoine Michaux, le comédien, aussi membre de la commune du 10 août, la séance du club des Amis de la liberté et de l'égalité (Moniteur du 17 octobre 1792). L'année suivante, Huguenin fut attaqué de nouveau pour des malversations de toutes sortes. Il était alors administrateur de l'habillement des troupes de la République. C'était, on doit en convenir, une place heureusement choisie pour un homme qui n'avait pu se laver des inculpations d'improbité lancées contre lui. Faut-il s'étonner qu'à cette époque les plaintes les plus vives se soient élevées contre les vols odieux dont étaient victimes nos malheureux soldats et qui souvent nous enlevaient les fruits de la victoire ? Huguenin fut défendu contre ses accusateurs par Marat et par Pache, qui, dans les premiers jours de juillet 1793, lui délivrèrent de magnifiques certificats de civisme et de probité, et le recommandèrent à l'estime des bons citoyens ; on retrouvera le panégyrique d'Huguenin, par Marat, dans le n° 236 de l'Ami du Peuple, l'un des derniers sortis de la plume de l'ignoble démagogue, car peu de jours après celui-ci recevait la terrible visite de Charlotte Corday. Le témoignage de celui qu'après sa mort on érigea en dieu, ne préserva pas Huguenin de nouvelles accusations car, un mois après, il est plus énergiquement attaqué que jamais au sein du conseil général de la commune. On lit ce qui suit dans le procès-verbal de la séance du 14 août 1793 (Moniteur du 17) : Un membre se plaint de ce que le citoyen Huguenin n'a pas encore rempli l'engagement qu'il a contracté de rendre compte des cinquante louis en or qu'il avait entre les mains, lors du 10 août 1792. Cet objet donne lieu à une discussion assez longue et qui se termine par un arrêté portant que mercredi prochain (21 août 1793), le citoyen Huguenin présentera par écrit son compte général et particulier sur toutes les missions dont il a été chargé, étant membre de la commune du 10 août. La séance du 21 août et la séance suivante se passèrent sans que Huguenin daignât présenter ses comptes. A partir de cette dernière dénonciation, Huguenin échappe à toutes nos recherches. La Biographie générale le fait mourir en 1803. Quant à Concedieu, le dénonciateur de Lavoisier, voici ce que nous avons retrouvé sur son compte. tl était, avant le 10 août, contrôleur au Mont-de-Piété. Après l'insurrection, il fut élu membre du département de Paris et profita de ses nouvelles fonctions pour devenir tout-puissant dans l'administration où il avait été jadis simple employé. Il fut compris dans les poursuites dirigées contre les dantonistes, incarcéré à Sainte-Pélagie le 12 floréal an II, remis en liberté le 9 thermidor. Dénonce de nouveau en floréal an m, il crut devoir se soustraire par la fuite à des poursuites dirigées contre lui par les comités des finances et de sûreté générale de la Convention. Pour que le comité des finances de la Convention se mêlât des poursuites, il fallait évidemment qu'il pesât sur Concedieu des accusations de malversation. |
[1] S'étant justifié veut évidemment dire ayant présenté sa justification ; on ne pourrait expliquer autrement le reste de la phrase.
[2] Huguenin, d'après la Biographie générale (Ed. de 1858), jeune avocat, à Nancy, était tombé dans la débauche, fut obligé de s'engager dans les carabiniers, déserta et devint commis aux barrières de Paris.