I Depuis quelque temps Pétion et Manuel se préoccupaient tout particulièrement de régulariser l'action jusqu'alors tumultueuse et désordonnée des sections parisiennes[1] ; car régulariser cette force, c'était en décupler la puissance. La loi interdisait aux corps constitués de faire des adresses et des pétitions collectives ; mais les sections parisiennes n'étaient pas, dans le sens légal du mot, des corps constitués, puisqu'elles n'avaient pas une autorité définie et des attributions spéciales. C'est pourquoi, au grand regret des meneurs jacobins, elles n'avaient pu, au moment de la proclamation de la patrie en danger, se mettre en permanence comme tous les autres corps auxquels s'appliquait le décret du 12 juillet. Il fallait donc arriver à constituer de fait cette permanence, et cependant ne pas perdre le privilège que les sections avaient su tirer du silence de la loi celui de faire a tous propos des adresses et des pétitions collectives. Le 17 juillet, un arrêté municipal établit un bureau central de correspondance entre les quarante-huit sections de Paris. Ce bureau avait pour mission de rendre entre les sections les communications actives et rapides ; il tenait ses séances à l'Hôtel-de-Ville et était placé sous la direction et la surveillance immédiate du procureur de la commune. Quarante-huit commissaires y devaient passer journellement pour communiquer les arrêtés pris dans chacune de leurs sections et recevoir communication des arrêtés pris dans les autres[2]. Dès le 6 juillet, la section du Marché des Innocents avait demandé que les quarante-huit sections envoyassent des délégués à l'Hôtel-de-Ville chargés de rédiger une adresse à l'armée, où seraient exprimés tous les sentiments de fraternité qui unissaient Paris aux défenseurs de la patrie. Naturellement, un des premiers soins du nouveau bureau de correspondance fut de presser la nomination de ces commissaires. Trente-deux sections répondirent tout d'abord à l'appel de la municipalité ; quelques autres se joignirent plus tard à elles. Après plusieurs séances successives, on admit le projet présenté par Collot-d'Herbois, Tallien et Xavier Audoin[3]. L'adresse contenait une série de calomnies dirigées contre les généraux qui commandaient nos armées elle tendait à jeter l'esprit d'insubordination et de révolte dans les rangs des soldats. Tout cela était déplorable ; mais ce qui l'était bien plus, c'était l'innovation qui venait d'être consacrée, sans que ni la municipalité légale, ni le département, ni l'Assemblée, ni le pouvoir exécutif eussent songé a s'y opposer, eussent entrevu toutes les conséquences qu'une pareille usurpation pouvait avoir dans un temps très-rapproché. Ainsi, un pouvoir nouveau, sans régie, sans responsabilité, sans garantie, se posait, de son autorité privée, à côté de celui que la loi avait institué pour représenter la commune. Des commissaires, dont l'élection n'était entourée d'aucune formalité, dont les pouvoirs n'étaient pas toujours inscrits sur les registres, mais souvent libellés sur un chiffon de papier en l'absence du plus grand nombre des citoyens actifs de la section, enfin dont les attributions pouvaient être aussi vagues et aussi larges que possible, se réunissaient à l'Hôtel-de-Ville, délibéraient avec toutes les formes d'une assemblée régulière — président, secrétaire et procès-verbal — prenaient des décisions et s'arrogeaient le droit de parler au nom de la population parisienne. La commune insurrectionnelle du 10 août était toute trouvée. Les commissaires de section n'eurent plus, au jour choisi par les conspirateurs, qu'à venir s'emparer violemment de la salle où siégeait le conseil général de la commune, et à dissoudre ce corps, qui, par un aveuglement stupide, leur avait ouvert lui-même les portes de l'Hôtel-de-Ville, les avait installés près de lui, leur avait, pour ainsi dire, reconnu le droit de parler et d'écrire en son lieu et place. Pourquoi des individus sans titre et sans mandat n'auraient-ils pas mis en action, vis-à-vis de ces municipaux si bénévoles, la fable de Lice et sa compagne ? Cette fable n'est-elle pas de tous les temps et de tous les régimes ? II Grâce à l'établissement du bureau central de correspondance, le mouvement révolutionnaire se généralisa. Une motion démagogique était-elle produite dans une section, presque instantanément elle était répandue, adoptée, amplifiée dans les autres. Non-seulement les sections correspondaient entre elles mais encore avec toutes les communes de France ; elles usurpaient le pouvoir législatif, inventaient des délits, édictaient des peines. La section des Lombards proposait l'établissement d'un camp sous Paris, faisait afficher des avis aux Parisiens, dans lesquels elle menaçait de la fureur du peuple quiconque tirerait sur lui en cas d'insurrection, et garantissait la sûreté personnelle, ainsi que la propriété, à ceux qui se rangeraient de son côté. La section du Théâtre-Français décrétait, dans un acte signé Danton, Chaumette et Momoro, que la division constitutionnelle des citoyens actifs et des citoyens passifs n'était plus reconnue par elle et que tous les Français, ayant un domicile quelconque dans sa circonscription, partageraient effectivement la portion de souveraineté appartenant à ladite section. Depuis que te mot déchéance avait été prononcé à l'Assemblée, cette question était très-violemment agitée dans la plupart des sections. La municipalité eut l'audace de la mettre à l'ordre du jour de toutes à la fois. Naturellement les jacobins la mirent également en discussion ils prirent même les devants sur les sections, parce que, pour un objet aussi important, ils tenaient à faire prévaloir leurs idées particulières. La racine du mal est dans le pouvoir exécutif, s'écria Robespierre au club de la rue Saint-Honoré, mais il est aussi dans la législature. La déchéance du roi est nécessaire, mais, le fantôme appelé roi disparu qui gouvernera ? Le pouvoir exécutif sera-t-il exercé par le corps législatif ? Je ne vois dans cette confusion de tous les pouvoirs que le plus insupportable des despotismes. Que le despotisme ait une seule tête ou qu'il en ait sept cents, c'est toujours le despotisme. Je ne connais rien d'aussi effrayant que l'idée d'un pouvoir illimité remis à une assemblée nombreuse qui est au-dessus des lois, fût-elle une assemblée de sages. Ainsi Robespierre anathématisait d'avance le règne de la Convention, le pouvoir souverain exercé par une assemblée unique. Mais pourquoi blâmait-il un régime dont il devait devenir le promoteur le plus fervent ? C'est qu'alors ses rivaux siégeaient à la Législative et que, lui, il s'en était exclu, tandis que plus tard il tut l'inspirateur caché et tout-puissant du terrible comité de salut public, auquel la Convention avait, remis l'exercice de ses pouvoirs souverains. III Laissons la pétition sur la déchéance s'élaborer dans le comité central réuni à l'Hôtel-de-Ville, laissons les sections révolutionnaires se disputer la palme de l'énergie civique (style du temps) ; assistons à l'entrée des fédérés marseillais qui, partis le 2 juillet des bords de la Méditerranée, arrivèrent à Charenton le 29 au soir. Qu'étaient ces hommes ? De valeureux jeunes gens du ti département des Bouches-du-Rhône et des contrées circonvoisines, qui avaient quitté le foyer domestique pour répondre à l'appel de la patrie en danger ? Non, ceux-là étaient aux frontières, avec Masséna et Championnet. Ceux qui vinrent à Paris n'étaient que des bandits émérites, expédiés par les sociétés populaires du Midi[4], pour renverser la constitution et plonger la France dans l'anarchie. Nous le demandons aux écrivains les plus disposés à pallier les crimes de la démagogie, peut-on citer le nom d'un de ces hommes qui vinrent, sous le titre de Marseillais, effrayer la capitale de leur sinistre présence, faire Je sac des Tuileries, jeter bas un trône de &ix siècles, présider aux massacres de septembre, et disparaître ensuite en laissant après eux une ineffaçable traînée de sang ? A chaque pas on retrouve, dans les fastes militaires de cette époque, d'anciens gardes françaises, d'anciens vainqueurs de la Bastille, qui plus tard se distinguèrent et parvinrent aux plus hauts grades ; mais peut-on prouver qu'un seul d'entre ces .Marseillais se soit distingué aux armées, y ait acquis quelque gloire, y ait péri d'un noble trépas ? Que l'on cesse donc de mêler le souvenir de ces brigands avec celui du chant sublime auquel, par une étrange aberration, on a donné leur nom, qui fut hurlé, il est vrai, dans les orgies et dans les scènes de meurtre dont ils souillèrent la capitale, mais qui a conduit et qui conduit encore nos jeunes soldats à la victoire ; avec cet hymne qui doit vivre éternellement dans la mémoire de tous les Français, comme le symbole de l'amour de la patrie et non comme le signal de la guerre civile. La Marseillaise a été improvisée à Strasbourg par Rouget de Lisle, qui n'eut jamais rien de commun avec les Marseillais, qui, après le 10 août, refusa de reconnaître le pouvoir issu de l'insurrection, et fut poursuivi pendant toute la Terreur par les sbires du comité de salut public[5] ; elle fut chantée pour la première fois dans la maison du maire Dietrich, qui fut proscrit comme ami du général La Fayette, et traîné au tribunal révolutionnaire par les ordres de Robespierre[6]. Deux jeunes Marseillais étaient depuis plusieurs mois à Paris l'un, Rebecqui, avait été appelé à la barre de l'Assemblée pour rendre compte de sa conduite comme commissaire dans le district de Vaucluse ; l'autre, Barbaroux, avait été envoyé par sa ville natale pour veiller à certains intérêts locaux[7]. Ils fréquentaient assidûment le club des Jacobins et les conciliabules secrets du petit appartement de la rue de la Harpe, où Roland était rentré après sa sortie du ministère. En correspondance régulière avec les sociétés populaires, qui avaient expédié la bande des Marseillais, et avec la bande elle-même, pendant les vingt-sept jours qu'elle avait mis à traverser la France, ils turent, instruits immédiatement de son arrivée a Charenton, et se rendirent au-devant d'elle, en compagnie de Fournier l'Américain et d'un ancien procureur au Châtelet, fort mêlé depuis longtemps à toutes les menées démagogiques et qui devait bientôt acquérir une effroyable renommée sous le nom de Bourdon (de l'Oise). Ils s'abouchèrent avec les chefs de la colonne marseillaise. On décida qu'elle entrerait le lendemain dans la capitale, que le faubourg Saint-Antoine tout entier lui ferait escorter et qu'on profiterait de l'occasion pour enlever, de gré ou de force, la déchéance ou la suspension du roi. Tout était prêt, croyait-on. Santerre avait promis quarante mille hommes de Saint-Antoine et de Saint-Marceau en passant sur le quai, un millier de patriotes se seraient détachés de la foule, auraient surpris l'Hôtel de Ville, y auraient installé les délégués des sections ; un parc d'artillerie de la garde nationale, conduit d'avance sur leur route, serait tombé entre les mains des insurgés ; quatre cents citoyens auraient retenu Pétion à la mairie, quatre cents autres auraient arrêté le Directoire du département ; des hommes armés auraient occupé tous les ponts et les différents postes de la capitale. Cela fait, l'armée populaire, par trois colonnes, aurait envahi le jardin des Tuileries et la place du Carrousel le palais n'eût pas été attaqué, mais bloqué ; prenant d'un même' coup de filet et le roi et l'Assemblée nationale, les chefs révolutionnaires auraient sommé celle-ci de sauver l'Etat en détrônant celui-là[8]. L'affaire manqua le 30, comme elle avait manqué le 26, à cause de l'absence des auxiliaires sur lesquels on comptait. Soit qu'on eût refusé de le suivre, soit que le cœur lui eut manqué, Santerre n'amena point les quarante mille hommes qu'il avait promis. Les Marseillais, au nombre de cinq cent seize, ne trouvèrent, pour les recevoir, qu'environ deux cents fédérés des départements et deux douzaines de Parisiens armés de piques et de coutelas[9]. Le long du faubourg Saint-Antoine et des boulevards ils rencontrèrent, il est vrai, une assez grande foule, mais très-pacifique. Ils y jetèrent l'épouvante en arrachant les cocardes à rubans que portaient beaucoup d'hommes et de femmes. Les démagogues prétendaient que les vrais patriotes ne devaient porter que des cocardes en laine. Sur les ruines de la Bastille, les Marseillais furent reçus par un groupe de Jacobins que la société mère avait envoyés pour leur faire cortège. On proclama leur chef un Brutus et eux des Scævola, pour avoir juré de ne pas quitter la capitale sans avoir affermi le trône de la liberté d'une manière inébranlable[10]. Ils allèrent ensuite à la mairie acclamer Pétion, prirent quelques instants de repos dans la caserne qui leur avait été préparée — la Nouvelle-France —, et enfin se rendirent, sous la conduite de Santerre, un banquet qui leur était offert par les Jacobins en général et spécialement par les gardes nationaux du faubourg Saint-Antoine. IV Non loin du cabaret dans lequel les Marseillais entrèrent aux Champs-Elysées vers quatre heures et demie, des grenadiers du bataillon des Filles-Saint-Thomas achevaient un repas de corps chez le traiteur Dubertier[11]. Ces grenadiers étaient particulièrement détestés des émeutiers, parce qu'ils s'étaient, en plus d'une circonstance, montrés les zélés défenseurs de l'ordre et de la Constitution. Au moment de leur sortie du restaurant, les gardes nationaux sont donc entourés par la foule qui venait d'accompagner les Marseillais et stationnait dans les environs ; on leur lance des injures, puis de la boue, puis des pierres. Voulant éviter une lutte inégale, la plupart se retirent par petits groupes ; cependant quelques-uns semblent vouloir résister a tant de violences. Aussitôt un rappel de tambour se fait entendre, les agents de provocation crient : A nous les Marseillais ! Ceux-ci sortent de leur cabaret par les portes, par les fenêtres et, sabre au poing, se ruent sur les grenadiers qu'ils dispersent et poursuivent dans toutes les directions. Un jeune agent de change, nommé Duhamel, essaye de se dégager en dirigeant contre les assaillants un pistolet, qui ne part pas. Cette démonstration porte à son comble la rage des Marseillais, ils se jettent sur lui le malheureux jeune homme se précipite dans un café de la rue Saint Florentin, mais les Marseillais y entrent aussitôt et le percent de mille coups. Des gardes nationaux sont blessés, trois très-dangereusement, douze autres assez grièvement. Quelques-uns ne doivent leur salut qu'à une circonstance fortuite le pont tournant, qui séparait alors le jardin des Tuileries de la place Louis XV, se trouvait à leur portée, ils le franchissent, le referment derrière eux, traversent le jardin en courant et se réfugient au Château, où des secours leur sont prodigués[12]. Dans l'intérieur du Château, comme au dehors, l'alarme fut extrême. On fit mander le maire Pétion qui se rendit aux Champs-Elysées où, naturellement, il ne trouva plus personne. La générale fut battue. Réuni sur la place Favart, le bataillon des Fines-Saint-Thomas voulait se porter en masse à la caserne des Marseillais ; on l'en détourna. Quelques grenadiers furent délégués auprès de l'Assemblée nationale, qui, dès l'ouverture de la séance du soir, entendit leurs justes plaintes. Nous nous étions réunis pour
dîner ensemble, dirent-ils, nulle santé, nul mot n'avait pu donner lieu à
calomnier nos intentions. Quel a donc été notre étonnement, en sortant pour
revenir dans nos foyers, de nous voir assaillis par une troupe de gens égarés
qui, fâchés de nous entendre répondre par les cris de Vive la nation à ceux
qu'ils nous criaient, nous ont couverts d'une grêle de pierres. Cherchant
alors à nous rallier, nous avons entendu un rappel, et aussitôt nous avons
été attaqués par six cents furieux qui dînaient près de nous. Ils ont fondu
sur nous à coups de sabre et de pistolet ; plusieurs de nos camarades en ont
été victimes, ils sont morts. Ceux qui se sont sauvés ne l'ont dû qu'à leur
fermeté ou en adoptant un signe de ralliement que M. Santerre leur indiquait.
Nous venons vous demander justice de ces assassins. Les gardes nationales de
Paris ont bien su vous défendre jusqu'à présent, n'exigez pas de nous de voir
de sang-froid, sous nos yeux, les meurtriers de nos frères[13]. La lecture de cette adresse fut interrompue presque à chaque phrase par des cris : Ce n'est pas vrai ! que proféraient les tribunes au paroxysme de la fureur. Lorsque l'orateur arriva au récit de la mort du garde national Duhamel, un misérable eut l'infamie de s'écrier : Tant mieux ![14] L'Assemblée était profondément indignée ; mais la Montagne, depuis plusieurs heures que cette scène de meurtre s'était passée, avait pris le soin de se munir de témoins en sens contraire. Elle les fait immédiatement paraître à la barre pour contre-balancer les témoignages des victimes eues-mêmes. Ils sont trois L'un d'eux déclare qu'étant de garde au Château des grenadiers, barbouillés de boue exprès, sont entrés sans carte chez le roi ; que celui-ci, la reine et les dames d'honneur ont affecté de donner de grands soins aux blessés. Un autre raconte qu'il a menacé de sabrer un grenadier qui disait tout haut que les Marseillais étaient des brigands ; qu'il l'a conduit à l'état-major, mais qu'on l'y a fait relâcher. Le troisième ajoute : Je préviens l'Assemblée qu'on doit lui apporter un corps mort ; on lui dira que c'est une victime des Marseillais, ceux qui l'apporteront veulent commencer la contre-révolution[15]. Dans ce dernier fait, il y avait cela de vrai que Mathieu Dumas, qui avait eu deux parents blessés aux Champs-Élysées, avait proposé aux gardes nationaux des Filles-Saint-Thomas d'aller chercher le cadavre du malheureux Duhamel au café de la rue Saint-Florentin et de le porter au sein de l'Assemblée[16]. Mais avant que Dumas ait pu prendre la parole pour préparer cette scène tragique, le montagnard Gaston se présente à la tribune et raconte à sa manière les faits dont il a été témoin. Il a vu les Marseillais prendre un repas frugal ; il a entendu des officiers de la garde nationale crier : Vive le roi, vive la reine, vive La Fayette ! On a dit qu'ils avaient aussi crié : A bas la nation ! il ne l'a pas entendu. Une querelle s'étant engagée entre les officiers et les Marseillais sur les cris que les uns proféraient et sur ceux que les autres voulaient leur imposer, les Marseillais ont franchi les fossés comme des lions, et ont tiré leurs sabres ; c'était un spectacle imposant ; mais lui, Gaston, il est intervenu et a empêché la mêlée de devenir sanglante. Par malheur, vers la rue Saint-Florentin, un grenadier a de nouveau provoqué les Marseillais, qui cheminaient tranquillement formés en bataillon carré ; ceux-ci n'ont pu se contenir, et il a vu leurs sabres tomber sur lui ! A ces mots, dont il est impossible de ne pas admirer l'euphémisme pour expliquer un meurtre abominable, une partie des tribunes applaudit ; l'Assemblée se contente de passer à l'ordre du jour, sous prétexte que la justice seule est compétente pour connaître de toute cette affaire. La nuit ne fut pas troublée, mais durant toute la journée du lendemain, on eut des craintes très-vives aux Tuileries[17]. Les meneurs, qui déjà avaient manqué leur coup deux fois, paraissaient vouloir profiter de la surexcitation des esprits pour brusquer l'insurrection on parlait de faire battre la générale ; mais, connue les précautions de l'autorité paraissaient prises et que les préparatifs insurrectionnels n'étaient pas complets, l'affaire fut encore remise. V Aux séances du 31 juillet et du 1er août ; de nouvelles députations de gardes nationaux viennent se plaindre des infâmes agressions dont leurs camarades ont été victimes ; mais ces plaintes sont accueillies par les vociférations des tribunes. Une partie de l'Assemblée se lève, indignée de tant d'audace. Dumolard s'écrie : Entendez-vous les hurlements de ces cannibales ? — Rappelez-leur, ajoute Leroy, que des Français ont péri hier par la main de leurs frères. Guadet vient, au nom de la commission extraordinaire, faire un rapport sur les pétitions contradictoires présentées pour et contre le départ des Marseillais. Il déclare qu'il serait vraiment dérisoire d'envoyer en ce moment à Soissons les fédérés de Marseille, puisque l'on apprend, par une lettre de la municipalité, que rien n'est encore prêt au camp, et que les volontaires qui s'y trouvent manquent de tentes, d'armes, d'habits, de linge et de vivres. La gauche prend texte du rapport de Guadet pour accuser le ministre d'impéritie et de trahison ; la droite demande que l'on s'occupe de renvoyer de Paris le bataillon qui a signalé son arrivée par de si effroyables désordres. On décide l'envoi à Soissons de trois commissaires chargés de vérifier les faits[18], et toute la satisfaction que l'on donne aux malheureuses victimes des brutalités des Marseillais est une vaine et froide proclamation que Lacépède lit au nom de la commission extraordinaire. La représentation nationale, s'élevant contre les agents de discorde, y prêche l'union aux fédérés et aux gardes nationaux. Se voyant assurés de l'impunité, les Marseillais payent d'audace et viennent eux-mêmes (séance du 2 août au soir), par un singulier renversement de tous les rôles, demander vengeance contre leurs adversaires et notifier officiellement leur arrivée à l'Assemblée. Leur orateur commence ainsi : Nous venons au nombre de cinq cents acquitter le serment des citoyens de Marseille de combattre pour la liberté. Le nom de Louis XVI ne nous rappelle que des idées de trahison. Hâtez-vous de prononcer une déchéance mille fois encourue. On nous dit de voler à la frontière ; mais La Fayette commande encore à l'armée, et des citoyens libres sont-ils donc faits pour obéir au perfide esclave de la cour ? La patrie trouvera parmi nous des vengeurs, La Fayette n'y trouvera pas de soldats ! L'orateur se plaint ensuite des soins qui ont été donnés aux adversaires des Marseillais par les familiers du Château il s'indigne des poursuites qui viennent d'être ordonnées par le pouvoir exécutif. Eh bien, que cette procédure s'instruise, s'écrie-t-il, nous resterons en otage à Paris jusqu'à ce qu'elle soit terminée. Nous demandons à être appelés à garder les représentants du peuple, car nous y avons autant de droit que les grenadiers des Filles-Saint-Thomas, dont le roi vient de se faire le défenseur officieux[19]. La gauche applaudit, demande l'impression du discours des Marseillais et l'envoi dans les quatre-vingt-trois départements. Laporte (du Haut-Rhin) profite de cette occasion pour affirmer que c'est la liste civile qui a payé le dîner des grenadiers. En vain Girardin veut appeler la pitié de l'Assemblée sur la famille du jeune Duhamel, qui laisse deux enfants et une femme enceinte. On lui répond que Duhamel était un agent de Coblentz, qu'on a trouvé dans ses poches des correspondances compromettantes mais on se garde bien de les produire et, malgré l'insistance de Girardin, l'Assemblée passe à l'ordre du jour et ordonne l'impression de la pétition des Marseillais. Cette scène tumultueuse venait de se terminer, la séance avait été levée et déjà les bancs s'étaient fort dégarnis il était onze heures du soir. Tout à coup se produit une autre scène, qui donne une idée de l'émotion fiévreuse qu'une multitude de bruits absurdes entretenaient dans la population parisienne. Une foule d'hommes et de femmes envahit la barre, criant :
On empoisonne nos frères ! vengeance ! vengeance !
La réouverture de la séance est réclamée, mais, parmi les députés qui étaient
encore présents, il n'y en avait aucun qui eut le droit légal de présider[20]. Les
pétitionnaires vomissent mille injures contré les traîtres qui refusent de
les entendre ; la gauche elle-même, par l'organe de Lasource, est obligée de
les rappeler au calme. Enfin un ex-président, Vergniaud, paraît, et les
pétitionnaires peuvent dénoncer avec des frémissements, des hurlements de
rage, le crime horrible commis à Soissons contre les fédérés. Leur
indignation éclate par phrases entrecoupées : On
a mis du verre dans le pain des volontaires On a voulu empoisonner nos
défenseurs, nos amis, nos frères, nos pères, nos enfants. Les uns sont morts,
les autres sont malades dans les hôpitaux[21]. Il n'y a que les aristocrates qui aient pu commettre un
crime aussi effroyable. Qu'ils se déclarent donc, les lâches homicides, et
nous les combattrons Ah si nous n'avions pas eu tant de patience ! si, dès le
commencement de la révolution, nous les avions exterminés jusqu'au dernier,
la révolution serait achevée et la patrie ne serait pas en danger. Mais vous,
représentants du peuple, vous en qui seuls nous pouvons encore avoir
confiance, nous abandonnerez-vous ?... Si nous ne
comptions pas sur vous, nous ne répondrions pas des excès auxquels notre
désespoir pourrait nous porter... C'est à
vous que nous demandons vengeance, et nous l'attendons de vous. Oui, oui, vous l'aurez, s'écrie la Montagne. Le président répond : Citoyens, l'Assemblée partage votre douleur ; les expressions de votre désespoir ont été jusqu'à son cœur. Il rappelle que des commissaires, sur le patriotisme desquels on peut compter, ont été envoyés à Soissons, et annonce que la délibération, ne pouvant être valable à cause de l'insuffisance du nombre des députés présents, sera reprise le lendemain. Le crime est atroce, reprend Thuriot, il faut que la vengeance soit prompte. Je demande que l'on envoie sur-le-champ un courrier à nos trois commissaires, pour avoir une connaissance précise du fait. Cette motion adoptée, Vergniaud lève la séance, et la foule s'écoule en faisant entendre ses menaces habituelles. Le lendemain, une lettre des commissaires de l'Assemblée donnait, sur le fameux empoisonnement, les plus minutieux détails. Si du verre s'est, en effet, trouvé dans le pain des fédérés, la malveillance y est restée complètement étrangère. La manutention avait été établie par négligence dans un des bas côtés d'une église, dont les murs et les vitraux tombaient en ruine ; des enfants s'étaient amusés à jeter des pierres, et des débris de verre étaient tombés dans le pain sans que les boulangers s'en fussent aperçus. Du reste, le mal avait été sans résultat. Le pain avait été jeté avant le repas des fédérés, et aucun de ceux-ci n'avait éprouvé le moindre mal. Lasource qui, la veille, avait été le premier à demander vengeance de l'attentat imaginaire, profita de l'occasion pour déclamer une fois de plus contre ceux qui agitaient le peuple, et cherchaient à exciter un mouvement que la cour désirait depuis longtemps. C'était, il faut en convenir, se retourner avec habileté. L'incident n'eut naturellement aucune suite, et l'enquête ordonnée pour rechercher les auteurs de ces faux bruits fut sans résultat. VI Tout était trouble, anarchie, confusion dans l'Assemblée, à Paris, dans la France entière. Des désordres graves éclataient de toutes parts. Le Poitou et les provinces environnantes s'agitaient sous la double menace de la proscription de leurs prêtres et de la réquisition de leurs enfants. Dans les montagnes de la Lozère, Dussaillant, officier du régiment de Cambrésis, après s'être échappé de Perpignan, où il avait compromis 'dans une espèce d'échauffourée une grande partie des officiers de son régiment, s'était jeté dans le château de Bannes et avait convoqué les habitants des Cévennes pour former un camp à Jalès. Les gardes nationaux des départements environnants avaient, il est vrai, suffi pour dissiper ce commencement de guerre civile, mais les ferments existaient toujours, et l'incendie, un moment éteint, menaçait de se rallumer sur vingt points différents. En ce moment, parut le fameux manifeste du duc de Brunswick. Cet acte était intitulé : Déclaration de S. A. S. le duc régnant de Brunswick-Luxembourg, commandant des armées combinées de LL. MM. l'empereur et le roi de Prusse, adressée aux habitants de la France. Si ce manifeste s'était borné à exposer les griefs que la Confédération germanique croyait avoir contre la France les droits des princes en Alsace et en Lorraine méconnus, certaines possessions de l'empire menacées, les provinces belgiques envahies, il eût ressemblé à tous les manifestes de guerre. Mais le généralissime des armées royales et impériales s'arrogeait le droit d'intervenir dans les affaires intérieures de la France, et déterminait ainsi le but que se proposaient les rois coalisés : Faire cesser l'anarchie en France, arrêter les attaques portées contre le trône et l'autel, rétablir le pouvoir légal, rendre au roi la sûreté et la liberté dont il était privé et le mettre en état d'exercer l'autorité légitime qui lui était due. En conséquence, l'empereur et le roi de Prusse ordonnaient aux populations françaises de retourner sans délai aux voies de la raison et de la justice, de l'ordre et de la paix ; et, par l'organe de leur général en chef, déclaraient : 1° ne point faire la guerre pour conquérir ; 2° vouloir uniquement délivrer le roi, la reine et leurs parents captifs, et mettre sa majesté très-chrétienne à même de travailler à son gré au bonheur de ses sujets ; 3° assurer la protection des armées combinées à tous ceux qui se soumettraient au roi ; 4° traiter en ennemis et punir comme rebelles à leur roi, comme perturbateurs du repos public, ceux des gardes nationaux qui auraient combattu contre les troupes des deux cours alliées et qui seraient pris les armes à la main ; 5° exiger la soumission immédiate des généraux, officiers, sous-officiers et soldats ; 6° rendre responsables, sur leurs têtes et leurs biens, les membres des départements, districts et municipalités, de tous les délits qu'ils laisseraient commettre ou ne se seraient pas notoirement efforcés d'empêcher ; 7° punir dans leurs personnes, selon les lois de la guerre, jusqu'à la destruction par le fer et le feu de leurs maisons, les habitants des villes, bourgs et villages qui oseraient se défendre ; 8° commander à la ville de Paris de se soumettre sur-le-champ et sans délai au roi... rendre personnellement responsables de tous tes événements, sur leurs têtes, pour être jugés militairement sans espoir de pardon, tous les membres de l'Assemblée nationale, du département, du district, de la municipalité et de la garde nationale de Paris, et tous autres qu'il appartiendrait ; jurant, en outre, sur leur foi et parole d'empereur et de roi, que si le château des Tuileries était forcé ou insulté, que s'il était fait la moindre violence, le moindre outrage à LL. MM. le roi, la reine et la famille royale, s'il n'était pas pourvu immédiatement à leur sûreté, elles en tireraient une vengeance exemplaire et à jamais mémorable, en livrant la ville de Paris à une exécution militaire et à une subversion totale[22]. Le duc de Brunswick refusa, dit-on, pendant plusieurs jours, de mettre son nom au bas de cet insigne monument de folie[23]. Les rédacteurs du manifeste avaient, peut-être sans le savoir, fourni un terrible argument aux implacables accusateurs qui devaient envoyer Louis XVI, et plus tard Marie-Antoinette, à l'échafaud. On a été, il est vrai, jusqu'à soutenir que plusieurs de ceux qui conduisaient les affaires de l'émigration se préoccupaient plus de la régence du comte de Provence que de la vie de l'infortuné monarque, et donnaient à entendre que le principe monarchique se relèverait plus fort dans le cœur des Français s'il était régénéré par un baptême de sang. La reine n'avait-elle pas elle-même à Coblentz de puissants ennemis ces courtisans ambitieux et coupables qui l'avaient naguère poursuivie de leurs calomnies et qui voyaient aujourd'hui en elle un obstacle à leur retour triomphal, soit comme conseillers du faible Louis XVI, soit comme chefs d'un conseil de régence, si le roi périssait dans la tourmente révolutionnaire ? Mais de pareilles assertions veulent être prouvées, et celles-ci sont restées à l'état de rumeurs. Quoi qu'il en soit, la masse des émigrés n'était et ne pouvait être initiée à tout ce machiavélisme des cours ; la plupart ne s'inquiétaient que de la restauration de leurs privilèges et de la punition de ceux qui avaient osé les leur ravir. Sous l'empire d'illusions étranges, fruits ordinaires de l'émigration, ils répétaient sans cesse a leurs alliés qu'ils n'auraient besoin que de se présenter pour se faire ouvrir les portes de toutes les places qui se trouvaient entre la frontière et Paris. La plus plausible explication de leur conduite, c'est qu'ils n'étaient pas de leur temps. Ils se croyaient encore à l'époque des croisades et envoyaient des quenouilles aux retardataires ; ils en étaient au moins aux idées de la Ligue et de la Fronde, et s'étayaient de l'exemple de Guise, de Turenne et de Coude, qui, eux aussi, n'avaient pas hésité, pour venger leurs querelles particulières, à attirer l'étranger au sein de leur patrie. Louis XVI et la reine elle-même avaient vu avec douleur l'émigration prendre depuis quelque temps d'immenses proportions[24]. Ils avaient cherché à retenir les fidèles serviteurs qui leur demandaient conseil[25] ; ils ne cessaient d'envoyer des affidés auprès de leurs amis les plus intimes déjà partis, pour leur recommander la prudence et l'abstention. Non-seulement Louis XVI avait dans des proclamations ordonné aux officiers de rester à leur poste, mais il avait encore écrit à ses frères des lettres confidentielles, les adjurant de se tenir tranquilles ; ceux-ci n'y avaient eu aucun égard, déclarant qu'ils les considéraient comme arrachées par la contrainte a un roi captif de ses sujets[26]. En vain l'Assemblée constituante et, après elle, l'Assemblée législative avaient-elles accumulé contre l'émigration toutes les foudres de leurs décrets ; en vain la Législative avait-elle lancé contre Monsieur, frère du roi, une dernière sommation[27] ; en vain l'avait-elle traduit devant la haute cour nationale comme criminel de lèse-nation au premier chef. Les bravades et les jactances des meneurs de l'émigration n'avaient fait qu'augmenter. Ils étaient arrivés, du reste, à leurs fins ; ils avaient fait déclarer, par l'Europe en armes, une guerre a mort a la révolution française. L'acte signe par le duc de Brunswick avait été évidemment écrit sous leur dictée. VII Louis XVI, qui avait reçu le premier exemplaire du manifeste le 28 juillet (il était daté de Coblentz, le 25), hésita plusieurs jours sur la conduite qu'il tiendrait en des conjonctures aussi difficiles. Devait-il rompre énergiquement avec ses terribles amis de l'émigration qui n'avaient voulu écouter aucun de ses ordres, aucune de ses prières et, suivant le conseil qui lui était donné par Dejoly, ministre de la justice, se présenter lui-même au sein de l'Assemblée, y désavouer hautement les potentats étrangers qui se faisaient les vengeurs de ses querelles et prétendaient envahir son royaume en son nom et pour le rétablissement de son autorité ? Mais d'autres ministres, appuyés par la reine, s'opposèrent à cette proposition, donnant pour motif que la majesté royale ne pouvait s'exposer aux huées des tribunes. Louis XVI se contenta donc d'envoyer, le 3 août, un message à l'Assemblée dans lequel il lui donnait connaissance du manifeste du duc de Brunswick, tout en émettant des doutes sur son authenticité car il n'en avait pas encore reçu la communication officielle[28]. J'ai porté sur le trône des sentiments pacifiques, était-il dit dans ce message ; mes anciens ministres savent quels efforts j'ai faits pour éviter la guerre... Mais j'ai cédé à l'avis unanime de mon conseil, au vœu manifeste d'une grande partie de la nation et plusieurs fois exprimé par l'Assemblée nationale. La guerre déclarée, je n'ai négligé aucun moyen d'en assurer le succès. Ces premières phrases éveillent les colères de la gauche. J'ai accepté la constitution la majorité de la nation la désirait, j'ai vu qu'eue y plaçait son bonheur, et ce bonheur fait l'unique occupation de ma vie depuis ce moment, je me suis fait une loi d'y être fidèle... Nouvelles rumeurs. Jamais on ne me verra composer sur la gloire ou les intérêts de la nation, recevoir la loi des étrangers ou celle d'un parti... Je maintiendrai jusqu'à mon dernier soupir l'indépendance nationale... L'Assemblée reste muette ; elle reste muette encore en entendant parler des dangers personnels du roi, et aucune voix ne répond avec sympathie, lorsque le monarque paraît implorer de l'amour de son peuple la plus légère marque de retour[29]. Quelques membres de la droite réclament l'impression, l'envoi aux quatre-vingt-trois départements et à l'armée, honneurs que l'on accordait si souvent à la moindre pétition mais Lacroix, Ducos, Isnard se lèvent successivement pour demander que l'écrit royal soit purement et simplement renvoyé à la commission extraordinaire. Qu'a fait le roi, s'écrie Isnard, pour arrêter le plan de contre-révolution qui couvre la France et se ramifie dans les cours étrangères ? Rien. — Pour qui s'arment les cours ? Pour lui. — Que nous demandent-elles ? De rétablir son autorité absolue, son despotisme. Après ce virulent exorde, le fougueux girondin accuse successivement le roi de protéger la noblesse factieuse, d'entretenir dans sa chapelle les prêtres les plus rebelles, de s'être refusé durant deux mois à sévir contre les émigrés, contre les traîtres de l'extérieur et de l'intérieur d'avoir soutenu les corps administratifs violant la constitution ; d'avoir laissé une armée et son chef délibérer d'avoir chassé les ministres estimables, de désorganiser l'État en ne complétant point son cabinet et en en changeant sans cesse les membres de n'avoir rien fait contre ses parents, les princes, qui ont provoqué la coalition contre la France. Continuant sa fiévreuse argumentation, Isnard énumère les griefs de la gauche la coalition connue depuis plus d'un an et non dénoncée aucune démarche pour nous procurer des alliés ; la véritable force de nos armées dissimulée au moment de la guerre puis, la guerre déclarée, l'armée manquant de tout ta levée des troupes, l'achat et la fabrication des armes entravés ; la désorganisation du camp de Soissons ; les plans militaires traîtreusement combinés ; le Brabant abandonné, incendié même par nos troupes. Enfin, s'écrie en terminant le représentant du Var, on dirait que le roi des Français venge par les flammes la cour de Vienne de l'insurrection belgique, et que le roi de Hongrie venge par le fer la cour des Tuileries de l'insurrection française. Voilà, messieurs des faits qui contrastent entièrement avec la lettre du roi, et s'opposent à son impression. VIII Isnard, en lançant cette ardente philippique, voulait probablement préparer l'Assemblée an coup de théâtre que Pétion, à la tête d'une nombreuse députation, devait, suivant ses promesses, venir mettre à exécution au jour et à l'heure convenus. En effet, à peine l'orateur est-il descendu de la tribune, que le maire de Paris paraît à la barre pour lire la pétition qui, depuis trois jours, s'élaborait à l'Hôtel-de-Ville dans un sanhédrin démagogique, présidé par Collot-d'Herbois, et composé des commissaires des quarante-huit sections munis de pouvoirs plus ou moins réguliers. Les pétitionnaires[30] dénonçaient à l'Assemblée le chef du pouvoir exécutif, et demandaient sa déchéance. Le peuple a sans doute le droit d'être indigné contre lui ; mais le langage de la colère ne convient pas aux hommes forts. Contraints par Louis XVI à l'accuser devant vous et devant la France entière, nous l'accuserons sans amertume comme sans ménagements pusillanimes. Les passions les plus respectables doivent se taire quand il s'agit de sauver l'État. Suivait l'énumération des trahisons du monarque, des bienfaits dont la nation l'avait comblé et qui avaient tourné contre elle ; des dangers intérieurs et extérieurs, suscités par les royalistes. Louis XVI a séparé ses intérêts de ceux de la nation, nous les séparons comme lui. Loin de s'être opposé par aucun acte formel aux ennemis du dehors et de l'intérieur, sa conduite est un acte formel et perpétuel de désobéissance à la constitution. Tant que nous aurons un roi semblable, la liberté ne peut s'affermir, et nous voulons demeurer libres. Par un reste d'indulgence, nous aurions désiré pouvoir vous demander la suspension de Louis XVI tant qu'existe le danger de la patrie ; mais la constitution s'y oppose. Louis XVI invoque sans cesse la constitution ; nous l'invoquons à notre tour et nous demandons sa déchéance. Cette grande mesure une fois portée, comme il est très-douteux que la nation puisse avoir confiance en la dynastie actuelle, nous demandons que des ministres solidairement responsables, nommés par l'Assemblée nationale, mais hors de son sein suivant la loi constitutionnelle, nommés par le scrutin des hommes libres, à haute voix, exercent provisoirement le pouvoir exécutif, en attendant que la volonté du peuple, notre souverain et le vôtre, se soit largement prononcée dans une convention nationale, aussitôt que la sûreté de l'État pourra le permettre[31]. L'Assemblée avait entendu avec une certaine impatience Pétion et les délégués des sections lui donner des conseils ou plutôt des ordres. Elle renvoya donc leur adresse à la commission extraordinaire sans discussion aucune et leva la séance. Cette manière de procéder, à l'égard d'une pétition si laborieusement élaborée par la plus grande partie des principaux adeptes que la démagogie comptait dans Paris, ne plut que très-médiocrement aux jacobins. Le soir même, à la séance du club, on dénonça l'attitude de l'Assemblée comme une insulte faite à la commune et aux pétitionnaires. IX Le mécontentement des révolutionnaires parisiens fut plus vif encore, leurs récriminations furent plus ardentes lorsqu'ils apprirent que l'Assemblée venait de casser un arrêté de la section Mauconseil, qui avait apporté un nouveau ferment de discorde dans une querelle déjà si envenimée. Bien que cette section eût été des premières à envoyer ses commissaires à l'Hôtel-de-Ville et qu'elle eût ainsi coopéré à la rédaction de l'adresse collective apportée par Pétion à la barre de l'Assemblée, elle avait tenu à se signaler par un coup d'audace et avait publié l'arrêté suivant[32] : ...... Considérant qu'il est impossible de sauver la liberté par la constitution..... qu'on ne peut reconnaître la constitution comme l'expression de la volonté générale..... que Louis XVI a perdu la confiance de la nation. Déclare en conséquence, de la manière la plus authentique et la plus solennelle, à tous ses frères qu'elle ne reconnaît plus Louis XVI pour roi des Français ; déclare qu'en renouvelant le serment si cher à son cœur, de vivre et de mourir libre et d'être fidèle a la nation, elle abjure le surplus de ses serments comme surpris à la foi publique ; Arrête aussi que, dimanche prochain 5 août, elle se portera tout entière à l'Assemblée nationale pour lui notifier cette déclaration, et que, selon ce que décidera l'Assemblée, elle agira, étant prête à s'ensevelir sous les ruines de la liberté plutôt que de souscrire au despotisme des rois ; Arrête enfin qu'elle invitera les quarante-sept autres sections et toutes les communes du département de Paris à adhérer à sa déclaration et à se réunir à elle, le 5 août, a onze heures du matin, pour la présenter au sein du Corps législatif. Cet arrêté était accompagné d'une adresse à tous les citoyens de Paris, dans laquelle les vers se mêlaient plus ou moins agréablement a la prose ; car. nous aurons a le constater plus d'une fois, les révolutionnaires de cette époque avaient pour la poésie un culte tout particulier. Mais souvent quelle poésie ! Le devoir le plus saint, la loi la plus chérie, Est d'oublier la toi pour sauver !a patrie. Unissons-nous tous pour prononcer la déchéance de ce roi cruel ; disons, d'un accord commun : Louis XVI n'est plus roi des Français. Louis XVI est livré à la réprobation la plus avilissante : toutes les parties de l'empire le rejettent avec indignation, mais aucune d'elles n'a suffisamment exprimé son opinion... La section Mauconseil déclare donc à toutes les parties du souverain qu'en présentant le vœu général, elle ne reconnait plus Louis XVI pour roi des Français ; qu'elle abjure le serment qu'elle a fait de lui être fidèle, comme surpris à sa foi : Le parjure est vertu quand on punit un crime. Citoyens, imitez notre exempte : la tyrannie s'écroule et la France est sauvée pour jamais. Le rendez-vous général est boulevard de la Madeleine-Saint-Honoré[33]. L'arrêté Mauconseil fut reproduit dès son apparition par plusieurs feuilles démagogiques. Carra déclara avec son impudence ordinaire, que la grande majorité des sections y avaient adhéré. Rien n'était plus faux ; qu'importait à ce folliculaire, tant soit peu illuminé, un mensonge de plus ou de moins[34] ? Mais d'autres journalistes, quoique fort avancés dans le mouvement, notamment Brissot, dans le Patriote français, et Condorcet, dans la Chronique de Paris, se hâtèrent de désavouer la trop audacieuse section. L'insurrection, disait celui-ci, est la dernière ressource des peuples opprimés elle est un devoir sacré quand il n'y a pas pour eux d'autre moyen de se sauver ; mais un peuple, qui a des représentants demeurés fidèles, et qui, par leur organe, peut toujours proposer et même déterminer les mesures de salut que les circonstances exigent, court lui-même à sa ruine, s'il préfère à ces moyens d'action, tempérés par la loi, des moyens dont l'illégalité seule serait capable de faire avorter tout le fruit. Mauconseil avait envoyé des commissaires dans chacune des sections, pour colporter son arrêté et recueillir des adhésions mais ils furent généralement très-mal accueillis. Le Jardin des Plantes refusa de délibérer ; Mirabeau fit de même ; au Pont-Neuf on nomma six commissaires chargés de dénoncer à l'accusateur public les fauteurs et adhérents de ces arrêtés qui tendaient à soulever le peuple contre les autorités constituées. Diverses autres sections, notamment celles de l'Arsenal et de la Bibliothèque, élurent des délégués avec mission d'aller protester devant le Corps législatif contre une entreprise aussi criminelle. Dans la séance du 4 août au matin, l'arrêté Mauconseil fut dénoncé par plusieurs députés. Rouyer déclara que la faiblesse montrée jusqu'ici par l'Assemblée avait pu seule inspirer une pareille audace : Si à cette audace il n'était point opposé, au nom de la loi, une barrière infranchissable, les corps les plus influents de l'État usurperaient successivement ta souveraineté nationale l'on en viendrait bientôt a proposer aux représentants du peuple de se retirer de leur salle et de céder la place à d'autres individus qui n'auraient aucune mission, aucun pouvoir. Rouyer avait conclu a l'annulation de l'arrêté de la section Mauconseil. Cambon lui-même, au nom de l'unité et de l'indivisibilité de la souveraineté nationale, demande que, séance tenante, la commission extraordinaire fasse son rapport sur cet arrêté. Cambon n'était pas suspect de modérantisme, car il appartenait à l'extrême gauche aussi sa motion est-elle unanimement adoptée[35]. Pendant que l'Assemblée attend le rapport des vingt et un, des citoyens de la section des Gravilliers, sous prétexte de déposer un don patriotique, se présentent à la barre, et demandent la mise en accusation du roi. Leur adresse se terminait ainsi : Législateurs, nous vous laissons encore l'honneur de sauver la patrie mais si vous refusez de la sauver, il faudra bien que nous prenions le parti de la sauver nous-mêmes. Girardin court a la tribune, réclame l'impression de cette adresse, parce qu'il est bon, dit-il, que nos concitoyens sachent qu'une section de la capitale veut bien permettre au Corps législatif de sauver l'empire... Il faut enfin, ajoute-t-il au milieu des interruptions, que l'Assemblée nationale fasse respecter la souveraineté du peuple ou qu'elle sache périr sous les coups des factieux. On murmure à l'extrême gauche. A droite, on répond : Oui, oui, nous mourrons plutôt que de nous laisser dominer par les factieux. Mais Vergniaud paraît à la tribune ; il vient lire le rapport de la commission extraordinaire sur l'arrêté Mauconseil et proposer ce décret : L'Assemblée nationale, considérant que la souveraineté appartient à tout le peuple, et non à une section du peuple ; qu'il n'y aurait plus ni gouvernement ni constitution, qu'on serait livré à tous les désordres de l'anarchie et des discordes civiles, si chaque section isolée de l'empire pouvait délibérer qu'elle se dégage elle-même de telle partie de ses serments qui pourrait lui déplaire, et refuse obéissance à celles des lois ou à celles des autorités constituées qu'elle ne voudrait plus reconnaître Considérant que, si un amour ardent de la liberté a seul déterminé les citoyens de la section de Mauconseil à prendre la délibération ou arrêté qu'elle a envoyé aux autres sections, il importe néanmoins à l'ordre social de réprimer des écarts qui pourraient avoir les suites les plus funestes ; Décrète qu'il y a urgence. L'Assemblée nationale, après avoir décrété l'urgence, annule comme inconstitutionnelle la délibération ou arrêté de la section de Mauconseil, invite tous les citoyens à renfermer leur zèle dans les limites de la loi, et à se mettre en garde contre les intrigues de ceux qui, par sa violation, cherchent à compromettre la tranquillité publique et la liberté elle-même. Le blâme de Vergniaud et de ses amis était, on le voit, très-adouci dans la forme ; l'audace de la section Mauconseil était expliquée, sinon excusée, par son ardent amour de la liberté ; mais enfin c'était un blâme, et ce blâme était infligé par la gauche. Le décret fut adopté sans discussion par l'Assemblée, revêtu le jour même de la sanction royale, et transmis immédiatement par le ministre de l'intérieur au directoire du département. Quoique privé de ses membres les plus énergiques, le directoire crut devoir saisir cette occasion pour essayer de prouver aux démagogues qu'il avait encore à leur opposer quelque force de résistance. II ordonna au maire de faire publier le décret d'annulation à son de trompe dès le lendemain matin, 5 août, et d'entourer cette proclamation de tout l'appareil désirable. Mais la municipalité avait appris à braver les arrêtés du département. Les règles de la hiérarchie, tracées sur le papier par la Constituante, n'avaient-elles pas été rayées d'un trait de plume par la Législative, le jour où elle avait amnistié Pétion et Manuel ? Au reçu de la lettre départementale, le maire, pour couvrir sa responsabilité, s'empressa de convoquer le conseil général de la commune. Celui-ci, fidèle aux inspirations de son président, se posa insolemment en contradicteur de l'autorité à laquelle il était légalement subordonné il déclara que, l'acte du Corps législatif étant conçu dans les termes ordinaires, il n'y avait pas lieu de suivre, pour sa promulgation, les formes prescrites par l'arrêté du département, que, d'ailleurs, l'appareil inusité dont on voulait entourer cette promulgation, pourrait provoquer des rassemblements et des agitations. X On a déjà pu le remarquer souvent, dès qu'une section se mettait en évidence par quelque mesure audacieuse ou excentrique, deux ou trois autres essayaient de faire plus de bruit encore, en lançant des motions plus folles et plus démagogiques. Ainsi, le Marché des Innocents avais pris l'initiative de l'adresse à l'armée ; la Fontaine de Grenelle avait demandé que la déchéance de Louis XVI fût décrétée par l'Assemblée nationale ; Mauconseil avait, de sa propre autorité, déclaré le roi déchu, et fixé le jour où la déchéance effective serait obtenue par une démonstration armée. Il était difficile d'aller plus loin. Les Quinze-Vingts avaient promis leur concours à cet acte audacieux ; mais, te dans la soirée, Osselin et quatre autres commissaires de la commune vinrent leur lire une lettre, dans laquelle le maire adjurait les patriotes de ne se livrer à aucune démarche inconsidérée, jusqu'à ce que l'Assemblée nationale se fût prononcée sur la pétition qu'il lui avait lui-même présentée au nom des quarante-huit sections de Paris. Les révolutionnaires du faubourg Saint-Antoine étaient, au fond, blessés de ce que ceux du centre de Paris avaient osé leur disputer un privilège qu'ils croyaient s'être acquis par trois ans de services démagogiques : celui de décréter toutes les émeutes. La section des Quinze-Vingts n'aurait évidemment pas fait le moindre cas des pacifiques conseils de la municipalité s'ils eussent été donnés contre un de ses propres arrêtés et non contre celui d'une rivale. Mais une occasion lui était offerte de prouver que, sans elle, rien ne se pouvait faire, et qu'elle seule était capable d'entraîner ou de retenir à son gré les masses populaires ; elle la saisit avec empressement. Paraissant céder à la prière de Pétion, elle daigna déclarer qu'elle renonçait à l'arrêté pris par elle la veille au soir pour le rassemblement du 5, qu'elle patienterait en paix et en surveillance jusqu'au jeudi suivant, onze heures du soir, pour attendre le prononcé de l'Assemblée nationale, mais que, si justice et droit n'étaient pas. faits au peuple par le Corps législatif, une heure après, à minuit, le tocsin sonnerait, la générale serait battue et tout se lèverait à la fois. Des commissaires furent envoyés au faubourg Saint-Marcel et aux Marseillais, afin de communiquer cette décision aux citoyens précédemment convoqués pour le 5. Quant au comité insurrectionnel, qui avait transporté successivement ses conciliabules au Soleil d'or, au Cadran bleu et chez Antoine (de Metz), il ne mit aucune opposition à l'ajournement de l'insurrection ; Alexandre lui avait fait savoir que ses hommes hésitaient, et Santerre était ou se disait malade[36]. XI Le 5 était un dimanche. Comme on ne savait pas encore si l'arrêté de la section Mauconseil recevrait ou non un commencement d'exécution, comme de très-grandes craintes étaient entretenues au sujet du départ que l'on accusait le roi de projeter, une foule considérable, curieuse et agitée, se porta, dès le matin et durant la journée entière, dans les environs des Tuileries. Au milieu d'elle circulaient des volontaires venant surveiller le château, des artilleurs traînant leurs pièces, des Marseillais se préparant par des promenades militaires à la prochaine bataille[37]. L'Assemblée, qui consacrait ses séances du dimanche aux pétitions et aux pétitionnaires, venait d'entendre la lecture de nombreuses adresses où l'on demandait la déchéance et même le jugement du roi, lorsque tout à coup des citoyens de la section de la Bibliothèque se présentent à la barre et déclarent qu'ils viennent désavouer au nom de cette section l'adresse présentée deux jours avant par Pétion. La délibération dont ils sont porteurs est ainsi conçue[38] : SECTION DE LA BIBLIOTHÈQUE. Arrêté portant désaveu de l'adresse au corps législatif pour la déchéance du roi, à laquelle ladite section n'a eu aucune part. Attendu que, quelques recherches qui aient été faites d'un prétendu procès-verbal qui nommerait des commissaires a l'effet de concourir à la rédaction d'une adresse à l'Assemblée nationale pour demander la déchéance du roi, il n'a été trouvé aucun acte qui contienne le pouvoir ad hoc d'émettre ce vœu ; L'assemblée générale de la section de la Bibliothèque, légalement convoquée, au nombre de 178 votants, déclare formellement n'avoir eu aucune part à l'adresse dont il s'agit ; qu'elle l'improuve, et refuse son assentiment à une mesure qui ne tend qu'au renversement des principes établis et à une subversion totale de la monarchie constitutionnelle que tous les vrais Français ont juré de maintenir ; Arrête que ce désaveu sera sur-le-champ porté au Corps législatif par vingt membres de la section. ANDRÉ, président ; COINTREAU, secrétaire. Les murmures des spectateurs avaient interrompu cette lecture à chaque mot. Vaublanc s'élance à la tribune[39] et s'écrie : Souffrir que, toutes les fois que la constitution est invoquée, cette sainte invocation soit couverte des clameurs des forcenés, le souffrir, dis-je, est un commencement de parjure ! Les huées redoublent, mêlées d'éclats de rire. L'Assemblée nationale, reprend le courageux député, ne peut tolérer plus longtemps de pareilles indignités sans s'en rendre complice, sans faire craindre à la France sa dissolution prochaine. Ici les murmures prennent une telle intensité qu'il est absolument impossible à l'orateur de continuer. Les membres de la droite descendent de leurs bancs, interpellent le président ; plusieurs, en se dirigeant vers la porte, disent tout haut : Allons-nous-en l'Assemblée n'existe plus, puisque nous ne sommes plus libres ! Mais, rappelés par leurs amis et voyant le calme se rétablir, ils reprennent leurs places. Vaublanc termine son discours en demandant que le rapport préparé par la commission extraordinaire sur la police de la salle soit enfin présenté le lendemain ; on lui en fait la promesse, sauf à ne pas la tenir. Il était impossible aux amis de Pétion de laisser l'Assemblée sous l'impression du désaveu apporté par les vingt commissaires de la section de la Bibliothèque. Aussi Brissot se hâte-t-il de déclarer qu'il appartient à cette section et qu'il peut mieux que personne donner des explications sur sa composition, ses tendances, ses aspirations. Elle est divisée en deux parties une respectable, qui offre un grand nombre de patriotes, de ces hommes que l'on dénigre sous le nom de sans-culottes ; l'autre gangrenée, composée de financiers, d'agents de change, d'agioteurs. C'est de ce dernier foyer de contre-révolution de la rue Vivienne qu'est sortie la réclamation qui vient d'exciter tant de tumulte ; du reste, les commissaires que l'on a accusés d'avoir usurpé les pouvoirs de la section sont présents et demandent à être admis à la barre pour démentir cette inculpation. Aussitôt se présentent les quatre commissaires sans-culottes de la section de la Bibliothèque ; parmi eux étaient Collot-d'Herbois et Marie-Joseph Chénier. Collot était alors l'un des hommes les plus en vogue parmi les démagogues parisiens. Avec son almanach du père Gérard, il s'était acquis une grande renommée de bonhomie vertueuse et d'éloquence populaire ; il avait présidé les réunions de l'Hôtel-de-Ville où s'était élaborée la fameuse adresse. Il avait donc tous les titres possibles pour prendre le pas sur le poète qui, dans le but de plaire a la plèbe, se laissait subalterniser par un vil histrion, digne tout au plus de figurer sur les tréteaux de la foire Saint-Germain[40]. Collot, dans un très-long discours, demande la publicité des délibérations des sections, vante son esprit de conciliation et se plaint d'avoir été en butte à toutes sortes d'outrages de la part d'hommes qui dédaignent ordinairement d'assister aux séances. On nous a contesté nos pouvoirs, s'écrie-t-il ; s'ils ne se retrouvent pas dans les archives, c'est qu'on les a soustraits. Puis, faisant allusion à la fameuse expression d'honnêtes gens, que les ultra-révolutionnaires renvoyaient comme une injure à leurs adversaires, depuis qu'elle avait été employée dans le manifeste de La Fayette, il termine sa harangue par cette phrase vivement applaudie des tribunes : Tandis que les honnêtes gens se rendront dans les assemblées délibérantes, l'Injure à la bouche et la violence dans leurs actions, nous autres bonnes gens, nous n'y apporterons que les principes de la raison et de la justice la publicité seule peut les faire triompher. Cette pétition est renvoyée à la commission extraordinaire et. aussi au comité de surveillance, afin qu'on instruise contre ceux qui ont soustrait les pouvoirs de l'honorable Collot-d'Herbois[41]. II était dit que, ce jour-là les contrastes les plus frappants se produiraient dans le sein de l'Assemblée. A Collot-d'Herbois et à ses amis succède une députation de la section de l'Arsenal. Elle est conduite par un des plus illustres citoyens de Paris, un homme qui honorait le nom français dans le monde entier et dont la mort devait être, deux ans plus tard, une honte éternelle pour les proscripteurs de 1793, Lavoisier. L'illustre savant lit, d'une voix calme et grave, une délibération de sa section vouant au mépris public et l'adresse a l'armée, assemblage ridicule de flagorneries, de mensonges impudents et d'absurdités, et l'adresse des sections parisiennes, qui avilit, dégrade et paralyse un pouvoir constitué... Il dénonce hautement les manœuvres des factieux qui cherchent à tromper l'Assemblée en lui présentant comme le langage d'une immense population ce qui n'est que le caprice d'une poignée de citoyens[42]. L'orateur est plus d'une fois interrompu par les murmures des spectateurs ; plusieurs de ces femmes qui depuis quelque temps, par ordre des jacobins, assiégeaient les tribunes et y occasionnaient des tumultes et des désordres continuels, se mettent à tourner en dérision le ton de l'orateur[43]. Les tricoteuses de la Législative préludaient déjà aux exploits qui les illustrèrent pendant la Convention elles ne respectaient pas plus le génie qu'elles ne respectèrent plus tard l'innocence et la faiblesse. Cependant, sur la motion de Lejosne, ces femmes sont rappelées à l'ordre, et les pétitionnaires obtiennent les honneurs de la séance. Tronchon profite des bonnes dispositions de l'Assemblée pour présenter une adresse par laquelle la commune de Nancy fait le serment inviolable de maintenir la constitution et demande la répression des audacieuses clameurs des tribunes. Rien ne pouvait venir mieux a point. Le montagnard Mallarmé (de la Meurtre) désavoue l'adresse constitutionnelle de ses concitoyens une discussion assez vive s'engage elle est interrompue par l'entrée d'une députation de la section Mauconseil. On fait silence. La section vient-elle s'incliner devant la loi, faire amende honorable de son arrêté ? a Non elle vient, au contraire, le relire audacieusement a la face de l'Assemblée qui l'a frappé d'un blâme formel elle vient déclarer solennellement aux représentants de la nation qu'elle persiste a braver leurs décrets et à fouler aux pieds la constitution[44]. L'indignation se manifeste avec énergie sur presque tous les bancs. Le président répond : Je vous rappelle à la constitution, au respect que vous devez à la loi. Je vais consulter l'Assemblée, pour savoir si vous serez admis aux honneurs de la séance. Au moment du vote, un des pétitionnaires annonce qu'ils ont amené avec eux les délégués des sections qui approuvent l'arrêté Mauconseil, et demande pour ses compagnons l'autorisation de défiler devant les représentants du peuple. Dans toutes les, assemblées, il y a des gens toujours prêts à excuser n'importe quelles audaces, a justifier n'importe quelles insolences. Carnot le jeune propose que l'on accorde aux pétitionnaires leur demande ; car, dit-il, plaignons leur erreur, mais excusons-fa après tant de provocations ! La majorité ne croit pas devoir pousser aussi loin l'abnégation chrétienne et le pardon des injures. Elle refuse d'autoriser le défilé et décide que vingt députés seulement seront admis, mais que le nombreux cortège qui les accompagne restera à la porte. Aussitôt après, la séance est levée et l'Assemblée, toute fière du vote qu'elle vient d'émettre, se sépare, croyant avoir sauvé la patrie[45]. XII On attribuait toujours au roi des projets de fuite, et la surveillance des jacobins se concentrait de plus en plus sur les Tuileries. Les sections les plus dévouées aux idées ultra-révolutionnaires envoyèrent de leur autorité privée des patrouilles dans les environs du Château ; toutes les autres furent invitées à en faire autant[46]. Bientôt la section des Gobelins ne proposa rien moins que de faire évacuer le château par les Suisses et d'établir un camp autour des Tuileries pour garder le roi à vue. C'était difficile à exécuter de vive force ; il était même douteux qu'on pût y faire consentir le corps municipal, qui seul avait le droit de régler le service de la garde nationale. Mais Pétion et ses amis savaient envelopper la pensée secrète des meneurs de trompeuses réticences grâce à leur adresse, la municipalité rendit un arrêté, aux termes duquel la garde journalière du Château devait être à l'avenir composée d'un nombre déterminé de citoyens de tous les bataillons. De cette façon, exposait Pétion dans son rapport, chaque section, ayant tous les jours au château des citoyens de garde, ne pouvait avoir à se plaindre, d'une injuste préférence, ni concevoir d'inquiétude[47]. Mais en réalité que devait-il résulter d'une semblable mesure ? Les soldats citoyens appartenant à des bataillons différents et ne se connaissant pas entre eux, ne pouvaient plus être soutenus, au moment du danger, par le sentiment de confiance mutuelle qui double le courage de chacun. C'était l'anarchie introduite dans les rangs de la force armée comme elle l'avait été dans tous les corps administratifs et dans toutes les sections. Ce demi-succès, après tant d'autres, ne satisfit pas encore les meneurs. Au moyen bureau central de correspondance établi à l'Hôtel de Ville, ils demandèrent et obtinrent que les quarante-huit sections délibérassent simultanément sur la présentation à l'Assemblée d'une adresse, dans laquelle devait être sollicitée, c'est-à-dire exigée, l'adoption de quatre mesures complémentaires qui excédaient la compétence de la municipalité : 1° La réorganisation d'un nouvel état-major ; 2° La punition des officiers qui donneraient d'autres ordres que ceux émanés de l'autorité civile ; 3° La distribution des canons des soixante bataillons entre les quarante-huit sections 4° La suppression de toutes les compagnies d'élite, comme contraires à l'égalité. Quatre ou cinq jours auparavant, des grenadiers de Sain t-Jacques-f Hôpital étaient allés déclarer à l'Assemblée nationale que, les corps d'élite ayant excité des jalousies, il était temps d'abolir toutes ces distinctions. L'orateur, joignant le geste aux paroles et se dégradant lui-même, avait arraché ses épaulettes ; foulant aux pieds son bonnet à poil, il s'était coiffé du bonnet rouge. Cet exemple fut suivi, les 5 et 6 août, par d'autres individus, qui vinrent demander la suppression des compagnies de grenadiers dont ils faisaient eux-mêmes partie. Avec les mots de désintéressement, de générosité, d'égalité devant la loi, on trouve toujours des niais enchantés de faire parade de beaux sentiments et de se donner une importance qu'ils ne pourraient acquérir autrement[48]. Après avoir désorganisé de fait les compagnies d'élite de la garde nationale, les meneurs jacobins réussirent encore à introduire, dans les rangs de toutes les compagnies, de nouveaux éléments favorables à leurs desseins. Sous prétexté de combler les vides que laissaient les braves gardes nationaux partant pour la frontière, ils firent appeler au service ordinaire une foule de citoyens, non inscrits sur les contrôles, qu'ils armèrent de piques. Bien plus, les fédérés, sur lesquels on croyait pouvoir compter, et que, sous des prétextes différents, on retenait à Paris au moyen de quêtes faites aux Jacobins et dans les sections les plus révolutionnaires, furent admis dans les bataillons des quartiers qu'ils habitaient, ou dans ceux qui leur étaient unis par les liens d'une confraternité démagogique[49]. XIII Nous avons essayé de faire connaître tous les principes morbides successivement inoculés au corps social, dans le moment où se préparait une crise mortelle mais ce qui porta au paroxysme la fièvre d'agitation qui s'était emparée d'une partie de la population parisienne, ce fut la permanence des sections que F Assemblée finit par se laisser arracher. Le décret qui avait déclaré la patrie en danger avait en même temps ordonné à toutes les autorités constituées de siéger en permanence. Les sections parisiennes, pas plus que les autres assemblées primaires de France, n'étaient des autorités constituées ; elles ne pouvaient donc pas être comprises dans le décret du 7 juillet. C'est pourquoi la section des Lombards demanda, dès le 19, que la mesure de la permanence fût étendue à toutes les assemblées primaires ; en obtenant le plus, on eût gagné le moins. L'Assemblée nationale n'ayant pas daigné répondre, un nouveau pétitionnaire, se disant porteur du vœu de dix mille citoyens, se présenta le 25 juillet, et réclama franchement la permanence des sections parisiennes. Cette demande fut à l'instant même convertie en motion par Thuriot, et décrétée sans la moindre discussion. L'Assemblée[50], il est vrai, s'étant aperçue de la gravité de l'acte qu'on lui avait surpris, refusa, trois jours après, d'étendre la mesure à toutes les villes de quarante mille âmes et au-dessus[51] ; mais elle ne revint pas sur sa décision qui, consignée le 31 sur les registres du département, et le 3 août sur ceux de la municipalité, fut mise à exécution par un simple avis inséré au Moniteur du 6 août : Les assemblées des quarante-huit sections sont permanentes. PÉTION, maire ; ROYER, secrétaire-greffier. Cette permanence devait être et fut effectivement le signal de la plus affreuse anarchie. Les séances des sections se tenaient d'ordinaire le soir, et souvent se prolongeaient fort avant dans la nuit. Les affidés des Jacobins en jetant, à travers chaque discussion une multitude de motions incidentes, éloignaient les citoyens paisibles par l'ennui, le dégoût et même la terreur. On craignait de s'attarder dans les rues, qui étaient peu sûres, on ne voulait pas inquiéter sa famille ; car, à cette époque déjà les soupçons, les défiances, les rixes ménagées d'avance, occasionnaient de fréquentes arrestations ; si l'on se rendait sa section, l'on n'y venait qu'un instant faire acte de présence. De là nulle entente ; point de cohésion, ni de force de résistance parmi les gens paisibles ; les agitateurs, seuls assidus et toujours organisés, avaient beau jeu pour enlever le vote des motions les plus extravagantes. Ce fut bien pis encore lorsque les salles de délibération restèrent légalement ouvertes jour et nuit. Les démagogues trouvaient sans peine, même lorsqu'ils étaient réellement en infime minorité, l'heure favorable pour compromettre la section entière par l'adoption de propositions que la majorité eût certainement repoussées. Souvent même il ne restait aucune trace des débats dans le registre des procès-verbaux, et les nominations des commissaires étaient simplement certifiées sur des feuilles volantes, revêtues de la signature d'un président ou d'un secrétaire improvisés. La loi qui réglait la tenue des assemblées de section n'en avait pas autorisé la publicité, mais celles des sections parisiennes qui s'étaient jetées dans te mouvement révolutionnaire, l'avaient décrétée de leur pleine autorité. Nous avons vu Collot-d'Herbois venir, à la barre de l'Assemblée, vanter cette mesure qu'on aspirait à imposer à toutes les sections pour les dominer toutes. Il avait fait un tableau touchant de l'aspect des tribunes délibérant avec les citoyens actifs, et avait déclaré que si depuis plusieurs jours, des assemblées de section avaient été le théâtre d'horribles désordres, ces désordres avaient éclaté précisément dans celles qui n'avaient pas consenti à rendre leurs séances publiques. Il n'en pouvait être autrement les sections où la majorité se refusait à admettre les spectateurs, étaient nécessairement troublées par les réclamations incessantes d'une minorité factieuse au dedans de la salle et par les vociférations des émeutiers attroupés au dehors ; dans celles où l'on avait obéi au mot d'ordre parti des Jacobins, tous les hommes modérés s'abstenaient, et les autres citoyens, indifférents, silencieux, ou résignés, adoptaient les motions qu'il plaisait aux agitateurs de faire voter. Chaque soir, des hommes sans feu ni lieu, à la solde permanente des jacobins, des femmes et jusqu'à des enfants, envahissaient les tribunes des sections qui, sans attendre la décision de l'Assemblée nationale, en avaient fait établir, ou assiégeaient les portes de celles qui résistaient encore à cette dangereuse innovation. Le même personnel d'émeutiers se transportait, sur l'ordre secret des chefs, tantôt dans un quartier tantôt dans un autre, suivant qu'il s'agissait d'enlever, dans telle ou telle section, un vote qui vînt la mettre au pas, suivant l'expression du temps. Ce dont on peut à bon droit s'étonner, c'est que quelques sections aient pu, à certains jours, se dégager de l'effroyable pression exercée sur elles, et faire un instant acte de vigueur et de courage. Et, qu'on le remarque bien, les protestations contre des décisions arrachées par la ruse ou par la violence, n'émanaient pas toujours des quartiers dont les habitants pouvaient être suspects d'aristocratie et de feuillantisme. Les plus courageuses furent adoptées, dans les quatre ou cinq derniers jours qui précédèrent le 10 août, par les sections de l'Arsenal, du Roi-de-Sicile, du Jardin des Plantes et des Thermes de Julien, si voisines cependant des foyers permanents de l'insurrection les faubourgs Saint-Antoine et Saint-Marcel. Ce fait seul ne démontre-t-il pas avec la dernière évidence que les plébiscites, apportés à la barre de la représentation nationale au nom de la population parisienne, n'étaient qu'une vaine fantasmagorie, préparée par d'habiles et audacieux metteurs en scène[52] ! XIV Pendant que dans les bas fonds de la population parisienne on se préparait à l'insurrection, annoncée à jour fixe par la toute-puissante section des Quinze-Vingts, l'Assemblée nationale continuait à recevoir chaque jour les adresses les plus contradictoires. Le 6, un démagogue vulgaire qui, à force d'audace et
d'impudence, parvint à cette époque, et plus tard en mars et en mai 1793, à
jouer un rôle que l'on ne comprendrait pas, si l'on ne savait qu'en temps de
révolution le dernier des misérables a souvent plus d'influence sur les
masses que l'homme entouré de l'auréole du génie ou de la vertu, Varlet se
présente comme porteur et rédacteur d'une adresse, déposée depuis huit jours
sur l'autel de la patrie au Champ-de-Mars et couverte des signatures d'un
grand nombre de citoyens de tous les départements. Qu'est-ce
que c'est, crie-t-on à droite, que les
pétitionnaires du Champ-de-Mars ? Qui a créé cette corporation ?[53] Mais Carnot famé
insiste pour que l'orateur soit admis sur-le-champ, parce
que les pétitionnaires attachent beaucoup d'importance à leur adresse, et
qu'il est bon que l'on connaisse les dispositions des esprits[54]. L'Assemblée se rend à cette singulière raison et Varlet, introduit, ressasse dans une interminable harangue tous les lieux communs qui défrayaient depuis huit jours les tribunes des Jacobins et des clubs affiliés. Il demande que Louis XVI soit censé avoir abdiqué la couronne, que La Fayette soit envoyé à Orléans, et que des ministres patriotes soient chargés de l'intérim du pouvoir exécutif. Il termine sa diatribe par une formule qui commençait à devenir à la mode, et qui fut bientôt le passe-paroles de toutes les insurrections : Il faut jeter un voile sur la déclaration des droits de l'homme[55]. On avait, durant trois quarts d'heure, écouté un individu sans mission, qui prêchait ouvertement la révolte on avait interrompu le président Lafond-Ladebat, qui avait essayé de faire quelques remontrances au pétitionnaire. En revanche on renvoyait, sans leur accorder les honneurs de la lecture, à la commission extraordinaire toutes les adresses constitutionnelles des départements, où l'on protestait contre l'audacieux tissu de mensonges et de menaces que Pétion était venu, le 3 août, au nom des sections de Paris, apporter à l'Assemblée. Chaque jour la commission des Vingt-et-un recevait de nouvelles dénonciations contre La Fayette et Luckner, dont les moindres propos étaient rapportés, commentés, dénaturés dans une correspondance incessante, que les Jacobins entretenaient avec des espions, placés auprès des généraux. Chaque jour la commission, remaniant son rapport sur La Fayette, en changeait les considérants, les conclusions et même le rapporteur. La discussion de cette affaire avait été primitivement fixée au 6 août, puis on l'avait remise au surlendemain, 8. Ce jour-là Jean Debry vint, au nom des Vingt-et-un, déclarer que les nouvelles pièces déposées par Bureaux de Pusy n'altéraient en rien les faits énoncés à la charge de La Fayette par Guadet et ses amis ; que dès tors, malgré le démenti de Luckner, la dénonciation des six députés était admissible, et qu'en conséquence, ii y avait lieu de décréter d'accusation le général La Fayette, comme s'étant rendu coupable d'avoir voulu fomenter la guerre civile. Mais à peine le rapport de Jean Debry est-il terminé, que Pastoret s'élance à la tribune et dénonce un fait que plusieurs membres de la commission extraordinaire l'ont chargé de soumettre à l'Assemblée, sans y ajouter la moindre réflexion : Lorsque la commission avait délibéré sur le rapport de Jean Debry, il n'y avait que quinze membres présents ; huit seulement avaient voté pour le décret d'accusation. La commission extraordinaire étant de vingt et un, Jean Debry n'avait exprimé que l'opinion de la minorité ; bien plus, sur tes huit membres, trois s'étaient portés formellement les accusateurs du général, et pouvaient justement être taxés d'avoir prononcé dans une cause où ils étaient juges et parties. A cette révélation l'Assemblée reprend courage ; elle écoute avec faveur Vaublanc qui fait l'apologie de La Fayette ; elle l'applaudit lorsqu'il s'écrie en terminant : Voyez cette foule de citoyens des départements de l'Est qui courent sous les drapeaux à la voix des généraux de l'armée du Rhin ils ne s'occupent pas à discourir, ils agissent en braves ils ne font pas de pétitions, ils prennent les armes ils ne veulent pas commander, ils obéissent ils ne demandent pas au corps législatif une réponse catégorique, un oui ou un non, ils courent aux combats. Braves fédérés, voilà l'exemple que vous devez imiter. Brissot, tenant la promesse qu'il a faite aux Jacobins, répond à Vaublanc avec d'autant plus de violence qu'il a lui-même à se faire pardonner ses hésitations antérieures, et dirige contre La Fayette des attaques d'autant plus acrimonieuses qu'il a sa propre popularité à reconquérir. J'ai été lié avec La Fayette, s'écrie-t-il ; je l'ai vu l'un des plus ardents amis de la liberté ; mais une coalition infernale l'a arraché à ses principes et à sa gloire. Il n'est plus rien pour moi. Toute sa conduite n'est aujourd'hui qu'un tissu d'ignobles perfidies qui cachent une entente, sinon prouvée au moins probable, avec les Autrichiens et leurs alliés du dedans, les royalistes. N'a-t-il pas cherché à exciter la guerre civile, en divisant les citoyens en honnêtes gens et en factieux ; en préparant ses troupes à tourner leurs armes contre l'intérieur, sous prétexte de réprime ;' les excès de l'anarchie ? Brissot continue pendant une heure sur ce ton ; mais dès qu'il a terminé sa philippique, l'Assemblée, pressée d'en finir, prononce la clôture de la discussion au milieu d'un silence solennel. Le président met aux voix le décret d'accusation. L'Assemblée le rejette, par assis et levé, à une grande majorité. Les tribunes, d'ordinaire si bruyantes, restent silencieuses mais leur tranquillité morne est comprise de la montagne, qui réclame à grands cris l'appel nominal. Elle espère intimider les faibles et reconquérir ainsi la majorité. Le président essaye de lever la séance ; mais bientôt il est forcé, après une longue et vive discussion, de remonter au fauteuil et de laisser procéder à l'appel nominal. Voici quel en est le résultat[56] :
La majorité, acculée dans ses derniers retranchements, avait enfin compris qu'en livrant le général à ses dénonciateurs, elle se livrait elle-même. XV L'appel nominal n'avait été troublé ni par les cris ni par les Huées des tribunes. Les émeutiers s'étaient réservés pour la sortie des députés. Tous les membres connus de la droite furent insultés, plusieurs maltraités ; quelques-uns coururent risque de la vie. Aussi, dès le commencement de la séance du lendemain, le bureau du président se trouvait-il chargé de lettres renfermant les plaintes les plus vives, les protestations les plus énergiques, Mezières (de l'Aube), Regnault-Beaucaron, Froudière, Dumolard, Lacretelle, Jolivet, Deusy, l'évêque constitutionnel de la Somme, Desbois, et plusieurs autres députés de la droite, déclarent successivement qu'ils ont été poursuivis, outragés, par des volontaires coiffés du bonnet rouge, qui leur ont jeté de la boue, des pierres, les ont pris au collet et menacés de la lanterne. Girardin se plaint d'avoir été frappé. En quel endroit ? demande-t-on ironiquement à l'extrême gauche. Par derrière, répond Girardin. Les assassins frappent-ils jamais autrement ? On ne peut, ajoute le courageux orateur, délibérer sur la question aujourd'hui à l'ordre du jour — c'était celle de la déchéance — tant que l'Assemblée sera sous le joug d'une faction. Je déclare donc à la nation, de qui je tiens mon pouvoir, que je ne puis voter sans que le Corps législatif m'assure liberté et sûreté... Toute la droite et un grand nombre de membres de la gauche[57] se lèvent en criant : Oui ! oui ! nous ne délibérerons pas avant d'être libres. Vaublanc propose de mander immédiatement à la barre le procureur général syndic et de lui enjoindre, sous sa responsabilité, de prendre les mesures les plus sévères pour que la tranquillité de Paris soit assurée, et que les membres de l'Assemblée nationale puissent voter en sûreté. De violents murmures s'élèvent dans les tribunes le président est obligé de donner des ordres pour qu'elles se tiennent silencieuses ; malgré de nouvelles rumeurs, Vaublanc continue J'entends sans cesse invoquer
contre les tribunes l'autorité de l'Assemblée, et cette autorité est sans
force ; n'est-il pas ridicule d'entendre le président rappeler vingt fois les
tribunes à l'ordre, et sa voix être toujours couverte par des murmures ? il
vaut mieux qu'une bonne fois nous déclarions que nous sortirons d'ici. Oui ! oui ! nous ne pouvons rester ici, s'écrie la droite ! La gauche proteste avec violence et demande que l'on ne s'arrête pas plus longtemps à de misérables délations, et que, sur l'heure, on discute la question de la déchéance. Lamarque propose, au nom du salut public, que l'Assemblée se déclare en permanence jusqu'à ce que cette question soit décidée. La droite, de son côté, veut que Pétion soit appelé à la barre, pour déclarer, oui ou non, s'il répond de la sûreté des représentants de la nation. Isnard et Dussaulx défendent Pétion ; Isnard surtout, se livrant à toute sa fougue méridionale, rejette sur des agitateurs payés par Coblentz la responsabilité des violences dont ses collègues de la droite ont été victimes : Les coupables, dit-il, les vrais, les seuls coupables, sur lesquels j'appelle la vengeance du Ciel, ce sont La Fayette, le département de Paris et la cour. Quoi ! s'écrie Mathieu Dumas, on ose attaquer un décret solennel rendu hier même on souffre que dans cette enceinte on prêche l'insurrection contre les lois ! — Je respecte tellement les décisions de l'Assemblée, répond Isnard, que, si un décret me condamnait à mort, et que personne ne voulût me conduire au supplice, j'irais moi-même[58]. Puisqu'on veut, ajoute Guadet, interroger le maire de Paris sur la question de savoir s'il a les moyens suffisants pour maintenir la tranquillité dans la capitale, je propose que le pouvoir exécutif soit invité à faire connaître s'il répond de maintenir la sûreté de l'empire. Et moi, je demande, s'écrie le montagnard Choudieu, que le Corps législatif déclare s'il peut ou non sauver la patrie. — Murmures à droite. — Je dis que ceux-là qui n'ont pas eu le courage de regarder en face un soldat factieux ne sont pas faits pour s'occuper des grandes mesures qu'exige, dans ce moment, le salut de l'État ; je dis que ceux qui ont craint le pouvoir d'un homme parce qu'il disposait d'une armée... La droite, à cette insolente accusation, interrompt violemment l'orateur ; Girardin s'écrie : De deux choses l'une ou la majorité de l'Assemblée avoue ce que vient de dire M. Choudieu, ou elle doit l'envoyer à l'Abbaye. — Eh bien ! j'irai à l'Abbaye, s'il le faut, pour le salut de mon pays réplique le fougueux orateur. Je me résume, et je demande que l'Assemblée déclare qu'elle ne peut sauver la patrie. Les applaudissements, les hurlements, les rappels à l'ordre, les injures s'entrecroisent, lorsque l'apparition, à la barre, du procureur-général-syndic du département vient tout à coup interrompre le tumulte. Rœderer rend compte de l'état de surexcitation dans lequel se trouve Paris : L'insurrection est prête, et la section des Quinze-Vingts a décidé qu'elle la commencerait à minuit par le tocsin et la générale, si l'Assemblée n'avait pas auparavant voté la déchéance. Cependant des mesures ont été prises, des réserves ont été établies au Carrousel et sur la place Louis XV. En un mot, dit en terminant le procureur-général-syndic, nous croyons qu'il y a sur pied une force suffisante pour imposer, peut-être, à ceux qui, par un faux zèle ou par mauvaise intention, voudraient troubler la tranquillité publique. L'Assemblée ne s'arrête point au mot peut-être, ni a la qualification de faux zèle donnée à l'arrêté insurrectionnel de la section des Quinze-Vingts ; elle vient de recevoir une lettre de Mandat qui lui répond de la garde nationale ; elle croit pouvoir se fier aux protestations que les chefs de la milice parisienne ont reçues de leurs subordonnés, elle ne veut écouter ni Vaublanc qui la supplie d'ordonner le départ immédiat des fédérés, ni Aubert-Dubayet qui propose de se mettre a leur tête pour les arracher aux séductions de Paris et les conduire à la frontière ; elle croit avoir pourvu à tout en acceptant le projet d'adresse que lui présente Condorcet, au nom de la commission extraordinaire, et qui donne au peuple, sur l'exercice de sa souveraineté, les leçons les plus savantes, les conseils les meilleurs, mais hélas les plus inutiles On n'eut pas le temps d'imprimer cette adresse, ou si elle put être imprimée pendant la nuit, elle servit de bourre aux fusils des Marseillais[59]. Enfin, pour rassurer complètement l'Assemblée, Pétion paraît à la barre et rend compte, avec une béate satisfaction, des moyens de douceur qu'il a employés, des précautions minutieuses qu'il a fait prendre pour assurer le maintien de la tranquillité ; il s'élève contre la manie que semble avoir le département de requérir au moindre trouble la force armée ; car, ajoute-t-il naïvement, on doit se rendre compte de la nature de la force publique que nous avons à notre disposition. Cette force est délibérante depuis la permanence des sections, puisque ces sections se composent de l'ensemble des citoyens actifs, et que tous les citoyens actifs sont gardes nationaux. Le maire termine en déclarant qu'il saura porter le poids de la responsabilité que la loi lui impose, et se retire au milieu des applaudissements. L'Assemblée avait été, plusieurs fois pendant cette séance, mise en demeure de trancher la question de la déchéance, que les Montagnards avaient promis de faire discuter et résoudre sans désemparer mais elle avait affecté de paraître ne prendre aucun souci du délai fatal, insolemment signifié par la section des Quinze-Vingts et ses adhérents. Enfin, lasse des discussions violentes des journées précédentes, rassurée par les protestations de Pétion et des magistrats qui avaient mission de veiller matériellement au maintien de l'ordre, elle ne veille pas elle-même, et, dans sa coupable indifférence, lève sa séance à sept heures du soir, laissant le champ libre à l'insurrection. |
[1] Voir dans le premier volume, la note n° II, Proposition de l'abbé Moy, la notice concernant l'organisation de la municipalité et des sections parisiennes. Nous donnons à la fin de ce deuxième volume une autre notice qui contient des défaits statistiques sur les quarante-huit sections et sur la part que chacune d'elles prit aux événements du 10 août.
[2] Voir le texte de cet arrêté et la lettre-circulaire de Manuel dans l'Histoire parlementaire, t. XVI, p. 251.
[3] Nous avons retrouvé procès-verbal qui fut dressé à cette occasion par les commissaires des sections. Nous le donnons à la fin de ce volume. Le texte complet de l'adresse à l'armée se trouve dans l'Histoire parlementaire de Buchez et Roux, t. XVI, p. 241.
[4] Voici la description que donne de ces Marseillais un député des Bouches-du-Rhône, Blanc-Gilly, qui certes devait les connaitre :
La ville de Marseille, assise sur la Méditerranée, au voisinage de cent nations, doit être considérée, à cause de son port, comme la sentine d'une grande partie du globe, où vont se rendre toutes les impuretés du genre humain ; c'est là que nous voyons constamment disposée à fermenter l'écume des crimes vomis des prisons de Gênes, du Piémont, de la Sicile, de toute l'Italie enfin, de l'Espagne, de l'Archipel et de la Barbarie... Toutes les fois que la garde nationale de Marseille s'est mise en marche en dehors de ses murs, la horde des brigands sans patrie n'a jamais manqué de se précipiter à la suite et de jeter la dévastation dans tous les lieux de son passage. (Réveil d'alarme, par Blanc-Gilly.) Cette brochure extrêmement courageuse valut à son auteur, après le 10 août, un décret d'accusation.
Les historiens les plus favorables aux idées ultra-révolutionnaires ont eux-mêmes exprimé, sur les Marseillais, des opinions qui se rapprochent des nôtres. M. Louis Blanc (p. 464 du VIe volume) les appelle des aventuriers intrépides. M. Michelet les juge ainsi (p. 530 du IIIe volume) :
Les cinq cents hommes de Marseille, qui n'étaient point du tout exclusivement Marseillais, étaient déjà quoique jeunes, de vieux batailleurs de la guerre civile, faits au sang, très-endurcis les uns, rudes hommes du peuple, comme sont les marins ou paysans de Provence, population âpre, sans peur ni pitié ; d'autres, bien plus dangereux, des jeunes gens de plus haute classe, alors dans leur premier accès de fureur et de fanatisme, étranges créatures, troubles et orageuses dès la naissance, vouées au vertige, telles qu'on n'en voit guère de pareilles que sous ce violent climat... Le chant, dans leurs bouches, prenait un accent très-contraire à l'inspiration primitive, accent farouche et de meurtre ; ce chant généreux, héroïque, devenait un chant de colère ; bientôt, il allait s'associer aux hurlements de la Terreur.
[5]
Nous avons retrouvé le mandat d'arrêt lancé contre Rouget de Lisle. Il est daté
du 18 septembre 1793. Le comité du salut public arrête
que le citoyen Rougez (sic), surnommé de Lille, ci-devant officier du génie, retiré à
Saint-Germain, sera mis sans délai en état d'arrestation, charge le ministre de
la guerre de l'exécution du présent arrêté.
Membres présents à la séance Jean Bon Saint-André, Carnot, Prieur, Saint-Just, Robespierre, Hérault, Billaud-Varennes.
[6] Dietrich fut suspendu de ses fonctions de maire de Strasbourg, le 19 août 1793. Il disparut durant plusieurs mois et vint se constituer prisonnier, le 10 novembre. Traîné de prison en prison, pendant près d'un an, il fut traduit au tribunal révolutionnaire, le 8 nivôse an II (28 décembre 1793), et condamné à mort, sur le témoignage de Philibert Simond et d'Euloge Schneider, deux prêtres apostats, les chefs de la démagogie strasbourgeoise ; ils devaient eux-mêmes ne pas tarder suivre leur victime sur l'échafaud.
[7] Ces deux jeunes gens devaient payer bien cher les rêves insensés dont ils se berçaient alors. Barbaroux, proscrit après le 31 mai, se réfugia à Caen, puis en Bretagne, enfin dans les environs de Bordeaux ; pendant treize mois, il eut à supporter le dénuement le plus complet, les tourments de la faim, les angoisses de la proscription il se tira un coup de pistolet sur le revers d'un fossé, se blessa seulement, fut pris par les agents de Robespierre et transporté à demi mourant a Bordeaux. Il y fut guillotiné le 7 messidor an II, moins de deux ans après le 'l0 août, moins de cinq semaines avant la chute de ses persécuteurs. Rebecqui pour échapper aux sicaires du comité de salut public, se noya dans le port de Marseille, en floréal an II.
[8] Le plan, écrit au crayon par Barbaroux, fut copié par Fournier l'Américain. Mémoires de Barbaroux, p. 48-52.
[9] Mémoires de Barbaroux, p. 52.
[10] Journal du club des Amis de la Constitution, séance du 29 juillet.
[11] Journal des Débats et Décrets, n° 311, p. 13.
[12] Les démagogues voulurent voir dans ces diverses circonstances la preuve que la cour avait suscité l'émeute, dans le but de provoquer l'éloignement immédiat des Marseillais. Il fallait porter bien loin l'esprit de parti pour prétendre un instant que les grenadiers des Filles-Saint-Thomas avaient été apostés, à point nommé, afin d'exciter des troubles aux Champs-Elysées. Comment auraient-ils pu l'être ? on ignorait le jour de l'arrivée des Marseillais à Paris ; le repas de corps qui avait lieu chez Dubertier était, au contraire, indiqué depuis plusieurs jours ; d'ailleurs, les grenadiers des Filles-Saint-Thomas étaient tous des gens notables dans leur quartier ; quelques-uns avaient des positions considérables, aucun n'aurait accepté le métier de coupe-jarret ; les vrais, les seuls coupe-jarrets étaient certainement les Marseillais. Que venaient-ils faire aux Champs-Elysées, le jour même de leur arrivée ? Ils étaient casernés à la Nouvelle-France (au haut du faubourg Poissonnière), à une lieue de là ; il y avait cent établissements beaucoup plus rapprochés qui auraient pu recevoir les convives de Santerre mais on voulait faire peur, on voulait avoir des prétextes de troubles, il fallait aller chercher une occasion de rixes ta où on devait espérer la trouver. Pour justifier le guet-apens que l'on disait avoir été tendu aux Marseillais, on déclara le soir même, aux Jacobins, que la reine avait dit à une de ses femmes : Ne craignez rien, votre mari n'y était pas. Qui prouve que ce mot ait été prononcé ? Comment supposer que la reine savait par cœur la liste de ceux qui auraient été apostés ? Tout cela est simplement absurde ; le mot eût-il été prononcé, comment n'y pas voir seulement une parole, dite au hasard, dans l'intention de rassurer une malheureuse femme qui tremblait pour les jours de son mari ? Ce qui écarte l'idée même d'un guet-apens, c'est que les Marseillais étaient plus de cinq cents, sans y comprendre leurs amphitryons ; les convives du banquet des Filles-Saint-Thomas étaient au nombre de cent soixante-six. (Voir le Logographe, p. 48, XXVe volume, séance du 1er août.)
[13] Nous avons retrouvé la minute même du discours qui fut prononce au nom des grenadiers du bataillon des Filles-Saint-Thomas. Cette minute contient une phrase que les rédacteurs jugèrent probablement eux-mêmes trop vive et qu'ils effacèrent. Malgré la surcharge, nous avons pu la lire ; elle était ainsi conçue :
La garde nationale est en armes ; elle ne les déposera que lorsque vous aurez délivré la capitale de cette troupe effrénée, égarée, qui menace injustement les citoyens dans leurs personnes et leurs propriétés.
[14] Compte rendu du Moniteur, p. 904.
[15] Logographe, p. 428, XXVe volume.
[16] Souvenirs de Mathieu Dumas, t. II, p. 418-419.
[17] Voici deux billets qui prouvent les inquiétudes que l'on eut au château et à l'état-major de la garde nationale dans la journée du 31.
Paris, le 31 juillet.
Au
maire de Paris.
Le roi me charge, Monsieur, de
vous inviter à vous rendre à une heure auprès de lui, pour concerter les
mesures nécessaires au maintien de la tranquillité publique.
Le ministre de l'intérieur,
Signé : CHAMPION.
GARDE NATIONALE PARISIENNE, ÉTAT-MAJOR GÉNÉRAL.
Au
maire de Paris.
Je viens d'apprendre,
Monsieur, que l'intention pour les rassemblements, s'ils ont lieu, est de faire
battre la générale dans le faubourg Saint-Antoine, à quatre heures du matin. Si
cela avait lieu, je pense que je dois être autorisé à la faire battre de mon
côté. J'enverrai de bonne heure au faubourg pour m'en assurer ; je vous demande
votre réquisition pour ce cas-là. J'ai pris mes précautions, suivant ce que
vous m'avez dit aujourd'hui, pour le Château. J'attends votre réponse par le
porteur.
Le commandant général,
Signé : MANDAT.
[18] Ces commissaires étaient, Gasparin, Lacombe Saint-Michel et Carnot l'aîné, tous trois appartenant à l'armée.
[19] Logographe, p. 79, vol. XXVI.
[20] Les anciens présidents étaient seuls revêtus du droit de remplacer en cas d'absence le président en exercice.
[21] On disait que cent soixante-dix volontaires étaient morts empoisonnés, que sept cents autres étaient à l'hôpital. Voir le discours de Lasource, p. 117, Journal des Débats et Décrets.
[22] Voir le texte même de cette importante déclaration dans l'Histoire parlementaire, t. XVI, p. 176, et dans le deuxième volume de l'Histoire de la Révolution, par M. Thiers.
[23] L'un des plus fermes défenseurs de la monarchie constitutionnelle, l'un des plus courageux orateurs de la droite de l'Assemblée législative, Matthieu Dumas, a nommé le manifeste du duc de Brunswick l'acte le plus impolitique que l'orgueil et l'ignorance aient jamais dicté, véritable fratricide des princes français émigrés envers Louis XVI et sa famille. Car, ajoute-t-il, dans l'état de fermentation où était toute la France, et surtout la capitale, après la déclaration de guerre, faire un appel à la minorité ennemie de la révolution, la considérer comme la partie saine de la nation, se présenter comme auxiliaires dans la guerre civile, c'était évidemment compromettre le roi, l'accuser de complicité, justifier les calomnies que le parti constitutionnel avait constamment démenties ; enfin c'était faire surgir et appeler à la défense de la patrie tout ce qui portait un cœur français. (Souvenirs, t. II, p. 426-427).
[24] Dans ses correspondances les plus intimes, la reine ne cessait de se plaindre des émigrés avec une très-vive amertume. Nous trouvons ces plaintes exprimées dans deux lettres, écrites les 16 et 21 août 1791, au comte du Mercy-Argenteau, l'ambassadeur et le confident de l'empereur Léopold, et sur l'authenticité desquelles le moindre doute ne peut subsister. Elles furent déposées aux archives secrètes de Vienne, puis, par un des plus bizarres caprices du sort, rapportées en France par ordre de celui qui, douze ans après les événements que nous racontons, occupait le trône de Louis XVI, faisait camper son armée dans les jardins de Schœnbrunn et devait épouser la propre nièce de Marie-Antoinette.
Voici les passages les plus significatifs de ces deux lettres, dont nous avons tenu les originaux entre les mains :
16 août 1791.
Nous retomberions, sous les agents des princes et des émigrants, dans un esclavage nouveau et pire que le premier, puisque ayant l'air de leur devoir quelque chose, nous ne pourrions pas nous en tirer ; ils nous le prouvent déjà en refusant de s'entendre avec les personnes qui ont notre confiance, sous le prétexte qu'elles n'ont pas la leur, tandis qu'ils veulent nous forcer de nous livrer à M. de Calonne, qui sous tous les rapports ne peut pas nous convenir, et qui, je crains bien, ne suit en tout ceci que son ambition, ses haines particulières et sa légèreté ordinaire, en croyant toujours possible et fait tout ce qu'il désire. Je crois même qu'il ne peut que faire tort à mes deux frères, qui, s'ils n'agissaient que d'après leur cœur seul, seraient sûrement parfaits pour nous.
21 août 1791.
..... Vous connaissez par vous-mê.ne les mauvais propos et les mauvaises intentions des émigrants ; les lâches, après nous avoir abandonnés, veulent exiger que seuls nous nous exposions, et seuls nous servions tous leurs intérêts. Je n'accuse pas les frères du roi ; je crois leur cœur et leurs intentions pures ; mais ils sont entourés et menés par des ambitieux qui les perdront après nous avoir perdus les premiers.
[25] Voir les Mémoires de Mme de La Rochejacquelein et sa vie, par M. Nettement.
[26] Dès le 13 octobre 1791, Louis XVI avait fait publier une lettre aux commandants des ports, dans laquelle il protestait de son respect pour la constitution, adjurait les officiers de marine de ne point émigrer, et faisait sommation de rentrer à ceux qui étaient partis. Le lendemain, il adressa une lettre dans le même sens aux officiers généraux commandant les troupes de terre. Enfin, dans une proclamation spéciale il ordonnait aux Français qui avaient abandonné leur patrie d'y revenir au plus vite. Il n'y a de véritable honneur, disait-il, qu'à servir son pays et à défendre les lois. (Histoire parlementaire, t. XII, p. 157, 158 et 161.)
[27] Cette sommation était ainsi conçue :
Louis-Stanislas-Xavier, prince royal, l'Assemblée nationale vous requiert, en vertu de la constitution française, titre III, chapitre II, section III, numéro 3, de rentrer dans le royaume dans le délai de deux mois ; faute de quoi vous serez censé avoir abdiqué votre droit éventuel à la régence.
Les journaux royalistes, qui maniaient admirablement la plaisanterie, mais qui ne faisaient qu'irriter leurs adversaires par de continuels coups d'épingles, parodièrent ainsi cette sommation :
Gens de l'Assemblée française, se disant nationale, la saine raison vous requiert en vertu du titre chapitre Ier, section 1re des lois imprescriptibles du sens commua de rentrer en vous-même dans le délai de deux mois, à compter de ce jour ; faute de quoi vous serez censés avoir abdiqué votre droit a la quarte d'êtres raisonnables et ne serez plus considères que comme des enragés dignes des petites maisons.
[28] Dejoly crut devoir, à la suite du conseil de cabinet où il avait 'proposé l'avis qui n'avait pas prévalu, offrir sa démission à Louis XVI dans une lettre que nous avons retrouvée.
Paris, ce 3 août 1792, l'an IV de la liberté.
Sire,
Permettez, souffrez, je vous
le demande en grâce, que je me retire ; j'ai vu tous les maux dont nous sommes
menacés, je voua les ai présentés avec toute la force, avec tout le courage qui
doivent animer un ami zélé de l'ordre et de la liberté.
Vous m'avez rendu justice,
vous avez entendu mes observations, vous les avez écoutées avec intérêt, vous
avez paru les goûter ; j'ai vu plusieurs fois le moment où vous alliez les
adopter, mais mon espérance a toujours été déçue ; vous êtes sur le bord du
précipice, vous le savez, c'est de vous-même que nous tenons la plupart des
détails effrayants qui nécessitent les plus grandes mesures ; et Votre Majesté
reste immobile, et la reine n'en craint pas les redoutables effets, et les
personnes dont Votre Majesté est entourée ne sont pas enrayées elles-mêmes du
danger imminent qu'elles vous voient courir.
Sire, ils sont bien coupables,
bien pervers, ceux qui continuent à vous éloigner du peuple on ne cesse de vous
le présenter comme votre plus cruel ennemi sans doute il est irrité, mais il
est facile de l'apaiser ; et que sont tous les sacrifices que je vous propose en
comparaison de la gloire dont vous pouvez vous couvrir, du bonheur que vous
pouvez assurer à tous les Français ?
Daignez, sire, y réfléchir ;
les moments pressent, les événements s'accumulent, quelques jours encore et
peut-être votre volonté sera-t-elle impuissante.
Sire, pardonnez au dernier
effort d'un ministre qui voudrait contribuer à votre bonheur, au bonheur, au
repos de son pays ; agréez les propositions qu'il vous a faites ; essayez-en au
moins une partie ; jugez des unes par l'effet que les autres produiront. Sire,
il y va de votre couronne, peut-être de votre existence il y va du bonheur de
la France.
Ces grandes considérations méritent bien que vous vous écartiez de la marche que vos conseils vous ont fait suivre jusqu'à ce jour. Je vous réitère la prière la plus instante de me faire remplacer.
[29] Voir au Moniteur ce message contre-signé Bigot-Saint-Croix, nommé ministre des affaires étrangères, le 1er août.
[30] Nous donnons à la fin de ce volume le procès-verbal rédigé par les individus qui se présentèrent à l'Hôtel-de-Ville comme commissaires de quarante-sept sections sur quarante-huit. Il y eut généralement trois commissaires par sections. Nous retrouvons parmi eux plusieurs de ceux qui composèrent la commune insurrectionnelle du 10 août ; on leur avait appris le chemin de l'Hôtel-de-Ville le 3 août, ils le reprirent sept jours après.
Danton et Robespierre y brillent par leur absence ; mais ils y sont représentés, le premier par ses amis, le boucher Legendre et le poète Fabre d'Églantine ; le second par Lhuillier, le président de !a section Mauconseil, l'un de ses partisans les plus zélés. On y voit figurer, pour la section du Luxembourg, Pache, le futur ministre jacobin, alors le confident de Roland ; pour celle des Lombards, J.-B. Louvet, autre intime du même cénacle ; pour l'Oratoire, Hassenfratz, celui qui devait venir, le 2juin 1793, demander, au nom du principe invoqué le 3 août 1792 par les Girondins, la proscription de ceux-ci ; pour la Bibliothèque, Collot-d'Herbois et Marie-Joseph Chénier, que nous verrons désavoués dans un instant par leur propre section ; pour les Gravilliers, Léonard Bourdon, alors maitre d'école et qui devint l'un des proconsuls les plus sanguinaires de la Convention ; pour le Jardin des Plantes, Henriot, le futur commandant général des sections armées ; pour l'ile Saint-Louis, Coffinhal, le futur président du tribunal révolutionnaire ; pour la place Royale, Tallien, et, pour les Quinze-Vingts, Huguenin, les futurs secrétaire et président de la commune insurrectionnelle. Le reste ne vaut pas l'honneur d'être nommé ce n'était, suivant la belle expression de Corneille applicable aux conspirateurs de tous les temps qu'un tas d'hommes perdus de dettes et de crimes, qui devaient figurer sous le règne de la Terreur comme jurés du tribunal révolutionnaire, membres du département ou de la commune, administrateurs de toute espèce. Le personnel de ces Jacobins émérites n'était pas très-nombreux. Au nom de leur patriotisme éprouvé, ils accaparaient toutes les places ; la guillotine seule éclaircissait de temps en temps leurs rangs.
[31] Cette pétition se trouve in extenso dans le Moniteur ; elle a été reproduite dans l'Histoire parlementaire, t. XVI, p. 315.
[32] Cet arrêté, dans son préambule, énonçait qu'il avait été pris par six cents citoyens réunis pour délibérer sur les dangers de la patrie. La section Mauconseil était composée de dix-sept cents citoyens actifs ; ainsi, en supposant même que le nombre de six cents, indiqué dans le préambule, fût exact, et il est à croire qu'il était fort exagéré comme cela arrivait presque toujours, l'arrêté n'avait été pris qu'en présence du tiers seulement des citoyens ayant le droit de voter.
[33] Ces deux pièces se trouvent l'Histoire parlementaire de M. Buchez et Roux, t. XVI, p. 247 et 248. Elles sont signées Lechenard, président, et Bergot, secrétaire. Lechenard était un maitre tailleur de la rue Comtesse-d'Artois, aujourd'hui rue Montorgueil, et Bergot un employé à la halle aux cuirs ; ils firent tous deux partie de la fameuse commune de Paris, pendant la Terreur, et périrent avec Robespierre, le 10 thermidor. Lechenard figure sur la liste générale des guillotinés sous le n° 2737, et Bergot sous le n° 2695.
[34] L'assertion de Carra, dans ses Annales patriotiques, a fait tomber l'auteur de la Chronique des cinquante jours, Rœderer lui-même, dans une étrange erreur : il dit, p. 321, que la section du Jardin des Plantes et la section Mirabeau furent les seules qui rejetèrent l'adresse Mauconseil. Cela est complètement inexact ; mais Rœderer écrivait sa Chronique à quarante ans de distance des événements, sans avoir sous les yeux les pièces authentiques. Ce livre, quoique digne d'être consulté par les historiens, renferme un certain nombre d'inexactitudes contre lesquelles il est bon de se mettre en garde.
On trouvera, à la fin de ce volume, des renseignements authentiques sur la manière dont l'arrêté de la section Mauconseil fut accueilli dans chacune des sections de Paris.
[35] Journal des Débats et Décrets, n° 313, p. 53.
[36] Le procès-verbal des Quinze-Vingts du 6 août porte ce qui suit : Il a été arrêté que M. Santerre voudra bien faire constater légale ment et sur-le-champ la maladie qui l'empêche de remplir les fonctions de sa place, pour le compte en être rendu à l'assemblée : elle a à cet effet nommé le citoyen Fournereau, pour lui porter la lettre. Les démagogues les plus fougueux étaient ainsi mis en surveillance par leurs soupçonneux complices.
[37] Ces derniers étaient allés la veille à !'Hôtel-de-Ville demander des cartouches à balle. Panis, administrateur de police, leur en fit distribuer cinq mille, malgré les ordres formels du directoire du département, qui avait défendu toute délivrance de poudre sans sa participation. (Voir la Chronique des cinquante jours, p. 351, et le discours de Panis du 25 septembre 1792.)
[38] Le Moniteur ne donne de cette délibération qu'une très-brève analyse. Nous en avons retrouvé le texte même. La section eut le courage de la faire imprimer et afficher.
[39] Vaublanc avait, dès le 30 juillet, donné sa démission de membre de la commission extraordinaire des vingt et un pour ne pas participer plus longtemps aux mesures que celle-ci proposait chaque jour à l'Assemblée.
[40] Le Moniteur commet ici et a fait commettre à plusieurs historiens, qui le copient servilement, la plus grossière des erreurs. Il donne pour compagnon à Collot-d'Herbois André Chénier, qui avait si vivement stigmatisé trois mois auparavant et qui ne cessait, dans le Journal de Paris, d'accabler de ses sarcasmes et de ses sanglantes ironies le défenseur officieux des Suisses de Chateauvieux. Celui qui vint le dimanche 5 août à l'Assemblée, pour servir de second à Collot-d'Herbois, était Marie-Joseph Chénier, le futur conventionnel, qui présida plusieurs fois, après le 10 août, la section de la Bibliothèque. Les historiens qui ont commis cette erreur n'ont pas même lu attentivement le Moniteur. Ils y auraient trouvé dans le numéro du lendemain, p. 906, cette note par laquelle commence la troisième colonne :
Ce n'est point M. André Chénier qui a été introduit à la barre avec M. Collot-d'Herbois et les autres commissaires de la section de la Bibliothèque.
André Chénier, évidemment l'auteur de cette note, n'a pas voulu, par pudeur, déclarer que le compagnon de Collot-d'Herbois était son frère. Il y a des occasions où la prétérition a aussi son éloquence.
[41] Journal des Débats et Décrets, n° 314, p. 72.
[42] Le Moniteur ne dit que quelques mots de la protestation de la section de l'Arsenal et ne nomme pas l'orateur qui parlait en son nom. Nous avons eu le bonheur de retrouver le texte de l'adresse et le nom du rédacteur dans les procès-verbaux de cette section. Nous avons recueilli, avec un soin pieux, le seul document politique qui soit peut-être sorti de la plume de l'illustre membre de l'Académie des sciences. Nous le donnons à la fin de ce volume. Nous donnons également la délibération qui précéda l'adoption de cette adresse et celte du 8 août, par laquelle la même section la désavoua. Rien ne peut mieux que ces votes contradictoires, émis successivement par la même section à quelques jours d'intervalle, donner une idée exacte de l'effroyable anarchie qui régnait dans Paris. De désaveu en désaveu, de contradictions en contradictions, on arrivait à la négation de toutes choses.
[43] Journal des Débats et Décrets, n° 314, p. 72.
[44] Le Moniteur ne dit pas un mot de l'apparition dans l'Assemblée des commissaires de la section Mauconseil. Il se contente d'annoncer que plusieurs sections viennent adhérer à la déclaration de cette section. Nous avons puisé les détails que nous donnons dans le Journal des Débats et Décrets. On peut aussi consulter le Journal de Paris et le Patriote français, que citent également les auteurs de l'Histoire parlementaire, à défaut du Moniteur, qu'ils déclarent eux-mêmes très-inexact dans cette mémorable circonstance, et trop enclin à montrer l'Assemblée plus favorable qu'elle ne l'était réellement aux demandes révolutionnaires des Parisiens. (Tome XVI, p. 339.)
[45] Ce nouveau blâme infligé par l'Assemblée à la section Mauconseil n'arrêta pas les agitateurs subalternes qui la dirigeaient. Lhuillier, le principal meneur de cette section, en même temps qu'il prenait ses précautions contre des poursuites judiciaires et se mettait sous la sauvegarde de la mairie, faisait adopter par ses amis les mesures préparatoires de l'insurrection. Cette section, désormais d'accord avec celle des Quinze-Vingts, en avait ouvertement fixé la date à la nuit du 9 au 10 août.
Nous donnons à la fin de ce volume plusieurs extraits des procès-verbaux de la section Mauconseil pendant les premiers jours d'août.
[46] Voir le procès-verbal de la section des Quinze-Vingts, Histoire parlementaire, t. XVI, p. 404.
[47] Voici la lettre de Pétion au commandant général de la garde nationale, où le germe de cette pensée se trouve :
Monsieur le commandant
général,
Les sections sont sur le qui-vive, les citoyens sont convaincus que le roi veut partir ; ils demandent à grands cris à environner le Château. Je sors de la section des Gobelins qui avait arrêté quêtes bataillons se rendraient en armes sur la place du Carrousel. Il parait que d'autres bataillons devaient se réunir, ainsi qu'un grand nombre de citoyens de toutes armes. Sur les raisons que j'ai exposées, ils ont renoncé à leur projet. J'ai imaginé un parti simple, propre à calmer tes esprits, c'est de composer la garde du roi tout à la fois de citoyens de tous les bataillons de manière que chaque section ayant des citoyens de garde, ne peut avoir à se plaindre et ne peut concevoir d'inquiétude.
L'arrêté approbatif de cette mesure fut rendu par le corps municipal le 6 août, et se trouve à la p. 927 du Moniteur.
[48] Nous avons retrouvé quelques-unes des adresses apportées à l'Assemblée par les grenadiers démissionnaires. Ce sont des modèles de bêtise emphatique ; en voici un échantillon
Législateurs, une pomme de discorde avait été jetée à dessein de faire germer la division dans la garde nationale de Paris ; des compagnies de grenadiers avaient été formées par un génie astucieux et perfide ; quelques membres de ces compagnies de grenadiers se sont déshonorés par des actes d'incivisme, de désobéissance et de révolte contre la nation, pour s'attacher au chef du pouvoir exécutif comme a leur maitre et obtenir le privilège de baiser les mains de sa fame (sic). Qu'ils le servent en esclaves. Quant à nous, nous venons sacrifier à la sainte égalité en renonçant à la distinction futile qu'ont introduite, parmi les citoyens armés, des hommes qui n'ont pas eu le courage d'être grands lorsqu'ils pouvaient atteindre à l'immortalité en fondant d'une manière inébranlable le règne de la raison et de la justice...
Nous abjurons toute marque de distinction et renonçons à la qualité de grenadier ; nous déposons sur le bureau nos bonnets et nos épaulettes, pour être envoyés à nos frères des frontières. Ces ornements sont plutôt faits pour épouvanter les Autrichiens que pour établir entre les citoyens-soldats une ligne de démarcation.
Ces adresses furent imprimées par ordre de l'Assemblée. Une d'elles, celle des dissidents du bataillon de la Butte-des-Moulins, se terminait par une phrase qui fut retranchée, en vertu d'MM décret spécial, sur la copie envoyée à l'impression. Elle parut trop violente à l'Assemblée, qui pourtant en entendait tous les jours d'à peu près semblables. Voici cette phrase que nous avons pu lire sous les ratures qui la couvrent :
Puisse notre exemple être suivi par tous les bons citoyens qui restent encore dans ces compagnies distinguées, afin que le reste soit voué à l'exécration de tous ceux qui, comme vous, qui, comme nous, sauront mourir pour la liberté !
Le principal promoteur de cette dernière adresse était un nommé Marine, marchand de porcelaine au Palais-Royal. Ce Marine aspirait à jouer un rôle dans la révolution : voici celui qu'il y joua.
Il fut nommé membre de la commune quelques jours après le 10 août. Il l'avait bien mérité, car il était un démagogue de la veille. Il devint un peu plus tard administrateur de police. Ayant encouru la disgrâce du comité de salut public, on ne sait trop pourquoi, il fut englobé le 39 prairial, an II, avec trois de ses collègues et quarante-neuf autres accusés qu'il n'avait jamais vus, dans une prétendue conspiration contre les jours de Robespierre et de Collot-d'Herbois.. Envoyé en cinq heures a la Conciergerie, au tribunal révolutionnaire et à l'échafaud, il fut une des victimes du drame sanglant des chemises rouges, ainsi nommé parce que les condamnés furent conduits au lieu du supplice, revêtus de cette marque distinctive, réservée jusqu'alors aux parricides et aux assassins des rois. Mais Robespierre et Collot-d'Herbois n'étaient-ils pas les rois de l'époque et les pères de la patrie ?
[49] Voir le procès-verbal de la section des Quinze-Vingts, Histoire parlementaire, tome XVI, p. 407.
[50] La mention de cette décision qui devait avoir une influence si grande et si funeste sur le sort de la France occupe six lignes dans le Journal des Débats et Décret, séance du 20 juillet, n° 303, p. 362. Elle n'en occupe que deux dans le Moniteur, p. 881.
[51] Moniteur, séance du 28 juillet au soir.
[52] Nous avons réuni à la fin de ce volume plusieurs délibérations importantes émanées des sections, pendant les premiers jours d'août ; c'est en consultant les registres des délibérations des quarante-huit sections que t'en peut se faire une idée, encore bien imparfaite, de l'anarchie qui régnait alors dans Paris. Le recueil de ces registres, que nous avons maniés et remaniés cent fois, n'est pas complet. Quelques-uns manquent, d'autres portent la marque des altérations qu'ils ont subies après le 10 août, comme ils en subirent encore d'autres après le 2 juin 1793 et le 9 thermidor an II. Chacun y effaça les traces de son courage, et y laissa les traces de sa honte. Cependant tout mutilés qu'ils sont, ces registres doivent être rangés parmi les documents les plus instructifs de la période révolutionnaire.
[53] Journal des Débats et Décrets, n° 345, p. 78.
[54] Moniteur, p. 924.
[55] Le discours de Varlet n'occupe pas moins de trois colonnes du Moniteur.
[56] Moniteur du 10 août, n° 938.
L'Assemblée législative se composait de 746 membres.
Le 12 juillet, un appel nominal solennel avait eu lieu à l'occasion de la déclaration du danger de la patrie. On avait compté 673 membres présents, 16 membres en congé, 6 morts non remplacés, 16 malades, 6 attachés à la fabrication des assignats, 2 attachés à la Haute-Cour, 27 non répondants.
Nous avons vu dans le volume précédent, p. 289, que le jour (28 juin) où La Fayette avait paru à la barre de l'Assemblée et où Guadet avait provoqué un vote analogue, mais sur une question incidente, il n'y avait eu que 573 votants. La majorité en faveur des constitutionnels avait été de 339 contre 234. Ainsi le vote du 8 août annoncé d'avance, parfaitement, réfléchi, vote qui était contraire aux conclusions du rapport, présenta une majorité beaucoup plus forte que celle du 28 juin. Et cependant la droite s'était affaiblie depuis quelque temps par des démissions intempestives ; ainsi le 23 juillet, Martin, de Marseille, celui que nous avons vu, plus haut dans ce volume, protester contre l'adresse incendiaire de ses compatriotes, s'était démis de ses fonctions ; Daverhoult le 26, Jaucourt le 28, avaient suivi son exemple.
[57] Cela est constaté au Moniteur.
[58] Un an plus tard, Isnard, mis hors la loi par un décret de la Convention, ne tint pas sa promesse imprudente. Il se cacha pendant tout le reste de la Terreur, et rentra dans le sein de l'Assemblée six mois après la mort de Robespierre.
[59] Cette adresse était accompagnée d'un rapport préparatoire sur la discussion de la question de la déchéance. Journal des Débats et Décrets, n° 133, p. 319. L'Assemblée en décréta t'impression et décida que l'examen en serait fait vingt-quatre heures après la distribution. (Logographe, p. 433.) Malgré toutes nos recherches, nous n'avons pu retrouver le texte de ce rapport.