HISTOIRE LA TERREUR 1792-1794

NOTES, ÉCLAIRCISSEMENTS ET PIÈCES INÉDITES

 

X. — DOCUMENTS SUR LES SUITES DE LA JOURNÉE DU 20 JUIN 1792.

 

 

Nous avons réuni dans cette note plusieurs pièces inédites, qui peuvent faire connaître l'état des esprits dans Paris durant les jours qui suivirent la journée du 21 juin.

Ces pièces sont :

1" un rapport d'Alexandre, le commandant du bataillon Saint-Marcel, en date du 21 juin ;

2° Deux rapports de Pétion au ministre de l'intérieur, en date des 25 et 26 juin ;

3° L'arrêté du conseil général du département, qui ordonne des poursuites judiciaires contre le garde national qui avait insulté Sergent dans la cour des Tuileries ;

4° Des notes envoyées par les administrateurs de police, Panis et Sergent, au Comité de surveillance de l'Assemblée législative sur diverses lettres et dénonciations qui leur ont été transmises. Nous appelons spécialement l'attention de nos lecteurs sur les élucubrations de Chaumette, alors obscur étudiant en médecine, et qui cherchait à attirer par ses éloges hyperboliques l'attention de Pétion, dont il devait demander la tête dix mois plus tard.

 

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Paris, le 21 juin 1792, etc.

Monsieur le maire,

M. Sergent vient de m'écrire du château des Tuileries pour me demander l'état de mon quartier, dans la persuasion où il paraissait être, d'après quelque rapport — absolument faux —, qu'il y régnait de la fermentation je lui ai répondu ce que je vous marque à vous-même que le quartier est dans la plus profonde tranquillité et que l'on n'y remarque aucun symptôme d'agitation, et au surplus, s'il arrivait quelque chose de neuf, je me ferais un devoir de le lui annoncer sur-le-champ ainsi qu'à vous.

J'ajoute encore un mot qui tend a détruire les affreuses calomnies qu'on a vomies hier sur notre compte. C'est que 1° il s'en faut beaucoup que tout le quartier ait marché ; 3° qu'il ait véritablement eu l'intention d'attenter à la propriété et à la personne de qui que ce soit ; 3° qu'il ne s'est lâché aucun mot indécent contre les autorités constituées ni contre le roi ; 4° que, sur ma demande, mes soldats se sont prêtés à tâcher de mettre l'ordre dans le Château et à le faire dégorger de tous ceux qui l'obsédaient, comme vous avez pu en juger vous-même quand vous nous avez rencontrés à la grille ; 5° et qu'enfin aucun d'eux ne s'est porté dans les appartements du roi que les quatre grenadiers qui s'étaient mis en avant pour tenter de nous ouvrir le passage.

Je suis avec respect, etc.

Signé : ALEXANDRE, commandant en chef du bataillon Saint-Marcel.

 

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Paris, ce 25 juin 1792.

Vous demandez, monsieur, que je vous instruise de la situation de Paris. Paris est tranquille.

Hier tout annonçait le calme ; les officiers municipaux se sont rendus dans les lieux où l'on supposait de la fermentation, je m'y suis rendu moi-même ; ces lieux n'étaient point agités. Les citoyens paraissaient avoir les dispositions les plus pacifiques. Les rapports qui m'avaient été faits s'accordaient sur ce point.

Dans la soirée on a affecté de répandre de nouveau les bruits les plus alarmants ; on disait que l'Arsenal allait être forcé ; on disait que les canons allaient être pris on disait que les faubourgs étaient rassemblés en armes ; il était onze heures du soir. On a jeté les citoyens dans les inquiétudes les plus vives et dans l'attente des événements les plus sinistres. J'ai écrit une seconde fois à des officiers civils dans les deux faubourgs ; ils m'ont répondu par les lettres les plus tranquillisantes.

Ce matin, rien ne présage un jour orageux ; les citoyens cependant n'en sont pas moins troublés dans leur repos ; on ne cesse de prendre de ces précautions qui annoncent un danger pressant et qui sont le tocsin d'alarme. Je pense qu'il serait plus prudent de ne pas donner de ces alertes continuelles et de ne point faire croire à un état de péril sans cesse renaissant. Annoncer ainsi le désordre, c'est souvent le faire naître. C'est agiter tous les esprits ; c'est les mettre dans une contraction douloureuse c'est fatiguer la garde nationale ; c'est dire à la France entière que Paris est dans l'état de crise le plus violent, et qu'on ne peut plus ni l'habiter ni l'aborder sans crainte.

Le maire de Paris,

Signé : PETION.

 

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Paris, 26 juin 1792.

La journée d'hier, monsieur, n'a pas été moins tranquille que la veille. Les citoyens ont vaqué à leurs travaux et l'espoir .des malveillants a encore été trompé.

Je craignais bien que les mesures extrêmes qui avaient été prises, le rappel dès trois heures du matin, le rassemblement de tous les bataillons, celui des troupes de ligne et de la cavalerie, l'attirail des canons et les roulements des tambours dans le reste de la journée, n'occasionnassent une fermentation dangereuse et ne lissent former beaucoup de groupes. La moindre étincelle jetée par des mains perfides pouvait mettre en feu les éléments combustibles.

Heureusement le peuple a été assez clairvoyant et assez sage pour éviter le piège qu'on voulait lui tendre.

Sans doute, il était bon de tenir 6H. réserve des forces capables d'en imposer, moi-même j'en avais parlé à M. le commandant général mais était-il nécessaire de les réunir avec tant d'appareil et d'une manière aussi inquiétante pour tous les citoyens ? Je lui avais observé aussi que, s'it pouvait n'y avoir aucun inconvénient à fermer les portes des cours et les grilles du Château, il notait pas prudent d'interdire de même les portes du jardin, attendu que les citoyens sont habitués à s'en servir, les uns comme d'un passage très-utile pour leurs affaires, les autres comme d'un lieu de promenade ; que naturellement on se rendait à ces portes, qu'on s'y groupait et que l'on murmurait de ne pas les trouver ouvertes.

J'avais prié M. le commandant général de faire part de ces réflexions au roi, et je vous prie, monsieur, de vouloir bien ne pas les lui laisser ignorer.

Soyez bien convaincu que le roi ne se conciliera jamais plus l'esprit des citoyens qu'en leur témoignant de la confiance ; les soupçons indisposent et irritent les hommes qui ont pour eux le sentiment de leur droiture.

Il est, je le sais, dans Paris un assez grand nombre d'hommes dangereux ; mais la masse du peuple est excellente et elle l'a prouvé dans toutes les occasions ; elle ne se laissera point vicier par ces êtres malfaisants. Elle saura, au contraire, les réprimer toujours, lorsque les circonstances s'en présenteront. L'instruction et l'honneur pour un peuple valent mieux que toutes les baïonnettes.

Le maire de Paris,

Signé : PÉTION.

 

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DÉPARTEMENT DE PARIS.

Extrait des registres du conseil.

 

Du 22 juin 1792, etc.

Sur le compte rendu au conseil du département par les commissaires et procureur-général-syndic du département, des voies de fait, exercées hier par un garde national dans la cour des Tuileries, sur un officier municipal revêtu de son écharpe et dans l'exercice de ses fonctions ;

Le conseil, considérant que la loi charge les administrateurs du département de veiller à la conservation de l'autorité et de la dignité municipales ; que les circonstances présentes rendent plus nécessaire que jamais le respect du à l'exercice des fonctions attachées à cette autorité que la garde nationale, de service hier au château des Tuileries, et témoin de la violence exercée contre ledit officier municipal, en a à l'instant marqué son juste mécontentement et chargé un chef de légion d'inviter le magistrat offensé de faire connaître le coupable ;

Le procureur-général-syndic entendu ;

Le conseil ordonne que le procureur-général-syndic dénoncera dans le jour, au juge de paix de la section des Tuileries, l'attentat commis dans la journée d'hier sur un officier municipal aux Tuileries, et en poursuivra la punition, même par la voie criminelle, aux termes de l'article 4 de la section iv du Code pénal ;

Arrête que le présent arrêté sera adressé à l'accusateur public et envoyé à la municipalité, publié et affiché dans les lieux accoutumés.

Signé : LA ROCHEFOUCAULD, président ; BLONDEL, secrétaire.

 

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Paris, 20 juin 1492.

Nous avons l'honneur, messieurs, de vous adresser l'extrait de plusieurs lettres ou notes qui ont été envoyées tant à M. le maire qu'à nous, et dont nous avons pensé qu'il était convenable que vous eussiez connaissance.

Les administrateurs au département de police,

SERGENT, PERRON.

 

Du 22 juin.

Le sieur Cosson, commis du sieur Santerre, répond à la lettre de M. Pétion, en l'absence dudit sieur Santerre, que le peuple est en ce moment très-tranquille, mais que les ennemis. de M. le maire, qui sont aussi ceux de cet officier, cherchent à réchauffer en lui assurant qu'on veut faire forger des décrets semblables à celui exécuté au Champ-de-Mars, ce qui lui fait dire que, si cela arrivait, il battrait la générale et s'armerait pour en empêcher l'exécution, de pareils décrets ne pouvant émaner que des ennemis du peuple et de la loi.

 

Du 24 juin 1792.

Lesieur Lecreps, demeurant rue de Grenelle-Saint-Germain, donne avis à M. le maire qu'il a refusé ce matin de signer une pétition qu'on lui a présentée, et qu'on colportait de maison en maison pour demander à l'Assemblée nationale la suppression de t'état-major de la garde nationale, de la municipalité de Paris, et un décret d'accusation contre M. te maire et les meilleurs patriotes ; qu'un de ses camarades, prévoyant le piège qu'on avait tendu à sa bonne foi, venait d'écrire à l'Assemblée nationale pour rétracter ta signature qu'il avait donnée chez le sieur Denis, notaire, Il observe que la liste civile soudoie, sans doute, les notaires qui se prêtent à cette coupable manœuvre.

 

Le commissaire de police de la section de Montmorency a envoyé au département de police copie de la déclaration qui lui a été faite le 23 juin 1792parle sieur Raffeneau de Lille, notaire à Paris, rue Montmartre, n° 174, de ce qu'on venait de lui remettre dans son cabinet deux imprimés d'une pétition à l'Assemblée nationale, dont copie est insérée dans le Journal de Paris dudit jour, avec annonce d'icelle, à tous les notaires de Paris, pour recevoir les signatures de tous les citoyens qui voudraient y concourir, mais qu'ayant pensé que les fonctions de notaire n'avaient aucune analogie avec l'ordre politique, il avait cru devoir refuser son ministère à ce sujet, afin de ne point se compromettre et s'exposer peut-être aux plus grands dangers pourquoi il a remis ces deux imprimés, qui ont été joints l'un à à la minute, l'autre à l'expédition du procès-verbal de cette déclaration adressée à l'administration de police.

 

Le sieur Chaumette, demeurant rue Serpente, n° 3, rend grâce à M. Pétion d'avoir empêché l'effusion du sang en respectant la vie des citoyens. Il observe que si la tyrannie dénonce M. le maire à l'Assemblée nationale, la nation le vengera et la patrie le couvrira de son inviolabilité que cette journée (le 20 juin), qui devait sauver la chose publique, doit inspirer des inquiétudes que l'audace des traîtres augmente que le despotisme s'entoure d'une force menaçante ; que le citoyen est insulté sans pudeur ; que de nouveaux complots se forment ; que le peuple est provoqué et qu'il n'y a pas à douter qu'on ne veuille la guerre civile, qu'on la rend même inévitable. Il demande que le tocsin de la liberté sonne, que le canon de l'alarme tonne, et que les amis de la liberté et de la patrie couvrent le Capitole et le mont Aventin pour combattre l'ennemi qui est ici, ainsi que les lâches et vils agents des traîtres. II dit que le danger est pressant, et que, sans un coup de foudre, la liberté est anéantie que déjà les victimes sont marquées et qu'il ne faut plus qu'un Cromwell ou un tyran pour faire rouler sur l'échafaud la tête d'un Sidney dont il cite l'invocation en anglais : Ô rois, ô prêtres, double fléau de ma patrie, votre règne est à sa fin ! Quant aux cris qu'il entend répéter contre l'infraction des lois dans la journée du 20, il trouve ses réponses dans Mab)y, qui dit que !es 'hommes étant toujours portés par leurs passions à la tyrannie ou à la servitude, s'ils sont assez méchants ou assez sots pour faire de mauvaises lois, il n'est d'autre remède à ce mal que la désobéissance qu'il en naîtra quelques troubles, mais qu'il ne faut s'en effrayer, ce trouble étant une preuve qu'on aime l'ordre ; que l'obéissance aveugle est, au contraire, une preuve que le citoyen hébété est indifférent pour le bien et pour le mal que celui qui pense travaille à affermir l'empire de la raison, et que celui qui obéit sans penser se précipite au-devant de la servitude.

Le sieur Chaumette observe enfin que son bataillon de Saint-André-des-Arts est pourri par le contact de ses chefs ; qu'il travaille dans le sens de la justice, et l'a amené mardi dernier à planter l'arbre chéri de l'Assemblée nationale ; que son discours a été le prélude du mercredi qu'il a fait dire à ce bataillon ce qu'il n'avait jamais pensé, et qu'il en a été applaudi ; qu'il le tient maintenant par les engagements qu'il a contractés avec lui. et qu'il saura l'y rappeler.