HISTOIRE LA TERREUR 1792-1794

NOTES, ÉCLAIRCISSEMENTS ET PIÈCES INÉDITES

 

VIII. — RÉCOMPENSES NATIONALES ACCORDÉES AUX PROMOTEURS DE LA JOURNÉE DU 20 JUIN 1792.

 

 

Nous publions presque sans commentaires les pièces officielles que nous avons recueillies sur Santerre et Alexandre, qui jouèrent un rôle si important dans la journée du 20 juin 1792. Ces pièces suffisent pour édifier le lecteur sur le désintéressement de ces deux personnages.

Extrait des registres du conseil exécutif provisoire, séance du 6 avril 1793.

Le ministre des contributions a exposé au conseil les réclamations du citoyen Santerre, maréchal de camp et commandant généra ! de la garde nationale parisienne.

Le citoyen Santerre est débiteur à la nation du droit sur les bières fabriquées dans ses brasseries pendant les années 1789 et 1790 et les trois premiers mois de 1791, époque à laquelle le droit a été supprimé. . . . . . . . . .

Le débet du citoyen Santerre s'élève à 49.603 liv. 16 s. 6 d. Il ne le conteste pas mais il prétend qu'il doit en être déchargé parce que le peuple a consommé la plus grande partie de ces bières à l'occasion des mouvements auxquels la révolution a donné lieu ; qu'il n'en a retiré aucun argent et qu'il n'est pas juste qu'il paye des droits sur une boisson qu'il n'a pas vendue.

En effet, les pièces justificatives que le citoyen Santerre produit, les enquêtes qui ont été faites à sa réquisition et le témoignage rendu par la voix publique, ne permettent pas de douter de la vérité des motifs qu'il allègue pour obtenir sa libération. . . . . . . . . . .

Le ministre des contributions publiques propose donc au conseil d'arrêter que, sur la demande du citoyen Santerre, aux fins d'être déchargé des droits répétés contre lui par les commissaires liquidateurs de la ferme générale, pour raison des quantités de bières fabriquées par le citoyen Santerre, dans les années 1789 et 1790 et les trois premiers mois de l'année 1791, et, vu la consommation des dites bières faite par le peuple et dans les corps de garde, sans que le citoyen Santerre en ait retiré aucun payement, il demeure bien et valablement déchargé desdits droits ; laquelle décharge tiendra lieu audit citoyen Santerre de toutes les répétitions qu'il a faites ou pourrait faire pour raison des autres dépenses que son dévouement pour la révolution lui a occasionnées pendant les susdites années.

Le conseil a adopté les propositions faites par le ministre des contributions et l'a autorisé a prendre les mesures nécessaires pour en assurer l'exécution.

Signé : CLAVIERE, LEBRUN, GARAT, GOHIER, GROUVELLE, secrétaire.

 

Nous avons été obligé de ne donner que les points les plus saillants du rapport de Clavière, trop long pour être reproduit en entier. Nous nous bornerons à dire que certains passages de ce rapport constatent que Santerre avait su intéresser à sa réclamation, en 1790 et 1792, les ministres Necker et Delessart.

Santerre, comme on le voit par le début du rapport de Clavière, avait obtenu du gouvernement révolutionnaire le titre de maréchal de camp ; il obtint bientôt celui de général de division employé dans l'armée.

Voici ses états de service, tels qu'ils sont déposés au ministère de la guerre. Ils ont été évidemment rédigés par Santerre lui-même ou sous son inspiration :

Santerre (Antoine-Joseph), né le 16 mars 1752.

14 juillet 1789. Commandant de la garde nationale du district des Enfants-Trouvés.

10 août 1792. Commandant général provisoire de la force armée de Paris.

11 octobre 1792. Maréchal de camp, employé.

30 juillet 1793. Générât de division, employé aux côtes de La Rochelle.

Sa démission a été acceptée.par arrêté du 13 thermidor an II.

A commandé, le 1& juillet 1789, le siège de la Bastille.

Est parvenu, par ses soins pénibles et multipliés, à apaiser et empêcher les troubles qu'on a tant de fois cherché à exciter.

A couru les plus grands dangers en faisant arrêter des séditieux et des brigands contre lesquels il a soutenu un combat de deux heures au pistolet.

A sauvé, en protégeant les convois de farine, la ville de Paris de la disette dont elle était menacée, et de malheurs incalculables en la préservant, à la prise de la Bastille, de l'explosion de vingt milliers de poudre, auxquels on était sur le point de mettre le feu.

Il a de plus sauvé la vie, en diverses circonstances, à plusieurs citoyens, entre autres au citoyen Bailly, et a empêché le pillage de la mairie.

A apaisé deux émeutes à Versailles et a garanti le château et les archives du pillage.

Est parvenu à empêcher tous les malheurs qui pouvaient être la suite de l'affaire de Vincennes.

A maintenu l'ordre, le20 juin 1792, parmi plus de 80.000 hommes qui s'étaient rendus à l'Assemblée nationale et aux Tuileries.

A enfin contribué à sauver la patrie dans la journée du 10 août suivant.

 

Santerre fut employé pendant quelques mois dans la guerre de Vendée ; mais tous les récits du temps s'accordent à dire qu'il y joua un rôle très-peu brillant. Durant les derniers mois de la Terreur, Santerre ne se trouvait plus à la hauteur des principes ; il fut arrêté quelque temps avant le 9 thermidor. Relâché après la mort de Robespierre, mais dégoûte des honneurs militaires qui avaient failli lui coûter la vie, il donna sa démission le 13 thermidor an n à sa sortie de prison.

Rentre dans la vie privée, il reprit son commerce mais les jours de sa gloire et de sa popularité étaient passés : il vit péricliter ses affaires, et de nouveau sollicita les faveurs de l'État. La Revue rétrospective (2e série, t. I, p. 158) a publié une lettre dans laquelle Santerre, s'adressant au ministre de l'intérieur pour obtenir un prêt de 25.000 francs, lui expose qu'ayant été l'agent de la loi dans les temps orageux, cela lui a retiré toutes ses connaissances riches et ôté toute ressource.

Plus tard il adressa au premier consul la lettre suivante, où l'on voit que l'ex-commandant général de la force armée, au 21 janvier 1793, savait, comme bien d'autres de ses pareils, se plier aux circonstances, et parler, quand il le jugeait utile, le langage de la flatterie. — Nous avons religieusement respecté l'orthographe du brasseur devenu général.

Santerre, général divisionnaire, au général Bonaparte, premier consul de la République.

J'ai eu l'honneur de vous demander d'aler à l'armée de réserve partager vos dangers ; vous avez eu la bonté de renvoyer ma demande au général Berthier, alors ministre ; son départ précipité m'a privé de cet avantage.

J'ai demandé au ministre actuel à être employé sans votre ordre il n'a put probablement le faire, il s'est cependant trouvé des places dans les directoires près les hôpitaux militaires et dans les villes fortes.

Je vous ai offert, en vendémiaire an iv, mes services ; vous ne les dédaignâtes pas.

J'ai presque tout perdu au service de la république, je ne puis maintenant me passer de vous demander une place. L'on m'a offert le traitement de réforme. J'avais alors de la fortune, je n'ai pas cru devoir être payé sans servir. Depuis l'on m'a interdit politiquement mon habitation au faubourg Antoine, ce qui m'a ôté mes resources commerciales. Conséquemment, si le gouvernement ne m'emploie pas, malgré mon désir de servir, ayant déjà servi avec succès au 14 juillet, au 10 août et dans plusieurs batailles que j'ai commandées en la Vendée, je vous demande le traitement de réforme, sans pour cela cesser d'être au service de notre patrie.

Salut, respect et admiration,

SANTERRE.

Enclos du Temple, à Paris, ce 16 messidor an VIII.

P. S. Je ne joins à cette lettre aucun compliment ni éloge, je ne pourrais rien ajouter à celui de dire Bonaparte était à Marengo ![1]

 

On conçoit sans peine que le général Bonaparte se soucia peu d'employer activement le général Santerre. Il avait mieux que lui sous la main. Mais il eut pitié de sa misère ; peut-être aussi se souvint-il d'avoir reçu de l'ancien héros du faubourg Saint-Antoine quelques indications utiles lors de la journée du 13 vendémiaire an iv ; c'est à quoi paraît faire allusion certain passage de la lettre que nous venons de donner.

L'arrêté qui réintégra Santerre dans son grade et l'admit an traitement de réforme était ainsi conçu

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE.

Liberté. Égalité.

DÉPARTEMENT DE LA GUERRE.

Au nom du peuple français.

Du 9 thermidor, l'an VIIIe de la République une et indivisible.

BONAPARTE, premier consul de la République, sur la proposition du ministre de la guerre, arrête :

La démission offerte par le général de division Santerre des fonctions de son grade, et acceptée le 11 thermidor an II par le comité de salut public, est annulée ce général est réintègre et admis à jouir du traitement de réforme affecté à son grade.

Le ministre de la guerre est chargé de l'exécution du présent arrêté, qui ne sera pas imprimé.

Signé : BONAPARTE.

Par le premier consul, le secrétaire d'État,

Signé : Hugues MARET.

 

Santerre mourut le 6 février 1806, laissant après lui un nom entouré d'une effrayante renommée, que très-probablement au fond il ne méritait pas. Il avait peut-être rêvé le sort d'Arteveld, et il ne fut qu'un instrument docile entre les mains de Danton et de quelques autres meneurs habiles.

 

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Voici maintenant la pièce qui concerne l'ami et l'acolyte de Santerre, le citoyen Alexandre :

Extrait des registres du conseil exécutif provisoire, séance du 22 septembre 1792.

Il a été fait rapport au conseil que le citoyen Alexandre, ci-devant commandant de la section des Gobelins, aujourd'hui chef provisoire de la sixième division de la garde nationale parisienne, avait rendu des services-essentiels avant et depuis la révolution du 10 août ; que les soins qu'il a donnés à la chose publique dans les circonstances difficiles l'ont mis dans le cas de négliger ceux de son état[2] ; qu'il en est résulté pour lui des pertes réelles, et que les postes qu'il a occupés et les missions dont il a été chargé l'ont entraîné à des dépenses qu'il est hors d'état de supporter ; que récemment, dans là commission qui lui a été donnée pour aller à Chantilly rassembler tous les effets actuellement sous le séquestre qui pouvaient être utiles à la défense de la capitale et aux armements ordinaires ordonnés pour le salut de la république, le citoyen Alexandre a procuré par son intelligence et son zèle des ressources d'une grande valeur. D'après ces faits, le conseil, considérant qu'il est juste d'indemniser le citoyen Alexandre de ses sacrifices et de ses dépenses et le mettre en état de pourvoir aux services qu'on pourra lui demander, arrête qu'il sera accordé au sieur Alexandre une indemnité de douze mille francs, à prendre sur les fonds décrétés pour les dépenses extraordinaires.

 

Les six ministres qui signèrent cet arrêté étaient Roland, Clavières, Servan, Danton, Monge et Lebrun.

Après le 20 juin 1792, le nom d'Alexandre ne reparut plus qu'une seule fois et pour un instant sur la scène révolutionnaire.

L'anecdote qui le concerne peut faire le pendant de celle qu'a si plaisamment racontée le comte Miot de Mélito, dans le premier volume de ses Mémoires, à propos d'un nommé Buchot que Robespierre, sur la recommandation de Dumas, le président du tribunal révolutionnaire, fit venir d'un village du Jura, où il était instituteur primaire, pour en faire un ministre des affaires étrangères. Buchot fut ministre pendant trois ou quatre mois. Ayant perdu sa place à la chute de son protecteur Robespierre, il vint demander à son successeur une place d'expéditionnaire ou de garçon de bureau, ce qu'il ne put pas même obtenir.

Alexandre fut ministre pendant cinq minutes et n'eut même pas le temps de s'installer dans ses fonctions. C'était le 22 juin 1793, trois semaines après le triomphe définitif de la Montagne sur la Gironde. Il s'agissait de donner un remplaçant au ministre de la guerre, Bouchotte, qui, par son incapacité notoire, compromettait le succès de nos armées et qui avait donné sa démission depuis trois semaines.

Le comité de salut public, par l'organe de Barrère, vint proposer Alexandre. La Convention, qui s'habituait déjà à adopter en silence les propositions du terrible comité, vota le décret. Le Moniteur le constate d'une manière expresse. Mais l'idée de faire un ministre de la guerre d'un ancien courtier de change était si ridicule, qu'à peine le président eut-il proclamé l'adoption de la proposition du comité, que quelques voix s'élevèrent contre une pareille nomination ainsi surprise à l'Assemblée. Fabre d'Églantine eut beau vanter les mérites d'Alexandre et rappeler que Louvois et d'autres ministres de la guerre sous l'ancienne monarchie n'avaient jamais été officiers, cette comparaison entre Louvois et Alexandre toucha peu l'Assemblée qui, revenant sur son vote, décida qu'une liste de candidats lui serait présentée le lendemain et qu'elle procéderait à une nouvelle nomination.

Le lendemain on se décida à garder Bouchotte. Grâce à la protection spéciale d'Hébert — voir le Vieux Cordelier de Camille Desmoulins —, et à celle de Robespierre — voir la séance du 22 juillet 1793, Moniteur, page 892 —, Bouchotte resta encore un an ministre de la guerre.

Alexandre, ne se contentant pas de l'indemnité de douze mille livres, qu'il avait sollicitée et obtenue le 22 septembre 1792, s'était fait nommer le même jour commissaire des guerres. !1 ne joua plus de rôle politique pendant toute la révolution et resta aux armées, où il parvint au grade d'ordonnateur en chef. Après le 18 brumaire, il se rallia au nouvel ordre de choses et fut pendant quelque temps membre du tribunat.

 

 

 



[1] Cette lettre fait partie de la précieuse collection d'autographes que possède M. Chambry, ancien maire du 4e arrondissement de Paris, et qu'il a bien voulu mettre à notre disposition.

[2] Alexandre était courtier de change.