A la suite de la procédure dirigée contre les assassins de Simoneau, vingt et un accusés furent renvoyés par le jury d'accusation devant le tribunal criminel de Seine-et-Oise. Les débats durèrent cinq jours ; cent soixante et onze témoins furent entendus. Le jury de jugement déclara qu'il était constant : 1° Que le maire d'Étampes, Simoneau, avait prononcé la formulé d'obéissance et de force à la loi ; 2° Qu'il y avait eu homicide dans la personne de Simoneau, maire d'Étampes ; 3° Que cet homicide avait été accompagné et suivi de sédition ; 4° Que cet homicide avait été préparé et facilité par des coups de bâton qui avaient été portés à Simoneau pendant qu'il était en fonction. Sur cette déclaration, un jugement rendu par Alquier, président, Lemaire, Auvry et Delaistre, juges, condamna, le 22 juillet 1792 1° Huit accusés à un an et deux ans d'emprisonnement 2° Deux à la peine de mort. Ces deux derniers se nommaient Gérard (Henri), âgé de 45 ans, ancien garde-chasse, domicilié à Étampes, condamné plusieurs fois pour braconnage, et Baudet (Gabriel), âgé de 40 ans, demeurant à Étampes, charretier, ancien carabinier, renvoyé du service militaire avec de mauvaises notes. Le jugement portait que ces deux individus seraient exécutés à Étampes, sur la place Saint-Gilles, et seraient conduits à l'échafaud vêtus d'une chemise rouge. Aussitôt après le jugement, les Jacobins, qui avaient pris en main la cause des assassins de Simoneau et qui voulaient à toute force sauver la tête des coupables, se répandirent en plaintes amères contre la sévérité du jugement du tribunal criminel de Seine-et-Oise ; ils allèrent jusqu'à faire courir le bruit que la veuve de Simonneau avait été à la barre de la commune de Paris solliciter la grâce des assassins de son malheureux époux. Quoique les événements eussent marché, et que depuis le prononcé du jugement du 22 juillet la révolution du 10 août eût renversé le trône de Louis XVI et assuré te triomphe des démagogues, la veuve de Simoneau, bravant les poignards qu'elle savait dirigés contre elle, eut le courage d'adresser, le 21 août, là lettre suivante au président de l'Assemblée législative : Monsieur te président, On a répandu dans les journaux que j'avais été à Paris, à la barre de la commune de Paris, solliciter la grâce des assassins de mon malheureux époux. Si j'avais cru pouvoir hasarder une démarche aussi contraire mes devoirs et au principe de l'ordre social, je l'aurais faite directement auprès de l'Assemblée nationale ; les auteurs des menaces, par lesquelles on a voulu m'y contraindre, avaient eu soin de m'en prévenir. J'ai lieu de craindre qu'on ait employé mon nom dans cette occasion et qu'une supposition de personne n'ait pas été négligée pour tromper la générosité de la commune de Paris je déclare que je n'ai pas été à Paris depuis longtemps, et, dans le cas ou l'Assemblée nationale se persuaderait que l'impunité d'un grand crime peut concourir au maintien de l'ordre et à la, sécurité des magistrats du peuple, au moins l'ombre de mon époux ne me reprochera pas la faiblesse d'avoir arrêté une procédure que je n'avais pas sollicitée et que l'Assemblée nationale seule avait ordonnée. Je suis avec un profond respect, etc. Signé : Veuve SIMONEAU. Étampes, 21 août 1792. Les événements continuaient à se précipiter avec une effrayante rapidité. Les massacres de septembre avaient ensanglanté les pavés de la capitale et une bande de scélérats, comme on le verra dans l'un des volumes suivants, avait été chercher à Orléans, sous la conduite de Fournier, dit l'Américain, les prisonniers de la haute cour. A son retour, la bande de Fournier séjourna deux jours à Étampes et en profita pour délivrer les individus condamnés à la suite du meurtre de Simoneau et qui se trouvaient encore dans les prisons de cette ville. Le fait est constaté par le rapport des commissaires de la commune de Paris, que nous aurons occasion de donner m extenso lors du récit des massacres de Versailles. Nous y lisons : Ils (les soldats de Fournier) ont élargi les prisonniers d'ici, qui étaient détenus à l'occasion de l'affaire de Simoneau, maire d'Étampes, excepté un seul, lequel avait l'épaule marquée. Il paraît qu'ils veulent mettre en liberté ceux qui sont dans les prisons de Versailles pour la même affaire. Étampes, le 8 septembre, à 11 heures du matin. Les prisonniers délivrés ne perdirent pas de temps pour se rendre a Paris, car nous les voyons, accompagnés d'une députation d'habitants d'Étampes, se présenter dès le surlendemain, 9 septembre, successivement à la commune de Paris, à t'Assemblée législative et à la salle des Jacobins ou siégeaient dans ce moment, sous la présidence de Robespierre et de Collot d'Herbois, les électeurs parisiens, occupés à choisir les députés pour la prochaine Convention nationale. Leur visite à ces trois autorités, les seules.qui existassent alors dans la capitale, fut une espèce de triomphe il n'y manqua que la pompe solennelle dont on avait entouré le retour des galériens de Châteauvieux. Discours, harangues, félicitations, tout fut prodigué à ces complices de l'assassinat de Simoneau. Leur première visite avait été pour la commune rien de plus juste, puisque c'était elle qui avait envoyé la bande de misérables par laquelle ils avaient été délivrés. Nous avons retrouvé le procès-verbal de la réception qui leur fut faite. On verra la faveur avec laquelle ils furent accueillis par les soi-disant représentants de la population parisienne, et l'on remarquera la qualification que l'on donne à ceux qui avaient voulu, à Étampes, faire respecter la loi. MUNICIPALITÉ DE PARIS. Extrait des registres des délibérations du conseil général des commissaires des quarante-huit sections. Du 9 septembre 1792, 4e année de la liberté. Le conseil général, après avoir entendu la députation de la ville d'Étampes, qui est venue présenter !es malheureuses victimes de la cabale des' importants et des accapareurs de leur ville, vivement touchés des malheurs de leurs concitoyens, arrête que MM. Mathieu et Thomas-Guide sont nommés commissaires à l'effet de se transporter à l'Assemblée nationale et solliciter de sa justice des secours pour des malheureux qui sont dans le plus pressant besoin. Signé : BOULA, président ; COULOMBEAU, secrétaire-greffier adjoint. Les commissaires de la commune, aussitôt nommés~ se mirent à l'œuvre et rédigèrent la pétition suivante, qu'ils allèrent, avec leurs clients, porter à l'Assemblée législative : COMMUNE DE PARIS. Législateurs, Les communes des environs d'Étampes étaient frappées de terreur un silence contre-révolutionnaire régnait dans les campagnes, depuis le décret de rigueur surpris à l'Assemblée nationale contre les prétendus auteurs des troubles dans lesquels avait péri le maire d'Étampes. Quelques citoyens paisibles, justement alarmés sur leur subsistance, peut-être aussi et en même temps égares par des hommes perfides, après avoir été dupes sous la maligne influence d'hommes coupables, étaient sur le point de devenir victimes. Ils craignaient de mourir de faim on avait décidé qu'ils périraient par la loi quelques-uns étaient aussi condamnés à diverses peines afflictives. Libres aujourd'hui par une suite du sage décret que vous avez rendu sur toutes les affaires des grains[1], ils viennent vous remercier de la liberté que vous leur avez rendue et vous prier d'ajouter à cet acte de justice un acte de bienfaisance qui en diffère peu. Nous venons, au nom du conseil général de la commune, recommander à votre sensibilité des citoyens infortunés qui n'ont occasionné aucune perte, aucun dégât, mais qui en ont éprouvé, pendant une longue captivité qui a privé leurs nombreuses familles de tout moyen de subsistance un secours momentané peut mettre le comble à la consolation, ainsi qu'à votre bienfait. Par là vous aurez non-seulement fait cesser leur captivité pour le présent et l'avenir, vous l'aurez, autant qu'il était en vous, effacée pour le passé, et les campagnes dans lesquelles ils vont, de leurs mains libres, remuer la terre et la féconder, retentiront des louanges dues à votre bienfaisante sagesse. Les citoyens des environs d'Étampes, accompagnés des commissaires municipaux de la ville de Paris, Signé : THOMAS, PONTIER, MATHIEU, conseillers municipaux ; COREAUX, GUIGNE jeune. Le lendemain (10 septembre) les mêmes individus se rendirent à l'assemblée électorale. Nous avons également retrouvé le procès-verbal de leur réception, car nous tenions à suivre pas à pas les émeutiers dans leur pérégrination triomphale. Le voici : Une pétition des malheureuses victimes de l'insurrection d'Étampes demande et obtient l'admission et la parole. L'orateur peint avec sensibilité la position horrible de ces infortunés et, en invoquant les principes de fraternité de l'assemblée électorale, termine en rendant hommage à l'Assemblée nationale qui a brisé leurs chaînes, en ajoutant qu'il était réservé à l'assemblée électorale de tarir la source de leurs larmes. Le président répond à la députation et l'assemblée applaudit. Ainsi Robespierre était parvenu à faire consacrer le triomphe des assassins dont il avait pris la défense comme journaliste. Il est vrai qu'en trois mois sa position avait bien changé. En septembre 1792, il trônait à l'Hôtel de ville comme membre de la commune insurrectionnelle du 10 août. Il gouvernait l'assemblée des électeurs de Paris, qu'il avait fait siéger, pour plus de sûreté, dans la salle même des Jacobins, et qu'il faisait voter sur un signe de sa main, sur un mot sorti de sa bouche.. Enfin, par son influence secrète mais toute-puissante, il forçait l'Assemblée nationale, qui avait décrété la fameuse fête de la ici et ordonné les poursuites les plus sévères contre les assassins de Simoneau, à recevoir à sa barre ces mêmes assassins, devenus des espèces de héros auxquels on était bien près de tresser des couronnes. Nous n'avons pas borné là nos recherches, nous avons voulu savoir ce qu'était devenu le pourvoi qu'avaient formé les deux condamnés à mort contre l'arrêt du tribunal criminel de Seine-et-Oise. La cour de cassation en fut saisie le 29 août 1792. Elle mit quatre mois à l'examiner, et lorsque l'ordre matériel fut quelque peu rétabli, elle le rejeta, le 5 janvier 1793. Nous avons retrouvé l'expédition de cet arrêt, qui se termine par la formule ordinaire : la cour ordonne que le jugement sera exécuté selon sa forme et teneur. Mais dans cette expédition, transmise le 23 janvier 1793 par le ministre de la justice à l'accusateur public de Seine-et-Oise, cette formule est effacée. La cour de cassation n'avait prononcé que pour la forme, car les deux condamnés avaient été mis en liberté le 9 septembre 1792 par la troupe de Fournier, ainsi qu'elle en avait annoncé depuis plusieurs jours l'intention. Pendant que l'on égorgeait à quelques pas d'eux Delessart, Brissac, Larivière et les malheureux officiers du régiment de Cambrésis, les assassins du maire d'Étampes étaient portés en triomphe dans les bras tout sanglants de leurs amis, de leurs émules. A partir de ce jour, l'histoire perd leurs traces. Très-probablement ils jouirent de l'impunité qu'était venu leur apporter le renversement de toutes les lois divines et humaines. |
[1] Une loi, rendue le 3 septembre 1792, avait déclaré éteints et abolis tous les procès criminels, et tous les jugements rendus depuis le 14 juillet 1789, sous prétexte de violation des lois relatives a la libre circulation et vente des grains.
Mais les prisonniers délivrés a Étampes, et encore moins les deux assassins qui se trouvaient dans les prisons de Versailles, ne pouvaient être appelés à jouir du bénéfice de cette loi, car ils n'avaient pas été condamnés pour s'être opposés à la libre circulation des grains, mais bien comme complices et auteurs principaux du meurtre du malheureux Simonneau. C'est pourquoi, comme nous allons le voir, la cour de cassation avait ordonné que l'arrêt du 22 juillet reçut son exécution.