L'authenticité de ce récit ns saurait être révoquée en doute. La pièce originale a été saisie dans les papiers mêmes de Pétion, au moment de sa fuite après le 31 mai 1793 ; elle est entièrement écrite de sa main. Je fus nommé avec Maubourg et Barnave, pour aller au-devant du roi et des personnes qui l'accompagnaient. Cette nomination avait été faite sur la présentation des comités de constitution et militaire réunis. Je ne fis d'abord aucune attention à la manière dont cette ambassade était composée ; depuis longtemps je n'avais aucune liaison avec Barnave, je n'avais jamais fréquenté Maubourg. Maubourg connaissait beaucoup madame de Tourzel, et on ne peut se dissimuler que Barnave avait déjà conçu des projets. Ils crurent très-politique de se mettre sous l'abri d'un homme qui était connu pour l'ennemi de toute intrigue et l'ami des bonnes mœurs et de la vertu. Deux heures après ma nomination, je me rendis chez M. Maubourg, lieu du rendez-vous. A peine y fus-je entré que Duport arriva, que La Fayette arriva ; je ne fus pas peu surpris de voir Duport et La Fayette causer ensemble familièrement, amicalement. Je savais qu'ils se détestaient et leur coalition n'était pas encore publique. Arriva aussi un homme que j'ai toujours estimé, M. Tracy. On s'entretint beaucoup des partis qu'on prendrait envers le roi chacun disait que ce gros cochon-là était fort embarrassant. L'enfermera-t-on ? disait l'un ; règnera-t-il ? disait l'autre ; lui donnera-t-on un conseil ? Là Fayette faisait des plaisanteries, ricanait ; Duport s'expliquait peu ; au milieu d'une espèce d'abandon, j'apercevais clairement beaucoup de contrainte. Je ne me laissai point aller avec des gens qui visiblement jouaient serre et qui déjà sans doute s'étaient fait un plan de conduite. Barnave se fit attendre très-longtemps. Nous ne partîmes qu'à quatre heures du matin. Nous éprouvâmes à la barrière un petit retard, parce qu'on ne laissait passer personne, et je vis le moment où nous serions obligés de rétrograder. M. Dumas était avec nous. Nous fûmes le prendre chez lui. L'Assemblée, également sur la présentation des comités, lui avait confié le commandement général de toutes les forces que nous jugerions utile et nécessaire de requérir. Cette nomination n'est pas indifférente. M. Dumas était la créature des Lameth. Nous voilà donc partis par un très-bon temps. Les postillons, qui savaient l'objet de notre voyage, nous conduisaient avec la plus grande rapidité. Dans les villages, dans les bourgs, dans les villes, partout sur notre passage, on nous donnait des témoignages de joie, d'amitié et de respect. Dans tout le cours de la route, nous n'arrêtâmes que le temps nécessaire pour manger promptement un morceau. A La Ferté-sous-Jouarre, une procession ralentit un instant notre marche ; nous mîmes pied à terre, nous gagnâmes une auberge pour déjeuner. Les officiers municipaux vinrent nous y joindre ; un grand nombre de citoyens nous entourèrent ; nous ne couchâmes point. Arrivés à Dormans où nous nous disposions à dîner, des courriers vinrent nous dire que le roi était parti le matin de Châlons et qu'il devait être près d'Épernay d'autres assurèrent qu'il avait été suivi dans sa marche par les troupes de Bonifié et qu'il allait d'un instant à l'autre être enlevé. Plusieurs, pour confirmer ce fait, soutinrent avoir vu de la cavalerie traverser dans les bois. Rien ne nous paraissait plus naturel que cette nouvelle tentative de M. de Bouillé avec son caractère connu, il voudra, disions-nous, plutôt périr que de l'abandonner. Cependant le roi avançait dans l'intérieur ; il laissait déjà derrière lui Châlons, et il nous paraissait difficile de tenter un coup de main et surtout de réussir ; de sorte qu'en combinant toutes les circonstances nous penchions davantage à croire que M. de Bouillé n'hasarderait pas une housarderie semblable, qui pouvait d'ailleurs compromettre la personne du roi. Nous ne nous donnâmes que le temps de manger debout un morceau, de boire un coup, et nous nous mîmes en marche. Mes compagnons de voyage avaient usé avec moi dans tout le cours du voyage de beaucoup de discrétion et de réserve nous avions parlé de choses indifférentes. Il n'y avait eu qu'un seul instant qui avait éveillé en moi quelques soupçons. On avait remis sur le tapis la question de savoir ce qu'on ferait du roi. Maubourg avait dit : Il est bien difficile de prononcer c'est une bête qui s'est laissé entraîner il est bien malheureux, en vérité, il fait pitié. Barnave observait qu'en effet on pouvait le regarder comme un imbécile : Qu'en pensez-vous, me dit-il, Pétion ? Et dans le même moment il fit un signe à Maubourg, mais de ces signes d'intelligence pour celui à qui on le fait et de défiance pour celui de qui on ne veut pas être vu cependant, il était possible que, connaissant l'austérité et l'inflexibilité de mes principes, il ne voulait dire autre chose sinon Pétion va condamner avec toute la rigueur de la loi et comme si c'était un simple citoyen. Je répondis néanmoins que je ne m'écartais pas de l'idée de le traiter comme un imbécile, incapable d'occuper le trône, qui avait besoin d'un tuteur, que ce tuteur pouvait être un conseil national. Là-dessus des objections, des réponses, des répliques ; nous parlâmes de la régence, de la difficulté du choix d'un régent. M. Dumas n'était pas dans la même voiture que nous.
Sortant de Dormans, M. Dumas examinait tous les endroits comme un général
d'armée. Si M. de Bouillé arrive, disait-il, il ne peut prendre que par là ; on peut l'arrêter à cette
hauteur et ce défilé sa cavalerie ne peut plus manœuvrer. Il fit même
une disposition militaire. Il donna ordre à la garde nationale d'un bourg de
prendre tel et tel poste. Ces précautions paraissaient non-seulement inutiles, mais ridicules. Nous nous en divertîmes, et je dois dire que M. Dumas lui-même s'en amusait. Il n'en paraissait pas moins sérieux avec les habitants des campagnes qui s'attendaient sérieusement à combattre. Le zèle qui animait ces bonnes gens était vraiment admirable ils accouraient de toutes parts ; vieillards, femmes et enfants les uns avec des broches, avec des faux, les autres avec des bâtons, des sabres, des mauvais fusils, ils allaient comme à la noce des maris embrassaient leurs femmes leur disant : Eh bien s'il le faut, nous irons à la frontière tuer ces gueux, ces j... f.....-là ; ah nous l'aurons, ils ont beau faire. Ils couraient aussi vite que la voiture ; ils applaudissaient, ils criaient : Vive la nation ! j'étais émerveillé, attendri de ce sublime spectacle. Les courriers se multipliaient, se pressaient, nous disaient : Le roi approche. A une lieue, une lieue et demie d'Épernay, sur une très-belle route, nous apercevons de loin un nuage de poussière, nous entendons un grand bruit plusieurs personnes approchent de notre voiture et nous crient : Voilà le roi ! Nous faisons ralentir le pas des chevaux : nous avançons ; nous apercevons un groupe immense ; nous mettons pied à terre. La voiture du roi s'arrête, nous allons au-devant ; l'huissier nous précède et le cérémonial s'observe d'une manière imposante. Aussitôt qu'on nous aperçoit, on s'écrie : Voilà les députés de l'Assemblée nationale ! On s'empresse de nous faire place partout ; on donne des signals d'ordre et de silence. Le cortège était superbe des gardes nationales à cheval, à pied, avec uniforme, sans uniforme, des armes de toute espèce ; le soleil sur son déclin réfléchissait sa lumière sur ce bel ensemble, au milieu d'une paisible campagne la grande circonstance, je ne sais, tout cela était imposant et faisait naître des idées qui ne se calculent pas ; mais que le sentiment était diversifié et exagéré ! Je ne puis peindre le respect dont nous fûmes environnés. Quel ascendant puissant, me disais-je, a cette Assemblée ! quel mouvement elle a imprimé ! que ne peut-elle pas faire Comme elle serait coupable de ne pas répondre à cette confiance sans bornes, à cet amour si touchant Au milieu des chevaux, du cliquetis des armes, des applaudissements de la foule que l'empressement attirait, que la crainte de nous presser éloignait, nous arrivâmes à la portière de la voiture. Elle s'ouvrit sur-le-champ. Des bruits confus en sortaient. La reine, Madame Élisabeth paraissaient vivement émues, éplorées : Messieurs, dirent-elles avec précipitation, avec oppression, les larmes aux yeux ; messieurs ! Ah ! monsieur Maubourg ! en lui prenant la main en grâce ; ah ! monsieur, prenant aussi la main à Barnave ; ah ! monsieur, Madame Élisabeth appuyant seulement la main sur la mienne, qu'aucun malheur n'arrive, que les gens qui nous ont accompagnés ne soient pas victimes, qu'on n'attente pas à leurs jours ! Le roi n'a point voulu sortir de France ! — Non, messieurs, dit le roi, en parlant avec volubilité, je ne sortais pas, je l'ai déclaré, cela est vrai. Cette scène fut vive, ne dura qu'une minute ; mais comme cette minute me frappe Maubourg répondit ; je répondis par des : Ah ! par des mots insignifiants et quelques signes de dignité sans dureté, de douceur sans afféterie, et, brisant ce colloque, prenant le caractère de notre mission, je l'annonçai au roi en peu de mots et je lui lus le décret dont j'étais porteur. Le plus grand silence régnait dans cet instant. Passant de l'autre côté de la voiture, je demandai du silence, je l'obtins et je donnai aux citoyens lecture de ce décret ; il fut applaudi. M. Dumas prit à l'instant le commandement de toutes les gardes qui jusqu'à ce moment avaient accompagné le roi. Il y eut de la part de ces gardes une soumission admirable. C'était avec joie qu'elles reconnaissaient le chef militaire qui se plaçait à leur tête l'Assemblée l'avait désigné il semblait que c'était pour eux un objet sacré. Nous dîmes au roi qu'il était dans les convenances que nous prissions place dans sa voiture. Barnave et moi nous y entrâmes. A peine y eurent nous mis le premier pied que nous dîmes au roi : Mais, Sire, nous allons vous gêner, vous incommoder ; il est impossible que nous trouvions place ici. Le roi nous répondit : Je désire qu'aucune des personnes qui m'ont accompagné ne sorte, je vous prie de vous asseoir, nous allons nous presser, vous trouverez place. Le roi, la reine, le prince royal étaient sur le derrière, Madame Élisabeth madame de Tourzel et Madame étaient sur. le devant. La reine prit le prince sur ses genoux, Barnave se plaça entre le roi et la reine, madame de Tourzel mit Madame entre ses jambes, et je me plaçai entre Madame Élisabeth et madame de Tourzel. Nous n'avions pas fait dix pas qu'on nous renouvelle les protestations que le roi ne voulait pas sortir du royaume et qu'on nous témoigne les plus vives inquiétudes sur le sort des trois gardes du corps qui étaient sur le siège de la voiture. Les paroles se pressaient, se croisaient chacun disait la même chose il semblait que c'était le mot du gué mais il n'y avait aucune mesure, aucune dignité dans cette conversation, et je n'aperçus surtout sur aucune des figures cette grandeur souvent très-imprimante que donne le malheur à des âmes élevées. Le premier caquetage passé, j'aperçus un air de simplicité et de famille qui me plut ; il n'y avait plus là de représentation royale, il existait une aisance et une bonne hommie domestique : la reine appelait Madame Élisabeth ma petite sœur. Madame Élisabeth lui répondait de même. Madame Élisabeth appelait le roi mon frère, la reine faisait danser le prince sur ses genoux. Madame, quoique plus réservée, jouait avec son frère ; le roi regardait tout cela avec un air assez satisfait, quoique peu ému et peu sensible. J'aperçus, en levant les yeux au ciel de la voiture, un chapeau galonné dans le filet c'était, je n'en doute pas, celui que le roi avait dans son déguisement, et j'avoue que je fus révolté qu'on eût laissé subsister cette trace qui rappelait une action dont on devait être empressé et jaloux d'anéantir jusqu'au plus léger souvenir. Involontairement, je portais de temps à autre mes regards sur le chapeau j'ignore si on s'en aperçut. J'examinai aussi le costume des voyageurs. It était impossible qu'il fût plus mesquin. Le roi avait un habit brun peluché, du linge fort sale les femmes avaient de petites robes très-communes et du matin. Le roi parla d'un accident qui venait d'arriver à un seigneur qui venait d'être égorgé, et il en paraissait très-affecté. La reine répétait que c'était abominable, qu'il faisait beaucoup de bien dans sa paroisse et que c'étaient ses propres habitants qui l'avaient assassiné. Un autre fait l'affectait beaucoup elle se plaignait amèrement des soupçons qu'on avait manifestés dans la route contre elle. Pourriez-vous le croire ? nous disait-elle ; je vais pour donner une cuisse de volaille à un garde national qui paraissait nous suivre avec quelque attachement ; eh bien, on crie au garde national : Ne mangez pas, défiez-vous ! en faisant entendre que cette volaille pouvait être empoisonnée. Oh j'avoue que j'ai été indignée de ce soupçon, et à l'instant j'ai distribué de cette volaille à mes enfants, j'en ai mangé moi-même. Cette histoire à peine finie : Messieurs, nous dit-elle, nous avons été ce matin à la messe à Châlons, mais une messe constitutionnelle. Madame Élisabeth appuya, le roi ne dit un mot. Je ne pus pas m'empêcher de répondre que cela était bien, que ces messes étaient les seules que le roi dut entendre ; mais j'avoue que je fus très-mécontent de ce genre de persiflage et dans les circonstances où le roi se trouvait. La reine et Madame Élisabeth revenaient sans cesse aux gardes du corps qui étaient sur le siège de la voiture, et témoignaient les plus vives inquiétudes. Quant à moi, dit madame de Tourzel, qui avait gardé jusqu'alors le silence, mais avec un ton résolu et très-sec, j'ai fait mon devoir en accompagnant le roi et en ne quittant pas les enfants qui m'ont été confiés. On fera de moi tout ce qu'on voudra, mais je ne me reproche rien. Si c'était à recommencer, je recommencerais encore. Le roi parlait très-peu, et la conversation devint plus particulière la reine parlât à Barnave et Madame Élisabeth me parla, mais comme si on se fût distribué les rôles en se disant chargez-vous de votre voisin, je vais me charger du mien. Madame Élisabeth me fixait avec des yeux attendris, avec cet air de langueur que le malheur donne et qui inspire un assez vif intérêt. Nos yeux se rencontraient quelquefois avec une espèce d'intelligence et d'attraction, la nuit se fermait, la lune commentait à répandre cette clarté douce. Madame Elisabeth prit Madame sur ses genoux, elle la plaça ensuite moitié sur son genou, moitié sur le mien ; sa tête fut soutenue par ma main, puis par la sienne. Madame s'endormit, j'allongeai mon bras, Madame Élisabeth allongea le sien sur le mien. Nos bras étaient enlacés, le mien touchait sous son esele. Je sentais des mouvements qui se précipitaient, une chaleur qui traversait les vêtements ; les regards de Madame Élisabeth me semblaient plus touchants. J'apercevais un certain abandon dans son maintien, ses yeux étaient humides, ta mélancolie se mêlait à une espèce de volupté. Je puis me tromper, on peut facilement confondre la sensibilité du malheur avec la sensibilité du plaisir ; mais je pense que si nous eussions été seuls, que si, comme par enchantement, tout le monde eût disparu, elle se serait laissé aller dans mes bras et se serait abandonnée aux mouvements de la nature. Je fus tellement frappé de cet état que je me disais Quoi ! serait-ce un artifice pour m'acheter ce prix ? Madame Élisabeth serait-elle convenue de sacrifier son honneur pour me faire perdre le mien ? Oui, à la cour rien ne coûte, on est capable de tout ; la reine a pu arranger le plan. Et puis, considérant cet air de naturel, l'amour-propre aussi m'insinuant que je pouvais lui plaire, qu'elle était dans cet âge où les passions se font sentir, je me persuadais, et j'y trouvais du plaisir, que des émotions vives la tourmentaient, qu'elle désirait elle-même que nous fussions sans témoins, que je lui fis ces douces instances, ces caresses délicates qui vainquent la pudeur sans l'offenser et qui amènent la défaite sans que la délicatesse s'en alarme, où le trouble et la nature sont seuls complices. Nous allions lentement un peuple nombreux nous accompagnait. Madame Élisabeth m'entretenait des gardes du corps qui les avaient accompagnés ; elle m'en parlait avec un intérêt tendre ; sa voix avait je ne sais quoi de flatteur. Elle entrecoupait quelquefois ces mots de manière à me troubler. Je lui répondais avec une égale douceur, mais cependant sans faiblesse, avec un genre d'austérité qui n'avait rien de farouche ; je me gardais bien de compromettre mon caractère je donnais tout ce qu'il fallait à la position dans laquelle je croyais la voir, mais sans néanmoins donner assez pour qu'elle pût penser, même soupçonner, que rien altérât jamais mon opinion, et je pense qu'elle le sentit à merveille, qu'elle vit que les tentations les plus séduisantes seraient inutiles, car je remarquais un certain refroidissement, une certaine sévérité qui tient souvent chez les femmes à l'amour-propre irrité. Nous arrivions insensiblement à Dormans. J'observai plusieurs fois Barnave, et quoique la demie clarté qui régnait ne me permît pas de distinguer avec une grande précision, son maintien avec la reine me paraissait honnête, réservé, et la conversation ne me semblait pas mystérieuse. Nous entrâmes à Dormans entre minuit et une heure ; nous descendîmes dans l'auberge où nous avions mangé un morceau, et cette auberge, quoique très-passable pour un petit endroit, n'était guère propre à recevoir la famille royale. J'avoue cependant que je n'étais pas fâché que la cour connût ce que c'était qu'une auberge ordinaire. Le roi descendit de voiture, et nous descendîmes successivement il n'y eut aucun cri de Vive le roi ! et on criait toujours : Vive la Nation ! vive l'Assemblée nationale ! quelquefois : Vive Barnave ! vive Pétion ! Cela eut lieu pendant toute la route. Nous montâmes dans les chambres hautes ; des sentinelles furent posées à l'instant à toutes les portes. Le roi, la reine, Madame Élisabeth, le prince, Madame, madame de Tourzel soupèrent ensemble ; MM. Maubourg, Barnave, Dumas et moi nous soupâmes dans un autre appartement ; nous fîmes nos dépêches pour l'Assemblée nationale ; je me mis dans un lit à trois heures du matin ; Barnave vint coucher dans le même lit. Déjà j'étais endormi. Nous nous levâmes à cinq heures. Le roi était seul dans une chambre où il y avait un mauvais lit d'auberge. Il passa la nuit dans un fauteuil. Il était difficile de dormir dans l'auberge, car les gardes nationales et tous 'tes habitants des environs étaient autour à chanter, à. boire et danser des rondes. Avant de partir, MM. Dumas, Barnave, Maubourg et moi, nous passâmes en revue les gardes nationales ; nous fûmes très-bien accueillis. Nous montâmes en voiture entre cinq et six heures, et je me plaçai cette fois entre le roi et la reine. Nous étions fort mal à l'aise. Le jeune prince venait sur mes genoux, jouait avec moi ; il était fort gai et surtout fort remuant. Le roi cherchait à causer. Il me fit d'abord de ces questions oiseuses pour entrer ensuite en matière. Il me demanda si j'étais marié, je lui dis que oui il me demanda si j'avais des enfants, je lui dis que j'en avais un qui était plus âgé que son fils. Je lui disais de temps en temps : Regardez ces paysages, comme ils sont beaux ! Nous étions en effet sur des coteaux admirables où la vue était variée, étendue ; la Marne coulait à nos pieds. Quel beau pays, m'écriai-je, que la France ! il n'est pas dans le monde de royaume qui puisse lui être comparé. Je lâchais ces idées à dessein ; j'examinais quelle impression elles faisaient sur la physionomie du roi ; mais sa figure est toujours froide, inanimée d'une manière vraiment désolante, et, à vrai dire, cette masse de chair est insensible. Il voulut me parler des Anglais, de leur industrie, du génie commercial de cette nation. Il articula une ou deux phrases, ensuite il s'embarrassa, s'en aperçut et rougit. Cette difficulté à s'exprimer lui donne une timidité dont je m'aperçus plusieurs fois. Ceux qui ne le connaissent pas seraient tentés de prendre cette timidité pour de la stupidité ; mais on se tromperait il est très-rare qu'il lui échappe une chose déplacée, et je ne lui ai pas entendu dire une sottise. Il s'appliquait beaucoup à parcourir des cartes géographiques qu'il avait, et il disait : Nous sommes dans tel département, dans tel district, dans tel endroit. La reine causa aussi avec moi d'une manière unie et familière elle me parla aussi de l'éducation de ses enfants. Elle en parla en mère de famille et en femme assez instruite. Elle exposa des principes très-justes en éducation. Elle dit qu'il fallait éloigner de l'oreille des princes toute flatterie, qu'il ne fallait jamais leur dire que la vérité. Mais j'ai su depuis que c'était le jargon de mode dans toutes les cours de l'Europe. Une femme très-éclairée me rapportait qu'elle avait vu et assez familièrement cinq ou six princesses qui toutes lui avaient tenu le même langage, sans pour cela s'occuper une minute de l'éducation de leurs enfants. Au surplus, je ne fus pas longtemps à m'apercevoir que tout ce qu'elle me disait était extrêmement superficiel, et il.ne lui échappait aucune idée forte ni de caractère ; elle n'avait, dans aucun sens, ni l'air, ni l'attitude de sa position. Je vis bien cependant qu'elle désirait qu'on lui crût du caractère elle répétait assez souvent qu'il fallait en avoir, et il se présenta une circonstance où elle me fit voir qu'elle le faisait consister en si peu de chose que je demeurai convaincu qu'elle n'en avait pas. Les glaces étaient toujours baissées ; nous étions .cuits par le soleil et étouffés par la poussière mais le peuple des campagnes, les gardes nationales nous suivant processionnellement, il était impossible de faire autrement, parce qu'on voulait voir le roi. Cependant la reine saisit un moment pour baisser le sthort. Elle mangeait alors une cuisse de pigeon. Le peuple murmure ; Madame Élisabeth fut pour le lever, la reine s'y oppose en disant : Non, il faut du caractère. Elle saisit l'instant mathématique où le peuple ne se plaignait plus pour lever elle-même le sthort et pour faire croire qu'elle ne le levait pas parce qu'on l'avait demandé ; elle jeta par la portière l'os de la cuisse de pigeon et elle répéta ces propres expressions : Il faut avoir du caractère jusqu'au bout. Cette circonstance est minutieuse, mais je ne puis pas dire combien elle m'a frappé. A l'entrée de La Ferté-sous-Jouarre, nous .trouvâmes un grand concours de citoyens qui criaient Vive la Nation ! vive l'Assemblée nationale ! vive Barnave ! vive Pétion ! J'apercevais que ces cris faisaient une impression désagréable à la reine, surtout à Madame Elisabeth. Le roi y paraissait insensible, et l'embarras qui régnait sur leurs figures m'embarrassait moi-même. Le maire de La Ferté-sous-Jouarre nous avait fait prévenir qu'il recevrait le roi, et le roi avait accepté cette offre. La maison du maire est extrêmement jolie, la Marne en baigne les murs. Le jardin qui accompagne cette maison est bien distribué, bien soigné, et la terrasse qui est sur le bord de la rivière est agréable. Je me promenai avec Madame Élisabeth sur cette terrasse avant le dîner, et là je lui parlai avec toute la franchise et la véracité de mon caractère ; je lui représentai combien le roi était mal entouré, mal conseillé je lui parlai de tous les intrigants, de toutes les manœuvres de la cour avec la dignité d'un homme libre et le dédain d'un homme sage. Je mis de la force, de la persuasion dans l'expression de mes sentiments, et l'indignation de la vertu lui rendit sensible et attachant le langage de la raison elle parut attentive à ce que je lui disais elle en parut touchée elle se plaisait à mon entretien, et je me plaisais à l'entretenir. Je serais bien surpris si elle n'avait pas une belle et bonne âme, quoique très-imbue des préjugés de naissance et gâtée par les vices d'une éducation de cour. Barnave causa un instant avec la reine, mais, à ce qu'il me parut, d'une manière assez indifférente. Le roi vint lui-même sur la terrasse nous engager à dîner avec lui. Nous conférâmes, MM. Maubourg, Barnave et moi, pour savoir si nous accepterions. Cette familiarité, dit l'un, pourrait paraître suspecte. — Comme ce n'est pas l'étiquette, dit l'autre, on pourrait croire que c'est à l'occasion de la situation malheureuse qu'il nous a invités. Nous convînmes de refuser, et nous fûmes lui dire que nous avions besoin de nous retirer pour notre correspondance, ce qui nous empêchait de répondre à l'honneur qu'il nous faisait. On servit le roi ainsi que sa famille dans une salle séparée on nous servit dans une autre. Les repas furent splendides. Nous nous mîmes à cinq heures en marche. En sortant de La Ferté, il y eut du mouvement et du bruit autour de la voiture. Les citoyens forçaient la garde nationale, la garde nationale voulait empêcher d'approcher. Je vis un de nos députés, Kervelegan, qui perçait la foule, qui s'échauffait avec les gardes nationaux qui cherchaient à l'écarter et qui approcha de la portière en jurant, en disant : Pour une brute comme celle-là, voilà bien du train. J'avançai ma tête hors de la portière pour lui parler ; il était très-échauffé ; il me dit : Sont-ils tous là ? Prenez garde, car on parle encore de les enlever ; vous êtes là environnés de gens bien insolents ! Il se retira et la reine me dit d'un air très-piqué et un peu effrayé : Voilà un homme bien malhonnête ! Je lui répondis qu'il se fâchait contre la garde qui avait agi brusquement à son égard. Elle me parut craindre, et lé jeune prince 'jeta deux ou trois cris de frayeur. Cependant nous cheminions tranquillement. La reine, à côté
de qui j'étais, m'adressa fréquemment la parole, et j'eus occasion de lui
dire avec toute franchise ce que l'on pensait de la cour, ce que l'on disait
de tous les intrigants qui fréquentaient le château. Nous parlâmes de l'Assemblée nationale, du côté droit, du côté gauche, de Malouet, de Maury, de Cazalès, mais avec cette aisance que l'on met avec ses amis. Je ne me gênai en aucune manière je lui rapportai plusieurs propos qu'on ne cessait de tenir à la cour, qui devenaient publics et qui indisposaient beaucoup le peuple ; je lui citai les journaux que lisait le roi. Le roi, qui entendait très-bien toute cette conversation, me dit : Je vous assure que je ne lis pas plus l'Ami du roi que Marat. La reine paraissait prendre le plus vif intérêt à cette discussion elle l'excitait, elle l'animait, elle faisait des réflexions assez fines, assez méchantes. Tout cela est fort bon, me dit-elle on blâme beaucoup le roi, mais on ne sait pas assez dans quelle position il se trouve ; on lui fait à chaque instant des récits qui se contredisent, il ne sait que croire on lui donne successivement des conseils qui se croisent et se détruisent, il ne sait que faire comme on le rend malheureux, sa position n'est pas tenable ; on ne l'entretient en même temps que de malheurs particuliers, que de meurtres c'est tout cela qui l'a déterminé à quitter la capitale. La couronne, m'ajouta-t-elle, est en suspens sur sa tête. Vous n'ignorez pas qu'il y a un parti qui ne veut pas de roi, que ce parti grossit de jour en jour. Je crus très-distinctement apercevoir l'intention de la reine en laissant échapper ces derniers mots : pour mieux dire, je ne pus pas me méprendre sur l'application qu'elle voulait en faire. Eh bien ! lui dis-je, Madame, je vais vous parler avec toute franchise, et je pense que je ne vous serai pas suspect. Je suis un de ceux que l'on désigne sous le titre de républicains et, si vous le voulez, un des chefs de ce parti. Par principe, par sentiment, je préfère le gouvernement républicain à tout autre. Il serait trop long de développer ici moi idée, car il est telle ou telle république que j'aimerais moins que le despotisme d'un seul. Mais il n'est que trop vrai, je ne demande pas que vous en conveniez, mais il n'est que trop vrai que presque partout les rois ont fait le malheur des hommes ; qu'ils ont regardé leurs semblables comme leur propriété ; qu'entourés de courtisans, de flatteurs, ils échappent rarement aux vices de leur éducation première. Mais, madame, est-il exact de dire qu'il existe maintenant un parti républicain qui veuille renverser la Constitution actuelle pour en élever une autre sur ses ruines ? On se plaît à le répandre pour avoir le prétexte de former également un autre parti hors la Constitution, un parti royaliste non constitutionnel, pour exciter des troubles intérieurs. Le piège est trop grossier. On ne peut pas, de bonne foi, se persuader que le parti appelé républicain soit redoutable ; il est composé d'hommes sages, d'hommes à principes d'honneur, qui savent calculer et qui ne hasarderaient pas un bouleversement général qui pourrait conduire plus facilement au despotisme qu'à la liberté. Ah Madame, que le roi eût été bien conduit, s'il eut favorisé sincèrement la révolution ! Les troubles qui nous agitent n'existeraient pas, et déjà la Constitution marcherait, les ennemis du dehors nous respecteraient ; le peuple n'est que trop porté à chérir et idolâtrer ses rois. Je ne puis dire avec quelle énergie, avec quelle abondance d'âme je lui parlai j'étais animé par les circonstances et surtout par l'idée que les germes de la vérité que je jetais pourraient fructifier, que la reine se souviendrait de ce moment d'entretien. Je m'expliquai enfin très-calmement sur l'évasion du roi. La reine, Madame Élisabeth répétaient souvent que le roi avait été libre de voyager dans le royaume, que son intention n'avait jamais été d'en sortir. Permettez-moi, disais-je à la reine, de ne pas pénétrer dans cette intention. Je suppose que le roi se fût arrêté d'abord sur la frontière ; il se serait mis dans une position à passer d'un instant à l'autre chez l'étranger ; il se serait, peut-être trouvé forcé de le faire, et puis, d'ailleurs, le roi n'a pas pu se dissimuler que son absence pouvait occasionner les plus grands désordres. Le moindre inconvénient de son éloignement de l'Assemblée nationale était d'arrêter tout court la marche des affaires. Je ne me permis pas néanmoins une seule fois de laisser entrevoir mon avis sur le genre de peine que je croirais applicable à un débit de cette nature. A mon tour je mis quelque affectation à rappeler le beau calme qui avait existé dans Paris à la nouvelle du départ du roi. Ni la reine, ni Madame Élisabeth ne répondirent jamais un mot sur cela. Elles ne dirent pas que rien n'était plus heureux ; je crus même apercevoir qu'elles en étaient très-piquées ; elles eurent au moins la bonne foi de ne pas paraître contentes. Nous arrivâmes à Meaux de bonne heure. Le roi, sa famille et nous, nous descendîmes à l'évêché. L'évêque était constitutionnel, ce qui ne dut pas beaucoup plaire au roi ; mais il ne donna aucun signe de mécontentement. Des sentinelles furent posées à toutes les issues. Le roi soupa très-peu, se retira de bonne heure dans son appartement. Comme il n'avait pas de linge, il emprunta une chemise à l'huissier qui nous accompagnait. Nous nous fîmes servir dans nos chambres ; nous mangeâmes à la hâte un morceau et nous fîmes nos dépêches. Nous partîmes de Meaux à six heures du matin. Je repris ma place première, entre Madame Élisabeth et madame de Tourzel, et Barnave se plaça entre le roi et la reine. Jamais journée ne fut plus longue et plus fatigante. La chaleur fut extrême et des tourbillons de poussière nous enveloppaient. Le roi m'offrit et me versa à boire plusieurs fois. Nous restâmes douze heures entières en voiture sans descendre un moment. Ce qui me surprit beaucoup, c'est que la reine, Mademoiselle, Madame Élisabeth et madame de Tourzel ne manifestèrent aucun besoin. Le jeune prince lâcha deux ou trois fois de l'eau. C'était le roi lui-même qui lui déboutonna sa culotte et qui le faisait pisser dans une espèce de grande tasse d'argent. Barnave tint cette tasse une fois. On a prétendu que la voiture renfermait des espèces de commodités à l'anglaise. Cela peut être, mais je ne m'en suis pas aperçu. Une chose que je remarquai, c'est que Mademoiselle se mit constamment sur mes genoux sans en sortir, tandis qu'auparavant elle s'était placée tantôt sur madame de Tourzel, tantôt sur Madame Élisabeth. Je pensai que cet arrangement était concerter qu'étant sur moi on la regardait comme dans un asile sûr et sacré que le peuple, en cas de mouvement, respecterait. Nous marchâmes tranquillement jusqu'à Pantin. La cavalerie qui nous avait accompagnés depuis Meaux et un détachement de celle de Paris nous servaient d'escorte et environnaient la voiture. Lorsque la garde nationale à pied nous eut joints, un peu au-dessus de Pantin, il y eut un mouvement qui menaçait d'avoir des suites. Les grenadiers faisaient reculer les chevaux, les cavaliers résistaient ; les chasseurs se réunissaient aux grenadiers pour éloigner la cavalerie. La mêlée devint vive ; on lâcha de gros mots, on allait en venir aux mains ; les baïonnettes roulaient autour de la voiture, dont les glaces étaient baissées. Il était très-possible qu'au milieu de ce tumulte des gens malintentionnés portassent quelques coups à la reine. J'apercevais des soldats qui paraissaient très-irrités, qui la regardaient de fort mauvais œil. Bientôt elle fut apostrophée : La b..... de g......, la p..... criaient des hommes échauffés, elle a beau nous montrer son enfant, on sait bien qu'il n'est pas de lui. Le roi entendit très-distinctement ces propos. Le jeune prince, effrayé du bruit, du cliquetis des armes, jeta quelques cris d'effroi ; la reine le retint, les larmes lui routaient dans les yeux. Barnave et moi, voyant que la chose pouvait devenir sérieuse, nous mimes la tête aux portières nous haranguâmes, on nous témoigna de la confiance. Les grenadiers nous dirent : Ne craignez rien, il n'arrivera aucun mal, nous en répondons, mais le poste d'honneur nous appartient. C'était en effet une querelle de prééminence, mais qui pouvait s'envenimer et qui aurait pu conduire à des excès. Lorsque ces postes furent une fois remplis par les grenadiers, il n'y eut plus de dispute ; nous marchions sans obstacles, à la vérité très-lentement. Au lieu d'entrer dans Paris par la porte Saint-Denis nous fîmes le tour des murs et nous passâmes par la porte de la Conférence. Le concours du peuple était immense, et il semblait que tout Paris et ses environs étaient réunis dans les Champs-Élysées. Jamais un spectacle plus imposant ne s'est présenté aux regards des hommes. Les toits des maisons étaient couverts d'hommes, de femmes et d'enfants ; les barrières en étaient hérissées, les arbres en étaient remplis ; tout le monde avait le chapeau sur la tête, le silence le plus majestueux régnait ; la garde nationale portait le fusil la crosse en haut. Ce calme énergique était quelquefois interrompu par les cris Vive la Nation ! Le nom de Barnave et le mien étaient quelquefois mêlés à ces cris, ce qui faisait l'impression la plus douloureuse à Madame Élisabeth surtout. Ce qu'il y a de remarquable, c'est que nulle part je n'entendis proférer une parole désobligeante contre le roi ; on se contentait de crier Vive la Nation ! Nous passâmes sur le pont tournant, qui fut fermé aussitôt, ce qui coupa le passage il y avait néanmoins beaucoup de monde dans les Tuileries, des gardes nationaux surtout. Une partie des députés sortit de la salle pour être témoin du spectacle. On remarqua M. d'Orléans, ce qui parut au moins inconsidéré. Arrivés en face de la grille d'entrée du château et au pied de la première terrasse, je crus qu'il allait se passer une scène sanglante. Les gardes nationaux se pressaient autour de la voiture sans ordre et sans vouloir rien entendre. Les gardes du corps qui étaient sur le siège excitaient l'indignation, la rage des spectateurs. On leur présentait des baïonnettes avec les menaces et les imprécations les plus terribles. Je vis le moment ou ils allaient être immolés sous nos yeux. Je m'élance de tout mon corps hors de la portière ; j'invoque la loi ; je m'élève contre l'attentat affreux qui va déshonorer les citoyens je leur dis qu'ils peuvent descendre je le leur commande avec un empire qui en impose on s'en empare assez brusquement ; mais on les protège et il ne leur est fait aucun mal. Des députés fendent la foule, arrivent, nous secondent, exhortent, parlent au nom de la loi. M. de La Fayette, dans le même moment, paraît à cheval au milieu des baïonnettes, s'exprime avec chaleur ; le calme ne se rétablit pas, mais il est facile de voir qu'il n'existe aucune intention malfaisante. On ouvre les portières le roi sort, on garde le silence la reine sort, on murmure avec asses de violence ; les enfants sont reçus avec bonté, même avec attendrissement ; je laisse passer tout le monde, les députés accompagnaient, je clos la marche. Déjà la grille était fermée je suis très-froissé avant de pouvoir entrer. Un garde me prend au collet et allait me donner une bourrade, ne me connaissant pas, lorsqu'il est arrêté tout à coup, on décline mon nom, il me fait mille excuses. Je monte dans les appartements. Le roi et sa famille étaient là dans la pièce qui précède la chambre à coucher du roi, comme de simples voyageurs fatigués, assez mal en ordre ; appuyés sur des meubles. Une scène très-originale et très-piquante, c'est que Corollaire[1], s'approchant du roi et prenant le ton doctoral, mitigé cependant par un peu de bonté, le réprimandait comme un écolier. N'avez-vous pas fait là, lui disait-il, une belle équipée ? Ce que c'est que d'être mal environné ! Vous êtes bon, vous êtes aimé voyez quelle affaire vous avez là ! Et puis il s'attendrissait on ne peut se faire une idée de cette bizarre mercuriale il faut l'avoir vue pour la croire. Quelques minutes écoulées, nous passâmes, Maubourg, Barnave et moi dans l'appartement du roi ; la reine. Madame Élisabeth y passèrent également. Déjà tous les valets y étaient rendus dans leur costume d'usage. Il semblait que le roi revenait d'une partie de chasse on lui fit la toilette. En voyant le roi, en le contemplant, jamais on n'aurait pu deviner tout ce qui venait de se passer il était tout aussi flegme, tout aussi tranquille que si rien eût été. Il se mit sur-le-champ en représentation tous ceux qui l'entouraient ne paraissaient pas seulement penser qu'il fut survenu des événements qui avaient éloigné le roi pendant plusieurs jours et qui le ramenaient. J'étais confondu de ce que je voyais. Nous dîmes au roi qu'il était nécessaire qu'il nous donnât les noms des trois gardes du corps ; ce qu'il fit. Comme j'étais excédé de fatigue et que je haltais de soif, je priai Madame Élisabeth de vouloir bien me faire donner des rafraîchissements, ce qui fut fait à l'instant. Nous n'eûmes que le temps de boire deux ou trois verres de bière. Nous nous rendîmes ensuite auprès des gardes du corps, que nous mîmes dans un état d'arrestation. Nous donnâmes ordre à M. de La Fayette de faire garder à vue madame de Tourzel nous confiâmes à sa garde la personne du roi. Il nous dit qu'il ne pouvait répondre de rien s'il ne pouvait mettre des sentinelles jusque dans sa chambre. Il nous fit sentir la nécessité que l'Assemblée s'expliquât clairement, positivement à ce sujet. Nous le quittâmes en lui disant que c'était juste, et nous fûmes sur-le-champ à l'Assemblée pour lui rendre un compte succinct de notre mission. |
[1] Note en marge, d'une autre écriture : C'est sans doute Coroller du Moustoir, député de la province de Bretagne.