La constitution civile du clergé, après avoir été discutée pendant près de trois mois par l'Assemblée constituante, fut décrétée le 12 juillet 1790, et sanctionnée par Louis XVI le 24 août suivant. Cette constitution bouleversait les circonscriptions ecclésiastiques dans leur hiérarchie, leur étendue et leur nombre, remettait à des électeurs laïques le choix exclusif des évêques et des curés[1], soumettait les autorités religieuses de tout ordre à la surveillance et à la censure des autorités civiles, administratives et judiciaires[2] ; interdisait aux évêques nouvellement élus de s'adresser au pape à l'effet d'obtenir la confirmation de leur nomination[3] ; imposait à tout ecclésiastique recevant un traitement de l'Etat, et par conséquent considéré comme fonctionnaire public, l'obligation de prêter, sous peine d'être déchu de ses fonctions, un serment qui. dans ses termes généraux, impliquait une adhésion absolue à des dispositions législatives dont on ne pouvait apprécier la portée, puisqu'elles n'existaient pas encore[4]. — La constitution française ne fut promulguée que le 3 septembre 1791, plus d'un an après la loi du 12 juillet-21 août 1790. Avant et pendant la discussion de la constitution civile du clergé, l'Assemblée nationale avait protesté solennellement, à plusieurs reprises, de son respect pour la religion catholique, apostolique et romaine[5]. Mais les faits sont plus puissants que les protestations les plus solennelles et les plus réitérées. Quelques députés, se constituant de leur pleine autorité docteurs en théologie et droit canon, eurent beau accumuler les textes et les citations pour prouver que l'on ne faisait qu'appliquer les doctrines de l'Église gallicane et que l'on ne touchait ni aux rites ni aux dogmes, le bon sens public ne se laissa pas prendre à ces déclarations. Les catholiques sincères sentirent instinctivement leur conscience s'alarmer. Ils comprirent que l'Assemblée constituante venait d'empiéter sur le gouvernement des âmes, et que, par sa prétendue réorganisation du clergé français, 'faite sans l'aveu' ou plutôt, comme elle le reconnaissait elle-même, contre la volonté du souverain pontife, elle avait déchiré le pacte qui, depuis tant de siècles, unissait l'Eglise de France à la papauté. Tout d'abord, les autorités ecclésiastiques opposèrent la force d'inertie aux empiétements de l'autorité civile, et se contentèrent de protester par un grand nombre d'écrits, de brochures, de lettres pastorales, contre cette constitution[6] ; mais l'évêque de Quimper étant mort, et un membre de l'Assemblée nationale (Expilly) ayant été choisi à sa place par les électeurs du Finistère, il fallut prévoir le cas où le métropolitain refuserait de procéder à l'installation du nouvel élu. Le 24 et le 27 novembre 1790, l'Assemblée rendit coup sur coup deux décrets destinés à vaincre, selon elle, toutes les résistances ouvertes ou tacites. Aux termes du premier de ces décrets, l'évêque élu devait se présenter, assisté de deux notaires, devant le métropolitain et le requérir de lui accorder la confirmation canonique. Si le métropolitain s'y refusait, l'élu devait, en personne ou représenté par un fondé de pouvoir, visiter successivement tous les évêques de la circonscription archiépiscopale, leur exhiber, en présence des deux inévitables notaires, les procès-verbaux des refus éprouvés précédemment de la part du métropolitain ou de ses suffragants, et réclamer de l'un d'eux cette confirmation. Enfin, dans le cas d'insuccès de toutes ses démarches, le prélat repoussé pouvait appeler comme d'abus du refus successif des évêques, par-devant le tribunal du district où le siège de son évêché était situé. Ainsi c'était un tribunal de district, dernier degré de la nouvelle organisation judiciaire, qui était appelé à connaître de ces appels comme d'abus, sur lesquels, autrefois, les cours souveraines de la monarchie avaient seules le droit de se prononcer. C'était, par voie de conséquence, la même tribunal qui se trouvait investi du droit de casser l'élection de l'évêque ou de désigner par quel autre évêque il serait consacré. Cette juridiction suprême, accordée à d'humbles tribunaux de district, sans consistance, sans précédents, sans autorité morale, ne pouvait être considérée par l'épiscopat français que comme une nouvelle insulte. Une loi spéciale, rendue le 24 juillet 1790 et sanctionnée en même temps que la constitution civile (24 août 1790), avait déclaré qu'aucun traitement ne pourrait être touché par les évêques et curés conservés dans leurs sièges, s'ils n'avaient préalablement prêté le serment prescrit par cette constitution. Mais les évêques et curés qui n'avaient pas prêté serment n'avaient pas cru devoir abandonner leurs diocèses et paroisses pour une question d'argent, et avaient continué, comme par le passé, à exercer le saint ministère. Par le décret du 27 novembre, t'Assemblée déclara que les évoques et curés qui étaient restés en place seraient tenus de prêter dans la huitaine te serment constitutionnel faute de quoi, passé ce délai, les récalcitrants seraient censés avoir donné leur démission, et, s'ils continuaient à s'immiscer dans leurs anciennes fonctions, poursuivis par-devant les tribunaux de district, réputés rebelles à la loi, perturbateurs du repos public, et, comme tels, privés de leurs traitements, déchus des droits de citoyens actifs, rendus incapables d'occuper tout emploi, et encore exposés à l'application de peines plus fortes, suivant l'exigence et la gravité des cas. Louis XVI hésita à sanctionner ces deux décrets durant un mois entier mais l'Assemblée insista très-vivement pour obtenir la double sanction et députa même son président auprès de lui pour lui arracher son consentement. De guerre lasse, te malheureux monarque finit, comme toujours, par se rendre aux vœux de l'Assemblée car il avait dans ce moment pour politique de ne jamais s'opposer ouvertement à aucune des mesures décrétées par la Constituante, mais de les sanctionner comme contraint et forcé. La sanction royale fut donc donnée le 26 décembre 1790 à ces deux décrets. Dès le lendemain, l'un des principaux promoteurs de la constitution civile du clergé et de tous les décrets qui en avaient été la conséquence logique et inévitable, l'abbé Grégoire se présenta à la tribune pour prêter le serment constitutionnel mais avant de le faire, il prononça, en son nom propre et au nom des ecclésiastiques qui avaient voté dans le même sens que lui, un discours dans lequel il faisait profession du plus profond respect, du plus sincère attachement pour la religion catholique, apostolique et romaine. Ce serait, s'écria-t-il, calomnier l'Assemblée nationale que de lui supposer le projet de mettre la main sur l'encensoir. Jamais elle n'a voulu porter la moindre' atteinte au dogme, à la hiérarchie, à l'autorité spirituelle du chef de l'Église elle reconnaît que ces objets sont hors de son domaine. Vaines paroles, dont cependant on doit tenir compte à Grégoire, car elles témoignent de sa bonne foi, bonne foi dont il donna du reste, trois ans plus tard, une preuve éclatante en refusant, malgré les murmures de la Convention et les menaces des tribunes jacobines, de s'associer aux indignes saturnales de Gobel et des autres sectateurs du culte de la déesse Raison[7]. Dès que l'abbé Grégoire eut prêté serment, son exemple fut imité par une soixantaine de curés, par le chartreux dom Gerle et plusieurs moines ou prêtres séculiers qui, n'ayant point charge d'âmes, ne se trouvaient pas astreints à cette formalité. Le 28 décembre, Talleyrand, évêque d'Autun, et, cinq jours après, Gobel ; alors évêque de Lydda et suffragant de l'évêque de Bâle, prêtèrent serment et entraînèrent environ quarante autres ecclésiastiques, ce qui porta à une centaine le nombre des prêtres-jureurs de l'Assemblée — à peu près le tiers des députés envoyés par l'Ordre du clergé. Cependant la huitaine de rigueur allait expirer, et ce nombre n'augmentait pas les évêques et les autres prêtres restaient sur leurs bancs, immobiles et silencieux. Le comité ecclésiastique, se demandait-on avec anxiété, aurait-il l'audace et la force d'aller jusqu'au bout dans une voie qui, évidemment déjà, ne pouvait aboutir qu'à la persécution religieuse et à la guerre civile ? Le 2 janvier, l'évêque de Clermont monte à la tribune, non pour prêter serment, mais pour protester une dernière fois contre le droit que, contrairement à la déclaration des droits de l'homme, l'Assemblée s'arrogeait d'exercer un empire sur les consciences. Mais Treilhard demande qu'il ne soit pas permis au prélat de poursuivre le développement de son opinion, et que cette question lui soit adressée : Voulez-vous prêter un serment pur et simple ? L'évêque essaye encore de s'expliquer, la parole lui est coupée par un ordre du jour, et t'Assemblée décide que le délai accordé par la loi du 26 décembre expirera le 4 janvier, à une heure après midi. Ce jour-là et à cette heure, le président annonce qu'il va interpeller les ecclésiastiques revêtus de fonctions publiques et membres de t'Assemblée, afin qu'ils aient à déclarer s'ils veulent, oui ou non, prêter le serment exigé par la loi du 27 novembre. Il ajoute qu'il procédera par ordre de bailliages ou sénéchaussées à l'appel nominal de chacun des ecclésiastiques présents, en les invitant individuellement jurer Le premier appelé est l'évêque d'Agen. Je ne donne, dit-il, aucun regret à ma place, aucun regret à ma fortune. J'en donnerais à la perte de votre estime, que je veux mériter. Je vous prie donc d'agréer le témoignage de la peine que je ressens de ne pouvoir prêter serment. — On appelle l'abbé Fournés, du même diocèse il répond : Je dirai avec la simplicité des premiers chrétiens Je me fais gloire et honneur de suivre mon évêque, comme Laurent suivit son pasteur. L'appel nominal continue durant quelques minutes mais bientôt il est, interrompu sur la motion de ceux mêmes qui l'avaient réclamé un moment auparavant, car ils se sont aperçus de l'effet désastreux que peut avoir pour leur œuvre le refus digne et noble que chacun des opposants s'apprête à venir faire à la tribune. Le président interpelle donc en masse les évêques, curés et prêtres qui n'ont pas encore prêté serment, afin qu'ils viennent le prêter. Un morne silence est la seule réponse qu'il reçoit. L'évoque de Poitiers essaye encore, malgré les murmures de la gauche, de faire entendre une protestation contre la violence qui va l'arracher à son troupeau : J'ai soixante-dix ans, j'en ai passé trente-cinq dans l'épiscopat, où j'ai fait tout le bien que je pouvais faire. Accablé d'années et d'études, je ne veux pas déshonorer ma vieillesse, je ne veux pas prêter un serment qui... Il ne peut continuer, sa voix se perd au milieu d'un effroyable tumulte. Enfin l'ordre se rétablit quelque peu, et le président renouvelle son interpellation collective. Le silence reste cette fois absolu. En conséquence, il est décrété que, hormis Talleyrand et Gobel, tous les évêques membres de la Constituante sont déchus de leurs sièges, et que le roi est invité à donner des ordres pour qu'il soit pourvu à leur remplacement dans les formes déterminées par la loi du 24 août précédent. Par le vote de ce décret se termina la séance à jamais mémorable du 4 janvier 1791, dans laquelle l'épiscopat français maintint héroïquement sa liberté et sa foi, et où l'on vit, ce qui ne s'était pas encore vu dans notre pays, une assemblée laïque trancher définitivement, de son autorité privée, la plus épineuse des questions qui puissent être posées à la conscience humaine. L'Assemblée constituante s'était laissée entraîner par degrés beaucoup plus loin qu'elle n'avait d'abord voulu aller. Et pourtant les avertissements ne lui avaient pas manqué. En vain Sieyès, à l'occasion de l'abolition des dîmes, lui avait-il fait entendre cette parole mémorable, qui peut être appliquée à toutes les époques et à toutes les questions Vous voulez être libres, et vous ne savez pas être justes En vain l'abbé de Montesquiou avait-il dit : Les plus malheureux ne sont pas ceux qui souffrent l'injustice, mais ceux qui la font. En vain M. de Montlosier s'était-il écrié : Si vous chassez les évêques de leurs maisons épiscopales, ils se retireront dans la chaumière du pauvre qu'ils ont nourri si vous leur enlevez leur croix d'or, ils en prendront une de bois... c'est une croix de bois qui a sauvé le monde... En vain Cazalès avait-il soulevé un coin du voile de l'avenir en prononçant ces prophétiques paroles : Croyez-vous, en chassant ces évêques de leurs sièges, ces curés de leurs presbytères, vaincre la résistance que leur conscience vous oppose ? Non, vous êtes au premier pas de la persécution qui s'ouvre devant vous. Doutez-vous qu'une partie des fidèles ne demeure attachée à ses anciens pasteurs et aux principes éternels de l'Eglise ? Alors le schisme est introduit, les querelles de religion commencent, le royaume sera divisé. Vous verrez les catholiques, errant sur la surface de l'empire, suivre dans les cavernes, dans les déserts, leurs ministres persécutés, afin de recevoir d'eux des sacrements valides. Pourquoi craindriez-vous de revenir sur un décret, même d'en suspendre l'exécution ? Vous êtes des législateurs sages et humains, vous ne sacrifierez pas tant de victimes à votre fol orgueil !... Par une incroyable aberration, la majorité de l'Assemblée avait pris pour évangile la profession de foi du Vicaire savoyard, pour guides spirituels Mirabeau, le fougueux débauché, Camus, le froid janséniste. Ce furent eux qui réussirent, l'un par son irrésistible talent, l'autre par ses convictions profondes, à faire adopter les résolutions, de plus en plus persécutrices, auxquelles la Constituante se trouva fatalement entraînée. Et cependant, au jour du triomphe complet des idées qu'ils avaient fait prévaloir, lorsqu'il ne s'agissait plus que de faire connaître par une adresse à la France entière les motifs qui avaient guidé t'Assemblée dans toutes ses innovations en matière religieuse, on vit apparaître l'immense dissentiment qui séparait ces deux hommes réunis pour détruire, impuissants à remplacer t'œuvre de tant de siècles. Mirabeau lisait (14 janvier 1791) le projet d'adresse qu'il avait fait adopter au comité ecclésiastique tout à coup il est violemment interrompu par Camus, qui déclare que, dans ce projet, il y a des abominations que l'on ne peut entendre de sang-froid. Sur une pareille déclaration, le comité, qui avait été ébloui par la phraséologie sonore de l'ardent orateur, se ravise et demande lui-même qu'on renvoie de nouveau à son examen ce projet d'adresse, qu'il avait adopté sans l'examiner de trop près, et que, quelques jours après, il remplaça par un autre où l'on s'était efforcé de rester un peu plus orthodoxe. Dans cette déclaration célèbre, l'Assemblée constituante proclamait son profond respect pour les dogmes de l'Église catholique, dont le pape, disait-elle elle-même, est le chef visible sur la terre elle reconnaissait qu'il n'était pas en son pouvoir de porter atteinte à ces dogmes, prétendait qu'elle n'avait ni fait, ni voulu, ni pu faire aucune entreprise sur l'autorité spirituelle de l'Église protestait de la pureté de ses vues et de la droiture de ses intentions, mais annonçait en même temps sa volonté inébranlable de persister dans les résolutions qu'elle avait prises[8]. Deux prélats, dans le sein de l'Assemblée, avaient prêté le serment, Talleyrand et Gobel trois autres, Loménie de Brienne, archevêque de Sens[9], Jarente, évêque d'Orléans, Savines, évêque de Viviers, qui ne faisaient pas partie de la Constituante, avaient suivi leur exemple. C'était plus qu'il n'en fallait pour consacrer tous les évêques qui allaient s'introniser dans les sièges que, de sa pleine autorité, l'Assemblée venait de déclarer 'vacants. Afin donc que les cinq évêques-jureurs eussent toutes facilités pour se donner de nouveaux collègues, l'Assemblée rendit un dernier décret (28 janvier 1791) par lequel elle autorisait les évêques nouvellement élus à se pourvoir auprès du directoire du département, pour qu'il leur fut indiqué un évêque français quelconque, assermenté, qui recevrait canoniquement le nouvel évêque, malgré le refus du métropolitain et des prélats de son ressort. Du 24 février au 1er mai 1791, les quatre-vingts nouveaux évêques furent élus et sacrés. Gobel, pour prix de ses complaisances, obtint l'évêché de Paris. Talleyrand, au contraire, renonça au siège d'Autun et y fit nommer à sa place l'abbé Gouttes, l'un des membres du comité ecclésiastique qui avaient le plus contribué à faire adopter la nouvelle constitution. D'autres membres de l'Assemblée constituante furent naturellement appelés à occuper plusieurs des sièges dont leur vote avait contribué à faire expulser les anciens titulaires[10]. Le clergé français se trouva dès lors divisé en deux catégories, les assermentés et les insermentés. Un grand nombre de prêtres, qui avaient d'abord prêté le serment exigé par la loi du 24 août 1790, sans en comprendre toute la portée, se rétractèrent. Des troubles commencèrent bientôt à éclater de toutes parts, dans les campagnes du Haut-Rhin, du Bas-Rhin, du Gard et de l’Hérault, ainsi que dans les villages de Normandie, de Bretagne, du Poitou et même à Paris, ici contre les prêtres réfractaires, là en leur faveur. Avant de se séparer, l’Assemblée constituante put donc mesurer d'un œil consterné l'étendue du mal que son imprudente immixtion dans les matières religieuses avait enfanté. De février en septembre 1791, la Constituante n'avait plus rendu, pour tout ce qui concerne la constitution civile du clergé, que des décrets de peu d'importance elle n'avait eu qu'à tirer les conséquences logiques des principes posés. Ces décrets, comme les autres. Louis XVI les avait revêtus de sa sanction royale, sans mot dire, laissant, par une déplorable faiblesse, les choses arriver à un point ou il devint impossible de faire cesser l'inextricable désordre dans lequel avait été plongée l'Église de France. Les questions religieuses furent, pour ainsi dire, constamment à l'ordre du jour pendant tout le cours de la Législative. C'étaient, il faut le reconnaître, les plus graves du moment elles renaissaient sans cesse sous toutes les formes. Quoi qu'elle en eût, la Législative était forcée de suivre en cette matière les errements de la Constituante la majorité, du reste, n'y était que trop bien disposée. Chaque jour, des orateurs, tout en proclamant leur respect pour la liberté de conscience, proposaient les mesures les plus intolérantes. Ainsi, le 21 octobre, Lejosne demandait que les prêtres qui avaient refusé le serment civique fussent internés au chef-lieu du département, et, pour expliquer ce traitement exceptionnel, partant contraire à la constitution, il s'écriait : Les prêtres ne sont pas des citoyens ordinaires ! Ainsi, le 26, Fauchet, évêque constitutionnel du Calvados, commençait son discours par ces mots : Point de persécution le fanatisme en est avide, la philosophie l'abhorre la vraie religion la repousse, et ce n'est point dans l'Assemblée nationale qu'on l'érigera en loi. Puis, après un si bel exorde, il concluait à ce que l'on refusât le payement de leur pension aux prêtres non assermentés, les vieillards et invalides exceptés ; à ce que ceux d'entre eux qui seraient convaincus d'avoir excité des troubles fussent condamnés à vingt ans de gêne ! Ainsi, le 6 novembre, Isnard lançait une dénonciation furibonde contre les prêtres insermentés, ces pestiférés, disait-il, qu'il faudrait envoyer en masse dans les lazarets d'Italie. Une telle intolérance rencontra cependant quelques contradicteurs dans le sein de l'Assemblée, même parmi les prêtres qui s'étaient distingués par leur ardeur à prêter le serment et à adopter les idées nouvelles. Torné, évêque constitutionnel de Bourges, répondait aux propositions de Fauchet et d'Isnard : Condamner à la faim des hommes ci-devant fortunés, après les avoir déjà condamnés à l'indigence, ce serait une cruelle et basse parcimonie. Elle n'aurait que la dureté du corsaire, sans avoir l'iniquité du vol mais en serait-elle moins pour cette législature une tache éternelle ?... Grâce pour l'insermenté, auquel on ne peut reprocher que son grabat et son scrupule ! Gensonné rappelait que le respect pour la liberté individuelle est le plus sûr garant de la liberté publique, et qu'on ne doit jamais cesser d'être juste, même envers ses ennemis. Il proposait de séparer de la religion tout ce qui tient à l'ordre civil, de réduire les ministres du culte, salariés par l'État, à des fonctions purement religieuses d'enlever au clergé séculier et régulier les registres de l'état civil, l'enseignement national, l'administration de la bienfaisance et des hôpitaux. Alors, les prêtres n'étant plus fonctionnaires publics, vous pouvez adoucir la rigueur des lois relatives-au serment ecclésiastique vous ne gênerez plus la liberté des opinions, vous ne tourmenterez plus les consciences, vous n'inviterez plus, par l'intérêt, les hommes au parjure[11]. L'Assemblée, au milieu de tant d'opinions contradictoires, déféra toutes les questions religieuses à un comité qu'elle institua exprès. Le 29 novembre, sur le rapport de ce nouveau comité, dit de surveillance, il fut décrété Tous les ecclésiastiques prêteront le serment civique dans le délai de huit jours ; Les réfractaires seront privés de tout traitement, de toute pension ; Ils seront réputés suspects de révolte contre la loi et de mauvaises intentions contre la patrie, et soumis à la surveillance des autorités ; Ils pourront être éloignés provisoirement, en vertu d'un arrêté du directoire départemental, des communes où surviendraient des troubles ; Le refus d'obéir à cet arrêté sera puni d'un emprisonnement de deux années au plus ; La même peine sera appliquée au prêtre coupable d'avoir excité à la désobéissance aux lois ; S'il survient des troubles religieux, les frais de répression seront à la charge de la commune, sauf à elle à exercer son recours contre les instigateurs Les églises entretenues par l'État ne pourront servir d'autre culte qu'à celui des prêtres assermentés ; La liste des prêtres réfractaires sera mise sous les yeux de t'Assemblée. L'internement des prêtres non sermentés au chef-tien de chaque département ne tarda pas à paraître une mesure trop peu efficace, le mot de déportation fut prononcé et peu de jours après, l'Assemblée, glissant rapidement sur la pente fatale où elle était lancée, décida en principe, sur la proposition de Vergniaud, que cette peine serait appliquée aux prêtres perturbateurs. Lecointe-Puyraveau allait déjà beaucoup plus loin et proposait la déportation en masse de tous les prêtres insermentés sans distinction. Ce fut à cette occasion que Vergniaud voulut établir une différence entre le serment civique et le serment constitutionnel, prétendant que le serment civique étant simplement la promesse d'être fidèle aux lois de la société, celle-ci pouvait et devait y assujettir chacun de ses membres. C'était une erreur manifeste, car, par cela même que le serment civique comprenait, sous le nom générique de loi, toutes les mesures législatives adoptées par la Constituante et sanctionnées par le faible Louis XVI, il impliquait forcément la reconnaissance de la constitution civile du clergé, de toutes les autres mesures qui en avaient été la conséquence, et notamment de la séparation de la nouvelle Église et du Saint-Siège. Car celui-ci, après avoir autorisé la vente d'une certaine partie des biens du clergé, avait refusé de sanctionner les innovations introduites, sans sa participation, dans la discipline ecclésiastique. Un des curés constitutionnels de Paris, député de cette ville à l'Assemblée législative, émit, lors de cette discussion, une idée qui depuis a été bien souvent reproduite. Elle a été avec raison toujours écartée dans les temps calmes et paisibles, mais son adoption à ce moment aurait pu prévenir bien des malheurs c'était de ne plus salarier les ministres du culte sur le budget de l'État, et, par voie de conséquence, d'abolir la prétendue constitution civile du clergé. L'abbé Moy formulait ainsi sa proposition : Les électeurs n'éliront plus à l'avenir les ministres du culte catholique ; Les citoyens choisiront eux-mêmes les ministres du culte qu'ils voudront suivre ; Le traitement des ministres du culte, qui seront élus à l'avenir, ne fera plus partie de la dépense publique ; Aucun individu élu pour célébrer les cérémonies d'un culte ne pourra prétendre au titre de constitutionnel ; Celui qui sera convaincu d'avoir, par ses prédications, excité à la désobéissance aux lois, sera banni à perpétuité ; Aucun individu élu pour exercer les fonctions d'un culte ne prêtera en cette qualité de serment particulier. Contre cette proposition s'élevèrent les clameurs les plus vives du sein de la Montagne et notamment de la part de certains prêtres-jureurs qui avaient tout à perdre à ce nouveau système ; Pontard, évêque constitutionnel de Périgueux ; l'ex-capucin Chabot, devenu vicaire épiscopal de l'évêque de Blois ; Ichon, ex-supérieur dés prêtres de l'Oratoire à Condom, se distinguèrent parmi les adversaires les plus acharnés du décret proposé par le curé Moy. Cette proposition fut renvoyée à la commission des Douze, qui n'y donna pas suite. Enfin, de guerre lasse, après une discussion vingt fois abandonnée et vingt fois reprise l'Assemblée législative adopta, le 27 mai 1792, le funeste décret qui vint mettre le comble à la persécution du clergé catholique[12]. Voici quelles en étaient les principales dispositions : L'Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport de son comité des Douze. considérant que les efforts auxquels se livrent constamment les ecclésiastiques non sermentés pour renverser la constitution ne permettent pas de supposer ces ecclésiastiques la volonté de s'unir au pacte social ; que ce serait compromettre le salut public que de regarder plus longtemps comme membres de la société des hommes qui cherchent évidemment à la dissoudre ; considérant que les lois pénales sont sans force contre ces hommes qui, agissant sur les consciences pour les égarer, dérobent presque toujours leurs manœuvres criminelles aux regards de ceux qui pourraient les faire réprimer et punir ; après avoir décrété l’urgence, décrète ce qui suit : Art. 1er. La déportation des ecclésiastiques insermentés aura lieu comme mesure de sûreté publique et de police générale, dans les cas et suivant les formes énoncées ci-après. Art. 2. Seront considérés comme ecclésiastiques insermentés tous ceux qui, assujettis au serment prescrit par la loi du 26 décembre 1790, ne l'auraient pas prêté ceux aussi qui, n'étant pas soumis à cette loi, n'ont pas prêté le serment civique postérieurement au 3 septembre dernier, jour où la constitution française fut déclarée achevée ; ceux enfin qui auront rétracté l'un ou l'autre serment. Art. 3. Lorsque vingt citoyens actifs d'un même canton se réuniront pour demander la déportation d'un ecclésiastique non sermenté, le directoire du département sera tenu de prononcer la déportation, si l'avis du directoire du district est conforme à la pétition. Art. 4. Lorsque l'avis du directoire du district ne sera pas conforme à la pétition, le directoire du département sera tenu de faire vérifier par des commissaires si la présence de l'ecclésiastique ou des ecclésiastiques dénoncés nuit à la tranquillité publique ; et, sur l'avis de ces commissaires, s'il est conforme à la pétition, le directoire du département sera également tenu de prononcer la déportation. Art. 5. Dans le cas ou un ecclésiastique non sermenté aurait par des actes extérieurs excité des troubles, les faits pourront être dénoncés au directoire du département par un ou plusieurs citoyens actifs, et, après vérification des faits, la déportation sera pareillement prononcée. Art. 14. Dans le cas où l'ecclésiastique n'obéirait pas à l'arrêté du directoire, le procureur-syndic du district sera tenu de requérir la gendarmerie nationale pour le faire transférer de brigade en brigade au delà des frontières les plus voisines du tien de son départ, et les frais de cette translation, dont il sera dressé procès-verbal, seront retenus sur sa pension ou ses revenus. Art. 16. Ceux des ecclésiastiques contre lesquels la déportation aura été prononcée, qui resteraient dans le royaume après avoir déclaré leur retraite, ou qui rentreraient après leur sortie, seront condamnés à la peine de la détention pendant dix ans. Le dernier article ordonnait l'envoi du décret à la sanction dans la journée même. Mais Louis XVI ne la donna pas, et ce refus fut un des motifs mis en avant par les sections ultrarévolutionnaires de Paris pour demander sa déchéance et pour justifier les journées du 20 juin et du 10 août. |
[1] Le droit d'élire les curés était confié aux électeurs du second degré, réunis par district ; celui d'élire les évêques, aux électeurs du deuxième degré réunis par département. (V. note III.) Une seule condition était imposée aux électeurs avoir assisté à la messe paroissiale dont l'élection du pasteur devait avoir été précédée. (Art. 6 et 30 du titre II.) Ainsi les citoyens qui ne pratiquaient aucun culte, les protestants et même les juifs pouvaient, en se soumettant à la formalité dérisoire de l'audition d'une messe catholique, coopérer à la nomination des pasteurs d'une Église à laquelle ils n'appartenaient pas !
[2] Les évêques et curés ne pouvaient s'absenter de leurs diocèses ou de leurs paroisses durant plus de quinze jours consécutivement, sans l'autorisation du directoire du département ou du district ; et ce, sous peine d'être poursuivis et judiciairement privés de leur traitement pendant tout le temps de leur absence. (Art. 2, 3, 4 du titre IV.)
[3] Le nouvel évêque ne pourra s'adresser au pape pour en obtenir aucune confirmation, mais il lui écrira comme au chef visible de l'Église universelle, en témoignage de l'unité de foi et de la communion qu'il doit entretenir avec lui. (Titre II, art. 10.)
[4] Avant que la cérémonie de la consécration commence, l'élu prêtera en présence des officiers municipaux, da peuple et du clergé le serment solennel de veiller avec soin sur les fidèles du diocèse qui lui est confié, d'être fidèle à la nation, à la loi et au roi, et de maintenir de tout son pouvoir la Constitution décrétée par l'Assemblée nationale et acceptée par le Roi. (Art. 21 du titre II.) Un serment analogue était exigé des curés en vertu de l'art. 38 du même titre.
[5] Le 13 avril 1790, l'Assemblée constituante avait déclare, sur la proposition du duc de La Rochefoucauld-Liancourt, qu'elle n'avait et ne pouvait avoir aucun pouvoir a exercer sur les consciences et sur les opinions religieuses, que la majesté de la religion et le respect profond qui lui était dû ne permettaient pas qu'elle devint un sujet de délibération, qu'on ne pouvait d'ailleurs douter de l'attachement de l'Assemblée au culte catholique, apostolique et romain, puisque ce culte venait d'être mis par elle à la première place des dépenses publiques.
[6] Il est impossible d'énumérer tous les écrits qui, en 1790 et 1791, parurent sur cette question, attaquant ou défendant cette malencontreuse constitution civile du clergé. Le catalogue de la Bibliothèque impériale contient la nomenclature de deux à trois cents ouvrages écrits sur cette matière, et il est très-loin d'être complet. Pour se faire une idée sommaire, mais exacte, de la doctrine soutenue par la presque unanimité des évêques de France, il faut consulter l'exposition des principes sur la constitution civile du clergé rédigée par M. de Boisgelin, archevêque d'Aix, signée par trente évêques, députés à l'Assemblée nationale, et publiée le 30 octobre 1790.
[7] Séance dé la Convention du 17 brumaire an II.
[8] Cette adresse ou plutôt cette instruction devait être lue le premier dimanche qui en suivrait la réception, dans toutes les communes du royaume, à l'issue de la messe paroissiale, par le curé ou son vicaire, et, à leur défaut, par le maire ou le premier officier municipal.
[9] Voici le portrait que M. Thiers trace de ce prélat, qui avait été ministre de Louis XVI en 1787 (Histoire de la Révolution, p. 25, 1er vol.) Loménie, en se retirant, laissa le trésor dans la détresse, le payement des rentes de l'Hôtel de ville suspendu, toutes les autorités en lutte, toutes les provinces en armes. Quant à lui, pourvu de 800.000 francs de bénéfices, de l'archevêché de Sens et du chapeau de cardinal, s'il ne fit la fortune publique, il lit du moins la sienne. Cet indigne prélat, après avoir déchainé les tempêtes sur son pays, couronna sa vie en se faisant jacobin et apostat.
[10] Saurine dans les Landes, Marolles dans l'Aisne, Aubry dans la Meuse, Lecesve dans la Vienne, Thomas Lindet dans l'Eure, Massieu dans l'Oise, Thibault dans le Cantal, Grégoire dans le Loir-et-Cher.
[11] Moniteur, séances des 21, 26, 27 octobre et 3 novembre 1791.
[12] Quelques députes seulement eurent le courage de s'élever contre l'adoption de cette monstrueuse législation ; nous citerons parmi eux Voysin, Larivière et Dalmas (d'Aubenas).