I Le soir même du 20 juin, le ministre de l'intérieur et le département de Paris s'étaient concertés pour adopter les mesures propres a rétablir la tranquillité dans la capitale, se faire rendre un compte détaillé des événements de la journée et de la conduite des différents fonctionnaires publics, enjoindre aux juges de paix, et notamment à celui de la section des Tuileries, de commencer sans retard des informations judiciaires[1]. Mais c'était sur l'Assemblée nationale que les constitutionnels avaient surtout résolu d'agir. De l'attitude qu'elle allait prendre, après de si effroyables désordres, dépendait, en effet, la chute ou le salut de la monarchie. A peine la séance du 21 juin est-elle ouverte, que Daverhoult, l'un des membres les plus courageux de la droite, s'élance à la tribune. Un grand attentat a été commis hier, s'écrie-t-il, on a porté atteinte à la liberté du roi... De violents murmures s'élèvent Thuriot, toujours prêt à se constituer le défenseur de la municipalité parisienne, demande la parole. Il faut que M. Daverhoult soit entendu, dit Dalmas d'Aubenas ; un grand attentat a été commis, il vient en demander vengeance. Les murmures redoublent, et l'Assemblée ne peut y mettre fin qu'en décrétant, sous prétexte qu'elle n'est pas encore assez nombreuse, que Daverhoult sera entendu à midi. Mais la question qui agitait secrètement tous les esprits se représente bientôt sous une autre forme. Bigot de Préameneu, autre membre de la droite, déclare qu'il a à faire une proposition qui ne peut rencontrer d'opposants, et qu'il renoncera sans préambule : Rendez à l'instant même un décret qui interdise tout rassemblement d'hommes armés sous prétexte de pétition. — La loi existe, lui crie-t-on. — Sans doute, répliquent d'autres députés, mais c'est comme si elle n'existait pas, puisque l'Assemblée en a autorisé l'inexécution. — Il serait dangereux et inutile de faire une loi nouvelle, objecte Lecointe-Puyraveau ; vous n'avez qu'un parti à prendre, c'est d'exiger que les autorités constituées fassent exécuter celle qui est en vigueur. — Mais, hier, lui répond-on, le département est venu vous faire cette demande, et vous l'avez renvoyé. — Hier, sans doute, reprend l'orateur, la loi a été violée sous certains rapports, mais elle a été suivie sous beaucoup d'autres des citoyens de la garde nationale étaient avec ceux armés de piques, et quel homme ne verra pas dans cette mesure un grand acte de prudence de la part Je la municipalité ?... Cette opinion soulève l'indignation de la droite la gauche applaudit avec violence, et lorsque Bigot et ses amis se déclarent prêts à mourir pour maintenir le respect dû à la loi, elle accueille leurs protestations par des rires ironiques. L'Assemblée décide néanmoins que l'on renouvellera les prescriptions de la loi qui ordonne à toute députation de déposer ses armes avant d'entrer dans le sein du Corps législatif ; il en est fait application immédiate à une députation de gardes nationaux de Versailles qui, en retard de vingt-quatre heures, viennent soutenir, de leurs vœux et de leur présence, la manifestation faite la veille par leurs frères de Paris. II Les derniers groupes de la députation versaillaise sortaient lentement, lorsqu'un député s'écrie : Occupons-nous donc de faire des lois les départements ne nous ont point envoyés ici pour jouer des parades ! Et, sans plus tarder, Daverhoult monte à la tribune il rappelle qu'il a demandé la parole dès l'ouverture de la séance l'heure qui lui a été assignée est sonnée, l'Assemblée est en nombre il doit donc être entendu sur-le-champ. L'ordre du jour ! crie la gauche. Ceux qui réclament l'ordre du jour sur le crime peuvent y avoir quelque intérêt, réplique Ramond, mais ce n'est pas le nôtre. L'Assemblée commettrait la plus grande lâcheté si elle refusait d'entendre M. Daverhoult. L'ordre du jour est mis aux voix, mais l'épreuve est douteuse, et Daverhoult reste à la tribune. Un grand attentat a été commis,
dit-il sans se laisser troubler par les perpétuelles interruptions des
Montagnards ; on a porté atteinte à la liberté
et à la dignité du roi. La garde du Château a été forcée ; les portes des
appartements ont été ouvertes à coups de hache. Je demande que l'Assemblée déploie
aujourd'hui toute la grandeur de son caractère je demande qu'elle ordonne au ministre
de la justice de faire informer contre les auteurs de ces attentats, qu'elle
mande le ministre de l'intérieur, le directoire du département et le
commandant de la garde nationale parisienne, afin de savoir si les ordres
convenables avaient été donnés pour repousser cette agression, ou bien si
c'est à la désobéissance de ceux auxquels la garde du roi était confiée qu'il
faut attribuer les malheurs dont nous avons été les témoins ces
renseignements une fois obtenus, l'Assemblée prendra, je l'espère, un parti
qui n'expose plus la patrie à de pareils désastres. Cette proposition soulève l'agitation la plus vive. Lamarque essaye de réfuter les allégations de Daverhoult ; mais une fois sorti des généralités, et en arrivant au fait, il s'embarrasse dans ses réticences. L'ordre du jour ! crie Couthon. — L'apologie de l'attentat d'hier est bien difficile, dit en souriant Calvet, je demande de l'indulgence pour M. Lamarque. — Tous nos délégués, reprend celui-ci, ont affirmé que le calme régnait aux Tuileries. — Oui, à dix heures du soir, lui réplique-t-on. L'asile du représentant héréditaire a été violé, ajoute Deusy ; je demande si ce n'est pas là un attentat, et si l'on peut passer à l'ordre du jour sans se déshonorer. En ce moment paraît le ministre de la justice. Messieurs, dit-il, je suis chargé de vous remettre une lettre de la part du roi... — Après la délibération, s'écrie Lamarque, nous ne pouvons ainsi interrompre nos travaux. — Le président consulte l'Assemblée ; la majorité décide qu'elle entendra tout de suite la lecture de la lettre royale. Elle était ainsi conçue : Messieurs, L'Assemblée nationale a déjà connaissance des événements de la journée d'hier. Paris est sans doute dans la consternation ; la France les apprendra avec un étonnement mêlé de douleur. J'ai été très-sensible au zèle que l'Assemblée nationale m'a témoigné en cette circonstance. Je laisse à sa prudence de rechercher les causes de cet événement, d'en peser les circonstances et de prendre les mesures nécessaires pour maintenir la Constitution, assurer l'inviolabilité, la liberté constitutionnelle du représentant héréditaire de la nation. Pour moi, rien ne peut m'empêcher de faire, en tout temps et en toutes circonstances, ce qu'exigeront les devoirs que m'imposent la Constitution que j'ai acceptée et les vrais intérêts de la nation française. Signé : LOUIS. Contre-signé : DURANTON. La lettre royale est renvoyée, avec toutes les pièces concernant le 20 juin, à la commission des douze. De Haussy et Léopold demandent que le maire de Paris soit tenu de remettre par écrit le compte rendu qu'il a fait le soir précédent à la barre de t'Assemblée. Malgré les cris de la Montagne, la motion est adoptée à une grande majorité. Le ministre de l'intérieur, Terrier-Montciel, vient à son tour lire un rapport sur les faits de la veille. Mais, dès l'exorde, il est brutalement interrompu par les dénégations de la gauche. Il continue néanmoins, en exposant les avis qu'il a donnés au département et reçus de lui, avis inutiles et qui n'ont rien empêché. On le laisse parler durant quelques minutes, mais le tumulte recommence quand, dépeignant l'envahissement du château des Tuileries, il insinue qu'il aurait pu, dans la foule, se trouver quelqu'un d'assez malveillant pour faire porter un deuil éternel à la France. Je respecte trop mon pays, reprend-il vivement, pour ne pas croire que tous les. bons citoyens y prendraient le deuil, si un grand crime était commis. Au moment où le ministre de l'intérieur descend de la tribune, le président annonce qu'il vient de recevoir une lettre du département : Monsieur le Président, Le conseil général du département, extraordinairement assemblé, apprend que l'Assemblée vient de rendre un décret qui assurera la tranquillité publique ; il ose t'en remercier et lui observer que la prompte publication produirait le meilleur effet. Signé : LA ROCHEFOUCAULD, président. L'Assemblée, ainsi sommée de se prononcer, adopte la rédaction du décret qu'elle avait rendu quelques heures auparavant, sur la proposition de Bigot de Préameneu. Ce décret est porté sans le moindre retard à la sanction du souverain, expédié par le pouvoir exécutif au département et par celui-ci à la municipalité, pour qu'il soit publié et affiché avec la plus grande promptitude[2]. Voici quel en était le texte : L'Assemblée nationale, considérant que tout ce qui a l'appareil de la force, sans réquisition légale, doit être écarté des autorités constituées, et qu'il est instant de rappeler ce principe, essentiellement lié aux bases de la constitution et de l'ordre social, décrète qu'il y a urgence. L'Assemblée nationale, après avoir décrété l'urgence, décrète que désormais, sous aucun prétexte que ce puisse être, aucune réunion de citoyens armés ne pourra être admise à sa barre, défiler dans la salle de ses séances, ni se présenter à aucune autorité constituée, sans réquisition légale. Durant quelques instants l'Assemblée paraît reprendre le calme dont tant d'émotions l'avaient fait sortir. Mais soudain Merlin (de Thionville) propose de porter de nouveau à la sanction du roi le décret contre les prêtres. La droite éclate en murmures et la majorité repousse avec indignation cette motion intempestive. Couthon insiste. Les refus de sanction, dit-il, sont contraires au bien public.... Je propose que l'Assemblée fixe à un jour très-prochain la discussion de cette question : Les décrets de circonstance doivent-ils être soumis à la sanction ? Tous les membres du côté droit et même quelques députés des bancs les moins élevés du côté gauche protestent et demandent que l'orateur soit censuré. Voilà, s'écrie Baert, en désignant du doigt les députés ultrarévolutionnaires, voilà le but du mouvement d'hier et voilà ses auteurs ! — L'appel nominal ! l'appel nominal ! réclame la Montagne avec insistance. — La proposition de M. Couthon, s'écrie Girardin, est une violation manifeste de la Constitution. Toute la question est là, ajoute-t-il serons-nous, oui ou non, parjures à notre serment ? — Les parjures, répond l'extrême gauche, qu'ils aillent à Coblentz ! — Les parjures et les séditieux, réplique Pastoret, ce sont ceux qui osent prétendre que le temps est venu de modifier la Constitution !... La motion qui vous est soumise est contraire à tous les principes constitutionnels... L'appel nominal seul serait un outrage à la Constitution. Je demande la question préalable sur le tout. Malgré les protestations de la Montagne, cette dernière proposition de Pastoret est mise aux voix et adoptée. Puis l'Assemblée lève la séance, croyant avoir assez fait pour le salut de la monarchie et le maintien de la Constitution, parce qu'elle vient de revêtir d'une forme nouvelle une loi depuis longtemps en vigueur, mais depuis longtemps méconnue, et parce qu'elle s'est refusée à renouveler, sous la forme d'un message au roi, la demande que les faubourgs avaient faite la veille à main armée. III Tous les bons citoyens de Paris avaient été profondément
émus des événements du 20 juin. La garde nationale était indignée du rôle
auquel on l'avait réduite. Pétion et Sergent, s'étant rendus dans la journée
du 21 au Château, y furent accueillis par des huées et s'y trouvèrent même
exposés à des voies de fait très-répréhensibles. La Montagne devait
naturellement faire grand bruit d'un pareil attentat commis contre les magistrats du peuple. Dès la réouverture de la
séance, à 6 heures du soir, Brival vient le dénoncer à la tribune ; mais
l'attention de l'Assemblée est bientôt détournée par un objet plus pressant
on annonce que le faubourg Saint-Antoine arrive. Le faubourg arrivait-il en effet ? Ce qu'il y a de sûr, c'est que l'on était très-inquiet au Château, que l'on y avait appelé le procureur-générai-syndic du département, et que le roi avait fait demander si l'Assemblée était en séance[3]. L'alarme était telle que la reine courut chercher le prince royal et que le jeune enfant, voyant sa mère effrayée, s'écria avec une naïveté touchante : Maman, est-ce qu'hier n'est pas encore fini ?[4] Acceptant comme réels les bruits répandus, par bonheur ils étaient faux la droite demande qu'une députation soit envoyée aux Tuileries, une autre au-devant du rassemblement pour l'avertir qu'il ne sera pas admis. Déjà l'on affirme que la tête de la colonne populaire est arrivée à la hauteur de la rue de l'Arbre-Sec, dans la rue Saint-Honoré. Cette nouvelle semble être confirmée par ce billet que reçoit le président Monsieur, J'ai l'honneur de prévenir l'Assemblée qu'il se porte vers le Château un rassemblement armé. Le procureur-général-syndic du département, RŒDERER. On propose d'envoyer immédiatement au roi une députation de quarante ou soixante membres. Non, dit Cambon, l'Assemblée nationale doit rester à son poste. Si le chef du pouvoir exécutif est attaqué dans son domicile, qu'il vienne parmi les représentants du peuple, il sera reçu dans le sanctuaire des lois... Nous le garderons[5]. L'on verra bientôt comment les représentants du peuple savaient garder le chef du pouvoir exécutif au moment du péril en l'envoyant de la loge du Logographe dans la tour du Temple ! Ce fut peut-être cette parole de Cambon qui donna, six semaines après, à Rœderer l'idée malheureuse qu'il fit accepter à Louis XVI, et qui devait si mal réussir à cet infortuné monarque. On continuait à discuter sur la nouvelle annoncée par Rœderer, quand des cris d'enthousiasme, poussés par les tribunes, annoncent l'apparition du maire de Paris. L'ordre règne partout, dit-il ; les magistrats ont pris toutes les précautions. Ils ont fait leur devoir ils l'ont fait toujours, et l'heure viendra qu'il leur sera rendu quelque justice. Cela dit, le maire quitte l'Assemblée au milieu des applaudissements, et se rend au Château. IV Le matin, Pétion et ses amis avaient reçu dans la cour des Tuileries un accueil plus que brutal mais grâce au bruit qu'avait fait leur malheur au dedans et au dehors de l'Assemblée, il n'était pas à présumer qu'ils y pussent courir encore quelque péril. En effet, le département, auquel seul on avait confiance autour du roi, et qui seul en ce moment gardait quelque autorité sur les défenseurs de la Constitution, s'était montré très-indigne des voies de fait subies par un officier municipal dans l'exercice de ses fonctions ; ordre avait été donné par lui de rechercher et de poursuivre judiciairement le coupable[6]. Le maire était accompagné de Panis et de Sergent. Admis dans la salle du conseil, quoiqu'il ne retrouvât pas là ses tribunes ordinaires pour le soutenir, il voulut payer d'audace et maintenir, vis-à-vis du monarque outragé, la parfaite constitutionnalité des événements de la veille. Ce fut Louis XVI qui commença brusquement l'entretien. LE ROI. Eh bien monsieur le Maire, le calme est-il rétabli dans Paris ? LE MAIRE. Sire, le peuple vous a fait des représentations. Il est tranquille et satisfait. LE ROI. Avouez, monsieur, que la journée d'hier a été d'un bien grand scandale et que la municipalité n'a pas fait, pour le prévenir, tout ce qu'elle aurait pu faire. LE MAIRE. Sire, la municipalité a fait tout ce qu'elle a pu et dû faire elle mettra sa conduite au grand jour, et l'opinion publique la jugera. LE ROI. Dites la nation entière. LE MAIRE. Elle ne craint pas plus le jugement de la nation entière. LE ROI. Dans quelle situation se trouve en ce moment la capitale a LE MAIRE. Sire, elle est calme. LE ROI. Cela n'est pas vrai LE MAIRE. Sire. Taisez-vous ! interrompt Louis XVI d'un ton absolu. Pétion veut ajouter quelques mots pour la défense de la municipalité mais le monarque continue ses reproches les deux interlocuteurs parlent quelques instants tous les deux ensemble. Vivement irrité de l'insistance du maire et de son manque de respect, le roi lui tourne le dos. Pétion se voit obligé de se retirer[7]. Mais dans la première antichambre, dès qu'il se retrouve seul avec Sergent et Panis, il se félicite d'avoir opposé le calme de la raison à la folie de ces personnes qui se croient encore au temps d'imposer à des hommes libres[8]. Au même moment, la reine disait au procureur-général-syndic : M. Rœderer, ne trouvez-vous pas
que le roi a été bien vif ? Croyez-vous que cela ne lui nuise point ? — Je crois, madame, que personne ne mettra en doute que le roi ne puisse se permettre de dire : taisez-vous, à un homme qui parle sans l'écouter[9]. V Le malheureux maire n'en avait pas fini avec ses tribulations de la journée. En rentrant à la mairie, il trouva plusieurs lettres qui durent fort l'embarrasser. Le secrétaire général de la commune lui annonçait que le conseil s'assemblerait le surlendemain samedi, afin d'entendre le compte-rendu des mesures qu'il avait prises le 20 juin pour assurer la tranquillité publique. Le ministre de t'intérieur, tout en conservant les formes officielles et en ayant l'air de ne pas douter des excellentes intentions du maire, l'invitait à faire prendre au corps municipal un arrêté qui pût ramener le calme dans Paris. Rœderer, par une missive officielle, l'avertissait que le commandant général avait le projet de faire battre la générale te 22 juin à 7 heures du matin par une autre, toute confidentielle, il insistait sur la nécessité d'adresser aux Parisiens une proclamation pathétique, destinée à leur démontrer combien il importait à tous que le roi parût libre et n'eût aucun prétexte pour chercher un autre asile que son palais[10]. La lettre du secrétaire du conseil général était assez sèche, et pouvait faire présager que plusieurs des membres de la municipalité étaient résolus à demander à Pétion un compte sévère de la conduite qu'il avait tenue le 20 juin. Heureusement il avait trente-six heures pour se préparer à répondre aux interpellations. Il se trouvait dans une position plus délicate vis-à-vis de Rœderer. Celui-ci était en même temps son ami et son supérieur administratif. Leur liaison datait de l'Assemblée constituante où ils avaient siégé ensemble sur les bancs de la gauche ; maintenant, par le choix des électeurs parisiens, Rœderer était devenu l'intermédiaire obligé de toutes les communications que pouvaient avoir à faire à la municipalité les deux pouvoirs créés par la Constitution, le roi et l'Assemblée. Aussi le procureur général employait-il tour à tour auprès du maire les injonctions du chef hiérarchique et les objurgations encore plus pressantes de l'ami et de l'ancien collègue. Pour sortir d'embarras, Pétion fit écrire à Rœderer, par son secrétaire Joseau, qu'excédé de fatigues il prenait quelques instants de repos ; le subalterne ajoutait, comme de son chef, que l'on ne pouvait, attendu l'heure avancée, songer à une proclamation, mais que dès le matin il entretiendrait le maire de cet objet, afin qu'il convoquât le corps municipal et prît un parti de concert avec les administrateurs de police[11]. Le 22, en effet, Pétion fit adopter par le corps municipal une adresse aux Parisiens, mais si banale qu'elle ne pouvait évidemment remédier à rien. Promulguée en même temps que la loi du 21 juin, elle ne rencontra qu'une très-médiocre faveur dans les faubourgs. Avec sa véracité ordinaire, le Moniteur dit bien que partout les municipaux en écharpe trouvèrent les citoyens empressés de se soumettre aux lois et surtout à la voix de la raison et de la justice[12]. Mais ce qui est beaucoup plus vrai, c'est ce que Pétion mandait au directoire du département par sa lettre du 22 juin[13] : il y avouait lui-même que les deux publications n'avaient eu, ni au faubourg Saint-Antoine, ni au faubourg Saint-Marceau, tout le succès que l'on en attendait ; bien plus, ajoutait-il, dans le premier de ces faubourgs on parlait de se réunir de nouveau, en armes, le lundi 25[14]. Les faubourgs, en effet, étaient toujours agités et de moins en moins disposés à tenir compte des proclamations de la municipalité, des lois rendues par l'Assemblée nationale. Dans la section des Quinze-Vingts, il se formait des assemblées où, contrairement à la loi, on admettait à délibérer tous-ceux qui se présentaient, sans distinction d'âge, de sexe, de circonscription. On y proclamait hautement l'inutilité du dernier mouvement populaire et la nécessité d'en provoquer un second, auquel seraient associées toutes les sections de Paris. Une convocation, faite conformément à une pétition signée par cinquante citoyens actifs, obligeait toute la section de Montreuil à se rassembler, le 21 juin, à huit heures du soir, au lieu ordinaire de ses séances, sous le charnier de la paroisse Sainte-Marguerite. En y arrivant, les membres du comité civil trouvaient le local envahi par une foule nombreuse, composée en grande partie de femmes, d'enfants et de personnes complètement étrangères au quartier. Le président et le secrétaire ne purent que protester contre une illégalité aussi flagrante mais cela ne servit de rien, la séance n'en continua pas moins[15]. On y disait tout haut que, le 25 juin, on reviendrait chez le roi pour avoir une réponse décisive ; que le peuple était seul souverain que dès lors il devait faire la loi sans souci de !a Constitution ni de la sanction royale. Dans la section de l'Observatoire, un certain Paris s'écriait : Il faut que le peuple se réunisse demain au faubourg Saint-Antoine, que de là il aille sans armes à l'Assemblée nationale et chez le roi. Si le roi refuse de nous recevoir, eh bien le lendemain nous reviendrons en armes au château des Tuileries, et nous le traiterons comme une seconde Bastille. Le sang ne doit pas coûter au peuple pour conquérir de nouveau sa liberté[16]. VI Louis XVI avait opposé un front calme et digne aux fureurs de la populace. Il déploya une énergie non moins noble, lorsque, s'adressant le 22 juin à la nation française, il fit éclater, dans une proclamation célèbre, les sentiments dont son âme était pleine[17]. Les Français, disait-il, n'auront pas appris sans douleur qu'une multitude, égarée par quelques factieux, est venue à main armée dans l'habitation du roi, a traîné un canon jusque dans la salle des gardes, a enfoncé les portes de son appartement à coups de hache, et là, abusant audacieusement du nom dé la nation, a tenté d'obtenir par la force ta sanction que Sa Majesté a constitutionnellement refusée à deux décrets. Le roi n'a opposé aux menaces et aux insultes des factieux que sa conscience et son amour pour le bien public. Le roi ignore quel sera le terme auquel ils voudront s'arrêter ; mais il a besoin de dire à la nation française que la violence, à quelque excès qu'on veuille la porter, ne lui arrachera jamais un consentement à tout ce qu'il croira contraire à l'intérêt public. Il expose sans regret sa tranquillité, sa sûreté ; il sacrifie même sans peine la jouissance des droits qui appartiennent à tous les hommes et que la loi devrait faire respecter chez lui comme chez tous les citoyens. Mais, comme représentant héréditaire de la nation française, il a des devoirs sévères à remplir, et s'il peut faire le sacrifice de son repos, il ne fera pas le sacrifice de ses devoirs. Si ceux qui veulent renverser la monarchie ont besoin d'un crime de plus, ils peuvent le commettre dans l'état de crise où elle se trouve, le roi donnera à toutes les autorités constituées l'exemple du courage et de la fermeté, qui seuls peuvent sauver l'empire. En conséquence, il ordonne à tous les corps administratifs de veiller à la sûreté des personnes et des propriétés. Fait à Paris, le 22 juin 1792, l'an IV de la liberté. Signé : LOUIS. Contre-signé : TERRIER. Cette proclamation souleva des transports de rage parmi les ultra-révolutionnaires. Prud'homme, en la reproduisant[18], la fit suivre de ce mot : Imposture ! Bazire, à l'Assemblée, la dénonça comme étant de nature à provoquer des troubles[19]. Elle fut commentée de la plus violente manière dans les clubs et dans les comités de section. Le 23 juin au matin, on trouva affiché, entre l'avis du maire et la proclamation du roi, ce placard sans signature Pères de la patrie, Nous nous levons une seconde fois pour remplir le plus saint des devoirs. Les habitants des faubourgs de Paris, les hommes du 14 juillet viennent vous dénoncer un roi faussaire, coupable de haute trahison, indigne d'occuper plus longtemps le trône. Nos soupçons sur sa conduite sont enfin vérifiés, et nous demandons que le glaive de la justice frappe sa tête, afin que la punition qu'il mérite serve d'exemple à tous les tyrans. Si vous vous refusez encore à nos vœux, nos bras sont levés, et nous frapperons les traîtres partout où nous les trouverons, même parmi vous. Cet affreux placard — ainsi le qualifiait Pétion lui-même — n'était rien moins que la pétition que le nouveau rassemblement devait porter à l'Assemblée te 25 juin. Le maire de Paris promit de faire contre les auteurs de cet écrit les recherches les plus minutieuses ; mais elles furent t naturellement sans succès[20]. Le ministre de l'intérieur, qui avait de bonnes raisons pour ne pas se fier aux promesses de Pétion, courut dénoncer l'affiche anarchique à l'Assemblée nationale et lui demander de faire cesser la déplorable situation où se trouvait le pays tout entier. Ce placard, s'écria Saladin, est peut-être l'œuvre des factieux, et j'appelle factieux ceux qui calomnient le peuple. Le placard fut renvoyé à la commission des douze et il n'en fut plus question mais les autres faits exposés par le ministre de l'intérieur étaient trop graves pour que l'Assemblée parût ne pas s'en préoccuper. Dès le soir même, sur le rapport de Muraire, elle votait à l'unanimité l'impression immédiate et l'envoi aux départements d'un Acte du Corps législatif, que le roi sanctionna sans retard : L'Assemblée nationale, y était-il dit, instruite par le ministre de l'intérieur que les ennemis du peuple et de la liberté, usurpant le langage du patriotisme, sont sur le point d'égarer quelques hommes actuellement résidant à Paris Justement indignée des provocations coupables et des placards criminels qui lui ont été dénoncés ; Considérant que le devoir du Corps législatif est de maintenir la Constitution et l'inviolabilité du représentant héréditaire de la nation ; mais que les lois ont remis, entre les mains des autorités constituées, tous les moyens qui leur sont nécessaires pour assurer l'ordre et la tranquillité publique : Déclare qu'il n'y a pas lieu à prendre de nouvelles mesures législatives, mais invite au nom de la nation et de la liberté tous les bons citoyens, à la fidélité desquels le dépôt de la Constitution a été remis, à réunir tous leurs efforts à ceux des autorités constituées pour le maintien de ta tranquillité publique et pour garantir la sûreté des personnes et des propriétés. L'Assemblée nationale décrète que le présent acte du Corps législatif sera envoyé par le pouvoir exécutif au département de Paris pour être publié et affiché, et elle ordonne que le ministre de l'intérieur lui rendra tous les jours un compte exact de l'état de la ville de Paris. VII Cet Acte n'ajoutait rien à la législation en vigueur ; à cause de cela même, il avait été adopté unanimement. La droite y avait vu un remède préventif contre le renouvellement des désordres, la gauche une simple proclamation sans conséquence. Mais le département de Paris le prit fort au sérieux ; il était résolu à exiger la stricte exécution des lois, dont il était le protecteur constitutionnel, et à sévir contre tout dépositaire d'une parcelle quelconque du pouvoir exécutif du moment qu'il serait reconnu incapable ou infidèle. Pendant l'inaction du maire, le directoire s'était, comme nous l'avons vu, préoccupé avec un zèle admirable de tout ce qui pouvait assurer la défense du Château il n'avait pas tardé à perdre confiance, sinon dans le bon vouloir, du moins dans la capacité militaire de Ramainvilliers. Le 22, il le fit venir au siège de ses séances et lui demanda l'explication des dispositions militaires qu'il avait dû prendre. Cette explication fut loin d'être satisfaisante, et le directoire, de plus en plus édifié sur les dangers que pouvait présenter le maintien de ce commandant de hasard à la tête de la force armée de. Paris, se posa cette question : Y a-t-il quelque disposition légale qui permette au département de destituer un commandant de gardes nationales en cas de négligence ou d'impéritie très-grave ? Comme nous avons déjà eu l'occasion de le faire observer, la loi soumettait bien les autorités administratives les unes aux autres par voie hiérarchique, mais elle ne donnait presque jamais aux supérieures les moyens de se faire obéir des inférieures elle leur permettait le blâme, presque jamais la destitution ; de façon que le pouvoir exécutif était compromis à chaque instant par des agents qu'il n'avait pas nommés, qu'il ne pouvait briser et dont il était cependant forcément obligé de se servir. Le directoire crut sortir de cette position embarrassante en autorisant le procureur-général-syndic à écrire au maire de Paris deux lettres, l'une officielle, l'autre officieuse, et à continuer ainsi une correspondance en partie double dont nous aurons encore à signaler plusieurs exemples. Dans la première de ces lettres il était dit : Il nous a paru désirable que désormais le commandant général consultât des militaires et des personnes exercées au genre de service qu'exige la sûreté de la capitale, sur les moyens de tactique qui peuvent le mieux assurer l'ordre avec le moins de péril pour tout le monde ; qu'il arrête un plan, qu'il vous le présente pour recevoir votre approbation, subir votre critique et nous être communiqué[21]. La lettre confidentielle était beaucoup plus explicite : Mon ami, le conseil du département, en me chargeant de vous écrire officiellement ce qui fait la substance de ma lettre ci-jointe, m'a témoigné qu'il trouve fort bien que je vous engage, entre nous, à prendre tous les moyens qui sont en votre pouvoir pour vous défaire tout de suite de Ramainvilliers. Cet homme ne peut que vous compromettre au premier mouvement il n'a ni la confiance de la garde, ni, je crois, la vôtre ; il faut qu'il se retire sans délai. Il y a une foute de petites manœuvres, de petites diversions qui suffisent pour prévenir les rassemblements ou les désordres que les rassemblements entraînent. Un homme un peu orateur est aussi nécessaire dans un semblable emploi, mon ami cet homme est assez reprochable dans la journée du 20, pour que, s'it ne veut pas se retirer de plein gré, vous le fassiez se retirer par décision de la municipalité. Bonsoir. RŒDERER. 22 juin[22]. A cette double communication, le maire de Paris se hâta de répondre officiellement : Votre lettre, monsieur, est dictée par la prudence et par l'humanité. Je crois, comme vous, M. de Ramainvilliers tout à fait, incapable de diriger le genre de résistance qui assure l'exécution de la loi en épargnant le sang. Je crois aussi que, n'ayant pas la confiance, il ne sait pas se faire obéir, et qu'au premier mouvement il pourrait me compromettre de la manière la plus cruelle. Il est bien fâcheux d'avoir à concerter des mesures avec un pareil chef. Voyez à quoi il expose les magistrats ! Il les met dans la nécessité de se mêler de ce qu'ils ne connaissent pas et de ce qui ne doit pas entrer dans leurs fonctions ; car enfin je n'entends .rien à la tactique des armes, et si je donne mon approbation à un mauvais plan, on me demandera de quoi je me suis mêlé. Cependant je sens la nécessité de ne pas laisser M. de Ramainvilliers agir tout seul, et on ne pourra que savoir gré au département et à moi d'avoir subordonné ses opérations à des militaires instruits. Il est facile de s'apercevoir par cette correspondance que Pétion sacrifiait Ramainvilliers de très-bon cœur. En laissant mettre tout ce qui s'était passé sous la responsabilité de ce chef de légion, il espérait éviter de voir incriminer sa propre inertie. Mais il dut renoncer assez vite à cette illusion ; car les lettres incessantes du directoire lui firent comprendre que celui-ci ne perdrait pas un instant pour pousser vigoureusement l'instruction entamée sur la conduite de tous ceux qui, activement ou passivement, avaient joué un rôle lors des événements du 20 juin[23]. VIII Lorsque les esprits sont surexcités, il est facile de détourner l'attention publique de l'objet précis qui devrait la fixer, et de la diriger sur un incident de minime importance. Pétion connaissait cette tactique. Il savait aussi que, lorsque l'on est soutenu par la faveur populaire, il vaut mieux devancer l'attaque de ses adversaires, et, d'accusé, devenir accusateur. C'est pourquoi le directoire ayant dit, dans les considérants de son arrêté, destiné à rappeler la loi du 3 août 1791 sur ta réquisition de la force publique : l'événement du 20 juin aurait été prévenu si les lois existantes avaient été mieux connues des citoyens et mieux observées par les fonctionnaires publics chargés de leur exécution immédiate ; le maire s'empressa de relever cette phrase comme une insulte, et d'écrire une lettre qui finissait par une véritable provocation : Je vous interpelle en mon particulier de poursuivre d'une manière franche et directe le maire de Paris, s'il a manqué à ses devoirs c'est une obligation impérieuse pour vous, la loi vous le commande, et sans doute vous aimez trop la loi pour ne pas lui obéir. J'espère que vous trouverez bon que je rende cette lettre publique. Ce fut, paraît-il, Rœderer qui reçut la lettre municipale. Fidèle au rôle qu'il avait pris d'intermédiaire officieux entre le directoire du département et le maire de Paris, il retint la lettre sans la communiquer à ses collègues et écrivit confidentiellement à Pétion ; Il me semble que par l'arrêté de ce matin on n'a
entendu ni pu entendre que les fonctionnaires militaires, puisque les
articles rappelés de la loi ne sont relatifs qu'à l'usage immédiat et
spontané de la force c'est ainsi du moins que, moi, je l'ai entendu, quand on
l'a lu. Revoyez, je vous prie, les articles de la loi, et faites-moi dire
tout de suite si vous persistez à vouloir que je remette votre lettre au
conseil. J'attendrai une demi-heure votre réponse. Moins d'une demi-heure après, Rœderer recevait ce billet : Pas de doute que je persiste à ce que ma lettre soit communiquée au conseil, où je vais me rendre d'après l'invitation qui m'a été faite. Il est impossible d'entendre autre chose que ce que j'ai entendu et dans tous les cas, le public entendrait nécessairement que le conseil a voulu parler du maire et des officiers municipaux. La lettre de Pétion fut donc remise au département, qui répliqua sèchement : Nous avons reçu, monsieur, votre lettre du 24 ; l'arrêté dont vous vous plaignez n'inculpe personne individuellement. Quand vous aurez fait parvenir au département les procès-verbaux qu'il vous a demandés plusieurs fois, il fera ce que la loi lui prescrit[24]. Pétion, de plus en plus embarrassé, écrivit Je réponds, messieurs, en peu de mots à votre lettre très-laconique. Vous observez que votre arrêté n'inculpe personne individuellement, et que vous ferez ce que la loi vous prescrit lorsque les procès-verbaux vous seront parvenus. Vous me permettrez de vous faire deux réflexions très-simples et dont vous sentirez la justesse : 1° Pour n'inculper personne, vous inculpez tout le monde ; vous reprochez aux fonctionnaires publics, sans distinction, de n'avoir pas fait observer la loi. Cet anathème porte sur tous, et il n'est pas de genre d'attaque plus dangereux, puisqu'il met à l'abri celui qui frappe sans laisser une véritable défense à celui qui est frappé ; 2° Vous attendez les procès-verbaux pour vous instruire, et à l'avance vous jugez, vous mettez les fonctionnaires publics sous le poids d'une accusation. Il y a au moins de la précipitation dans cette conduite. Le département ne se donna pas la peine de s'excuser de la précipitation que le maire, si lent le 20 juin, se permettait de lui reprocher. Il coupa court à toute nouvelle objection en parlant ainsi, au nom de la loi : Paris, 24 juin, 14 heures du matin. Le conseil, monsieur, avait prévu le retard que pourrait mettre dans l'exécution de son arrêté l'expédition des procès-verbaux ; c'est pour' cela qu'il en avait demandé la minute. Il vous prie, monsieur, de lui apporter, d'ici à une heure, les minutes des procès-verbaux, si les expéditions ne peuvent être faites. Faute de quoi il enverra, aux termes de l'article 22 de la loi du 27 mars 1791, des commissaires pour prendre les renseignements et informations dont il a besoin. L'enquête et l'instruction décidées dès le 20 juin au soir, étaient, on le voit, vigoureusement poursuivies. En même temps que des rapports détaillés étaient exigés de tous les officiers municipaux qui avaient assisté, témoins ou acteurs, aux tristes scènes de la trop fameuse journée, les juges de paix des divers quartiers dé la capitale étaient chargés de recevoir les dépositions des témoins, et, réunis en comité central, d'exercer les fonctions de juges d'instruction[25]. De plus, trois administrateurs départementaux, Garnier, Leveillard et Demautort, étaient nommés commissaires à l'effet de résumer les rapports obtenus des municipaux et, des officiers de garde, ainsi que tous les renseignements recueillis, pour en faire un exposé général au conseil. Enfin, le ministre de l'intérieur lui-même était invité à coopérer à la recherche de la vérité, à fournir les éclaircissements nécessaires[26], notamment sur l'ouverture de la porte royale qui avait donné passage aux envahisseurs du Château. L'attitude de plus en plus énergique de l'autorité départementale, celle peu sympathique d'une partie notable du conseil général de la commune, enfin les ordres de l'Assemblée nationale déterminèrent Pétion à s'expliquer dans un mémoire qui fut immédiatement rendu public. Ce mémoire était intitulé : Conduite tenue par le maire de Paris à l'occasion des événements du 20 juin 1792[27] ; il commençait par ces mots : Puisque les soupçons les plus injurieux, les calomnies les plus infâmes m'environnent sans cesse, je dois rendre un compte vrai d'une conduite défigurée par la malveillance et par l'intrigue. Cette conduite est essentiellement liée à celle de la municipalité, puisque je ne me suis pas séparé d'elle, que nous avons marché de concert, et que, pour mieux dire, c'est le corps entier qui a agi. Ainsi, pour se décharger de la terrible responsabilité qui pesait sur lui, Pétion voulait en répartir le fardeau sur les épaules de tous ceux dont il était entouré. Cependant, comme nous l'avons démontré, le conseil général n'avait été rassemblé ni la veille ni le jour même ; et, si le corps municipal avait été réuni au dernier moment dans la matinée du 20 juin, les convocations avaient été faites de telle manière que les amis seuls de Pétion avaient pu assister à la séance. JI est inutile de suivre point par point l'étrange récit du maire. Celui que nous avons donné s'en trouve être, sous certains rapports, la confirmation, mais, sous beaucoup d'autres, la négation formelle. Qu'il nous suffise de dire ici que, dans cette apologie, tout ce qui paraissait, inexplicable s'explique en apparence on ne peut mieux. Si le maire a enfreint les recommandations énergiques de l'autorité départementale, c'est qu'il y a été forcé par les circonstances, et il a su — merveilleuse habileté ! — laisser se produire une manifestation interdite sans mettre en contradiction la municipalité, qui autorisait, et le conseil général de la commune, qui avait défendu. C'est uniquement grâce à sa prudente politique que tout a pu se passer paisiblement jusqu'à trois heures et demie ; si alors la demeure royale a été envahie, ce n'est nullement de sa faute ; il n'a point à supporter les conséquences de l'immobilité du commandant général, chargé de garder le Château et qui a laissé ouvrir les portes. Averti de l'attentat au moment même où, dans sa candeur, il était persuadé que la journée était finie, il s'est précipité vers les Tuileries. Insinuerait-on que le langage qu'il y a tenu n'a pas été toujours très-explicite, qu'il a hésité longtemps à commander la foule de se retirer ; il répondrait que sa manière d'agir et de parler a été la plus digne et la plus analogue aux circonstances. Ce magistrat modèle, perpétuellement satisfait de lui-même, termine son explication apologétique en montant, comme Scipion, au Capitole : Pas un citoyen n'a reçu une blessure au milieu de cette grande fermentation. Voilà le plus bel éloge de la municipalité. Rendons grâces à l'Être suprême ! IX Pendant qu'ainsi s'engageait entre la municipalité et le département une lutte qui, avec des alternatives diverses, devait durer jusqu'à l'entier anéantissement d'une de ces deux autorités, l'Assemblée nationale, tiraillée de droite et de gauche, adoptait coup sur coup des mesures d'autant plus périlleuses qu'elles ébranlaient l'autorité qu'il eût fallu raffermir, entretenaient les passions ultrarévolutionnaires qu'il eût fallu étouffer. On doit du reste reconnaître que les ministres d'alors, faibles, indécis, sans autorité morale, sans expérience des affaires, ne déployèrent ni l'énergie, ni l'habileté qui eussent été indispensables pour donner une nouvelle force au parti constitutionnel. Sauf peut-être le ministre de l'intérieur, Terrier-Montciel, toujours d'accord avec le département, ils affectaient d'être encore plus impuissants qu'ils ne l'étaient en réalité ; ils avaient l'air de se croiser les bras devant l'anarchie, attendant que l'excès du mal apportât à la situation son remède fatal. Dès le lendemain de la séance où elle avait repoussé la proposition de Merlin (de Thionville), l'Assemblée nationale, sur la motion des douze, adopta (le 22), à l'unanimité, un décret ordonnant aux ministres de lui rendre compte de ce qu'ils avaient fait relativement aux deux objets qui étaient sans cesse à l'ordre du jour dans tous les esprits : 1° Nécessité d'arrêter les troubles religieux ; 2° Intérêt pressant de placer une armée de réserve entre les frontières et Paris. En apparence, cette demande était parfaitement constitutionnelle. Au fond, c'était attaquer les deux veto apposés par le souverain sur les lois relatives aux prêtres insermentés et à la formation, sous Paris, d'un camp de fédérés ; c'était ratifier jusqu'à un certain point les vœux si brutalement exprimés par la populace parisienne aux Tuileries ; c'était revenir par une voie détournée à ce qu'avaient proposé Merlin et Couthon. Pour battre en brèche la résistance du pouvoir exécutif, la gauche s'appuyait sur des adresses .émanées de plusieurs départements, qui, toutes antérieures au 20 juin, arrivaient pleines de récriminations contre le renvoi des ministres patriotes et contre l'usage que, pour la première fois, Louis XVI avait fait de la seule prérogative un peu importante que la Constitution lui eût laissée. Ces adresses servaient de prétexte aux meneurs de la démagogie parisienne pour en lancer d'autres plus explicites et plus violentes encore. Ils faisaient circuler a travers toutes les sections de Paris et toutes les municipalités du royaume une délibération de la section des Lombards qui, se préoccupant peu du veto royal, invitait les départements à envoyer des représentants armés à la fédération du 14 juillet, et donnait à la levée réclamée par Servan le caractère insurrectionnel qu'eue devait avoir effectivement. Frères de tous les départements, disait la section des Lombards, il ne nous est plus permis d'espérer que vous viendrez nous prêter, contre nos nombreux ennemis, le secours de vos armes. Mais nul n'a le droit d'empêcher que vous renouveliez avec nous cette fédération du 14 juillet 1790, qui nous a laissé de si doux souvenirs. Eh dans quel temps fut-il plus nécessaire de nous serrer tous autour de faute ! de la patrie pour y répéter nos serments à la liberté, que dans ces jours de crise, où tant de scélérats pleins d'hypocrisie se réunissent afin que nous n'ayons bientôt plus ni liberté, ni patrie ? Frères de tous les départements, hâtez-vous choisissez dans chaque district vingt-cinq de vos concitoyens qu'ils accourent ; et ne doutez pas que les autres sections de Paris, auxquelles nous allons tout à l'heure communiquer cette adresse, ne nous disputent l'avantage de les recevoir, de les accueillir. Venez ; peut-être qu'en nous voyant rassemblés les tyrans sentiront quelque crainte ou quelque remords. Amis et frères, nous ne vous parlons point des pressants dangers de la fortune publique. Combien les temps sont changés pour nous ! La foule de nos ennemis se grossit chaque jour. Chaque jour accroît leur audace et leur nombre ; il paraît immense ; il nous est inconnu. Encore si cette union qui faisait notre force !... Comptez néanmoins sur notre courage, amis, ne désespérez point des hommes du 14 juillet ; à l'heure où ils ne pourront vaincre, ils sauront mourir[28]. Le décret du 22 juin, en obligeant les ministres à s'expliquer sur la formation du camp et sur les troubles religieux, les attirait sur le terrain brûlant que les ultrarévolutionnaires avaient eux-mêmes choisi. Il leur fallait répondre plus ou moins catégoriquement aux demandes de l'Assemblée, il leur fallait surtout opposer un contre-projet à celui que Servan avait fait adopter inconstitutionnellement. Dès le 22 au soir, le ministre de la guerre, Lajard, proposa donc la formation de quarante-deux nouveaux bataillons.de garde nationale volontaire, destinés à remplacer la réserve, déjà réunie à l'armée d'opération. Ces bataillons devaient se concentrer à Soissons. Les collègues de Lajard expédièrent, le 24 ; des rapports partiels, et, il est vrai, des plus sommaires, sur ce qui concernait chacun de leurs départements dans les deux questions posées par l'Assemblée. Le ministre de la justice assurait que les troubles religieux commençaient à devenir moins nombreux et moins violents. Le ministre de l'intérieur se bornait à déclarer que les lois contre les perturbateurs du repos public étaient incomplètes, et qu'il n'appartenait qu'à la législature d'en faire de plus efficaces[29]. Le vague des réponses ne pouvait contenter ceux qui avaient fait poser les demandes. Au reçu des missives ministérielles, le bouillant Guadet s'élance à la tribune. On ne s'est jamais joué aussi hardiment de l'Assemblée nationale, dit-il ; ce ne sont point des rapports partiels que vous avez demandés... Vous avez voulu que, comme conseillers du roi, les ministres fussent solidaires des troubles que pourrait exciter la non-sanction de deux décrets sur lesquels le veto a été apposé... Des ministres, qui ont consenti à entrer dans le conseil du roi au moment où de grands troubles agitent l'empire et qui assistent à la non-sanction de deux décrets qui peuvent y remédier, ont trahi la chose publique ou ont prévu à l'avance les mesures qu'ils pourraient prendre pour arrêter les troubles... Je demande que le président annonce aux ministres du roi que l'Assemblée nationale attend d'eux un compte générât, non pas les lettres circulaires qu'ils ont écrites aux tribunaux et aux corps administratifs, mais des mesures par lesquelles ils peuvent promettre à l'Assemblée d'arrêter les troubles qui agitent ta France[30]. Ramond répond à Guadet que rendre les ministres
responsables d'un acte du roi irresponsable, c'est bouleverser la
Constitution. Le roi, sans doute, est inviolable,
réplique Guyton-Morveau, son inviolabilité est
écrite dans le cœur de tous les représentants de la nation[31] ; mais gardons-nous, quand le vaisseau de l'État est en péril,
de diminuer la responsabilité de ceux qui tiennent le gouvernail. Muraire
fait observer que les allégations de Guadet ne sont pas strictement justes.
La commission extraordinaire n'a pas déterminé si elle demandait un compte
rendu particulier à chaque ministre ou un compte rendu générât au cabinet ;
elle n'a pas entendu constituer les ministres responsables du défaut de
sanction des deux décrets elle a seulement désiré savoir quelles mesures
avaient été prises par les ministres, afin de les approuver ou d'en proposer
de nouvelles pour le maintien de la tranquillité publique. Le décret ayant été relu sur la demande de plusieurs membres, Guadet reprend la parole, et, toujours aux applaudissements enthousiastes des tribunes et de ses amis, il s'écrie : Si M. Ramond a cru devoir me placer à côté de ces hommes qui ont voulu arracher au roi par la force des armes une rétractation du refus de sanction à deux décrets, il m'autoriserait à le placer, à mon tour, à côté de ces hommes coalisés pour tuer l'esprit public et renverser la Constitution par la Constitution même. Ainsi engagée, la discussion ne pouvait être une discussion de principes, mais de tendances. Les ministres ont beau protester de leur dévouement aux lois, se dire prêts à exécuter toutes celles qui existent et affirmer qu'ils ont cru obéir aux décrets dans la mesure de leurs pouvoirs, l'Assemblée déclare, sur la proposition de Lasource, que les ministres n'ont point rempli son vœu, et en même temps, sur la motion de Guadet, elle leur fait par décret une nouvelle injonction ainsi conçue : L'Assemblée nationale vous ordonne de vous conformer au décret qu'elle a rendu dans la séance de vendredi dernier et qui vous a été communiqué ; elle vous demande, en conséquence, de lui rendre un compte général par écrit, sous trois jours, des mesures qui ont été prises ou qui doivent l'être pour prévenir ou arrêter les troubles excités par le fanatisme, et garantir Paris en cas d'invasion du territoire français[32]. X La municipalité, gravement compromise dans les événements du 20 juin, avait intérêt ace que la tranquillité publique ne fût pas troublée, de quelque temps au moins. Pétion avait été invité par le ministre de t'intérieur à lui rendre compte tous les jours de la situation de la capitale[33]. Le département d'ailleurs veillait et ce fut, il faut le reconnaître à la gloire des anciens constituants qui le composaient, le seul corps politique qui, pendant et après le 20 juin, se montra à la hauteur de sa mission. Cependant, le lundi 25, jour assigné pour un nouveau mouvement par quelques énergumènes des faubourgs, était arrivé, et les autorités constituées avaient redoublé de précautions pour arrêter le désordre à ses premiers symptômes. Mais les meneurs avaient décommandé l'émeute, et, à dix heures du matin, l'Assemblée reçut par l'intermédiaire de son président la lettre suivante : Monsieur le président, J'ai l'honneur de vous donner avis que la tranquillité est complète au faubourg Saint-Antoine, et que, comme j'apprends que l'on désire à Paris avoir du mouvement, d'après les bruits que l'on répand, je m'empresse de prévenir l'Assemblée nationale que le faubourg Saint-Antoine ne marchera jamais que contre les ennemis de l'Assemblée, pour laquelle le peuple versera toujours son sang. Je suis avec respect, monsieur le président, votre très-humble citoyen... Ce citoyen n'était autre que Santerre, commandant en chef du bataillon des Enfants-Trouvés (faubourg Saint-Antoine[34]). Une aussi étrange communication excita les enthousiastes applaudissements des tribunes et mérita à son auteur la mention honorable au procès-verbal. Mais, avant le vote, Boulanger eut le temps d'exprimer l'indignation de ses collègues constitutionnels : Cela vous prouve, s'écria-t-il, que M. Santerre dispose comme il veut du faubourg Saint-Antoine 2[35]. L'incident paraissait être vidé et l'on allait revenir à l'ordre du jour, lorsqu'un député de la Dordogne, dont l'histoire ne doit point oublier le nom, Delfau, quoique membre du club des Jacobins, déclare qu'il s'est convaincu par lui-même des dangers que présente la célèbre société, et qu'il tient à honneur de se séparer hautement de ses anciens coreligionnaires. Vous avez chargé, dit-il, votre commission des douze de vous présenter les mesures propres à sauver la chose publique, il en est une que je regarde comme la plus importante de toutes. Ce que les municipalités, les corps administratifs, le pouvoir exécutif, n'ont pas osé vous dire, je .le dirai, moi, je le dirai hardiment, parce que je remplis un devoir sacré. La Constitution est menacée par une aristocratie insolente et par une démocratie séditieuse entre ces deux factions sont placés les bons citoyens. La Constitution est achevée, la révolution doit l'être aussi. Les sociétés populaires ont sans doute rendu des services, mais elles ont aussi entraîné des abus... Delfau ne peut continuer ; il n'a pas exprimé sa pensée, mais la gauche et les tribunes ont compris à demi-mot qu'il entend réitérer la dénonciation faite contre la faction jacobine dans la lettre de La Fayette du 16 juin c'est à qui criera : Le renvoi à la commission des douze l'ordre du jour ! La majorité décide que l'orateur achèvera son discours. En prononçant un arrêt de mort contre les corporations, dit-il, vous avez oublié la plus dangereuse je parle de ces deux cents sociétés patriotiques répandues dans le royaume et dans le centre de Paris si elles ne sont point un gouvernement particulier dans l'empire, du moins elles forment une effrayante corporation qui petit perdre l'État... Concluez, concluez ! dit Lasource. Mais les autres Jacobins, voulant même éviter la dénonciation, réclament à grands cris l'ordre du jour. Delfau se tourne vers tes interrupteurs et les réduit au silence par cette apostrophe : Il y a bien plus de courage, messieurs, à attaquer un parti puissant, qu'il n'y en a à murmurer contre celui qui l'attaque. Et il continue : Les sociétés populaires sont un monstre politique qui ne peut exister dans un bon gouvernement. C'est dans leur sein que quelques séditieux, sous le masque du patriotisme, égarent la multitude. C'est là qu'on entend dire que les succès de nos généraux sont plus à craindre que leurs revers, de peur qu'ils ne reviennent avec leurs légions triomphantes rétablir l'ordre en France. Ici Delfau est encore arrêté. Les tribunes et la Montagne ne peuvent souffrir plus longtemps que l'on ose mettre, pour ainsi dire, en accusation devant l'Assemblée la trois fois sainte société des Amis de la Constitution et ses sœurs affiliées. L'ordre du jour est réclamé avec une telle violence, que le président est obligé de le faire voter. Après deux épreuves douteuses, il est adopté. Delfau descend donc de la tribune, et les spectateurs applaudissent à sa défaite. Ces applaudissements ironiques, dit à l'orateur un de ses amis, vous honorent autant que leurs huées. — Si le courage de dire la vérité, ajoute Mathieu Dumas, est payé par d'aussi indécents murmures, que faisons-nous ici ?[36] Mais à peine le tumulte amené par ces incidents est-il apaisé que se produit une scène d'un autre genre. L'on annonce une députation du faubourg Saint-Antoine, et on lit la lettre que l'orateur de cette députation vient d'écrire au président Monsieur le président, La force publique de la capitale est en mouvement, on doit en chercher la cause dans la prétendue agitation des faubourgs. Ceux qui voudraient que la tranquillité fût compromise .sont les seuls qui répandent des bruits alarmants ; on a reconnu ce matin dans le faubourg Saint-Marceau de ces hommes qui crient le plus contre les événements du 20, excitant eux-mêmes le peuple ; ils n'ont recueilli que du mépris. La section des Quinze-Vingts, légalement convoquée, a nommé vingt commissaires pour rendre compte des faits à l'Assemblée nationale. Ils attendent, ils sollicitent l'honneur d'être admis. Quand on les aura entendus, les vrais agitateurs se repentiront peut-être d'avoir mis en péril le salut de la patrie. Nous sommes avec respect, monsieur le président, vos très-humbles et très-obéissants serviteurs. Signé : GONCHON, organe de la députation[37]. Paris, ce 25 juin 1792, an IV de la liberté. Si Santerre était le personnage le plus influent du faubourg Saint-Antoine, Gonchon, le brave Gonchon, comme on le surnommait, en était la voix la plus retentissante[38]. Il était déjà venu plus d'une fois notifier à l'Assemblée les volontés menaçantes de la populace parisienne. Le discours que l'on avait confié ce jour-là aux poumons de l'orateur attitré du faubourg n'était qu'une menteuse déclaration de paix, destinée à masquer des préparatifs de guerre. Défense assez maladroite du 20 juin, amas confus de tirades sonores et boursouflées, paraphrase de ta lettre de Santerre, ce discours se terminait par l'assurance que tout était tranquille dans le faubourg, que les ouvriers, occupés dans leurs ateliers, n'étaient affligés que d'une chose c'était qu'on eût fait prendre les armes contre eux à leurs frères d'armes des autres bataillons, avec lesquels ils désiraient ardemment vivre en bonne intelligence. Ces renseignements sur la tranquillité de Paris étaient exacts ; ils furent confirmés par des lettres du ministre de l'intérieur, du procureur-général-syndic et du maire. Depuis quarante-huit heures, les auteurs du 20 juin s'étaient aperçus que, pour le moment, leurs adversaires étaient préparés à les repousser ils s'étaient en conséquence décidés à jouer le rôle de pacificateurs jusqu'à ce qu'ils eussent l'espoir fondé de soulever la majorité des sections parisiennes mais, pour réussir sûrement dans cette dernière entreprise, il fallait s'y préparer de longue main. XI La réaction contre les excès du 20 juin s'accentuait de plus en plus ; beaucoup de députés s'étaient hâtés de faire part à leurs départements des faits odieux dont ifs avaient été témoins ; plusieurs eurent le courage de publier leurs lettres[39]. Certaines des sections qui avaient été entraînées à prendre part au rassemblement et à l'invasion des Tuileries cherchaient à excuser la conduite qu'eues avaient tenue à cette occasion[40]. Dans le sein même du conseil général de la commune, un grand nombre de membres faisaient entendre tout haut des plaintes énergiques contre !a conduite du maire et contre la violation scandaleuse de la loi. Le résumé de ces plaintes fut formulé dans un discours prononcé par Cahier, l'un des membres les plus courageux de ce conseil. La loi, y disait Cahier, a été violée avec le plus s scandaleux éclat par un commandant de bataillon, Santerre, qui, sans réquisition préalable, a osé marcher à travers les rues de Paris à la tête d'un rassemblement de vingt mille hommes armés Violée par des gardes nationaux qui, sans réquisition préalable, ont paru dans le rassemblement avec leurs armes et traînant après eux leurs canons Violée par une foule d'individus de tout âge, de tout sexe, qui ont pénétré dans la demeure du représentant héréditaire de la nation et l'ont obligé à se couvrir du bonnet rouge, bonnet avili par les factieux Violée par le procureur de la commune, par le maire, qui, au mépris des lois concernant leur ministère, ont négligé de requérir les mesures nécessaires pour dissiper cet attroupement ; Violée par le commandant général, à qui toutes les lois militaires et de police ordonnaient de repousser la force attaquant le poste qui lui était confié Violée enfin par tous les membres du corps municipal, qui ont abandonné le sort de cette périlleuse journée à une distribution de rôles, concertée à l'avance, seulement avec quelques-uns d'entre eux. En conséquence, Cahier demandait au conseil général d'arrêter : Qu'il improuvait la conduite tenue, depuis son arrêté du 16 jusques et y compris la journée du 20, par le maire, le procureur de la commune et les administrateurs de police qu'il improuvait également l'arrêté pris dans la matinée du 20 par le corps municipal ; Qu'il dénonçait cet arrêté et la conduite du maire, du procureur de la commune et des administrateurs de la police au directoire du département. Cahier[41] terminait son réquisitoire en proposant que l'arrêté, à prendre par le conseil général pour ou contre ses propositions, fût imprimé, affiché, distribué aux quarante-huit sections, aux quatre-vingt-deux départements, au directoire du département de Paris, au ministre de l'intérieur et à l'Assemblée nationale. Le conseil générât de la commune était ainsi mis en demeure de se prononcer d'une manière catégorique, mais il hésita à suivre le courageux orateur jusqu'au bout de sa motion et se contenta d'en ordonner l'impression et la mise à l'ordre du jour des quarante-huit sections. C'était condamner moralement les auteurs et complices du 20 juin[42]. Pendant ce temps, deux anciens constituants, Dupont (de Nemours) et Guillaume, rédigeaient, faisaient imprimer dans le Journal de Paris, déposaient chez tous les notaires de la capitale et expédiaient à tous leurs anciens collègues une pétition des plus énergiques contre les excès du 20 juin[43]. Elle fut en quelques jours couverte de signatures. Les départements envoyèrent aussi de nombreuses adresses elles exprimaient toutes la même horreur pour les événements qui venaient de se passer aux Tuileries, le même désir de s'unir avec la partie saine de Paris pour réduire à l'impuissance la faction jacobine. Afin de ne pas nous exposer à des "redites continuelles, nous nous' contenterons de citer l'adresse du directoire du département de la Somme, parce qu'elle joua un rôle tout particulier dans la, longue polémique qui s'établit sur les événements de juin et sur leurs conséquences. Elle était ainsi conçue : Extrait du registre des arrêtés du directoire du département de la Somme. 22 juin 1792, onze heures du matin. Ce jour, le directoire, extraordinairement assemblé, informé que, le 20 de ce mois, un nombre considérable d'individus armés de piques et conduisant du canon s'est porté au château des Tuileries, malgré la défense du conseil général de la commune et du département de Paris, et malgré la loi constitutionnelle qui défend aux citoyens et gardes nationaux de s'assembler en armes pour délibérer et présenter des pétitions ; que la garde nationale parisienne s'était opposée à cette démarche inconstitutionnelle jusque vers les quatre heures du soir du même jour, mais qu'alors environ trente mille hommes, armés de piques, menaçant d'employer la force si on n'ouvrait les grilles et portes du château des Tuileries, ladite garde nationale avait été obligée de céder ; qu'alors toute la troupe armée s'était précipitée dans le Château, avait occupé tous les appartements et les terrasses. ; que des portes du Château et des serrures avaient été forcées ; que le chef de la nation avait été insulté et menacé, que sa vie et celle de sa famille avaient couru les plus grands dangers ; .que la majesté de la nation avait été outragée dans la personne de son chef que le roi, en résistant à des pétitions aussi inconstitutionnelles, avait conservé le courage calme qui sied à la vertu, mais qu'il était à craindre que des scènes aussi scandaleuses ne se renouvelassent et ne consommassent enfin tous les crimes, annoncés aujourd'hui hautement par une faction qui ne ménage plus rien, parce qu'elle croit être sure du succès : Ouï le procureur-général-syndic, et considérant que le droit de sanction, déféré au roi par la Constitution, a été attaqué par l'attroupement qui a eu lieu le 20 juin dernier ; que la personne du roi, déclarée par la Constitution sacrée et inviolable, a été insultée, injuriée et menacée que ces outrages et ces insultes retombent sur la nation même dont le roi est le chef ; que les excès et les brigandages commis ledit jour sont l'exécution et l'accomplissement des menaces et projets annoncés depuis longtemps par une faction qui compte les crimes au nombre de ses moyens les plus familiers ; qu'il est étonnant, qu'après l'arrêté du directoire de Paris contre les attroupements armés, les brigands soient parvenus, à force ouverte, jusque dans l'intérieur des appartements du roi ; .que cet événement, qui a failli plonger la France dans le plus grand deuil, semblerait prouver l'insuffisance de la. force publique dans Paris ; que c'est néanmoins à cette ville qu'est confié le précieux dépôt des représentants héréditaires et électifs des Français que, si cette force était insuffisante, la nation entière serait le jouet d'une poignée de scélérats, qui substitueraient leur volonté tyrannique à la volonté nationale légalement et librement exprimée ; considérant que la patrie étant en danger, la liberté publique menacée, la Constitution violée, le département doit, aux termes des lois dont il est le fidèle observateur, mettre les gardes nationaux de son ressort en état de réquisition permanente,-pour défendre, autant qu'il est en lui, les pouvoirs constitutionnels dont la destruction paraît être le premier objet d'une faction dominante qui cherche à substituer à l'ancienne aristocratie abattue une aristocratie nouvelle et non moins tyrannique ; que l'Assemblée nationale ne manquera pas sans doute de prendre les mesures les plus vigoureuses pour réprimer ou punir des attentats qui, en anéantissant les pouvoirs constitués, plongeraient la nation dans la plus horrible anarchie ; Mais que, jusqu'au moment de la vengeance éclatante que la nation a droit d'attendre de ses représentants, il est du devoir de l'administration d'envoyer au roi une députation chargée de lui présenter l'hommage de son respect et de son dévouement, et de veiller à la sûreté de sa personne, en éclairant les manœuvres des factieux A arrêté et arrête ce qui suit : Le roi sera remercié de la fermeté qu'il a montrée lors de l'attroupement séditieux du 20 du présent mois, d'avoir soutenu la dignité de la nation, en refusant, au péril de sa vie, de céder aux menaces d'une foule de gens sans aveu, armes contre la toi, et d'avoir usé avec courage du droit que lui donne la Constitution, dont la garde lui est spécialement confiée ; A l'effet de quoi deux députés du directoire du département seront envoyés sur le champ à Paris pour présenter à Sa Majesté son hommage, son attachement et le .témoignage de la reconnaissance publique ; ces députés seront chargés de rendre compte journellement au directoire des manœuvres et des projets des factieux, de veiller à la conservation de la personne du roi et de sa famille, et de périr, s'il le faut, auprès de lui, pour sa défense et le salut de l'État ; Seront lesdits députés chargés d'offrir le secours des deux cents bataillons de ce département, dans le cas ou la garde nationale de Paris se trouverait insuffisante pour assurer la vie du roi et la liberté du corps législatif ; déclare que les citoyens gardes nationaux de ce département sont dès à présent déclarés en état de réquisition permanente, et que les commandants de bataillons désigneront, chaque semaine, le huitième de ces bataillons pour être de planton et prêt à marcher à la première réquisition des autorités constituées. Il sera donné avis de cette mesure à l'Assemblée nationale et au roi. Pour l'exécution des présentes, le directoire a nommé pour ses députés MM. Decaïeu et Berville, membres de l'administration de ce département. Et sera le présent arrêté imprimé et adressé, la diligence du procureur-général-syndic, aux directoires de district du ressort, pour être envoyé aux municipalités, qui le feront lire, publier et afficher en la manière accoutumée. Délivré conforme au registre. Signé : BERVILLE, secrétaire général ; DESJOBERT, vice-président[44]. Cet énergique arrêté fut dénoncé par Bazire à l'Assemblée législative, dans la séance du 26 juin au soir, comme attentatoire à la Constitution, et, malgré l'opposition de Mathieu Dumas, renvoyé à la commission des douze. Cette commission aurait eu fort à faire si elle eût voulu examiner attentivement toutes les pétitions, toutes les adresses qui lui étaient renvoyées et qui exprimaient les opinions les plus contradictoires. En effet, chaque matin, les courriers apportaient à Paris de nouvelles adresses et pétitions, les unes antérieures au 20 juin, et remplies de regrets pour le renvoi des ministres patriotes, de réclamations contre le veto ; les autres, rédigées sur la première impression du récit des manifestations parisiennes, exprimant des sentiments de respect pour la Constitution, de haine contre les anarchistes qui avaient insulté le roi, la royauté et la nation. Chaque soir, la tribune de l'Assemblée législative était assiégée par des députés et de la gauche et de la droite, lisant ou essayant de lire, selon la bonne ou la mauvaise humeur de la majorité, des liasses de protestations, de réclamations qui se combattaient les unes les autres, dont chacun comptait, discutait, contestait ou vantait les signatures, comme nombre ou valeur, et qui, finalement, allaient s'accumuler par masses énormes sur le bureau du président. La gauche fit décréter que désormais les adresses, quelles qu'elles fussent, seraient envoyées directement à la commission extraordinaire et que, sur son seul rapport, on voterait la mention au procès-verbal, l'impression et l'envoi des pétitions qui sembleraient mériter cet honneur. Cette décision suspendit un moment les débats acharnés auxquels se livraient les deux côtés de l'Assemblée en se jetant pour ainsi dire à la tête les opinions contraires de Paris et de la province, des communes et des départements. Malgré le silence qui leur fut ainsi imposé, les constitutionnels puisèrent une force nouvelle dans les encouragements qu'ils recevaient de toutes parts ils voulurent s'en servir pour prendre l'offensive, qu'ils avaient abandonnée à leurs adversaires depuis le commencement de la législature. La masse du public est ainsi faite, qu'elle se laisse toujours entraîner par instinct à écouter ceux qui parlent le plus haut, comme à soutenir ceux qui ont l'air d'être les plus forts. La faveur de l'opinion se tourna donc presque tout entière vers les adversaires des Jacobins. Les amis de La Fayette purent croire un instant que les beaux jours de sa popularité allaient revenir, et qu'il n'aurait qu'à se présenter aux Parisiens pour ressaisir l'immense influence dont il avait joui deux ans auparavant. XII La Fayette était à son camp, sous Bavay, quand il reçut la première nouvelle de la journée du 20 juin. Les scènes dont les Tuileries avaient été le théâtre remplirent d'indignation le cœur libéral et fidèle du général de la Constitution. Aussitôt il envoya Bureaux de Pusy à Menin avertir Luckner qu'il croyait de son devoir de courir à Paris faire auprès de l'Assemblée nationale une démarche décisive. Le vieux maréchal essaya de l'en dissuader, parce que, lui écrivit-il, les Jacobins lui couperaient la tête. Ce fut en vain. La Fayette mit deux jours à assurer la position de son armée/puis partit avec un seul aide de camp[45]. A Soissons, l'administration du département de l'Aisne conjura le générai de renoncer à son projet, persuadée, comme Luckner, qu'il succomberait dans sa lutte avec les Jacobins. La Fayette ne voulut rien entendre, il continua sa course rapide vers Paris, où il arriva le 28 juin. Il descendit chez son plus intime ami, le président du directoire du département, le duc de La Rochefoucauld, puis, sans même prendre le temps de se reposer, il se dirigea vers la salle du Manège. L'Assemblée discutait la loi sur t'état civil, lorsque le président lui annonce qu'on vient de lui faire passer une lettre ainsi conçue : Monsieur le président, J'ai l'honneur de vous prier de demander à l'Assemblée nationale la permission de paraître à sa barre et de lui offrir l'hommage de mon respect. LA FAYETTE. Plusieurs députés demandent que le générât soit admis sur-le-champ la gauche elle-même partage ce désir. Comme il n'y a, dit Isnard, que des raisons pressantes qui aient pu forcer le général à quitter son armée, je demande qu'on l'entende à l'instant. La Fayette paraît donc à la barre. Les députés de la droite et les galeries le saluent avec enthousiasme, mais les tribunes et la gauche gardent le plus morne silence[46]. Président, s'écrie Lecointe-Puyraveau, rappelez le décret qui défend les applaudissements. — Mais, lui réplique-t-on, le même décret défend aussi les murmures. Le silence se rétablit, et La Fayette a la parole. Après avoir expliqué comment son absence ne compromet en rien la position des armées françaises, il expose les raisons qui l'amènent à la barre de l'Assemblée. On a dit que la lettre qu'il avait écrite le 16 n'était point de lui, on lui a reproché de l'avoir dictée au milieu d'un camp il est venu seul, avouer sa lettre, hors de l'honorable rempart de l'affection de ses troupes. Mais ce n'est là qu'une de ses raisons, la principale c'est le 20 juin : Les violences commises aux Tuileries, ajoute-t-il, ont excité l'indignation et les alarmes de tous les bons citoyens, et, particulièrement, de l'armée. Dans celle que je commande ; les officiers, sous-officiers et soldats ne font qu'un. J'ai reçu des différents corps des adresses pleines de leur amour pour la Constitution, de leur respect pour les autorités qu'elle a établies et de leur patriotique haine contre les factieux. Ces adresses, je les ai arrêtées par un ordre dont je dépose copie sur ce bureau, mais vous y verrez que j'ai pris l'engagement de venir seul vous exprimer le sentiment de tous. Je ne puis qu'approuver les motifs qui les animent. Déjà on se demande, dans mon armée, si c'est vraiment la cause de la liberté et de la Constitution que nous défendons. Messieurs, c'est comme citoyen
que j'ai l'honneur de vous parler. Il est temps de garantir la Constitution
des atteintes que tous les partis s'efforcent de lui porter, d'assurer la
liberté de l'Assemblée nationale, celle du roi, son indépendance, sa dignité...
Je supplie l'Assemblée nationale d'ordonner que les
instigateurs des délits et des violences commises, le 20 juin, aux Tuileries,
seront poursuivis et punis comme criminels de lèse-nation, de détruire une
secte qui envahit la souveraineté, tyrannise les citoyens, et dont les débats
publics ne laissent aucun doute sur l'atrocité des projets de ceux qui la
dirigent. J'ose enfin vous supplier, en mon nom et au nom de tous les
honnêtes gens du royaume. — A l'extrémité de la salle des murmures se
font entendre[47].
— J'ose vous supplier de prendre les mesures
efficaces pour faire respecter les autorités constituées, particulièrement la
vôtre et celle du roi, et de donner à l'armée l'assurance que la Constitution
ne recevra aucune atteinte dans l'intérieur, tandis que les braves Français
prodiguent leur sang pour la défense des frontières. Une très-grande partie[48] des députés et des spectateurs des galeries manifestent une vive approbation. Monsieur, répond le président — Girardin —, l'Assemblée nationale a juré de maintenir la Constitution fidèle à son serment, elle saura la garantir de toutes les atteintes. Elle examinera votre pétition et vous accorde les honneurs de la séance. La .Fayette va s'asseoir sur les bancs voisins du bureau. Ce n'est pas là, s'écrie Kersaint, c'est à la place destinée aux pétitionnaires que M. La Fayette doit être. Les constitutionnels murmurent, mais leur ami les quitte et va prendre modestement la place qui lui est assignée. Plusieurs députés demandent le renvoi de la pétition du générât à la commission des douze. Mais Guadet réclame la parole, la droite veut la lui refuser, l'Assemblée est consultée, l'épreuve reste douteuse ; l'ardent méridional s'élance à la tribune et débute par ces mots pleins d'une amère et pénétrante ironie : Au moment où la présence de M. de La Fayette m'a été annoncée, une idée bien consolante s'est venue offrir à moi. Ainsi, me suis-je dit, nous n'avons plus d'ennemis extérieurs à craindre, ainsi les Autrichiens sont vaincus !... Cette illusion n'a pas duré longtemps ; nos ennemis sont toujours les mêmes, notre situation extérieure n'a pas changé ; cependant le général d'une de nos armées est à Paris !... M. de La Fayette se constitue l'agent de son armée et des honnêtes gens ces honnêtes gens ; où sont-ils ? Cette armée, comment a-t-elle pu délibérer ?... M. La Fayette viole lui-même la Constitution, lorsqu'il se rend l'organe des honnêtes gens qui ne lui ont pas donné de mission, il la viole lorsqu'il quitte son poste sans un congé du ministre. — Cela dit, Guadet demande 1° que le ministre de la guerre apprenne à l'Assemblée s'il a, oui ou non, accordé un congé à M. de La Fayette ; 2" que la commission extraordinaire des douze fasse un rapport sur la question de savoir si les généraux en fonction ont le droit de pétitionner. Ramond, qui s'est chargé de répondre à l'attaque du député girondin, cherche, avec quelque embarras, une explication constitutionnelle de la conduite du général pétitionnaire. Mais bientôt les éclats de rire de l'extrême gauche lui font comprendre qu'il se fourvoie ; il sort brusquement de la région des vagues théories, et, renonçant à rester sur une défensive où il se sent mal à l'aise, il va droit à ses adversaires, et les attaque par le point le plus vulnérable. Il y a huit jours, une multitude armée demandait à se présenter devant vous. Des lois positives s'y opposaient une promulgation, faite la veille par le département, rappelait cette loi et en demandait l'exécution... Vous n'avez eu égard à rien, et vous avez admis dans votre sein des hommes armés... Aujourd'hui, l'on invoque encore la constitution et les lois. Contre qui ? Contre M. de La Fayette, dont la vie est une suite de combats contre les despotismes de tout genre, qui a donné pour gage à la nation sa fortune, sa vie tout entière... — On interrompt violemment. — Rendez, s'écrie l'orateur, rendez à la patrie les mêmes services, et vous parlerez ensuite ! — Puis il poursuit son parallèle entre une multitude qui s'est donnée pour la représentation du peuple souverain, qui a parlé exclusivement en son nom, et M. de La Fayette qui, pour l'Amérique comme pour l'Europe, est l'étendard de la révolution... le fils aîné de la liberté française. Un membre de la gauche lance à l'orateur cette interruption sardonique : Je demande à M. Ramond s'il fait l'oraison funèbre de M. La Fayette. — Mais le courageux député de la droite n'y fait aucune attention et continue en ces termes Je cherchais partout une voix qui eût le courage de dénoncer les grands périls de la liberté, mais partout j'ai trouvé le plus profond silence. II fallait que cette voix fût celle qui s'est élevée à la première assemblée des notables contre le despotisme, cette voix à laquelle l'Europe et la France sont accoutumées ; cette voix dans laquelle les amis de la patrie sont habitués a reconnaître les accents de la liberté. Je demande donc que la pétition de M. de La Fayette, où sont dénoncés les vrais ennemis publics, soit renvoyée à la commission extraordinaire, beaucoup moins pour juger la conduite du général que pour l'examiner en elle-même, et faire le plus tôt possible un rapport sur les objets qu'elle renferme[49]. Plusieurs députés réclament la parole ; beaucoup d'autres, le vote immédiat la majorité déclare la discussion fermée. Mais le tumulte recommence il s'agit de savoir si la motion de Ramond sera mise aux voix avant ou après celle de Guadet. Lecointre s'empare de la tribune, un décret l'en fait descendre la parole est également refusée à Carnot le jeune. Plusieurs membres de la Montagne quittent leurs bancs, s'avancent vers le bureau, menacent le président de la voix et du geste, et osent demander qu'il soit envoyé à l'Abbaye, pour n'avoir pas gardé une assez complète impartialité. Après un tumulte violent et prolongé, Daverhoult parvient à se faire entendre et déclare qu'il n'est pas possible d'admettre que la question reste posée comme Guadet en a fait la motion : Le ministre de la guerre sera-t-il interrogé pour savoir s'il a accordé un congé à M. de La Fayette ? Il n'est, dit l'orateur de la droite, aucune loi militaire qui oblige un général à demander une permission pour venir conférer soit avec le ministre, soit avec le roi sur des objets concernant les fonctions qu'il exerce. Contraindre les généraux à se pourvoir régulièrement d'un congé, ce serait entraver la célérité des opérations militaires. Quant au droit de pétition que l'on prétendrait refuser aux officiers supérieurs pourquoi ne l'exerceraient-ils pas quand tous les citoyens en jouissent indistinctement ? Quelques députés réclament la lecture des deux ordres du jour que La Fayette a déposés sur le bureau. Cette lecture est décrétée. En vertu du premier, le général rappelait à ses troupes que la Constitution défendait les démarches collectives à une force essentiellement obéissante mais il prenait acte de leurs sentiments constitutionnels. Par le second, daté de Maubeuge, 26 juin au soir, il annonçait qu'u allait dans une course rapide exprimer à l'Assemblée nationale et au roi les sentiments de tout bon Français, et demander en même temps qu'il fût pourvu aux différents besoins de son armée. Cette lecture faite, la discussion est close. La motion de Guadet est soumise à l'épreuve d'un appel nommai, qui donne le résultat suivant : Pour la question préalable : 339 Pour la motion Guadet : 234 Les amis de La Fayette l'emportaient à une majorité de plus de cent voix. C'était, il est vrai, sur une question incidente ; mais, par cela même, ce vote n'avait que plus d'importance, puisque les ennemis du général avaient été battus sur le terrain même qu'ils avaient choisi avec une incontestable habileté. Seulement comme bien d'autres triomphateurs d'un jour, les constitutionnels ne surent pas profiter de leur victoire.. Ils auraient du ne' pas laisser à leurs adversaires le temps de se remettre du trouble où les avaient jetés l'apparition du général et le vote qui venait de sanctionner la démarche audacieuse qu'il paraissait avoir voulu tenter ils auraient dû avoir tout de suite à soumettre à l'Assemblée plusieurs propositions préparées d'avance, et les arracher à son enthousiasme. Par malheur il n'en fut rien la lettre de La Fayette et ses deux ordres du jour furent renvoyés à la commission 'des douze, et la séance fut levée sans que la droite eût songé à recueillir les fruits de son triomphe. XIII La Fayette, en sortant de l'Assemblée, se rendit aux Tuileries. Dans la cour des Feuillants, il fut l'objet d'une ovation de la part d'un grand nombre de gardes nationaux qui s'offrirent a lui faire cortège. Quelques-uns, pour pouvoir arriver jusqu'à la portière, où ils espéraient lui serrer la main, se jetèrent presque sous les roues de sa voiture. Triste effet de la faiblesse humaine ! l'enthousiasme qui se produisit aux portes du Château inspira plus de défiance que d'espoir i ceux auxquels le général était venu bravement offrir son appui. La réception qui lui fut faite fut assez froide les remercîments de Louis XVI furent polis, mais sans abandon. Après quelques minutes de conversation à peu près banale, La Fayette crut devoir se retirer ; on ne le retint pas. Au moment où la porte se refermait derrière lui, madame Elisabeth s'écria : Il faut oublier le passé, et nous jeter avec confiance dans les bras du seul homme qui puisse sauver le roi et sa famille. A quoi la reine répondit : Mieux vaut périr que d'être sauvé par La Fayette et les constitutionnels[50]. Pendant qu'aux Tuileries on hésitait à accepter la dernière planche de salut qui se présentait, toutes les nuances de parti s'effaçaient aux Jacobins devant le péril commun. Aux craintes de Chabot, Brissot répondait résolument : Les lauriers ne ceignent pas encore la tête du nouveau Cromwell. L'Assemblée aura le courage de châtier l'insolence de M. de La Fayette, et, pour ma part, je prends l'engagement de prouver à la tribune de l'Assemblée nationale que ce héros des deux mondes est coupable de haute trahison. Ce n'est pas une pétition, mais un ordre qu'il a présenté à l'Assemblée ; M. de La Fayette et ceux qui conspirent avec lui ne sont forts que de nos divisions. Rallions-nous donc ! Il fallait que le danger parût bien pressant, puisque ce fut l'adversaire le plus acharné de Brissot et des Girondins, Robespierre, qui releva cet appel à la conciliation en félicitant Guadet de sa harangue du matin, Brissot de celle qu'il venait de faire entendre au club. Mais si Robespierre abjurait ainsi pour un instant une de ses haines, il trouvait au moins l'occasion d'en satisfaire une autre qui lui tenait presque autant au cœur. Après avoir fait l'éloge de ses alliés du moment, il s'écrie : Je viens maintenant à l'ordre du jour, à l'ennemi de la patrie, à La Fayette. L'Assemblée doit frapper ce général d'un décret d'accusation ; il faut que tous les vrais amis de la liberté s'unissent pour le demander, afin que ce traître soit jugé par l'opinion publique avant de l'être par la haute cour nationale. Toute l'Assemblée est unanime pour applaudir à la harangue de Robespierre, et pour vouer à l'exécration de la société mère et de toutes les sociétés alliées le téméraire qui a osé leur déclarer la guerre et la leur déclarer itérativement[51]. XIV L'arrivée de La Fayette avait pris à l'improviste ses amis et ses ennemis. Les constitutionnels, qui l'appelaient de leurs vœux, ne surent que lui proposer lorsqu'ils l'eurent à leur disposition rien n'était prêt, aucun plan n'avait été arrêté, aucun projet n'avait été mûri pour la circonstance qui se présentait. La démarche du générât était chevaleresque dans l'intention, imprudente par le fait mais il fallait au moins qu'elle ne demeurât pas complètement stérile. On résolut donc de profiter de l'occasion offerte par la revue d'une des légions de la garde nationale, que Louis XVI devait passer le 29. Cette légion était justement celle que commandait Acloque ; l'un des officiers les plus déterminés parmi les constitutionnels. Malheureusement, les intrigues qui s'agitaient autour du roi et de la reine se croisaient en si grand nombre, le cercle de police et de délation qui les entourait était tellement resserré que tout. projet était éventé aussitôt que formé. Il avait été convenu qu'après que le roi aurait traversé les rangs des soldats-citoyens, il se retirerait, et qu'alors le général haranguerait la légion et l'enlèverait. Mais ensuite que ferait-on ? Irait-on fermer le club des Jacobins ? se porterait-on sur l'Assemblée ? Tout cela était resté dans le vague, subordonné aux dispositions que l'on trouverait dans la garde nationale et dans la population de Paris. Cependant le parti de la cour ne craignait rien autant que de tomber sous la domination des constitutionnels. Du consentement de la reine, ou à son insu, Pétion fut averti, et, usant de son droit de chef de la municipalité, il décommanda la revue. Le projet improvisé ne put se reprendre sous une autre forme un rendez-vous, donné par La Fayette à ses amis et à ses partisans pour se porter, dans la soirée du 29, au club des Jacobins et en faire fermer. les portes, demeura sans résultat. Ainsi, ceux-là mêmes qui, dans un moment d'enthousiasme, se pressaient autour de la voiture du général le 28 juin, se tinrent à l'écart, le 29, lorsqu'il fut question, non plus de faire une démonstration banale, mais de marcher résolument sur le chef-lieu du désordre, et d'en chasser la poignée de démagogues qui, de cette forteresse inexpugnable, dictent des lois à la France entière. La Fayette, désespéré de l'inutilité de ses efforts, quitta Paris le 30 juin, quarante-huit heures après son arrivée il retourna au milieu de son armée, espérant y retrouver l'appui qui lui avait manqué là où il avait naguère joui d'une si éclatante et si immense popularité. Son règne était passé, celui de Pétion commençait mais ce règne devait avoir une durée plus éphémère encore et se terminer par une plus épouvantable catastrophe : l'exil et les cachots de l'étranger attendaient l'un la mise hors la loi, les angoisses d'une proscription incessante, le suicide solitaire, étaient réservés à l'autre. N'anticipons pas sur les événements revenons à l'Assemblée nationale, au moment où elle reçut les adieux du général de la Constitution. La Fayette, en se retirant sous sa tente, venait de lancer à ses adversaires une dernière, mais Lien vaine menace, sous la forme d'une nouvelle lettre aux représentants du pays : Retournant, disait-il, au poste où de braves soldats se dévouent à mourir pour la Constitution, mais ne doivent et ne veulent prodiguer leur sang que pour elle, j'emporte un regret vif et profond de ne pouvoir apprendre à l'armée que l'Assemblée nationale a daigné statuer sur ma pétition. Le cri de tous les bons citoyens du royaume, que quelques clameurs factieuses s'efforcent en vain d'étouffer, avertit journellement les représentants élus du peuple et ses représentants héréditaires que, tant qu'il existera près d'eux une secte qui entrave toutes les autorités, menace leur indépendance, et qui, après avoir provoqué la guerre, s'efforce, en dénaturant notre cause, de lui ôter ses défenseurs ; tant qu'on aura à rougir de l'impunité d'un crime de lèse-nation, qui a excité les justes et pressantes alarmes de tous les Français, et l'indignation universelle, notre liberté, nos lois, notre honneur, sont en péril. Telles sont, messieurs, les vérités que les âmes libres ne cessent de répéter... Pénétrées des principes que je m'honore d'avoir le premier professés en France, que toute puissance illégitime est oppressive, et qu'alors la résistance est un devoir, elles ont besoin de déposer leurs craintes dans le sein du Corps législatif ; elles espèrent que les soins des représentants du peuple vont les en dé livrer. Quant à moi, messieurs, qui ne changerai jamais, ni de principes, ni de sentiments, ni de langage, j'ai pensé que l'Assemblée nationale, ayant égard à l'urgence et au danger des circonstances, permettrait que je joignisse la nouvelle expression de mes regrets et de mes vœux à l'hommage de mon profond respect. LA FAYETTE. La lecture de cette lettre est accueillie par les plus violents murmures[52]. Delaunay (d'Angers) déclare, aux applaudissements des tribunes, que, si le nouveau César veut passer le Rubicon, il trouvera des Brutus pour lui résister. Je m'étonne, s'écrie Isnard, que l'Assemblée n'ait pas envoyé de sa barre à Orléans ce soldat factieux. Le soir on brûlait au Palais-Royal l'effigie du général, et les journaux jacobins ne tarissaient pas de plaisanteries sur son brusque départ[53]. L'imprudente démarche du général La Fayette, sans but et sans résultat, ne fit qu'avancer le moment du dénouement fatal. Ce dénouement, quel allait-il être ? Serait-il favorable aux royalistes, ou aux constitutionnels, ou aux républicains ? Le parti constitutionnel comprend encore, il est vrai, dans les provinces, la masse de la nation ; mais à Paris il est affaibli et débordé, car depuis trois ans il a eu à subir les assauts réitérés que lui livrent les deux partis extrêmes qui brûlent du désir de l'abattre à leurs pieds, pour se trouver seul à seul en présence il voit à chaque attaque ses rangs s'éclaircir, il sent approcher l'heure où il n'aura plus qu'à s'envelopper la tête de son manteau et à se laisser égorger. Les royalistes espèrent qu'au dernier moment les constitutionnels se réuniront à eux pour combattre l'ennemi commun, et, avec cet appui, ils comptent sur la victoire ; mais ils en sont encore à comprendre les défiances excessives qu'inspirent à la garde nationale de Paris les bravades ridicules de leurs amis de Coblentz et leur alliance de plus en plus intime avec l'étranger. C'est là ce qui fait la force des ultra-révolutionnaires. La seule apparence d'une intervention étrangère dans les affaires de la France révolte et révoltera toujours cette nation à la 6bre si délicate, aux idées si généreuses et si altières. L'empereur d'Autriche a désigné les Jacobins comme les ennemis qu'il vient combattre ; La Fayette a tenu le même tangage dès lors on aura beau jeu pour réunir dans le même anathème le parti constitutionnel et le parti de l'étranger. C'est pourquoi nous allons voir les Jacobins prétendre, à la face de la France, qu'eux seuls peuvent la sauver de l'invasion étrangère, parce qu'eux seuls ils ne s'entendent pas avec l'étranger. Les fers d'Olmütz vengeront La Fayette et ses amis de cette calomnie ; mais qu'importe aux calomniateurs ! ils auront atteint le but de tous leurs désirs, le rêve de toutes leurs ambitions : la chute de la monarchie. FIN DU PREMIER VOLUME |
[1] Voir, dans la Revue rétrospective, 2e série, t. Ier, p. 177, 178 et 179, les billets du ministre de l'intérieur et l'arrêté du directoire du département. Voici la lettre que le directoire du département écrivit au ministre de l'intérieur le 20 juin au soi :
Pans, le 20 juin 1793, an IV
de la liberté.
Nous venons, monsieur,
d'envoyer au maire de Paris copie de la lettre que vous nous avez adressée ce
soir ; nous l'avons prié d'employer tous ses soins pour prévenir que les
événements d'aujourd'hui ne se renouvellent. Vous avez été témoin des mesures
que nous avons concertées avec le commandant général pour que la garde du Château
soit composée de deux mille cinq cents hommes. Nous venons de convenir que M.
le procureur-général-syndic, et, lorsqu'il ne pourra pas y être, deux membres
du directoire, seront constamment aux Tuileries, où ils se rendront demain, au
premier instant qu'il paraîtra nécessaire, pour donner les ordres convenables,
requérir l'action de la force publique et agir à défaut de la municipalité.
Nous vous prions en conséquence, monsieur, de vouloir bien faire avertir M. le
procureur-général-syndic et nous, dès que vous croirez qu'il en sera besoin.
Les administrateurs du département de Paris :
Signé : LA ROCHEFOUCAULD, président ; ANSON, vice-président ; J.-L. BROUSSE, GERMAIN-GARNIER, DAVOUS, THION DE LA CHAUME.
[2] Lettre du ministre de l'intérieur. (Revue rétrospective, p. 479.)
[3] Rœderer, Chronique des cinquante jours.
[4] Mémoires de Ferrières, t. III, p. 123.
[5] Journal des Débats et Décrets, n° 460, p. 307.
[6] Nous donnons à la fin de ce volume, note X, le texte de t'arrêté du directoire de Paris prescrivant les poursuites contre les gardes nationaux qui avaient insulté Sergent. Dix-huit mois plus tard, le chef du bataillon Saint-Lazare, Roland de Montjourdain, qui commandait dans ce moment le poste de la garde nationale de service au Château, fut traduit au tribunal révolutionnaire comme responsable de ce fait. On lui reprocha également, d'avoir colporté la pétition des huit mille, d'avoir voulu défendre le Château, le 20 juin et le 10 août. Il fut condamné à mort le 16 pluviôse an II.
[7] Il y a plusieurs versions de la conversation du roi avec Pétion. Nous avons suivi, pour le commencement de cette conversation, le récit que l'on trouve dans le Moniteur du 27 juin 1792. Mais nous doutons fort que Pétion ait prononcé toutes les paroles hautaines qu'il se prête à la fin de cette version, évidemment arrangée par lui, selon le témoignage de Rœderer lui-même. Le Moniteur, on peut s'en convaincre facilement, recevait souvent les inspirations de la mairie. Voir du reste ce que rapportent de cette conversation Rœderer dans sa Chronique des cinquante jours, et Ferrières dans ses Mémoires, t. III, p. 124.
[8] Mémoires de Ferrières, t. III, p. 425.
[9] Chronique des cinquante jours, p. 78.
[10] Nous avons retrouvé la lettre du secrétaire du conseil général, celle du ministre de l'intérieur et le billet confidentiel de Rœderer. Ces pièces sont complètement inédites. La lettre officielle de Rœderer est imprimée dans la Revue rétrospective.
Maison commune, 21 juin, 10
heures du soir.
Monsieur le Maire,
J'ai l'honneur de vous
prévenir que le conseil général s'est ajourné à samedi prochain, après-demain,
pour entendre le compte des mesures qui ont été prises hier, par vous et par le
corps municipal, relativement à la tranquillité publique. Il a été observé que
le compte ayant dû être rendu par écrit au directoire, votre absence, si elle
était forcée par les circonstances, n'empêcherait pas le conseil général d'en
entendre la lecture.
Je m'acquitte, monsieur le
Maire, du devoir qui m'a été imposé, et je m'en acquitte sur-le-champ, afin que
vous ayez le temps de convoquer.
Signé : ROYER.
Je vous observe que l'esprit
et l'intention de t'arrêté m'ont paru être que vous donnassiez communication au
conseil général du compte, que le directoire vous a demandé.
Paris, 21 juin, l'an IV de la
liberté.
Parmi les moyens, monsieur,
qui pourraient ramener le calme dans Paris, je pense qu'un arrêté du corps
municipal pourrait ramener les citoyens à la tranquillité dont nous sommes
malheureusement privés depuis plusieurs jours. Cet arrêté pourrait être motivé
sur la nécessité de respecter non-seulement la dignité, mais encore la liberté
du roi ; que les ennemis de la France ne demandent qu'un prétexte qui, jusqu'à
présent, leur a manqué ; qu'une révocation du veto arrachée par la force ne
serait, de la part du roi, qu'une protestation de non-liberté ; que, dans un
moment où les ennemis secrets de la chose publique sont si multipliés, il peut
s'en mêler dans les rassemblements des meilleurs citoyens, et qu'ainsi-les
mieux intentionnés pourraient être déshonorés par des scélérats qui se
glisseraient au milieu d'eux. Ces motifs, rédigés avec art et présentés par
vous, pourraient avoir une grande influence sur l'esprit du peuple qui ne
s'écarte souvent des lois que faute de les connaître. En vous offrant de l'éclairer,
je suis assuré d'entrer dans vos vues.
Le ministre de l'intérieur, TERRIER.
Mon ami, la chose la plus
utile et la plus digne de votre zèle que vous puissiez faire serait une
proclamation qui paraîtrait demain matin et dans laquelle vous montreriez au
peuple de quelle importance il est que le roi soit libre, que l'on ne lui
extorque pas une révocation du veto, nulle du fait qu'elle aurait été forcée,
qu'il n'ait aucun prétexte de chercher un autre asile que son palais, que ses
amis n'aient aucun prétexte de déserter notre cause dans un moment où il s'agit
de nous réunir pour la défendre, etc. Vous en savez plus que moi sur cela. Ne
pouvez-vous pas intéresser aussi par la considération de la position où vous
mettent, vous et tous les magistrats qui ont juré la loi, des rassemblements et
des violences qu'elle réprouve ? Je vous demande, en grâce, mon ami, cette
démarche qui, de votre part, ne peut qu'être utile.
Bonsoir.
Signé : RŒDERER.
21 juin, 11 heures du soir.
A Monsieur le Maire de Paris. (Très-pressé.)
[11] Voir dans la Revue rétrospective le texte même de la lettre de Joseau et la note mise au bas, de la main de Rœderer. Cette lettre, que l'auteur de la Revue avait retrouvée seule, ne s'expliquait pas d'elle-même ; elle se comprend facilement lorsqu'on la rapproche des lettres que nous venons de donner.
[12] Moniteur du 24 juin 1792, p. 732.
[13] Voir cette lettre, p. 186 de la Revue rétrospective.
[14] Voici à cet égard un très-curieux rapport que nos recherches nous ont fait découvrir :
22
juin 1792.
Au Maire et aux Officiers
municipaux de Paris.
Nous apprenons à l'instant, messieurs, qu'il doit se tenir ce soir, dans l'église des Quinze-Vingts et dans celle des Enfants-Trouvés, au faubourg Saint-Antoine, une assemblée où l'on doit admettre tous ceux qui se présenteront, sans distinction d'âge, de sexe et de section. Déjà, dans une assemblée de ce genre, tenue hier soir, le cri général était que les lois étaient mauvaises, qu'il n'y avait que la force à leur opposer et qu'on t'avait en main ; dans celle d'aujourd'hui, on se propose de prendre l'arrêté de se transporter de nouveau en armes au château des Tuileries et d'envoyer demain des émissaires pour proclamer, dans les différents quartiers de Paris, ce prétendu projet. Nous nous empressons, messieurs, de vous communiquer cet avis et de provoquer votre sollicitude sur les moyens que vous croirez convenables pour prévenir le désordre. Peut-être jugerez-vous que l'une des mesures les plus efficaces serait que quelques officiers municipaux se rendissent dans le lieu de rassemblée et représentassent avec énergie, aux citoyens, combien le but de ces rassemblements serait coupable, combien leur forme même est contraire à la toi. Nous laissons d'ailleurs, messieurs, à votre prudence de faire le choix de tout autre moyen que vous croirez plus propre à prévenir le mal dans son origine. Nous vous prions de nous faire connaître ce soir, pendant votre séance, le résultat des mesures que .vous aurez prises.
[15] Voir, dans la Revue rétrospective, p. 480-483, le procès-verbal de la section de Montreuil et le rapport du commissaire de police de cette même section. Outre ces deux pièces déjà connues, nous avons retrouvé une lettre confidentielle de ce même commissaire de police au ministre de l'intérieur dans cette lettre se trouvent décrits avec une piquante naïveté les sentiments qui agitaient les masses populaires égarées par quelques meneurs :
Section de la rue de
Montreuil, an IV, le 21 juin 1792.
Un fonctionnaire public, ami
de la Constitution et qui la veut telle qu'elle est, doit vous dire que
l'incursion d'hier doit se renouveler demain ou lundi au plus tard, si vous ne
prenez les précautions les plus sages et en même temps les plus fermes pour
couper dans sa racine le mal que la journée d'hier a fait à notre Constitution.
L'opinion des groupes est que la Constitution est inutile et que le peuple seul
fait la loi. Les citoyens de Paris se croient, sur la place publique, le peuple,
populus, ce que nous appelons universalité des citoyens ; et d'ailleurs
les citoyens sont endoctrinés par des gens qui voudraient pouvoir revenir sur
ce qui peut arriver encore (sic). J'écris au directoire et au maire. J'attends
de vous, monsieur, une réponse qui atteste aux citoyens, lorsque j'en aurai
besoin, que ma sollicitude n'a pas été inactive.
Le commissaire de police de la
section de la rue de Montreuil.
Signé : DUMON.
Monsieur le ministre de l'intérieur.
[16] Avis du commandant du bataillon du Val-de-Grâce, Saint-Prix. Revue rétrospective, p. 196.
[17] M. Louis Blanc, t. VI, p. 433 ; M. Michelet, t. IV, p. 502, s'élèvent avec la plus incroyable acrimonie contre cette proclamation ou, suivant le premier, grondaient toutes les colères du cœur de Louis XVI ; où, suivant le second, le roi parlait sur un ton qu'il eût pu prendre s'il avait eu une armée dans Paris. Nos lecteurs jugeront si c'est la colère où la magnanimité qui présida à la rédaction de cette adresse, et si celui qui la signa devait avoir un ton plus humble, parce qu'il était dénué de tout moyen répressif pour repousser l'envahissement brutal de son palais. Il y a des gens qui mesurent leur langage à la puissance des forces matérielles dont ils disposent ; il y en a d'autres qui le mesurent à la grandeur de leurs droits et de leurs devoirs. Nous avouons hautement notre prédilection pour ces derniers.
[18] Dans le n° 455 des Révolutions de Paris, 1792.
[19] Moniteur du 24 juin.
[20] Voir, page 190 de la Revue rétrospective, la lettre de Pétion à ce sujet.
[21] Cette lettre est publiée in extenso dans la Revue rétrospective, p. 188-189.
[22] Copiée sur l'original même.
[23] Voici le texte même des lettres et arrêtés envoyés à Pétion dans la seule journée du 23 juin. Ces pièces montrent combien le directoire était résolu à faire bonne justice de toutes les excuses dilatoires que le maire de Paris avait toujours à son service.
Paris, le 23 juin 1792.
Monsieur le Maire de Paris,
Nous avions pris hier,
monsieur, un arrêté pour vous inviter à envoyer au conseil du département les
procès-verbaux relatifs aux événements du 20 juin. Nous n'avons reçu de vous
aujourd'hui que l'assurance que ces procès-verbaux nous seraient remis aussitôt
que l'expédition en serait faite, nous vous prions, monsieur, de vouloir bien
vous rendre au conseil ce soir sur les neuf heures, à une conférence que nous
devons avoir avec tes six chefs de légion et M. de Wittenghoff, pour connaître
les dispositions concertées pour demain.
Les administrateurs composant le conseil du département,
Signé : LAROCHEFOUCAULD, président ;
BLONDEL, secrétaire.
P. S. Ne vous étant pas rendu ce matin au conseil du département, 'vous voudrez bien ne pas manquer de vous y trouver ce soir ; votre devoir et celui du conseil te nécessitent.
Paris, le 23 juin 1792, an IV
de la liberté.
Le conseil du département,
monsieur, me charge de vous adresser l'expédition d'un arrêté qu'il vient de
prendre pour que les procès-verbaux relatifs aux événements du 20 juin lui
soient apportés demain, à neuf heures très-précises du matin.
Signé : Le
procureur-général-syndic du département de Paris,
RŒDERER.
LE CONSEIL DU DÉPARTEMENT,
Considérant que, malgré ses
instances réitérées auprès de la municipalité de Paris et les assurances
contenues en la lettre du maire du 22 juin, il n'a cependant, jusqu'à ce
moment, reçu qu'un seul procès-verbal de la matinée du 20 juin, et n'a reçu
aucun des procès-verbaux de ce qui s'est passé au château des Tuileries depuis
l'heure de midi, ainsi qu'il avait été ordonné par l'arrêté du directoire dudit
jour, 20 juin, approuvé par le conseil, le 22 ;
Le procureur-général-syndic
entendu,
ORDONNE que demain 24, à neuf
heures très-précises du matin, le maire et la municipalité de Paris satisferont
à l'arrêté du 21 juin et apporteront les expéditions, ou au moins les minutes
de tous les procès-verbaux, tant du corps municipal que du conseil général de
la commune, relatifs aux événements du 20 juin.
Fait en conseil général du
département, le 23 juin 1792, an IV de la liberté.
LAROCHEFOUCAULD, président ;
BLONDEL, secrétaire.
[24] Moniteur, p. 747.
[25] Ceux qui préparaient déjà le 4 août disaient que les juges de paix instruisant contre les fauteurs et complices du 20 juin avaient formé une chambre ardente. (Voir lettre de Fréron à Merlin de Thionville, 25 juin 1792, p. 7 des pièces justificatives de la Vie de Merlin, publiées par Jean Reynaud.)
[26] Lettre du département au ministre de l'intérieur, 25 juin.
[27] Ce Mémoire, annoncé au Moniteur du 24 juin, a été imprimé in extenso dans le recueil des actes de la mairie de Pétion et parmi les pièces publiées par ordre du département. Il a été reproduit dans la Revue rétrospective et l'Histoire parlementaire, t. XV.
[28] Cette adresse, datée du 22 juin 1792, est signée Poullenot, président, et Colmet, secrétaire.
[29] Voir le Moniteur du 24 juin et le Journal des Débats et Décrets, n° 270.
[30] Journal des Débats et Décrets, n° 274, p. 339.
[31] Moins de sept mois après, Guyton-Morveau, qui proclamait l'entière inviolabilité du roi, devait voter la mort sans appel et sans sursis.
[32] Journal des Débats et Décrets, p. 343.
[33] Voir à la fin du volume, note X, quelques-uns de ces rapports de Pétion.
[34] Nous donnons le texte même de la lettre de Santerre, copiée sur la minute ; le Moniteur se contente de la mentionner.
[35] Journal des Débats et Décrets, n° 272, p. 243.
[36] Le discours de Delfau se trouve au Moniteur et au Journal des Débats et Décrets ; mais le premier de ces journaux a, suivant son habitude, passé sous silence tous les incidents de la discussion.
Ce discours souleva naturellement le soir même, aux Jacobins, des transports de colère ; le nom de l'orateur, inscrit sur les registres de la société, fut rayé à l'unanimité ; le puissant club, se voyant de plus en plus menacé, fit expédier aux sociétés affiliées une circulaire proposée la veille par Lavau. Les Jacobins de province étaient engagés par leurs frères et amis de Paris à accabler l'Assemblée nationale de pétitions, pour obtenir enfin, d'une manière ou d'une autre, la sanction des deux décrets. (Journal du Club, n° CCXX, CCXXI.)
[37] Le Moniteur donne de cette lettre une version complètement différente de la nôtre. Nous avons copié sur l'original même le texte que nous lui donnons.
[38] Gonchon est encore un de ces types qui méritent de nous arrêter quelques instants. C'était un très-habile ouvrier dessinateur pour les articles de soieries, qui, gagnant largement sa vie, consacrait par semaine deux journées à l'entretien de sa famille, et les autres au service de la Révolution, comme il le disait lui-même, plus tard, dans une de ses lettres au Comité de sûreté générale. Il fut un instant caressé, adulé par les plus hauts personnages du parti girondin. Condorcet lui dédiait un mémoire philosophique sur l'art de rendre les peuples heureux (Moniteur du 31 décembre 1792) ; Rolland lui confiait des missions payées sur les fonds secrets mis à sa disposition ce fut ainsi que Gonchon parcourut, sous l'habit d'un colporteur, toute la province de Liège, au moment de son annexion éphémère (à la fin de 1792), et qu'il fit plusieurs voyages à Lyon et en Savoie (Histoire secrète de la Révolution, par Camille Desmoulins, p. 85).
Après le 31 mai, Gonchon devint suspect aux Jacobins, mais on n'osa pas d'abord l'arrêter, à raison de la popularité dont il jouissait dans le faubourg Saint-Antoine. Pendant quelque temps il fut à moitié libre sous la garde d'un gendarme, qui le suivait comme son ombre à travers Paris ; mais, dénoncé nominativement au Club des Jacobins, le 21 septembre 1793, il fut arrêté par ordre de Robespierre ; relâché un instant après le 9 thermidor, repris de nouveau sur la dénonciation de Dubois-Crancé, il ne sortit définitivement de prison qu'en vendémiaire an III, après une captivité de onze mois. Gonchon rentra dès lors pour toujours dans l'obscurité, d'où son désir de se poser en public comme le modèle des sans-culottes, l'orateur du faubourg Saint-Antoine, le délégué perpétuel des ouvriers parisiens, l'avait fait sortir un instant. Pendant sa captivité, sa femme et ses enfants étaient sans pain, sans ressource, et passaient tes nuits à la porte du Comité de sûreté générale a solliciter la mise en liberté de leur soutien. (Tous ces détails sont tirés des lettres de Gonchon lui-même, que nous avons retrouvées.)
[39] Un député de l'Yonne, Laureau, publia notamment dans le Journal des Débats et Décrets, n° 268, p. 303, l'article suivant qui était un rappel à la loi et au bon sens ; malheureusement il ne fut pas entendu :
Le roi a été forcé hier dans
son palais par un attroupement de la capitale. Le pouvoir exécutif
n'appartient-il pas à tout le royaume ? Le royaume ne l'a-t-il pas confié à la
ville de Paris, à la surveillance de la garde nationale ? On a violé le dépôt
remis par les départements, on a donc attaqué leurs droits, la dignité
nationale et la loi.
Honneur et gloire au
département de Paris Je l'ai vu s'élever dans l'Assemblée nationale à la
hauteur de ses fonctions je l'ai vu s'exposer pour le salut de la patrie et de
la loi. Quel grand exemple il a donné !
Que Paris sache s'arrêter sur
ta ligne de démarcation qui sépare la liberté de la licence, qu'il laisse ses
clubs et ses émeutiers, qu'il reprenne ses arts et son industrie !
Cette sollicitude est un devoir, puisque je suis député ; nos départements sont malheureux par les agitations de Paris ; ses mouvements influent sur eux ; ils ne peuvent être heureux que par son bonheur ; qu'il s'applique donc à faire le sien et le nôtre, puisqu'ils sont inséparables !
[40] Voir la lettre du président de la section des Gobelins au président de l'Assemblée, en date du 22 juin (Journal des Débats et Décrets, n° 270, p. 317).
[41] Louis Gilbert Cahier était avant la Révolution avocat au Parlement. Il fut arrêté le 1er septembre 1792, sur la motion de Robespierre, au moment même où, par suite du décret qui cassait la commune insurrectionnelle, il venait reprendre ses fonctions municipales (Histoire parlementaire, t. XVII, p. 356) ; il échappa aux massacres de septembre par suite de la réclamation de sa section (celle de la Grange-Batelière), puis fut incarcéré comme suspect pendant la tourmente révolutionnaire. Cahier entra sous le Consulat dans les rangs de la magistrature et fit partie de la Cour de cassation. Il est mort le 11 avril 1832, âgé de 70 ans. Il ne faut pas le confondre avec Cahier de Gerville qui fut ministre de Louis XVI, et dont il n'était même pas parent.
[42] La motion de Cahier fut présentée au conseil générât le 23 juin. On en ordonna l'impression, et on ne reprit la discussion que le 6 juillet. Les débats furent, ce jour-là, longs et animés. Les constitutionnels l'emportèrent, et firent renvoyer la motion de Cahier au corps municipal pour appliquer la loi du 9 octobre 1791 sur les Clubs. C'était tout ce que pouvait faire le conseil général de la commune, mais c'était évidemment une fois de plus condamner les événements du 20 juin, dont le conseil général rendait ainsi solidaires les Jacobins et les autres sociétés populaires de la capitale.
[43] Dès le 24 juin, la pétition que l'on appela plus tard la pétition des vingt mille, quoiqu'elle eût été loin de réunir ce nombre de signatures, circulait dans Paris, de maison en maison. Sur cent treize notaires ; quatorze seulement refusèrent de recevoir les signatures, de peur de se compromettre. Pendant toute la terreur, ce fut un crime presque irrémissible que d'avoir signé ou fait signer la pétition des vingt mille.
[44] Le Moniteur du 27 juin 1792 donne seulement le dispositif de cet arrêté, commençant par ces mots Le roi sera remercié. Nous avons eu le bonheur de retrouver non-seulement le texte officiel et complet de ce document, mais aussi celui de l'adresse qui fut envoyée en même temps au roi par le courageux directoire. Ces deux pièces méritent d'être conservées à l'histoire, parce qu'elles sont le spécimen le plus intéressant de la réaction provinciale qui se manifesta dans la grande majorité des départements à la nouvelle des événements du 20 juin. Elles sont les plus belles lettres de noblesse que puissent invoquer les descendants de ceux qui eurent l'honneur d'y apposer leur signature.
Adresse du directoire du département de la Somme au roi des Français.
Sire,
Nous venons de lire dans les
papiers publics les événements désastreux du 20 de ce mois, et nous députons à
l'instant vers Votre Majesté. Nous renouvelons dans vos mains le serment que
nous avons fait tant de fois d'être libres par la Constitution, de respecter et
de défendre le roi qu'elle nous a donné et qui a juré comme nous de la
maintenir.
Une foule égarée par quelques
factieux a pris les armes malgré la loi ; elle a osé, malgré la loi, se porter
vers vous en tumulte et s'introduire dans une enceinte qui devait être
inviolable ; des magistrats, lâches ou perfides, lui en ont fait ouvrir
l'entrée ; elle vous a parlé au nom du peuple, contre l'exercice légitime que
vous avez fait du droit de sanctionner ou de suspendre les décrets et contre le
renvoi également constitutionnel des ministres qu'une faction dangereuse vous
avait donnés. Elle a osé... ! Non, sire, ce n'est point là le peuple de Paris,
c'est encore moins le peuple français ; non, ce ne sont point les vœux du
peuple qui vous ont été exprimés par la très-petite portion de ce peuple
immense répandu dans toutes les contrées de l'empire ; le peuple français vous
est fidèle, il a juré de maintenir la Constitution, il vous a reconnu, il vous
reconnaît pour son représentant héréditaire, il ne prétend pas que son roi
puisse être avili ou insulté par les habitants des faubourgs de Paris, ni qu'il
soit gêné par les menaces des factieux ou par tout autre acte de quelque espèce
que ce soit, dans l'exercice des droits que fa Constitution lui garantit.
Au milieu des armes qui vous
pressaient, votre cœur, sire, n'a point palpité ; les nôtres se sont brisés au
récit de cet attentat.
Nous vous félicitons, sire,
nous félicitons la nation entière du courage de son représentant ; la
Constitution serait détruite si vous cessiez d'être libre.
Continuez, sire, de maintenir
la Constitution en la défendant par les armes contre les ennemis du dehors, en
la conservant au dedans par l'exercice de tous les droits que la nation vous a
confiés.
L'Assemblée nationale prendra
sans doute toutes les mesures nécessaires pour garantir Votre Majesté des
dangers auxquels tes factieux voudraient l'exposer encore, pour dissiper tous
les complots, pour en faire punir les principaux auteurs ; nous la seconderons
de tout notre pouvoir ; nous avons mis en état de réquisition permanente toutes
les gardes nationales du département de la Somme ; la patrie est en danger,
lorsque son roi ne peut pas même jouir de la sûreté individuelle que la loi
garantit à tous les citoyens. Les Français de ce département sont prêts à
verser leur sang pour défendre la patrie, le roi et la Constitution ces trois objets
sont indivisibles et leur sont également chers.
Agréez, sire, notre hommage
respectueux et l'assurance de notre inviolable dévouement.
Signé : DESJOBERT, vice-président ; HECQUET, DUHAMEL, TONDU, TRANCART, DECAÏEU, TATTEGRAIN, procureur-général-syndic ; BERVILLE, secrétaire général.
Le 22 juin 1792.
[45] Mémoires de La Fayette, t. III, p. 333 ; Toulongeon, t. Ier, p. 281.
[46] Journal Débats et Décrets, n° 275, p. 386.
[47] Journal Débats et Décrets, n° 275, p. 387.
[48] Journal Débats et Décrets, n° 275, p. 387.
[49] Nous nous sommes aidé, pour rétablir la physionomie de ce discours et de celui de Guadet, des deux versions des Débats et du Moniteur en les corrigeant l'une par l'autre.
[50] Mémoires de La Fayette, t. III, p. 336 ; et Mémoires de Mme Campan, t. II, p. 322.
[51] Pas plus que les Jacobins, le chef de la municipalité parisienne n'était tranquille sur les projets du général La Fayette et de ses amis ; Pétion, toujours si rassuré et si rassurant dans tous ses rapports des jours précédents, écrivait coup sur coup ces deux billets à Ramainvilliers :
28
juin.
Je vous préviens, monsieur le
commandant général, que l'arrivée de M. de La Fayette et le discours qu'il a lu
à l'Assemblée agitent beaucoup les esprits ; il est possible que la
fermentation augmente, je crois prudent de faire doubler les postes qui
environnent t'Assemblée nationale, d'avoir des réserves à proximité du Château
et de faire faire des patrouilles fréquentes, tant en cavalerie qu'en
infanterie, et de surveiller les arsenaux, les prisons et les caisses.
Le maire de Paris, PÉTION.
29
juin.
On m'annonce, monsieur te
commandant générât, que des intentions malveillantes et des rassemblements se
forment avec menaces contre la société des Amis de la Constitution, séante au
bâtiment des Jacobins-Saint-Honoré. Je vous prie de veiller sans délai à la
sûreté et à la liberté de ces citoyens rassemblés, par des patrouilles et par
quelques détachements mis en réserve.
Le maire de Paris, PÉTION.
[52] Journal des Débats et Décrets, n° 277, p. 433.
[53] Nos recherches nous ont fait retrouver un grand nombre de lettres inédites, écrites par le général La Fayette à un de ses amis intimes, membre de la droite modérée de l'Assemblée constituante, M. de Latour-Maubourg. Bien qu'elle se rapporte à une époque antérieure à celle qui fait l'objet spécial de nos études, nous avons cru devoir les publier à la fin de ce volume. Rien de ce qui touche au commencement de la Révolution française et aux principaux acteurs de ce grand drame ne peut nous être indifférent. On verra également par cette correspondance, écrite au courant de la plume, que La Fayette, loin de professer en 1789, comme on l'a répété si souvent, des principes républicains, cherchait à s'entendre avec le côté droit de l'Assemblée et combattait en faveur des opinions professées par la fraction la moins avancée du parti constitutionnel.