HISTOIRE LA TERREUR 1792-1794

TOME PREMIER

 

NOTE PRÉLIMINAIRE.

 

 

La plupart des historiens qui ont écrit sur la Révolution française ont puisé les principaux éléments de leurs récits dans les Mémoires particuliers, dans les pamphlets et les journaux du temps, surtout dans le Moniteur.

Sans doute, ces documents ont leur importance, mais ils doivent être consultés avec une extrême circonspection. La vérité y est trop souvent faussée, et faussée sciemment. Les Mémoires particuliers sont écrits au point de vue spécial de celui qui tient la plume, et parfois dans l'unique but de donner le change à la postérité. Il faut surtout tenir en très-grande suspicion les notes et les Mémoires laissés par certains personnages qui ont pris une part active aux événements de la période terroriste. Rassurés par la disparition des témoins de ce drame sanglant, s'imaginant que les pièces probantes de leurs crimes passés et de leurs mensonges posthumes étaient anéanties, il ont travesti l'histoire à leur guise et pour leur seule réhabilitation personnelle.

Les pamphlets et les journaux du temps sont rédigés avec une telle passion qu'ils dénaturent à plaisir les événements et leurs causes, les actes et leurs mobiles ; ils contiennent à chaque page d'impudents mensonges qu'ils ne prennent jamais la peine de rectifier, et ne peuvent être cités que comme donnant un spécimen irrécusable et incessant des préjugés, des folies et des fureurs de l'époque.

On a si souvent vanté l'impartialité du Moniteur, que l'immense majorité des lecteurs y croit encore avec la plus aveugle confiance ; et cependant, que de séances tronquées, que de discours omis, que d'actes révoltants de partialité n'a-t-on pas à reprocher à cette feuille, qui n'est devenue que plus tard officiellement véridique ! Nous ne voulons pour preuve de ce que nous avançons que l'aveu consigné dans une lettre trouvée parmi les papiers de Robespierre, et qui a été écrite au tout-puissant démagogue par le citoyen Grandville, rédacteur en chef de l'article CONVENTION NATIONALE du Moniteur. Nous en avons tenu l'original dans nos mains. Cette lettre porte la date du 18 juin 1793 par conséquent, elle est de quinze jours postérieure à la proscription des Girondins. Nous n'en donnons que les passages les plus saillants, de peur de fatiguer le lecteur par le spectacle trop prolongé de la lâcheté humaine portée à sa dernière limite.

Citoyen,

Je vous prie de me communiquer fraternellement les reproches que vous pourriez avoir à nous faire. Souvent on attribue à l'intention ce qui n'appartient qu'à l'erreur ; l'écrivain le plus dévoué à la cause du patriotisme est sujet à être accusé. Souvent on le soupçonne pour la plus légère omission.

... Il n'y a que deux mois qu'on avait l'opinion qu'un journal devait également publier tout ce qui se dit pour ou contre ; en sorte que nous étions forcés, sous peine d'être dénoncés, sous peine de perdre la confiance de nos abonnés, de publier les diatribes les plus absurdes des imbéciles ou des intrigants du côté droit. Cependant vous devez avoir remarqué que toujours le Moniteur a rapporté avec beaucoup plus d'étendue les discours de la Montagne que les autres. Je n'ai donné qu'un court extrait de la première accusation qui fut faite contre vous par Louvet, et j'ai inséré en entier votre réponse. J'ai rapporté presque en entier tous les discours qui ont été prononcés pour la mort du roi, et je ne citais quelques extraits des autres qu'autant que j'y étais indispensablement obligé pour conserver quelque caractère d'impartialité. Je puis dire avec assurance que la publicité que j'ai donnée à vos deux discours et à celui de Barrère en entier n'a pas peu contribué à déterminer l'opinion de l'Assemblée et celle des départements.

Personne ne contestera non plus que le Moniteur n'ait rendu les plus grands services à la révolution du 10 août. Au reste, il suffit de jeter un coup d'œil sur nos feuilles depuis un mois pour voir qu'il n'est aucun journal qui ait plus contribué à culbuter dans l'opinion publique les intrigants dont le peuple va faire justice. D'après cela nous croyons avoir quelque droit à l'indulgence et même à la protection des patriotes.

 

Ce document historique, où le vil adulateur de Robespierre appelle la mort sur la tête des malheureux Girondins, caractérise à lui seul toute une époque et n'a pas besoin de commentaire.

Afin d'éviter les fautes que nous croyons pouvoir reprocher à certains de nos devanciers, nous avons mis le plus grand soin a collationner, séance par séance, les comptes rendus du Moniteur avec ceux du Logographe et du Journal des Débats et Décrets, recueils très-rares et souvent plus exacts et plus complets que le premier. C'est ainsi que nous avons pu rétablir la physionomie vraie de plus d'une séance importante de la Législative et de la Convention.

Nous n'avons pas négligé les documents imprimés, surtout ceux qui, publiés au jour le jour en feuilles isolées, se trouvent à grand'peine dans le fond des bibliothèques et des collections particulières. Mais nous avons eu principalement recours aux Documents originaux et authentiques. Les neuf dixièmes des pièces que nous donnons, soit dans le texte, soit dans les notes placées au bas des pages, soit dans les éclaircissements rejetés à la fin du volume, sont complètement inédites. Nous n'avons reculé devant aucun sacrifice de peine, de soin, de temps et d'argent ; nous avons fouillé les dépôts, les archives, les greffes existant à Paris et dans beaucoup de départements. Nos lecteurs jugeront si notre moisson a été fructueuse, et si, en venant après tant d'écrivains qui ont traité, avec un incontestable talent, le sujet que nous abordons, notre témérité a son excuse, notre œuvre a sa raison d'être.

Mais, nous avons hâte de le dire, ce qui, dans le cours de ces travaux si longs et si pénibles, nous a soutenu et encourage, c'est que partout nous avons recueilli des marques de sympathie bien précieuses ; c'est que nous avons trouvé chez tous les dépositaires ou possesseurs de ces richesses historiques un concours empressé et efficace. Qu'ils nous permettent de leur en exprimer ici notre gratitude bien sincère et bien profonde.