PENDANT les dix années que César mit à conquérir la Gaule, de graves événements s’étaient succédés à Rome ou dans les autres contrées, soumises à son pouvoir. A l’intérieur, l’anarchie est partout. On sent que le pouvoir est vacant et que la République attend une main ferme, vigoureuse, qui, au prix même de la liberté, lui rende la sécurité et arrête l’effusion du sang des citoyens. Pompée avait tenté l’entreprise. Elle était au-dessus de ses forces. Renfermé dans sa maison avec sa jeune épouse, il laisse aller les choses de l’État et abandonne tout à Clodius. Cicéron exilé, Caton éloigné de Rome, Clodius y régnait en maître. A la fin pourtant Pompée sort de son inertie. Il retenait captif le fils de Tigrane l’Arménien. Clodius le fait échapper moyennant rançon. Pompée, pour se venger, facilite le retour de Cicéron, qui rentre triomphant porté, dit-il lui-même, sur les épaules de toute l’Italie. C’est le signal d’une réaction contre Clodius. Annæus Milon se place à la tête des partisans du sénat, et les deux ennemis s’étant rencontrés sur la voie Appienne, Milon tue Clodius. Grande rumeur dans Rome. Pompée, heureux au fond d’être débarrassé de Clodius, poursuit Milon coupable de meurtre, et, afin de maintenir l’ordre, entoure la place de soldats. Cicéron, qui s’était chargé de la défense de l’accusé, a peur et prononce un discours embarrassé, qu’il retouche plus tard et dont il fait sa belle Milonienne. Milon s’exile à Massalie (52). Un jour qu’il lisait le second discours de Cicéron. Quel bonheur, dit-il, qu’il n’ait pas été prononcé, je ne mangerais pas ici ces excellents mulets ! Durant l’intervalle de deux campagnes, de 57 à 56, César avait renouvelé son alliance avec ses deux collègues dans des entrevues qui eurent lieu à Ravenne et à Luca, petite ville de la Ligurie. Il se fait confirmer le commandement de la Gaule ; Pompée a celui de l’Espagne et Crassus celui de la Syrie. Crassus était jaloux des exploits de César : il veut aussi se donner un renom militaire et il entreprend la guerre contre les Parthes. Un stimulant à son désir étaient les prodigieuses richesses, que le proconsul Gabinius, chargé de rétablir Ptolémée Aulétès sur le trône d’Egypte (57), avait rapportées de l’Orient. Il part, malgré les imprécations du tribun Ateius, à l’âge de soixante ans, pour une expédition à peine excusable dans une jeune tête. Son fils, qui s’était distingué en Gaule, l’accompagne comme lieutenant (55). Ils arrivent à Zeugma, ville de Syrie sur l’Euphrate ; et l’armée romaine, forte de sept légions et de quatre mille cavaliers, se met en marche le long du fleuve. Le questeur Cassius, homme de tête et d’action, propose à Crassus un plan de campagne, qui consiste à suivre le fleuve jusqu’à Séleucie, afin de n’être pas séparé de sa flotte et de ses vivres, et d’éviter d’être enveloppé par les cavaliers ennemis, en les maintenant toujours en face. Mais Crassus fier d’avoir pillé quelques villes et les trésors des temples, se laisse tromper par un chef arabe, Ariaumès ou Acbarus, qui l’entraine dans les plaines sablonneuses de la Mésopotamie. Les forces des Parthes, divisées en plusieurs corps et commandées par le roi Hyrodès et son généralissime Surena, cernent les Romains au nord et à l’ouest. Quand les cavaliers ennemis se précipitent sur eux, leurs rangs serrés opposent une vive résistance, mais il est impossible de repousser les attaques incessantes des escadrons disséminés et fuyants, qui tournent autour des légions et les criblent de flèches. Le jeune Crassus, prenant une résolution héroïque, tente une charge, à la tête de quinze cents chevaux. Les Parthes cèdent, mais l’attirent à leur poursuite dans une embuscade, où il périt après des prodiges de valeur. Sa tête, portée au haut d’une pique ; est promenée sous les yeux de son malheureux père, qui, écrasé par la douleur et le désespoir, laisse le commandement aux mains de Cassius. 0u était aux environs de Carrhes (Harran de l’Écriture). Cassius dirige la retraite de ce côté. Les Parthes font subir des pertes continuelles à l’armée romaine. Arrivé à Sinnaca, Crassus se rend à une entrevue que lui offre Suréna. Une sorte d’émeute suscitée par les cavaliers parthes jette le trouble dans la conférence. Crassus met l’épée à la main et est tué par Promaxéthrès. Sa tête coupée, apportée à Tralles dans un festin, au milieu d’une représentation des Bacchantes d’Euripide, passe de main en main comme un jouet d’enfant, et c’est par une pièce de comédie, dit Plutarque, que se termine l’expédition tragique de Crassus (53). Dans ce désastre il périt plus de vingt mille Romains : dix mille prisonniers conduits par les vainqueurs dans la Margiane (oasis de Merv), aux extrémités de l’Orient, y vécurent en esclaves et astreints à servir dans les armées des Parthes. La mort de Crassus rompait le triumvirat, celle de Julia rompt les liens de famille entre César et Pompée, qui épouse Cornelia, veuve du jeune Crassus. La mésintelligence, depuis longtemps sourde et secrète entre le beau-père et le gendre, n’attendait, pour ainsi dire, que l’occasion d’éclater. Déjà, en 55, à propos de la loi Trebonia, proposée pour conférer des provinces à Pompée et à Crassus, les adhérents de César avaient soutenu une querelle tumultueuse et sanglante avec Caton, Ateius, Favonius et les hommes de leur parti. Pour se ménager la faveur populaire, Pompée fait construire le théâtre qui porte son nom, le premier édifice de ce genre ni fut bâti en pierre et destiné à durer. Quarante mille spectateurs y tenaient à l’aise. César, occupé en Gaule, ne perd pas cependant du renard les affaires de Rome. Le terme de son gouvernement approchait : il met tout en œuvre pour se présenter au consulat, quoique absent de la cité. On fait semblant de lui accorder sa demande et de la placer sous la protection de la loi ; puis, à l’aide de menées d’une légalité suspecte, on lui conteste la validité du droit qu’on lui avait reconnu. Le consul Marcus Marcellus émet la motion formelle que les deux provinces de Gaule, réunies entre les mains de César en 51, soient assignées aux deux consulaires à pourvoir pour l’an 49. Dès lors tous les actes émanés de Césars à partir de ce moment, se trouvaient nuls de plein droit. Marcellus fait plus : il ordonne qu’on batte de verges un habitant de Novo-Comum, colonie fondée par César, comme n’ayant pas la qualité de citoyen romain. Les Pompéiens approuvent Marcellus et demandent que le sénat exige de César de licencier sans délai son armée, puisque la conquête des Gaules est finie. Les Césariens réclament. Vibius Pansa fait observer que Pompée est à la fois consul en titre et proconsul des Espagnes. Rome, moins préoccupée des exploits de Cicéron en Cilicie et de ses succès oratoires que de l’animosité des partis, attend avec anxiété l’issue de ces luttes d’autorité et de prépondérance. C’est alors qu’on voit entrer sur la scène le jeune et fougueux tribun C. Curion, noble, éloquent, plein d’audace, et, suivant le mot de Velleius Paterculus le plus spirituel des pervers. Vendu à César pour seize millions, il voit avec une merveilleuse intelligence le point vulnérable de la situation de Pompée et y porte ses coups. Quand on propose de nouveau, en mars 50, la question des provinces de Gaulé à conférer, il adhère au sénatus-consulte de 51 ; mais il soutient qu’on ne peut rester fidèle à la loi qu’en abolissant tous les pouvoirs exceptionnels, ceux de Pompée et ceux de César, Le débat s’ouvre et amène la défaite complète des Pompéiens. Le sénat décide que les proconsuls des Gaules et des Espagnes sont invités à déposer leurs pouvoirs. César se déclare prêt à céder ; Pompée refuse. Une grave maladie qui avait failli l’emporter, lorsqu’il était à Naples, et dont il venait de guérir, lui donne un regain de popularité. De son côté César reçoit un accueil triomphal dans la Cisalpine. Ses vétérans sont dans l’enthousiasme, prêts à tout oser pour lui. Curion, après avoir échauffé à Rome lès esprits césariens, accourt au camp de Ravenne, oit se trouve César avec la treizième légion. Cicéron, revenu de Cilicie, conseillait à Pompée de négocier avec son rival. César feint de s’y prêter et fait offrir par Curion et par Antoine de garder la Cisalpine et l’Illyrie avec deux légions. Les Pompéiens Lentulus, Marcellus et Scipion, exaltés par la passion et la colère, refusent ces offres et requièrent César de résigner son commandement, sous peine de haute trahison. Antoine, tribun du peuple, et son collègue Cassius protestent contre cette illégalité, et, menacés d’être expulsés par la force, s’enfuient avec Curion au camp de César. De part et d’autre il n’y avait plus qu’à tirer l’épée. César avait une armée aguerrie, dévouée, prête à se faire tuer pour son général. Favonius ayant demandé à Pompée quelles étaient ses ressources militaires : Ne t’inquiète pas, dit-il, je n’ai qu’à frapper du pied la terre, il en sortira des légions. — Frappe donc ! repartit Favonius. En fait, il pouvait opposer soixante mille soldats aux cinquante mille Césariens. A Ravenne, César, dans un langage plein de cette éloquence qui enlève les âmes, instruit les soldats de ce qui est arrivé ; puis il se met en marche et s’arrête aux bords du Rubicon (Fiumicino). Cette petite rivière, qui descend de l’Apennin et dont le nom latin est dû à la couleur des mousses tourbeuses qui la rougissent, marque, entre Ravenne et Ariminum, la frontière de l’Italie et de la Gaule cisalpine. On dit que César, au moment de la franchir, hésita. Aux termes de la loi, était dévoué aux dieux infernaux et déclaré sacrilège et parricide, quiconque, avec une légion, une armée ou une escorte, passerait le Rubicon. L’heure était solennelle, décisive. Historiens et poètes se sont sentis émus en racontant ce moment redoutable dans la vie de César. Il semble toutefois qu’il ait pris sa résolution non d’une manière soudaine, mais après un examen réfléchi. Le matin du 27 novembre 50, il fait partir son avant-garde ; assiste à des jeux publics à Ravenne, invite du monde à sa table, monte, le soir, sur un char traîné par des mules et se rend au petit pont du ruisseau par un chemin détourné. Quelques-uns de ses soldats l’avaient déjà franchi i il le passe, à son tour, en s’écriant : Alea jacta est : le dé est jeté ! Quand on apprend à Rome l’occupation d’Ariminum, véritable déclaration de guerre, oit croit déjà César aux portes de la ville, et Pompées enfuit avec tout le sénat. Un seul des lieutenants de César, le brave Labienus, passe dans son parti. César, maure de Rome, traite tous ceux qu’il y trouve avec mie extrême bonté, et ne commet d’acte arbitraire que de s’emparer de l’argent du trésor, malgré la résistance du tribun Metellus. Il pousse ensuite la guerre avec rapidité et, tandis que Pompée gagne successivement Capoue, Brundusium, et enfin Dyrrachium de l’autre côté de l’Adriatique, César prend Corfinium, Valerius chasse les Pompéiens de la Sardaigne, et Curion soumet la Sicile. Confiant alors je gouvernement de Rome à Lépide et le commandement des troupes d’Italie à Marc-Antoine, il part pour l’Espagne, province toute pompéienne, qu’il importe de pacifier avant d’aller à la poursuite de Pompée. Je vais, dit-il, combattre une armée sans général ; ensuite j’attaquerai un général sans armée. Massalie, dévouée à Pompée, l’arrête au passage : il la fait assiéger par Trebonius et Decimus Brutus, franchit les Pyrénées, et se, trouve d’abord engagé dans une situation difficile. De mauvaises nouvelles lui arrivent en même temps. Curion, en Afrique, a été défait et tué par Varus et Juba ; Dolabella, en Illyrie, a été fait prisonnier, Cicéron resté jusque-là en Italie est passé dans le camp pompéien. Mais bientôt le succès revient à César. Il bat les trois généraux de Pompée Petreius, Afranius et Varron, à Ilerda et près du Sicoris. Au retour, il pardonne à Massalie, qui s’est rendue, y apprend qu’il a été nommé dictateur, et revient à Rome exercer durant onze jours la souveraine autorité. Il s’en sert pour rappeler les bannis, réintégrer dans leurs droits les enfants des proscrits de Sulla et libérer les débiteurs d’une partie des intérêts de leurs dettes. Il songe alors à marcher contre Pompée, met à la voile avec une flotte telle quelle, traverse la mer Ionienne, s’empare d’Oricum et d’Apollonie, et renvoie les vaisseaux de transport à Brundusium pour faire traverser les retardataires. C’est à ce moment que la légende place l’anecdote du pilote et le mot célèbre : N’aie pas peur, mon brave, tu portes César et sa fortune ! Bientôt après, Antoine débarque, amenant le reste des troupes d’Italie. César presse alors le siège de Dyrrachium, où Pompée s’était enfermé avec une armée nombreuse, mais composée d’éléments en discorde, d’hommes de parti furieux et ne respirant que la vengeance, de gens habitués à prendre leurs aises sous des tonnelles gracieuses, près de frais gazons, de murailles tapissées de lierre, usant à leurs repas de coupes d’or et de vaisselle d’argent. Les soldats de César, animés d’un même esprit, formaient un singulier contraste avec leurs élégants ennemis. Ils se nourrissaient d’un pain grossier et parfois de racines, mais ils avaient juré qu’ils mâcheraient l’écorce des arbres avant de céder d’une semelle. Cependant une attaque malheureuse rend la position de César insoutenable : les vivres allaient lui manquer, et Scipion, qui arrivait d’Orient avec deux légions, faisait en Thessalie des progrès menaçants. En allant au-devant de lui, César compte entraîner à sa suite les Pompéiens, rendus fiers et confiants par sa retraite. Ce calcul était juste. Comme il l’avait prévu, Pompée le suit et les deux armées se trouvent en présence près de Pharsale (9 août 48). Située sur une éminence rocheuse, qui se relie à la chaîne de l’Othrys, Pharsale est entourée, d’une vaste plaine arrosée par l’Enipeus. C’est là que se joue la destinée de l’univers. L’armée de Pompée, comptant quarante-sept mille hommes et sept mille chevaux, était deux fois plus forte que celle de César en infanterie et sept fois supérieure en cavalerie. Mais la confiance dédaigneuse et la présomption imprévoyante des Pompéiens doubla les forces des légions exercées et résolues de César. On dit que celui-ci, passant sur son front de bataille avant l’action ; dit aux soldats : Frappe au visage ! C’était faire entendre que les élégants parfumés, les beaux danseurs du camp de Pompée avaient peur d’une balafre. Pompée tient sa droite appuyée à l’Enipeus ; César, devant lui, assure sa gauche sur le terrain coupé en avant du ruisseau. La bataille engagée demeure quelque temps indécise. Labienus rompt la cavalerie césarienne et la poursuit, mais il vient se heurter contre deux mille vétérans rangés derrière les cavaliers. Leur attaque imprévue rejette en désordre les assaillants, qui s’enfuient à bride abattue. En même temps, les Césariens se précipitent sur la gauche ennemie et la prennent à revers, pendant que César pousse en avant une troisième ligne de réserve. Cette manœuvre assure la victoire. Pompée, comme frappé de vertige, rejette les insignes du commandement, monte à cheval, s’enfuit par la route la plus courte jusqu’à la mer, et aperçoit un vaisseau prêt à lever l’ancre. Le patron était un Romain nommé Peticius. Il reçoit Pompée à son bord avec les compagnons de sa déroute, Lucius et Publius Lentulus, Favonius et le roi de Galatie Dejotarus. Arrivés à Mitylène, ils sont rejoints par Cornelia et par Sextus Pompée. Après quelques jours d’incertitude et de voyage, Pompée se décide à demander asile au roi d’Égypte, Ptolémée XII, son obligé : il comptait sur la reconnaissance du jeune prince. Il le fait avertir à Péluse de son arrivée prochaine. Trois conseillers dirigeaient toutes les actions de Ptolémée, l’eunuque Pothin, le rhéteur Théodote et l’officier Achillas. Ils engagent leur pupille à prier Pompée de débarquer et à s’en débarrasser sur-le-champ. C’était un moyen sûr de plaire au vainqueur de Pharsale. Un petit bateau de pêche est expédié, monté par Achillas et par deux Romains, Septimius, ancien compagnon d’armes de Pompée, et un autre officier, Salvius. Pompée prend congé de ses amis et de sa famille} le jour anniversaire de son triomphe sur Mithridate, descend dans la barque fatale, suivi d’un de ses affranchis, Philippe, et de l’esclave Sciné, et salue courtoisement Septimius, qui s’incline sans lui répondre. De loin, Cornelia et ses amis observent tous ces mouvements avec une anxiété des plus vives. Pompée tenait, dit-on, un rouleau de parchemin sur lequel il avait écrit les notes d’un discours à Ptolémée. Arrivé près de terre, il s’appuie sur la main de Philippe pour débarquer. Alors Septimius s’approche par derrière et le frappe de son épée. Le blessé roule en s’enveloppant la face de sa toge. Salvius et Achillas lui portent les derniers coups. Sa tête, séparée du corps, est emportée au palais du roi, tandis que le tronc est jeté à la mer et poussé sur les brisants. Un cri d’horreur s’échappe de la trirème qui porte Cornelia, avec les autres spectateurs de cette scène affreuse, et qui s’éloigne en toute hâte pour échapper à la poursuite des Égyptiens. Philippe, dit Plutarque, demeuré seul à côté du cadavre, le lave d’eau de mer et l’enveloppe, faute d’autre vêtement, d’une de ses tuniques. En regardant autour de lui sur le rivage, il aperçoit quelques débris d’un pauvre bateau pécheur, vieux, mais suffisant pour former un bûcher à un cadavre nu, à des restes mutilés. Pendant qu’il rassemble et dispose ces débris, un Romain, du nom de Cordus, qui avait fait ses premières campagnes sous Pompée, s’approche de lui : Qui es-tu, lui dit-il, toi qui songes à rendre les honneurs funèbres au grand Pompée ? — Je suis son affranchi. — Eh bien ! tu ne feras pas seul cette belle action. Admets-moi à prendre part à ce pieux office. Je n’aurai point à me plaindre de mon séjour sur la terre étrangère, puisque, en retour de mille soucis, j’aurai eu le bonheur de toucher et d’ensevelir de mes mains le plus grand capitaine de Rome (28 septembre 48). Pompée avait cinquante-huit ans. Pendant que les chefs pompéiens s’enfuient de différents côtés, le vainqueur poursuit sa victoire avec une activité infatigable. Antoine retourne en Italie ; Calenus tient en respect la Grèce méridionale, et César fait voile vers l’Égypte. Il voulait, s’il était possible, sauver Pompée. Théodote lui apporte la tête et l’anneau de son rival. César reçoit l’anneau, mais il se détourne avec horreur de la tête mutilée, et lui donne, les larmes aux yeux, une sépulture digne d’elle. Les meurtriers comprennent quel va être leur sort. Ptolémée était en lutte avec sa sœur, la fameuse Cléopâtre. César donne raison à la sœur contre le frère. Les Alexandrins font mine de se soulever, et les meurtriers de Pompée assiègent César dans son palais. Mais, avec une poignée de soldats, il soutient héroïquement leurs attaques ; puis, mettant le feu aux édifices voisins, l’arsenal et le port, il se sauve dans la presqu’île de Pharos, se jette à la nage et rejoint ses vaisseaux. Par un retour agressif, il fond sur les assaillants et immole aux mânes de son gendre lés hommes lâches et perfides qui l’avaient assassiné. Le corps du roi lui-même fut retrouvé sous la vase et reconnu à sa cuirasse d’or (47). Satisfait de cette vengeance, César se dirige vers le Pont, où Pharnace, fils de Mithridate, suscitait une révolte contre Rome. César l’attaque et le défait à Ziela avec une rapidité rendue proverbiale par les mots : Veni, vidi, vici ! je suis venu, j’ai vu, j’ai vaincu ! De retour à Rome, César, dictateur pour la troisième fois, se concilie le peuple par des mesures libérales, et les soldats par des promesses et même par des sévérités. Un jour, des légions de Campanie se mutinent et demandent leur congé. Deux chefs, Cosonius et Galba, sont tués dans le tumulte : César convoque les soldats dans le Champ de Mars, et le premier mot qu’il leur adresse, au lieu de Commilitones, compagnons d’armes, est Quirites, citoyens romains. Licenciés par ce mot seul, accablés de honte, ils implorent leur pardon, que César leur accorde aux conditions les plus rigoureuses. Il se transporte alors en Afrique, où les républicains et les Pompéiens s’étaient réunis autour de Caton, de Metellus Scipion et de Juba, roi de Numidie. Utique était le siège du sénat des Trois Cents réunis antérieurement à Thessalonique. Le 4 avril 46, César sort de son campement, la nuit, pour investir Thapsus, que Juba et Scipion essaient en vain de défendre. Ils sont battus. Scipion veut fuir eu Espagne ; mais, assailli par un orage, il craint de tomber aux mains du vainqueur, se perce de son épée et se jette dans la mer. Caton, réfugié dans Utique, voyant que tout est perdu, fait échapper les sénateurs qui se trouvaient avec lui et prend la résolution de se donner la mort. Après le bain et le souper, il se retire, et lit le dialogue de Platon sur l’immortalité de Filme. Vers minuit, après quelque temps de sommeil, il envoie à la mer pour s’assurer du départ de ses amis, soupire en apprenant que la mer est orageuse ; puis, après un nouveau sommeil, il se lève et s’enfonce soi épée dans le corps. On accourt au bruit ; un médecin panse la blessure, mais, Caton arrache l’appareil et expire sur-le-champ (46). César, en arrivant à Utique, apprend cette mort et s’écrie : O Caton, pourquoi m’as-tu envié l’honneur de pardonner à mon plus noble ennemi ? Les derniers Pompéiens Considius ; Afranius ; Faustus Sulla, Juba, Petreius périssent également de mort violente, et la République expire avec eux. Réfugiés en Espagne, Varus, Labienus, et les deux fils de Pompée, Cneius et Sextus, soutiennent le suprême effort de la guerre civile. César interrompt les fêtes, les jeux et les festins de son triomphe, pour anéantir ces débris. Après des engagements meurtriers, mais indécis, les Pompéiens viennent se poster devant Munda pour y livrer la bataille. Elle a lieu le 17 mars 45. Chaudement disputée. elle se termine, sur le soir, par la victoire de César. Trente-trois mille Pompéiens succombent dans cette journée sanglante, où sont tués Varus et Labienus. Jusqu’ici, s’écrie César, j’ai combattu pour la victoire, aujourd’hui j’ai lutté pour la vie ! Cneius Pompée est tué dans sa fuite ; Sextus se réfugie chez les Cajétans. L’Espagne se soumet. César concentre alors en lui tous les pouvoirs, dictateur à vie, maître des mœurs, imperator, consul sans collègue, tribun, grand pontife et augure. Le sénat, sur la proposition de Cicéron, lui donne le, titre de Père de la Patrie et le droit de porter une couronne de laurier. Le mois de Quintilis, où il est né, prend désormais le nom de Julius (juillet). Dans son premier triomphe on étale, entre autres merveilles, le Rhin, le Rhône et l’Océan représentés en or, pour rappeler la conquête de la Gaule. Dans le second, remporté sur l’Égypte, on voit les images du Nil, d’Arsinoé, femme du roi Ptolémée, et celle de Pharos, tout étincelante de lumière. Le troisième offre Pharnace et le Pont ; le quatrième, Juba, les Maures et l’Espagne deux fois subjuguée. De Pharsale, de Thapsus et de Munda, il n’est pas fait mention, mais on expose aux regards Caton, Petreius et Scipion se perçant de leur épée. Vercingétorix, conduit par les rues, est décapité dans sa prison. Et cependant, derrière le char du triomphateur, les soldats chantent des couplets ironiques : Fais bien, tu seras battu ; fais mal, tu seras roi ! Maris de Rome, gare à vous, nous amenons le galant chauve ! On distribue ensuite aux citoyens du blé et trois cents sesterces par tête ; vingt mille sesterces à chaque soldat. Un grand banquet de vingt-trois mille tables, de trois lits chacune, réunit les soldats et le peuple ; puis, après le festin, ce sont des combats de gladiateurs et de captifs, combats à pied et à cheval, combats d’éléphants, combats navals dans le Champ de Mars transformé en lac. Maître absolu de Rome et du monde entier, César conçoit et entreprend de grandes réformes et d’utiles travaux. Construction d’un temple au dieu Mars, réforme du calendrier, vaste port à Ostie, grande route de l’Adriatique û la nier Tyrrhénienne par-dessus l’Apennin, Capoue et Carthage relevées de leurs ruines, percement de l’isthme de Corinthe, immense amphithéâtre au pied de la roche Tarpéienne, droit de cité à tourtes les professions libérales exercées même par des étrangers, grandes bibliothèques concentrant tous les produits de la pensée humaine, réunion en un seul code de toutes les lois du peuple romain, guerre déclarée aux Parthes qui menacent les frontières, voilà par quels projets et par quel !es œuvres il veut justifier son usurpation. C’est au milieu de ces pensées qu’il est arrêté par la mort. Cassius Longinus, ancien lieutenant de Crassus, avait fait preuve d’un grand courage dans la guerre contre les Parthes. Un passe-droit ayant froissé son orgueil et provoqué son humeur vindicative, il s’était déclaré pour Pompée, et, après Pharsale, il s’était rendu à César, qui lui avait pardonné. Marié à Junia Tertulla, sœur de Brutus, il avait avec celui-ci des rapports de famille et d’amitié. Il l’entraîne dans ses projets de conspiration et de meurtre contre César. Marcus Junius Brutus, neveu et gendre de Caton, âme généreuse, mais étroite, toute tendue de stoïcisme, avait aussi combattu à Pharsale et éprouvé la générosité du vainqueur. César avait pour lui une affection très vive et l’appelait son fils. Brutus croit de son devoir de fouler aux pieds tous les Sentiments de tendresse et d’aider Cassius à rétablir la République. Cassius, disait-on, hait le tyran, et Brutus la tyrannie. La conjuration est organisée. On ne dit rien à Cicéron, dont on craint la faiblesse, mais on s’ouvre à Ligarius, ancien ami de Pompée, au préteur Labéon, à Albinus Brutus, riche influent et familier de César, puis à un grand nombre d’autres citoyens ou sénateurs considérables, Casca, Cimber, Trebonius, qui gardent tous un profond silence. Ce qui décide Brutus à presser l’issue du complot, c’est le bruit que César veut prendre le nom de roi. II est certain que les Césariens eu faisaient les avances au dictateur. La nuit, on couronnait ses statues. A la fête des Lupercales, Antoine lui offre le diadème, que César repousse avec mollesse. Les conjurés ne veulent pas tarder davantage, On prend jour pour les ides de Mars. Malgré le secret religieusement gardé, les avertissements n’avaient pas manqué à César. Des amis lui disent de se défier de Brutus : il se touche et dit : Brutus attendra bien la fin de ce corps chétif. Le devin Spurinna lui recommande de prendre garde au jour des ides. Le grec Artémidore de Cnide, qui enseignait les lettres à Rome, lui remet un billet sur la conjuration. Sa femme Calpurnia le supplie de ne pas sortir, César ne veut rien entendre et se rend au sénat, qui siège dans une salle adjacente au théâtre de Pompée. Pendait qu’il s’avance le long du Forum et du Velabrum, une partie des conspirateurs escortent sa litière. Au moment où il descend, Popilius Lena s’approche de lui et entame une conversation animée. Les conjurés se croient perdus : quelques-uns même saisissent les dagues cachées sous leurs robes pour se donner la mort. Mais Brutus, reconnaissant aux gestes de Lena qu’il s’agit d’une supplique et non d’une révélation rassure les siens par un sourire. César entre : ses ennemis forment autour de lui une masse compacte, en le conduisant à son siégea Trebonius retient Antoine en conversant à la porte avec lui. A peine le dictateur est-il assis que Tillius Cimber vient lui présenter une pétition en faveur de son frère, frappé d’exil. Les autres, joignant leurs prières à celles du solliciteur, prennent les mains et embrassent le cou de César. Celui-ci d’abord les écarte doucement ; mais, comme ils insistent, il les repousse avec force. Tillius saisit sa toge des deux mains et la lui jette violemment sur les bras. Alors Casca, qui était derrière, tire son arme et lui effleure l’épaule d’un coup mal dirigé. César se retourne, saisit l’épée et s’écrie en latin : Scélérat de Casca, que fais-tu ? et Casca en grec à son frère Lucius : Frère, au secours ! Cependant les conjurés font le cercle avec leurs épées, pendant que les autres sénateurs restent immobiles, stupéfaits, muets. César, traqué comme une bête fauve, se débat et se défend au milieu de tous ces bras : il blesse même de son stylet un des assaillants ; mais, apercevant dans la presse Brutus l’épée nue, il s’écrie : Et toi aussi, mon fils ? s’enveloppe la tête de son manteau et s’abandonne aux coups. Soit hasard, soit dessein formé par les meurtriers, il est repoussé jusqu’au piédestal de la statue de Pompée, qu’il inonde de son sang ; et l’on eût dit que Pompée présidait à la punition. de son ennemi. Le cadavre était percé de vingt-trois blessures, dont une seule mortelle. Le meurtre consommé, tous les conjurés s’enfuient, laissant par terre, seul et baigné dans son sang, celui qui avait été Jules César (15 mars 44). |