HISTOIRE ROMAINE

SECONDE PARTIE. — RÉPUBLlQUE

CHAPITRE XVII.

 

 

MARIUS, le sauveur de l’Italie, l’orgueil et l’espoir du parti populaire, obtient pour récompense un sixième consulat. Sous son influence les démocrates reprennent les plans des Gracches, tandis que les optimates, menacés dans leurs droits et dans leurs propriétés, s’unissent plus étroitement pour résister au peuple et à ses tribuns. Apuleius Saturninus, homme éloquent, ardent ennemi du sénat, est nommé tribun du peuple : Servilius Glaucia, homme de basse condition, mais doué d’une rude éloquence, est choisi comme préteur. Leur élection avait été ensanglantée par le meurtre de Nonius. C’était le prélude des horreurs qui allaient suivre. Saturninus fait adopter des lois agraires, qui concèdent aux citoyens pauvres tout le pays occupé par les Cimbres dans la Gaule transpadane, cent arpents de terre en Afrique aux vétérans de Marius, et le droit de cité à trois étrangers dans chaque colonie. Le sénat refuse d’abord de sanctionner la loi ; il y consent ensuite, sauf le seul Metellus, qui préfère l’exil à la violation de son serment. Le parti populaire pousse l’adulation jusqu’à vouloir donner à Marius le titre de roi. Mais les excès de Saturninus et de Glaucia comblent la mesure. Glaucia voulait être consul. On lui préfère Memmius. La bande de Saturninus le fait égorger en plein Forum. Elle court ensuite au Capitole pour résister aux optimates, conduits par 11larcus Scaurus. Le sénat proclame la formule : Caveant consules. Marius, voyant ses associés perdus, se tourne contre eux. Après une vraie bataille sur la place publique, la première qui ait été livrée dans les murs de Rome, Marius assiège les rebelles dans leur dernier refuge, coupe les tuyaux qui fournissent l’eau à la forteresse, et les contraint à capituler. Saturninus. Glaucia et un autre chef, Saufeius, sont d’abord conduits dans la salle ordinaire des séances du sénat, mais les jeunes gens de la noblesse grimpent sur le toit du Senaculum, en enlèvent les tuiles et s’en servent pour lapider les prisonniers. Marius est impuissant à entraver la réaction. Metellus est rappelé, et les optimates reprennent une partie de leur influence (98). Marius, sous un prétexte religieux, part pour l’Asie. Les chevaliers et l’aristocratie financière profitent de cette absence pour se débarrasser de leurs adversaires par des jugements, des emprisonnements et des proscriptions. Quelques-uns même des hommes éminents de la classe sénatoriale sont injustement frappés, entre autres Mucius Scævola, le célèbre jurisconsulte, qui veut s’opposer à ces abus de pouvoir, et son ami Publius Rutilius Rufus, soldat, juriste et historien distingué, faussement accusé d’exactions en Asie. Ces excès donnent naissance à un parti mixte entre les optimates furieux et les démagogues violents.

Livius Drusus, appartenant à la noblesse, maître d’une grande fortune, aristocrate de cœur et de fait, plein d’énergie et de fierté, entreprend d’enlever la judicature aux chevaliers pour la rendre aux sénateurs, et, en même temps, de se concilier le peuple par des répartitions de terres et des distributions de blé, afin de ne laisser aux démagogues d’autres largesses à taire que la boue ou le ciel (Cœnum aut cœlum). Il espère ainsi guérir les plaies du corps social, en prenant de la réforme des Gracches ce qu’elle avait de juste et en éloignant ce qu’elle avait de subversif. Élu tribun du peuple, Drusus ajoute à ses rogations la concession du droit de cité à tous les Italiotes. La loi Livia est mise en délibération et les discussions commencent. Mais un soir que Drusus, dans le vestibule de sa maison, prenait congé de la foule qui lui avait fait cortège, on le voit tout à coup s’affaisser devant la statue de son père : il avait reçu un coup de couteau si profond qu’il expirait quelques heures après. L’assassin avait disparu dans l’ombre, sans être reconnu. On ne fit point d’enquête sur le crime (91).

La mort de Drusus est le signal de la guerre marsique ou guerre sociale, ainsi nommée parce que les Marses lèvent les premiers l’étendard de la révolte, et que les autres peuples alliés (socii) répondent à leur appel. Les alliés de Rome avaient depuis plusieurs siècles partagé les bons et les mauvais jours de la République, et leur fidélité n’était pas récompensée. On appelait la jeunesse au service militaire, et tandis qu’elle répandait son sang dans les pays lointains pour la gloire de Rome, ceux qui restaient subissaient le régime oppresseur des gouverneurs romains. Une circonstance fortuite, le massacre d’un magistrat romain d’Asculum, fait éclater la révolte i mais tout était prêt pour une insurrection générale. Les alliés nomment un sénat et deux consuls, le marse Pompædius Silo et le samnite Papius Mutilus : pour capitale ils choisissent Corfinium, dont ils changent le nom en Italia ou Vitelia. Partout les magistrats de Rome sont mis en pièces, les Romains massacrés. La révolte se répand dans la péninsule entière, du Liris et des Abruzzes jusqu’en Calabre et en Apulie. Quelques cités latines ou grecques restent fidèles à Rome, mais toutes les peuplades sabelliques se déclarent pour l’émancipation. Les Italiotes ont d’abord l’avantage. Au midi le consul Lucius Julius César est battu par Vettius Scato et Perpenna par Mutilus, qui fait de redoutables progrès vers le Latium. Le second consul Rutilius périt dans une embuscade avec une partie de ses troupes. Cn. Pompée est plus heureux au nord : battu devant Asculum, il se rejette sur Firmum, où Afranius le tient enfermé ; mais il se dégage et resserre dans Asculum l’Italiote Judacilius, qui se donne la mort. Marius témoigne une déplorable mollesse dans tout le cours de cette guerre. Au contraire, Sulla y acquiert un grand renom. Quoiqu’il souille sa victoire par d’affreuses cruautés contre les Samnites, il précipite la fin de la lutte, que termine la mort de Pompædius. Le sénat fait preuve d’humanité et de politique en accordant, par la loi Julia, le droit de cité à tous les alliés restés fidèles et à tous ceux qui déposeraient les armes. Il traite de même les Gaulois cispadans et confère le droit latin à ceux de la Transpadane. Cette sage mesure divise les confédérés : la plupart se soumettent : les Samnites seuls continuent à combattre dans leurs montagnes avec la fureur du désespoir (90).

La guerre sociale n’était pas terminée qu’un nouvel Hannibal, Mithridate VI Eupator, roi de Pont, jugeant l’occasion favorable pour soulever l’Orient contre Rome, ordonne, en Asie-Mineure, le massacre de quatre-vingt mille Romains, femmes et enfants. C’était un ennemi des plus redoutables. Doué d’une rare intelligence, d’un caractère souple et résolu, aussi disposé aux trahisons et aux perfidies, aux meurtres et aux exécutions violentes qu’aux aventures hardies et aux faits d’armes glorieux, brave soldat et habile général, maître d’une vaste contrée et de grandes richesses, il ne menace pas seulement les possessions asiatiques de Rome, il débarqué sa flotte à Délos et dans l’Eubée, s’attaque aux marchandises et aux habitants italiques et cherche à entraîner les peuples de la Grèce et du Péloponnèse, où pénètrent de vive force ses généraux Archélaos et Aristion. Dans cette extrémité, le sénat romain confère le commandement suprême contre Mithridate à Cornelius Sulla, qui s’était distingué dans la guerre d’Afrique ainsi que dans la guerre sociale, et avait obtenu le consulat pour récompense.

Issu d’une famille patricienne, l’œil gris, vif et dur, le teint d’un rouge foncé, parsemé de taches blanches, aimant les lettres, les beaux-arts et les plaisirs, mélange bizarre de cruauté et de sentiments affectueux, Sulla, l’Heureux Sulla, était le favori de l’aristocratie, qui voyait personnifiés en lui ses qualités et ses vices. Envoyé comme propréteur en Cilicie, l’an 92, avec ordre de rétablir sur le trône de Cappadoce Ariobarzane, que Mithridate avait chassé, il avait réussi dans cette mission et se trouvait le chef désigné de la guerre contre le roi de Pont. Le vieux Marius, insatiable d’honneurs, envie à son ancien lieutenant un commandement qui promet honneur et richesses. Aidé du tribun Publius Sulpicius Rufus, il obtient un plébiscite qui le charge de la guerre d’Asie (88). Deux officiers vont signifier cette décision à Sulla, campé devant Nole. Les armées romaines avaient cessé d’être les armées de la patrie, elles étaient au chef qui les payait ou leur promettait le butin : les soldats de Sulla lui appartenaient corps et âme : ils lapident les envoyés de Marius, et Sulla, au lieu de laisser le commandement à son adversaire, marche sur Rome avec son armée.

A cette nouvelle, Marius fait mourir dans la ville les partisans de Sulla et livre leurs biens au pillage. Cruautés inutiles ! Sulla se présente devant la ville : un corps de troupes y pénètre : les habitants sans armes montent sur leurs toits, font pleuvoir les tuiles et les pierres et reculer les soldats jusqu’aux murailles. Sulla crie de mettre le feu aux maisons, marche le premier avec une torche allumée et ordonne aux archers de lancer des traits enflammés. Marius et les siens sont refoulés jusqu’au temple de la Terre. Il fait appel aux esclaves en leur promettant la liberté ; mais Sulla triomphe, fait mettre à mort Sulpicius et proscrit Marius qui s’enfuit.

Après avoir erré sur les côtes du Latium, il est fait prisonnier dans les marais formés par le Liris près de Minturnes. On dit qu’un soldat timbre entra dans sa prison pour le tuer et que le fugitif l’effraya d’un regard, en lui disant : Oseras-tu tuer Marius ? Les habitants de Minturnes prennent pitié de lui et le placent sur un mauvais bateau. Le hasard le fait aborder à l’île d’Énaria (Ischia), où il trouve Granius avec d’autres amis : ils naviguent ensemble vers la Libye. Repoussés de la Sicile ils arrivent à l’île de Meninx (Zerbi), voisine de la côte africaine, et apprennent que le fils de Marius est allé demander du secours au roi des Numides Hiempsal. Marius, reprenant quelque espoir, se rend sur le territoire de Carthage ; mais à peine y a-t-il mis le pied que le préteur Sextilius lui envoie l’ordre de quitter l’Afrique. Marius répond au licteur : Va dire à Sextilius que tu as vu Marius fugitif assis sur les ruines de Carthage ! Moins découragé qu’exaspéré par ces échecs, Marius revient en Italie, où le consul Cinna, un de ses partisans, avait pris les armes contre le parti de Sulla qui était retourné en Asie. Cinna est repoussé de Rome, mais il finit par y rentrer avec Marius (87). Les plus terribles scènes de meurtres et de massacres suivent ce sinistre retour. Une garde dévouée à Marius, les Bardiens, se signale par d’épouvantables atrocités. Le sang ruisselle de toutes parts. Les corps sans tête sont jetés dans les rues, foulés aux pieds et abandonnés aux chiens et aux oiseaux de proie. Cinna, commence à faiblir, rassasié de carnage ; Marius, chaque jour l’âme plus aigrie, plus altérée de vengeance, se jette sur tous ceux dont il se défie. Les hommes les plus distingués sont mis à mort. L’orateur Marcus Antonins, aïeul du triumvir, a la tête tranchée par le féroce Annius. Lutatius Catulus, le collègue de Marius, le vainqueur des Cimbres, est forcé de s’asphyxier dans s’a maison. Cette sombre fureur finit par briser Marius. Épuisé d’effrayantes insomnies, il est pris de la fièvre, demeure au lit sept jours entiers et ne se relève plus (86). Il avait soixante et onze ans. Un incident tragique le rendit en quelque sorte sanguinaire jusqu’au delà de la mort. Le tribun Fimbria, ayant traîné près du bûcher de Marius le grand pontife Mucius Scævola, coupable d’avoir voulu servir de médiateur aux deux partis, l’égorge comme une de ces victimes humaines qu’on immolait sur le tombeau des barbares.

Cinna, resté seul, est au-dessous de son rôle. Il exerce dans Rome une véritable royauté, mais il manque du génie nécessaire pour se maintenir au pouvoir. Sulla va revenir vainqueur et montrer ce que c’est qu’un maître.

La guerre de Mithridate l’avait retenu en Asie et en Grèce. Au printemps de l’an 87, il entre en Attique avec cinq légions, se jette sur le Pirée et investit les murs d’Athènes. Aristion y commandait. Sulla ne pouvant s’emparer du Pirée, défendu par Archélaos, bloque étroitement la ville. Les assiégés tiennent bon, insultant Sulla, qu’ils appellent une mûre saupoudrée de farine, et sa femme Cæcilia Metella. Mais la famine force Aristion à capituler. Le proconsul ne veut entendre parler d’aucun accommodement. Il entre dans Athènes par une large brèche au milieu de la nuit, aux sons des trompettes et des clairons, et aux cris de toute son armée, qu’il excite au pillage et au meurtre, et qu’il lance dans toutes les rues l’épée à la main. Des flots de sang inondent la ville, remplissent l’Agora, le Céramique intérieur et ruissellent jusqu’au Dipyle (1er mars 87). Archélaos, qui n’avait plus d’intérêt à défendre le Pirée, vient attaquer en Béotie, avec cent vingt mille hommes, l’armée romaine qui n’en compte que quarante mille. Sulla le défait à Chéronée (86), et, peu de temps après, bat Dorylaos, autre général de Mithridate, auprès d’Orchomène. La lutte y est vive : Sulla est obligé de saisir une enseigne et de courir seul à l’ennemi pour ramener ses soldats effrayés. Le roi de Pont songe à demander la paix à Rome, mais avec qui traiter ? Le consul Valerius Flaccus, substitué à Marius, avait été tué par le traître Fimbria, qui s’était mis à sa place et se hâtait de terminer la guerre. Sulla craint de perdre cet honneur, et, sans rien rabattre des conditions arrogantes qu’il impose à Mithridate, il s’empresse de conclure le traité. Mithridate vaincu restitue ses conquêtes, livre les captifs, les transfuges, deux mille talents et soixante-dix galères. Fimbria était en Lydie : Sulla marche sur lui, entraîne sou armée et le réduit à se donner la mort (84). Débarrassé de ses deux ennemis, il va droit à Rome.

Il ne cache pas ses projets de vengeance. Dans un message au sénat il rappelle ses services, le prix dont on les a payés, ses biens confisqués, sa tête proscrite, ses amis assassinés ; mais ses ennemis et ceux de la République recevront bientôt le châtiment dû à leurs crimes. Cinna veut résister avec énergie : il est égorgé par ses soldats. L’autre consul, Carbon, étend le droit de cité à de nouveaux peuples, répand les affranchis dans les trente-cinq tribus et licencie les armées, afin d’accuser Sulla de trahison s’il désobéit au sénatus-consulte. Sulla continue sa marche. Sûr du dévouement absolu de ses vétérans, confiant dans l’unité de son pouvoir, tandis que le parti démocratique obéit à un grand nombre de généraux, il n’hésite pas à engager l’action, bat Norbanus en Campanie, gagne à lui les légions de Scipion, et rencontre l’armée ennemie près de Sacriport, à peu de distance de Préneste. Elle avait pour chef le fils de Marius. Sulla le met en fuite à Signium (82). Cette victoire lui ouvrait la route de Rome ; il y court, traverse rapidement la ville, et se met en devoir de combattre Carbon. De nombreux renforts avaient grossi son armée. Metellus Pins, avec des troupes de Ligurie, et le jeune Cri. Pompée, à la tête de trois légions levées par lui dans le Picenum, s’étaient rangés sous son commandement. Carbon résiste avec courage, et la victoire demeure incertaine. Mais les désertions, la trahison de Verrès, la fuite de Norbanus et la défection de ta Cisalpine, lui enlèvent tout espoir et il fait voile pour l’Afrique. Un autre chef redoutable du parti de Marius, Sertorius, était parti pour l’Espagne.

Les chefs italiotes tiennent avec plus d’opiniâtreté. Malgré les revers infligés par Pompée aux débris de l’armée de Carbon, Pontius Telesinus et M. Pomponius ont résolu de lancer le taureau sabellique sur la ville de Rome et de détruire de fond en comble la forêt des loups. La victoire de Sulla près de la porte Colline (1er novembre 82) sauve Rome d’une ruine certaine et est le coup de mort des démocrates, dont toute l’armée avait été engagée dans ce combat. Pontius Telesinus est tué : le champ de bataille est jonché de cinquante mille cadavres. Le jeune Marius se donne la mort à Préneste. Sulla entre dans Rome. Quelques jours après, il assemble le sénat dans le temple de Bellone. Au moment où il commence son discours, on entend des cris affreux qui partent du cirque Flaminius. Les sénateurs sont saisis d’effroi. Sulla, calme, impassible, continue sa harangue : Ce sont, dit-il, quelques mauvais sujets qu’on met à la raison. C’étaient six mille prisonniers, auxquels on avait promis la vie sauve et que massacraient les soldats de Sulla. Plus de cent mille hommes avaient péri dans la guerre civile. Les listes de proscription poursuivent cette œuvre de destruction sanglante. Quiconque y est inscrit est tué et dépouillé de ses biens. Plus de liens de parenté, d’amitié, d’hospitalité, de piété. Les fils sont armés contre leurs pères, les esclaves contre leurs maîtres : le recéleur est frappé de la même peine que le proscrit, et le délateur reçoit une part de sa fortune. Lucius Catilina avait tué son propre frère durant la guerre civile. Il prie Sulla d’inscrire ce frère sur la table des proscrits, comme s’il vivait encore, et Sulla y consent. Plus de cent sénateurs et personnages consulaires, plus de deux mille chevaliers sont mis à mort. Le tombeau de Marius est ouvert et ses cendres jetées dans l’Anio. Ses trophées sont renversés. Son neveu adoptif, Marius Gratidianus, est tiré d’une étable à chèvres par Catilina et exécuté sur le tombeau de Catulus, après avoir subi les tourments les plus cruels. Toutes les passions sauvages se déchaînent pendant plusieurs mois sur Rome et sur l’Italie. On égorge pour égorger. Sulla se déclare dictateur pour un temps illimité, et publie la loi Cornelia, en vertu de laquelle toute l’autorité est remise aux mains des optimates, la judicature enlevée aux chevaliers, la situation des provinces et des classes inférieures organisée à nouveau. Après son triomphe, remarquable par la magnificence et par la nouveauté des dépouilles des rois, on lui donne le titre de Sauveur et de Père ; et lui-même, dans une harangue au peuple, se décerne le nom d’Heureux (Felix) (80).

L’année suivante, comme pour porter un défi à ses ennemis, Sulla, jugeant son œuvre accomplie, abdique et annonce qu’il est prêt à rendre compte de sa conduite. Pour faire ses adieux au peuple, il lui donne des festins splendides. Il y avait une telle profusion de mets, que chaque jour on en jetait une grande quantité dans le fleuve. Les vins les plus vieux et les plus fins étaient prodigués aux convives. Sulla se retire ensuite dans sa villa de Cumes, en société de comédiennes, de citharistes, de gens de théâtre ou de débauche, Roscius Sorix, Metrobius. Bientôt ces excès, dit Plutarque, nourrissent en lui une maladie, faible au début, mais qui, aggravée, pourrit les chairs et les convertit en vermine, à ce point que plusieurs personnes étant occupées jour et nuit à ôter les poux, il n’y avait aucun rapport entre la quantité enlevée et celle qui renaissait, et que ses vêtements, ses bains, son linge, sa table, étaient comme inondés de ce flux intarissable de corruption : tant la vermine était abondante. Plusieurs fois par jour, il se jetait dans l’eau, se lavait, se nettoyait le corps : remède inutile : la pourriture gagnait avec rapidité, et le nombre des poux croissait en dépit de toutes les ablutions. Hideux symbole de l’œuvre politique de Sulla, qui, de même que son cadavre, tombait en lambeaux (78) ! Pompée, sa créature, lui fit faire de magnifiques funérailles. Il allait recueillir son héritage. Rome ne pouvait plus se passer d’un maître.