HISTOIRE ROMAINE

SECONDE PARTIE. — RÉPUBLlQUE

CHAPITRE IX.

 

 

LA première guerre punique est suivie d’un intervalle de repos, pendant lequel Rome semble reprendre haleine. Le temple de Janus est fermé pour la seconde fois depuis la fondation de la ville (235). De nouvelles tribus sont créées. Les Romains, qui commencent à cultiver les lettres et les arts, sont admis par les Grecs aux jeux isthmiques et aux Mystères d’Éleusis. Le premier combat de gladiateurs, ce jeu féroce, que Cicéron croit bon à entretenir le courage guerrier, a lieu dans le Forum boarium. Les consuls commencent l’année de leur gouvernement aux ides de Mars. Flaminius, qui devait périr à la bataille de Trasimène, construit la voie Flaminienne et le cirque Flaminien. La voie Flaminienne (aujourd’hui une partie de la rue du Corso) se dirigeait vers le pays des Ombriens et des Étrusques. Antérieurement Flaminius avait proposé le partage des terres conquises sur les Sénonais.

Cependant Rome ne renonce pas à ses habitudes belliqueuses. Des pirates illyriens infestaient les côtes de l’Adriatique. Pour faire droit aux prières de leurs alliés ; victimes de ces corsaires, les Romains font adresser des remontrances au roi d’Illyrie, Agron, par les deux frères Caïus et Lucius Coruncanius. Agron mort, ils pressent la reine Teuta, sa veuve, de leur donner satisfaction. Une flotte de deux cents vaisseaux entre dans les eaux de Scodra et d’Apollonie : elle écrase ou dispersé les embarcations des pirates et force Teuta d’accepter les conditions que lui dicte Rome. Demetrius de Pharos, qui était à la tête des troupes de la reine, est installé dans les îles et sur les côtes de Dalmatie, à titre d’allié des Romains (226).

Vient ensuite la guerre avec les Liguriens. Ce peuple, dit Florus, caché au pied des Alpes, entre le Var et la Macra, dans des lieux hérissés de buissons sauvages, était plus difficile à trouver qu’à vaincre. Race d’hommes agiles et infatigables, peuples moins guerriers que brigands, ils mettaient leur confiance dans lit vitesse de leur fuite et la profondeur de leur retraite. Tous ces farouches montagnards, Salyens, Décéates, Oxyliens, Luburiates, Ingaunes, échappèrent longtemps à nos armes : enfin le consul Fulvius incendia leurs repaires, Bebius les fit descendre dans la plaine, et Postumius les désarma complètement (225).

Plus pénible est la guerre avec les Insubriens, Un bruit avait couru que les Gaulois allaient prendre possession du sol romain. On enterre vifs deux Gaulois pour accomplir l’oracle. Mais les Gaulois n’en menacent pas moins Rome. Ces peuples, d’une taille gigantesque, étaient terribles au premier choc ; seulement, suivant Florus, ils ressemblaient à la neige des Alpes. A peine échauffés par le combat, ils fondent en sueur et s’amollissent aux rayons du soleil. Ils font serment, sous leur chef Britomar, de ne point délier leurs baudriers avant d’avoir escaladé le Capitole. Lucius Æmilius les bat à Clusium (225).

Les Gaulois Boïens, qui étaient soutenus par les Gaisates, peuplade alpestre, armée de gais ou d’épieux, se soulèvent à leur tour. Ils arrivent à trois journées de Rome, tuent six mille hommes aux Romains et se retirent avec leur butin jusqu’à la hauteur du cap Télamon, en Étrurie. Les Romains les poursuivent, et, par un étonnant hasard, une armée romaine, qui revenait de Sardaigne, ayant débarqué près des Gaulois, ceux-ci se trouvent enfermés. Ils font face des deux côtés à la fois, mais l’infériorité de leurs armes donne l’avantage aux Romains. Le sabre gaulois ne frappait que de taille, et sa trempe mauvaise le faisait plier au premier coup. Quarante mille Gaulois restent sur le champ de bataille et dix mille prisonniers au pouvoir des vainqueurs (224). Enhardies par ces succès, les légions passent le Pô pour la première fois, sous la conduite de Flaminius (223), entrent dans le pays des Insubriens, et remportent sur eux une grande victoire. Le successeur de Flaminius, Marcus Claudius Marcellus, qui doit jouer un rôle brillant dans la seconde guerre punique, prélude à sa renommée par un glorieux exploit. A Clastidium, il tue en combat singulier le brunir Virdumar et consacre à Jupiter Férétrieu les troisièmes dépouilles opimes (222). C’est la dernière victoire de ce genre. La Gaule Cisalpine est réduite en province romaine. A partir de ce moment, la domination des Romains s’étend sur toute l’Italie, depuis les Alpes jusqu’au golfe de Tarente. Ils sont maîtres de deux mers qui les séparent de l’Espagne et de la Grèce, enlèvent la Sardaigne et la Corse aux Carthaginois, et enferment dans leur empire la mer Adriatique et la mer Tyrrhénienne.

Carthage était moins heureuse que sa rivale. Les mercenaires condamnés au repos, après la paix honteuse des îles Ægates, reviennent en Afrique tout prêts à se mutiner, Hamilcar Barca, qui les dominait par son autorité et par son énergie, s’était retiré du commandement. La faction hannone, plus financière que guerrière, n’avait plus de quoi payer ces bandes, qui ne vivaient que de combats. La vue des richesses de Carthage excite leurs convoitises. Déjà divers excès ont lieu la nuit et même le jour. Les Carthaginois effrayés prient les chefs des mercenaires de mener leurs troupes à Sicca, près du Meuve Bagradas, en donnant à chaque homme une pièce d’or pour les besoins les plus urgents. Hannon vient alors les haranguer, leur parle de la lourdeur du tribut qui pèse sur Carthage et essaie d’obtenir la remise d’une partie de leur solde. Mais ce camp était un foyer d’anarchie. Un Campanien, Spendius, et un Libyen, Mathos, élus chefs par leurs compagnons d’armes, ne veulent accepter aucune transaction. Le général Giscon tente sur eux un nouvel effort. Il échoue comme Hannon et demeure prisonnier des mercenaires. Carthage se tourne alors vers Hamilcar. Aussi habile que brave, Hamilcar détache des rangs des mercenaires un numide appelé Naravas, en lui promettant sa fille. Naravas amène avec lui deux mille Numides rangés sous ses ordres. Sûr de cet appui, Hamilcar accepte la bataille. Il est vainqueur, tue dix mille hommes et fait quatre mille prisonniers, qu’il incorpore à ses troupes. Spendius s’était enfui. Un chef gaulois, nommé Autarite, qui avait l’avantage de bien parler la langue phénicienne, pousse alors les mercenaires aux plus cruelles violences. Giscon et les autres prisonniers sont conduits hors de ; retranchements ; puis, quand ils sont à nue petite distance du camp, on leur coupe les mains, on les mutile, on leur brise les jambes et on les jette encore palpitants dans une fosse. La guerre se prolonge trois ans au milieu de ces horreurs renouvelées sur tout Carthaginois qui tombe aux mains des mercenaires. Hamilcar, usant d’horribles représailles, fait jeter aux bêtes tous les mercenaires prisonniers, et, avec les secours d’Hiéron et même des Romains, il donne la chasse à ses sauvages ennemis, les refoule peu à peu de la plaine dans les montagnes et finit par enfermer une de leurs deux armées dans le défilé de la Hache. Là, ils ne peuvent ni fuir, ni combattre, et ils se trouvent réduits à l’épouvantable nécessité de se manger les uns les autres. Spendius et Autarite demandent à traiter avec Hamilcar. Il accepte, et convient avec eux que, sauf dix hommes à son choix, il renverra tous les autres. Le traité fait, il leur dit : Vous êtes des dix que je choisis, et il les retient. Les mercenaires étaient si bien enveloppés que de quarante mille pas un n’échappe. L’autre armée commandée par Mathos, est exterminée dans une grande bataille. Mathos, amené à Carthage, est livré à la populace qui le met en pièces après mille tortures. La guerre des mercenaires est une des plus effrayantes de l’antiquité, qui l’a surnommée avec raison la guerre inexviable (238).

L’année suivante, Hamilcar conçoit et exécute un grand dessein. Il part pour l’Espagne, afin de conquérir de nouvelles terres à Carthage ; d’exploiter les richesses minérales du pays et d’y former des armées capables de lutter contre celles de Rome. L’avenir s’ouvrait plein de promesses pour ce jeune général de trente ans. Cependant il semble qu’il ait eu le pressentiment que d’autres exécuteraient ses projets. On raconte que, en quittant Carthage, il conduisit son fils Hannibal, âgé de neuf ans, devant l’autel du plus grand des dieux de la ville, et lui fit jurer une haine éternelle au nom romain. Il l’emmène ensuite à l’armée, avec ses deux autres plus jeunes fils, Hasdrubal et Magon, espérant que ses lionceaux, comme il les appelait, hériteraient de ses desseins et de sa haine. Il franchit la mer aux colonnes d’Hercule, débarque en Espagne, accompagné de son gendre Hasdrubal, qui commandait la flotte, et entre aussitôt en lutte avec les Celtes qui habitaient la pointe sud-ouest de la Péninsule. Deux frères, chefs de cette peuplade, sont tués dans un premier combat. Indortès, qui leur succède, est défait avec cinquante mille hommes et mis en croix dix mille prisonniers sort renvoyés libres. Hamilcar soumet ainsi toute la côte occidentale, baignée par l’Océan. Il allait recueillir les fruits de son génie ; à la fois aventureux et organisateur, lorsqu’il tombé dans une embuscade dressée par les Vettons, et y trouve la mort (221). Hasdrubal (favori de Baal), gendre d’Hamilcar, continue pendant huit ans l’œuvre de son beau-père, bâtit Carthagène sur un promontoire, au pied duquel s’ouvre un des plus beaux ports du monde, conclut avec Rome le traité qui fixe l’Èbre comme limite des possessions romaines et carthaginoises, et exploite des mines d’argent qui donnent à Carthage plus de neuf millions par année. En même temps, il attire à lui par la séduction de ses manières et de son langage un grand nombre de chefs barbares. Un coup imprévu l’arrête, comme Hamilcar, au milieu de ses projets. Il avait fait périr en trahison un chef lusitanien : un esclave gaulois de ce chef venge son maître en tuant Hasdrubal au pied des autels. Hannibal, fils aîné d’Hamilcar, est placé à la tête de l’armée et du gouvernement de l’Espagne. C’est de sa main que vont partir les coups les plus rudes qui aient été portés à la puissance romaine.