LA race celtique, issue de la souche commune des rameaux grec, italien et germain, avait pénétré dans l’Europe occidentale et s’était fixée, avec plus ou moins de persistance, dans ces contrées qui sont aujourd’hui la France, les Îles Britanniques et l’Espagne. C’était un peuple essentiellement guerrier. Le vieux Caton l’a dépeint en deux mots. Les Gaulois, dit-il, recherchent deux choses avec ardeur : la guerre et le beau langage, rem militarem et argute loqui. Grands de corps sans beaucoup de muscles, les cheveux ramenés en touffes au sommet de la tête, les moustaches longues et épaisses, portant des savons bariolés et chamarrés de broderies, avec un large collier d’or, sans casque ; sans armes de jet, couverts d’un vaste bouclier, ils se précipitent sur l’ennemi avec une impétuosité violente, en brandissant leur longue épée de mauvaise trempe, leur poignard ou leur lance brillante d’ornements dorés. Avides de pillage, passionnés pour la renommée, ils se vantent de bavoir peur de rien et de faire peur à toits. Une fois établis dans l’ouest, les Gaulois reviennent par petites masses dans la direction opposée. On raconte que sous Tarquin l’Ancien (vers l’an 590), il y eut deux grandes migrations celtiques. L’une, commandée par Sigovèse, franchit le Rhin, la Forêt Noire et s’établit au nord du Danube. L’autre, ayant pour chef Bellovèse, descend par les Alpes Grées, dans la vallée du Pô, et bâtit Milan, sa capitale. Une troisième bande, origine des Cénomans, fonde Brixia et Vérone. Viennent ensuite d’autres peuplades gauloises, attirées par la fertilité du pays ou par les richesses de l’Etrurie, Insubres, Lingons, Boïens, Sénonais. Après deux siècles de migrations, la Gaule cisalpine est enfin constituée sur les deux rives du Pô. Elle étend alors ses mains sur l’Etrurie. Au moment oit Véies succombait sous les coups des Romains, Melpum, autre ville étrusque, succombait sous les coups des Gaulois. Il était impossible que les vainqueurs du nord et ceux du midi ne fussent pas bientôt en présence. Une armée de Sénonais, ayant franchi les Apennins, assiégeait Clusium sous la conduite d’un chef ou brenn, dont les Romains ont fait le nom propre de Brennus. Les Clusiens invoquent la protection de Rome. Les Romains envoient en députation, au brenn gaulois trois Fabius, qu’il reçoit avec hauteur. Les Fabius, irrités et oubliant leur caractère, se mettent à la tête des Clusiens, et, dans une sortie, l’un d’eux renverse un chef gaulois de son cheval et le tue. Le brenn demande satisfaction. Le peuple romain refuse. Les Gaulois laissent là Clusium, et au nombre de cent soixante-dix mille, se précipitent sur Rome. On raconte qu’un Romain, Marcus Caditius, revenant le soir par la rue neuve et passant entre le bois sacré et le temple de Vesta, avait entendu une voix plus forte qu’une voix humaine lui dire : Va, Marcus Caditius, avertis les chef de l’État que l’arrivée des Gaulois est proche. Les Romains courent au-devant de l’ennemi. Lu rencontre a lieu dans une plaine qui s’étend entre le Tibre et les collines crustuminiennes, à douze milles de Rome. Cette plaine est baignée par l’Allia, un affluent du Tibre. Les Gaulois se jettent sur les Romains, avec leur furie habituelle. Les Romains qui n’étaient pas accoutumés à ces hommes de grande taille, bondissant comme des sauvages et poussant des cris terribles, éprouvent une déroute complète et s’enfuient à Véies, à Cære et à Rome (18 juillet 390). Le lendemain, vers le soir, les Gaulois arrivent aux portes de la ville, qu’ils sont surpris de voir ouvertes. Craignant quelque embûche, ils s’arrêtent et établissent leur camp entre Rome et l’Anio, Une partie de la population romaine s’était enfuie sur le Janicule et dans la campagne environnante. Le reste suit la jeunesse guerrière sur le Capitole avec les trésors et les objets précieux. Les vieillards déclarent qu’ils mourront dans leurs maisons. A leur entrée dans Rome, les Gaulois effrayés d’abord de cette solitude, hésitent à commencer le pillage. Sous le vestibule des maisons étaient assis graves, sérieux, immobiles, revêtus de leurs insignes, les sénateurs résolus à mourir. On eût dit des statues. Un Gaulois, dit-on, pour s’assurer si ce sont des êtres vivants, passe la main sur la barbe du sénateur Papirius Manius, qui lui donne sur la tête un coup de son bâton d’ivoire. Le massacre commence ; la ville est pillée et inondée de sang. Les Gaulois se tournent ensuite du côté du Capitole, qu’ils essaient d’emporter par une vive attaque ; mais les Romains, commandés par Manlius, les arrêtent à demi-hauteur et les rejettent au pied de la colline avec titi grand carnage. Les Gaulois changent de tactique ; ils forment la résolution de prendre le Capitole par la famine. Le blocus dure sept mois. Cependant les Romains réfugiés à Véies ne restent pas inactifs. Ils battent dans plusieurs rencontres les Gaulois répandus dans la campagne. Les habitants d’Ardée, dirigés par Camille, et ceux d’Antium les défont également en divers endroits. Trompant leur vigilance, le jeune Fabius Dorso traverse le camp gaulois pour aller accomplir un sacrifice sur le Quirinal. Ces succès enhardissent les Romains. Camille est élu dictateur par un décret que Pontius Cominius, au risque de sa vie, descend lui porter du Capitole. Les Gaulois songent alors à frapper un grand coup. A la faveur d’une nuit épaisse, ils tentent une ascension jusqu’à la citadelle, et se soulevant, se tirant les uns les autres, ils y parviennent sans bruit. Les chiens de garde n’avaient pas aboyé, mais les oies, consacrées à Junon, plus vigilantes que les chiens, crient et éveillent Manlius. On court aux armes ; on s’élance vers les assaillants. Les premiers, qui occupaient déjà le rocher, sont renversés sur leurs compagnons qu’ils entraînent dans leur chute. Le Capitole est sauvé. Malgré cet échec, le siége continue. Mais l’automne, qui amène la fièvre dans la campagne romaine, répand la maladie et la mort dans les rangs des Gaulois. Ils meurent par troupeaux. Le brenn, averti en même temps d’une invasion des Vénètes dans la Gaule transpadane, se décide à traiter avec les assiégés. La rançon des Romains est fixée à mille livres d’or. On raconte que, au montent où l’on pesait cette somme, le chef gaulois mit son épée dans l’un des plateaux de la balance, en prononçant le mot célèbre : Malheur aux vaincus ! Mais avant que le honteux marché soit accompli, Camille survient avec son armée, défait les Gaulois sur la route de Gabies et venge ainsi la défaite de l’Allia. De graves autorités démentent ce récit. Il parait incontestable que les Romains achetèrent et payèrent argent comptant la paix faite avec les Gaulois. Mais l’orgueil romain aima mieux croire à nue revanche, et Manlius, le défenseur du Capitole, porta fièrement le nom de Capitolinus (389). Quand Rome est délivrée des Gaulois, les plébéiens veulent abandonner la ville rainée et aller habiter Véies. Les patriciens Combattent vivement ce projet, et Camille le fait rejeter. Une circonstance fortuite vient en aide aux protestations éloquentes de Camille. Pendant qu’il supplie les Romains de rester à Rome, un centurion, traversant la place avec ses soldats, dit au porte-étendard : Plante ton enseigne : nous serons très bien ici. Ces mots sont regardés comme un avis du ciel, et on se met à reconstruire la ville. On ramène de Cære les vases sacrés qu’y avaient portés les vestales, et en retour de cette hospitalité pieuse on accorde aux habitants le droit cærite, c’est-à-dire la franchise romaine sans le droit de voter. D’autres villes l’obtinrent plus tard. Les invasions gauloises n’étaient pas d’ailleurs tout à fait terminées. On les voit se prolonger encore pendant plus de quarante ans, de 387 à 346 ; mais les Romains sont constamment victorieux soit dans les batailles générales ; soit dans les combats singuliers. Camille ; inventeur d’une armure plus pesante et du pilum, bat les Gaulois auprès d’Albe. Le dictateur Titus Quinctius Pennus leur tient tête au pont de l’Anio et les force à descendre vers la Campanie. Un autre dictateur, Quintus Servilius Ahala, les défait devant la porte Colline. Un troisième dictateur, Sulpicius Peticus, leur fait subir un échec sanglant. La légende s’est plu à entourer ces combats de quelques faits héroïques ou merveilleux. Un jeune patricien, Titus Manlius, défié par un Gaulois d’une taille gigantesque, le perce de son épée espagnole, lui enlève son collier (torques) taché de sang et se le passe au cou : de là le glorieux surnom de Torquatus. Dans une autre campagne, un semblable défi fait entrer en lice Marcus Valerius. Pendant qu’il est aux prises avec son ennemi, un corbeau se place sur son casque, d’où il frappe du bec et des griffes les yeux et le visage du Gaulois qui tombe et est tué par Valerius, désormais surnommé Corvus (corbeau). Cependant Rome poursuit ses conquêtes en Étrurie. Camille y contribue pour une large part. Il assure la frontière conquise au nord par la création des deux forteresses de Sutrium et de Nepete. Tarquinies, Cære et Faléries tentent vainement de se soulever. De rudes traitements et des colonies fortement organisées les rendent à jamais romaines. Toute l’Étrurie du sud jusqu’aux collines Ciminiennes subit le même sort. L’alliance conclue avec les Herniques par Spurius Cassius en 486, avait été favorable à la prédominance de Rome dans le Latium. Mais, après la prise de Rome par les Gaulois, les Herniques et les Latins s’étaient de nouveau soulevés. Rome lutte avec son énergie accoutumée contre les Èques et les Volsques, bat les Prénestins, s’assure la possession des marais Pomptins, triomphe de Lanuvium, de Tusculum, de Vélitres, de Satricum, nuit les diverses cités en une confédération dont elle est maîtresse souveraine, et, fixant les limites du Latium, en assure pour quelque temps la tranquillité. A Rome, on travaille à la reconstruction de la ville incendiée par les Gaulois. Les temples et les monuments publics étaient restés debout, mais les maisons particulières n’étaient plus que des ruines. On les relève à la hâte plutôt que d’après un plan méthodique et suivi. De là jusqu’au temps d’Auguste et même de Néron, une physionomie irrégulière, des rues mal distribuées, des ruelles étroites, des alignements capricieux, un pêle-mêle incohérent. En même temps des événements graves se passent sur le Forum. La misère des plébéiens, après la guerre gauloise, s’était accrue de la rigueur des créanciers. Les patriciens renouvellent les duretés qui avaient provoqué la retraite sur le Mont-Sacré. Un centurion, condamné pour dettes, étant traîné en prison, Manlius Capitolinus s’oppose à cet acte cruel, en s’écriant qu’il ne laissera pas priver de la liberté un compagnon d’armes, un sauveur du Capitole i puis il acquitte la dette du prisonnier. Il fait plus ; il vend ses terres de Véies pour venir en aide aux pauvres et accuse les patriciens d’avoir gardé pour eux l’or destiné aux Gaulois. L’accusation visait directement Camille. L’ancien dictateur quitte l’armée, arrive au comitium, suivi de tous les sénateurs, et cite Manlius à son tribunal. Manlius est condamné à la prison. Comme il passait auprès du Capitole, il lève les yeux vers le temple et prend à témoin les divinités du traitement qu’on fait subir à celui qui les a délivrées des barbares. L’attitude menaçante du peuple engage le sénat à rendre la liberté à Manlius. Mais bientôt des tributs, gagnés par le sénat, l’accusent de vouloir se faire roi. Manlius se défend avec le courage d’un homme qui n’a rien à se reprocher. Il fait comparaître dans le Champ de Mars quatre cents citoyens qu’il a préservés de la ruine et de la prison, montre les dépouilles des ennemis tués de sa main, les récompenses militaires qu’il a reçues, découvre sa poitrine sillonnée de cicatrices, et, se tournant encore vers le Capitole, supplie Jupiter et les autres dieux de mettre dans lame des Romains les sentiments qu’ils avaient mis dans l’âme de Manlius quand il sauvait Rome. Les tribuns comprennent que les centuries plébéiennes, tant qu’elles verront le Capitole, ne condamneront pas Manlius. On remet le procès à un autre jour, on transporte la scène du jugement dans le bois Pætelinus, près de la porte Flumentane, et on fait prononcer la sentence par les curies patriciennes. Manlius est précipité de la roche Tarpéienne, qui fut ainsi, dit Plutarque, le monument de ses plus heureux exploits et de ses plus grands malheurs. La lutte de Camille contre les plébéiens ne s’arrête pas là. Les guerres contre les Gaulois et les Latins avaient fait ajourner la discussion des lois liciniennes ; tendant : 1° à retrancher sur le capital de toute dette la somme des intérêts payés ; 2° à restreindre toute propriété territoriale à cinq cents arpents ; 3° à choisir toujours un des deux consuls parmi les plébéiens. Licinius et Sextius, auteurs de ces lois, s’efforcent de les faire voter par les comices. La discorde se réveille. Le vieux Camille, âgé de quatre-vingts ans, est nommé dictateur pour résister aux efforts des tribuns. Ceux-ci redoublent d’audace. Un jour que Camille rendait la justice, un appariteur des tribuns vient le sommer de le suivre. Il refuse : l’appariteur met la main sur lui. Les officiers de Camille repoussent l’insolent : le peuple le soutient. On en vient aux coups Camille, demeuré seul, se rend au sénat, lui fait comprendre que la violence est inutile et voue un temple à la Concorde. Le sénat imite cette sagesse, et consent à la proposition licinienne de choisir un des deux consuls parmi les plébéiens. Sextius le premier jouit ce cet honneur (366). Pour compenser cette concession, Camille obtint du peuple la création d’une charge, la préture, réservée aux seuls patriciens. Le préteur rendait la justice en l’absence des consuls. On crée aussi deux édiles patriciens, nommés édiles curules, avec les mêmes attributions que les édiles plébéiens. Les magistratures curules, à savoir le consulat, la censure, la dictature, la préture et l’édilité, étaient ainsi nommées, parce que le dignitaire était porté sur un char ou chaise d’ivoire (currus eburneus). Elles donnaient entrée au sénat, et transmettaient aux descendants de ceux qui les avaient obtenues le titre de noble, mais non celui de patricien. Ce fut le dernier acte politique de Camille. La peste s’étant déclarée dans Rome, le vainqueur des Gaulois en est une des premières victimes ; et sa perte, dit Plutarque, cause plus de regrets aux Romains que la mort de tous ceux qu’emporte le fléau (365). Pour conjurer l’épidémie, on renouvelle en vain le lectisternium. On fait venir des ludions et des histrions de l’Étrurie, premiers essais de représentations dramatiques. Le fléau ne cédant pas davantage, on emprunte encore aux Étrusques l’antique cérémonie du clou sacré. C’était, suivant Tite-Live, un clou que le premier magistrat de Rome devait enfoncer aux ides de septembre, dans le temple de Jupiter Capitolin, pour marquer le nombre des années. Noua voyons qu’ici la plantation du clou sacré est une cérémonie expiatoire. Le dictateur Titus Manlius Imperiosus est chargé de ce soin religieux. C’est à cette époque qu’il faut rapporter le dévouement proverbial de Curtius. En 362, la terre s’entrouvre subitement au milieu du Forum et y creuse un abîme béant. Les augures déclarent qu’il ne petit être comblé qu’en y jetant le trésor le plus précieux de Rome. Alors Mettius Curtius, jeune patricien, s’arme de pied en cap, monte sur son cheval, et, s’écriant que Rome ne possède rien de plus précieux qu’un brave et généreux citoyen, il se précipite dans l’abîme, qui se referme sur lui. |