I. — PROGRAMME DU JOURNAL LA RÉFORME, RÉDIGÉ PAR M. LOUIS BLANC Tous les hommes sont frères. Là où l’égalité n’existe pas, la liberté est un mensonge. La société ne saurait vivre que par l’inégalité des aptitudes et la diversité des fonctions ; mais des aptitudes supérieures ne doivent pas conférer de plus grands droits elles imposent de plus grands devoirs. C’est là le principe de l’égalité : l’association en est la forme nécessaire. Le but final de l’association est d’arriver à la satisfaction des besoins intellectuels, moraux et matériels de tous, par l’emploi de leurs aptitudes diverses et le concours de leurs efforts. Les travailleurs ont été esclaves, ils ont été serfs, ils sont aujourd’hui salariés ; il faut tendre à les faire passer à l’état d’associés. Ce résultat ne saurait être atteint que par l’action d’un pouvoir démocratique. Un pouvoir démocratique est celui qui a la souveraineté du peuple pour principe, le suffrage universelle pour origine, et pour but la réalisation de cette formule : Liberté, Égalité, Fraternité. Les gouvernants, dans une démocratie bien constituée, ne sont que les mandataires du peuple : ils doivent donc être responsables et révocables. Les fonctions publiques ne sont pas des distinctions elles ne doivent pas être des privilèges : elles sont des devoirs. Tous les citoyens ayant un droit égal de concourir à la nomination des mandataires du peuple et à la formation de la loi, il faut, pour que cette égalité de droit ne soit pas illusoire, que toute fonction publique soit rétribuée. La loi est la volonté du peuple formulée par ses mandataires. Tous doivent à la loi obéissance, mais tous ont le droit de l’apprécier hautement, pour qu’on la change si elle est mauvaise. La liberté de la presse doit être maintenue et consacrée comme garantie contre les erreurs possibles de la majorité et comme instrument des progrès de l’esprit humain. L’éducation des citoyens doit être commune et gratuite. C’est à l’État qu’il appartient d’y pourvoir. Tout citoyen doit passer par l’éducation de soldat. Nul ne peut se décharger, moyennant finances, du devoir de concourir à la défense de son pays. C’est à l’État de prendre l’initiative des réformes industrielles propres à amener une organisation du travail qui élève les travailleurs de la condition de salariés à celle d’associés. Il importe de substituer à la commandite du crédit individuel celle du crédit de l’État. L’État, jusqu’à ce que les prolétaires soient émancipés, doit se faire le banquier des pauvres. Le travailleur a le même titre que le soldat à la reconnaissance de l’État. Au citoyen vigoureux et bien portant, l’État doit le travail ; au vieillard et à l’infirme, il doit aide et protection. II. — LETTRE DE M. LE PRINCE DE JOINVILLE À M. LE DUC DE NEMOURS, 1847 Notre situation n’est pas bonne. À l’intérieur, l’état de nos finances, après dix-sept ans de paix, n’est pas brillant. À l’extérieur, où nous aurions pu chercher quelques-unes de ces satisfactions d’amour-propre si chères à notre pays, et avec lesquelles on détourne son attention de maux plus sérieux, nous ne brillons pas non plus. L’avènement de Palmerston, en éveillant les défiances passionnées du roi, nous a fait faire la campagne espagnole et nous a revêtus d’une déplorable réputation de mauvaise foi. Séparés de l’Angleterre au moment où les affaires d’Italie arrivaient, nous n’avons pas pu y prendre une part active, qui aurait séduit notre pays et été d’accord avec des principes que nous ne pouvons abandonner ; car c’est par eux que nous sommes. Nous n’avons pas osé nous tourner contre l’Autriche de peur de voir l’Angleterre reconstituer immédiatement contre nous une nouvelle Sainte-Alliance. Nous arrivons devant les Chambres avec une détestable situation intérieure et, à l’extérieur, une situation qui n’est pas meilleure. Tout cela est l’œuvre du roi seul, le résultat de la vieillesse d’un roi qui veut gouverner, mais à qui les forces manquent pour prendre une résolution virile. Le pis est que je ne vois pas de remède. Chez nous, que faire et que dire, lorsqu’on montrera notre mauvaise situation pécuniaire ? Au dehors, que faire pour relever notre situation et suivre une ligne de conduite qui soit du goût de notre pays ? Ce n’est certes pas en faisant en Suisse une intervention austro-française, qui serait pour nous ce que la campagne de 1823 a été pour la Restauration. J’avais espéré que l’Italie pourrait nous fournir ce dérivatif, ce révulsif dont nous avons tant besoin ; mais il est trop tard, la bataille est perdue ici. Nous n’y pouvons rien sans le concours des Anglais ; et chaque jour, en leur faisant gagner du terrain, nous rejette forcément dans le camp opposé. Nous ne pouvons plus maintenant faire autre chose ici que de nous en aller, parce qu’en restant, nous serions forcément conduits à faire cause commune avec le parti rétrograde ; ce qui serait, en France, d’un effet désastreux. Ces malheureux mariages espagnols ! Nous n’avons pas encore épuisé le réservoir d’amertume qu’ils contiennent. Je me résume : en France, les finances délabrées ; au dehors, placés entre une amende honorable à Palmerston, au sujet de l’Espagne, ou cause commune avec l’Autriche pour faire le gendarme en Suisse et lutter en Italie contre nos principes et nos alliés naturels. Tout cela rapporté au roi, au roi seul, qui a faussé nos institutions constitutionnelles. Je trouve cela très-sérieux, parce que je crains que les questions de ministres et de portefeuilles ne soient laissées de côté, et c’est un grave danger, quand, en face d’une mauvaise situation, une assemblée populaire se met à discuter des questions de principes. Si encore on pouvait trouver quelque événement, quelque affaire à conduire vivement et qui pût, par son succès, rallier un peu notre monde, il y aurait encore des chances de gagner la bataille ; mais je ne vois rien. III. — DÉCLARATION PUBLIÉE PAAR LES JOURNAUX DE L'OPPOSITION LE 22 FÉVRIER 1848. À tous les citoyens. Une grande et solennelle manifestation devait avoir lieu aujourd’hui en faveur du droit de réunion, contesté par le gouvernement. Toutes les mesures avaient, été prises pour assurer l’ordre et provenir toute espèce de trouble. Le gouvernement était instruit depuis quelques jours de ces mesures, et savait quelle serait la forme de cette protestation. Il n’ignorait pas que les députés se rendraient en corps au lieu du banquet accompagnés d’un grand nombre de citoyens et de gardes nationaux sans armes. Il avait annoncé l’intention de n’apporter aucun obstacle à cette démonstration tant que l’ordre ne serait pas troublé, et de se borner à constater par un procès-verbal ce qu’il regarde comme une contravention et ce que l’opposition regarde comme l’exercice d’un droit. Tout à coup, en prenant pour prétexte une publication dont le seul but était de prévenir les désordres qui auraient pu naître d’une grande affluence de citoyens, le gouvernement faisait connaître sa résolution d’empêcher par la force tout rassemblement sur la voie publique, et d’interdire, soit à la population, soit aux gardes nationaux, toute participation à la manifestation projetée. Cette tardive résolution du gouvernement ne permettait plus à l’opposition de changer le caractère de la démonstration. Elle se trouvait donc placée dans l’alternative de provoquer une collision entre les citoyens et la force publique, ou de renoncer à la protestation légale et pacifique qu’elle avait résolue. Dans cette situation, les membres de l’opposition, personnellement protégés par leur qualité de députés, ne pouvaient pas exposer volontairement les citoyens aux conséquences d’une lutte aussi funeste à l’ordre qu’à la liberté. L’opposition a donc pensé qu’elle devait s’abstenir et laisser au gouvernement toute la responsabilité de ses mesures. Elle engage tous les bons citoyens à suivre son exemple, En ajournant ainsi l’exercice d’un droit, l’opposition prend envers le pays l’engagement de faire prévaloir ce droit par toutes les voies constitutionnelles. Elle ne manquera pas à ce devoir ; elle poursuivra avec persévérance et avec plus d’énergie que jamais la lutte qu’elle a entreprise contre une politique corruptrice, violente et antinationale. En ne se rendant pas au banquet, l’opposition accomplit un grand acte de modération et d’humanité. Elle sait qu’il lui reste à accomplir un grand acte de fermeté et de justice. En conséquence de la résolution prise par l’opposition, un acte d’accusation contre le ministère sera immédiatement proposé par un grand nombre de députés, parmi lesquels MM. Odilon Barrot, Duvergier de Hauranne, de Maleville, d’Aragon, Abatucci, Beaumont (Somme), Georges de Lafayette, Boissel, Garnier-Pagès, Carnot, Chambolle, Drouyn de l’Huys, Ferdinand de Lasteyrie, Havin, de Courtais, Vavin, Garnon, Marquis, Jouvencel, Taillandier, Bureaux de Puzy, Luneau, Saint-Albin, Cambacérès, Moreau (Seine), Berger, Marie ; Bethmont, de Thiard, Dupont (de l’Eure), etc. IV. — ACTE D'ACCUSATION DÉPOSÉ PAR M. ODILON BARROT, DANS LA SÉANCE DU 22 FÉVRIER 1848, SUR LE BUREAU DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS. Nous proposons de mettre le ministère en accusation comme coupable : 1° D’avoir trahi au dehors l’honneur et les intérêts de la France 2° D’avoir faussé les principes de la Constitution, violé les garanties de la liberté et attenté aux droits des citoyens ; 3° D’avoir, par une corruption systématique, tenté de substituer à la libre expression de l’opinion publique les calculs de l’intérêt privé, et de pervertir ainsi le gouvernement représentatif ; 4° D’avoir trafiqué, dans un intérêt ministériel, des fonctions publiques ainsi que de tous les attributs et privilèges du pouvoir ; 5° D’avoir, dans le même intérêt, ruiné les finances de l’État et compromis ainsi les forces et la grandeur nationales ; 6° D’avoir violemment dépouillé les citoyens d’un droit inhérent à toute constitution libre, et dont l’exercice leur avait été garanti par la Charte ; 7° D’avoir, enfin, par une politique ouvertement contre-révolutionnaire, remis en question toutes les conquêtes de nos deux révolutions et jeté dans le pays une perturbation profonde. MM. Barrot (Odilon), Duvergier de Hauranne, de Thuiard, Dupont (de l’Eure), Isambert, de Malleville (Léon), Garnier-Pagès, Chambolle, Bethmont, Lherbette, Pagès (de l’Ariège), Baroche, Havin, Faucher (Léon), de Lasteyrie (Ferdinand), de Courtais, de Saint-Albin, Crémieux, Gaulthier de Rumilly, Raimbault, Boissel, de Beaumont (Somme), de Lessept, Mauguin, Creton, Abbatucci, Luneau, Baron de la Fayette (Georges), Marie, Carnot, Bureaux de Puzy, Dussolier, Mathieu (Saône-et-Loire), Drouyn de Lhuys, d’Aragon, Cambacérès, Drault, Marquis, Bigot, Quinette, Maichain, Lefort-Gonsollin, Tessié de la Motte, Demarçay, Berger, Bonnin de Jouvencel, Larabit, Vavin, Garnon, Maurat-Ballange, Taillandier. V. — DÉCLARATION DU COMITÉ ÉLECTORAL DÉMOCRATIQUE PUBLIÉ LE 24 FÉVRIER 1848. Le ministère est renversé : c’est bien. Mais les derniers événements qui ont agité la capitale appellent sur des mesures, devenues désormais indispensables, l’attention de tous les bons citoyens. Une manifestation légale, depuis longtemps annoncée, est tombée tout a coup devant une menace liberticide lancée par un ministre du haut de la tribune. On a déployé un immense appareil de guerre comme si Paris eût eu l’étranger, non pas à ses portes, mais dans son sein. Le peuple, généreusement ému et sans armes, a vu ses rangs décimés par des soldats. Un sang héroïque a coulé. Dans ces circonstances, nous, membres du comité électoral démocratique des arrondissements de la Seine, nous faisons un devoir de rappeler hautement que c’est sur le patriotisme de tous les citoyens organisés en garde nationale que reposent, aux termes mêmes de la charte, les garanties de la liberté. Nous avons vu sur plusieurs points les soldats s’arrêter, avec une noble tristesse, avec une émotion fraternelle, devant le peuple désarmé. Et, en effet, combien n’est pas douloureuse pour des hommes d’honneur cette alternative de manquer aux lois de la discipline ou de tuer des concitoyens ! La ville de la science, des arts, de l’industrie, de la civilisation, Paris enfin, ne saurait être le champ de bataille rêvé par le courage des soldats français. Leur attitude l’a prouvé, et elle condamne le rôle qu’on leur impose. D’un autre côté, ta garde nationale s’est énergiquement prononcée comme elle le devait en faveur du mouvement réformiste, et il est certain que le résultat obtenu aurait été atteint sans effusion de sang, s’il n’y eût pas eu, de la part du ministère, provocation directe, provocation résultant d’un brutal étalage de troupes. Donc, les membres du comité électoral démocratique proposent à la signature de tous les citoyens la pétition suivante : Considérant : Que l’application de l’armée à la compression des troubles civils est attentatoire à la dignité d’un peuple libre et à la moralité de l’armée ; Qu’il y a là renversement de l’ordre véritable et négation permanente de la liberté ; Que le recours à la force seule est un crime contre le droit ; Qu’il est injuste et barbare de forcer des hommes de cœur à choisi entre les devoirs du militaire et ceux du citoyen ; Que la garde nationale a été instituée précisément pour garantir le repos de la cité et sauvegarder les libertés de la nation ; Qu’à elle seule il appartient de distinguer une révolution d’une émeute : Les citoyens soussignés demandent que le peuple tout entier soit incorporé dans la garde nationale. Ils demandent que la garde municipale soit dissoute. Ils demandent qu’il soit décidé législativement qu’à l’avenir l’armée ne pourra plus être employée à la compression des troubles civils. A. Guinard, électeur, délégué du 8e arrondissement ; Louis Blanc, électeur, délégué du 2e arrondissement ; David (d’Angers), électeur, délégué du 11e arrondissement, membre de l’Institut ; Martin (de Strasbourg), électeur, délégué du 10e arrondissement, ancien député ; Durand-Saint-Amand, électeur, délégué du 1er arrondissement ; Pyat (Félix), électeur, délégué du 8e arrondissement ; Greinheiser, capitaine de la 3e légion, député du 5e arrondissement ; Vasnier, capitaine de la 4e légion, délégué du 4e arrondissement ; Haguette, électeur municipal, délégué du 4e arrondissement ; Recurt, capitaine de la 8e légion, électeur, délégué du 8e arrondissement ; O. Gellée, électeur, délégué du 9e arrondissement ; Chaumier, électeur, délégué du 9e arrondissement ; L. Monduit, électeur, délégué du 11e arrondissement ; M. Goudchaux, électeur, délégué du 2e arrondissement ; Barbier, électeur, délégué du 10e arrondissement ; Lauveau, capitaine de la 7e légion, électeur, délégué du 7e arrondissement ; Dauphin, capitaine de la 7e légion, électeur, délégué du 7e arrondissement ; Destourbet, capitaine de la 7e légion, électeur, délégué du 7e arrondissement Bastide (Jules), électeur, délégué du 7e arrondissement ; Hovyn, chef de bataillon de la 3e légion, électeur, délégué du 3e arrondissement ; Masson (Victor), électeur, délégué du 11e arrondissement ; De la Chatre, électeur, délégué du 1er arrondissement ; Cercueil, capitaine de la 8e légion, électeur, délégué du 8e arrondissement. VI. — PROCLAMATION DE M. ODILON BARROT, TROUVÉE DANS LE CABINET DU MINISTÈRE DE L'INTÉRIEUR, LE 24 FÉVRIER 1848. Paris le 24 février 1848. CITOYENS DE PARIS, Le roi a abdiqué. Désormais la couronne donnée par la révolution de Juillet repose sur la tête d’un enfant protégé par sa mère. Ils sont sous la sauvegarde de l’honneur et du courage de la population parisienne. Plus de cause de division parmi nous. L’ordre est donné aux troupes de ligne de se retirer dans leurs casernes notre brave armée a mieux à faire qu’à verser son sang dans de funestes collisions. Mes chers concitoyens, désormais l’ordre est confié au courage et à la sagesse du peuple de Paris et de son héroïque garde nationale ; ils n’ont jamais failli à notre belle patrie, ils ne lui manqueront pas dans cette grave circonstance. Signé : ODILON BARROT. VII. — FRAGMENTS D’UNE LETTRE DE M. LOUIS BLANC, ADRESSÉE À L'AUTEUR. ..... Le livre de M Garnier-Pagès contient mainte erreur d’affirmation, mainte erreur d’omission, et mainte erreur d’appréciation. Je remarque, entre autres choses, qu’il a présenté la scène qui eut lieu lorsque, pour la première fois, je me trouvai en présence des membres du gouvernement provisoire, de manière à faire penser que mon insistance à ne pas accepter le titre de secrétaire était l’effet d’une ambition personnelle qu’irrita la résistance. Je lui rends la justice de croire que s’il eût été à ma place, il n’eût pas été capable d’agir, dans des circonstances si propres à élever l’âme, par le motif qu’il semble me supposer. La vérité est — et si je me souviens bien, je parlai de façon à lever tout doute à cet égard, — qu’il y avait là une question d’une gravité extrême, et dans laquelle les petits calculs d’une petite ambition et d’une petite vanité ne pouvaient avoir place. Marrast, Flocon et moi, nous avions été élus, non pas a la Chambre, mais à l'Hôtel de Ville ; nous n’étions pas, comme ces messieurs, des députés ; il s’agissait donc de savoir si la Révolution serait considérée comme parlementaire ou comme populaire. Il était d’une importance énorme que le caractère du grand mouvement qui venait de s’accomplir fût bien précisé, et le fût dès l’abord. Comme je ne suppose pas, moi, que M. Garnier-Pagès cédât a un sentiment de vanité et d’ambition, en nous voulant, Marrast, Flocon et moi, à la seconde place, son motif ne pouvait être que la crainte de voir enlever a la Révolution, par notre admission, ce caractère parlementaire auquel il tenait. Eh bien ! ce fut par un motif contraire que j’insistai, moi qui, dans la Révolution, n’entendais saluer qu’un mouvement franchement démocratique. C’était le droit révolutionnaire d’élection que je voulais faire reconnaitre. Le nier dans son résultat, c’eût été le nier dans son principe ; et ce principe, les ouvriers qui avaient confiance en moi ne m’auraient point pardonné d’en avoir fait si bon marché. Il y avait, de plus, un intérêt suprême à ce que Marrast, Flocon et moi, nous eussions voix délibérative dans les premières mesures à adopter la proclamation de la République par le gouvernement provisoire pouvait en dépendre. La République, en effet, effrayait MM. Arago et Dupont (de l’Eure) cela n’était que trop manifeste ; M de Lamartine jusqu’alors avait passé pour légitimiste ; des bruits avaient couru sur l’adhésion de M. Garnier-Pagès à la cause de la duchesse d’Orléans trois voix de plus dans le plateau de la République pouvaient faire pencher la balance de ce côté ; sans ces trois voix, au contraire, la décision risquait d’être telle qu’elle eût mis la place publique en fureur. Et que serait-il arrivé alors ? C’étaient là des considérations d’intérêt public, s’il en fut jamais ; et mettre à la place de ces considérations puissantes de misérables prétentions ayant leur source dans l’orgueil d’un homme, c’est rapetisser l’histoire des grandes choses de ce temps au delà de tout ce qu’il est possible d’imaginer... Vous savez, du reste, que cette qualification de secrétaires disparut le jour même où elle fut, pour la première fois, employée dans le Moniteur, et qu’elle ne nous empêcha pas d’avoir voix délibérative dès la première discussion qui eut lieu, et que notre vote compta si bien qu’il fit en grande partie la République, et que dès la matinée du 25 il ne fut plus question d’une distinction qui n’aurait pu effectivement exister qu’à la condition d’ôter à la Révolution son caractère. Je vous ai demandé dans une de mes précédentes lettres si vous aviez sous la main mes Révélations historiques ? Je vous demanderai aujourd’hui s’il est à votre connaissance que M. Crémieux a écrit des Mémoires sur la révolution de Février ? Ces Mémoires, d’après ce qu’il a dit lui-même à mon frère, sont, point par point, la confirmation de mon récit. ..... Je ne vous ai point parlé, à propos de sources, de l’Histoire de la Révolution, par M. de Lamartine. C’est un roman inconcevable, et d’autant plus inconcevable qu’il a été écrit, j’en suis sûr, de très bonne foi. M. de Lamartine est trop honnête homme pour avoir la triste puissance de tromper, mais il a la puissance de se tromper — self-deceit, comme disent les Anglais — à un degré qui tient du prodige. VIII. — LE GOUVERNEMENT PROVISOIRE NOMME M. SAINT-AMANT, CAPITAINE DE LA 1ère LÉGION, COMMANDANT DU PALAIS DES TUILERIES. Fait à l’Hôtel de Ville, le 24 février 1848. Les membres du gouvernement provisoire : AD. CRÉMIEUX, GARNIER-PAGÈS, LEDRU-ROLLIN, DUPONT (DE L'EURE). Le colonel Dumoulin, ancien aide de camp de l’Empereur, est chargé du commandement supérieur du Louvre et de la surveillance particulière de la Bibliothèque du Louvre et du Musée national. M. Félix Bouvier lui est adjoint. Le 24 février 1848. Par délégation du gouvernement provisoire, Le ministre provisoire de l’instruction publique, CARNOT, LAMARTINE, AD. CRÉMIEUX. Tout ce qui concerne la direction des Beaux-Arts et des Musées, autrefois dans les attributions de la liste civile, constituera une division du ministère de l’intérieur. Le jury, chargé de recevoir les tableaux aux expositions annuelles, sera nommé par élection. Les artistes seront convoqués à cet effet par un prochain arrêté. Le salon de 1848 sera ouvert le 15 mars. Signé : LEDRU-ROLLIN. IX. — PROCLAMATION DE M. BLANQUI. Au gouvernement provisoire Les combattants républicains ont lu avec une douleur profonde la proclamation du gouvernement provisoire qui rétablit le coq gaulois et le drapeau tricolore. Le drapeau tricolore, inauguré par Louis XVI, a été illustré par la première République et par l’Empire a été déshonoré par Louis-Philippe. Nous ne sommes plus, d’ailleurs, ni de l’Empire ni de la première République. Le peuple a arboré la couleur rouge sur les barricades de 1848. Qu'on ne cherche pas à la flétrir. Elle n’est rouge que du sang généreux versé par le peuple et la garde nationale. Elle flotte étincelante sur Paris, elle doit être maintenue. Le peuple victorieux n’amènera pas son pavillon. X. — PROCLAMATION À L'ARMÉE. Généraux, officiers et soldats Le pouvoir, par ses attentats contre les libertés, le peuple de Paris, par sa victoire, ont amené la chute du gouvernement auquel vous aviez prêté serment. Une fatale collision a ensanglanté la capitale. Le sang de la guerre civile est celui qui répugne le plus à la France : Le peuple oublie tout en serrant les mains de ses frères qui portent l’épée de la France. Un gouvernement provisoire a été créé ; il est sorti de l’impérieuse nécessité de préserver la capitale, de rétablir l’ordre et de préparer à la France des institutions populaires analogues à celles sous lesquelles la République a tant grandi la France et son armée. Vous saluerez, nous n’en doutons pas, ce drapeau de la patrie, remis dans les mains du même pouvoir qui l’avait arboré le premier. Vous sentirez que les nouvelles et fortes institutions populaires qui vont émaner de l’Assemblée nationale ouvrent à l’armée une carrière de dévouements et de services que la natjon, libre, appréciera et récompensera mieux que les rois. Il faut rétablir l’unité de l’armée et du peuple un moment altérée. Jurez amour au peuple, où sont vos pères et vos frères. Jurez fidèlement à ses nouvelles institutions, et tout sera oublié, excepté votre courage et votre discipline. La liberté ne vous demandera plus d’autres services que ceux dont vous aurez a vous réjouir devant elle et à vous glorifier devant ses ennemis ! Les membres du gouvernement provisoire, GARNIER-PAGÈS, LAMARTINE. XI. — LETTRE DU GÉNÉRAL CHANGARNIER. Monsieur le ministre, Je prie le gouvernement républicain d’utiliser mon dévouement à la France. Je sollicite le commandement de la frontière la plus menacée. L’habitude de manier les troupes, la confiance qu’elles m’accordent, une expérience éclairée par des études sérieuses, l’amour passionné de la gloire, la volonté et l’habitude de vaincre, me permettent sans doute de remplir avec succès tous les devoirs qui pourront m’être imposés. Dans ce que j’ose dire de moi, ne cherchez pas l’expression d’une vanité puérile, mais l’expression du désir ardent de dévouer toutes mes facultés au service de la patrie. CHANGARNIER XII. — LETRRE DU PRINCE NAPOLÉON BONAPARTE. Messieurs, Le peuple de Paris, ayant détruit par son héroïsme les derniers vestiges de l’invasion étrangère, j’accours de l’exil pour me ranger sous le drapeau de la République qu’on vient de proclamer. Sans autre ambition que celle de servir mon pays, je viens annoncer mon arrivée aux membres du gouvernement provisoire, et les assurer de mon dévouement à la cause qu’ils représentent, comme de ma sympathie pour leurs personnes. Recevez, messieurs, l’assurance de ces sentiments. LOUIS-NAPOLÉON BONAPARTE. XIII. — PROCLAMATION ET ORDRE DU JOUR DU DUC D'AUMALE. Habitants de l'Algérie, Fidèle à mes devoirs de citoyen et de soldat, je suis resté à mon poste tant que j’ai pu croire ma présence utile au service du pays. Cette situation n’existe plus. M. le général Cavaignac est nommé gouverneur général de l’Algérie jusqu’à son arrivée à Alger, les fonctions de gouverneur général par intérim seront remplies par M. le général Changarnier. Soumis à la volonté nationale, je m’éloigne ; mais, du fond de l’exil, tous mes vœux seront pour votre prospérité et pour la gloire de la France, que j’aurais voulu servir plus longtemps. Alger, 3 mars 1848. H. D'ORLÉANS. En me séparant d’une armée modèle d’honneur et de courage, dans les rangs de laquelle j’ai passé les plus beaux jours de ma vie, je ne puis que lui souhaiter de nouveaux succès. Une nouvelle carrière va peut-être s’ouvrir à sa valeur ; elle la remplira glorieusement, j’en ai la ferme croyance. Officiers, sous-officiers et soldats, j’avais espéré combattre avec vous pour la patrie. Cet honneur m’est refusé ; mais, du fond de l’exil, mon cœur vous suivra partout et vous rappellera la volonté nationale ; il triomphera de vos succès ; tous ses vœux seront toujours la gloire et le bonheur de la France. H. D'ORLÉANS. XIV. — ADRESSE DES OUVRIERS IMPRIMEURS SUR ÉTOFFE. - REMERCIEMENTS DU GOUVERNEMENT PROVISOIRE. Au gouvernement provisoire, Citoyens, À son appel la France voit mourir ses enfants ; à sa voix maternelle ses enfants répondent par leur amour et leurs sympathies filiales. Lorsqu’ils la croient en danger, ils accourent offrir à leur patrie, tête, bras, coeur, biens et courage, car c’est surtout dans les moments difficiles qu’il faut être courageux ; c’est dans les circonstances extrêmes qu’il faut trouver les voies de salut. Ouvriers nous-mêmes, imprimeurs sur étoffe, nous vous offrons notre faible concours, nous vous apportons deux mille francs pour aider à la réussite de votre noble création. Le seul regret que nous ayons est de ne pouvoir centupler notre modique offrande, que nous vous donnons avec bonheur. Pour suppléer à notre impossibilité, nous engageons tous les citoyens qui veulent la prospérité de la République, du commerce, de l’industrie, de la confiance, de l’ordre, et qui veulent que les ouvriers aient du travail pour vivre, à nous imiter chacun suivant sa fortune, comme nous imitons ceux qui ont eu l’heureuse idée de nous devancer dans cette voie salutaire. Par ce moyen, nous rassurerons ces êtres pusillanimes qui se sauvent de la capitale et de la France, emportant avec eux les valeurs qui sont nécessaires à leur patrie. Qu’ils se rassurent, ces hommes qui peuvent aider à rétablir le crédit et nos finances ! que nos actes de dévouement inspirent des sentiments d’honneur à ceux qui voudraient suivre l’exemple de l’émigration, que nous regardons comme une lâcheté ! Qu’ils se rassurent, tous ceux qui pourraient croire au retour des scènes sanglantes qui sont tracées dans notre histoire ! Qu’ils se rassurent ni la guerre civile, ni la guerre de l’étranger ne viendront déchirer les entrailles de notre belle France ! Qu’ils se rassurent aussi sur notre assemblée nationale, car il n’y aura ni montagnards ni girondins ! Oui, qu’ils se rassurent enfin, et qu’ils aident à donner à l’Europe un coup d’œil magique qu’ils aident à faire voir à l’univers qu’en France il n’y a pas eu de violence dans la révolution, qu’il n’y a eu qu’un changement de système que l’honneur a succédé au système de la corruption ; que la souveraineté du peuple et de l’équité a succédé à un despotisme odieux ; qu’à la faiblesse ont succédé la force et l’ordre ; qu’aux castes a succédé l’union ; qu’à la tyrannie a succédé cette devise sublime Liberté, Égalité, Fraternité, progrès, civilisation, bonheur pour tous, et tous pour le bonheur. Nous saisissons cette occasion pour demander au gouvernement provisoire ou à l’Assemblée nationale, lorsqu’elle sera convoquée, pour tous nos frères de toute la France, que la durée de leur travail soit fixée à dix heures par jour, comme pour nous. Nous le demandons, parce que le mot égalité se trouve dans la devise républicaine. Puisqu’on a aboli les privilèges, est-il juste qu’il y ait des privilèges dans notre République ? Nos frères des départements se plaignent de ce que leur temps est absorbé par le travail, sans cependant qu’il leur soit à charge. Ils voudraient aussi rendre leurs facultés intellectuelles, en les cultivant, dignes de notre ère nouvelle ; eux aussi ils méritent d’avoir une heure au moins, une heure pour vivre de la vie intelligente et du cœur et de l’âme. Mais, disons-nous à nos frères, prenons patience, ne soyons pas trop exigeants à la fois ; demandons graduellement, avec prudence, avec ordre, dans toute la voie de la justice et de l’humanité, et nous obtiendrons. Le gouvernement veille sur nous, il se sacrifie pour nous on ne peut pas être heureux du jour au lendemain. Nous avons beaucoup souffert sous un despotisme cruel eh bien souffrons encore un peu pour la liberté. Le moment de la récolte n’est pas encore arrivé ; labourons le champ de la liberté, semons l’égalité, et nous recueillerons la fraternité, qui nous donnera infailliblement le bonheur intellectuel ou moral. Du courage donc, du courage, de l’énergie, et gardons nos armes. Si toutefois quelques ambitieux voulaient tourner la Révolution à l’égoïsme, nous leur dirions ; Il est trop tard ; de même que nous avons dit aux tyrans : Assez ! il est trop tard ! Constituons la République, grande, pure, forte, dans toute son extension, telle qu’elle a été proclamée ; faisons-la digne des hommes actuels et du siècle. L’Europe a les yeux sur nous ; elle compte nos mouvements ; elle aspire à notre émancipation ; mais servons de modèle à tous les peuples. Recevez, citoyens membres du gouvernement provisoire, nos vœux et nos sympathies républicaines, ainsi que nos salutations fraternelles. Vive le gouvernement provisoire ! Vive la République ! PROCLAMATION DU GOUVERNEMENT PROVISOIRE. Citoyens, Les dons patriotiques affluent à l’Hôtel de Ville. Chaque jour, tous les corps d’état rivalisent d’abnégation et de générosité. Des ouvriers qui peuvent à peine, par de trop rares travaux, nourrir leurs familles, savent encore prélever de civiques offrandes sur un salaire insuffisant. La pauvreté même, oubliant ses besoins, se fait un devoir et un bonheur d’une privation nouvelle, quand il s’agit de subvenir aux besoins de la République, notre mère commune. Vous aurez donné au monde un sublime exemple ! L’Hôtel de Ville, ce palais du peuple, en est tous les jours le silencieux témoin, mais si votre modestie veut cacher ces héroïques vertus, le gouvernement provisoire doit les révéler à la France et à l’Europe qui vous contemplent La monarchie brisée par vous en Février avait corrompu bien des âmes mais le mal n’a point encore pénétré jusqu’au cœur de la nation vous le prouvez tous les jours. Il est beau de combattre et de vaincre pour la liberté ; il est encore plus beau de fonder la liberté sur l’inébranlable base d’un désintéressement et d’un patriotisme que ne découragent point tes épreuves les plus poignantes. Le gouvernement provisoire doit le proclamer hautement : la France est fière de vous ; et la République, appuyée sur des cœurs tels que les vôtres, peut regarder sans crainte son avenir. Au nom de la patrie, au nom de la France, au nom de l’humanité, le gouvernement provisoire vous remercie. 30 mars 1848. XV. — CONSIDÉRATIONS SUR L'ABOLITION DE LA CONTRAINTE PAR CORPS ET DE L'EXPOSITION PUBLIQUE. République Française. Liberté, Égalité, Fraternité. Le gouvernement provisoire de la République ; Sur le rapport du ministre de la justice ; Considérant que la contrainte par corps, ancien débris de la législation romaine, qui mettait les personnes au rang des choses, est incompatible avec notre nouveau droit public ; Considérant que, si les droits des créanciers méritent la protection de la loi, ils ne sauraient être protégés par des moyens que repoussent la raison et l’humanité ; que la mauvaise foi et la fraude ont leur répression dans la loi pénale qu’il y a violation de la dignité humaine dans cette appréciation qui fait de la liberté des citoyens un équivalent légitime d’une lettre pécuniaire ; Décrète : Dans tous les cas où la loi autorise la contrainte par corps, comme moyen pour le créancier d’obtenir le payement d’une dette pécuniaire cette mesure cessera d’être appliquée jusqu’à ce que l’Assemblée nationale ait définitivement statué sur la contrainte par corps. Fait à Paris, le 9 mars 1848. Les membres du gouvernement provisoire, Dupont (de l'Eure), Lamartine, Marrast, Garnier-Pagès, Albert, Marie, Ledru-Rollin, Flocon, Crémieux, Louis Blanc, Arago. Le secrétaire général du gouvernement provisoire, Pagnerre. République Française. Liberté, Égalité, Fraternité. Au nom du peuple français. Le gouvernement provisoire ; Sur le rapport du ministre de la justice ; Vu l’article 22 du Code pénal ainsi conçu : Quiconque aura été condamné à l’une des peines des travaux forcés à perpétuité, des travaux forcés à temps, ou de la réclusion, avant de subir sa peine, sera attaché au carcan sur la place publique ; il y demeurera exposé aux regards du peuple durant une heure ; au-dessus de sa tête sera placé un écriteau portant, en caractères gros et lisibles, ses noms, sa profession, son domicile, sa peine et la cause de sa condamnation. Considérant que la peine de l’exposition publique dégrade la dignité humaine, flétrit à jamais le condamné et lui ôte, par le sentiment de son infamie, la possibilité de la réhabilitation ; Considérant que cette peine est empreinte d’une odieuse inégalité, en ce qu’elle touche à peine le criminel endurci, tandis qu’elle frappe d’une atteinte irréparable le condamné repentant ; Considérant, enfin, que le spectacle des expositions publiques éteint le sentiment de la pitié et familiarise avec la vue du crime ; Décrète : La peine de l’exposition publique est abolie. Fait en séance du gouvernement provisoire, le 12 avril 1848. Les membres du gouvernement provisoire, Dupont (de l'Eure), Lamartine, Ledru-Rollin, Garnier-Pagès, Louis Blanc, Albert, Arago, Flocon, Armand Marrast, Crémieux, Marie. Le secrétaire général du gouvernement provisoire, Pagnerre. XVI. — PROCLAMATION DE M. ÉMILE THOMAS. République française ATELIERS NATIONAUX. — ORDRE DU JOUR. Aux ouvriers du bureau central des ateliers nationaux. Le gouvernement provisoire fait des sacrifices énormes pour procurer des moyens d’existence aux ouvriers sans travail ; vous comprendrez facilement qu’il doit ménager ses ressources, s’il veut continuer à vous venir en aide. En conséquence, à partir de demain vendredi, 17 de ce mois, les journées des ouvriers non travaillant seront réduites à 1 fr. au lieu de 1 fr. 50 c. Le directeur peut affirmer aux ouvriers, qu’à partir de ce jour, ils seront occupés au moins de deux jours l’un ; dans ce cas leur paye sera de 2 francs. Les ouvriers comprendront la sollicitude du gouvernement provisoire pour eux, et la République compte sur leur sagesse et leur patriotisme. Qu’ils sachent, qu’ils comprennent tous que les fonds qui nous sont alloués, que nous leur distribuons, sont le pain des pauvres, leur pain quotidien ; qu’ils nous aident à le leur dispenser, qu’ils n’admettent dans leurs rangs que ceux qui véritablement ont droit à un secours parce qu’ils en ont besoin. Le Commissaire de la République, Directeur du bureau central. ÉMILE THOMAS. Paris, le 16 mars 1848. XVII. — LETTRE DE M. DELESSERT À M. CAUSSIDIÈRE. Londres, le 29 avril 1848. Monsieur le Préfet, Je viens d’apprendre, par mes amis de Paris, la bienveillance avec laquelle vous vous êtes exprimé au sujet du très-petit séjour que madame Delessert a été faire à Passy, et le regret que vous avez témoigné de ce qu’elle ne s’était pas adressée à vous. Permettez-moi de vous offrir mes remercîments. Je le fais avec d’autant plus d’empressement, que c’est pour moi une occasion de vous dire combien j’ai été sensible à tous les bons procédés dont vous avez usé envers nous, en permettant, avec tant de bonne grâce, la sortie de la Préfecture de Police des effets, chevaux et autres objets qui nous appartenaient personnellement, à ma femme et à moi ; je suis heureux, monsieur le Préfet, de vous exprimer ma gratitude bien franche et bien cordiale. J’ai l’honneur de vous prier de recevoir mes sentiments de haute considération. GABRIEL DELESSERT. XVIII. — PROCLAMATION DE M. CABET (VENDREDI 25 FÉVRIER 1848). LE POPULAIRE Aux communistes icariens. Travailleurs nos frères, Nous avons toujours dit que nous étions avant tout, Français, patriotes, démocrates ; aussi intrépides qu’humains et modérés : vous venez de le prouver. L’horrible trahison qui a fait couler le sang des citoyens, mercredi soir 23 février, devant l’hôtel du ministère des affaires étrangères, a dû vous faire prendre les armes pour la commune défense ; et, dans l’immortelle journée du 24, vous avez partagé l’héroïque dévouement de la brave et généreuse population de Paris. Aujourd’hui, c’est l’union seule, l’ordre et la discipline, qui peuvent assurer au peuple le fruit de sa victoire, en garantissant ses droits et ses intérêts. Rallions-nous donc autour du gouvernement provisoire présidé par Dupont (de l’Eure), remplaçant l’odieux gouvernement qui vient de se rougir du sang des citoyens. Appuyons ce gouvernement provisoire qui se déclare républicain et démocratique ; qui proclame la souveraineté nationale et l’unité de la nation ; qui adopte la fraternité, l’égalité et la liberté pour principes et le peuple pour devise et mot d’ordre, et qui dissout les Chambres pour convoquer l’Assemblée nationale, qui donnera à la France la Constitution qu’elle demande. Mais sachons nous-mêmes réclamer constamment toutes les conséquences de ces principes. Demandons que tous les Français soient déclarés FRÈRES, égaux en devoirs et en droits sans aucune espèce de privilège, tous membres de la garde nationale, tous électeurs et éligibles à toutes les fonctions publiques sans aucune vile condition d’argent. Demandons le droit naturel et imprescriptible d’association, de réunion et de discussion ; la liberté individuelle, sans l’arbitraire d’aucun homme, la liberté de la presse, sans entraves, sans cautionnement ni timbre. Demandons surtout la garantie de tous les droits et de tous les intérêts des travailleurs la reconnaissance formelle du droit de vivre en travaillant, afin que le père de famille ne soit plus réduit à l’affreuse nécessité d’abandonner sa femme et ses enfants pour aller mourir en combattant. Demandons l’organisation du travail et l’assurance du bien-être par le travail. Demandons la suppression de tous les impôts sur les objets de première nécessité. Demandons l’abolition des humiliantes vexations et iniques institutions de la douane et de l’octroi. Demandons, pour le peuple, l’instruction générale, gratuite, commune, réelle et complète. Demandons des institutions et des garanties pour le bonheur des FEMMES et des ENFANTS, pour que chacun ait la possibilité de se marier, avec la certitude de pouvoir élever sa famille et la rendre heureuse. Fidèles à nos principes de fraternité, d’humanité et de modération, de justice et de raison, crions toujours et partout : Point de vengeance ! point de désordres, point de violences, point d’oppression pour personne ! Mais fermeté, clairvoyance et prudence, afin d’obtenir justice pour tous ! Point d’atteinte à la propriété ! mais inébranlable persévérance à demander tous les moyens que peut accepter la justice pour supprimer la MISÈRE notamment en adoptant un système démocratique d’inégalité successivement décroissante, et d’égalité successivement croissante. Gardons-nous de demander l’application immédiate de nos doctrines communistes. Nous avons toujours dit que nous ne voulons leur triomphe que par la discussion, par la conviction, par la puissance de l’opinion publique, par le consentement individuel et par la volonté nationale : restons, fidèles à nos paroles. Mais beaucoup d’entre nous ont acquis de leur sang le droit d’association, de réunion et de discussion publique ; ayons donc aussi l’inébranlable constance de réclamer ces droits ; et l’expérience, jointe à la discussion, suffira pour persuader et pour convaincre que notre système d’organisation sociale et politique est le seul remède à la misère, le seul qui puisse assurer le bonheur et le salut de l’humanité. Encore un mot le gouvernement provisoire annonce l’armement de tous les citoyens et l’organisation générale de la garde nationale en assurant l’existence du peuple ; ne déposez donc pas les armes ; ne quittez pas vos glorieuses et immortelles-barricades ! Laissez, au contraire, toutes vos affaires pour vous organiser et vous enrégimenter ! Achevez, complétez et régularisez votre armement, demandez que les bastilles soient désarmées, que tous les canons, toutes les armes et toutes les munitions soient livrés au peuple, et que le peuple parisien soit tout entier sous les armes, organisé, discipliné sous les chefs de son choix : c’est alors qu’on aura réellement la garantie de l’ordre comme de la liberté et de la liberté comme de l’ordre, de même que, quand toute la garde nationale de France sera armée et organisée démocratiquement, c’est alors qu’on aura la garantie réelle de la paix universelle, de l’indépendance des nations et de la fraternité des peuples. Paris, le 25 février 1848. CABET. XIX. — LISTE DES CLUBS.
XX. — LISTE DES JOURNAUX
Journaux sans date, mais publiés du 24 février au 4 mai 1848.
Journaux du 1er au 4 mai 1848.
XXI. — LISTE DES DÉPUTATIONS REÇUES PAR LE GOUVERNEMENT PROVISOIRE.
XXII. — DÉCLARATION DES DROITS DE LA FEMME, PAR OLYMPE DE GOUGES. (Extraits.) La femme naît libre et demeure égale à l’homme en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune. Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de la femme et de l’homme : ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et surtout la résistance à l’oppression. Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation qui n’est que la réunion de la femme et de l’homme. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément. La liberté et la justice consistent à rendre tout ce qui appartient à autrui. Ainsi, l’exercice des droits naturels de la femme n’a de bornes que la tyrannie perpétuelle que l’homme lui oppose. Ces bornes doivent être réformées par les lois de la nature et de la raison. La loi doit être l’expression de la volonté générale : toutes les citoyennes comme tous les citoyens doivent concourir personnellement, ou par leurs représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous. Toutes les citoyennes et tous les citoyens, étant égaux à ses yeux, doivent être également admissibles à toutes les dignités, places et emplois publics, selon leurs capacités, et sans autres distinctions que celles de leurs vertus et de leurs talents... La femme a le droit de monter à l’échafaud ; elle doit avoir également celui de monter à la tribune. La garantie des droits de la femme est pour l’utilité de tous, et non pour l’avantage particulier de celles à qui elle est accordée. La femme concourt ainsi que l’homme à l’impôt public ; elle a le droit, ainsi que lui, de demander compte à tout agent public de son administration. Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la garantie des pouvoirs déterminée, n’a point de constitution. La constitution est nulle, si la majorité des individus qui composent la nation n’a pas coopéré à sa rédaction. Femmes, réveillez-vous, le tocsin de la raison se fait entendre dans tout l’univers ! Le puissant empire de la nature n’est plus environné de préjugés, de fanatisme, de superstition et de mensonge. Le flambeau de la vérité a dissipé tous les nuages de la sottise et de l’usurpation. Ô femmes, femmes ! quand cesserez-vous d’être aveugles ? Quels sont les avantages que vous avez recueillis dans la Révolution ? Un mépris plus marqué, un dédain plus signalé. Dans les siècles de corruption, vous n’avez régné que sur la faiblesse des hommes. Votre empire est détruit. Que vous reste-t-il donc ? la conviction des injustices de l’homme… Réunissez-vous sous les étendards de la philosophie ; opposez la force de la raison à la force matérielle, et vous verrez bientôt ces orgueilleux non pas ramper à vos pieds comme de serviles adorateurs, mais fiers de partager avec vous les trésors de l’Être suprême. XXIII. — EXTRAIT D'UNE LETTRE DE M. LOUIS BLANC. Je ne sais vraiment pas où Garnier-Pagès a vu que je soutenais le système des associations forcées. Dans la réunion chez M. Marie, qu’il mentionne (t. IV, p. 89-94), la question ne porta point du tout sur le choix à faire entre les associations forcées et les associations libres ou volontaires. La question était celle-ci : MM. Corbon, Marie, Garnier-Pagès, Marrast étaient d’avis qu’on encourageât les ouvriers qui voudraient se former en associations, mais en ayant grand soin de renfermer l’encouragement dans le cercle des efforts privés et en repoussant toute intervention bienveillante de l’État. Moi, au contraire, je prétendais que si le principe d’association est reconnu salutaire, propre à élever le moral du travailleur et à influer heureusement sur l’activité sociale, il n’y a pas de raison pour que l’État, en tant qu’il représente la société, soit condamné à se croiser les bras là où l’initiative de M. tel ou tel est invoquée. Donc, sans repousser en aucune sorte l’initiative individuelle, je demandais que l’initiative sociale ne fût point exclue. Autre question : Ces messieurs voulaient que l’appui donné aux associations fût inconditionnel et sans rapport avec un but général à atteindre. Moi, au contraire, je disais : S’il est bon que l’application du principe d’association soit encouragé, ce n’est point parce qu’il en peut résulter un accroissement de bien-être pour tels ou tels ouvriers en particulier, mais bien parce que l’association est un moyen pour la classe ouvrière en général d’arriver graduellement à s’affranchir. Si tels et tels ouvriers se forment en association, ici ou là, dans l’unique but de grossir leurs petits profits particuliers, sauf, quand ils seront riches, s’ils le deviennent, à prendre eux-mêmes à leur service des ouvriers et à se faire bourgeois, qu’y aura-t-il de gagné ? À côté de certaines associations qui se seront ruinées, quelques autres auront réussi peut-être, comme il y a aujourd’hui des boutiques qui prospèrent à côté d’autres qui succombent. Les plus habiles ou les plus heureux auront trouvé moyen de passer d’une classe dans une classe supérieure, du haut de laquelle ils mépriseront d’autant ceux qui seront restés en bas, selon l’usage presque invariable des parvenus. Et la société n’aura pas fait un pas en avant. La grande question est donc, tout en encourageant les essais partiels d’association, d’aviser à un moyen de rendre général le caractère de ces essais partiels ; la grande question est de faire que chaque association se considère comme partie d’un tout, et ne soit point poussée par l’égoïsme à séparer son intérêt de celui de la masse des travailleurs. Pour cela, que faut-il ? Il faut se garder de donner à telle ou telle réunion d’ouvriers désirant s’associer un appui aveugle et inconditionnel ; il faut leur bien faire entendre qu’il ne s’agit pas de ressusciter les corporations, de revenir au régime des jurandes et des maîtrises ; il faut mettre pour condition, aux secours qu’on leur donnera, l’obligation par eux, de tenir ouvertes à ceux du dehors les portes de leur association, une fois formée, de telle sorte qu’elle aille toujours s’agrandissant : résultat facile à obtenir par la création d’un fonds social au moyen d’une retenue annuelle sur les bénéfices, et par l’application de ce fonds à l’élargissement graduel du cercle primitivement tracé. Ajoutez à cela l’organisation de rapports fraternels entre les diverses associations ; et alors, au lieu d’une société qui ne fait que tourner sur elle-même, vous aurez une société qui avance. Quand l’État donne une concession de chemin de fer, quand il autorise le creusement d’un canal ou l’exploitation d’une mine, est-ce que la concession ou l’autorisation n’est pas toujours conditionnelle ? Est-ce qu’elle n’est pas subordonnée à l’acceptation de certaines clauses stipulées dans l’intérêt général ? Eh bien, il en doit être de même quand l’État offre d’aider par des avances une association d’ouvriers. Comme son motif en cela est, non de favoriser quelques intérêts individuels aux dépens des autres, mais de pousser à la réalisation d’une grande expérience sociale, il doit stipuler aussi dans l’intérêt général ; il doit mettre un prix à la protection qu’il accorde, et ce prix doit se rapporter à l’amélioration morale et physique de la classe ouvrière tout entière, comme dans une concession de chemins de fer, de canaux, de mines, le prix attaché à la concession se rapporte à des considérations d’intérêt général. Ce n’est point du tout là entrer dans un système d’associations forcées, car on ne force personne à accepter le régime d’association si cela ne lui convient pas ; mais c’est mettre à une faveur, une condition qui l’empêche d’être un privilège. Libre à vous de vous associer ou de ne pas vous associer ; mais, si désirant vous associer, vous voulez de notre appui, nous ne le dormons qu’à des conditions calculées de manière à le rendre fructueux pour tous ; car c’est en vue du bien de tous que nous le donnons. Qu’y a-t-il là qui justifie l’emploi du mot association forcée. Autant vaudrait dire qu’une compagnie de chemin de fer est une compagnie forcée parce qu’elle a à se soumettre à un cahier des charges ! Telle fut là question débattue. Si MM. Goudchaux, Marie, Corbon, Garnier-Pagès, ne furent pas de mon avis, ce fut précisément à cause de la portée qu’avait ma façon d’envisager les choses. Ils voulaient un petit semblant de palliatif où je voulais un remède ; ils voulaient montrer de la bonne volonté aux classes ouvrières où je voulais travailler en grand à leur émancipation. Voilà le point sur lequel nous ne nous entendîmes pas. Mais, ce que M. Garnier-Pagès a oublié de dire, c’est qu’il y avait dans cette réunion un certain nombre d’ouvriers, et qu’à l’exception de ceux que le National avait enrégimentés par l’atelier et M. Corbon, tous les ouvriers présents furent pour moi. XXIV. — PROCLAMATION DU GOUVERNEMENT PROVISOIRE. RÉPUBLIQUE FRANÇAISE. Liberté, égalité, fraternité. Le gouvernement provisoire au peuple français. Citoyens, À tous les grands actes de la vie d’un peuple, le gouvernement a le devoir de faire entendre sa voix à la nation. Vous allez accomplir le plus grand acte de la vie d’un peuple : élire les représentants du pays, faire sortir de vos consciences et de vos suffrages, non plus un gouvernement seulement, mais un pouvoir social, mais une constitution tout entière ! Vous allez organiser la République. Nous n’avons fait, nous, que la proclamer ; portés d’acclamation au pouvoir pendant l’interrègne du peuple, nous n’avons voulu et nous ne voulons d’autre dictature que celle de l’absolue nécessité. Si nous avions repoussé le poste du péril, nous aurions été des lâches. Si nous y restions une heure de plus que la nécessité ne le commande, nous serions des usurpateurs. Vous êtes forts ! Nous comptons les jours. Nous avons hâte de remettre la République à la nation. La loi électorale provisoire que nous avons faite est la plus large qui, chez aucun peuple de la terre, ait jamais convoqué le peuple à l’exercice du suprême droit de l’homme, sa propre souveraineté. L’élection appartient à tous sans exception. À dater de cette loi, il n’v a plus de prolétaires en France. Tout Français en âge viril est citoyen politique. Tout citoyen est électeur. Tout électeur est souverain. Le droit est égal et absolu pour tous. Il n’y a pas un citoyen qui puisse dire à l’autre : Tu es plus souverain que moi ! Contemplez votre puissance, préparez-vous à l’exercer, et soyez dignes d’entrer en possession de votre règne ! Le règne du peuple s’appelle République. Si vous nous demandez quelle République nous entendons par ce mot, et quels principes, quelle politique, quelle vertu nous souhaitons aux républicains que vous allez élire, nous vous répondrons : Regardez le peuple de Paris et de la France depuis la proclamation de la République ! Le peuple a combattu avec héroïsme. Le peuple a triomphé avec humanité. Le peuple a réprimé l’anarchie dès la première heure. Le peuple a brisé de lui-même, aussitôt après le combat, l’arme de sa juste colère. Il a brûlé l’échafaud. Il a proclamé l’abolition de la peine de mort contre ses ennemis. Il a respecté la liberté individuelle en ne proscrivant personne. Il a respecté la conscience dans la religion, qu’il veut libre, mais qu’il veut sans inégalité et sans privilèges. Il a respecté la propriété. Il a poussé la probité jusqu’à ces désintéressements sublimes qui font l’admiration et l’attendrissement de l’histoire. Il a choisi, pour les mettre à sa tête, partout les noms des hommes les plus honnêtes et les plus fermes qui soient tombés sous sa main, il n’a pas poussé un cri de haine ou d’envie contre les fortunes. Pas un cri de vengeance contre les personnes. Il a fait, en un mot, du nom de peuple le nom du courage, de la clémence et de la vertu. Nous n’avons qu’une seule instruction à vous donner : Inspirez-vous du peuple, imitez-le ! Pensez, sentez, votez, agissez comme lui ! Le gouvernement provisoire, lui, n’imitera pas les gouvernements usurpateurs de la souveraineté du peuple, qui corrompaient les électeurs et qui achetaient à prix immoral la conscience du pays. À quoi bon succéder à ces gouvernements, si c’est pour leur ressembler ! À quoi bon avoir créé et adoré la République, si la République doit entrer dès le premier jour dans les ornières de la royauté abolie ! Il considère comme un de ses devoirs de répandre sur les opérations électorales cette lumière qui éclaire les consciences sans peser sur elles. Il se borne à neutraliser l’influence hostile de l’administration ancienne, qui a perverti et dénaturé l’élection. Le gouvernement provisoire veut que la conscience publique règne ! Il ne s’inquiète pas des vieux partis : les vieux partis ont vieilli d’un siècle en trois jours ! La République les convaincra, si elle est sûre et juste pour eux. La nécessité est un grand maître. La République, sachez-le bien, a le bonheur d’être un gouvernement de nécessité. La réflexion est pour nous. On ne peut pas remonter aux royautés impossibles ; on ne veut pas descendre aux anarchies inconnues ; on sera républicain par raison. Donnez seulement sûreté, liberté, respect à tous. Assurez aux autres l’indépendance des suffrages que vous voulez pour vous. Ne regardez pas quel nom ceux que vous croyez vos ennemis écrivent sur leur bulletin, et soyez sûrs d’avance qu’ils écrivent le seul nom qui peut les sauver, c’est-à-dire celui d’un républicain capable et probe. Sûreté, liberté, respect aux consciences de tous les citoyens électeurs ; voilà l’intention du gouvernement républicain, voilà son devoir, voilà le vôtre, voilà le salut du peuple ! Ayez confiance dans le bon sens du pays, il aura confiance en vous ; donnez-lui la liberté, et il vous renverra la République. Citoyens, la France tente en ce moment, au milieu de quelques difficultés financières léguées par la royauté, mais sous les auspices providentiels, la plus grande œuvre des temps modernes : la fondation du gouvernement du peuple tout entier, l’organisation de la démocratie, la République de tous les droits, de tous les intérêts, de toutes les intelligences et de toutes les vertus ! Les circonstances sont propices. La paix est possible. L’idée nouvelle peut prendre sa place en Europe sans autre perturbation que celle des préjugés qu’on avait contre elle. Il n’y a point de colère dans l’âme du peuple. Si la royauté fugitive n’a pas emporté avec elle tous les ennemis de la République, elle les a laissés impuissants ; et quoiqu’ils soient investis de tous les droits que la République garantit aux minorités, leur intérêt et leur prudence nous assurent qu’ils ne voudront pas eux-mêmes troubler la fondation paisible de la constitution populaire. En trois jours, cette œuvre, que l’on croyait reléguée dans le lointain du temps, s’est accomplie sans qu’une goutte de sang ait été versée en France, sans qu’un autre cri que celui de l’admiration ait retenti dans nos départements et sur nos frontières. Ne perdons pas cette occasion unique dans l’histoire ; n’abdiquons pas la plus grande force de l’idée nouvelle, la sécurité qu’elle inspire aux citoyens, l’étonnement qu’elle inspire au monde. Encore quelques jours de magnanimité, de dévouement, de patience, et l’Assemblée nationale recevra de nos mains la République naissante. De ce jour-là tout sera sauvé ! Quand la nation, par les mains de ses représentants, aura saisi la République, la République sera forte et grande comme la nation, sainte comme l’idée du peuple, impérissable comme la patrie. Les membres du gouvernement provisoire, Dupont (de l’Eure), Lamartine, Marrast, Garnier-Pagès, Albert, Marie, Ledru-Rollin, Flocon, Crémieux, Louis Blanc, Arago. Le secrétaire général du gouvernement provisoire, Pagnerre. XXV. — SERMENT D'ABD-EL-KADER. Louanges à Dieu ! rien n’est durable si ce n’est son règne. Aux appuis solides de la République. Après la manifestation de mes sentiments d’admiration pour vos personnes, je vous dirai que j’ai revu le citoyen Ollivier, et que j’ai eu avec lui un long entretien dont il vous fera part. Je viens vous donner une parole sacrée, et qui ne doit après elle laisser aucun doute dans votre esprit ; savoir : Que je ne m’occuperai jamais plus de fomenter des troubles contre les Français, ni par moi-même en personne, ni par mes paroles, ni par mes écrits, ni par aucun des miens, et cela pendant toute ma vie. Je fais le serment devant Dieu, par Muhammed, Abraham, Moïse et Jésus-Christ, par le Tourat, l’Évangile, le Zabour et le Coran, par la Mecque et Médine, par la Terre-Sainte (Kodss) ; je le jure par le Bokhari et le Mosslem et par ce que nous avons de plus cher ; je le jure par le cœur et par la langue ; je renonce entièrement à m’occuper des affaires des Français. Tous mes compagnons font le même serment, ceux qui signent ci-après, aussi bien que ceux qui ne signent point ne sachant point écrire, tous au nombre d’environ cent. Salut. Signé : Abd-el-Kader ben Mehbeddin. En date du 10 Rebïa sani 1264 (15 mars 1848). Suivent les signatures. Abd-el-Kader au gouvernement provisoire. Louanges à Dieu seul et unique ; rien n’est durable si ce n’est son règne. Aux appuis solides de la République qui gouvernent toute la France, et qui sont à son égard ce que les yeux et les bras sont au corps. Par eux le corps est mis en mouvement, et par eux aussi il reçoit ce qui lui convient, et est garanti de ce qui lui est nuisible. Salut à ceux que Dieu a rendus honorables, et qui a voulu que leurs actions respirent le bien et le bonheur pour tous, qui les a doués du pouvoir d’être utiles au fort et au faible. Ils empêchent les forts de commettre l’injustice et de faire peser leur grandeur sur les faibles ; c’est un bien qui est tout à l’avantage des forts, et qu’au jour de l’éternité seulement, et devant Dieu, ils pourront reconnaître et apprécier : ils protègent les faibles qui, dans ce monde, n’ont point d’appui, et ils les préservent des injustices des grands. Le citoyen Ollivier, votre délégué, est venu me voir hier, et m’a informé que les Français sont tous unis pour un seul et même but et qu’ils ont aboli la royauté pour que la France soit gouvernée par la République. J’ai été réjoui en apprenant cette nouvelle, parce que j’ai lu dans les livres qu’un tel état de choses est convenable aux peuples, puisqu’il anéantit l’injustice et empêche le fort d’opprimer le faible, que par conséquent tous deviennent frères, et que par cette raison nul frère ne peut s’élever sur son frère. Les anciens juges ont dit : Quiconque veut s’agrandir s’abaissera. Vous avez fait dans ce monde ce qui sera dans l’éternité pour tous les mortels devant le Tout-Puissant. Tous les hommes sont fils d’Adam, et Adam est né du limon. La nation qui est unie, et dont les intérêts sont soumis à l’examen et à l’opinion de tous, est celle qui sans contredit est la plus forte, parce que, par les conseils donnés par tous, il est rare de faillir, tandis que le conseil d’un seul entraîne souvent l’erreur. Les anciens sages ont dit : Celui qui ne consulte que son opinion glisse et tombe. Dieu, dans le sublime livre du Coran, a chéri les hommes qui sont doués de tels sentiments ; il a dit : Leurs actions doivent être toujours conformes à leurs opinions prises en masse. Aujourd’hui vous êtes des hommes de grand cœur, compatissants ; vous aimez le bien et ne jugez que par la légalité. Dieu vous a placés où vous vous trouvez pour être les protecteurs de l’infortune et des affligés : Je suis un de ceux-ci, et je suis malheureux, et je demande de vous et de votre justice d’arracher l’affliction qui m’oppresse. Si je n’ai point obtenu justice par le passé, je dois l’obtenir maintenant, puisque vous êtes les auteurs de l’état de choses qui ne veut plus ni injustice ni oppression. Je n’ai rien fait qui puisse être blâmé par des hommes sages comme vous l’êtes. J’ai défendu mon pays par tous mes moyens ; j’ai la conviction que par cette raison vous m’estimez. Quand j’ai été vaincu et que Dieu ne m’a pas donné l’avantage, j’ai songé à tranquilliser mon âme en renonçant aux choses de ce monde ; et quoiqu’il me fût possible de me rendre dans le pays des Berabers (Maroc) ou dans le Sahara, j’ai préféré pour mon âme sa remise entre les mains des Français. Je désirai être envoyé par les Français dans le pays que je choisirais ; dans mon esprit, et parmi toutes les nations musulmanes et chrétiennes, j’ai donné à la nation française la préférence pour l’inviolabilité d’une parole donnée. J’ai demandé au général Lamoricière de me faire transporter à Alexandrie, pour de là me rendre à la Mecque et à Médine ; je l’avais prié de ne pas me faire passer ni par Oran ou Alger, ni par Toulon ou tout autre port de France ; je lui avais demandé de m’embarquer à Djemà Ghazaouat pour me rendre directement à Alexandrie, et, pour l’accomplissement de ces demandes, je demandai une parole française ; c’est ce qu’il a fait en m’adressant un écrit en arabe qu’il a signé en français et revêtu de son cachet écrit de la même langue. Quand cet écrit m’est parvenu, et dans la conviction que la parole des Français est inviolable, je me suis rendu à lui. S’il m’avait dit : Je ne puis pas vous promettre ce que vous me demandez, je ne me serais point rendu. J’avais la certitude que la parole française est une parole solide, fût-elle donnée même par un simple soldat, et qu’il était impossible de la violer. Aujourd’hui, les choses ne sont plus les mêmes pour moi, et cette conviction s’est évanouie en moi : je vous demande et vous supplie de me rendre justice, en rendant plus vaste ce qui est restreint pour moi, et en transformant ma tristesse en joie et bonheur. Vous avez aujourd’hui opéré et fait une œuvre grande et qui réjouit tout le monde. Si vous réjouissez tout le monde et que vous me laissiez dans l’affliction, je vous en demanderai compte devant le Tout-Puissant ! Vous êtes des Ulémas (savants) et savez bien ce qui nous convient. Nous ne pouvons pas vivre dans un pays dont les vêtements, le langage, la nourriture et tout, en général, différent entièrement des nôtres. Je me disais toujours que, quand bien même je serais pris par les Français par la force, je n’aurais que du bien à recevoir chez eux, parce que ce sont des hommes de cœur et d’honneur, et qu’ils savent rendre mérite au vainqueur aussi bien qu’au vaincu. Je n’ai point été pris les armes à la main ; je suis venu aux Français volontairement et parce que je l’ai bien voulu : si j’avais pensé trouver chez eux quelque chose qui pût me déplaire, je ne serais point venu à eux. Je crains que quelques-uns de vous puissent dire qu’en retournant aux choses de ce monde et en revenant en Algérie, j’y ferai renaître des troubles ; c’est une chose impossible, et qui ne pourra jamais arriver : n’ayez aucun doute sur moi à cet égard, pas plus que vous n’en auriez en pareille circonstance de la part d’un individu qui est mort, car je me place au nombre des morts : mon seul désir est de me rendre à la Mecque et à Médine pour y étudier et adorer Dieu jusqu’à mon dernier jour. Salut. Dé la part de Abd-el-Kader ben Mehheddin, infortuné dans le pays des Français. En date du 9 Rebïa sani 1264 (15 mars 1848). XXVI. — LETTRE DU GÉNÉRAL CAVAIGNAC. Alger, 27 mars 1848. Monsieur le président, Je trouve insérée, au Moniteur officiel de la République, ma nomination au ministère de la guerre. J’ai à regretter que le gouvernement provisoire n’ait pas voulu accueillir la communication si positive qui lui a été faite. J’ai à regretter qu’en ne m’interrogeant pas, le gouvernement m’oblige à décliner un honneur que je n’ai point recherché, au-devant duquel j’aurais été s’il eût été convenable de le faire. Je n’accepte point le ministère de la guerre. Il me reste à en faire connaître le motif. Au jour même d’une révolution lorsqu’il n’est question que d’une chose, de donner au gouvernement nouveau un gage de dévouement absolu, le nom d’un bon citoyen appartient à la nation ; elle en dispose suivant sa volonté. Si donc, le 24 février au soir, mon nom eût figuré au nombre des ministres, j’eusse accepté cette désignation comme j’ai accepté celle qui m’a placé où je suis. Aujourd’hui, la République n’a pas besoin d’un sacrifice semblable, et pour entrer dans son gouvernement, il devient utile, nécessaire, que celui qui, par exemple, acceptera le ministère de la guerre, connaisse la volonté du gouvernement, soit éclairé sur ses vues. En un mot, les hommes qui sont appelés à composer à l’avenir le ministère de la République, doivent s’être interrogés et rester convaincus qu’ils veulent servir la République de la même manière. Dans les circonstances présentes, si j’avais à entrer au ministère, j’aurais avant tout à savoir quel doit être l’avenir de l’armée dont on me confierait le commandement. Comme soldat, je serai toujours prêt à verser mon sang pour la République, de quelque manière et en quelque temps qu’elle l’exige. Comme homme politique, si j’étais condamné à le devenir, je ne sacrifierais jamais mes convictions de soldat déjà avancé dans sa carrière : la République a besoin de son armée. Loin de mon pays, j’ignore aujourd’hui ce qu’est l’armée, où elle est ; mais ce que je sais, c’est que si malheureusement elle était profondément atteinte dans ses conditions d’existence, il faudrait la réorganiser ; si elle était inquiète, il faudrait la rassurer ; si sa tête était inclinée, il faudrait la relever ! Voilà mes convictions. Comme homme politique, je sais quels sont les hommes avec qui je voudrais seulement marcher ; mais ceux-là mêmes, s’ils veulent atteindre l’armée, s’ils ne veulent lui rendre, ce qui seul la fera vivre, le sentiment de sa dignité, de son rôle dans tout pays vivant entouré de nations armées elles-mêmes, ceux-là mêmes, je le déclare, ne me compteront pas dans leurs rangs. Ainsi, pour être ministre, j’ai besoin de connaître la pensée, la volonté de la République ; j’ai besoin d’être certain que je n’aurai pas à mutiler l’armée que je connais depuis bientôt trente ans, de la même main qui a soutenu avec elle la même épée. Rien ne coûte à dire quand on n’a rien à cacher. Je n’éprouve donc point d’embarras à parler nettement ; je ne puis donc être ministre tant que la pensée de la nation ne se sera point fait connaître. Et, d’ailleurs, au moment où l’Assemblée nationale va se réunir, arriverais à Paris. Pourquoi ? pour y résigner un pouvoir qu’il ne me reste pas le temps d’aller prendre. Je dois donc, je le répète, ne point accepter la désignation dont je suis l’objet. XXVII. — PÉTITION DES OUVRIERS. Citoyens, la réaction lève la tête ; la calomnie, cette arme favorite des hommes sans principes et sans honneur, déverse de tous côtés son venin contagieux sur les véritables amis du peuple. C’est à nous, hommes de la révolution, hommes d’action et de dévouement, qu’il appartient de déclarer au gouvernement provisoire que le peuple veut la République démocratique ; que le peuple veut l’abolition de l’exploitation de l’homme par l’homme ; que le peuple veut l’organisation du travail par l’association. Vive la République ! vive le Gouvernement provisoire ! XXVIII. — LISTE DES CANDIDATS DU PEUPLE.
XXIX. — LISTE PAR ORDRE NUMÉRIQUE OBTENUS PAR LES CANDIDATS À L'ASSEMBLÉE NATIONALE, ÉLUS DANS LE DÉPARTEMENT DE LA SEINE.
XXX. — RÉSUMÉ DU RECENSEMENT DES OUVRIERS DES ATELIERS AU 19 MAI.
XXXI. — ÉTAT DES PRINCIPALES ARRESTATIONS POLITIQUES (du
15 mai au 22 juin 1848.) Arrêtés pour le complot du 15 mai.
Avec ces 30 inculpés, il y a eu pour la même affaire d’autres détenus au nombre d’environ 100, soit un total pour le complot du 15 mai de 130. * * *
Avec ces 15 inculpés[1] il y a eu pour ces divers motifs, du 16 mai au 22 juin, d’autres personnes arrêtées au nombre de 30, ce qui donne un total de 175 arrestations pour le parti Barbès * * *
Au total, 36 individus[2] appartenant au parti Henri V furent arrêtés. ***
Du 16 mai au 22 juin, dans les groupes ou isolément, il y a eu, pour avoir crié : Vive Napoléon ! environ 50 arrestations, et 4 pour complot napoléoniste, soit un total de 58 arrestations dans le parti napoléoniste. * * *
Total récapitulatif : Parti Barbès, 175 ; Parti henriquinquiste : 36 ; Parti napoléoniste : 58 et Parti philippiste : 1 ; soit 270 arrestations. * * *
Le 8 juin après sommation dans les rassemblements porte St-Denis et rue St-Martin il y a eu 31 arrestations ; dans la nuit du 8 au 9 juin, place Saint-Georges, il y a eu 10 arrestations ; le 9, porte Saint-Denis, après sommation, dans un rassemblement, il y a eu 114 arrestations et le lendemain, sur ce même point, 187 ; les 11 et 12 juin, au milieu d’un rassemblement à la porte Saint-Denis, il y a eu 688 arrestations ; le 12 au soir, sur la place de Bourgogne, dans un rassemblement, ll y a eu 3 arrestations ; le 13, porte Saint-Denis, place de la Concorde et Chaussée d’Antin, il y a eu 56 arrestations, et sur divers autres points, 24 arrestations ; le 19, distribuant dans un groupe de l’Hôtel de Ville des chansons en faveur de Louis Napoléon, 20 individus furent arrêtés ; le 18, porte Saint-Denis, dans un rassemblement, où l’on criait : Vive Barbès ! et Vive Napoléon ! il y eut 6 arrestations et le 21, place de l’Hôtel de Ville, 17 arrestations ; soit un total de 1.157 arrestations pour attroupement. Récapitulation générale des arrestations faites du 15 mai au 22 Juin
XXXII. — PROJET DE PROCLAMATION PRÉSENTÉ PAR V. CONSIDÉRANT. L’Assemblée nationale aux ouvriers de Paris. Ouvriers nos frères ! Une affreuse collision vient d’ensanglanter les rues de la capitale. Une partie d’entre vous ont contraint le gouvernement, pour sauver la République, de tourner contre eux des armes françaises. Des républicains, des frères ont versé le sang de leur frères ! Au nom de la patrie, au nom de la Révolution qui doit vous émanciper, au nom de l’humanité dont nous voulons tous assurer et organiser les droits sacrés, jetez, jetez ces armes fratricides. Est-ce pour nous entre-déchirer que nous avons conquis la République ? que nous avons proclamé la loi démocratique du Christ, la sainte fraternité ? Frères, écoutez-nous, écoutez la voix des représentants de la France entière : Vous êtes victimes d’un malentendu fatal ! Pourquoi vous êtes-vous soulevés ? Les souffrances que nous ont léguées dix-huit mois de crise industrielle et dix-sept années de corruption monarchique n’atteignent-elles pas toutes les classes ? Écoutez-nous : Ici ce sont, des chefs d’industrie qui accusent les ouvriers et les ateliers nationaux de la ruine des affaires ; là, des ouvriers accusent les chefs d’industrie de leur détresse. Cette accusation réciproque n’est-elle pas une erreur funeste ? Pourquoi accuser les hommes et les classes ? pourquoi nous accuser les uns les autres de souffrances engendrées par la fatalité des choses ; de souffrances, héritage d’un passé que tous nous voulons transformer ? Est-ce en nous massacrant que nous nous enrichirons ? Est-ce en nous égorgeant que nous fonderons l’ère de la fraternité ? Depuis quand la haine et la guerre civile sont-elles productives et fécondes ? Où sera le travail si l’émeute agite incessamment Paris ? Où sera le pain pour tous, si toutes les industries sont arrêtées par la terreur sanglante de la rue ? Ouvriers nos frères, nous vous le répétons, vous êtes victimes d’un malentendu fatal ! Ouvriers, on vous trompe, on vous inspire contre nous le doute, la défiance et la haine ! On vous dit que nous n’avons pas au cœur le saint amour du peuple ; que nous n’avons pas de sollicitude pour votre sort ; que nous voulons étouffer les développements légitimes du principe social de la révolution de Février : on vous trompe, frères, on vous trompe ! Sachez-le, sachez-le bien : Dans son âme et dans sa conscience, devant Dieu et devant l’humanité, l’Assemblée nationale vous le déclare : elle veut travailler sans relâche à la constitution définitive de la fraternité sociale. L’Assemblée nationale veut consacrer et développer par tous les moyens possibles et pratiques le droit légitime du peuple, le droit qu’a tout homme venant au monde de vivre en travaillant. L’Assemblée nationale veut consacrer et développer, par des subventions et des encouragements de toutes sortes, ce grand principe de l’association destiné à unir librement tous les intérêts, tous les droits. L’Assemblée nationale veut, comme vous, tout ce qui peut améliorer le sort du peuple dont elle émane ; relever la dignité du travailleur ; rapprocher fraternellement tous les membres du grand corps national. Frères ! frères ! laissez à vos représentants le temps d’étudier les problèmes, de vaincre les obstacles, de reconstruire démocratiquement tout un ordre politique et social renversé en trois jours par une victoire héroïque ; et cessez, oh ! cessez de déchirer par des collisions sanglantes les entrailles de la patrie ! L’assemblée nationale à la garde nationale. Gardes nationaux ! Vous avez donné hier, vous ne cessez de donner des preuves éclatantes de votre dévouement à la République. Si l’on a pu se demander un moment quelle est la cause de l’émeute qui ensanglante nos rues, et qui tant de fois, depuis huit jours, a changé de prétexte et de drapeau, aucun doute ne peut plus rester aujourd’hui, quand déjà l’incendie désole la cité, quand les formules du communisme et les excitations au pillage se produisent audacieusement sur les barricades. Sans doute la faim, la misère, le manque de travail sont venus en aide à l’émeute. Mais, s’il y a dans les insurgés beaucoup de malheureux qu’on égare, le crime de ceux qui les entraînent et le but qu’ils se proposent sont aujourd’hui mis à découvert. Ils ne demandent pas la République. Elle est proclamée. Le suffrage universel. Il a été pleinement admis. Que veulent-ils donc ? On le sait maintenant : ils veulent l’anarchie, l’incendie, le pillage. Gardes nationaux ! unissons-nous tous pour défendre et sauver notre admirable capitale. L’Assemblée nationale s’est déclarée en permanence. Elle a concentré dans la main du brave général Cavaignac tous les pouvoirs nécessaires pour la défense de la République. De nombreux représentants revêtent leurs insignes pour aller se mêler dans vos rangs et combattre avec vous. L’Assemblée n’a reculé, elle ne reculera devant aucun effort pour remplir la grande mission qui lui a été confiée. Elle fera son devoir comme vous faites le vôtre. Gardes nationaux ! comptez sur elle comme elle compte sur vous. Vive la République ! Le président de l’Assemblée nationale, Senard. Le 24 juin 1848. XXXIII. — PROCLAMATION DU GÉNÉRAL CAVAIGNAC, 24 JUIN. Aux insurgés. Citoyens ! Vous croyez vous battre dans l’intérêt des ouvriers : c’est contre eux que vous combattez ; c’est sur eux seuls que retombera tant de sang versé. Si une pareille lutte pouvait se prolonger, il faudrait désespérer de la République, dont vous voulez assurer le triomphe irrévocable. Au nom de la patrie ensanglantée, Au nom de la République que vous allez perdre, Au nom du travail que vous demandez et qu’on ne vous a jamais refusé, trompez les espérances de nos ennemis communs, mettez bas vos armes fratricides, et comptez bien que le gouvernement, s’il n’ignore pas que dans vos rangs il y a des instigateurs criminels, sait aussi qu’il s’y trouve des frères qui ne sont qu’égarés et qu’il rappelle dans les bras de la patrie. Le général CAVAIGNAC. À la garde nationale. Citoyens ! Votre sang n’aura pas été versé en vain. Redoublez d’efforts, répondez à mon appel, et l’ordre, grâce à vous, grâce au concours de vos frères de l’année, sera rétabli. Ce n’est pas seulement le présent, c’est l’avenir de la France et de la République que votre héroïque conduite va assurer. Rien ne se fonde, rien ne s’établit sans douleurs et sans sacrifices ; soldats volontaires de la nation intelligente, vous avez dû le comprendre. Ayez confiance dans le chef qui vous commande, comptez sur lui comme il peut compter sur vous. La force unie à la raison, à la sagesse, au bon sens, à l’amour de la pairie, triomphera des ennemis de la République et de l’ordre social. Ce que vous voulez, ce que nous voulons tous, c’est un gouvernement ferme, sage, honnête, assurant tous les droits, garantissant toutes les libertés ; assez fort pour refouler toutes les ambitions personnelles ; assez calme pour déjouer toutes les intrigues des ennemis de la France. Ce gouvernement vous l’aurez, car avec vous, car avec votre concours entier, loyal, sympathique, un gouvernement peut tout faire. Le général CAVAIGNAC. XXXIV. — AUX ARMES ! Nous voulons la république démocratique et sociale ! Nous voulons la souveraineté du peuple ! Tous les citoyens d’une république ne doivent et ne peuvent vouloir autre chose. Pour défendre cette république, il faut le concours de tous. Les nombreux démocrates qui ont compris cette nécessité sont déjà descendus dans la rue depuis deux jours. Cette sainte cause compte déjà beaucoup de victimes ; nous sommes tous résolus à venger ces nobles martyrs ou à mourir. Alerte, citoyens ! que pas un seul de vous ne manque à cet appel. En défendant la république nous défendons la propriété. Si une obstination aveugle vous trouvait indifférents devant tant de sang répandu, nous mourrons tous sous les décombres incendiés du faubourg Saint-Antoine ! Pensez à vos femmes, à vos enfants, et vous viendrez à nous ! XXXV. — DÉPOSITION DE M. DE GUISE, CHIRURGIEN EN CHEF DE LA GARDE NATIONALE. (11
juillet 1848.) J’ai vu un grand nombre de blessés dont les blessures sont fort graves. Toutes les balles que j’ai extraites ne présentent rien d’anormal, quelques-unes sont déformées, d’autres sont perforées, et au milieu on a introduit des substances blanchâtres. Je n’ai pas vu de balles ayant une forme particulière ou mâchée. M. de Guise emporte plusieurs balles et cartouches pour examiner les formes particulières qu’elles pourraient avoir et reconnaître les substances dans lesquelles elles auraient pu être trempées. M. de Guise reprend : J’ai été chargé par M. le général Changarnier d’une mission analogue aux désirs de vos questions, sur l’état ou la forme des balles qui ont été extraites du corps des blessés par mes différents collègues des hôpitaux et des ambulances. Je n’ai pu encore accomplir cette mission, dont je vous rendrai compte dès qu’elle sera terminée. J’attribue la gravité des blessures que je vous ai signalée à la proximité des coups de feu. Ainsi, il y a à l’ambulance des Tuileries un insurgé qui a eu la cuisse traversée par un coup de baïonnette, suivi immédiatement du coup de feu. J’ai reconnu que les insurgés s’étaient servis de toute espèce de projectiles, tels que billes, aiguilles, pincettes, etc., dont la portée est moins grande. J’ai examiné le caveau dans lequel sont placés les insurgés aux Tuileries, et j’ai reconnu les dangers de l’état sanitaire de cette agglomération d’individus et de morts, par suite de l’ordre qu’avaient les gardes nationaux de tirer sur ceux qui ébranleraient les barreaux des fenêtres. J’en ai fait un rapport au général commandant Poncelet, qui en a fait, dès ce soir même, extraire une grande partie. C’est à cette occasion qu’il faut rattacher le déplorable événement de la place du Carrousel. La mortalité, par suite des blessures reçues en juin, est hors de proportion avec ce qui a lieu ordinairement. Comme je l’ai déjà dit, il faut attribuer cette gravité des blessures qui ont entraîné la mort à la proximité des coups portés, qui cassaient les membres en les traversant. Cette mortalité se remarque surtout chez les blessés dont on a différé l’amputation. XXXVI. — PROCLAMATION DU PRÉFET DE POLICE AUX HABITANTS DE PARIS. (26 juillet 1848.) Le nombre total des citoyens détenus par suite des événements de juin s’élève à cette heure à neuf mille cent soixante-dix-neuf ; c’est le chiffre le plus élevé qui ait été atteint. En ce qui concerne le régime auquel ces citoyens sont soumis et les soins qui leur sont donnés, il suffira, pour répondre à tout ce qui a été avancé d’inexact à cet égard, de dire que, sur ce nombre de prisonniers, on a seulement deux décès à constater. Enfin, c’est surtout au sujet des bruits alarmants répandus dans le public sur une prochaine tentative d’insurrection que la malveillance s’est donné carrière. Toutes ces rumeurs étaient sans fondement. Ces souterrains dont il a été tant parlé n’ont jamais existé. Ces carrières où se réfugiaient des légions d’ennemis et où se trouvaient d’immenses dépôts d’armes, ont constamment été explorées avec le soin le plus minutieux. Ces catacombes qui devaient être converties en mines pour faire sauter des quartiers de la capitale sont inattaquables par la poudre à canon, tant est épaisse la couche de terrain qui forme le recouvrement de ces excavations. Les bruits nocturnes et mystérieux, les prétendus signaux qui alarmaient les passants, ont été le sujet d’un examen sérieux, d’une surveillance active, et toujours une cause simple est venue donner l’explication de ces effets. Signé DUCOUX. XXXVII. — NOTE SUR LES PRINCIPALES CAUSES QUI ONT AMENÉ LES ÉVÉNEMENTS DE JUIN, ET SUR LES DIVERS ÉLÉMENTS DE L’INSURRECTION. Après la révolution de Février, les riches partaient ; les pauvres de tous les pays arrivaient à Paris. Les uns avaient peur, les autres avaient faim. Parmi ces derniers, les uns venaient de la province, les autres de l’Italie et de l’Allemagne. Ceux qui avaient peur cachaient leur argent. Les clubs se formaient. La cause du riche y était attaquée et n’y était pas défendue, sinon fort mal. Les absents ont tort. Dans ces circonstances, qu’il n’était point au pouvoir de l’administration de prévenir ou de modifier, naissaient des haines sociales, la misère et beaucoup de causes prochaines d’une lutte armée. Le gouvernement organisa les ateliers nationaux. Ce fut peut-être un expédient malheureux. Les ateliers nationaux ont été un des motifs constants de perturbation : les ouvriers y prenaient des habitudes de paresse. Le travail des ateliers nationaux était une fiction. Ce travail était médiocre ou nul. Si le gouvernement, au lieu d’avoir recours à ce moyen, avait songé à soutenir les grandes industries, il n’aurait pas déplacé tous les corps d’état et amené ainsi, à son insu, une des principales causes de la dernière insurrection. L’ordre, c’est le travail ; mais le travail de chaque ouvrier dans sa spécialité. En dehors de cela, les horlogers, les forgerons, les bijoutiers, les charpentiers, etc., rassemblés sur un point, c’est le désordre, c’est le chaos, c’est le fleuve qui sort de son lit pour inonder les campagnes au lieu de les vivifier. Dans ma pensée, au lieu de créer les ateliers nationaux, on devait prêter aux grandes usines la moitié de la somme qui a été perdue en travaux infructueux. En agissant ainsi, on laissait chaque travailleur à son atelier ; on utilisait sa spécialité, et l’on obtenait un travail d’une valeur décuple. Les riches, en se rassurant, seraient revenus, et les affaires auraient repris leur cours ordinaire. Classes qui ont pris part à l’insurrection. 1° beaucoup d’ouvriers sans travail qui soutiennent leur famille et qui voient des femmes et des enfants qui ont faim. 2° Des hommes exaltés et probes, mais ignorants et faciles à se laisser tromper. On leur a fait croire que l’Assemblée nationale voulait ramener peu à peu le système suivi par Louis-Philippe. 3° Ces communistes, rêveurs d’utopie, dont chacun a son système, et qui ne sont pas d’accord entre eux. 4° Les légitimistes, qui ont toujours dit qu’il faudrait passer par la république pour arriver à Henri V. Pour eux, le gouvernement républicain n’est qu’une halte d’un moment, mais nécessaire. 5° Les bonapartistes, qui ont joint leur argent à celui des légitimistes pour solder l’émeute. 6° Les partisans de la régence, qui se sont fait remarquer par leur mauvais vouloir lorsqu’il a fallu payer l’impôt. 7° Enfin, l’écume de tous les partis, les forçats et les gens sans aveu ; enfin, les ennemis de toute société, gens voués par instinct aux idées d’insurrection, de vol et de pillage. Pour ces hommes, les vrais coupables, il faut une répression rigoureuse et énergique : la peine de mort ou la déportation. Pour les hommes égarés, du pain et la clémence. Le chef de division de la sûreté générale, Signé PANISSE. XXXVIII. Dans un moment où l’issue de la lutte n’était pas douteuse, et où l’on entendait partout des cris de triomphe, pleins d’emportement et de colère, j’entrai dans le cabinet où se tenaient les réunions du gouvernement. Cavaignac y était avec sa mère. Il avait la tête appuyé sur ses genoux. Il pleurait. Je dis à Cavaignac : Je ne vois qu’un moyen pour que les malheurs d’aujourd’hui n’entraînent pas des malheurs plus grands : il faut que tu prennes la dictature. L’Assemblée est toute prête à te la donner. Tu es bien sûr de toi. Tu la déposeras dès qu’elle ne sera plus nécessaire. La majorité de l’Assemblée est trompée aussi bien que la plupart des insurgés. Elle va vouloir proscrire en masse. Tout ce qui s’est mêlé de près ou de loin à la révolte va former un parti irréconciliable. Ce sera là une menace incessante de guerre civile. La réaction commence. Aujourd’hui, elle frappe les insurgés, bientôt, elle viendra jusqu’à nous. Prends la dictature ; fais disparaître les vrais auteurs de l’insurrection. Tu diras aux révoltés, prisonniers ou autres : La République que vous aimez, vous avez failli la tuer en suivant les inspirations de ses ennemis. Ceux-là, nous les punissons. Vous, retournez au travail ; on aura soin qu’il ne vous manque pas ; et prenez garde de retomber dans les mêmes erreurs ; car, vous le voyez, la répression est terrible. J’ajoutai : Ce qui importe, c’est d’atteindre les vrais instigateurs de l’émeute, de ne frapper qu’eux, de faire bien sentir au peuple qu’il a été égaré, trompé par eux. Cavaignac me répondit : C’est un coup d’État que tu demandes. Un coup d’État ! Je n’en veux pas, je n’en ferai jamais. La France n’en a vu que trop depuis soixante ans. Nous devons, nous, lui en faire perdre l’habitude, au lieu de lui en imposer un de plus. La dictature ! tu n’y songes pas. La dictature, quand nous avons les pieds dans le sang ! Ce serait autoriser le premier venu à tuer des hommes pour arriver au pouvoir. Ce qui manque surtout à ce malheureux pays, c’est le respect de la légalité. Le seul service que nous puissions rendre à présent, c’est d’inspirer ce respect, en en donnant nous-mêmes l’exemple. Il y a aujourd’hui un souverain légitime ; c’est l’Assemblée. Si elle veut amnistier, elle fera bien, mais ce n’est pas à moi à choisir les coupables. La conversation fut longue, et je dois avouer que j’insistai de la manière la plus pressante, à genoux, près du canapé où il était assis, et tenant ses deux mains dans les miennes. Mon cher enfant — il avait, comme sa mère, l’habitude de m’appeler ainsi, quoique je fusse plus âgé que lui —, mon cher enfant, me disait-il en souriant, ne cherchons pas à copier les hommes de la Révolution. S’ils vivaient de nos jours, ils comprendraient, même les plus ardents, que ce n’est pas de l’audace qu’il faut, mais du respect des lois, et qu’on ne fonde pas la liberté avec des mesures despotiques. Je le confesse, dans le moment je ne fus pas convaincu ; mais je fus forcé au silence et à l’admiration devant cet homme qui se révélait à moi avec une grandeur de caractère que nous ne croyions guère possible que chez les héros de Plutarque. D’autres le pressèrent, comme je l’avais fait, et, ainsi que moi, ils le trouvèrent inébranlable. (Mémoires de M. Bastide. Encyclopédie moderne, tome VII, article Juin) FIN DES DOCUMENTS HISTORIQUES |