Certains auteurs, parlant de leurs ouvrages, disent mon livre, mon commentaire, mon histoire. Ils sentent leurs bourgeois qui ont pignon sur rue et toujours un chez moi à la bouche. Ils feraient mieux de dire notre livre, nôtre commentaire, notre histoire, vu que d’ordinaire il y a plus en cela du bien d’autrui que du leur. Que de fois, durant le cours de cette publication, ne me suis-je pas rappelé le conseil du moraliste, en pensant qu’il s’adressait à moi plus qu’à tout autre. L’Histoire de la Révolution de 1848, si imparfaite qu’elle reste encore, n’aurait jamais pu être achevée, en effet, sans le concours d’un très-grand nombre de personnes, dont les récits, le témoignage, les avis et les confidences m’ont rendu plus faciles l’exactitude et l’impartialité qu’on a bien voulu reconnaître dans mon travail, et qui en font à peu près tout le mérite. L’Histoire de la Révolution de 1848 est donc, en ce sens, une œuvre collective plutôt qu’une œuvre individuelle ; mais, bien que mon amour-propre n’ait pas à s’en féliciter, je considère cette condition, généralement incompatible avec la perfection d’une œuvre d’art, comme favorable, en ce cas particulier, au succès que j’ambitionne. J’ose, espérer qu’un livre où l’auteur disparaît complètement pour laisser parler les faits eux-mêmes n’en sera que plus propre à répandre certaines vérités que je crois utiles, et qu’il réalisera ainsi, mieux peut-être qu’un ouvrage moins défectueux et plus personnel, la pensée heureuse de Voltaire, qui dit : Il en est des livres comme de nos foyers. On va prendre ce feu chez son voisin, on l’allume chez soi, on le communique à d’autres, et il appartient à tous. Ce feu que je souhaiterais de voir se propager, c’est une foi dans l’avenir, ardente et profonde, que les événements les plus inattendus ravivent chaque jour dans mon cœur. Puisse cette foi se communiquer à tous ceux qui daigneront me lire ! Puisse-t-elle les soutenir dans les épreuves que les amis de la liberté auront encore à supporter et les préserver de ce triste, de cet injuste et pernicieux esprit d’indifférence ou de réaction, que les maux inséparables des révolutions les plus légitimes font naître dans l’opinion publique S’il en pouvait être ainsi, j’aurais atteint mon but ; aucun succès ne me paraîtrait plus enviable ; les sévérités de la critique ne me causeraient nul déplaisir ; mon ambition serait satisfaite. FIN DU TROISIÈME ET DERNIER VOLUME |