HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION DE 1848

PREMIÈRE PARTIE

 

CHAPITRE IX. — DEUXIÈME JOURNÉE.

 

 

La nuit fut muette ; le pouvoir crut qu’elle était calme. À tout événement, il prenait ses mesures. Des renforts de troupes arrivaient par les chemins de fer. Des canons amenés de Vincennes étaient mis en batterie sur la place du Carrousel, sur la place de la Concorde, aux abords des portes Saint-Denis et Saint-Martin, sur les quais, à l’Hôtel de Ville. Le ministère dressait une longue liste d’arrestations, sur laquelle figuraient les noms des principaux rédacteurs de la presse démocratique, les chefs des sociétés secrètes, les hommes les plus influents du parti radical[1]. Il régnait à cet égard entre le roi et son cabinet une entente parfaite.

Cependant la troupe, qui a bivouaqué à la pluie, les pieds dans la boue, l’esprit perplexe et le corps transi, aperçoit, aux premières lueurs du jour, une multitude gaillarde et résolue, qui afflue par les rues Saint-Martin, Rambuteau, Saint-Merry, du Temple, Saint-Denis, où, sur beaucoup de points, elle a élevé des barricades. On s’observe quelques instants, puis les ouvriers engagent des escarmouches ; des feux de tirailleurs leur répondent. Répandu sur un vaste espace, doit il connait les positions avantageuses et les détours, le peuple tantôt se disperse, tantôt se concentre, harcelant, déconcertant la troupe, surprenant les postes isolés[2]. Chose étrange, à peine a-t-on cessé le feu sur un point que soldats et ouvriers échangent des paroles amicales. Dans le quartier des halles, les femmes offrent des vivres aux soldats, les embrassent en les suppliant d’épargner leurs frères, de ne pas tirer sur leurs maris, sur leurs enfants. On continue les barricades joyeusement, d’un air mutin, à vingt pas de la troupe. — Vous ne tirerez pas sans nous avertir, disaient les gamins. — Soyez tranquilles, nous n’avons pas d’ordre, répondaient les soldats. À toute minute, un bon mot, un lazzi, forcent à sourire les officiers eux-mêmes, surpris de tant d’audace, et qui souhaitent de tout leur cœur qu’une solution pacifique les dispense au plus tôt de cette guerre civile. Non, certes, que ces hommes si braves se préoccupent des dangers qu’ils vont courir ; mais ce ministère qu’on les force à défendre, ils ne l’aiment ni ne l’estiment. Le système de la paix à tout prix et la vénalité politique répugnent à leur honneur ; dans le fond de leur conscience, ils inclinent à donner raison au peuple, et, loin de ressentir contre lui de l’animosité et de la colère, ils éprouvent une sympathie très-vive pour sa résolution, sa verve, la simplicité de son courage. La défaite de Juillet aussi leur revient en mémoire, et la pluie qui tombe sans relâche, fouettée par un vent aigre, abat encore le peu d’ardeur de leur esprit troublé[3].

Mais tout d’un coup ils respirent, ils se sentent soulagés d’un poids énorme. Une bonne nouvelle leur est apportée. On entend partout battre le rappel. La garde nationale se rassemble ; elle va trancher le nœud de cette situation pénible et inexpliquée. En effet, après de longues hésitations, beaucoup de paroles inutiles, d’ordres et de contre-ordres embarrassés, le duc de Nemours, le général Sébastian et le général Jacqueminot, réunis à l’état-major dans une inactivité solennelle et dans une ignorance incroyable du véritable état des choses, donnaient, ou plutôt se laissaient arracher l’ordre tardif de convoquer deux bataillons de gardes nationaux par légion ; mais cet ordre ayant été transmis directement, les maires n’en furent point instruits. En sorte que les gardes nationaux, arrivant aux mairies, n’y trouvèrent ni instruction ni direction d’aucune espèce. Livrées à elles-mêmes, les légions s’avancent partout en criant : Vive la réforme ! S’emparant ainsi du rôle de médiatrices, elles vont empêcher qu’on ne tire sur le peuple, bien persuadées qu’il ne veut que ce qu’elles veulent elles-mêmes. Par leur contenance décidée, elles forceront le pouvoir à des concessions utiles. Maîtresses de la situation, elles renverseront le ministère conservateur, humilieront le roi, exigeront un cabinet présidé par M. Thiers ou M. Molé, puis elles feront rentrer dans ses foyers la foule mutinée. Tel est le programme que se trace à elle-même la garde nationale, le mercredi, 23 février, dans la matinée.

Ces dispositions se manifestent immédiatement et occasionnent sur plusieurs points des scènes très-vives. Le colonel de la dixième légion, M. Lemercier, haranguant le quatrième bataillon qui stationnait rue Taranne, et l’exhortant à marcher pour le rétablissement de l’ordre : Il ne s’agit pas seulement de rétablir l’ordre, s’écrie M. Bixio en sortant des rangs, mais de faire chasser un ministère infâme. Un cri : À bas Guizot ! éclate à ces paroles. Le colonel, irrité, saute à bas de son cheval et s’adresse individuellement à ceux d’entre les gardes nationaux dont la modération lui est connue pour les engager à crier : Vive le roi ! — Vive la réforme ! dit d’une voix de stentor un homme du peuple qui s’est glissé dans les rangs. M. Lemercier le saisit au collet, les gardes nationaux protestent en disant qu’on n’arrête pas un homme pour avoir crié Vive la réforme ! Le colonel, renonçant à les apaiser, résigne son commandement et s’éloigne en toute hâte.

Sur la place des Victoires, la troisième légion se mêle an peuple et pousse avec lui les cris de Vive la réforme ! Un détachement de gardes municipaux tente d’arrêter quelques hommes du peuple. Un garde national intervient ; il est maltraité. Alors une compagnie de gardes nationaux s’avance et fait reculer la troupe jusque dans sa caserne. Peu de temps après, sur la place des Petits-Pères, des dragons, pressés par la foule, essayent de la disperser ; elle se réfugie derrière les rangs de la garde nationale, qui croise la baïonnette. À ce spectacle inouï, les dragons s’arrêtent. La foule exprime par des vivats sa reconnaissance. Au même moment, la huitième légion, rassemblée sur la place Royale, refusait de marcher si l’on n’inscrivait sur sa bannière les mots : Vive la réforme ! Sur le boulevard Saint-Martin, la cinquième légion arrêtait la garde municipale, et les officiers expliquaient à la troupe que le peuple était dans son droit, qu’il ne voulait qu’une chose juste et légitime : le renvoi du ministère. À deux heures, les colonels des douze légions s’adressèrent au roi pour le supplier de faire de larges et promptes concessions, seul moyen qui restât, suivant eux, d’assurer la tranquillité de la capitale.

À ces rapports unanimes et presque simultanés, le duc de Nemours, impassible, entouré d’un brillant état-major qui se riait des alarmistes, répondait à peine et ne donnait aucune marque d’inquiétude ni de résolution. Satisfait de l’hommage rendu à son rôle de commandant supérieur, attentif à l’étiquette, il renvoyait les porteurs de nouvelles tantôt au roi, tantôt au général Sébastiani, tantôt au général Jacqueminot, qui, l’un et l’autre, souriaient ou fronçaient le sourcil en disant d’un air capable : Nous sommes instruits. Et pas une décision, pas un ordre ne sortait de cette triple apathie[4]. Cependant des combats acharnés entre le peuple et la garde municipale continuaient dans le Marais et les quartiers Saint-Denis et Saint-Martin. La troupe de ligne n’y prenait qu’une part très-peu active, et la garde nationale, partout où elle la rencontrait, intervenait pour faire cesser le feu. — Voulez-vous donc tuer des citoyens inoffensifs ? s’écriaient les officiers des légions. Que font-ils ? Ils demandent la réforme. Eh bien ! nous la voulons aussi. On ne peut plus nous la refuser ; à ce prix nous répondons de l’ordre. Et avec ces simples paroles ils arrêtaient les charges de cavalerie, faisaient retourner les canons, relever les fusils, rentrer les baïonnettes dans le fourreau. Le peuple, ivre de joie, saluait d’acclamations retentissantes ses protecteurs : Vive la nationale ! vive la ligne ! Soldats et ouvriers se tendaient la main. Étrange guerre civile entre des hommes dont la cause est la même et l’intérêt pareil : prolétaires sous l’uniforme, prolétaires sous la blouse, enfants d’une même misère, ouvriers à leur insu d’un même destin !

Tandis que cette fraternelle intervention de la garde nationale arrêtait, dans les faubourgs, l’effusion du sang, une députation de la quatrième légion se rendait, au nombre de quatre à cinq cents hommes, sans armes, mais escortée d’une grande masse de peuple, au palais Bourbon. Elle portait une pétition pour la réforme électorale et le renvoi du ministère. Les abords de la Chambre étaient fortement gardés. Sur la place, dès qu’un groupe un peu nombreux stationnait, il était dissipé par des charges de cavalerie. Des réserves d’infanterie et de cavalerie occupaient les Champs-Élysées ; un détachement de la dixième légion barrait te passage du pont de la Concorde. Des pourparlers s’engagèrent entre ce détachement, choisi parmi les plus zélés conservateurs, et la députation. Pendant ce temps, le bruit se répandait dans la Chambre que les légions réformistes étaient en marche et qu’elles allaient envahir le palais Bourbon ; ce fut une panique générale. On se hâta d’envoyer MM. Crémieux, Beaumont (de la Somme), et Marie au-devant des gardes nationaux. Après avoir pris connaissance de la pétition, ces messieurs félicitèrent la députation de sa démarche patriotique et lui annoncèrent, en termes emphatiques et vagues, que le ministère était frappé de mort, que la garde nationale avait prononcé son arrêt, que le vœu du peuple allait être exaucé. Des bravos prolongés éclatèrent à cette nouvelle. Les députés profitèrent de cet accueil favorable pour exhorter la garde nationale à empêcher les collisions et à rétablir l’ordre. La députation n’eut garde d’en demander davantage, elle se dispersa aussitôt pour aller porter sur tous les points où l’on combattait encore ces paroles de paix. Chacun se réjouit et se félicita. Désormais, pensait-on, la lutte était sans motif, l’émeute sans prétexte ; tout devait rentrer dans l’ordre et la légalité.

Un peu moins aveugle que la Chambre des pairs, qui repoussait par des clameurs violentes la demande d’interpellation de M. d’Alton-Shée, rappelait à l’ordre M. de Boissy[5] et reprenait la discussion à l’ordre du jour sur le projet de loi relatif au régime hypothécaire, la Chambre des députés semblait vouloir prendre quelque initiative. Voici ce qui s’y passait.

Entrés en séance à une heure et demie, les députés avaient à peine pu tenir en place pour entendre un rapport de pétitions. L’agitation était telle qu’il avait fallu suspendre la séance. Mille bruits plus alarmants les uns que les autres arrivaient de toutes parts. Où étaient les ministres ? Que décidait le roi ? Quelle serait l’issue de cette crise funeste ? On n’en savait rien. Ce qu’on savait, ce qui se confirmait de minute en minute, c’est que la garde nationale refusait de marcher contre le peuple ; que la troupe de ligne ne marcherait pas sans elle. C’en était assez pour faire appréhender les plus grands malheurs. On attendait avec anxiété M. Guizot, qui n’avait point paru encore. On murmurait, on l’accusait. Plusieurs espéraient, attribuant son absence prolongée à quelque énergique résolution prise en conseil. Enfin, à deux heures et demie, perdant patience, M. Vavin, député de la Seine, monte à la tribune. On sait que c’est pour interpeller le ministère. — Attendez ! attendez ! lui crie-t-on de tous les bancs. M. Hébert, seul au banc des ministres, annonce à la Chambre que le président du conseil et le ministre de l’intérieur, appelés hors de cette enceinte par des soins que la situation explique et requiert, ont été prévenus et qu’ils ne peuvent tarder. Un murmure d’impatience accueille ces paroles ; mais aussitôt le silence se rétablit, tous les regards se tournent vers in porte d’entrée. M. Guizot paraît sur le seuil. Est-ce bien lui ? Ses traits sont contractés, sa pâleur a pris une teinte livide, l’éclair de son regard est obscurci ; l’expression d’une souffrance profonde, contenue avec effort, se lit sur son front et dans son amer sourire. Il s’assied. Personne n’ose aborder le silence de cet orgueil blessé à mort.

M. Vavin remonte a la tribune et parle en ces termes Messieurs, au nom de mes collègues les députés du département de la Seine et au mien, je viens adresser quelques interpellations au ministère. Depuis plus de vingt-quatre heures, des troubles graves désolent la capitale ; hier, la population entière a vu, avec un douloureux étonnement, l’absence de la garde nationale, et cet étonnement était d’autant plus grand, d’autant plus pénible, qu’on savait que l’ordre de la convoquer avait été donné lundi, dans la soirée. Il serait donc vrai que, dans la nuit du lundi au mardi, cet ordre aurait été révoqué. Ce n’est qu’hier, à cinq heures, que le rappel a été battu dans quelques quartiers pour réunir quelques gardes nationaux. Dans la journée, la population de Paris a été livrée au péril qui l’entourait, sans la protection de la garde civique. Des collisions funestes ont eu lieu, et elles auraient été prévenues peut-être si, dès le commencement des troubles, on avait vu, dans nos rues, sur nos places, cette garde nationale, dont la devise est : Ordre public et liberté. Sur un fait aussi grave, je prie MM. les ministres de nous donner quelques explications.

M. Guizot se lève et se dirige lentement vers la tribune. Sa respiration est comme étouffée par un poids intérieur ; mais un effort de volonté enfle sa voix. Il se compose un maintien superbe et prononce, au milieu d’un silence imposant, ces quelques paroles — Messieurs, je crois qu’il ne serait ni conforme à l’intérêt public, ni à propos pour la Chambre d’entrer en ce moment dans aucun débat sur ces interpellations. — Une explosion de murmures l’interrompt. L’opposition croit qu’il a recours, une fois de plus, à ces refus hautains de s’expliquer, si longtemps soufferts par la Chambre, mais qui ne conviennent plus à sa fortune chancelante. M. Guizot attend que la rumeur se calme et répète mot pour mot ce qu’il vient de dire, puis il ajoute : — Le roi vient de faire appeler en ce moment M. le comte Molé pour le charger… D’impertinents applaudissements, partis des deux extrémités de l’hémicycle et des tribunes, couvrent sa voix. — La Chambre doit garder sa dignité, s’écrie M. Barrot. — L’interruption qui vient de s’élever, reprend M. Guizot, ne me fera rien ajouter ni rien retrancher à mes paroles. Le roi vient d’appeler en ce moment M. le comte Molé pour le charger de former un nouveau cabinet. Tant que le cabinet actuel sera chargé des affaires, il maintiendra ou rétablira l’ordre et fera respecter les lois selon sa conscience, comme il l’a fait jusqu’à présent.

À ces mots, les députés du centre s’indignent et murmurent ; les bancs se dégarnissent ; des groupes animés se forment. On entend, au milieu du bruit, des voix qui s’écrient : — C’est indigne ! c’est une lâcheté ! on nous trahit ! allons chez le roi[6]. — Les conservateurs se croient abandonnés par le ministère, ils éclatent en reproches. M. Guizot, ne parvenant pas à se faire écouter dans ce tumulte, essaye de faire comprendre par des gestes que ce n’est pas lui qui se retire, mais que c’est le roi qui le destitue. Le président s’efforce de rétablir le silence. Avant de lever la séance, dit-il, j’ai un mot à dire sur l’ordre du jour. — Il s’agit bien de l’ordre du jour ! s’écrie M. Plougoulm. M. de Salvandy demande que l’ordre du jour soit maintenu. À ce moment, M. Crémieux vient déposer sur le bureau la pétition de la garde nationale et d’un grand nombre de citoyens du quatrième arrondissement. — Les uns, dit-il, protestent contre la conduite des ministres ; les autres demandent leur mise en accusation… La voix de M. Crémieux se perd dans la rumeur générale. Le silence ne se rétablit que lorsqu’on voit M. Dupin à la tribune. On sait les relations intimes de M Dupin avec le roi ; on connaît son esprit lucide. On attend de lui une proposition conforme à la dignité parlementaire et à la gravité des circonstances. — Messieurs, dit l’orateur, le premier besoin de la cité est le rétablissement de l’ordre, la cessation des troubles. L’anarchie est le pire des états, c’est la destruction de la société ; elle menace l’ordre social tout entier. La seule question vraiment à l’ordre du jour est donc le rétablissement de la paix publique, pour assurer la libre et régulière action de tous les grands pouvoirs de l’État. — Puis M. Dupin, rappelant la révolution de Juillet, l’ordre et la liberté fondés et maintenus par l’accord de la Chambre des députés avec le vœu public et avec la garde nationale, conclut en ces termes : — Il faut que les masses comprennent qu’elles n’ont pas le droit de délibérer, de décider. Il faut que les gens qui ont eu recours aux armes comprennent qu’ils n’ont pas le droit de commander, qu’ils n’ont qu’à attendre l’exécution de la loi, écouter la voix des magistrats, attendre les délibérations des grands corps de l’État et les mesures qui seront jugées nécessaires par la couronne et par les Chambres. Dans cette situation, devons-nous introduire ici des délibérations irritantes, des délibérations d’accusation ? Je crois qu’il faut, au contraire, adhérer a la demande d’ajournement, que j’appuie de toutes mes forces.

Ce discours ramène M. Guizot à la tribune. Avec un apparent sang-froid, il réfute les motifs allégués par M. Dupin pour l’ajournement, et prononce d’une voix ferme ces paroles, les dernières de sa carrière ministérielle : — Le cabinet ne voit, pour son compte, aucune raison à ce qu’aucun des travaux de la Chambre soit interrompu, à ce qu’aucune des questions qui avaient été élevées dans la Chambre ne reçoive sa solution. La couronne exerce sa prérogative. La prérogative de la couronne doit être pleinement respectée. Mais tant que le cabinet reste aux affaires, tant qu’il est assis sur ces bancs, rien ne peut être interrompu dans les travaux et dans les délibérations des grands pouvoirs publics. Le cabinet est prêt à répondre à toutes les questions, à entrer dans tous les débats ; c’est à la Chambre à décider ce qui lui convient. — Le président consulte la Chambre, qui maintient pour le lendemain son ordre du jour[7], Les députés, avides de nouvelles du dehors, se dispersent en toute hâte.

Ce n’était pas sans peine qu’on avait obtenu du roi cette première concession à l’opinion publique : le renvoi de son ministère. Non, assurément, qu’il fût dans la nature de Louis-Philippe de répondre par la fidélité de la reconnaissance à la fidélité des services, ni de faire entrer dans la balance de ses calculs les regrets personnels, le scrupule de délaisser, dans une crise difficile, un serviteur éprouvé, la crainte délicate d’offenser dans la personne d’un ministre, pénétré de ses royales inspirations, son propre honneur. De telles considérations étaient étrangères à un esprit de cette trempe. Mais la situation ne lui paraissait point assez grave pour motiver un tel désaveu du cabinet conservateur, et les instances importunes qu’on lui faisait, à cet égard dans son intimité, il les tenait pour déraisonnables ou suspectes.

Pendant toute la matinée du mercredi, on l’avait vu en belle humeur, s’égayer aux dépens de l’émeute. — Vous appelez barricade un cabriolet de place renversé par deux polissons, disait-il à ceux qui se hasardaient à prononcer devant lui ce mot malsonnant. Et, le ton ainsi donné aux courtisans, on ne tarissait pas, aux Tuileries, en plaisanteries sur la hauteur et la largeur des barricades. Mais, vers une heure et demie, une nouvelle foudroyante changea subitement l’état moral du roi. Il apprit, par le général Friant, que la garde nationale, réunie sur la place des Petits-Pères, avait croisé la baïonnette pour défendre le peuple contre la troupe, et qu’une députation de la quatrième légion se dirigeait vers la Chambre pour demander justice du ministère. À dater de cette heure[8], Louis-Philippe parut soucieux. La défection de la garde nationale portait un coup inattendu à sa sécurité. Sa foi en lui-même recevait un premier, mais violent échec. Sa raison et son jugement en furent comme étourdis. Les rapports qui arrivaient de tous côtés lui firent entrevoir que l’émeute prenait, en quelque sorte, un caractère légal ; il douta alors de l’issue de la crise. Ce prince, quoique personnellement très-brave, était ennemi des luttes à main armée. Aussi peu croyant à la force matérielle des baïonnettes qu’à la force idéale du droit, il mettait toute sa confiance dans la légalité ; il était, si l’on peut s’exprimer ainsi, d’un tempérament parlementaire, et n’imaginait pas qu’aussi longtemps qu’il demeurerait dans les limites tracées par la constitution, et qu’il marcherait d’accord avec le pays légal, son pouvoir pût être ébranlé par une insurrection des rues. Le peuple proprement dit ne lui inspirait pas plus d’appréhension que d’amour ; son immixtion séditieuse dans les affaires politiques valait à peine qu’on s’en occupât. Mais l’intervention hostile du pays légal par la garde nationale, qui en était l’expression armée, c’était là, à ses yeux, une révolution tout entière, la destruction de tous ses plans, le renversement complet de ce savant équilibre auquel il travaillait si laborieusement depuis son avènement au trône. Louis-Philippe s’assombrit à cette pensée. Sa volonté s’affaissa. Il n’opposa plus qu’une résistance molle aux influences contradictoires et aux inspirations confuses qui se disputèrent les derniers actes de son règne.

M. Duchâtel était dans le cabinet du roi quand y arrivèrent les premières nouvelles de la défection des légions. Comme il essayait d’atténuer la gravité de ces rapports, probablement exagérés, disait-il, la reine entra. Émue, agitée, elle s’exprima avec une vivacité qui ne lui était pas habituelle sur l’impopularité de M. Guizot. Devinant sa pensée et supposant qu’elle était l’écho de la pensée intime du roi, M. Duchâtel s’empressa d’assurer que, si le président du conseil pouvait croire un seul instant sa présence aux affaires nuisible, il n’hésiterait certainement pas plus que lui à déposer aux pieds du roi sa démission ; heureux ajouta-t-il, de donner ainsi une preuve de son dévouement à la dynastie[9]. Louis-Philippe n’accepta ni ne refusa positivement cette démission, selon la coutume de son esprit cauteleux mais il fit demander M. Guizot, et, après une courte entrevue, il fut entendu que M. Molé, qui siégeait en ce moment à la Chambre des pairs, allait être appelé aux Tuileries. C’est alors que le ministre déchu se rendit à la Chambre des députés et répondit, comme on l’a vu, aux interpellations de M. Vavin.

On dit que la dissimulation du roi et son penchant pour les voies obliques donnèrent à son entretien confidentiel avec M. Molé un caractère ambigu, bien peu fait pour inspirer à celui-ci la hardiesse d’initiative nécessaire en de pareilles extrémités. Dans une sorte d’épanchement très-composé, Louis-Philippe, assure-t-on, se représenta comme abandonné par MM. Guizot et Duchâtel[10] ; il se plaignit amèrement de leur ingratitude et termina en demandant à M. Molé de former au plus vite un cabinet conciliateur. Celui-ci écouta longtemps en silence. Il ne se dissimulait pas, et il ne dissimula point à Louis-Philippe les difficultés qu’il allait rencontrer. Il ne pensait pas que le mouvement dût s’arrêter à lui. M. Thiers était peut-être déjà l’homme indispensable ; en tous cas, il faudrait se résoudre à bien des concessions. Le roi feignait de ne pas comprendre. M. Molé, plutôt par condescendance pour son royal interlocuteur que par persuasion personnelle de l’opportunité d’une telle démarche, promit de chercher à s’entendre avec MM. de Rémusat, Billaut, Passy, Dufaure ; mais il posa comme condition de son entrée au conseil la nomination du maréchal Bugeaud au ministère de la guerre. À ce nom, le roi fit une exclamation qui trahit sa répugnance pour un tel choix. Il objecta le caractère intraitable du maréchal, ses façons soldatesques, ses habitudes despotiques : Si le duc d’Isly avait le portefeuille de la guerre, dit-il, ni mes fils ni moi nous ne pourrions nommer dans l’armée le moindre sous-lieutenant. On se quitta sur ce différend sans avoir rien conclu, et, comme s’il était temps de délibérer et de négocier, Louis-Philippe donna à M. Molé un second rendez-vous pour sept heures du soir.

Durant ce long intervalle, la lutte entre la garde municipale et le peuple continuait, et presque partout la troupe, abandonnée à elle-même, pressée, étouffée par la masse populaire, avait le dessous. À l’angle de la rue Saint-Denis, deux détachements d’une vingtaine d’hommes environ, ayant imprudemment engagé le combat pour arracher aux insurgés un brancard sur lequel ils portaient, en poussant des cris de vengeance, le cadavre de l’un des leurs, enlevé au poste de la rue Mauconseil, les soldats se virent enveloppés de toutes parts et ne durent leur salut qu’à l’arrivée de la garde nationale. À la caserne Saint-Martin, l’attaque des insurgés fut d’un acharnement extraordinaire. Ils assaillaient les portes à coups de haches et recevaient le feu des meurtrières à bout portant. Les gardes municipaux n’échappèrent au massacre que par l’intervention de la garde nationale. Un peu plus loin, le poste des Arts-et-Métiers était envahi et démoli. Mais l’animosité du peuple ne se montra nulle part plus violente que dans les combats de la rue Bourg-l’Abbé. Depuis la veille, un détachement de gardes municipaux défendait l’accès du magasin d’armes des frères Lepage. Repoussés, chassés de la rue, les insurgés revenaient à la charge, toujours plus nombreux et plus exaspérés. Les soldats, incapables de résister plus longtemps, quittèrent la rue et se réfugièrent dans la maison Lepage, où ils commencèrent à parlementer. Le peuple ne demanda d’abord aux soldats que la liberté des prisonniers qu’ils avaient faits. Ce premier point obtenu, il exigea qu’on lui livrât la poudre du magasin. Après la poudre, il voulut les armes. Révoltés par cette dernière exigence, les gardes municipaux se décident à reprendre l’offensive ; ils ouvrent brusquement la porte et se précipitent dans la rue, la baïonnette en avant. M. Cotelle, maire du sixième arrondissement, et M. Husson, colonel de la légion, suivis d’une cinquantaine de gardes nationaux, arrivaient au moment même. Ils se jettent entre le peuple et les soldats ; ils décident ces derniers à rentrer dans la maison Lepage, et se rangent eux-mêmes devant la porte pour arrêter la foule, qui pousse des cris de mort. Plutôt que rendre leurs armes, les soldats veulent sortir de nouveau et tenter un dernier combat. Les gardes nationaux sont exposés aux plus grands périls entre les deux partis, animés d’une égale fureur. Enfin on prend une résolution, conseillée par M. Arago : c’est de faire sortir chaque garde municipal entre deux gardes nationaux. Le brigadier Verdier descend le premier dans la rue, donnant le bras à M. Étienne Arago. À peine a-t-il fait quelques pas, qu’un enfant le tue d’un coup de pistolet. Cette mort rappelle le peuple à des sentiments plus humains. M. Arago veut qu’on en profite ; il descend une seconde fois dans la rue, tenant par la main le lieutenant Bouvier, que suit le reste de la troupe entre une double haie de gardes nationaux. Le peuple, en frémissant, laisse passer ses ennemis, qui, bientôt rejoints par des troupes de ligne, purent arriver enfin à la préfecture de police.

Aussitôt après le départ des gardes municipaux, les magasins des frères Lepage furent envahis, et le peuple, n’y ayant pas trouvé d’armes, saccagea la maison. L’officier qui commandait le détachement, le lieutenant Dupouy, son nom mérite d’être conservé, avait refusé de sortir avec ses soldats ; il s’était retranché à l’étage supérieur, espérant encore de quelque hasard un secours qui le sauverait, sinon de la mort, du moins de l’outrage. Il y resta longtemps, sans qu’il fût possible de le déterminer à quitter son uniforme pour essayer de fuir. Enfin, un officier de la garde nationale parvint à l’entraîner et à le soustraire à la multitude, heureusement tout occupée à chercher des armes. À huit heures, le brave lieutenant arrivait à la préfecture de police, le front humilié, le désespoir dans le cœur. M. Delessert, touché de son accablement, le fit asseoir à ses côtés et le combla de prévenances. On commençait à être très inquiet à la préfecture de police[11]. Plusieurs fois, dans la journée, M. Delessert, recevant des rapports alarmants sur la situation critique des gardes municipaux isolés dans le centre de l’émeute, avait fait demander des renforts au général Sébastiani pour les dégager. Celui-ci avait invariablement répondu qu’il ne pouvait pas disposer d’un seul bataillon. Cependant, soit pour ne pas décourager les officiers réunis à sa table, soit qu’il essayât encore de se faire illusion, M. Delessert disait, à huit heures du soir, à ceux qui l’interrogeaient sur le tour que prenaient les événements : C’est une émeute qu’il faut laisser mourir d’elle-même.

À la même heure, on se réunissait pour dîner à l’hôtel du ministère de l’intérieur. Madame Duchâtel faisait avec grâce les honneurs du repas à MM. Guizot, de Broglie, Janvier, et à un certain nombre d’amis restés fidèles au cabinet conservateur. Blessé au vif de la conduite du roi, se croyant joué par ses rivaux, insulté par son propre parti, M. Guizot affectait l’indifférence. Il était convenu avec M. Duchâtel de ne plus donner aucun ordre et de laisser se tirer d’affaire, comme il le pourrait, le cabinet encore inconnu qu’on osait lui préférer. Rien ne lui paraissait plus pitoyable que cette chimère de conciliation et ce ministère d’expédient auquel on le sacrifiait. Il n’attendait des événements qu’une prompte, une infaillible vengeance.

Les convives commentaient d’une verve moqueuse ce qui était à leurs yeux l’unique événement du jour : le changement de ministère. On aiguisait les épigrammes, on souriait à la pensée des embarras où M. Molé se jetait tête baissée. Vous verrez que ce cabinet sera plus conservateur que nous, disait M. Duchâtel ; et il complimentait ironiquement M. Janvier, qui, assurait-il, ne pouvait manquer d’en faire partie. Mais, tout d’un coup, vers le milieu du repas, le ministre reçoit des nouvelles alarmantes. Il apprend qu’un poste considérable de gardes municipaux a rendu les armes ; que le peuple, victorieux sur plusieurs points, s’exalte de plus en plus et menace de se porter sur le ministère de l’intérieur et sur l’hôtel des affaires étrangères. On se consulte, on décide de donner quelques ordres ; madame Duchâtel passe dans une chambre voisine et quitte à la hâte les bijoux et les fleurs dont elle est parée pour revêtir des habits plus convenables en cas de fuite. Les convives disparaissent. On se prépare à quitter l’hôtel en secret.

Cependant la nouvelle du changement de ministère, portée simultanément sur tous les points de la capitale par des officiers d’ordonnance, des gardes nationaux et des députés, dont les discours et les visages radieux promettaient bien au delà de la réalité, produisait presque partout l’effet attendu. On se groupait autour de ces messagers de paix. Moitié curiosité, moitié entraînement, le peuple, qui, d’ailleurs, avait été plutôt calmé qu’excité par l’attitude de la troupe de ligne et par l’intervention si franche en sa faveur d’une partie de la garde nationale, trompé par l’expression de contentement qu’il voyait éclater sur toutes les physionomies, quittait ses barricades. Tout en demandant, sans qu’on sût trop lui répondre, quelles étaient les concessions obtenues, il s’associait au triomphe du pays légal. La troupe rentrait dans les casernes ; la circulation se rétablissait. En peu d’heures l’aspect de Paris avait changé comme par magie. La nuit venue, une illumination spontanée, une immense foule de promeneurs paisibles et satisfaits, répandus sur les boulevards et sur les places publiques, donnaient, à la ville un air de fête qui trompa presque tout le monde.

La garde nationale et l’opposition parlementaire, qui n’avaient voulu que la réforme, bien que la concession fût avarement mesurée et que le nom de M. Molé ne donnât pas à cet égard des garanties bien solides, heureuses d’échapper à une lutte dont elles venaient de voir de près le danger, s’accordaient à ne plus rien prétendre et à se féliciter bruyamment de leur commun triomphe. Mais l’instinct du peuple, plus sûr et plus courageux, après s’être un moment laissé surprendre à la joie générale, le poussait à passer outre. Les chefs d’atelier, les membres influents des sociétés secrètes, quelques journalistes radicaux, encourageaient cette disposition. Ils exhortaient les citoyens à se métier des nouvelles perfidies cachées sous cette feinte condescendance de Louis-Philippe. Qu’était-ce donc, en effet, que M. Molé, pour que le peuple se réjouît de son avènement au pouvoir ? Un courtisan, un homme d’ancienne noblesse. Comment, quand le peuple restait maître du champ de bataille, quand la garde nationale se prononçait pour lui, et quand la troupe de ligne refusait de le combattre, il se contenterait de si peu ! Quand les cadavres des siens gisaient encore sur le pavé des rues, quand des femmes et des enfants criaient vengeance pour leurs maris et leurs pères massacrés par les ordres d’un roi exécrable, il souffrirait que, une fois de plus, au château, on raillât sa crédulité, sa faiblesse ! On mêlait à ces propos excitants des bruits de trahison ; on parlait de pièges tendus. On insinuait que la retraite de M. Guizot n’était point officielle, qu’elle cachait d’ailleurs un guet-apens. Aussitôt que le peuple aurait quitté ses armes, le pouvoir jetterait le masque et se vengerait, par des exécutions sanglantes, de son humiliation momentanée[12].

L’esprit républicain, à peine représenté dans la Chambre, réprimé sur toute la surface du pays légal, s’était concentré, ardent et taciturne, dans la population ouvrière de Paris. Malgré les nombreuses défaites du parti, malgré tant d’espérances trompées et de tentatives avortées, un républicanisme fanatique n’avait pas cessé d’y couver dans des cœurs indomptables. Les républicains, qui n’espéraient plus, depuis la dernière tentative à main armée de 1839, s’emparer du pouvoir de vive force, avaient vu avec une joie extrême le mouvement réformiste de la bourgeoisie se flattant bien de l’entraîner, à l’heure propice, au delà de son but. Mais, éclairés par l’expérience, ils s’étaient gardés de se trahir par des démonstrations prématurées, et, se contenant, se masquant derrière l’opposition légale, ils s’étaient bornés à l’exciter sourdement en empruntant son langage. Quand le pays légal, maître du champ de bataille, s’arrêta dans la conscience de sa victoire, ils n’en continuèrent pas moins le combat, résolus de tenter un coup de fortune et de risquer, au péril de leur vie, une lutte désespérée.

Ici se place un de ces événements tragiques dont chaque parti repousse la responsabilité, et dans lesquels la volonté humaine et la fatalité s’exercent d’une manière complexe mystérieuse, qui demeure voilée, même aux yeux des contemporains. La tâche de celui qui les raconte est difficile et pénible. Un acte inhumain qui pèse sur la conscience publique est commis. On s’entraccuse. Celui ou ceux qui ont eu la sauvage énergie du forfait n’ont pas, grâce au ciel, le courage cynique d’en revendiquer l’honneur et l’historien, que son devoir contraint à approcher le flambeau révélateur de l’ombre où se cache la trahison, souhaite, malgré lui, qu’il échappe à sa main mal assurée et qu’il s’éteigne dans de miséricordieuses ténèbres.

L’aspect des boulevards était féerique. Une longue guirlande de lumière diversement colorée, suspendue à tous les étages, unissait les maisons, joyeux emblème de l’union des cœurs. Hommes, femmes, enfants, circulaient librement, sans défiance, dans cette resplendissante avenue, théâtre habituel des plaisirs et des fêtes de la population parisienne. L’allégresse était dans l’air, la satisfaction sur tous les visages. De temps à autre, on voyait passer sur la chaussée des bandes qui portaient des drapeaux, des transparents allégoriques, et chantaient en chœur la Marseillaise. On s’arrêtait sous les fenêtres restées obscures, et les enfants, grossissant la voix sur un rythme facétieux, demandaient des lampions, qui ne se faisaient point attendre. Quelques parodies improvisées, quelques scènes burlesques, égayaient les promeneurs[13].

Vers neuf heures et demie, une bande beaucoup plus considérable, et surtout plus régulière dans son évolution ; que toutes celles qu’on avait vues passer jusque-là, une longue colonne, agitant des torches et un drapeau rouge[14], parut sur les boulevards à la hauteur de la rue Montmartre. Elle venait des profondeurs du faubourg Saint-Antoine et se dirigeait, comme les précédentes, vers la Madeleine, en chantant des chœurs patriotiques. Un homme du peuple, nommé Henri, entonnait et soutenait ces chœurs d’une voix mâle et pénétrante. Attirés par la beauté des chants, un grand nombre de curieux se joignaient à une démonstration qui semblait inoffensive. Quelques enfants portant des lanternes tricolores, quelques ouvriers brandissant en l’air des sabres et des fusils, n’inspiraient aucun soupçon. Un escadron de cuirassiers, que la colonne avait rencontré à la porte Saint-Denis, l’avait saluée du cri de Vive la réforme ! Dans l’effusion de cette fête commune, bourgeois et prolétaires se donnaient le bras, habits et blouses se rapprochaient familièrement. Le sentiment d’une fraternité joyeuse débordait de tous les cœurs.

On arriva ainsi à la hauteur de la rue Lepelletier, la plupart ignorant où l’on allait et dans quel but on était rassemblé, mais s’étant joints à la bande pour le simple plaisir de marcher en troupe et de chanter, sans malice, des chants réputés séditieux. Là, un des chefs de la colonne, qui s’avançait isolément, l’épée nue à la main, lui fait faire une conversion à droite et l’arrête devant la maison où se trouvent les bureaux du National. M. Armand Marrast se montre à une fenêtre, et, salué d’une acclamation générale, il harangue le peuple. Citoyens, dit M. Marrast au milieu d’un profond silence, nous venons d’avoir une belle journée, ne la gâtons pas. Le peuple a droit de demander des garanties et une réparation. Il faut donc qu’il exige la dissolution de l’Assemblée, la mise en accusation des ministres, le licenciement de la garde municipale, les deux réformes parlementaire et électorale et le droit de réunion. Enfin n’oublions pas que cette victoire n’est pas seulement une victoire pour la France, c’en est une aussi pour la Suisse et pour l’Italie. Ainsi parlait, le mercredi, 23 février, à dix heures du soir, le rédacteur en chef du National, et il exprimait bien certainement le vœu de la grande masse des citoyens. Il ne pouvait guère prévoir, en ce moment, que cette phalange à peine armée, dont il recevait les adhésions enthousiastes, allait, à dix minutes de là, provocatrice et victime d’un assassinat effroyable, changer la face des choses, entraîner la révolution et frayer une voie sanglante à cette république dont il regardait depuis tant d’années déjà l’avènement comme impossible, ou, du moins, comme réserve aux générations à venir.

Après avoir répondu par des applaudissements à l’allocution de M. Marrast, la colonne se forma de nouveau dans le plus grand ordre et reprit la direction de la Madeleine. À la rue de la Paix, elle se grossit d’une bande qui venait de faire illuminer de force l’hôtel du ministère de la justice, et, devenue très-imposante par ce renfort, elle parvint, plus silencieuse à mesure qu’elle avançait, à quelques pas du poste qui gardait le ministère des affaires étrangères. Ce poste était composé de deux cents hommes du quatorzième régiment de ligne, commandés par le chef de bataillon de Bretonne. Le lieutenant-colonel Courant était avec eux. En voyant s’approcher, à travers une fumée épaisse, à la lueur vacillante des torches, cette masse[15] ondoyante et sombre, au-dessus de laquelle brille l’acier des sabres et des fusils, le commandant donne l’ordre à sa troupe de se former en carré[16]. Les colloques familiers établis entre les soldats et les promeneurs depuis le commencement de la soirée sont brusquement interrompus. La foule regarde, étonnée, cette manœuvre, mais ne conçoit pas la moindre appréhension.

Arrêtée soudain dans sa marche, la colonne populaire se pousse, se masse. Des pourparlers s’engagent entre les chefs de la bande, le lieutenant-colonel et le commandant. Le peuple se met à crier Vive la ligne ! et veut fraterniser avec les soldats. M. de Brotonne, ayant sans doute présents à l’esprit les désarmements de la troupe opérés de cette manière pendant la journée, et se défiant des intentions de cette multitude, s’oppose à son passage ; il exige qu’elle descende dans la rue Basse-du-Rempart. On s’y refuse. Pendant cette espèce d’altercation, les soldats sont serrés de si près par les hommes du peuple, que le désordre se fait dans la première ligne. Le commandant, craignant de la voir brisée, s’écrie en toute hâte : Croisez la baïonnette ! Pendant le mouvement occasionné par l’exécution de cet ordre, un coup de feu part. Instantanément, sans sommation préalable, sans roulement de tambour, sans que personne puisse se rappeler avoir entendu le commandement, une décharge à bout portant un feu de file meurtrier frappe la masse populaire. Un cri aigu perce la nuit, et, quand le nuage de fumée qui enveloppe ce cri déchirant se dissipe, il découvre un horrible spectacle. Une centaine d’hommes gisent sur le pavé ; les uns sont tués roides, d’autres atteints mortellement. Un grand nombre a été renversé par la commotion ; plusieurs se sont jetés le visage contre terre par un mouvement instinctif de salut. Le sang coule à flots. Le gémissement des blessés, le murmure étouffé de ceux qui s’efforcent de se dégager de cette mêlée de morts et de mourants, navrent le cœur du soldat, auteur innocent de ce massacre, qu’il regarde d’un œil consterné. Bientôt les plus courageux d’entre les hommes du peuple, revenus de la première stupeur, pensent à secourir les blessés. Aidés par les soldats et par des gardes nationaux que le bruit de la décharge a fait accourir, ils relèvent et portent dans leurs bras, jusqu’aux maisons voisines et dans les pharmacies restées ouvertes, les victimes qui respirent encore. Il n’y en a pas moins de trente-deux[17]. Vingt-trois, dont un soldat, ont déjà rendu le dernier soupir.

Le lieutenant-colonel, au désespoir, sentant peser sur sa tête une lourde responsabilité et prévoyant les suites d’un pareil événement, se hâte d’envoyer l’un de ses officiers, M. Baillet, au café Tortoni, afin d’y expliquer, en la présentant comme un malentendu, cette décharge qui suscite de toutes parts la vengeance du peuple ; mais les explications sont malvenues quand le sang fume encore. M. Baillet est arrêté par la foule devant le café de Paris. Il est menacé, frappé ; il va succomber, quand les gardes nationaux de la deuxième légion accourent et le délivrent.

Cependant les fuyards, dispersés en tous sens, hommes, femmes, enfants, pâles, effarés, hagards, plus semblables à des spectres qu’à des humains, d’une voix entrecoupée et faisant des gestes de détresse, appellent au secours ; plusieurs frappent vainement aux portes des maisons pour y chercher un refuge, se croyant poursuivis par des égorgeurs. On se rappelle le massacre de la rue Transnonain ; on entre en effroi, la stupeur paralyse même la pitié.

Instruit de ce qui vient d’arriver par des gardes nationaux qui croient, comme les hommes du peuple, à une trahison infâme[18], le maire du deuxième arrondissement fait battre le rappel ; le tocsin sonne. Bientôt on entend le bruit sec des pioches sur les pavés et la chute pesante des arbres du boulevard ; c’est le peuple qui refait ses barricades. Sa colère, un moment apaisée, se ranime avec plus de fureur.

Minuit va sonner. Les boulevards sont faiblement éclairés encore par l’illumination pâlissante. Les portes, les fenêtres des maisons et des boutiques sont closes ; chacun s’est retiré chez soi, le cœur oppressé de tristesse. Le silence des rues semble recéler des embûches. Les bons citoyens ne savent ce qu’ils doivent craindre ou souhaiter, mais ils sentent qu’un grand désastre est proche. Dans cette nuit pleine d’appréhensions et d’angoisses, on demeure l’oreille au guet, épiant, tous les bruits. On s’épuise en conjectures ; le foyer reste allumé, la famille veille.

Tout à coup un roulement sourd se fait entendre sur le pavé, quelques fenêtres s’entr’ouvrent avec précaution. Qu’ont-ils vu, ceux qui se retirent si précipitamment ? Quel spectacle les repousse, les attire de nouveau, les jette en effroi ? Quelles sont ces clameurs, ces voix inarticulées ? Que signifie ce cortège funèbre, qui semble conduit par les Euménides populaires ?

Dans un chariot attelé d’un cheval blanc, que mène par la bride un ouvrier aux bras nus, cinq cadavres sont rangés avec une horrible symétrie. Debout sur le brancard, un enfant du peuple, au teint blême l’œil ardent et fixe, le bras tendu, presque immobile, comme on pourrait représenter le génie de la vengeance, éclaire des reflets rougeâtres de sa torche, penchée en arrière, le corps d’une jeune femme dont le cou et la poitrine livides sont, maculés d’une longue traînée de sang. De temps en temps, un autre ouvrier, placé à l’arrière du chariot, enlace de son bras musculeux ce corps inanimé, le soulève en secouant sa torche, d’où s’échappent des flammèches et des étincelles, et s’écrie, en promenant sur la foule des regards farouches : Vengeance ! vengeance ! on égorge le peuple !Aux armes ! répond la foule ; et le cadavre retombe au fond du chariot, qui continue sa route, et tout rentre pour un moment dans le silence. L’Enfer de Dante a seul de ces scènes d’une épouvante muette. Le peuple est un poète éternel, à qui la nature et la passion inspirent spontanément des beautés pathétiques dont l’art ne reproduit qu’à grand’peine les effets grandioses.

Parti du lieu même où les victimes sont tombées[19], le char funèbre s’avance lentement vers la maison de la rue Lepelletier où, deux heures auparavant, la bande populaire s’est arrêtée pour entendre des paroles de paix et saluer de ses vivat l’un des chefs de la presse démocratique. Cette fois elle s’y arrête encore, et c’est M. Garnier-Pagès qui se charge de la haranguer.

Le malheur qui nous frappe, dit-il en maîtrisant son émotion, ne peut être attribué qu’à un malentendu. De grâce, rentrez chez vous. Ne troublez pas l’ordre. Sans aucun doute, il y a un coupable ; justice sera faite. Nous obtiendrons que le gouvernement prenne soin des familles des victimes ; mais renoncez à cette démonstration, qui peut amener des malheurs plus grands. Le peuple reste sourd à ces prières. Il demande à grands cris qu’on le soutienne, qu’on propage l’insurrection. Il veut des chefs armes pour le combat et non des harangueurs de l’ordre. Il s’éloigne irrite, recrute encore sur son passage des hommes résolus, qui font serment-de mourir pour sa cause, et va chercher des appuis plus sincères à la Réforme, cet ardent foyer de la passion républicaine. Là ; il trouve réunis des gens décidés à jouer leur vie, qui lui jurent que la journée du lendemain ne se passera point sans que les égorgeurs soient châtiés. Après une courte halte, le cortège reprend sa route et s’enfonce dans les faubourgs. Arrivé sur la place de la Bastille, on dépose les cadavres au pied de la colonne de Juillet ; les torches consumées s’éteignent, on se disperse. Les uns courent dans les églises et sonnent le tocsin ; d’autres frappent aux portes des maisons et demandent des armes. On aiguise le fer ; on coule du plomb ; on fabrique des cartouches. Les barricades se relèvent de toutes parts. Le fantôme de la République se dresse dans ces ombres sinistres ; la royauté chancelle. Les morts ont tué les vivants. Le cadavre d’une femme a plus de puissance, à cette heure, que la plus valeureuse armée du monde.

 

 

 



[1] Cette liste de 150 noms environ a été trouvée, le 24 février, sur table du préfet de police, par un insurgé qui y figurait.

[2] L’action ne s’engageait sérieusement nulle part, mais on combattait partout. Dès sept heures du matin, les postes des rues Geoffroy-Langevin et Sainte-Croix de la Bretonnerie furent surpris et désarmés.

[3] Les journaux radicaux du matin, pressentant cette disposition de la troupe de ligne, avaient eu grand soin de ne la pas froisser. Ils réclamaient contre le retard apporté à la convocation de la garde nationale, accusaient la brutalité de la garde municipale, mais ils affectaient de ne point se plaindre des régiments de ligne.

[4] Que feriez-vous à ma place ? disait, le général Jacqueminot à un officier supérieur qui lui peignait vivement les périls de la situation ; et il reprenait sa partie de billard avec le général Sébastiani, sans même écouter la réponse. — Si la garde nationale est mauvaise, on agira sans elle. murmuraient les courtisans.

[5] La proposition qui motiva ce rappel à l’ordre commençait ainsi : Attendu que hier le sang a coulé sur divers points de la capitale ; attendu qu’aujourd’hui encore la population parisienne est menacée de mort et d’incendie, de mort par 60 bouches à feu approvisionnées. moitié à coups à mitraille, moitié à coups à boulets ; qu’elle est menacée de dévastation et d’incendie par 40 pétards, le tout transporté d’urgence et en hâte de Vincennes à l’École militaire

[6] M. Dumon, s’efforçant de calmer l’indignation des conservateurs, allait de l’un à l’autre, les exhortait à la modération en raison des circonstances. Aujourd’hui soyons tout à l’ordre, disait-il ; demain nous serons tout à la politique.

[7] La suite de la discussion sur la banque de Bordeaux.

[8] Presque au même moment, M. Dupin, ce rude et zélé serviteur de Louis-Philippe, venait jeter l’alarme dans son esprit. Il osait prononcer de mot de révolution. — Vous croyez qu’ils peuvent songer à me renverser ? lui dit le roi en l’interrogeant d’un regard scrutateur ; mais ils n’ont personne à mettre à ma place. — Non, sire, personne en effet, répondit M. Dupin, mais une chose peut-être : la république.

[9] Depuis ce moment, jusqu’au jeudi matin 24, le roi demeura sans ministère légalement formé. Les combinaisons, à partir de M. Molé jusqu’à M. Odilon Barrot, nommé président du conseil, se succédèrent sans jamais arriver à une formation officielle. Personne n’étant plus responsable, personne ne donnait d’ordre positif. On n’opposait que des conseils, des avis, des projets, à l’envahissement rapide des forces révolutionnaires.

[10] C’est la version que le roi a cherché à accréditer.

[11] Le propre frère de M. Delessert, se croyant menacé dans son hôtel de la rue Montmartre, avait fait demander quelques gardes municipaux à la préfecture de police. Mon frère ignore que je ne pourrais pas, à l’heure qu’il est, disposer d’un caporal et de quatre hommes, avait répondu le préfet.

[12] Pendant que les hommes de parole réveillaient ainsi les colères du peuple, les hommes d’action organisaient la résistance dans son véritable centre, dans tout l’espace compris entre la rue Vieille-du-Temple et le faubourg Saint-Denis. Là, un réseau serré de barricades restait gardé par des républicains déterminés, qui se concertaient pour l’attaque du lendemain.

[13] Sous les fenêtres de M. Hébert, qui n’avait point voulu célébrer par des illuminations sa propre défaite, un groupe moqueur conduit un âne coiffé du bonnet rouge, orné de rubans et de grelots ; un homme du peuple, portant une guitare en sautoir, donna au ministre une sérénade grotesque.

[14] Ce fut le premier drapeau rouge que l’on vit paraître, et encore fut-ce en contravention formelle avec les consignes données aux bureaux de la Réforme et dans les autres centres dirigeant le mouvement insurrectionnel. Il y avait défense positive d’arborer d’autre drapeau que le drapeau tricolore et de pousser d’autre cri que celui de Vive la Réforme !

[15] La colonne était formée :

1° De sept ou huit jeunes ouvriers alignés sur un rang et portant un drapeau rouge ;

2° D’un homme, portant l’uniforme d’officier de la garde nationale, qui marchait seul à quelques pas en arrière

3° D’un premier rang, ou l’on ne voyait que des uniformes de la garde nationale ;

4° D’une masse épaisse, composée d’artisans, de bourgeois, de femmes et d’enfants.

[16] Un des côtés barrait le boulevard à la hauteur de la rue Neuve-Saint-Augustin, les troupes faisant face a la Bastille. Le côté opposé, faisant face à la Madeleine, barrait le boulevard à l’angle de la rue Neuve-des-Capucines. Ces deux ailes étaient reliées par une longue ligne de soldats faisant face à la rue Basse-du-Rempart. L’espace intérieur, formé par ces trois lignes, demeurait libre ; le lieutenant-colonel Courant et les officiers s’y tenaient.

[17] Cinquante-deux, dit M. Élias Regnault. Trente-cinq morts, quarante-sept blessés, dit M. Garnier-Pagès. De nombreuses versions ont circulé sur cette catastrophe mystérieuse. Aucune n’a acquis un degré suffisant d’authenticité pour que l’historien se prononce. Selon l’explication de l’officier envoyé par le lieutenant-colonel au café Tortoni, le commandant aurait donné l’ordre de croiser la baïonnette pour repousser l’agression populaire. Dans la précipitation du mouvement, un fusil armé serait parti, et les soldats, prenant ce coup isolé pour le signal habituel du feu de file, auraient fait feu. Selon d’autres officiers, un coup de pistolet tiré par les insurgés aurait fracassé le genou du cheval du commandant, et la troupe, se voyant attaquée, aurait usé du droit de légitime défense. Le fait positif, c’est qu’un soldat, du nom de Henri, fut tué par un coup de feu parti on ne sait d’où, et que ce coup de feu fut immédiatement suivi de la décharge. Il est encore une autre version, pendant quelque temps très-accréditée, entre autres par M. de Lamartine, dans son récit fantastique. C’est celle qui accuse H. Charles Lagrange d’avoir traîtreusement provoqué la troupe en tirant à bout portant un coup de pistolet sur un soldat. Le silence qu’opposa M. Lagrange à cette accusation et cette circonstance que, deux jours après, il fut saisi, à l’Hôtel de Ville, d’un accès de fièvre chaude, parurent à beaucoup de personnes une présomption très-forte contre lui. Mais le caractère de M. Lagrange, aussi bien que le témoignage de personnes dignes de foi, repousse ces allégations. Tout porte, d’ailleurs, à croire qu’il y eut, dans la catastrophe du boulevard des Capucines, plus de hasard que de préméditation. Un certain nombre de républicains avaient bien, à la vérité, le dessein de recommencer la lutte et de saisir le premier prétexte de réengager le combat, mais, quant au lieu et au moment, ils n’avaient et ne pouvaient avoir aucune détermination précise.

[18] On répandait le bruit que plusieurs gardes nationaux étaient tombés victimes du guet-apens de l’hôtel des Capucines. Accourus à la mairie du deuxième arrondissement, les gardes nationaux exaspérés demandent des cartouches. On leur répond qu’il n’y en a pas, et cette nouvelle marque de défiance les confirme dans la pensée qu’ils sont, tout autant que le peuple, en butte au mauvais vouloir du gouvernement,

[19] On a dit que, dans la préméditation d’un massacre, les provocateurs de la colère du peuple avaient fait tenir, aux environs du ministère des affaires étrangères, des tombereaux sur lesquels on transporta les cadavres. Le fait est inexact. Je tiens de plusieurs témoins exempts de toute passion politique que, peu de minutes après la décharge, une de ces voitures qui servent au transport des bagages dans les messageries débouchait sur le boulevard par la rue Neuve-des-Augustins. On l’arrêta, les effets qu’elle contenait furent jetés à terre, et on la chargea d’autant de cadavres qu’elle en pouvait contenir. L’homme du peuple qui conduisait la marche se nommait Soccas. Un détachement de dragons, qui stationnait dans la rue Royale, ayant aperçu de loin le convoi, sans rien distinguer dans cette masse mouvante, fit une charge au galop pour la disperser. Respect aux morts ! s’écria Soccas, au moment où les têtes des chevaux touchaient la voiture funèbre. L’officier qui commandait fit faire halte, et, retournant sur leurs pas, les dragons reprirent leur poste, saisis de l’étrange spectacle qu’ils venaient, de voir. Un bataillon de la 2e légion, accouru sur le boulevard au bruit de la fusillade, voulut intervenir pour arrêter, s’il était possible, cet appel à la vengeance populaire. Vivement pressé de donner des ordres, le chef de bataillon hésita, se troubla et finit par décliner la responsabilité d’une initiative qu’il jugeait inutile ou dangereuse.