JOSÉPHINE

IMPÉRATRICE DES FRANÇAIS - REINE D'ITALIE

 

LE DIVORCE. - LA MALMAISON.

 

 

L'étoile de l'Empereur ne cesse de grandir. Son ambition est sans limite. Il veut affermir son trône et lui assurer une succession. Malheureusement Joséphine ne lui donne pas d'héritier.

Peu avant la bataille de Friedland, il avait appris la mort survenue à La Haye (5 mai 1807), du fils d'Hortense, Napoléon-Charles, qu'il aimait tendrement et dont il avait fait virtuellement son successeur au trône impérial, faute d'héritier direct. Cette mort prématurée avait posé sérieusement la question du divorce avec Joséphine qui déjà appréhendait cette éventualité.

Même avant l'avènement au trône, Talleyrand avait conçu le projet de faire divorcer le Premier Consul. Le bruit s'était répandu en Europe et à un moment il avait était question d'une grande-duchesse de Russie, puis de la princesse Wilhemine de Bade. Joséphine, alors renseignée avait questionné son mari qui s'était contenté de répondre : Ma pauvre Joséphine, je ne pourrai jamais te quitter. Et il avait fait cesser ces bruits.

Maintenant plus que jamais, la rumeur d'un divorce s'accréditait. L'inévitable allait s'accomplir. La nécessité de perpétuer la race s'imposait à Napoléon et Joséphine qui le comprend est prête au sacrifice. L'Empereur qui aime encore Joséphine voudrait lui épargner cette cruauté mais l'ambition va l'emporter sur le sentiment.

Talleyrand soutient qu'une épouse royale ne peut rester sur le trône que si elle a accompli la fonction essentielle qui lui est dévolue, c'est-à-dire d'assurer la continuité de la dynastie. Il rappelle à l'Empereur les exemples de l'histoire : Louis VII a répudié Éléonore d'Aquitaine ; Philippe II, Ingelburge de Danemark ; Louis XII, Jeanne de France ; Henri IV, Marguerite de Valois.

Le cas d'Henri IV avait tout particulièrement retenu l'attention de l'empereur. Avant de devenir Roi de France, Henri de Navarre avait épousé Marguerite de Valois, la fameuse Reine Margot, qui ne vécut que pour les plaisirs et l'amour et à qui cette phrase de Voltaire peut être attribuée : Aimer et penser, c'est la vie véritable des esprits. En même temps que, pour obtenir la rémission de ses péchés, elle faisait construire un monastère, on élevait sur ses ordres, à Issy, un temple à l'Amour, en l'honneur de son poète favori, Villars.

Nous avons d'elle un Livre d'amis, petit recueil de poésies, de pensées intimes, adorablement illustré, dont les dernières pages ont été attribuées à Francis Meynard, qui fut son secrétaire pendant trois années. Voici quelques vers charmants, sur le mariage :

Escoutes donq ma petite

A quoy faire on vous invite

A tant de frétillement

A tant de petit menu remuement.

Tout le plaisir qu'on a de mariage

Ce n'est tout que frétillage

A quy faict doux mourir

Quant la cause est sy belle.

L'union d'Henri de Navarre et de Marguerite de Valois n'avait pas été heureuse. Feignant d'ignorer leurs mutuelles infidélités, ils vivaient séparés, l'un en Gascogne, l'autre à Nérac, capitale du royaume de Navarre, dont la petite cour était célèbre dans toute l'Europe pour sa haute culture, son luxe et sa licence. La séparation durait depuis quinze ans lorsque Henri devint Roi de France en 1594. N'ayant pas d'héritier, il résolut de divorcer. Marguerite, déshéritée par sa mère, était criblée de dettes. Elle accepta la séparation mais en imposant des conditions financières : le règlement de toutes ses dettes et une pension digne d'elle. Le marché conclu, il fallut obtenir l'annulation du mariage par le Pape. Les négociations, lentes et difficiles, n'aboutirent qu'en 1599. Le divorce fut prononcé et un an plus tard, Henri IV épousait Marie de Médicis.

Napoléon se décide à l'irrévocable. Son choix se fixe tout d'abord sur la Grande Duchesse Catherine, une des sœurs de l'Empereur de Russie. Le 24 novembre, il écrit à Caulaincourt pour le charger de pressentir le Czar, mais Talleyrand fait échouer ce projet qui d'ailleurs ne sourit pas à la Czarine, ennemie jurée de Napoléon.

Durant les pourparlers, Joséphine qui sait le sort qui l'attend, continue à paraître à toutes les fêtes aux côtés de l'Empereur. Son cœur est déchiré, néanmoins, la couronne impériale sur la tête, des fleurs au corsage, un sourire forcé sur les lèvres, elle s'efforce à sourire, à être aimable pour tous, gravissant son calvaire bravement. Sur son visage, jamais de la lassitude ni d'amertume. Elle est une grande souveraine et en garde la dignité.

Enfin, le choix de l'Empereur tombe sur Marie-Louise-Léopoldine-Caroline-Lucie, Archiduchesse d'Autriche, et il envoie à Vienne son fidèle Berthier, en qualité d'ambassadeur extraordinaire, pour demander sa main. Par ce mariage, Louis XVI deviendra son oncle et Louis XIV son arrière-grand-oncle. Son orgueil sera satisfait. Redoutant les larmes et le désespoir de Joséphine, il charge Fouché, l'exécuteur de toutes les lâches besognes, de la pénible mission d'en informer l'Impératrice et de lui demander son consentement au divorce.

Joséphine détestait Fouché. Le ton d'une des lettres qu'elle adressait au ministre de la Police est expressif :

À MONSIEUR LE DUC D'OTRANTE

Ministre de la Police.

Monsieur le Duc, je veux que le jeune Dutertre soit placé d'une manière ou d'une autre, tandis que je suis encore Impératrice ; vous l'oublieriez bien vite quand je ne le serai plus.

Je vous salue.

JOSÉPHINE.

 

De l'archi-chancelier Cambacérès elle avait une tout autre opinion, sachant qu'il était un de ceux qui flattaient le moins Napoléon. Elle s'adressait à lui volontiers pour avoir des conseils, en l'absence de l'Empereur, témoin cette lettre :

À M. L'ARCHI-CHANCELIER,

C'est demain, Monsieur, qu'en l'absence de l'Empereur, je donne audience au Sénat, et aux différentes autorités. Dans une conjecture aussi délicate, j'ai besoin de deux choses : de vous dire quelles sont mes intentions et de vous demander quels sont vos avis. A qui pourrais-je mieux m'adresser qu'au personnage éminent qui a toute la confiance de l'Empereur, et que la France regarde avec raison comme son digne représentant.

Sur la communication que j'ai eue de divers discours qui me sont adressés, je vous envoie donc les réponses que je crois devoir leur faire.

Je rappelle au Sénat que, père de la patrie, et conservateur de ses institutions, c'est à lui seul qu'il appartient de maintenir la balance entre les pouvoirs, sans se permettre d'empiéter sur aucun ; au Corps législatif, que ses fonctions sont de juger et de voter les lois, particulièrement celle de l'impôt, sans s'immiscer dans la marche du gouvernement, que ses prétentions entraveraient ; au Conseil d'Etat, que c'est à lui qu'est réservé l'important devoir de préparer par la discussion, de bonnes lois organiques et une législation durable ; aux ministres, qu'ils ne forment ni une corporation ni le gouvernement ; mais qu'au titre d'agents supérieurs de celui-ci, de premiers commis de son chef, ils exécutent et font exécuter ses ordres, lesquels ne sont que la conséquence immédiate de déterminations législatives ; au clergé, qu'il est dans l'Etat, sans que l'Etat soit jamais, ni ne puisse jamais le transformer en lui ; que son domaine unique et exclusif sont les consciences, sur lesquelles il ne doit agir que pour former des citoyens à la patrie, des soldats au territoire, des sujets au souverain, des pères de famille responsables ; aux Corps de la magistrature, qu'en appliquant des lois sans interprétation, avec unité de vues et d'identité de jurisprudence, ils doivent saisir avec sagacité l'esprit de la loi, tant qu'il accorde le bonheur des gouvernés, avec le respect dû aux gouvernants ; aux savants, que le doux empire des arts, des sciences et des lettres, tempère ce que celui des larmes (inévitable à une époque de transition et d'épreuve) peut avoir de trop austère ; aux manufacturiers et commerçants, qu'ils ne doivent avoir que deux pensées, qui au reste n'en font qu'une : la prospérité de nos productions, la ruine des productions anglaises ; aux agriculteurs enfin, que les trésors de la France sont enfouis dans son sol, et que c'est à la charrue et à la bêche à les en tirer. Je n'ai rien à dire aux braves des deux armées : ce palais est plein de leurs exploits ; et c'est sous une voûte de drapeaux conquis par leur valeur, arrosés de leur sang, que je porte la parole.

Que je sache maintenant avec franchise si je suis digne de l'adresser ainsi à l'auguste assemblée qui doit m'entendre[1].

 

Fouché se rend auprès de l'Impératrice, expose ses vues : Madame, il ne faut pas le dissimuler, l'avenir politique de la France est compromis par la privation d'un héritier de l'Empereur. Comme Ministre de la police, je suis à portée de connaître l'opinion publique et je sais qu'on s'inquiète sur la succession d'un tel Empire. Représentez-vous quel degré de force aurait aujourd'hui le trône de sa Majesté s'il était appuyé sur l'existence d'un fils2[2].

Joséphine, désespérée, en appelle à l'Empereur. Elle implore, réveille de tendres souvenirs, rappelle des promesses, verse des larmes. Napoléon reste inflexible. Il ne rêve qu'à la gloire de son Empire, à la succession de son trône et veut le divorce.

Eugène, qui a été tenu au courant, écrit à sa mère :

J'ai été content de ta conversation avec l'Empereur si elle est telle que tu me l'as fait rendre. Il faut toujours parler franchement à Sa Majesté. Faire autrement ne serait plus l'aimer. Si l'Empereur te tracasse encore sur des enfants, dis-lui que ce n'est pas bien à lui de te reprocher des choses semblables. S'il croit que son bonheur et celui de la France obligent à en avoir, qu'il n'ait aucun égard étranger. Il doit bien te traiter, te donner un douaire suffisant et te permettre de vivre avec tes enfants en Italie. L'Empereur fera alors le mariage que lui commanderont sa politique et son bonheur. Nous ne lui resterons pas moins attachés parce que ses sentiments ne doivent jamais changer pour nous quoique les circonstances l'aient obligé à s'éloigner de notre famille. Si l'Empereur veut avoir des enfants qui soient à lui, il n'a que ce moyen. Tout autre serait blâmé et l'histoire en ferait justice. D'ailleurs, il a trop travaillé pour elle qu'il laisse un seul feuillet à déchirer à la postérité.

Tu ne dois craindre ni les événements, ni les méchants. Ne sois pas si bonne avec tout ce qui t'entoure, tu en serais bientôt la dupe.

 

Joséphine comprend que la partie est perdue. Elle se résigne. Napoléon hésite encore. Que dira l'opinion publique ? au fond, il aime toujours sa Joséphine, mais l'ambition finit par l'emporter sur la pitié.

Le 30 novembre, Napoléon et Joséphine dînent en tête à tête. Le repas est silencieux. Au café, l'Empereur fait signe aux serviteurs de se retirer. Il confirme à Joséphine sa décision. Du salon de service on entend des gémissements, des cris. Personne n'ose approcher. Soudain, la porte s'ouvre et l'Empereur appelle Bausset, l'officier de service. Joséphine est évanouie sur le tapis. Bausset prend l'Impératrice par la taille, Napoléon par les jambes, et on la descend à grand peine dans ses appartements. Le chirurgien Corvisart est mandé d'urgence, ainsi que Hortense. A cette dernière, Napoléon explique la cause de l'évanouissement et confirme sa décision. Sire répond-elle, l'Impératrice descendra du trône où vous l'avez placée et Eugène et moi nous la suivrons dans la retraite.

Napoléon se retire les larmes aux yeux.

Le divorce est résolu. Des jours bien douloureux vont succéder pour la pauvre Joséphine.

Enfin, le jour fatal arrive. Le 15 décembre, le divorce est publiquement prononcé.

A neuf heures du soir, en grand apparat, la famille Impériale est réunie dans la salle du trône. Cambacérès, archi-chancelier de l'Empire, le comte Regnault de Saint-Jean-d'Angély, secrétaire d'Etat et secrétaire de l'état civil de la famille Impériale y assistent. Les femmes sont décolletées, la haute chérusque de dentelle d'or ou d'argent montant derrière le cou et faisant valoir la gorge ; les hommes chatoyants de soie et de velours clairs, étincelants de broderies, la poitrine traversée de grands cordons, avec les ordres endiamantés sur les manteaux. L'Empereur a près de lui Madame Mère ; rangés autour d'eux, sur des chaises pour les reines et rois, des tabourets pour les princes, se trouvent le Roi et la Reine de Naples, la Princesse Pauline Borghèse, le roi de Hollande, le roi de Wesphalie, le vice-roi de Naples. Joséphine entre, vêtue simplement d'une robe blanche, sans bijoux, sans ornements, pâle et les yeux rougis. Elle a beaucoup pleuré. Elle s'appuie sur les bras de la Reine Hortense, bien plus émue que sa mère, et d'Eugène. Ce dernier, aussi très pâle, ne peut maîtriser un tremblement nerveux.

A son approche, l'Empereur se lève et va au-devant d'elle, lui prend les mains et la conduit au milieu du cercle que forment les princes et les princesses. Puis, avec une émotion visible, il lit un court discours exposant les raisons d'Etat qui l'obligent à rompre les liens qui l'attachaient à Joséphine. Dieu sait, dit-il, combien une pareille résolution a coûté à son cœur. Et il ajoute : loin d'avoir jamais eu à se plaindre de Joséphine, il n'a eu au contraire qu'à se louer de l'attachement et de la tendresse de sa bien-aimée épouse qui a embelli quinze années de sa vie et dont le souvenir restera toujours gravé dans son cœur. — Elle a été couronnée par mes mains, je veux qu'elle conserve le rang et le titre d'Impératrice couronnée, mais surtout qu'elle ne doute jamais de mes sentiments, et qu'elle me tienne toujours pour son meilleur ami.

Lorsqu'il a terminé, l'Impératrice, déployant une feuille de papier qu'elle tenait en mains, sanglotant, commence la lecture du discours qui a été dicté par l'Empereur et qui lui a été remis par Talleyrand :

Avec la permission de notre Auguste et cher époux, je dois déclarer que, ne conservant aucun espoir d'avoir des enfants qui puissent satisfaire le besoin de sa politique et l'intérêt de la France, je me plais à lui donner la plus grande preuve d'attachement et de dévouement qui ait jamais été donnée sur la terre...

 

Suffoquée par les larmes, ne pouvant continuer, elle tend son papier au comte Regnault de Saint-Jean-d'Angély qui, sur un geste de l'Empereur, achève la lecture :

Je tiens tout de ses bontés ; c'est sa main qui m'a couronnée et, du haut de ce trône, je n'ai reçu que des témoignages d'affection et d'amour du peuple français.

Je crois reconnaître tous ces sentiments en consentant à la dissolution d'un mariage qui désormais est un obstacle au bien de la France, qui la prive du bonheur d'être un jour gouvernée par les descendants d'un grand homme si évidemment suscité par la Providence pour effacer les maux d'une terrible révolution et rétablir l'autel, le trône et l'ordre social. Mais la dissolution de mon mariage ne change rien aux sentiments de mon cœur, l'Empereur aura toujours en moi sa meilleure amie. Je sais combien cet acte, commandé par sa politique et par de si grands intérêts, a froissé son cœur ; mais l'un et l'autre nous sommes glorieux du sacrifice que nous faisons au bien de la patrie.

 

Cette lecture avait été écoutée dans un profond silence, troublée seulement par les sanglots d'Hortense. Tous les visages sont consternés. Cambacérès, en qualité d'archi-chancelier de l'Empire, prend alors la parole pour donner acte des déclarations respectives de Leurs Majestés. Regnault de Saint-Jean-d'Angély tend alors à Joséphine une plume, elle signe sans hésitation, puis l'Empereur et successivement tous les membres de la famille impériale. Joséphine se retire, accompagnée de Hortense et d'Eugène.

L'Empereur était resté immobile comme une statue, les yeux fixés, le regard perdu dans le vide, durant toute cette terrible séance. Sans prononcer un mot, il se lève et rentre dans son cabinet où il se plonge dans ses réflexions, la tête entre les mains. Au bout d'une heure il appelle son secrétaire, Méneval, demande sa voiture et part pour Trianon.

Le sacrifice de Joséphine est consommé. De ce jour, l'astre de l'Empereur va commencer à pâlir.

Pour satisfaire sa folle ambition dynastique, le maître tout puissant n'a pas hésité à briser un cœur aimant et à écarter 1 du trône celle qui l'avait aidé aux heures difficiles de ses débuts dans la gloire. Il devait s'en repentir car il brisait du même coup son porte-bonheur. Les revers et les trahisons vont l'accabler. De s'être séparé de Joséphine semble lui avoir porté malheur, ainsi qu'il l'a reconnu à Sainte-Hélène[3].

Le lendemain, 16 décembre, le Sénat reçoit un message de l'Empereur annonçant le divorce et avec une docilité passive se contente d'enregistrer l'acte de dissolution du mariage. Eugène, après la lecture du procès-verbal, prend la parole pour lire un discours qui a été écrit par M. de Fontanes :

Ma mère, ma sœur et moi, nous devons tout à l'Empereur il a été pour nous un véritable père ; il trouva en nous, dans tous les temps, des enfants dévoués et des sujets soumis.

Il importe au bonheur de la France que le fondateur de cette quatrième dynastie vieillisse environné d'une descendance directe qui soit notre garantie à tous comme le gage de la gloire de la patrie.

Lorsque ma mère fut couronnée devant toute la nation par Son Auguste Epoux, elle contracta l'obligation de sacrifier toutes ses affections aux intérêts de la France. Elle a rempli avec courage, noblesse et dignité, le premier de ces devoirs. Son âme a été souvent attendrie en voyant en butte à de pénibles combats le cœur d'un homme habitué à maîtriser la fortune et à marcher toujours d'un pas ferme à l'accomplissement de ses grands desseins. Les larmes qu'a coûtées cette résolution à l'Empereur suffisent à la gloire de ma mère. Dans la situation où elle va se trouver, elle ne sera pas étrangère, par ses vœux et ses sentiments, aux nouvelles prospérités qui nous attendent et ce sera avec une satisfaction mêlée d'orgueil qu'elle verra tout ce que ses sacrifices ont produit d'heureux pour sa patrie et pour son Empereur.

 

Par 76 voix contre 5 le sénatus-consulte du divorce est voté.

Le mariage civil est dissous, il reste le mariage religieux. Le pape est prisonnier à Savone. Il a excommunié l'Empereur. On va se contenter de consulter le clergé français. L'ingéniosité ecclésiastique trouve un motif d'annulation : les formalités prescrites par l'Eglise pour le mariage n'ont pas été observées. L'officialité métropolitaine accepte la sentence.

Le 1er janvier 1810, elle déclare la rupture du lien spirituel qui unissait Napoléon et Joséphine, et enfin le Moniteur du 14 janvier 1810, apprend cet événement à la France et au monde entier.

***

Aussitôt dans sa chambre, après la signature de l'acte du divorce, Joséphine écrivit cette lettre à Napoléon :

À L'EMPEREUR !

Mes pressentiments sont réalisés ! Vous venez de prononcer le mot qui nous sépare ; le reste n'est qu'une formalité. Voilà donc le résultat, je ne dirai pas de tant de sacrifices — ils me furent doux, puisqu'ils étaient pour vous —, mais d'une amitié sans borne de mon côté, et du vôtre, des serments les plus solennels ! Encore si l'Etat, dont vous vous faites un motif, me dédommageait en vous justifiant !

Mais cet intérêt, auquel vous feignez de l'immoler, n'est qu'un prétexte ; votre ambition, mal calculée, tel a été, tel sera toujours le guide de votre vie ; guide qui vous a mené aux conquêtes et au trône, et qui vous pousse maintenant aux défaites et au précipice.

Vous parlez d'alliance à contracter, d'héritier à donner à votre Empire, de dynastie à fonder ! Mais avec qui formez-vous alliance ? Avec l'ennemie naturelle de la France, cette insidieuse maison d'Autriche, qui déteste notre pays par sentiment, par système, par nécessité. Croyez-vous que cette haine, dont elle nous a donné tant de preuves, surtout depuis cinquante ans, elle ne l'ait pas transmise du royaume à l'Empire, et que les enfants de Marie-Thérèse, cette habile souveraine, qui acheta de Mme de Pompadour ce fatal traité de 1756[4], dont vous ne parlez qu'avec horreur ; pensez-vous, dis-je, que sa postérité, en héritant de sa puissance, n'ait pas hérité de son esprit ? Je ne fais que vous répéter ce que vous m'avez dit mille fois ; mais alors votre ambition se bornait à humilier une puissance qu'il vous convient de relever aujourd'hui. Croyez-moi, tant que vous serez maître de l'Europe, elle vous sera soumise ; mais n'ayez jamais de revers2.

Quant au besoin d'un héritier, dût une mère vous paraître prévenue, en vous parlant d'un fils, puis-je et dois-je me taire sur celui qui fait toute ma joie et qui faisait vos espérances ? C'était donc encore un mensonge politique que cette adoption du 12 janvier 1806 ! Mais ce qui n'est point une illusion, ce sont les talents, ce sont les vertus de mon Eugène. Combien de fois en fîtes-vous l'éloge ! Que dis-je ? C'est par la possession d'un trône que vous avez cru devoir les récompenser ; et souvent vous avez dit qu'il méritait davantage. Eh bien ! la France l'a souvent répété après vous ; mais que vous sont les vœux de la France ?

Je ne vous parle point ici de la personne destinée à me succéder, et vous n'attendez pas que je vous en parle. Ce que j'en dirais vous paraîtrait suspect : ce qui ne peut jamais l'être pour vous, ce sont les vœux que je forme pour votre bonheur. Qu'il me dédommage au moins de mes peines ! Ah ! qu'il sera grand s'il leur est proportionné !

JOSÉPHINE.

 

Le lendemain du divorce, le 16 décembre, à deux heures de l'après-midi, tandis que le Sénat délibère, par une pluie battante et un froid pénétrant, Joséphine quitte les Tuileries pour la Malmaison. Son carrosse de gala, traîné par huit chevaux, l'emporte vers l'exil. Ce n'est plus qu'une pauvre femme qui, après avoir perdu un trône et un époux, va chercher la paix de l'âme dans la solitude de la campagne.

Comme ses vues étaient justes !

Tout le long de la route, recouverte de boue, les gens qui regardent à travers les vitres reconnaissent la livrée verte au double gilet incarnat sur rose et bleu de l'Impératrice et saluent. Les lanternes jettent une lueur blafarde. A l'intérieur du carrosse, une femme pleure abondamment.

***

La voici à la Malmaison, dans l'effeuillement de son destin. Par décret de l'Empereur, elle conserve son titre d'Impératrice. Napoléon qui est installé à Trianon vient lui rendre visite chaque jour. Il la reçoit même un soir, à diner, avec la reine Hortense. Il lui écrit des lettres tendres, mais ce ne sont plus que des billets courts sinon aimables. Mme Boscha nous a rapporté qu'ils étaient souvent couverts de petits pâtés. L'Empereur secouait sa plume souvent avec violence, ce qui occasionnait des taches. Il l'informe qu'il lui a attribué une rente annuelle de trois millions, dont deux millions sur le Trésor de l'Etat et un million sur sa liste civile. Elle conserve, en toute propriété, la Malmaison et ses dépendances, à l'exception du pavillon de Bultard qui est réuni au domaine de Versailles et, en outre, il lui fait donation, pour en jouir sa vie durant, et pour résidence à Paris, le Palais de l'Elysée, avec ses jardins, ses dépendances et le mobilier qui y existe.

En son nom propre, Joséphine ne possédait alors que 41.980 francs de rente 5 %, cadeau du Premier Consul en l'an XI, cinquante actions de la Banque de France et les plantations des Trois-Ilets qui ne rapportaient plus rien. En revanche, elle avait des dettes que l'Empereur n'ignore pas. Il demande les comptes des fournisseurs afin de les régler. Le total s'élève à 1.898.000 francs 98 centimes ! Napoléon, sachant que ces fournisseurs avaient abusé de la confiance de Joséphine, exige des rabais qui sont consentis et toutes les factures présentées sont réglées jusqu'au 1er janvier 1810.

Une Cour lui est attribuée, choisie par l'Impératrice et nommée par l'Empereur. Elle est composée de la comtesse d'Arberg, Mme de Rémusat, Mme de Ségur, Mme de Vieil-Castel, Mme de Colbert, Mme de Walsh-Serraut, M. de Turenne, M. d'Andenarde, M. de Lastie, M. Wathier Saint-Alphonse et deux jeunes filles : Mlles A. Mackau et de Castellane. Quatre chambellans : MM. de Vieil-Castel, de Turpin-Crissé, de Montholon, de Lastie ; un chevalier d'honneur, M. de Vieil-Castel ; quatre écuyers : MM. de Pourtalès, de Chaumont-Quitry, d'Andlan, de Monaco ; un intendant-général, M. de Monthivault ; un capitaine des chasses, M. de Billy Van Berchem ; un secrétaire, M. Deschamps ; un aumônier, Monseigneur de Barrai, archevêque de Tours.

C'est à la Malmaison qu'elle va vivre et c'est là qu'elle va mourir. La Malmaison, perdue au milieu des frondaisons de son parc fleuri, plus que le palais de Fontainebleau, dont la Cour d'honneur est appelée aujourd'hui la Cour des Adieux et conserve une touchante mélancolie ; plus que le château de Compiègne, dans son ordonnance froide et hautaine ; plus que le Palais des Tuileries, dont les pavillons de Flore et de Marsan ne retiennent que l'ombre du Grand Empereur ; a conservé un charme étrange et triste, comme une empreinte ineffaçable de la belle créole et malgré les ans on y retrouve l'empreinte des jours sombres et dramatiques de la grande épopée. C'est avant tout le sanctuaire des fastes napoléoniens, le refuge sacré et nostalgique de l'amour ! Dans les pièces où les pas des visiteurs réveillent de si douloureux échos, Joséphine de 1809 à 1814, cria son désespoir d'épouse répudiée et d'éternelle amoureuse. On oublie devant toutes ces reliques, tous les sublimes souvenirs qui y sont accumulés, les cortèges chamarrés de maréchaux et d'aides de camp, le froufrou des dames d'honneur, pour ne songer qu'à l'envers du fastueux décor, qu'à la détresse que cachait tant de diamants, tant de broderies, tant de colifichets. Dans les allées du parc silencieux, où errent tant de fantômes, qu'embaume le parfum des fleurs de la roseraie voisine, celles mêmes que Joséphine aimait jalousement, on y voit toujours la promenade lente et endeuillée, la rêverie solitaire de l'Impératrice délaissée, veuve de tant d'illusions ; le départ de l'aigle vaincu pour l'exil, vêtu d'un simple frac de couleur brune et coiffé d'un banal chapeau rond.

***

Les négociations du maréchal Berthier ayant été couronnées de succès[5], le mariage avec Marie-Louise est décidé. Elle a dix-huit ans. Sans être belle, elle a l'éclat de la jeunesse, des cheveux châtains, un regard doux, les lèvres un peu fortes. Dans ses Mémoires, Metternich rapporte que lorsqu'il rendit compte à l'Empereur François de la démarche faite au nom de Napoléon, par Berthier, celui-ci déclara :

Mon consentement à ce mariage, assurera à la monarchie quelques années de paix politique que je pourrai consacrer à guérir ses blessures. Je me dois tout entier au bonheur de mon peuple, il ne m'est donc pas permis d'hésiter. Envoyez un courrier à Paris pour assurer que j'accéderai à la demande de l'Empereur des Français, mais sous la réserve formelle que, ni d'un côté ni de l'autre, il ne sera imposé de conditions. Il est des sacrifices qui ne doivent pas être souillés par rien de ce qui ressemble à un marché.

 

Marie-Louise avait horreur de Napoléon, le tortionnaire de sa famille, l'usurpateur des trônes et c'est avec amertume, mais sans répulsion, qu'elle accepta de devenir la femme du grand homme qui tenait l'Europe sous sa botte. Elle obéit avant tout aux volontés de son père, l'Empereur François II, pour qui elle avait un véritable culte, une admiration sans bornes. Elle sacrifiait son orgueil de caste, les sentiments altiers de sa race, aux nécessités politiques de son pays. Car elle pouvait se réclamer d'illustres ancêtres, de Charles-Quint, de Philippe II, dont le sang coulait dans ses veines, et princesse, élevée dans le culte de la tradition et le respect des titres, elle allait s'allier à un parvenu, le fils de la Révolution, le nouvel Attila. Sa tante, Marie-Antoinette, n'avait-elle pas été guillotinée pendant cette révolution ?

Chaque fois que son père avait affronté Napoléon, il avait connu l'amertume de la défaite et perdu une province, un duché, enfin un royaume ! Le petit Corse avait démembré l'Autriche. Toutes les lettres que nous avons d'elle, avant le mariage, crient sa haine contre l'Empereur, contre la France, son désir, d'une revanche : les soldats de Napoléon sont des pillards, des sanguinaires qui dévastent les églises, volent les ciboires, jettent les hosties à terre et les foulent aux pieds et tirent la barbe des capucins qui en meurent de surprise et d'indignation.

Par procuration, le Prince de Neuchâtel, épouse à Vienne l'archiduchesse Marie-Louise, qui reçoit plus de trois millions de diamants, 500.000 francs de perles, des émeraudes, des rubis, etc. Un service d'honneur, présidé par ja sœur de l'Empereur, Caroline, Reine de Naples, est envoyé à la frontière pour recevoir la nouvelle Impératrice, tandis que Napoléon se rend avec Murat, à Compiègne pour l'attendre. La nouvelle mariée a quitté Vienne, avec son mari in partibus, Berthier, escorté de quatre-vingt-trois voitures. Dès qu'il a connaissance de son passage à Soissons, il se rend au-devant d'elle et la rencontre a lieu dans le petit village de Courcelles. Il pleut abondamment. Sans plus de cérémonie, Napoléon monte dans la voiture où se trouvait Marie-Louise et la Reine de Naples. Il embrasse sa nouvelle femme sur les deux joues. Marie-Louise qui portait en médaillon une miniature que lui avait envoyé l'Empereur, se contente de comparer le portrait à l'original et de dire à son mari, avec un malicieux sourire : Vous n'êtes pas flatté.

A dix heures, le même soir, le canon annonçait aux Parisiens l'arrivée de l'Auguste Impératrice. Les échos qui se répètent jusqu'à la Malmaison font couler les larmes de la malheureuse exilée.

Le 2 avril, aux Tuileries, le mariage est régularisé. L'oncle Fesch donne sa bénédiction.

***

Napoléon est très assidu auprès de sa nouvelle épouse mais il ne néglige pas néanmoins Joséphine. Ses visites à la Malmaison sont plus rares mais une correspondance très suivie s'établit entre eux et Joséphine est tenue au courant de tous les événements. Voici quelques lettres :

Mardi, à 6 heures.

La reine de Naples[6] que j'ai vue à la chasse, au Bois de Boulogne, où j'ai forcé un cerf, m'a dit qu'elle t'avait laissée hier, à une heure après-midi, bien portante. Je te prie de me dire ce que tu as fait aujourd'hui. Moi, je me porte fort bien. Hier, quand je t'ai vue, j'étais malade. Je pense que tu auras été te promener.

Adieu, mon amie.

NAPOLÉON.

 

7 heures du soir, 1810 (pas de date).

L'EMPEREUR À L'IMPÉRATRICE À MALMAISON.

Je reçois ta lettre, mon amie. Savary me dit que tu pleures toujours ; cela n'est pas bien. J'espère que tu auras pu te promener aujourd'hui. Je t'ai envoyé ma chasse. Je viendrai te voir lorsque tu me diras que tu es raisonnable et que ton courage prend le dessus.

Demain, toute la journée, j'ai les ministres.

Adieu, mon amie ; je suis triste aussi aujourd'hui ; j'ai besoin de te savoir satisfaite et d'apprendre que tu prends de l'aplomb.

Dors bien.

NAPOLÉON.

 

Trianon, mardi 1810.

Je me suis couché hier après-midi après que tu as été partie, mon amie. Je vais à Paris. Je désire te voir gaie. Je viendrai te voir dans la semaine.

J'ai reçu tes lettres, que je vais lire en voiture.

NAPOLÉON.

 

Tuileries, mercredi midi, 1810.

Eugène m'a dit que tu avais été toute triste hier soir ; cela n'est pas très bien, mon amie ; c'est contraire à ce que tu m'avais promis.

J'ai été très ennuyé de revoir les Tuileries. Ce grand palais m'a paru vide, et je m'y suis trouvé isolé.

Adieu, mon amie, porte-toi bien.

NAPOLÉON.

 

Tuileries, dimanche à dix heures du matin, 1810.

J'ai aujourd'hui grande parade, mon amie ; je verrai toute ma vieille garde et plus de soixante trains d'artillerie.

Le roi de Wesphalie s'en va chez lui, ce qui pourra donner une maison vacante à Paris. Je suis triste de ne pas te voir. Si la parade finit avant trois heures,, je viendrai ; sans cela, à demain.

Adieu, mon amie.

NAPOLÉON.

 

Tuileries, dimanche à 8 heures du soir, 1810.

J'ai été très content de t'avoir vue hier ; je sais combien ta société a de charmes peur moi. J'ai travaillé aujourd'hui avec Estève. J'ai accordé cent mille francs pour 1810, pour l'extraordinaire de la Malmaison. Tu peux donc faire planter tout ce que tu voudras ; tu distribueras cette somme comme tu l'entendras. J'ai chargé Estève de remettre deux cent mille francs aussitôt que le contrat de la maison Julien sera fait. J'ai ordonné que l'on paierait ta parure de rubis laquelle sera évaluée par l'intendance. Car je ne veux pas de voleries de bijoutiers. Ainsi, voilà quatre cent mille francs que cela me coûte.

J'ai ordonné que l'on tint le million que la liste civile te doit, pour 1810, à la disposition de ton homme d'affaires, pour payer tes dettes[7].

Tu dois trouver, dans l'armoire de la Malmaison, cinq cent mille à six cent mille francs ; tu peux les prendre pour faire ton argenterie et ton linge.

J'ai ordonné qu'on te fit un très beau service de porcelaine ; l'on prendra tes ordres pour qu'il soit très beau.

NAPOLÉON.

 

Mercredi, 6 heures du soir.

Mon amie, je ne vois pas d'inconvénient que tu reçoives le roi de Wurtemberg quand tu voudras. Le roi et la reine de Bavière doivent aller te voir après-demain.

Je désire fort aller à Malmaison, mais il faut que tu sois forte et tranquille ; le page de ce matin dit qu'il t'a vue pleurer. Je vais dîner tout seul.

Adieu, mon amie, ne doute jamais de mes sentiments pour toi ; tu serais injuste et mauvaise.

NAPOLÉON.

 

Mardi, à midi, 1810.

J'apprends que tu t'affliges. Cela n'est pas bien. Tu es sans confiance en moi, et tous les bruits que l'on répand te frappent ; ce n'est pas me connaître, Joséphine. Je t'en veux, et si je n'apprends que tu es gaie et contente, j'irai te gronder bien fort.

Adieu, mon amie.

NAPOLÉON.

 

Compiègne, juin 1810.

Mon amie, je reçois ta lettre. Eugène te donnera des nouvelles de mon voyage et de l'Impératrice. J'approuve fort que tu ailles aux eaux. J'espère qu'elles te feront du bien.

Je désire bien te voir. Si tu es à Malmaison à la fin du mois, je viendrai te voir, Ma santé est fort bonne ; il me manque de te savoir contente et bien portante. Fais-moi connaître le nom que tu voudras porter en route.

Ne doute jamais de toute la vérité de mes sentiments pour toi ; ils dureront autant que moi ; tu serais fort injuste si tu en doutais.

NAPOLÉON.

 

À L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE, AUX EAUX D'AIX, EN SAVOIE.

Saint-Cloud, 20 juillet 1810.

J'ai reçu, mon amie, ta lettre du 14 juillet. Je vois avec plaisir que les eaux te font du bien et que tu aimes Genève. Je pense que tu fais bien d'y aller quelques semaines.

Ma santé est assez bonne. La conduite du roi de Hollande m'a affligé.

Hortense va bientôt venir à Paris. Le grand duc de Berg est en route ; je l'attends demain.

Adieu, mon amie.

NAPOLÉON.

 

Durant son séjour à Aix, Joséphine faillit se noyer et l'Empereur d'écrire :

Trianon, le 10 août 1810.

J'ai reçu ta lettre. J'ai vu avec peine le danger que tu as couru. Pour une habitante des îles de l'océan, mourir dans un lac c'eût été une fatalité.

La reine se porte mieux, et j'espère que sa santé deviendra bonne[8]. Son mari est en Bohême, à ce qu'il paraît, ne sachant que faire.

Je me porte assez bien, et je te prie de croire à mes sentiments.

NAPOLÉON.

 

À L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE, AUX EAUX D'AIX, EN SAVOIE.

Saint-Cloud, 14 septembre 1810.

Mon amie, je reçois ta lettre du 9 septembre. J'apprends avec plaisir que tu te portes bien. L'Impératrice est effectivement grosse de quatre mois ; elle se porté bien et m'est fort attachée. Les petits princes Napoléon se portent très bien ; ils sont au pavillon d'Italie, dans le parc de Saint-Cloud !

Ma santé est assez bonne. Je désire te savoir heureuse et contente. L'on dit qu'une personne de chez toi s'est cassée la jambe en allant à la glacière.

Adieu, mon amie, ne doute pas de l'intérêt que je prends à toi, et des sentiments que je te porte.

NAPOLÉON.

 

À L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE À GENÈVE.

Fontainebleau, le 1er octobre, 1810.

J'ai reçu ta lettre. Hortense que j'ai vue, t'aura dit ce que je pensais ; va voir ton fils cet hiver, reviens aux eaux d'Aix l'année prochaine, ou bien reste au printemps à Navarre. Je te conseillerais d'aller à Navarre tout de suite, si je ne craignais que tu ne t'y ennuyasses. Mon opinion est que tu ne peux être l'hiver, convenablement, qu'à Milan ou à Navarre, après cela j'approuve tout ce que tu feras ; car je ne te veux gêner en rien.

Adieu mon amie, l'Impératrice est grosse de quatre mois, je nomme Mme de Montesquiou gouvernante des enfants de France. Sois contente et ne te monte pas la tête ; ne doute jamais de mes sentiments.

NAPOLÉON.

***

Le 20 mars 1811, le bourdon de Notre-Dame et cent un coups de canon jettent une ivresse générale dans tous les quartiers de la capitale. Le Roi de Rome est né. Depuis la veille on savait que Marie-Louise était dans la douleur de l'enfantement et on attendait avec impatience l'événement. Des courriers sont immédiatement expédiés dans les provinces pour annoncer la naissance de l'héritier et Napoléon fait porter par son page, M. de Saint-Hilaire, la nouvelle à Joséphine, à Navarre, où elle s'était rendue[9].

Joséphine avait été déjà avertie par le bruit du canon et le préfet d'Evreux. Elle écrivit aussitôt à l'Empereur et à Marie-Louise :

À NAPOLÉON, Empereur des Français.

Sire !

Au milieu des nombreuses félicitations qui vous parviennent de tous les coins de l'Europe, de toutes les villes de France et de chaque régiment de l'armée, la faible voix d'une femme pourra-telle arriver jusqu'à vous ? et daignerez-vous écouter celle qui si souvent consola vos chagrins, adoucit les peines de votre cœur, lorsqu'elle n'osa vous parler que du bonheur qui achève de mettre le comble à vos vœux ? Ayant cessé d'être votre épouse, oserai-je vous féliciter d'être père ? Oui, sans doute, Sire, car mon âme rend justice à la vôtre, autant que vous connaissez la mienne ; je comprends ce que vous devez éprouver comme vous devinez tout ce que je dois sentir en cet instant ; et quoique séparés, nous sommes unis par cette sympathie qui résiste à tous les événements.

J'aurais désiré apprendre la naissance du Roi de Rome par vous ; et non par le bruit du canon de la ville d'Evreux, et par un courrier du préfet[10], mais je sais qu'avant tout vous vous devez aux Corps de l'Etat, aux membres du Corps diplomatique, à votre famille, et surtout à l'heureuse princesse qui vient de réaliser vos plus chères espérances. Elle ne peut vous être plus tendrement dévouée que moi ; mais elle a pu davantage pour votre bonheur en assurant celui de la France ; elle a donc droit à vos premiers sentiments, à tous vos soins ; et moi qui ne fus votre compagne que dans les temps difficiles, je ne puis exiger qu'une place bien éloignée de celle qu'occupe l'Impératrice Marie-Louise dans votre affection. Ce ne sera donc qu'après avoir veillé vous-même près de son lit ; après avoir embrassé votre fils, que vous prendrez la plume pour causer avec votre meilleure amie. J'attendrai !...

Il ne m'est pas cependant possible de différer de vous dire que je jouis plus que qui que ce soit au monde, de la joie que vous ressentez ; et vous ne doutez pas de ma sincérité, lorsque je vous dis ici que loin de m'affliger d'un sacrifice nécessaire au repos de tous, je me félicite de l'avoir fait, maintenant que je souffre seule. Que dis-je, je ne souffre pas, puisque vous êtes satisfait ; et je n'ai que le regret de n'avoir pas encore assez fait pour vous prouver à quel point vous m'étiez cher.

Je n'ai aucun détail sur la santé de l'Impératrice ; j'ai assez compter sur vous, Sire, pour espérer que j'en aurai de circonstanciés sur le grand événement qui assure la perpétuité du nom dont vous avez si grandement commencé l'illustration. Eugène, Hortense m'écriront pour me faire part de leur joie ; mais c'est de vous que je désire savoir si votre enfant est fort, s'il vous ressemble, s'il me sera un jour permis de le voir ; enfin c'est une confiance entière que j'attends de vous, et sur laquelle je crois avoir le droit de compter, Sire, en raison de l'attachement sans bornes que je vous conserverai tant que je vivrais.

JOSÉPHINE.

 

À L'IMPÉRATRICE MARIE-LOUISE

Madame,

Tant que vous n'avez été que la seconde épouse de l'Empereur, j'ai dû garder le silence avec Votre Majesté ; je crois pouvoir le rompre aujourd'hui que vous êtes devenue la mère de l'héritier de l'Empire.

Vous auriez cru difficilement à la sincérité de celle que vous regardiez peut-être comme une rivale ; vous croirez aux félicitations d'une Française, car c'est un fils que vous avez donné à la France.

Votre amabilité, votre douceur, vous ont acquis le cœur de l'Empereur ; votre bienfaisance vous mérite les bénédictions des malheureux ; la naissance d'un fils vous vaudra celle de tous les Français. C'est un peuple si aimable, si sensible, si admirable que ces Français ! Et pour me servir d'une expression qui le peint à merveille : ils aiment à aimer. Oh ! qu'il est doux d'être aimé de lui !

C'est sur cette facilité, et pourtant cette solidité d'affection que les partisans de ses anciens rois ont longtemps compté pour les faire regretter. Et en cela ils ont eu raison. Quelque chose qui arrive, par exemple, le nom de Henri IV sera toujours béni. Il faut avouer pourtant que la Révolution, sans gâter les cœurs, a beaucoup étendu les intelligences et rendu les esprits plus exigeants. Sous nos rois, on se contentait du repos, maintenant on veut de la gloire !

Voilà, Madame, les deux biens dont vous êtes appelée à donner l'avant-goût à la France ; votre fils les lui fera goûter complètement, si aux vertus sévères de son père il joint celles de son Auguste mère qui sait les tempérer.

JOSÉPHINE.

 

A la lettre de Joséphine, Napoléon répondit :

Paris, le 22 mars 1811.

Mon amie, j'ai reçu ta lettre ; je te remercie. Mon fils est gros et très bien portant. J'espère qu'il viendra à bien. Il a ma poitrine, ma bouche et mes yeux. J'espère qu'il remplira sa destinée.

Je suis toujours très content d'Eugène ; il ne m'a jamais donné aucun chagrin.

NAPOLÉON.

 

L'Empereur donne à son fils les noms et titres suivants : Napoléon-François-Charles-Joseph Bonaparte, Roi de Rome Grand aigle de la Légion d'honneur, Grand croix de la Couronne de Fer, Chevalier de la Toison d'Or[11].

Napoléon était très superstitieux. Durant la campagne d'Egypte, visitant le tombeau d'un pharaon, il avait recueilli un scarabée qu'il avait fait monter en épingle et que depuis il portait sur lui comme porte-bonheur. C'est à ce talisman qu'il attribuait sa fortune d'avoir échappé à la croisière anglaise, lors de son retour d'Egypte. A la fête splendide qui fut donnée aux Tuileries, à l'occasion de la naissance du Roi de Rome, s'approchant de la Princesse Swharzemberg, dont le mari, Ambassadeur d'Autriche à Paris, avait beaucoup contribué au mariage avec Marie-Louise, il offrit cette épingle en signe de gratitude, disant : J'ai trouvé ce scarabée dans le tombeau d'un roi égyptien, et l'ai porté depuis comme un talisman. Veuillez l'accepter. Je n'ai plus besoin de mascotte.

Il avait un fils, un fils qui devait lui succéder sur le trône impérial et c'était là tout son espoir. Il semble que de ce jour, l'abandon du talisman devait entraîner sa perte.

***

1812 ! l'Empire français est à son apogée. Napoléon est au sommet de sa puissance et il a un héritier pour lui succéder sur le trône de France. Cet homme étonnant, dont le royaume s'étend jusqu'aux bouches de l'Elbe et compte 130 départements, 45 millions d'habitants[12], ne considère les autres rois ou princes que comme des égaux ou des courtisans. Il tient sous son sceptre les Etats feudataires ; les royaumes d'Italie, de Naples et d'Espagne ; la Confédération du Rhin formée par les royaumes de Westphalie, de Bavière, de Wurtemberg et de Saxe ; la Confédération Suisse, dont il est le médiateur. On croit lire un roman : en 1785, à seize ans, petit lieutenant, en 1799 premier Consul, en 1804 Empereur et en 1812 presque maître de toute l'Europe !

Son rêve est d'égaler Alexandre le Grand. Il est un dieu ! César de tout temps s'était vanté d'être issu d'une famille dont l'origine remontait à Jule, fils d'Enée, issu d'Anchise et de Vénus ; Alexandre se proclamait fils d'Amon, se faisant représenter avec les cornes du bélier érigées des deux côtés de la tête. Il veut fondre toutes les nations en une seule, faire régner la même loi sur toute l'Europe, créer les Etats-Unis d'Europe, sur le modèle des Etats-Unis d'Amérique. Il dictera un code légal européen, il y aura une Cour d'appel européenne, une monnaie unifiée, un système commun de poids et de mesures et le voyageur qui traversera l'Europe ne connaîtra qu'une même patrie, dont il sera le Roi des Rois[13]. Fouché à qui il communique ces projets demeure stupéfait.

Plus tard, à Sainte-Hélène, il écrira : Tôt ou tard, cette union se fera par la force des choses. La première impulsion a été donnée ; je crois que le seul moyen d'obtenir l'équilibre en Europe est d'établir une ligue des Nations. Un siècle s'est écoulé et cette prédiction trouve aujourd'hui sa réalisation ; elle domine la pensée de tous les hommes d'Etat de l'Europe. Mais, le monde moderne, si fier de sa science, de sa force matérielle, de ses inventions, est-il déjà mûr pour cette fraternisation ? Après la Révolution, le peuple français s'est cru le peuple élu, le seul possédant la vérité sous la trilogie : Liberté, Egalité, Fraternité, et Napoléon, fils de la Révolution, a voulu s'arroger le droit d'imposer à l'univers sa volonté, avec sa vérité. L'Empire ne fut que l'expression de cet orgueil. Aujourd'hui, c'est le peuple allemand qui s'adjuge le flambeau. Il se croit, par le verbe d'Hitler, le seul possesseur de la vérité. Sur la foi de ses prophètes, il se proclame la conscience du monde. Dans un orgueil immense, toute la race se croit élue par Dieu pour obtenir ce résultat. Dépositaires des valeurs spirituelles, intellectuelles et morales de la race aryenne, les Allemands veulent donner aux autres peuples à la dérive la doctrine et le cadre de leur renouveau. Ils vont reprendre enfin, le rôle divin qui est, suivant ses grands penseurs, Schiller et Reimer, de stériliser ou détruire toutes les races non germaines qui refuseraient de se laisser asservir, afin de donner au monde la joie de ne plus porter que les plus parfaits des hommes ! !

Pour électriser les peuples, il faut plus d'illusions que de vérité. La vérité est trop froide, trop brutale, pour fanatiser l'esprit humain.

Cette croyance à une mission divine explique la persécution des juifs, la proclamation de l'arianisme. La vanité, l'ambition, l'orgueil ont toujours perdu les hommes. La Bible ne nous raconte-t-elle pas qu'un jour les hommes voulurent égaler les dieux et ils commencèrent la construction d'une tour qui devait s'élever jusqu'aux nues. Pour les punir dé leur témérité, Dieu créa la confusion des langues et la construction fut abandonnée.

Il est des peuples qui onl un pays natal dont ils sont fiers, qui se croient destinés à dominer les autres peuples, c'est le cas de l'Italie ; il en est d'autres qui se croient la race élue par Dieu et jurent de garder cette race pure en excluant tous les éléments, juifs ou autres, afin de remplir leur mission divine, c'est le cas de l'Allemagne ; il en est d'autres qui, dans une mystique aussi dangereuse que celle de Mahomet, de Gengis-Khan ou des Croisés, croient qu'ils peuvent régénérer le monde et dans ce but sont prêts à mettre tout à feu ou à sang, c'est le cas de la Russie ; enfin il y en a d'autres qui, isolés dans une ile ou n'étant qu'un amalgame de toutes les races de l'Univers, n'ont qu'un désir : celui de conquérir le commerce du globe.

Nous sommes encore loin des Etats-Unis de l'Europe. Les empires les plus civilisés sont toujours aussi près de la barbarie que le fer le plus poli l'est de la rouille. Les nations, comme les métaux, n'ont de poli que les surfaces !

Le pacte des grandes nations, signé à Genève par les grandes nations européennes : la France, l'Angleterre, l'Allemagne et l'Italie, a déjà effacé ce qui restait de la Société des Nations, car il a créé un nouveau système auquel les Alliés, après la chute de Napoléon, soumirent l'Europe au traité de Vienne en 1815. C'est le renouveau de la Sainte Alliance ! Nous pouvons inaugurer de l'avenir. Les petites nations ne se laisseront jamais juguler par les grandes puissances. Déjà l'Autriche repousse l'Anchluss, et avec raison. L'indépendance est le premier des biens !

A l'heure actuelle, nul ne peut sans angoisse jeter les yeux sur le spectacle qu'offre l'Europe. Après quinze années de rêve de coopération internationale, on est obligé de reconnaître que la politique de paix et de reconstruction a fait faillite, tandis que les prolétariats évolués de l'Occident et les prolétariats nus du gigantesque réservoir humain de l'Orient semblent vouloir s'affronter dans une formidable collision qui aurait pour résultat l'effondrement de la civilisation européenne. Déjà nous avons été chassés de tous les marchés asiatiques que nous dominions naguère.

La plupart des hommes d'Etat européens croient à la guerre, à d'autres guerres. Une guerre n'est-elle pas inévitable si la faillite de la Société des Nations est consacrée ? Les divers problèmes posés à Genève paraissent au premier abord insolubles, parce qu'ils soulèvent les passions nationales, mais si l'on veut éviter le renouvellement des boucheries de 1914-1918, il faut bien qu'ils soient solutionnés. N'étant pas un corps autonome, une sorte de super-état, mais composée de nations qui sont divisées et dont certaines rêvent encore de domination, il est difficile de parvenir à une entente, pourtant, tôt ou tard, ces nations parviendront à comprendre que ces divisions sont incompatibles avec la paix et la prospérité de l'humanité et l'heure est peut-être venue de choisir entre la destruction complète et l'organisation de cette ligue rêvée par Napoléon qui, pour devenir effective, exige l'abandon de quelques droits de souveraineté nationale, tout autant que ces droits sont contraires au bonheur des peuples.

A moins de déclarer la banqueroute de la civilisation européenne, il parait nécessaire de maintenir l'organisme qui seul peut contrôler les armements des diverses nations et réglementer leurs transactions et devenir le pivot de la paix et de la prospérité dans le monde. Malheureusement, l'absence de la Russie et des Etats-Unis d'Amérique de la Ligue, le retrait du Japon et de l'Allemagne, l'ultimatum du Grand Conseil Fasciste italien, menacent son existence et l'on peut se demander si elle ne disparaîtra pas avant longtemps ?

La Russie soviétique paraît pourtant vouloir abandonner les principes révolutionnaires qui ont dirigé sa politique extérieure depuis quinze ans, pour s'associer aux organisations bourgeoises qui ont prouvé leur stabilité à travers les siècles. Elle cherche à renouer des relations commerciales avec la plus capitaliste de toutes : l'Amérique. De son côté, l'Amérique qui comprend son erreur de domination économique et craignant de devenir un ermite n'ayant pour horizon que les limites de son territoire, poussée par la nécessité d'entretenir des relations commerciales avec les autres peuples, recherche aujourd'hui celles du gouvernement de l'U. R. S. S. radicalement repoussées depuis l'origine. C'est peut-être le premier pas vers Genève ?

***

Napoléon est devenu presque le maître de l'Europe. Il a enrichi toute sa famille et ses amis, dont plusieurs vont le trahir à l'heure des revers, prévue par Joséphine. Il a distribué des trônes et des honneurs à ses frères et sœurs : Louis est roi de Hollande, Hortense la reine ; Joseph est roi d'Espagne, après avoir été roi de Naples ; Jérôme est roi de Westphalie ; Murat est roi de Naples, Caroline Bonaparte la reine ; Eugène de Beauharnais est vice-roi d'Italie ayant épousé une princesse de Wittelsbach ; Lucien est prince de Panino ; Bernadotte est roi de Suède, Désirée Clary la reine ; Berthier est prince de Neuchâtel ; Pauline Bonaparte est princesse Borghèse ; Elisa, grande-duchesse de Toscane et duchesse de Lucques ; Stéphanie, la nièce de Joséphine, grande-duchesse de Bade, ayant épousé le prince héritier ; Talleyrand, prince de Bénévent ; Fouché, duc d'Otrante ; les ducs allemands ont été faits rois de Bavière, de Wurtemberg et de Saxe, et tous ces rois lui obéissent aveuglément. La naissance du roi de Rome est venue affirmer sa puissance et l'as seoir sur des fondements inébranlables puisqu'elle assure l'avenir de sa dynastie. Une libre et glorieuse carrière s'ouvre à son génie créateur qui va rayonner jusqu'aux extrémités de l'Empire et dont les exploits retentiront dans toutes les parties du monde. Dans les combinaisons de la guerre comme dans les travaux de la paix il étonnera l'Univers.

Une prodigieuse poussée industrielle et commerciale avait succédé à la Révolution politique et Napoléon avait compris que, pour activer cette évolution économique il fallait assurer des débouchés plus vastes, or ces débouchés ne pouvaient s'établir que par la paix et se maintenir dans la paix. Cette paix, il l'a veut maintenant fermement et va rechercher, avec un zèle constant, les moyens de la maintenir mais, depuis le traité de Vienne avec l'Autriche, il se heurte à son irréconciliable ennemi, l'Angleterre, qui fait des efforts désespérés pour entraîner la Russie dans une sixième coalition. Et puis, le roi de Prusse et l'empereur d'Autriche ne peuvent lui pardonner de les avoir battus et pris une partie de leurs états. L'Espagne résiste toujours : En Allemagne se forment des associations politiques pour délivrer la patrie allemande.

Comprenant que la guerre ne peut être évitée, Napoléon décide d'étouffer le germe dans l'œuf en la portant jusqu'au centre de la Russie, et, après avoir refoulé les Russes dans l'ancienne Moscovie, de rétablir l'ancien royaume de Pologne qui deviendrait alors le Boulevard de l'Empire.

Le 9 mai 1812, il quitte Saint-Cloud pour les Tuileries et de là gagne les bords du Rhin. Avant de laisser Saint-Cloud, il a écrit à Joséphine pour lui exprimer le regret de ne pas l'avoir vue avant son départ et elle lui répond de Navarre :

Sire,

J'ai reçu ce matin le billet si aimable que vous m'avez écrit au moment de partir de Saint-Cloud ; et je m'empresse de répondre à tout ce qu'il contient de tendre et de bienveillant. Je n'ai été étonnée que de l'avoir reçu quinze jours après mon établissement ici, tant j'étais persuadée que votre attachement chercherait à me consoler d'un éloignement nécessaire à la tranquillité de tous deux. L'idée que votre intérêt Ille suit dans ma retraite me la fait trouver presque agréable.

Après avoir connu toutes les douceurs d'un amour partagé, toutes les souffrances de celui qui n'est plus ; après avoir épuisé toutes les jouissances que peut procurer la suprême puissance, et le bonheur d'entendre admirer avec enthousiasme celui qu'on aime, peut-on désirer autre chose que le repos ? Quelles illusions me reste-t-il Y Je les ai toutes perdues dès qu'il a fallu renoncer à vous. Aussi je ne tiens plus à la vie que par des sentiments pour vous, à ceux que je porte à mes enfants ; par la possibilité de faire encore quelque bien ; et surtout par la certitude que vous êtes heureux. Ne me plaignez donc pas d'être ici loin de la cour, que vous pourriez croire que je regrette.

Entourée de personnes dévouées, libre de suivre mon goût pour les arts, je me trouve mieux à Navarre, que partout ailleurs ; car je jouis mieux de la société des unes, et je forme mille projets qui seront utiles aux autres et embelliront les lieux que je dois à votre bonté. Il y a beaucoup à faire ici, car partout on y découvre des traces de destruction, que je veux faire disparaître ; afin qu'il ne reste aucun souvenir des malheurs horribles que votre génie a su presque faire oublier. En réparant tout ce que des forcenés ont cherché à anéantir, je répandrai l'aisance autour de moi, et les bénédictions du pauvre me plairont infiniment plus que les adulations mensongères des courtisans.

Je vous ai déjà écrit ce que je pensais des fonctionnaires de ce département ; mais je ne vous ai pas dit encore assez de bien du respectable évêque — Mgr Bourlier, évêque d'Evreux —. J'apprends chaque jour de nouveaux traits de lui, qui me font estimer davantage un homme qui réunit à la bienfaisance la plus éclairée, l'esprit le plus aimable. Il se chargera des aumônes que je désire distribuer à Evreux : et comme il visite lui-même l'indigent, je serai très sûre qu'elles seront bien placées.

Je ne puis assez vous remercier, Sire, de la liberté que vous m avez laissée de choisir les personnes de ma maison, qui toutes contribuent à l'agrément d'une société charmante. Une seule chose m'afflige, c'est que vous exigiez une étiquette de costume un peu gênante à la campagne.

Vous craignez que l'on ne manque à ce que l'on doit au rang que j'ai conservé, si je permettais une petite infraction à la toilette de ces messieurs ; mais je crois que vous avez tort de penser que l'on oublie une minute le respect que l'on porte à la femme qui fut votre compagne. Celui que l'on a pour vous, joint à l'attachement sincère que l'on a pour moi — et dont je ne puis douter — me mettent à l'abri du danger d'être obligée de rappeler jamais ce dont vous voulez que l'on garde à ma mémoire. Mon titre le plus beau n'est pas d'avoir été sacrée, mais assurément d'avoir été choisie par vous : nul autre ne vaudra celui-là ; il suffit à mon immortalité !

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Enfin, je me trouve parfaitement au milieu de ma forêt ; et je vous prie, Sire, de ne plus vous imaginer que loin de la Cour il n'y a pas de salut. Hors vous, je n'y regrette rien, puisque bientôt j'aurai mes enfants, et que j'ai déjà le petit nombre d'amis qui me sont restés fidèles. N'oubliez pas votre amie ; dites-lui quelquefois que vous lui conservez un attachement auquel elle attache le bonheur de sa vie ; répétez-lui que vous êtes heureux, et soyez certain que son avenir sera aussi paisible que le passé fut pour elle orageux et souvent cruel.

JOSÉPHINE.

***

Joséphine désirait ardemment connaître le petit Roi de Rome. Une entrevue lui est ménagée à Bagatelle, qui portait alors le nom de Pavillon de Hollande, dans le Bois de Boulogne, où chaque jour l'y conduisait Mme de Montesquiou. Elle l'embrasse avec transport, ne peut retenir ses larmes et se complait dans l'illusion qu'elle prodigue des caresses à son propre enfant. Pour ce petit être, dont elle admire la grâce et la force, les menottes roses, les cheveux blonds, elle a perdu un trône !

A la suite de cette entrevue, elle écrivit à l'Empereur :

Avec quel plaisir j'ai pressé sur mon cœur le jeune prince ! Combien son visage, si brillant de santé, m'a rendue heureuse ! En recevant ses douces caresses, j'oubliais totalement que je n'étais pas sa mère ! Je n'enviais plus le sort de personne et la mienne paraissait au-dessus de la félicité qui est réservée aux pauvres mortels.

***

Le 14 mai 1812, l'Empereur est à Mayence et de là se rend à Dresde où il reçoit, au milieu de grandes fêtes et de magnifiques réceptions, des témoignages d'admiration et de déférence.

De Dresde, avec son armée qui compte près de 500.000 hommes, composée de dix nations différentes, il se porte à la rencontre des Russes. Le 24 juin, il franchit le Niémen. Les Russes se dérobent. L'Empereur avance toujours, les villes et les villages sont incendiés, les habitants fuient devant lui. Le 18 août, Smolensk est pris ; le 7 septembre, il gagne la sanglante bataille de la Moscowa, où trente généraux russes et quinze généraux français sont tués ; l'armée française compte 30.000 hommes hors de combat, les Russes laissent sur le champ de bataille 50.000 hommes tués, blessés ou prisonniers.

C'est après cette bataille que l'Empereur ressentit les premières atteintes du mal qui devait l'emporter à Sainte-Hélène. Des douleurs violentes à l'estomac l'obligèrent à garder quelques jours le lit et il dit : Je porte en moi les germes d'une mort prochaine. Je vais mourir de la même maladie que mon père. En effet, son grand-père, son père, son oncle Lucien et sa sœur Caroline moururent du cancer.

Enfin, il est devant Moscou, la vieille capitale des Czars, avec ses 1.200 clochers, ses coupoles bleues semées d'étoiles, dont l'apparence est plutôt asiatique qu'européenne et qui fait l'admiration de ses hommes. Il espère y établir ses quartiers d'hiver et y trouver l'abondance et le repos. Il avait compté sans le gouverneur de la ville, le comte Rostopchine.

Le 15 septembre, il entre dans la ville qui est vide, plongée dans un silence mortel, troublée seulement par le roulement des canons et des caissons d'artillerie et le pas des chevaux. Il se rend droit au Kremlin, qu'il occupe avec son Etat-Major. La nuit qui suit, le feu éclate dans la ville chinoise, Kitaïgorod, où étaient entassées toutes les richesses de l'Inde et de la Chine, et se répand avec rapidité dans tous les autres quartiers. L'incendie avait été allumé sur l'ordre du Gouverneur. Malgré tous les efforts, il fait rage pendant trois jours et bientôt la ville n'est qu'un immense brasier. Les flammes lèchent le Kremlin, qui est au centre de Moscou. Derrière les vitres de l'appartement qu'il occupe, l'Empereur voit tourbillonner les flammes. Sa sécurité est menacée, ses Maréchaux l'obligent à s'éloigner. A travers les rues en ruine, suivi de son Etat-Major et de sa Garde, il abandonne une conquête qu'il avait si chèrement achetée.

Le 15 octobre, c'est la retraite générale. La Grande Armée va refluer vers l'Allemagne, talonnée par les Russes. L'hiver prématuré, d'une rigueur extrême1, va changer cette retraite en un immense désastre. Les soldats sont mal vêtus, mal nourris, chaque jour on perd des milliers de chevaux, la cavalerie est bientôt démontée, l'artillerie harcelée par les Cosaques. Dans les plaines désolées il neigeait, il neigeait toujours. Le maréchal Ney, commandant l'arrière-garde, un fusil à la main, fait le coup de feu comme un soldat.

Au passage de la Bérézina, il faut construire des ponts de chevalets. Le général Eblé fait des prodiges, entrant lui-même jusqu'aux épaules dans la rivière qui charrie des glaçons. Malheureusement la confusion règne, les hommes sont épuisés par le froid, la fatigue et la faim. Le canon des Russes jette la panique parmi les soldats qui, dans une bousculade affreuse, cherchent, en trop grand nombre à la fois, à passer les ponts. Ceux-ci, des ponts d'allumettes, se rompent et la débâcle est complète. Ney fait des efforts héroïques mais inutiles pour rassurer ses troupes. Les généraux, les colonels, les officiers, les soldats font ensemble le coup de feu. L'escadron de Ney prendra plus tard le nom de bataillon sacré.

C'est au milieu de ce désastre que Napoléon apprend la conspiration du général Mallet. Cette conspiration lui révèle la fragilité d'un pouvoir sous lequel il a pensé jeter des bases inébranlables. Il comprend qu'il doit rallier Paris le plus rapidement possible. Il abandonne à Murat le commandement de ce qui avait été la Grande armée.

300.000 soldats de Napoléon périrent dans les neiges de la Russie !

Caulaincourt qui n'a pas quitté l'Empereur d'un pas durant cette retraite et l'a accompagné dans son traîneau jusqu'à Paris, nous a décrit, avec un réalisme positif ces jours atroces où nul détail ne manque, Moscou brûlant, les soldats gelés au bord des bivouacs, Napoléon, l'épée à la main, au milieu d'une troupe de cosaques qui manque l'enlever, l'immense détresse de l'armée, l'immense pagaille, les scènes tragiques sur la Bérézina, la tenue superbe quand même des grognards de la vieille garde.

Rien de plus émouvant, de plus hallucinant, que ces pages des Mémoires de Caulaincourt où il rapporte au jour le jour ses conversations avec l'empereur, dans ce traîneau, ouvert à tous les vents, le visage bleui par le froid, les jambes gonflées et grelottant tous les deux, tandis que Napoléon s'épanche, rêve devant lui et, avec cette faculté qu'il avait de contempler sa vie, ses actes, son destin, comme ceux d'un autre, par une espèce de dédoublement prodigieux de sa personnalité, et avoue à Caulaincourt, son grand écuyer, qui a gardé toute sa confiance, qu'il ne croit plus à l'Empire. Pourtant il aurait voulu organiser durablement son œuvre, assurer son avenir : Je ne suis pas un Don Quichotte !

***

Le 18 décembre, dans la nuit, Napoléon arrive à Saint-Cloud, où personne ne l'attendait. Triste, souffrante, inquiète, car on avait annoncé la mort de l'Empereur, Marie-Louise était déjà au lit. Le bruit des chevaux dans la cour la réveille. Avant même qu'elle puisse en connaître la cause, Napoléon était dans ses bras.

***

Le premier soin de l'Empereur est de travailler à la réorganisation de l'armée. Les événements se précipitent. Le roi de Prusse et les princes allemands qui tremblaient naguère devant l'Empereur, s'enhardissent et lui déclarent la guerre. Napoléon réunit une armée de 250.000 hommes, mais pour y parvenir il a fallu lever les conscrits de 1814 et ces jeunes soldats, en l'honneur de l'Impératrice, prennent le nom de Marie-Louise. Il gagne les batailles de Lutzen, de Bautzen et de Dresde, mais à Leipzig, les 16, 17 et 18 octobre, il est battu. C'est la bataille dite des Nations, parce que presque toutes les nations de l'Europe y furent représentées ; bataille de géants où à la tète de 200.000 hommes il soutint pendant trois jours l'effort de 300.000 ennemis ; bataille néfaste pour les armes françaises.

L'Empereur connaît alors l'amer dégoût de la trahison, car il n'a été contraint à la retraite qu'à la suite de la défection des Saxons et des Wurtembourgeois qui, sur le champ de batailleront abandonné ses rangs pour passer à l'ennemi. Il faut repasser l'Elbe. Le trône chancelle.

Le général Bernadotte, prince de Ponte-Corvo, qu'il a comblé de ses faveurs et appelé en 1810 au trône de Suède, a inspiré les états-majors de ses adversaires.

Bernadotte, couronné sous le nom de Charles-Jean, était vite devenu le chef tout-puissant de la politique extérieure de la Suède. Au cours de la lutte qu'il prévoyait finale entre Napoléon et la Russie, la Suède pouvait, en prenant parti pour le premier, avoir l'espoir de reconquérir la Finlande qui lui avait été arrachée en 1808, par la Russie, mais d'autre part, en s'alliant aux adversaires de Napoléon il avait la possibilité d'enlever la Norvège au roi de Danemark, Frédéric VI, l'alliée de Napoléon. Il choisit la dernière alternative et trahit l'Empereur qui l'avait porté au trône, en signant, avant même le commencement de la guerre franco-russe, une convention secrète avec la Russie, par laquelle celle-ci s'engageait, en cas de participation militaire, dans la coalition, à assurer la réunion de la Norvège à la Suède.

Par un traité, signé à Stockholm en 1813, la Grande-Bretagne se joignit à cet accord, assurant sa participation maritime. Après la défaite de Napoléon à Leipzig, Bernadotte pénétra avec une armée suédoise dans le Holstein, en vue d'enlever la Norvège au Danemark et le roi Frédéric VI qui savait impossible toute résistance, céda, après une courte campagne et entama des pourparlers qui aboutirent à la conclusion de la paix de Kiel (14 janvier 1814) dont l'article 4 comportait la cession par le roi de Danemark du royaume de Norvège au roi de Suède.

Murat, roi de Naples, son propre beau-père, est aussi dans la coalition et marche, avec son armée, contre celle du prince Eugène, en Italie.

Moreau, le vainqueur de Hohenlinden, qui avait été exilé en Amérique à la suite de sa conspiration avec Cadoudal, est devenu le Conseiller du czar et partage avec Bernadotte la honte de combattre sa patrie[14].

Le duc d'Angoulême s'est joint aux Anglais dans les Pyrénées. Le duc de Berry, jeune, brave et impétueux a débarqué à Jersey. Le comte d'Artois est en Hollande, à la frontière. Tous les nobles qui regrettent la monarchie conspirent contre l'Empereur. Ils sont prêts à rallier les Bourbons.

Les Alliés envahissent la France sur plusieurs points. Depuis que Napoléon commande les armées, c'est la première fois que le sol français est exposé aux insultes des envahisseurs. Ne pouvant accepter les conditions humiliantes de ses adversaires, il va reprendre la campagne.

Le 23 janvier 1814, il convoque aux Tuileries les officiers de la Garde Nationale et leur confie sa femme et son fils. Le lendemain il travaille toute la journée dans son cabinet, tandis que l'enfant joue. Le soir suivant il part et, avec une petite armée de 80.000 hommes, réunis à la hâte, sans cavalerie, sans artillerie, il va tenir tète à 400.000 envahisseurs. Il fait des prodiges de génie et, en un mois, il remporte dix victoires : Saint-Didier, Brienne, Champaubert, Montmirail, Château-Thierry, Vauchamps, Mormans, Montereau, Méry, Craonne, mais succombe enfin sous la supériorité du nombre.

Le 29 mars, Marie-Louise et le Roi de Rome se réfugient à Blois. Le roi Joseph, Gouverneur de Paris, qui devait assurer la défense de la capitale, est parti.

Sur les instances d'Eugène, Joséphine quitte la Malmaison pour se réfugier à Navarre, où Hortense va la rejoindre. L'ennemi est aux portes de Paris.

Le 31 mars 1814, les Alliés font leur entrée triomphale dans la capitale où le Czar Alexandre va dicter les conditions de la paix, tandis que Napoléon s'est réfugié à Fontainebleau. Là, comme un lion en cage, il médite sur la grande aventure de sa vie, la trahison des siens et l'inconstance des hommes. Il pouvait encore rassembler 60.000 hommes et un moment il rêva de continuer la lutte. Passant en revue sa garde, dans la Cour d'honneur du Palais[15], il s'écrit :

Soldats, l'ennemi nous a dérobé trois marches et s'est rendu maître de Paris. Il faut l'en chasser. D'indignes Français, des émigrés auxquels nous avions pardonné ont arboré la cocarde blanche et se sont joints aux ennemis. Les lâches ! ils recevront le prix de ce nouvel attentat. Jurons de vaincre ou de mourir et de faire respecter cette cocarde tricolore qui depuis vingt ans nous trouve sur le chemin de la gloire et de l'honneur !

 

Mais les maréchaux, les généraux, tous les grands qu'il avait associés à sa fortune se détournent de lui. Il avait pourtant gorgé de richesses ses compagnons de gloire. Berthier recevait plus de 1.200.000 francs de rente, comme roi de Neuchâtel ; ses maréchaux recevaient un million ; Masséna touchait comme chef d'armée 200.000, comme duc de Rivoli 200.000 et comme prince d'Essling 500.000, au total 900.000 francs ; Ney, un million et les autres généraux 200.000 francs. A Tilsitt, le 30 juin 1807, pour reconnaître les services rendus dans la campagne, il avait accordé à 27 maréchaux et généraux des domaines constitués dans les départements polonais, dont la valeur s'élevait à 26.583.652 francs. Lannes avait reçu le plus important qui valait 2.674.280 francs.

Augereau et Marmont pactisent déjà avec l'ennemi ; Ney, Mac Donald, Oudinot et Lefèvre lui conseillent d'abdiquer. Talleyrand lui fait parvenir la décision des Alliés.

Le 11 avril, il abdique, plein de dégoût et d'amertume :

Les puissances alliées ayant proclamé que l'Empereur Napoléon était le seul obstacle au rétablissement de la paix en Europe, l'Empereur Napoléon, fidèle à son serment, déclare qu'il renonce pour lui et ses héritiers au trône de France et d'Italie et qu'il n'est aucun sacrifice personnel, même celui de sa vie, qu'il ne soit pas prêt à faire aux intérêts de la France.

 

Avant de signer ce document, il a été chercher le cimeterre, enrichi de diamants, que lui avait offert le sultan Selim, et le remettant à Mac Donald, il lui dit : Je ne vous ai pas suffisamment récompensé. Aujourd'hui, je ne peux plus le faire. Prenez ce cimeterre qui m'a été donné par le sultan Selim et gardez-le en souvenir de moi.

Napoléon reçoit l'île d'Elbe en toute souveraineté, une royauté d'opérette, avec une pension annuelle de deux millions Il va s'y rendre, accompagné de 400 hommes de sa garde, du ministre Caulaincourt et des généraux Bertrand, Drouot et Cambronne. Il emporte avec lui trois millions. Les Alliés maintiennent son titre d'Empereur et de Majesté.

Le 28 avril, les troupes prennent les armes dans la cour du château de Fontainebleau. Napoléon fait ses adieux à sa Garde. Il embrasse les Aigles et s'adressant à ses vieux soldats qui pleurent :

Je ne puis vous embrasser tous, mais je le fais dans la personne de votre général. Adieu, soldats, soyez toujours braves et bons !

 

Et suffocant d'émotion, il monte en voiture et prend le chemin de l'exil.

Par le traité du 11-13 avril, dûment signé par les représentants des belligérants, Joséphine reçoit une rente annuelle de un million. Assurée par Mme Cochelet des bonnes dispositions des Alliés, elle retourne à la Malmaison.

Durant son séjour à Fontainebleau, Napoléon avait pensé à Joséphine et lui avait souvent écrit. Voici sa dernière lettre :

À L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE À MALMAISON.

Fontainebleau, le 16 avril 1814.

Je vous ai écrit le 8 de ce mois (c'était vendredi)[16] et peut-être n'avez-vous pas reçu ma lettre, on se battait encore, il est possible qu'on l'ait interceptée ; maintenant les communications doivent être rétablies. J'ai pris mon parti, je ne doute pas que ce billet ne vous parvienne.

Je ne vous répéterai jamais ce que je vous disais ; je me plaignais alors de ma situation, aujourd'hui je m'en félicite, j'ai la tête et l'esprit débarrassés d'un poids énorme ; ma chute est grande, mais au moins elle est utile, à ce qu'ils disent.

Je vais dans ma retraite substituer la plume à l'épée. L'histoire de mon règne sera curieuse ; on ne m'a vu que de profil, je me montrerai tout entier. Que de choses n'ai-je pas à faire connaître. Que d'hommes dont on a une fausse opinion !. J'ai comblé de bienfaits des milliers de misérables ! Qu'ont-ils fait dernièrement pour moi ?

Ils m'ont trahi, oui, tous ; j'excepte de ce nombre ce bon Eugène, si digne de vous et de moi. Puisse-t-il être heureux sous un roi fait pour apprécier les sentiments de la nature et de l'honneur !

Adieu, ma chère Joséphine, résignez-vous ainsi que moi, et ne perdez jamais le souvenir de celui qui ne vous a jamais oubliée et ne vous oubliera jamais. Adieu, Joséphine.

NAPOLÉON.

P. S. J'attends de vos nouvelles à l'île d'Elbe : je ne me porte pas bien.

 

Ils ne devaient plus se revoir !

***

Comme de vulgaires pirates, Talleyrand et Fouché s'attribuent les dépouilles du vaincu. Sur les ordres de Talleyrand, le trésor personnel de l'Empereur, s'élevant à 150 millions en espèces et des titres, ainsi que son service en vermeil, ses tabatières, ses bijoux, ses mouchoirs brodés, tous ses objets personnels, marqués de la lettre N, sont saisis et emportés. Un vrai vol !

Talleyrand était un homme sans moralité, sans scrupules et qui avait toutes les audaces. Alors qu'il était exilé à Philadelphie, aux Etats-Unis, avec Noailles, La Rochefoucault, Talon, Volney, l'ancien évêque d'Autun devint l'hôte le plus assidu de l'arrière-boutique du magasin de librairie de Moreau de Saint-Méry, et aussi le bout en train. Le comte de Moré nous a rapporté qu'il scandalisa un soir les Américains en s'affichant publiquement avec une négresse. Il avait, tout en le servant, conservé une profonde rancune contre l'Empereur. Il avait épousé une Mme Grand, née Catherine Noël Worlée, née aux Indes, à Tranquebar, le 21 novembre 1762, où son père, fonctionnaire du roi de France, était attaché au port de Pondichéry et plus tard, habita Chandernagor en qualité de capitaine de port. C'était une femme de grande beauté, mais de mœurs très légères. Napoléon, après avoir signé le 9 septembre 1802, dans la villa de Neuilly appartenant à Talleyrand, le contrat de mariage, ainsi que Joséphine, Cambacérès, Lebrun, le secrétaire d'Etat Maret, Archambault et Boson de Périgord, frères de Talleyrand, et les deux notaires Fleury et Lecerf, interdit à la femme l'accès des Tuileries et, lorsque, en 1804, le pape Pie VII était venu à Paris, il avait expressément stipulé qu'elle ne lui serait pas présentée. C'est qu'elle avait affronté la colère du premier Consul lorsque, pour la première fois, elle avait paru aux Tuileries, l'ayant saluée avec cette apostrophe : J'espère que la bonne conduite de la citoyenne Talleyrand fera oublier les légèretés de Mme Grant, elle avait osé répondre : Je ne saurais mieux faire que de suivre à cet égard l'exemple de la citoyenne Bonaparte.

Après la chute définitive de l'Empire, en 1817, il vendit à l'Empereur d'Autriche, par l'intermédiaire de Metternich, la correspondance secrète de l'Empereur, depuis l'an VII jusqu'à la fin de 1806, pour la somme de 500.000 francs, correspondance dérobée aux archives du ministère des Affaires étrangères.

Napoléon n'ignorait pas la vénalité de son Ministre puisque plus tard il disait à Gourgaud : Talleyrand faisait argent de tout et avait un grand talent pour l'agiotage. Je suis certain qu'il vendait certaines pièces aux Anglais, pas les choses essentielles mais les lettres secondaires qu'il envoyait à Pitt, on lui avait fait savoir que chacun de ces documents lui serait payé mille louis.

L'impératrice Marie-Louise, avec le Roi de Rome, a quitté Blois depuis le 9 avril, pour Orléans, le 25 mai elle part définitivement pour Vienne, accompagnée de la duchesse de Montebello, de la comtesse de Brignole, du comte Cafforelli, de MM. de Saint-Aignan et de Bausset et de Mme de Montesquiou Maman Quiou.

***

Joséphine, qui est revenue à la Malmaison suit de près ces tragiques événements. Son cœur est rongé de désespoir. En réponse à la dernière lettre de l'Empereur, elle lui écrit à l'île d'Elbe :

Sire,

C'est seulement aujourd'hui que je puis calculer toute l'étendue du malheur d'avoir vu mon union avec vous, cassée par la loi ; et que je gémis de n'être pour vous qu'une amie, qui ne peut que gémir sur un malheur aussi grand qu'il est inattendu.

Ce n'est pas de la perte d'un trône que je vous plains ; je sais par moi-même que l'on peut s'en consoler, mais je me désole du chagrin que vous aurez éprouvé en vous séparant de vos vieux compagnons de gloire. Vous aurez regretté non seulement vos officiers, mais les soldats - dont vous vous rappeliez les figures, les noms, les brillants faits d'armes ; que vous ne pouviez tous récompenser, disiez-vous, parce qu'ils étaient trop nombreux. Laisser de pareils héros privés de leur chef, qui partagea si souvent leurs fatigues, aura été pour votre cœur une douleur insupportable ; c'est celle-là surtout que je partage.

Vous aurez eu encore à pleurer sur l'ingratitude et l'abandon d'amis, sur lesquels vous croyiez pouvoir compter. Ah ! Sire, que ne puis-je voler près de vous pour vous donner l'assurance que l'exil ne peut effrayer que des âmes vulgaires ; et que loin de diminuer un attachement sincère, le malheur lui prête une nouvelle force.

J'ai été au moment de quitter la France, de suivre vos traces, de vous consacrer le reste d'une existence que vous avez embellie si longtemps. Un seul motif m'a retenue, et vous le devinez.

Si j'apprends que, contre toute apparence, je suis la seule qui veuille remplir son devoir, rien ne me retiendra, et j'irai au seul lieu où puisse être désormais pour moi le bonheur, puisque je pourrai vous consoler, lorsque vous y êtes isolé et malheureux ! Dites un mot, et je pars[17].

Adieu, Sire, tout ce que je pourrais ajouter serait de trop. Ce n'est plus par des paroles que l'on doit prouver ce que vous inspirez, et pour des actions il me faut avoir votre consentement.

JOSÉPHINE.

La Malmaison a été respectée. J'y suis entourée d'égards des souverains étrangers ; mais je voudrais bien n'y pas rester.

***

Aussitôt arrivé au pont de Neuilly, l'Empereur Alexandre de Russie avait envoyé une sauvegarde pour protéger Joséphine et après son retour à Malmaison, il avait écrit pour demander à être reçu :

Je brûlais du désir de vous voir, Madame ; depuis que je suis en France, je n'ai entendu que bénir votre nom. Dans les chaumières comme dans les châteaux, j'ai recueilli des détails sur votre angélique bonté et je me fais un plaisir d'apporter à Votre Majesté les bénédictions dont je me suis chargé pour elle.

ALEXANDRE.

 

Devant l'histoire, voici la plus belle réponse à toutes les ignominies dont on a voulu accabler la mémoire de l'Impératrice !

Joséphine décide de recevoir l'Empereur Alexandre. Pour ce grand événement, le grand couturier Le roi crée une robe merveilleuse. Us se promènent assez longtemps dans le parc, avec la reine Hortense, Alexandre leur donnant à toutes deux le bras. Par la suite, il lui rend de fréquentes visites.

Pour témoigner sa reconnaissance au Czar et le remercier de ses attentions et de ses bontés, elle lui écrit :

Sire,

Mon cœur éprouve le besoin de témoigner à Votre Majesté toute ma reconnaissance. Je n'oublierai jamais qu'à peine arrivé à Paris — car je ne veux pas dire entré —, vous avez daigné vous souvenir de moi. Au milieu des malheurs qui affligent ma patrie, ces égards me seraient presqu'une consolation, s'ils pouvaient s'étendre sur une personne qu'il me fut jadis permis de nommer avec orgueil. Vous-même, Sire, la nommiez-vous alors avec les expressions d'une auguste amitié. En vous rappelant un sentiment qui fut partagé, c'est nous rappeler à ce que son souvenir demande.

Dans une âme telle que la vôtre, il ne sera jamais effacé.

JOSÉPHINE.

 

Avec cette lettre, elle lui envoie, en cadeau, le beau camée qu'elle avait reçu du Pape, lors de son couronnement.

On a reproché à Joséphine d'avoir pactisé avec les ennemis de la France, vainqueurs de Napoléon qu'ils avaient exilé. On le voit, elle ne recherchait que le moyen d'adoucir cet exil.

Pour l'Empereur, elle avait conservé un attachement tenant au culte. A la Malmaison, son appartement, au rez-de-chaussée, qui avait connu de si brillantes réceptions, le billard, le vestibule, le salon, la salle à manger, la galerie pleine de tableaux et d'admirables statues, étaient restés exactement dans le même état où il les avait laissés, comme si elle attendait le retour du maître. Elle n'avait pas permis qu'on dérangeât une seule chaise, préférant être mal logée au premier. Un livre d'histoire était posé sur le bureau de l'Empereur, marqué à la page où il s'était arrêté ; la plume dont il se servait, conservait l'encre qui avait dicté à l'Europe ses volontés ; une mappemonde, sur laquelle il montrait aux confidents de ses projets les pays qu'il voulait conquérir, portait les marques de quelques mouvements d'impatience, occasionnés peut-être par une légère observation. Elle avait soin, elle-même, d'ôter la poussière qui souillait ces précieuses reliques et rarement elle donnait la permission d'entrer dans ce sanctuaire.

Le lit romain de Napoléon était sans rideaux, des armes étaient suspendues aux murailles, et quelques pièces de l'habillement d'un homme se trouvaient éparses sur les meubles. Il semblait que l'Empereur fût prêt à entrer dans cette chambre dont il s'était banni pour toujours. Le rez-de-chaussée, d'une extrême magnificence, contenait une foule de tables de mosaïques de Florence, des pendules en lapis et en agate ; des bronzes d'un travail précieux, et des porcelaines de Sèvres, données par l'Empereur. Le meuble du salon était en tapisserie, c'était l'ouvrage de l'Impératrice ; le fond en soie blanche, et le double J enlacé en roses pompons ; quand il y avait peu de monde on le couvrait de housses de gros de Naples gris[18].

Le mobilier que l'on y voit aujourd'hui a été réuni, lors de l'Exposition Universelle de 1867, par l'Impératrice Eugénie. La Malmaison, d'abord vendue au banquier Haguermann, qui s'était empressé de se défaire des jardins, fut rachetée en 1842 par l'Empereur Napoléon III. Il paya la somme de un million cent mille francs. Complètement restauré, embelli, le château reprit sa physionomie du Consulat et de l'Empire. En 1867, Napoléon III y accrocha lui-même les principaux tableaux, à la place où il se souvenait les avoir vus dans son enfance ; le général Bonaparte à cheval, par Gros ; l'Impératrice Joséphine, par Prud'hon ; le prince Eugène en officier d'ordonnance du général Hoche ; le premier Consul, en uniforme, se promenant dans le jardin, devant la façade du château, par Isabey. Les meubles et objets divers, réunis par l'Impératrice Eugénie comprennent : la table du conseil des ministres ; le surtout en marbre et pierres précieuses offert à Napoléon par le Roi d'Espagne Charles IV ; le métier à tapisser de l'Impératrice, sa harpe ; le globe terrestre ayant servi à l'instruction du Roi de Rome ; le bureau de campagne de l'Empereur ; la pendule de sa chambre à Sainte-Hélène ; le petit lit de fer, aux rideaux en soie verte, où il mourut.

En 1871, la Malmaison fut occupée par les Allemands qui y commirent, bien entendu, des dégradations. Des cuivres furent arrachés des meubles et les pierreries qui ornaient la grande cheminée du boudoir volées.

En 1877, le château fut revendu par l'Impératrice Eugénie, passa ensuite entre les mains de plusieurs propriétaires pour être enfin acheté par M. Osiris, le grand philanthrope, qui le fit restaurer et l'offrit généreusement à l'Etat.

On y a ajouté tout récemment la bibliothèque personnelle de l'Empereur, qu'il avait emportée avec lui à Sainte-Hélène et que, durant tant de jours interminables, tant de nuits d'insomnie, tandis que retentissait autour de lui la grande voix de l'Océan irrité, l'auguste prisonnier a feuilleté, dans le vain espoir de distraire sa pensée et d'apaiser le tumulte de son cœur. Cette bibliothèque avait été léguée, par testament, à son fils, qui ne devait jamais la recevoir ; Marie-Louise la posséda avec l'insouciance de son âme légère et, après sa mort, elle devint la propriété de la famille impériale d'Autriche. D'archiduc à archiduc, de génération à génération, on se la passait comme un objet d'orgueil et de curiosité. Mais les jours de malheur vinrent ; la maison d'Autriche s'effondra en 1918, les jours de gêne suivirent et les volumes marqués au chiffre impérial, ces belles reliures vertes et rouges, s'étagent aujourd'hui dans les bibliothèques du cabinet de travail de l'Empereur.

La Malmaison possède aussi d'autres merveilleuses reliques. Au fond de la Cour d'honneur, à droite en entrant, se trouvent les écuries et les remises. Là, immobiles et silencieux, depuis plus d'un siècle, sont deux carrosses. L'un est gracieux, tout lumineux d'or et de vermillon, l'intérieur est capitonné de soie cerise : c'est l'Opale, le carrosse de gala de Joséphine ; l'autre est court, trapu, robuste comme un affût de canon ; ses roues taillées en plein cœur de chêne, sont recouvertes d'épaisses ferrures afin de supporter les fatigues des longues routes et les accidents de terrain ; point d'ornement, et presque point de peinture ; si vous ouvrez la portière, la simplicité de l'intérieur égale la simplicité de l'extérieur, mais un agencement ingénieux permet de transformer la pièce exiguë qu'il forme tantôt en salle à manger, tantôt en salon, tantôt en chambre a coucher et tantôt en cabinet de travail avec une vaste planche où l'on voit encore les traces laissées par les pointes qui y fixaient les cartes. C'est la voiture de campagne de l'Empereur !

Il a parcouru toute l'Europe, ce simple et fruste carrosse. Il a escaladé les pentes brûlées de l'Estramadure ; il a traversé maintes fois le Rhin ; il a franchi le Danube ; il s'est enlisé dans les neiges de la Russie ; il a passé la Bérézina et la Moskowa glacée. C'est la sainte relique de la gloire près de la douce relique de l'amour !

Lorsque, la nuit venue, les ténèbres envahissent lentement les vastes remises vides, que tout est silence et obscurité, et qu'au dehors, sous les grands arbres et sur les pelouses, des ombres mystérieuses s'agitent et se font signe, des fantômes, sans doute, viennent rôder autour des deux carrosses, chargés de si lourds et de si délicieux secrets !

Versailles, c'est Louis XIV, Fontainebleau c'est François Ier, l'Escurial c'est Philippe II, Sans-Souci, c'est le grand Frédéric, la Malmaison c'est Joséphine, l'Impératrice des roses, c'est le cadre où rayonna sa grâce nonchalante de créole !

 

 

 



[1] On a toujours dépeint Joséphine comme une insouciante et indolente créole, éloignée de la politique, ne s'occupant que de toilettes, de bijoux et de fleurs. Voici une lettre, modèle de style noble et élevé, qui contient des sentiments qui feraient honneur à tous les souverains qui veulent sincèrement le bonheur de leurs peuples et la prospérité de leurs royaumes.

[2] Rapporté par Mme de Rémusat.

[3] C'est mon divorce qui m'a perdu.

[4] C'est une erreur de date. Il s'agit du Traité de Paris (1763) qui termina la guerre de Sept ans, la France cédant ses colonies aux Anglais, ne conservant aux Indes et dans les Antilles que des établissements de médiocre importance.

[5] Il est élevé à la dignité du prince de Neufchâtel.

[6] Caroline Bonaparte, mariée à Murat.

[7] Au 1er janvier 1810, l'Empereur avait cru régler toutes les dettes, s'élevant à près de deux millions, mais Joséphine n'avait pas tout avoué.

[8] La reine Hortense.

[9] Ce château, construit au XIVe siècle et racheté par l'Empereur, en février 1810, faisait jadis partie du comté d'Evreux et devait son nom à Jeanne de France, reine de Navarre, comtesse d'Evreux. Il fut dévasté durant la Révolution et la confiscation prononcée le 8 floréal an II :

Après avoir fait annoncer l'achat de cette belle propriété, l'Empereur avait écrit à Joséphine :

Mon amie, j'espère que tu auras été contente de ce que j'ai fait pour Navarre. Tu y auras vu un nouveau témoignage du désir que j'ai de t'être agréable.

Fais prendre possession de Navarre ; tu pourras y aller le 23 mars passer le mois d'avril.

Adieu, mon amie. NAPOLÉON.

[10] M. de Saint-Hilaire n'était pas encore arrivé avec la lettre de l'Empereur.

[11] Après la chute de l'Empire, l'Empereur d'Autriche lui donna le titre de Duc de Reichstadt. Il mourut le 22 juillet 1832 au château de Schœnbrunn dans la même chambre, où, après Wagram, triomphant pour la dernière fois et s'endormant dans toutes les illusions du succès et de la victoire, son père avait dicté en conquérant la paix à ses adversaires et signé le traité de Vienne, entouré de sa famille autrichienne. Il avait un peu plus de vingt et un ans. Ses restes reposent à Vienne, dans la sombre crypte de la petite église des Capucins, à côté de celle de François II, son grand-père, et d'où il est question de les transférer à Paris, pour être placés auprès du sarcophage de granit rouge de l'Eglise Saint-Louis des Invalides où dort son père, sur les bords de la Seine, au milieu de ce peuple français qu'il a tant aimé.

[12] Les pays allemands entre l'embouchure du Rhin et celle de l'Elbe sont devenus départements français ; le Piémont et les anciens Etats du pape sont aussi devenus départements français.

[13] Il écrivit un jour ces trois mots sur une feuille de papier alors qu'il dirigeait une séance du Conseil d'Etat. Il avait pour habitude d'écrire ou de dessiner tout en écoutant parler les autres.

[14] Moreau fut tué à la bataille de Dresde, dans les rangs ennemis.

[15] Jadis la Cour du cheval blanc.

[16] Dans cette précédente lettre, il disait : ... j'ai cherché dans plusieurs combats à rencontrer la mort ; je ne puis plus la redouter ; elle serait aujourd'hui un bienfait pour moi... mais je voudrais revoir une seule fois Joséphine !

[17] Quelle différence d'attitude avec Marie-Louise qui oublia bien vite Napoléon dans les bras du général comte de Neipperg, l'homme à bonne fortune, le Don Juan moderne, puis dans ceux du comte Charles de Bombelles.

[18] Mémoires de Mme Bochsa.