JOSÉPHINE

IMPÉRATRICE DES FRANÇAIS - REINE D'ITALIE

 

LE DEUXIÈME MARIAGE.

 

 

Sortie de prison, Joséphine se précipite chez sa tante Fanny et, après avoir retrouvé ses enfants, va demeurer quelques jours à Fontainebleau, chez son beau-père pour revenir ensuite à Paris où elle va connaître des jours de disette et de pauvreté. Les ci-devant nobles ne sont plus traqués et pourchassés, et, ceux qui vivaient cachés, depuis deux années dans des greniers ou des caves, peuvent sortir à la lumière du jour, mais quel sort leur est réservé ? Décharnés, habillés de loques ou d'habits défraîchis, ceux qui furent de puissants seigneurs, des ducs et des marquis en blouses d'ouvriers, des marquises et des comtesses tètes nues, en caracos de femmes du peuple, n'ayant plus de ressources, sans asiles, vont par les rues cherchant du travail. Ils n'ont plus la peur de la mort mais leurs biens ont été confisqués, et ils passent, mélancoliques, devant leurs anciens palais devenus propriétés nationales. Il leur faut maintenant mendier ou travailler et, c'est ainsi que pour subsister, Joséphine, après avoir vendu ses bijoux, se fait marchande de robes, de chapeaux, de bas, allant de maison en maison offrir sa marchandise, afin de gagner une maigre commission. Tous les biens de son mari ont été confisqués, donc plus de rente de ce côté et, de la Martinique, bouleversée par la Révolution et de plus occupée par les Anglais, elle ne reçoit plus d'argent.

Certains jours, elle doit prendre ses repas chez une dame Dumoulin, femme fort riche et très obligeante, qui lui a voué une grande affection et l'accueille avec empressement. Elle reçoit un petit nombre d'amis dont la fortune a disparu. Chacun doit apporter son pain, objet alors de grand luxe. Joséphine, trop pauvre, est dispensée de cette obligation.

Ce n'est que le 20 novembre 1794 qu'elle écrit à sa mère pour lui faire part de ses malheurs. Par suite de l'état de guerre, les occasions étaient fort rares pour la Martinique : Une personne qui part pour la Nouvelle Angleterre se charge, ma chère maman, de vous faire parvenir cette lettre. Je serai bien heureuse qu'elle puisse vous apprendre que votre fille et vos petits-enfants se portent bien. Vous avez sans doute appris le malheur qui m'est arrivé. Je suis veuve depuis quatre mois ; il ne me reste de consolation que mes enfants et vous, ma chère maman, pour unique soutien. Mon vœu le plus ardent est de nous voir réunis un jour et j'espère bien que les circonstances nous serviront assez bien pour le voir réalisé. Adieu, ma chère maman, recevez mes tendres embrassements et ceux de vos petits-enfants. Il ne se passe pas de jour que nous ne parlions de vous et que nous n'aspirions au bonheur de vous voir. Adieu encore, ma chère maman, votre fille vous aime de tout son cœur.

LAPAGERIE Veuve BEAUHARNAIS.

Ne m'oubliez pas auprès des parents et amis. Bonjour à tous les nègres de l'habitation, mille amitiés au citoyen Blanqué[1].

A la veuve Lapagerie sur son habitation aux Trois-Islets à la Martinique.

 

Sa situation financière devenant de plus en plus difficile elle écrit à sa mère, le 10 décembre 1794 :

Je suis bien heureuse, ma chère maman, d'avoir trouvé une occasion pour vous donner de mes nouvelles. Je l'ai inutilement cherchée jusqu'à ce jour, je voudrais bien qu'il s'en trouve une qui put m'apprendre que vous êtes aussi heureuse et aussi tranquille que je désire que vous le soyez. Quant à votre pauvre fille, elle existe ainsi que ses enfants, mais ils ont eu le malheur de perdre leur père. J'avais des raisons d'être attachée à mon mari qui me font regretter sa perte ; mes enfants n'ont plus que moi pour maigre soutien et je ne tiens à la vie que pour les rendre heureux. Ils doivent, ainsi que moi, leurs moyens d'existence aux bontés de M. Emery[2], de Dunkerque. J'ignore sans lui ce que nous serions devenus, attendu que mes malheureux enfants sont privés de la fortune de leur père. Vous sentez bien que cette position ne peut durer Longtemps et que plus l'honnête Emery met de générosité à m obliger et moins je dois en abuser. Je ne doute pas, ma chère maman, que vous ne partagiez toute la reconnaissance que je lui dois et que vous ne m'aidiez à acquitter envers lui et envers son associé Wankee, tout aussi bon que lui. Rappelez-moi, je vous prie, aux souvenirs de ma famille. J'embrasse Fifine[3].

 

Mais l'argent demandé n'arrive pas. Les revenus de l'habitation ont sensiblement diminué depuis la mort du père et, d'autre part, la propriété que possédait les Lapagerie, au quartier de Léogane, dans l'île de la Tortue, dépendant de Saint- Domingue, a été totalement dévastée par les nègres révoltés. Elle ne produit plus rien.

Sur les indications de l'ami Emery, elle écrit de nouveau à sa mère :

Voici un moyen qui m'est offert pour recevoir de vos nouvelles, en même temps pour vous donner la facilité de venir à mon secours. Vous pouvez m'adresser des fonds chez MM. Matthiessen et Sillem, à Hambourg, qui auront des moyens certains de me les faire tenir ; d'ailleurs ils vous indiquent la marche que vous aurez à tenir pour ne rien risquer sans être bien sûre du succès. Vous serez libre de tirer des lettres de change ou de m'adresser des sucres, si vous pouvez m'envoyer cinquante mille livres tout de suite et après, tous les trois ou six mois, me faire passer exactement ce que vous jugerez à propos de m'envoyer. Je vous avoue qu'il ne m'en faut pas moins pour subvenir à mes besoins et à ceux de mes enfants ; car maintenant nous n'avons que vous pour donner du pain. Vous devez savoir que le tableau que je vous fais de ma position n'est point exagéré. Donnez-moi des nouvelles de votre santé en m'annonçant l'envoi des fonds que nous attendons de votre bonté. Adressez-le tout aux Banquiers que je viens de vous indiquer. Qu'il me tarde, ma chère maman, de nous réunir pour ne plus nous séparer. Mes enfants sentent comme moi ; ils ne peuvent être heureux que lorsqu'ils pourront jouir de ce bonheur. Ils vous présentent leurs tendres respects, j'en fais autant, ma chère maman et vous embrasse de tout mon cœur. Votre fille.

LAPAGERIE Veuve BEAUHARNAIS.

 

Un mois s'écoule et toujours rien. Le 17 janvier 1795, Joséphine écrit à sa mère :

C'est notre bon ami Emery qui me procure l'occasion de causer avec vous, ma chère maman. Je n'en manque aucune depuis un mois, en voilà trois que je saisis avec empressement, j'espère que les tendres expressions de votre pauvre Yeyette et de ses enfants vous parviendront. Elle a besoin d'en recevoir de vous, son cœur souffre d'en être si longtemps privé. M. Emery vous écrit en même temps que moi pour vous dire combien il est avantageux pour vous et pour moi de faire passer des fonds à Hambourg à MM. Matthiessen et Sillem, pour être renvoyés à MM. Emery et Wankee, et à moi une procuration pour en faire le placement. Vous avez sans doute appris les malheurs qui me sont arrivés et qui ne me laissent, avec mes enfants, d'autres moyens d'existence que vos seules bontés. Je suis veuve et privée de la fortune de mon, mari ainsi que ses enfants. Vous voyez, ma chère maman, combien j'ai besoin d'avoir recours à vous. Sans les soins de mon bon ami Emery et de son associé, je ne sais ce que je serais devenue. Je connais trop votre tendresse pour avoir le plus petit doute sur l'empressement que vous mettrez à me procurer les moyens de vivre et de reconnaître, en m'acquittant, de ce que je suis redevable à M. Emery. Les moyens sûrs que je vous indique peuvent vous servir toujours ou ceux que M. Emery vous indiquera. Vous pouvez vous fier à lui et suivre la route qu'il vous tracera. D'après cela je compte sur vos bontés pour ne pas me laisser plus longtemps dans le besoin et faire tous les trois ou quatre mois un envoi. Mes enfants se portent bien, ils vous aiment et vous embrassent bien tendrement. J'en fais autant, ma chère maman, et j'espère après l'instant qui nous réunira pour ne plus nous quitter. C'est là le vœu le plus ardent de votre pauvre Yeyette.

Après que ma lettre a été finie, M. Wankee, associé de la maison d'Emery et Wankee, de Dunkerque, arrivé de cette ville, me conseille de vous engager à faire passer à Londres ou à Hambourg les fonds que je vous demande. Et comme ils ont ma confiance sans borne, je vous prie, ma chère maman, de faire tout ce qu'ils vous conseilleront de faire pour le plus grand avantage de vos intérêts et des miens.

Adieu, je vous embrasse encore de tout mon cœur.

LAPAGERIE Veuve BEAUHARNAIS.

 

Enfin la mère répond. Elle ne peut malheureusement envoyer qu'une petite somme et les envois qui suivent se font de plus en plus rares et de plus en plus limités.

Une année s'écoule. La situation devient critique. Joséphine a fait des dettes qu'elle ne peut rembourser. Elle écrit au Directoire Exécutif pour demander que les biens de son mari lui soient restitués. Elle expose que la propriété des Lapagerie[4], à Saint-Domingue, a été complètement dévastée et pillée par les rebelles et demande au nom de ses enfants et en mémoire de leur père, qu'il soit livré entre ses mains ou celles de son fondé de pouvoir[5] telle quantité de sucre et de café que le Gouvernement estimera convenable pour indemniser, au moins en partie, ses enfants des pertes qu'ils ont éprouvées.

Le Directoire, par un arrêté du 16 thermidor an VI, charge l'agent Hédouville de faire un rapport sur cette demande mais celui-ci déclare ne pouvoir proposer l'adoption souhaitée, aucune loi n'ayant mis des fonds à la disposition du gouvernement pour indemniser les propriétaires-colons dont les habitations ont été pillées ou incendiées, et la demande est repoussée.

Elle s'adresse directement à Barras qui, sur la demande de Thérésia que Joséphine a fait intervenir, lui avance un peu d'argent. Elle décide alors de se rendre à Hambourg, où elle parvient à négocier trois lettres de change sur sa mère, ainsi que le confirme cette lettre, datée de Hambourg :

Je ne néglige aucun moyen, ma chère maman, de vous faire parvenir des nouvelles de ce qui vous est cher, c'est-à-dire de mes enfants et de moi. Procurez-vous, autant que vous en trouverez l'occasion, la même jouissance. Vous ne doutez, sûrement pas, quel bonheur nous éprouvons à la réception de vos lettres. La tendresse qu'elles expriment en excitant notre sensibilité peut seule nous dédommager d'une trop longue absence[6].

Je ne puis trop vous répéter, ma chère maman, combien il devient de plus en plus nécessaire pour vous et pour vos enfants de faire passer le plus possible de fonds à Hambourg, il n'est pas douteux que vous n'ayez un jour à vous louer de cette sage précaution ; c'est l'avis de vos meilleurs amis. Dussiez-vous même faire des sacrifices, ils ne balancent pas à prononcer que c'est encore ce que vous pouvez faire de mieux pour notre bonheur commun[7]. Vous avez dû déjà recevoir leur avis à ce sujet. Vous savez, ma chère maman, que ces mêmes amis m'ont alimentée depuis trois ans, vous jugez d'après cela que je leur suis redevable de sommes considérables, d'autant plus qu'on ne vit ici qu'à frais énormes. D'après ce que vous avez mandé à ces Messieurs, ainsi qu'à moi, ils m'ont conseillé de tirer sur vous des lettres de change, ce que j'ai fait, vous recevrez donc, ma chère maman, trois lettres de change que je viens de tirer sur vous d'Hambourg, le 29 octobre, à trois mois de vue, à mon ordre, en trois effets suivants : de 400, en première, seconde et troisième de 350 et 250, au total 1.000 livres sterling. Je ne vous. dis pas combien il est important de remplir ces engagements, puisque les mêmes effets sont pressés pour les faire négocier par mes amis, qui me font vivre ainsi que mes enfants. Pourquoi .ne sommes-nous pas réunies, ma chère maman, que de pleurs et de chagrins un tel bonheur eût épargné à votre chère Yeyette. Elle espère voir bientôt se réaliser ce qu'elle désire depuis si longtemps, il faut pour cela suivre le conseil de vos bons amis, qui est de faire passer ici tout ce que vous possédez et ensuite venir rejoindre vos enfants qui vous aiment et vous chérissent. Recevez-en l'assurance en leurs plus tendres caresses. Adieu, ma bonne et très aimée maman.

JOSÉPHINE Veuve BEAUHARNAIS.

Mon beau-père et mes tantes se portent bien. J'embrasse ma famille et mes amies. Amitiés à tous les domestiques. J'embrasse ma nourrice.

 

Avec les fonds ainsi recueillis, elle rentre à Paris et dédommage, en grande partie sinon en totalité, ses créanciers, dont Barras[8].

Avec le concours de Thérésia, elle obtient de Barras, le membre le plus influent du Directoire[9], que les biens de son mari lui soient rendus et, c'est à la suite de cette faveur qu'elle devint une des habituées de la Chaumière[10], comme on appelait la maison du Directeur, dans l'Allée des Veuves, proche le Rond-point des Champs-Elysées. On y soupait souvent et parmi les intimes on comptait Merlin de Thionville, Thuriot, Léonard[11], Bourdon, Legendre, Rovère, Fréron, qui avaient soutenu énergiquement Tallien dans sa lutte contre Robespierre — le tyran.

C'est là qu'un soir, elle retrouva le petit Corse, au teint olivâtre, aux cheveux emmêlés — le général Bonaparte — qui, depuis le 13 vendémiaire était devenu le Commandant en chef de l'armée de l'Intérieur et que Barras affirmait destiné au plus grand avenir. Elle l'avait vu la première fois lorsque le général, ayant autorisé son fils, le petit Eugène, à conserver l'épée de son père[12], elle était allée le remercier, par politesse et reconnaissance. Bonaparte avait reçu le coup de foudre en la voyant. Il en rêvait depuis et, après cette soirée chez Barras, il devait en devenir follement amoureux au point de la rechercher pour femme. Le général qui considérait comme une injure de s'entendre continuellement appeler le petit Corse, pensa trouver dans cette alliance, avec une grande dame de l'ancienne noblesse, la réponse à cette appellation : je deviendrai ainsi Français. Epouser une vicomtesse, la veuve d'un ancien Maréchal de camp, ministre de la guerre, commandant en chef de l'armée du Rhin, n'était-ce pas s'illustrer lui-même ?

Barras qui, de son côté, avait besoin d'un sabre pour se maintenir au pouvoir, allait pousser à cette alliance, pensant ainsi s'attacher à jamais le jeune général. Pour arriver à ce résultat, il alla jusqu'à promettre à Bonaparte, dont il avait apprécié les talents militaires lorsqu'il avait fait appel à lui pour écraser les sections rebelles, mais dont il savait aussi l'ambition, le commandement de l'armée d'Italie.

Ce petit Corse, au regard brûlant, fascinateur, savait intéresser les dames en lisant l'avenir dans les lignes de la main. Il avait aussi un vrai talent de prestidigitateur et s'amusait à gagner aux cartes pour rendre ensuite l'argent. On le trouvait drôle dans son uniforme trop grand, des cheveux mal peignés, le visage pâle. Joséphine qui le traite de chat botté hésite tout d'abord à écouter ses déclarations, repousse ses avances. Certains écrivains lui ont reproché sa froideur vis-à-vis de Bonaparte, son indifférence même. Une femme, déjà d'un certain âge, mère de deux enfants, qui a connu les déceptions d'un premier mariage et dont la vie a été si cruellement bouleversée, pouvait-elle répondre, comme une vierge de seize ans, aux emballements, aux serments éternels, aux expressions brûlantes, à la passion sans bornes du jeune général ? Il ne faut pas oublier que Bonaparte n'avait alors pour toute fortune que sa cape et son épée — il est vrai que tout soldat porte dans sa giberne un bâton de maréchal —, et Joséphine, elle-même pauvre, sans ressources, avait à assurer son existence et celle de ses deux enfants. Ne ressentant aucun amour pour le jeune général, la sagesse lui conseillait de rechercher un homme plus mûr, une situation plus assise. Personne ne peut lire dans l'avenir !

Barras qui voyait le jeune général sérieusement épris, le questionne et lui fait la promesse d'influencer Joséphine. Il lui promet même le commandement de l'armée d'Italie, dès la réalisation de cette union. Joséphine hésite toujours. Elle consulte son notaire, Me Raquideau, qui la déconseille. Indécise, elle écrit à une amie sûre qui voyage en Italie :

On veut que je me remarie, ma chère amie ! tous mes amis me le conseillent, ma tante me l'ordonne presque, et mes enfants m'en prient. Pourquoi n'êtes-vous pas ici pour me donner vos avis dans cette importante circonstance, pour me persuader que je ne puis refuser cette union qui doit faire cesser la gêne de ma position actuelle ? Votre amitié, dont j'ai eu tant à me louer, vous rendrait clairvoyante pour mes intérêts ; et je me déciderais sans balancer dès que vous auriez parlé.

Vous avez vu, chez moi, le général Bonaparte ; et bien, c'est lui qui veut servir de père aux orphelins d'Alexandre de Beauharnais, d'époux à sa veuve !

L'aimez-vous, allez-vous me demander ? Non, mais je me trouve dans un état de tiédeur qui me déplaît et que les dévots trouvent plus fâcheux que tout en fait de religion ; l'amour étant une espèce de culte, il faudrait aussi avec lui se trouver toute différente de ce que je suis ; et voilà pourquoi je voudrais vos conseils, qui fixeraient les irrésolutions perpétuelles de mon caractère faible. Prendre un parti a toujours paru fatiguant à ma créole nonchalance, qui trouve infiniment plus commode de suivre la volonté des autres.

J'admire le courage du général, l'étendue de ses connaissances en toutes choses dont il parle également bien ; la vivacité de son esprit, qui lui fait comprendre la pensée des autres, presqu'avant qu'elle ait été exprimée, mais je suis effrayée, je l'avoue, de l'empire qu'il semble vouloir exercer sur tout ce qui l'entoure. Son regard scrutateur a quelque chose de singulier qui ne s'explique pas, mais qui impose même à nos directeurs ; jugez s'il doit intimider une femme ! Enfin, ce qui devait me plaire, la force d'une passion, dont il parle avec une énergie qui ne permet pas de douter de sa sincérité, est précisément ce qui arrête le consentement que je suis souvent prête à donner.

Ayant passé la première jeunesse, puis-je espérer de conserver longtemps cette tendresse violente qui, chez le général, ressemble à un accès de délire ? Si, lorsque nous serons unis, il cessait de m'aimer, ne me reprochera-t-il pas ce qu'il aura fait pour moi ? Ne regrettera-t-il pas un mariage plus brillant qu'il aurait pu contracter ? Que répondrai-je alors ? Que ferai-je ? Je pleurerai la belle ressource ! vous écriez-vous. Mon Dieu, je sais que cela ne sert à rien, mais dans tous les temps c'est la seule ressource que j'ai trouvée lorsque l'on blessait mon pauvre cœur, si aisé à froisser. Ecrivez-moi promptement et ne craignez pas de me gronder, si vous trouvez que j'ai tort. Vous savez que venant de vous tout est bien reçu.

Barras assure que si j'épouse, le général, il lui fera obtenir le commandement en chef de l'armée d'Italie. Hier, Bonaparte, en me parlant de cette faveur, qui fait déjà murmurer ses frères d'armes, quoiqu'elle ne soit pas encore accordée : Croient-ils donc, me disait-il, que j'aie besoin de protection pour parvenir. Ils seront tous trop heureux, un jour, que je veuille bien leur accorder la mienne. Mon épée est à mon côté et avec elle j'irai loin.

Que dites-vous de cette certitude de réussir ? n'est-elle pas une preuve d'une confiance provenant d'un amour-propre excessif ? Un général de brigade, protéger les chefs du gouvernement ! cela est en effet fort probable. Je ne sais, mais quelquefois cette assurance ridicule me gagne au point de me faire croire possible tout ce que cet homme singulier se mettrait dans la tête de faire ; et avec son imagination, qui peut calculer ce qu'il entreprendrait ?

Nous vous regrettons tous ici, et nous nous consolons de votre absence prolongée en parlant de vous à tout instant, et en cherchant à vous suivre pas à pas dans le beau pays que vous parcourez. Si j'étais sûre de vous trouver en Italie, je me marierais demain à condition de suivre le général ; mais nous nous croiserions peut-être en route ; ainsi je trouve plus prudent d'attendre votre réponse avant de me déterminer. Hâtez-la ; et votre retour encore davantage.

Mme Tallien me charge de vous dire qu'elle vous aime tendrement. Elle est toujours belle et bonne ; n'employant son immense crédit qu'à obtenir des grâces pour les malheureux qui s'adressent à elle ; et ajoutant à que ce qu'elle accorde, un air de satisfaction qui lui donne l'air d'être obligée. Son amitié pour moi est ingénieuse et tendre ; je vous assure que celle que j'ai pour elle ressemble à ce que j'éprouve pour vous. C'est vous donner l'idée de l'affection que je lui porte.

Hortense devient de plus en plus aimable ; sa charmante taille se développe, et si je voulais, j'aurais une belle occasion de faire de fâcheuses réflexions sur ce maudit temps qui n'embellit les unes qu'aux dépens des autres ! Heureusement que j'ai bien autre chose en tête vraiment, et je glisse sur les idées noires, pour ne m'occuper que d'un avenir qui promet d'être heureux, puisque nous serons bientôt réunies pour ne plus nous quitter. Sans ce mariage qui me tracasse, je serais fort gaie, en dépit de tout ; mais tant qu'il sera à faire je me tourmenterai ; une fois conclu, advienne que pourra, je me résignerai. Je me suis fait l'habitude de souffrir, et si j'étais destinée à de nouveaux chagrins, je crois que je les supporterais, pourvu que mes enfants, ma tante et vous me restassiez.

Nous sommes convenus de supprimer les fins de lettre, adieu donc, mon amie.

 

Ce n'est donc pas par calcul et dans l'unique but de satisfaire ses caprices et de pouvoir follement jeter l'argent par les fenêtres, comme on l'a écrit, que Joséphine accepta de se remarier. Bonaparte n'avait alors que sa maigre solde. En arrivant à Paris, il était descendu à l'Hôtel du Cadran bleu, rue de la Huchette, où il occupait une petite chambre garnie misérable, à trois francs par semaine, où la lumière ne pénétrait que par une fenêtre étroite. Puis, pour ne pas payer ce prix, il était allé s'installer dans une mansarde au N° 5 du quai Conti, d'un immeuble qui n'existe plus, la ville de Paris l'ayant exproprié ainsi que les vieilles maisons environnantes pour établir l'esplanade en hémicycle qui dégage totalement la croisée du Pont-Neuf et de la rue Dauphine[13].

En 1843, sur la façade de l'immeuble, le propriétaire, un sieur Lelièvre-Lavilette, avait fait poser une plaque de marbre noir, rappelant en lettres d'or que là fut le premier nid de l'Aigle. En 1853, une addition y mentionna l'attestation de Napoléon III. Cette plaque, jugée subversive à la chute du Second Empire, fut descendue et placée dans le couloir d'entrée. Elle portait l'inscription suivante :

EN 1785

L'EMPEREUR NAPOLÉON BONAPARTE

OFFICIER D'ARTILLERIE

SORTANT DE L'ÉCOLE DE BRIENNE

DEMEURAIT AU CINQUIÈME ÉTAGE

DE CETTE MAISON.

ATTESTATION SPÉCIALE

DE S. M. NAPOLÉON III

EN DATE DU 14 OCTOBRE 1853.

 

On accédait au cinquième par un escalier à rampe de bois massive. La chambre qu'occupait Bonaparte mesurait huit mètres carrés de surface, tout au plus, sous plafond bas. Une unique fenêtre, jadis lucarne, donnait sur la Seine dont on avait une vue splendide. Le Corse, aux cheveux plats, penché sur ses manuels préférés d'algèbre, d'histoire et de géographie, y travaillait sans feu l'hiver, ayant le spectacle perpétuel des boutiques illuminées du Quai des Orfèvres, où ruisselait tout l'or de Paris. Du dehors lui parvenait l'animation des petits marchands, des chanteurs populaires, des charlatans du Pont-Neuf et le carillon de la Samaritaine. C'est dans cette mansarde qu'il laissa un de ses cahiers d'études, inachevé à ces mots contenant la plus extraordinaire des prédictions : Sainte-Hélène, petite île.....

Au fond, c'était Bonaparte qui faisait la bonne affaire. Ambitieux, il s'alliait à une femme du grand monde qui lui apportait dans la corbeille de noces des influences considérables et — le commandement en chef de l'armée d'Italie.

***

En attendant la réponse de son amie, Joséphine reçoit chaque jour la visite de son fougueux prétendant, lorsque soudain, le 30 vendémiaire, il ne paraît plus. Que s'est-il passé ? A-t-il brusquement changé d'idée ?

Bonaparte a été vexé de cette indécision chez Joséphine et puis il a recueilli certains propos malfaisants sur sa conduite. On la dit la maîtresse de Barras, ce qui explique la faveur dont il est l'objet. Ce ne sont que des médisances mais, jaloux, orgueilleux, il est blessé dans son amour-propre et a décidé de ne plus revoir cette femme qui a bouleversé son cerveau et captivé son cœur. Il s'enferme dans sa misérable chambre et se plonge dans l'étude des mathématiques.

Joséphine, jusqu'alors indifférente, s'inquiète. Elle attend six jours, consulte Barras, et, le 6 brumaire, se décide à écrire :

Barras, en lui conseillant d'écrire cette lettre, avait insisté pour qu'elle fasse mention de ses intérêts, c'est-à-dire sa nomination à l'armée d'Italie. Il savait que toute l'ambition de Bonaparte y était concentrée.

Cette lettre réveille en Bonaparte la passion qu'il s'efforçait de réprimer. Il s'empresse de répondre à l'invitation :

Paris, 28 octobre 1795.

Je ne conçois pas ce qui a pu donner lieu à votre lettre. Je vous prie de me faire le plaisir de croire que personne ne désire autant votre amitié que moi, et n'est plus prêt que moi à faire quelque chose qui puisse le prouver. Si mes occupations me l'avaient permis, je serais venu moi-même porter ma lettre.

BONAPARTE.

 

Et le lendemain, à onze heures, il était aux pieds de Joséphine. Il lui fait alors connaitre la cause de son absence, exprime sa jalousie, lui reproche de faire des coquetteries à tout le monde et avoue son grand amour. Joséphine n'a pas de peine à lui faire comprendre que son caractère soupçonneux lui donne de vaines inquiétudes, qu'au lieu de prêter l'oreille aux imposteurs il devrait leur imposer silence, en racontant ses bienfaits pour une femme dont le caractère n'a jamais été soupçonné d'ingratitude. Car, déclare-t-elle, si elle s'est attachée à lui, c'est d'abord comme mère, en constatant ses bontés pour Hortense et les conseils qu'il donne à Eugène. Comment devenir aujourd'hui indifférente pour celui, qui après tant de vicissitudes, vient embellir son existence par tout ce que la passion a de plus enivrant ?

Bonaparte est dans cet intérieur gai, élégant, accueillant où la créole règne en petite reine, si différent de sa mansarde ; le petit Eugène, déluré, intelligent, saute sur ses genoux et l'appelle son grand ami ; Hortense, aux grands yeux bleus, lui chante des romances créoles et, pour lui plaire, danse de lascives biguines. Son âme se refuse à croire que Joséphine ait pu le trahir. Il est vaincu ! Le mariage est décidé. Il veut qu'il soit célébré dans le plus bref délai. Joséphine y consent.

***

Dans la collection de lettres, ayant appartenue à feu Lord Rosebery[14], récemment vendue à la salle Sotholy, à Londres, on a pu voir que Bonaparte savait écriré des épi très passionnées, et par celle qu'il écrivait à Joséphine, avant son mariage, on a voulu prouver qu'elle avait été sa maîtresse, avant d'être unis par les serments matrimoniaux :

7 heures du matin.

Je me réveille plein de toi. Ton portrait et l'enivrante soirée d'hier n'ont point laissé de repos à mes sens. Douce et incomparable Joséphine, quel effet bizarre faites-vous sur mon cœur ? Vous fâchez-vous ? Vous vois-je triste ? Etes-vous inquiète ?. Mon âme est brisée de douleurs, et il n'est point de repos pour votre ami ; mais en est-il donc d'avantage pour moi, lorsque, me livrant au sentiment profond qui me maîtrise, je puise sur vos lèvres, sur votre cœur, une flamme qui me brûle ? Ah ! c'est cette nuit que je me suis bien aperçu que votre portrait n'est pas vous ! Tu pars à midi ; je te verrai dans trois heures. En attendant, mio dolce amor, un million de baisers ; mais ne m'en donne pas, ils me brûlent le sang.

 

Il faut avoir peu fréquenté les femmes pour arriver si vite à une pareille déduction. Bonaparte était certes ardent, impétueux, mais Joséphine avait l'expérience, elle n'était plus une jeune fille. Le fait d'avoir passé une partie de la nuit avec elle, n'implique pas un abandon total. Et puis, ne devaient-ils pas se marier sous peu ?

Le mariage est fixé au 19 ventôse. La Martinique, encore plus que la Corse, est trop éloignée pour qu'on puisse attendre les actes de naissance et on va se contenter de faire établir des actes de notoriété. La personnalité du général, commandant en chef de l'armée de l'Intérieur, est suffisante.

***

Qui était ce Bonaparte, ce jeune général d'artillerie, ce défenseur de la Convention, ce héros du 13 vendémiaire, qui avait vaincu les sections royalistes et dont tout Paris vantail les mérites ?

Comme Joséphine, Napoleone Buonaparte était de noble origine[15]. Ses ancêtres, inscrits sur le livre d'or, à Bologne, comptés à Florence parmi les patrices, avaient joué un rôle important, surtout à Trévisse. Chassés de Florence par les Guelfes, ils étaient venus se réfugier en Corse au commencement du XVe siècle et avaient fixé leur résidence à Ajaccio. Avec le temps, ils s'étaient alliés aux Colonna, aux Bozi, aux Durazzo, de Gènes, comme aux premières familles de la Corse, et avaient acquis des propriétés et obtenus la plus grande influence dans la piève de Talavo, surtout dans le bourg de Boccognano.

Charles Bonaparte, père de Napoléon, avait étudié à Rome et à Pise ; c'était un homme d'une figure agréable, d'une éloquence vive et naturelle, et d'une intelligence remarquable. Letizia Ramolini, son épouse, était l'une des plus belles .femmes du temps, doué d'une grande force d'âme. Elle avait souvent suivi son mari, à cheval, et avait partagé les périls de ses expéditions lors de la guerre contre les Génois, les oppresseurs de son pays.

Deux mois après la bataille de Ponte-Novo, naquit Napoléon (le 15 août 1769), le jour de la fête de l'Assomption. Mme Letizia qui touchait au dernier terme de la grossesse avait voulu, malgré les conseils de son mari, assister à cette fête et elle n'eut que le temps de revenir chez elle pour déposer sur un tapis de fleurs un fils qu'on appela Napoleone, en souvenir de l'un des membres de la famille, Napoleone des Ursins, célèbre en Italie.

En 1778, Charles Bonaparte est envoyé à Versailles comme député de la noblesse des Etats de Corse. Il quitte Ajaccio le 15 décembre et emmène avec lui Napoleone, alors âgé de dix ans et sa sœur Elisa. La politique de la France appelait aux écoles royales les enfants des familles nobles. Elisa fut placée à Saint-Cyr et Napoleone à Brienne (le 25 avril 1779).

A Brienne, il n'est pas aimé par ses camarades, parce que ses professeurs le citait toujours comme un modèle d'application. Chien de Corse, lui disait-on, tu n'es qu'un sournois qui veut se faire bien venir des maîtres. Concentré au dedans de lui-même il s'était fait remarquer par son aversion pour tous les plaisirs et amusements de ses condisciples. Il fuyait la. société des autres élèves et ne se plaisait que dans la solitude. Il aimait la lecture et ses livres favoris était Platon (la République), Homère (l'Odyssée), Sophocle (Œdipe), Eschyle (Agamemnon), Voltaire (la mort de César), Mirabeau, Machiavel, les histoires d'Angleterre, de l'Egypte, des Carthaginois, des Perses, des Athéniens, des Incas, de l'Inde, la campagne de Frédéric-le-Grand et la Bible.

Un jour, à ses camarades qui venaient de le traiter de chien de Corse, il répondit : Vous verrez, Messieurs, ce qu'un Corse peut faire. Ils reconnaissaient néanmoins ses qualités et sa supériorité car, durant les récréations, il était le chef des jeux. Il avait organisé des petites guerres qu'il commandait avec autant d'assurance que plus tard lorsqu'il s'est agi de la destinée des empires. Ses condisciples rendaient justice à ce génie naissant.

M. le chevalier de Kéralis, inspecteur des Ecoles militaires, qui avait conçu une affection toute particulière pour lui, accorda une dispense d'âge, afin de lui permettre d'aller à l'Ecole Militaire de Paris. Il avait déclaré : J'aperçois dans ce jeune homme une étincelle qu'on ne saurait trop cultiver.

Le 17 octobre 1784, il quitte Brienne, après la distribution solennelle des prix que Monseigneur le duc d'Orléans et Mme de Montesson étaient venus présider. En posant sur la tête du jeune Bonaparte la couronne traditionnelle, cette dernière lui avait dit : Puisse-t-elle vous porter bonheur.

Il était prédestiné à d'autres lauriers !

Devenu premier Consul, le jeune général n'oublia pas ces paroles, et comme il voulait du ton et de la distinction aux réceptions officielles des Tuileries, il y convia Mme de Montesson, qui jouissait d'une haute réputation, et la chargea de donner à Joséphine des leçons de maintien et de belles manières, pour recevoir avec grâce et amabilité les hauts personnages visitant la capitale[16].

***

Le 19 octobre 1784, Bonaparte entre à l'Ecole Militaire de Paris, comme cadet. Il a quinze ans. Son professeur d'histoire, M. de l'Eguille, note ainsi le jeune élève : Corse de nation et de caractère, il ira loin si les circonstances le favorisent.

A seize ans, le 1er septembre 1785, il en sort sous-lieutenant, avec le numéro 42, et est nommé en second au régiment de La Fère, pour ensuite passer à Valence, où il est fait lieutenant. Puis il va passer un congé en Corse.

Le 6 février 1792, il est nommé capitaine puis commandant temporaire de l'un des bataillons soldés qu'on avait levé en Corse pour le maintien de l'ordre public. Il est à Paris lors de la journée du 20 juin où Louis XVI est outragé dans son palais par les ouvriers des faubourgs Saint-Antoine et Saint-Marceau et contraint à se coiffer du bonnet rouge.

Au mois de juillet, il retourne en Corse, où il rencontre l'illustre banni, Paoli, qui le reçoit et le traite avec une affection particulière. Charles Bonaparte et Pascal Paoli étaient les deux héros de la guerre de l'Indépendance. Observant Napoléon, Paoli, le juge ainsi : Ce jeune homme est taillé à l'antique, c'est un homme de Plutarque.

En Corse, la guerre s'allume entre les partisans de la France et ceux d'Angleterre. Bonaparte se joint, à Calvi, aux représentants du peuple, Salicetti et Lacombe Saint-Michel, qui ont débarqué avec des forces et marchent contre Ajaccio. Mais l'entreprise échoue. Ruiné par le pillage et l'incendie des propriétés de sa famille, frappé avec elle d'un décret de bannissement, il part pour Marseille et va s'établir avec les siens à Nice, pour ensuite rejoindre son régiment à Toulon. C'est alors qu'il se fait remarquer au siège de cette ville, à la tête d'une division d'artillerie.

Le général Dugommier, le chef des volontaires de la Guadeloupe, fut un des premiers à deviner l'homme qui allait étonner le monde. Après la prise de la ville, il écrivit au Comité de Salut Public : Récompensez et avancez ce jeune homme, car si on était ingrat envers lui, il s'avancerait tout seul.

Le Comité acquiesça. Le 19 décembre, il est nommé provisoirement général de brigade. Il a vingt-quatre ans. Au mois d'août 1795, il est arrêté, comme suspect, emprisonné, puis relâché. Il se rend à Paris et est attaché au ministère de la Guerre. Le 13 vendémiaire, il supprime la révolte en triomphant de la brute empanachée, Henriot, et en mitraillant les sections révoltées sur les quais et sur les marches de l'église Saint-Roch. Il a sauvé la Convention !

Le Directoire, établi le 27 octobre 1795, le nomme Commandant de l'armée de l'Intérieur. Il devient l'idole-des Parisiens.

***

Au nom de la République, Bonaparte avait lutté vainement, en Corse, contre l'ascendant de l'Angleterre. En quittant son pays natal, comme jadis Annibal, il fit le serment de venger sa patrie. Les rois vont avoir à combattre ce terrible adversaire, dont ils seront un jour les subordonnés, et qui, à son tour, deviendra leur victime[17] !

Il est de ces hommes qui, à certaines heures particulièrement pathétiques de l'histoire sont marqués par le hasard des événements, ou la Fortune, si l'on préfère l'appeler de ce nom, pour être les grands instruments du destin, les ouvriers de l'humanité. Bonaparte fut un de ceux-là et il se place aux côtés d'Alexandre et de César.

S'il perdit un empire, il aura deux patries,

De son seul souvenir illustres et flétries,

L'une aux mers d'Annibal, l'autre aux mers de Vasco ;

Et jamais, de ce siècle attestant la merveille,

On ne prononcera son nom, sans qu'il n'éveille

Aux bouts du monde un double écho !

VICTOR HUGO. Odes et ballades.

***

Le 19 ventôse, an IV (9 mars 1796), à dix heures du soir, la voiture de Barras s'arrête devant la mairie du 2e arrondissement. Joséphine et ses deux témoins, Barras et Tallien, en descendent, ainsi que le citoyen Calmelet — l'homme d'affaires de Joséphine, subrogé tuteur de ses enfants — qui doit être l'un des témoins de Bonaparte. L'officier d'état civil, le citoyen Leclercq, a été averti. Il a préparé le contrat du mariage. Des actes de notoriété remplacent les certificats de naissance, pour les raisons que nous avons déjà indiquées, néanmoins la formule courante est maintenue. La Martinique étant occupée par les Anglais, on ne pouvait exiger ces pièces. Joséphine qui désire cacher son âge, a donné comme date de naissance le 23 juin 1767 (au lieu de 1763) et Bonaparte qui n'est pas dupe de la supercherie a laissé porter le sien au 5 février 1768 (c'est la date de naissance de son frère Joseph), au lieu de 15 août 1769. De cette façon, ils ont tous les deux environ vingt-huit ans.

A la lueur d'une bougie, Joséphine, Barras, Tallien et Calmelet s'installent. Bonaparte se fait attendre. Soudain un bruit de sabre dans l'escalier. Bonaparte apparaît, suivi de son aide de camp, le jeune capitaine Jean Le Marois. Il parait très pressé. Le citoyen Leclercq, après mille salutations, lit les articles de la loi. Bonaparte et Joséphine sont déclarés unis par les liens du mariage. Tallien et Barras, les tout-puissants maitres de l'Etat, témoins pour la mariée, signent, puis c'est le tour des témoins de Bonaparte : Le Marois et Calmelet.

L'acte de mariage est libellé comme suit :

Dit dix-neuf ventôse de l'an quatrième de la République, acte, de mariage de Napoléon Bonaparte, général en chef de l'armée de l'Intérieur, âgé de vingt-huit ans, né à Ajaccio, département de la Corse, domicilié à Paris, rue d'Antin[18], fils de Charles Bonaparte, rentier, et de Letizia Ramolini, son épouse ;

Et de Marie Joseph Rose Detascher (sic)[19] âgée de vingt-huit ans, née à l'Isle Martinique, dans les Iles du Vent, domiciliée à Paris, rue Chantrenne (sic), fille de Joseph Gaspard Detascher, capitaine de dragons, et de Rose Claire Desvergers Desanois, son épouse, moi, Charles Théodore François Leclercq officier public de l'état civil du second arrondissement municipal de Paris, après avoir fait lecture en présence des parties et témoins, 1° de l'acte de naissance de Napoléon Bonaparte, général, qui constate qu'il est né le cinq février mil sept cent soixante-huit de légitime mariage de Charles Bonaparte et de Letizia Ramolini ; 2° l'acte de naissance de Marie Joseph Detascher, qui constate qu'elle est née le vingt-trois juin mil sept cent soixante-sept, de légitime mariage de Joseph Gaspard Detascher et de Rose Marie Claire Desvergers ; vu l'extrait de décès de Alexandre François Marie Beauharnais, qui constate qu'il est décédé le cinq thermidor, an deux, marié à Marie Joseph Detascher ; vu l'extrait des publications dudit mariage dûment affiché le temps prescrit par la loi sans opposition et après aussi que Napoléon Bonaparte et Marie Joseph Rose Detascher ont déclaré à haute voix se prendre mutuellement pour époux, j'ai prononcé au nom de la loi que Napoléon Bonaparte et Marie Joseph Detascher sont unis en mariage, et ce en présence des témoins majeurs ci-après nommés, savoir : Paul Barras, membre du Directoire Exécutif, domicilié au Palais du Luxembourg ; Jean Lemarrois, aide de Camp-capitaine, domicilié rue des Capucins ; Jean Lambert Tallien, membre du Corps Législatif, domicilié à Chaillot ; Etienne Jacques Jérôme Calmelet, domicilié rue de place Vendôme, n° 107, qui ont tous signé après les parties et moi.

 

La séance est terminée. Barras reconduit les époux rue Chantereine (rebaptisée le 10 nivôse rue de la Victoire) où Bonaparte va maintenant demeurer, les deux jours qu'il doit encore passer à Paris, car il a reçu sa nomination de Général en chef de l'Armée d'Italie, comme promis par Barras, sept jours avant le mariage, et il doit, d'extrême urgence, rejoindre son quartier général à Nice. La lune de miel sera très courte.

Il est l'homme le plus amoureux et le plus heureux de la terre. Ne possède-t-il pas la femme la mieux habillée, la plus élégante et la plus séduisante de Paris ? la reine de la mode !

A cette époque, Bonaparte était extrêmement maigre, de teint olivâtre et il avait une opulente chevelure que, suivant la mode du temps, il portait en oreille de chien. Elle lui descendait jusqu'aux épaules. Sa redingote râpée lui donnait un air minable mais dans ses yeux brillait une flamme qui troublait et inspirait la crainte. Arnault a rapporté qu'on ne pouvait rien imaginer de plus grave, de plus sévère, de plus glacial que cette figure de vingt-sept ans, que ce front rempli de tant de projets, déjà sillonné par tant de méditations.

L'armée d'Italie était considérée comme inexistante et à reconstituer, les hommes, mal nourris, mal habillés, n'étaient pas payés et aucun général n'avait voulu en assumer le commandement. Au fond, Barras était très content de voir partir Bonaparte qui, depuis le 13 vendémiaire, était devenu la coqueluche de Paris et le gênait considérablement. On l'avait surnommé le Général Vendémiaire. Bonaparte lui, allait exécuter le plan qu'il avait conçu, que Carnot avait accepté, séduit par l'audace de sa conception, et que le général en chef Schérer avait repoussé en déclarant que le fou qui l'a conçu peut bien venir l'exécuter à ma place.

Et tout son entourage de rire de ce général d'alcôve, d'antichambre, ce petit bamboche à cheveux éparpillés, qui n'a pas trente ans et nulle expérience de la guerre... ou encore, ce mathématicien, ce rêveur qui a gagné son grade en épousant la favorite de Barras et en mitraillant les bourgeois de Paris.

Nommé par arrêté du 12 ventôse an IV (3 mars 1796), Bonaparte partait à la conquête de l'Italie, sachant que les troupes placées sous ses ordres étaient dénuées de tout. Pour assurer les moyens de leur subsistance et conduire les opérations, Barras ne lui a donné que 48.000 francs en or et 100.000 francs en traites, dont la garantie de paiement à présentation n'a pas été assurée. Conquérir l'Italie avec 48.000 francs ! Il fallait l'audace et la témérité de Bonaparte, sa foi dans son étoile, pour oser tenter un pareil tour de force. Il fallait vaincre ou c'était pour lui l'écroulement de son rêve et de toutes ses ambitions !

Il avait aussi une mission politique à remplir, celle de rechercher, par tous les moyens en son pouvoir, à animer les mécontents du Piémont et à les faire éclater contre la Cour de Turin, et une mission financière : lever de fortes contributions dont la moitié serait versée dans les caisses du Trésor et l'autre moitié destinée à payer en numéraire le prêt et la solde de l'armée. Mission de rapine et de pillage !

L'hôtel, rue Chantereine, n° 60, où sont réunis les amants, n'est pas luxueux, mais on a le confort.

Je désire que ma maison soit meublée dans la dernière élégance, avait exigé Joséphine du citoyen Vautier, l'architecte. Cet hôtel qui fut par la suite acheté par Bonaparte (en 1797) avait été loué par elle, en 1795, à Julie Carreau, épouse séparée du citoyen Talma, moyennant le prix de 10.000 francs assignats par année. C'était un petit pavillon, au fond d'un passage, surélevé de plusieurs marches, que gardaient deux lions de pierre[20].

Dans la chambre à coucher, de jolis meubles : un lit en mahogany de la Guadeloupe, un secrétaire à glaces et à colonnes en cèdre jaune de la Guadeloupe, encadré de bois rouge, avec miroir et dessus de marbre, une table aussi en cèdre jaune, octogone, avec dessus en marbre Porthor, une table en noyer de la Guadeloupe, un vide-poche en acajou de la Guadeloupe, douze chaises en acajou bronzé, à dossier renversé, recouvertes de nankin bleu, ornées d'une crête r rouge et jaune, un petit buste de Socrate en marbre blanc ; dans un coin une harpe de Renaud[21].

Dans l'antichambre, un bas de buffet en chêne, une armoire de sapin pour serrer la vaisselle, une fontaine à laver.

Dans la salle à manger, une grande table ronde à pans rabattus, deux tables à dessus de marbre, quatre chaises d'acajou recouvertes de crin noir, des armoires vitrées pour les plateaux, les vases, le sucrier ; huit estampes dont une en sanguine, représentant l'Innocence dans les bras de la Justice.

Dans le petit salon en demi-rotonde, le boudoir, des glaces partout, une commode d'acajou à dessus de marbre bleu turquoise, un forte-piano de Bernard ; aux murs seize estampes encadrées[22].

La chambre à coucher est maintenant encombrée de colis ; sur les meubles des cartes des Alpes et de la haute Italie. Bonaparte prépare ses derniers projets de campagne. Il a décidé de pénétrer en Italie en tournant les Alpes. Entre deux étreintes amoureuses et des baisers fous il relève les routes à suivre, étudie les derniers rapports reçus sur les armées autrichiennes et piémontaises qu'il va combattre, le nombre de ses adversaires. Il appelle Joséphine. — Regarde ! Tu vois ce point de la carte, Montenotte, là, je sépare les armées autrichiennes et piémontaises, puis je bats séparément les Autrichiens à Dégo et les Piémontais à Millésimo et à Mondovi. Menacé dans Turin, le Roi de Sardaigne fait la paix en nous abandonnant ses places fortes et tous ses droits sur la Savoie et le Comté de Nice. Complètement débarrassé des Piémontais, je poursuis les Autrichiens, je m'empare de Mantoue, je marche sur Vienne où enfin je signe la paix avec l'Empereur d'Autriche ! Mio dolce amor, embrasse-moi !

Joséphine est affolée. Peut-elle un seul instant croire à tous ces rêves de gloire ? A chaque moment on frappe à la porte, des aides de camp portent des documents, entrent et sortent. Le général voit tout, organise tout.

***

Le 21 ventôse, l'heure de la séparation est venue. Le général a pris toutes ses dispositions, donné tous ses ordres. Voulant aider son frère ainé, Louis, qui est dans le besoin, il l'a fait nommer Consul à Gênes. Plus tard, il sera son aide de camp. Lucien a fait des folies, il le sauve de la prison en payant ses dettes. Le petit Gérôme est mis en pension, à ses frais, à Saint-Germain.

Junot, son aide de camp, et Chauvet, l'ordonnateur en chef, attendent à la porte. C'est la minute suprême. Joséphine lui remet une miniature qu'elle a fait peindre à son intention. Elle y figure en robe blanche, assise devant une harpe, un petit bouquet de fleurs des champs à la ceinture[23] : porte-le éternellement sur ton cœur, lui dit-elle.

L'âme éperdue, le cœur gros de tristesse, les larmes aux yeux, d'une main qui se crispe et qui tremble, Bonaparte serre Joséphine sur sa poitrine. Au contact de ce corps adoré comme un fleuve de feu parcourt ses veines.

Je te quitte mon amour, mais je te laisse ma pensée. Elle sera là, toujours, sans cesse, comme un souffle d'air délicat, pour caresser ton front. Le matin, dans les frissons de l'eau qui baigne ton corps adoré, elle sera là pour t'effleurer ; les nuits d'orage, lorsque la pluie éclaboussera tes fenêtres, tu entendras son murmure et son rire illuminera ta chambre ; les nuits solitaires, elle flottera sur ton souvenir et viendra se poser sur ton cœur. Elle deviendra enfin un songe et par les fentes de tes paupières se glissera dans la profondeur de ton être. T'aimer seule, te rendre heureuse, voilà le destin et le but de ma vie. Pense à moi, vis pour moi. Je t'en prie, ne pleure pas, tes larmes m'ôtent la raison. Ah ! Joséphine, Joséphine.

Un bruit de carrosse et de cavalerie, qui s'éloigne dans la poussière, puis le silence. Joséphine est seule. Chaque tour de roue qui éloigne d'elle le futur conquérant, le rapproche de la gloire !

***

Trois jours plus tard, le 24 ventôse (14 mars 1796) il est à Chanceaux, après avoir traversé Provins, Nogent, Troyes, Châtillon-sur-Seine. Il profite d'un relai pour écrire à sa femme :

Je t'ai écrit de Châtillon et je t'ai envoyé une procuration pour que tu touches différentes sommes qui me reviennent. Ce doit être soixante-dix livres en numéraire, quinze mille livres en assignats.

Chaque instant m'éloigne de toi, adorable amie, et chaque instant je trouve moins de force pour être éloigné de toi. Tu es l'objet perpétuel de ma pensée ; mon imagination s'épuise à chercher ce que tu fais ; si je te vois triste, mon cœur se déchire et ma douleur s'accroit, si tu es gaie et folâtre avec tes amies, je te reproche d'avoir bientôt oublié la douloureuse séparation de trois jours ; tu es alors légère et dès lors tu n'es pas affectée par aucun sentiment profond. Comme tu vois, je ne suis pas facile à me contenter ; mais, ma bonne amie, c'est bien autre chose si je crains que ta santé ne soit pas altérée ou que tu aies des raisons d'être chagrine que je ne puis deviner ! Alors, je regrette la vitesse avec laquelle on m'éloigne de ton cœur. Je sens vraiment que ta bonté naturelle n'existe plus pour moi et que ce n'est que tout assuré qu'il ne t'arrive rien de fâcheux que je puis être content. Si l'on me fait la question, si j'ai bien dormi, je sens qu'avant de répondre j'aurais besoin de recevoir un courrier qui m'assurât que tu as bien reposé. Les maladies, la fureur des hommes ne m'affectent que par l'idée qu'ils peuvent te frapper, ma bonne amie. Que mon génie qui m'a toujours garanti au milieu des plus grands dangers, t'environne, te couvre et je me livre découvert. Ah ! ne sois pas gaie, mais un peu mélancolique et surtout que ton âme soit exempte de chagrin comme ton beau corps de maladie. Tu sais ce que dit là-dessus notre bon Ossian. Ecris-moi, ma tendre amie, et bien longuement et reçois mille et un baisers de l'amour le plus tendre et le plus vrai.

BONAPARTE.

 

Le 30 ventôse (20 mars 1796) il est à Marseille et annonce à sa mère son mariage.

Le 6 germinal (26 mars) il est à Nice, où il prend le commandement de son armée ; en tout trente-sept mille hommes, de vieux soldats de la monarchie, des volontaires de la République, en grande partie des montagnards, endurcis au froid, à la fatigue et à la misère. Ils sont pieds nus, des mouchoirs en guise de chapeau, en guenilles, sans solde, sans vin, sans tabac et très peu de pain.

Il lance alors la mémorable proclamation :

Soldats, vous êtes nus, mal nourris ; le gouvernement vous doit beaucoup et ne peut rien vous donner : votre patience, le courage que vous montrez au milieu de ces rochers sont admirables ; mais ils ne vous procurent aucune gloire, aucun éclat ne rejaillit sur vous. Je veux vous conduire dans les plus fertiles plaines du monde. De riches provinces, de grandes villes seront en votre pouvoir ; vous y trouverez honneur, gloire et richesses. Soldats de l'armée d'Italie, manqueriez-vous de courage ou de constance ?

 

Et le soir, sous la tente, il répond à une lettre de Joséphine :

Nice, 10 germinal, an VI (31 mars 1796).

Je n'ai pas passé un jour sans t'aimer, je n'ai pas passé une nuit sans te serrer dans mes bras ; je n'ai pas pris une tasse de thé sans maudire la gloire et l'ambition qui me tiennent éloigné de l'âme de ma vie. Au milieu des affaires, à la tête des troupes, en parcourant les camps, mon adorable Joséphine est seule dans mon cœur, occupe mon esprit, absorbe ma pensée. Si je m'éloigne de toi avec la vitesse du torrent du Rhône, c'est pour te revoir plus vite. Si, au milieu de la nuit, je me lève pour travailler, c'est que cela peut avancer de quelques jours l'arrivée de ma douce amie, et cependant, dans ta lettre du 23, du 26 ventôse, tu me traites de vous. Vous toi-même ! ah ! mauvaise, comment as-tu pu écrire cette lettre ! qu'elle est froide ! Et puis, du 23 au 26, restent quatre jours ; qu'as-tu fait, puisque tu n'as pas écrit à ton mari ?... Ah ! mon amie, ce vous et ces quatre jours me font regretter mon antique indifférence. Malheur à celui qui en serait la cause ! Puisse-t-il, pour peine et pour supplice, éprouver ce que la conviction et l'évidence — qui servit ton ami — me feraient éprouver ! l'Enfer n'a pas de supplice ! Ni les Furies, de serpents ! Vous ! Vous ! Ah ! que sera-ce dans quinze jours ? Mon âme est triste ; mon cœur est esclave, et mon imagination m'effraie. Tu m'aimes moins ; tu seras consolée. Un jour tu ne m'aimeras plus ; dis-le moi ; je saurai au moins mériter le malheur. Adieu, femme, tourment, bonheur, espérance et âme de ma vie, que j'aime, que je crains, qui m'inspire des sentiments tendres qui m'appellent à la Nature et des mouvements impétueux aussi volcaniques que le tonnerre. Je ne te demande ni amour éternel, ni fidélité, mais seulement vérité, franchise sans bornes. Le jour où tu dirais je t'aime moins, sera le dernier de mon amour ou le dernier de ma vie. Si mon cœur était assez vil pour aimer sans retour, je le hacherais avec les dents. Joséphine, Joséphine ! souviens-toi de ce que je t'ai dit quelquefois : la Nature m'a fait l'âme forte et décidée. Elle t'a bâtie de dentelle et de gaze. As-tu cessé de m'aimer ? Pardon, âme de ma vie, mon âme est tendue sur de vastes combinaisons. Mon cœur, entièrement occupé de toi, a des craintes qui me rendent malheureux. Je suis ennuyé de ne pas t'appeler par ton nom. J'attends que tu me l'écrives.

Adieu ! ah ! si tu m'aimes moins, tu ne m'auras jamais aimé. Je serais alors bien à plaindre.

BONAPARTE.

P. S. — La guerre, cette année, n'est plus reconnaissable. J'ai fait donner de la viande, du pain, des fourrages ; ma cavalerie armée marchera bientôt. Mes soldats me marquent une confiance qui ne s'exprime pas ; toi seule me chagrine ; toi seule, le plaisir et le tourment de ma vie. Un baiser à tes enfants dont tu ne parles pas ! Pardi ! cela allongerait tes lettres de moitié. Les visiteurs, à dix heures du matin, n'auraient pas le plaisir de te voir. Femme ! !

 

Et les lettres vont se succéder, à chaque arrêt, toujours passionnées, toujours brûlantes d'amour.

De Port-Maurice, le 14 germinal (3 avril 1796) :

Mon unique Joséphine, loin de toi il n'est pas de gaîté. Loin de toi le monde est un désert où je reste isolé et sans éprouver la douceur de m'épancher. Tu m'as ôté plus que mon âme, tu es l'unique pensée de ma vie. Si je suis ennuyé du tracas des affaires, si j'en crains l'issue, si les hommes me dégoûtent, si je suis prêt à maudire la vie, je mets la main sur mon cœur, ton portrait y bat, je le regarde et l'amour est pour moi le bonheur absolu.et tout est riant, hormis le temps que je me vois absent de mon amante.

BONAPARTE.

 

Encore de Port-Maurice :

Par quel art as-tu su captiver toutes mes facultés, concentrer en toi mon existence morale ? Vivre pour Joséphine, voilà l'histoire de ma vie. J'agis pour arriver près de toi. Je me meurs pour t'approcher. Insensé ! Je ne m'aperçois pas que je m'en éloigne ! Que de pays ! que de contrées nous séparent. Que de temps avant que tu lises ces caractères, faible expression d'une âme émue où tu règnes.

Il fut un temps où je m'enorgueillissais de mon courage et quelquefois, en jetant les yeux sur le mal que pourraient me faire les hommes, sur le sort que pourrait me réserver le destin, je fixais les malheurs les plus inouïs, sans froncer le sourcil, sans me sentir étonné. Mais aujourd'hui, l'idée que ma Joséphine peut être mal, l'idée qu'elle pourrait être malade, et surtout la cruelle, la funeste pensée qu'elle pourrait m'aimer moins, flétrit mon âme, arrête mon sang, me rend triste, abattu, ne me laisse pas même le courage de la fureur et du désespoir. Je me disais souvent jadis : les hommes ne peuvent rien à celui qui meurt sans regret ; mais aujourd'hui, mourir sans être aimé de toi, mourir sans cette certitude, c'est le tourment de l'enfer, c'est l'image vive et frappante de l'anéantissement absolu. Il me semble que je me sens étouffer. Mon unique compagne, toi que le sort a destinée pour faire avec moi le voyage pénible de la vie, le jour où je n'aurai plus ton cœur sera celui où la Nature sera pour moi sans chaleur et sans végétation. Je m'arrête, ma douce amie ; mon âme est triste, mon corps est fatigué, mon esprit est alourdi. Les hommes m'ennuient. Je devrais bien les détester : ils m'éloignent de mon cœur.

Je suis à Port-Maurice, près Oneille ; demain, je suis à Albenga. Les deux armées se remuent ; nous cherchons à nous tromper. Au plus habile la victoire. Je suis assez content de Beaulieu ; il manœuvre bien ; il est plus fort que son prédécesseur. Je le battrai, j'espère, de la belle manière. Sois sans inquiétude, aime-moi comme tes yeux ; mais ce n'est pas assez ; comme toi ; plus que toi, que ta pensée, ton esprit, ta vie, ton tout. Douce amie, pardonne-moi, je délire ; la Nature est faible pour qui sent vivement, pour celui que tu aimes.

BONAPARTE.

 

A Barras, Sucy, Madame Tallien, amitié sincère ; à Madame Château-Renard, civilités d'usage ; à Eugène, à Hortense, amour vrai.

Adieu, adieu, je me couche sans toi, je dormirai sans toi ; je t'en prie, laisse-moi dormir. Voilà plusieurs nuits où je te sens dans mes bras, songe heureux, mais, mais, ce n'est pas toi.

 

D'Albenga, le 16 germinal (5 avril 1796) :

Il est une heure après minuit. L'on m'apporte une lettre. Elle est triste ; mon âme en est affectée. C'est la mort de Chauvet. Il était commissaire ordonnateur en chef de l'armée. Tu l'as vu chez Barras, quelquefois. Mon amie, je sens le besoin d'être consolé. C'est en t'écrivant à toi seule, dont la pensée peut tant influer sur la situation morale de mes idées, à qui il faut que j'épanche mes peines. Qu'est-ce que l'avenir ? Qu'est-ce que le passé ? Quel fluide magique nous environne et nous cache les choses qu'il nous importe le plus de connaître ? Nous passons, nous vivons, nous mourons au milieu du merveilleux. Est-il étonnant que les prêtres, les astrologues, les charlatans aient profité de ce penchant, de cette circonstance particulière pour promener nos idées et les diriger au gré de leurs passions ?

Chauvet est mort. Il m'était attaché. Il a rendu à la Patrie des services essentiels. Son dernier mot a été qu'il partait pour me joindre. Mais oui, je vois son ombre ; il erre dans les combats ; il siffle dans l'air ; son âme est dans les nuages ; il sera propice à mon destin.

Mais, insensé, je verse des larmes sur l'amitié ; et qui me dit que déjà je n'en aie à verser d'irréparables ? Ame de mon existence, écris-moi, tous les courriers ; je ne saurais vivre autrement.

Je suis ici très occupé. Beaulieu remue son armée. Nous sommes en présence. Je suis un peu fatigué. Je suis tous les jours à cheval.

Adieu, adieu, adieu. Je vais dormir ; car le sommeil me console. Il te place à mes côtés ; je te serre dans mes bras ; mais au réveil, hélas ! je me trouve toujours loin de toi. Bien des choses à Barras, à Tallien et à sa femme.

BONAPARTE.

 

D'Albenga, le 18 germinal (7 avril 1796) :

Je reçois une lettre que tu interromps pour aller, dis-tu, à la campagne ; et, après cela, tu te donnes le ton d'être jalouse de moi, qui suis accablé d'affaires et de fatigues. Ah ! ma bonne amie !... Il est vrai que j'ai tort. Dans le printemps, la campagne est belle ; et puis, l'amant de dix-neuf ans s'y trouvait sans doute. Le moyen de perdre un instant de plus à écrire à celui qui, éloigné de trois cents lieues de toi, ne vit, ne jouit, n'existe que pour ton souvenir, qui lit tes lettres comme on dévore, après six heures de chasse, les mets qu'on aime. Je ne suis pas content. Ta dernière lettre est froide comme l'amitié. Je ny ai pas trouvé ce feu qui allume tes regards, et que j'ai cru quelquefois y voir. Mais quelle est ma bizarrerie ? J'ai trouvé que tes lettres précédentes oppressaient trop mon âme ; la révolution qu'elles produisaient attaquait mon repos, et asservissait mes sens. Je désirais des lettres plus froides ; mais elles me donnent le glace de la mort. La crainte de ne pas être aimé de Joséphine, l'idée de la voir, inconstante, de la...... Mais je me forge des peines. Il en est tant de réelles ! Faut-il encore s'en fabriquer ? Tu ne peux m avoir inspiré un amour sans bornes, sans le partager ; et avec ton âme, ta pensée et ta raison, l'on ne peut pas, en retour de l'abandon, du dévouement, donner en échange le coup de la mort.

J'ai reçu la lettre de Madame de Châteaurenaud. J'ai écrit au Ministre pour (illisible) : J'écrirai demain à la première à qui tu feras les compliments d'usage. Amitié vraie à madame Tallien et Barras.

Tu ne me parles pas de ton vilain estomac ; je le déteste. Adieu, jusqu'à demain, mio dolce amor. Un souvenir de mon unique femme, et une victoire du destin : voilà mes souhaits. Un souvenir unique, entier, digne de celui qui pense à toi et à tous les instants.

Mon frère est ici — Joseph — ; il a appris avec plaisir mon mariage ; il brûle de l'envie de te connaître. Je cherche à le décider à venir à Paris. Sa femme est accouchée[24], elle a fait une fille. Ils t'envoient pour présent des bonbons de Gênes. Tu recevras des oranges, des parfums et de l'eau de fleurs d'oranger que je t'envoie.

Junot, Murat te présentent leur respect.

Un baiser plus bas, plus bas que le sein.

B.....

 

Le 7 floréal (26 avril) il est à Cherasco, d'où il lance sa seconde proclamation :

Soldats, vous avez en quinze jours remporté six victoires, prit vingt et un drapeaux, cinquante-cinq pièces de canons, plusieurs places fortes, conquis la partie la plus riche du Piémont ; vous avez fait quinze mille prisonniers, tué ou blessé plus de dix mille hommes Vous vous étiez jusqu'ici battus pour des rochers stériles, illustrés par votre courage, mais inutiles à la patrie. Vous égalez aujourd'hui par vos services l'armée de Hollande et du Rhin[25]. Dénués de tout, vous avez suppléé à tout. Vous avez gagné des batailles sans canons, passé des rivières sans ponts, fait des marches forcées sans souliers, bivouaqué sans eau-de-vie et souvent sans pain. Les phalanges républicaines, les soldats de la liberté étaient seuls capable de souffrir ce que vous avez souffert.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Vous étiez dénués de tout au commencement de la campagne ; vous êtes maintenant abondamment pourvus : les magasins pris à vos ennemis sont nombreux ; l'artillerie de siège et de campagne est arrivée. Soldats, la patrie a le droit d'attendre de vous de grandes choses, justifierez-vous son attente ? Les plus grands obstacles sont franchis, sans doute, mais vous avez encore des combats à livrer, des villes à prendre, des rivières à passer. Ni Turin, ni Milan ne sont à vous ; les cendres des vainqueurs de Tarquin sont encore foulées par les assassins de Bassville. En est-il entre vous dont le courage s'amollisse ? En est-il qui préféreraient retourner sur les sommets de l'Apennin et des Alpes, essuyer patiemment les injures de cette soldatesque esclave ? Non, il n'en est point parmi les vainqueurs de Montenotte, de Millesimo, de Dego et de Mondovi. Tous brûlent de porter au loin la gloire du peuple français, tous veulent humilier les rois orgueilleux qui osaient méditer de nous donner des fers ; tous veulent dicter une paix glorieuse et qui indemnise la patrie des sacrifices immenses qu'elle a faits ; tous veulent, en rentrant dans leurs villages, pouvoir dire avec fierté : J'étais de l'armée conquérante d'Italie.

BONAPARTE.

 

Comme il l'avait annoncé à Joséphine, Bonaparte, après avoir séparé les armées autrichiennes et piémontaises, a fait la paix avec le roi de Sardaigne et, vainqueur des Autrichiens à Lodi, à Castiglione, à Arcole, à Rivoli, il s'empare de la ville de Mantoue. Après chaque bataille il écrit à sa femme pour lui renouveler son amour et lui envoyer des millions de baisers.

Le 5 floréal, de Carru, il écrit à Joséphine :

Mon frère — Joseph —, te remettra cette lettre : J'ai pour lui la plus vive amitié. Il obtiendra, j'espère, la tienne ; il la mérite. La Nature l'a doué d'un caractère doux et inaltérablement bon ; il est tout plein de bonnes qualités. J'écris à Barras pour qu'on le nomme consul dans quelque port d'Italie. Il désire vivre éloigné, avec sa petite femme, du grand tourbillon et des grandes affaires ; je te le recommande.

J'ai reçu tes lettres du 16 et du 21. Tuas été bien des jours sans m'écrire. Que fais-tu donc ? Oui, ma bonne amie, je suis, non pas jaloux, mais quelquefois inquiet. Viens vite ; je te préviens, si tu tardes, tu me trouveras malade. Les fatigues et ton absence, c'est trop à la fois.

Tes lettres font le plaisir de mes journées, et mes journées heureuses ne sont pas fréquentes. Junot porte à Paris vingt-deux drapeaux.

Tu dois revenir avec lui, entends-tu ?... malheur sans remède, douleur sans consolation, peines continues, si j'avais le malheur de le voir revenir seul. Mais tu vas revenir, n'est-ce pas ? Tu vas être ici à côté de moi, sur mon cœur, dans mes bras, sur ma bouche. Prends des ailes, viens, viens !

Un baiser au cœur, et puis un peu plus bas, bien plus bas !

B.....

 

Le 26 floréal (15 avril 1796), l'armée française entre à Milan, la capitale de la Lombardie. Bonaparte exige une contribution de 4.707.000 livres et le duc de Parme lui a livré 2 millions de livres, 1.200 chevaux harnachés, 2.000 bœufs, 10.000 quintaux de blé, 20 tableaux de choix. Le duc de Modène a, de son côté, versé dix millions. L'Italie est un trésor inépuisable que Bonaparte va rançonner sans ménagements.

Il a aussitôt envoyé Junot à Paris, porter au Directoire les premiers drapeaux pris à l'ennemi et la remise de ces drapeaux fut faite le 21 floréal, au Luxembourg, avec un éclat extraordinaire, devant toute la garnison de Paris. Joséphine présidait et Junot, dans son brillant uniforme neuf de colonel de hussards fut très applaudi. Le Président du Directoire lui remit une épée d'honneur pour rappeler éternellement le souvenir de cette journée.

A son frère Joseph, il a écrit pour lui demander d'insister auprès de Joséphine pour qu'elle vienne le rejoindre à Milan. Il ne peut plus vivre sans elle et il désire aussi qu'elle partage son triomphe :

Si elle se porte bien, qu'elle puisse faire le voyage, je désire avec ardeur qu'elle vienne, j'ai besoin de la voir, de la presser contre mon cœur, je l'aime à la fureur et je ne puis plus rester loin d'elle. Si elle ne m'aimait pas je n'aurais plus rien à faire sur la terre.

 

Bonaparte, après avoir dicté la suspension d'armes avec le roi de Sardaigne, modifie ses instructions à Joséphine :

Cheruble, le 10 floréal.

Je t'écrivais par Junot de partir avec lui pour me venir joindre ; je te prie aujourd'hui de partir avec Murat, de passer par Turin. Viens ! cette idée me transporte de joie. Ecris-moi, viens vite, ce sera un jour bien heureux que celui où tu passeras les Alpes. C'est la plus belle récompense de mes peines et des victoires que j'ai remportées.

 

Tous les jours, il écrit ; son impatience augmente. Il envoie à Joséphine un nouveau message par le duc de Serbelloni :

Tous les courriers arrivent sans m'apporter de tes lettres. Tu ne m'as jamais aimé. Mon malheur est de t'avoir peu connue ; le tien de m'avoir jugé comme les hommes qui t'environnent. Mon cœur ne sentit jamais rien de médiocre... tu lui as inspiré une passion sans bornes, une ivresse qui le dégrade... j'adorais tout en toi. Plus naïve, plus jeune, je t'eusse moins aimée... Tout me plaisait, jusqu'au souvenir de tes erreurs. Joséphine tu eusses fait le bonheur d'un homme moins bizarre. mais le reproche n'est pas digne de moi. Je n'ai jamais cru au bonheur. Tous les jours, la mort voltige autour de moi. La vie vaut-elle la peine de faire tant de bruits ! ! Adieu, mon bonheur, ma vie, tout ce qui existait pour moi sur la terre.

 

Joséphine se décide à aller le rejoindre à Milan. Le 6 messidor an IV, le Directoire lui fait délivrer un passeport ainsi qu'aux citoyens Junot, aide de camp du général, Joseph Bonaparte, Nicolas Clary, beau-frère du général, Louise Compoint[26] femme de chambre de Joséphine et son mari, Jacques Compoint[27], Antoine Labesse, Jean Laurent et Nicolas Chareton, attachés à sa personne, et Hippolyte Charles, adjoint aux adjudants généraux, employé à l'armée d'Italie.

 

Un joyeux souper a réuni chez Barras, Joséphine, son beau-frère Joseph Bonaparte, le général Murat, qui est du voyage et le colonel Junot. Les autres voyageurs attendent dans la cour du palais du Luxembourg, avec les berlines chargées de malles et de colis. C'est par une nuit splendide, une nuit étoilée que le départ a lieu. Barras conduit Joséphine jusqu'à sa voiture ; avec ses félicitations il la charge de porter des paroles flatteuses au vainqueur : Toute la France, toute l'Europe ont les yeux fixés sur lui, ses triomphes sont ceux de la liberté !

On a bientôt fait de traverser Paris et après avoir longé le bois de Vincennes on s'enfonce dans la campagne où tout dort et repose, les arbres et les nids !

***

Bonaparte a été avisé que Joséphine a quitté Paris le 24 juin. Marmont est envoyé au devant d'elle et il a fait préparer pour la recevoir le palais du duc Serbelloni[28], le séjour le plus délicieux que l'on puisse rêver. Il brûle du désir de la revoir, de la capter dans ses bras. Mais la guerre a ses exigences. Bonaparte est obligé de rejoindre son quartier général à Marmirolo et, entre deux attaques, il écrit au général Despinoy qui commande à Milan : Dès que ma femme sera arrivée, je vous prie de m'envoyer un courrier.

Ce courrier lui parvient le 13 juillet. Joséphine est à Milan et, en son absence, elle a été reçue en reine avec un enthousiasme fou. On l'a comblée de présents, de bijoux ; son appartement est plein de fleurs et dans le grand palais Serbelloni, vieille demeure somptueuse, garnie de miroirs, de fresques, de tableaux et de statues antiques, elle sent palpiter de joie son cœur. Il fait beau, l'air embaumé d'Italie entre par les fenêtres ouvertes, avec les rumeurs de la ville qui chantent sa gloire ; le cliquetis des armes, le piaffement des chevaux des aides de camp rem plissent la cour. C'est pour elle une apothéose. Inquiète de sa destinée, après tant de malheurs et de tribulations, elle se demande si c'est là, dans ce tourbillon où la Victoire et l'Amour sont mêlés, la prédiction d'Eliama : Plus que reine ! Peut-elle espérer plus ?

Bonaparte ne tarde pas à se rendre à Milan, hélas, pour peu de temps, car les Autrichiens se remuent et il doit voler à de nouveaux combats et de nouvelles victoires.

Il est à Marmirolo le 29 messidor, à Castiglione le 3 thermidor. De Castiglione, il invite Joséphine à venir le rejoindre à Brescia le 7. Elle couche à Cassano le 6 et le rejoint à Brescia le lendemain. Elle y doit- laisser son mari le 10, l'ennemi attaquant les avant-postes. Elle doit même quitter précipitamment et sa voiture essuie une vive fusillade des Autrichiens qui sont déjà à Ponte-Marco. Deux chevaux de la voiture sont tués ainsi qu'un soldat de l'escorte. Joséphine s'est sauvée à pied et à travers champs est parvenue à une ferme où elle a obtenu une carriole qui lui permet de continuer la route.

Bonaparte quitte Brescia le 14 pour Desenzano, Perschiera et Vérone, où il arrive le 16. Le 17, il est à Ala, le 18, il gagne la bataille de Roveredo, le 19, il entre à Trente, le 23, il gagne la bataille de Bassano et le 24, il est à Montebello.

De Montebello, il écrit à Joséphine :

L'ennemi a perdu, ma chère amie, dix-huit mille hommes prisonniers. Le reste est tué ou blessé. Wurmser, avec une colonne de 1.500 chevaux et cinq mille hommes d'infanterie, n'a plus d'autre ressource que de se jeter dans Mantoue[29].

Jamais nous n'avons eu de succès aussi grands, ni aussi constants. L'Italie, le Frioul, le Tyrol sont assurés à la République. Il faut que l'Empereur crée une nouvelle armée. Artillerie, équipages de pont, bagages, tout est pris. Sous peu de jours nous nous reverrons. C'est la plus douce récompense de mes fatigues et de mes peines.

Mille baisers ardents et bien amoureux.

BONAPARTE.

 

Joséphine est retournée à Milan où elle est fêtée et choyée, au milieu d'une cour brillante de jeunesse, d'entrain et de gaieté. C'est une suite ininterrompue de solennités, de dîners, de réceptions. Les officiers, les hauts fonctionnaires, leurs femmes, venaient déposer à ses pieds des hommages qu'elle devait aux succès de son époux. Dans ce tourbillon de gloire, elle trône comme une reine, entourée de flatteries, accablée de compliments et de cadeaux. Son fils Eugène, alors âgé de dix-sept ans, est venu la rejoindre et elle est la femme la plus heureuse du monde. Bonaparte qui a une affection toute particulière pour Eugène le fait entrer au service et se l'attache en qualité d'aide de camp.

De Marmirolo, Bonaparte, séparée pour la seconde fois de son épouse lui écrit, le 29 messidor :

Depuis que je t'ai quittée, j'ai toujours été triste. Mon bonheur est d'être près de toi. Sans cesse je repasse dans ma mémoire, tes baisers, tes larmes, ton aimable jalousie, et les charmes de l'incomparable Joséphine allument sans cesse une flamme vive et brûlante dans mon cœur et dans mes sens. Je croyais t'aimer il y a quelques jours mais depuis que je t'ai vue, je sens que je t'aime mille fois plus encore. Depuis que je te connais, je t'adore tous les jours davantage.

 

De Castiglione délia Stivera, 4 thermidor (22 juillet) :

La chaleur est excessive. Mon âme est brûlée. Je commence à me convaincre que, pour être sage et se bien porter, il ne faut pas sentir et ne pas se livrer au bonheur de connaître l'incomparable Joséphine. Tes lettres sont froides ; la chaleur du cœur n'est pas à moi. Pardi ! je suis le mari. Un autre doit être l'amant. Il faut être comme tout le monde. Malheur à celui qui se présenterait à mes yeux avec le titre d'être aimé de toi ! Mais tiens, me voilà jaloux. Bon Dieu, je ne sais pas ce que je suis ! mais ce que je sais bien, c'est que, sans toi, il n'est plus de bonheur, ni vie. Sans toi, entends-tu ? C'est-à-dire tout entière. S'il est un sentiment dans ton cœur qui ne soit pas à moi, s'il en est un seul que je ne puisse connaître, ma vie est empoisonnée ; et le stoïcisme, mon seul refuge. Dis-moi que. Aime-moi, reçois mille baisers de l'imagination et tous les sentiments de l'amour.

B.....

 

De Vérone, le 1er frimaire, an V (20 novembre 1796) :

Je vais me coucher, ma petite Joséphine, le cœur plein de ton adorable image, et navré de rester tant de temps loin de toi ; mais j'espère que, dans quelques jours, je serai plus heureux et que je pourrai à mon aise te donner des preuves de l'amour ardent que tu m'as inspiré. Tu ne m'écris plus ; tu ne penses plus à ton bon ami, cruelle femme ! ne sais-tu pas que sans toi, sans ton cœur, sans ton amour, il n'est pour ton mari ni bonheur, ni vie. Bon Dieu ! Que je serais heureux si je pouvais assister à l'aimable toilette, petite épaule, un petit sein blanc, élastique, bien ferme ; par-dessus cela, une petite mine avec le mouchoir à la créole, à croquer. Tu sais bien que je n'oublie pas les petites visites ; tu sais bien, la petite forêt noire. Je lui donne mille baisers et j'attends avec impatience le moment d'y être. Tout à toi, la vie, le bonheur, le plaisir ne sont que ce que tu les fais.

Vivre dans une Joséphine, c'est vivre dans l'Elysée. Baiser à la bouche, aux yeux, sur l'épaule, au sein, partout, partout !

 

De Vérone, le 3 frimaire (23 novembre) :

Je ne t'aime plus du tout ; au contraire, je te déteste. Tu es une vilaine, bien gauche, bien bête, bien cendrillon. Tu me m'écris pas du tout ; tu n'aimes pas ton mari ; tu sais le plaisir que tes lettres lui font, et tu ne lui écris pas six lignes, jetées au hasard !

Que faites-vous donc, toute la journée, Madame ? Quelle affaire si importante vous ôte le temps d'écrire à votre bien bon amant ? Quelle affection étouffe jet met de côté l'amour, le tendre et constant amour que vous lui avez promis ? Quel peut être ce merveilleux, ce nouvel amant qui absorbe tous vos instants, tyrannise vos journées et vous empêche de vous occuper de votre mari ? Joséphine, prenez-y garde ; une belle nuit, les portes enfoncées, et me voilà.

En vérité, je suis inquiet, ma bonne amie, de ne pas recevoir de tes nouvelles ; écris-moi quatre pages, et de ces aimables choses qui remplissent mon cœur de sentiment et de plaisir.

J'espère qu'avant peu, je te serrerai dans mes bras, et je te couvrirai d'un million de baisers brûlants comme sous l'équateur.

BONAPARTE.

 

De Vérone, le 4 frimaire (24 novembre) :

J'espère bientôt, ma douce amie, être dans tes bras. Je t'aime à la fureur. J'écris à Paris, par ce courrier. Tout va bien. Wurmster a été battu hier sous Mantoue. Il ne manque à ton mari que l'amour de Joséphine pour être heureux.

BONAPARTE.

 

Et enfin de Tolentino, 1er ventôse, an V (19 février 1797) :

La paix avec Rome vient d'être signée. Bologne, Ferrare, la Romagne sont cédées à la République ! Le pape nous donne trente millions dans peu de temps et des objets d'art.

Je pars demain pour Ancône et de là pour Rimini, Ravenne et Bologne, mais ménage-toi, je t'en conjure.

Pas un mot de ta main. Bon Dieu ! qu'ai-je donc fait ? Ne penser qu'à toi, n'aimer que Joséphine, ne vivre que pour une femme, ne jouir que du bonheur de mon amie, cela doit-il me mériter de sa part un traitement si rigoureux. Mon amie, je t'en conjure, pense souvent à moi et écris-moi tous les jours. Tu es malade ou tu ne m'aimes pas ? Crois-tu donc que mon cœur est de marbre et mes peines t'intéressent-elles si peu ? Tu me connaîtrais bien mal ! Je ne puis le croire. Toi à qui la nature a donné l'esprit, la douceur et la beauté, toi qui seule pouvait régner dans mon cœur, toi qui sait trop, sans doute, l'empire que tu as sur moi !

Ecris-moi, pense à moi et aime-moi.

Pour la vie, tout à toi.

BONAPARTE.

 

Bonaparte est un amant jaloux, difficile à satisfaire, impérieux et exigeant. Tantôt heureux, tantôt malheureux, il nage sans cesse de la tendresse la plus enivrante au doute le plus affreux. Il reconnaît lui-même la bizarrerie de son caractère et Joséphine ne sait plus qu'écrire. Elle a presque peur de lui.

***

Bonaparte avance sur Vienne. Dans toutes les rencontres, les Autrichiens sont battus. Son génie indomptable remplace le nombre. L'archiduc Charles, le premier homme de guerre de l'Autriche, voit fondre ses armées et doit reconnaître la supériorité de son adversaire. Bonaparte passe le Tagliamento et avance jusque dans la Styrie. L'Empereur est effrayé lorsqu'il apprend que les Français sont à vingt-cinq lieues de sa capitale. Il accepte les propositions formulées par Bonaparte, et les fameux préliminaires de la paix sont signés à Leoben.

On nous enseigne que, comme Louis XIV, Napoléon aimait trop la guerre. Pouvait-il l'éviter ? Méditons la lettre que le héros de Lodi, déjà couvert de gloire, envoya à l'archiduc Charles :

Monsieur le général en chef, les braves militaires font la guerre et ils désirent la paix. Avons-nous assez tué de monde et causé assez de maux à la triste humanité ? L'Europe qui avait pris les armes contre la République Française les a posées. Votre nation reste seule et, cependant, le sang va couler plus que jamais, Cette sixième campagne s'annonce sur des présages sinistres. Quelle qu'en soit l'issue, nous tuerons de part et d'autre quelques milliers d'hommes et il faudra bien que l'on finisse par s'entendre, puisque tout a un terme, même les passions haineuses.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Quant à moi, Monsieur le général en chef, si l'ouverture que j'ai l'honneur de vous faire, peut sauver la vie à un seul homme, je m'estimerai plus fier de la couronne civique, que je me trouverai avoir méritée que de la triste gloire qui peut revenir des succès militaires.

 

L'armistice de Lœben s'ensuivit, puis le traité de Campo-Formio.

La campagne d'Italie est terminée. Le but fixé par Bonaparte est atteint. Il rejoint Joséphine à Milan où le peuple en délire salue le libérateur de l'Italie. II avait alors vingt-huit ans !

Le printemps italien est embaumé, doux et reposant, les soirées sont délicieuses. Après tant de fatigues, le vainqueur se laisse aller à la joie de vivre, auprès de sa bien-aimée et goutte, lui aussi, à l'enivrement de la gloire en écoutant les acclamations de la foule qui, chaque soir, vient sous les fenêtres du Palais Serbelloni lui donner des aubades et témoigner leur admiration.

***

En attendant la signature du traité de paix qui doit mettre fin à la guerre, Joséphine et Bonaparte visitent les plus beaux sites des environs. C'est Venise, la cité des Doges, Tivoli, Frascati, Isola Bella, Udine, les ruines d'Aquilée, où ils évoquent tous ceux qui y vécurent : ces impératrices mémorables, Livie, Octavie, Julie, Agrippine, Messaline, Lesbie. Que d'ombres célèbres errent dans les jardins merveilleux ! La vertu et le vice mélangés. Livie femme d'Auguste, surveille le tissage des toges de son mari, tandis que Catulle pleure le dévergondage de son épouse Lesbie. Où sont hélas les amies de Mécène et de Martial, la première possédant une vaisselle d'or inestimable, la dernière s'enivrant dans le parfum, le safran et les roses de Paestum ; toutes ces Omphales qui faisaient des plus victorieux leurs esclaves ? Les amoureux enlacés vont cueillir les fleurs et humer le jeune printemps italien et, le soir, dans l'ombre, du haut de son balcon, le futur empereur croit voir passer la haute taille de Tibère, la tunique bigarrée et la barbe d'or de Caligula, la tête blanche de Claude, Vitellius le gourmand, Néron le sadique, César le grand conquérant !

Le traité de Campo-Formio est enfin signée[30]. Il garantit à la France, la Belgique et la ligne du Rhin ; il donne la Vénitie à l'Autriche. Bonaparte prépare son retour à Paris, étant rappelé par le Directoire. Joséphine le précède.

Le 30 novembre, il quitte Rastadt. Après deux années en Italie, le voici sur la route de retour. Dans la voiture, assis à côté de Bourrienne, il est plongé dans ses réflexions. Que vat-il trouver à Paris ? Par Clarke, qui avait remplacé Saliceti, en qualité de commissaire à l'armée, il a été renseigné sur les desseins du Directoire. On veut l'écarter à tout prix. Soudain il dit à Bourrienne : Encore quelques campagnes victorieuses comme celle-ci et nous aurons un nom qui passera à la postérité. Bourrienne lui fait remarquer que déjà sa réputation est au-dessus de celle de tous les autres généraux. En riant, Bonaparte riposte : Vous me flattez, Bourrienne, si je disparaissais aujourd'hui, dans dix siècles ma bibliographie ne remplirait pas une demi-page de l'histoire universelle. Son ambition est plus grande !

Le 5 décembre, les amants se retrouvent dans le petit hôtel de la rue Chantereine. Le Directoire a voulu recevoir en grande pompe le vainqueur, des fêtes solennelles sont données et Joséphine participe à la gloire de son mari. Elle a rapporté d'Italie des tableaux, des antiques, des statues, des mosaïques, des présents de toutes sortes, capables d'orner la plus somptueuse demeure, ainsi qu'une prodigieuse quantité de perles, de diamants et de camées. Elle décide d'acheter La Malmaison pour la somme élevée, à l'époque, de 225.000 francs, plus le mobilier 37.500 francs. La Malmaison était une maison de campagne, jolie, agréable à cause des environs, avec un joli parc anglais. C'est Barras qui lui procura l'occasion d'acheter, à crédit, cette superbe propriété et elle le remercia par la lette suivante :

AU CITOYEN BARRAS

Membre du Directoire Exécutif.

Fontainebleau.

Rien ne m'est plus agréable que ce que vous m'annoncez, mais rien ne me surprend moins. Je connais votre influence et surtout votre zèle ; j'étais sûre de vous intéresser ; je ne l'étais pas moins que vous réussiriez. Me voilà donc certaine de posséder un asile ; et, grâce à cette bienveillance qui augmente le bienfait par la délicatesse, cet asile est selon mes souhaits et je pourrai m'y livrer à mes goûts. Goûts paisibles et purs, qu'aux jours de la prospérité j'avais cultivés par fantaisie, et que je caresse aujourd'hui par prédilection. Je les ai inspirés aussi à mes enfants qui y ont déjà trouvé dès leur premier âge, et qui bientôt y chercheront le chemin du second. Héritiers d'un proscrit, la modestie sied à leurs vieux et l'obscurité à leur existence[31]. Celle dont nous allons jouir à la Malmaison remplit toutes ces conditions ; et, malgré des pertes énormes, si le père de mes enfants vivait, je n'aurais plus de désirs à former. Mais s'il vivait vous aurais-je connu ? aurais-je été malheureuse ? et tant de bienveillance se serait-elle réunie sur une infortunée ? Il faut prendre chaque situation de la vie avec toutes ses chances ; la plus périlleuse en a peut-être quelques-unes encore de favorables ; et c'est à les mettre à profit que consiste le bon sens ; voilà ce qu'il est facile de se dire, lorsque la passion ne nous agite pas ! J'ai subi une épreuve, où, durant quelques mois, je n'ai pu soupçonner un beau jour. Je n'avais alors que le choix des malheurs ; je les crois passés, et ce que vous faites aujourd'hui pour moi recommence ma vie. En la consacrant à la solitude, à l'étude, à l'éducation de mes enfants, ce sera là la conserver au bonheur tranquille et à notre inaltérable reconnaissance.

 

Joséphine, dont l'existence avait été si mouvementée, qui avait passé de la prison des Carmes aux fêtes grandioses du Directoire, appréciait le calme et la paix de la campagne. Elle avait choisi ce délicieux refuge dans la banlieue parisienne pour Bonaparte, sachant que le surhomme qui rêvait de recréer la France, et même le monde, avait besoin de repos et de distractions, sa tache géante étant accablante. Au milieu des roses et des Heurs les plus rares, il y trouverait une détente nécessaire après l'effort, au milieu de ravissantes créatures, dans l'entrain des parties de barre sur la pelouse, les cavalcades en forêt et l'espièglerie des charades. Les résidences royales ont toujours quelque chose de triste et de sévère. A la Malmaison, on n'était pas rivé aux chaînes dorées du protocole, tout était riant et l'existence s'écoulait douce et heureuse. C'était le séjour des illusions et là, le premier Consul entendait encore la vérité tandis qu'à Saint-Cloud, à Compiègne ou à Fontainebleau, personne n'aurait osé la lui dire. A Saint-Cloud, déjà travaillé par son ambition gigantesque, il lui fallait une cour, une maison militaire, une maison civile, une étiquette savante, un fastueux apparat, tandis qu'à la Malmaison on gardait une simplicité républicaine, et le temps passait en excursions dans les environs, en promenades sur la superbe terrasse de Saint-Germain, ou en barque sur l'étang de Saint-Cucufa. Les bals champêtres du Petit Trianon, les pastorales, les idylles, les bergeries, faisaient revivre les souvenirs de Marie-Antoinette, et Bonaparte aimait à se promener dans les allées de marronniers et à rêver à l'heure de l'Angelus, quand le son lointain des cloches de l'église de Rueil faisaient vibrer l'atmosphère.

La Malmaison, mélancolique résidence, refuge sacré et nostalgique de l'amour allait devenir le sanctuaire des fastes napoléoniens et c'est là que, répudiée, l'Impératrice devait mourir. Par la suite, elle dépensa beaucoup d'argent pour l'arranger à son goût et elle y réunit une collection de rosiers, de tulipes[32] et de plantes qui, plus tard, fit l'admiration de tous. C'est elle qui importa en France l'Amaryllis gigantea, dont la fleur est tant admirée.

Si Joséphine se plut à embellir La Malmaison et fit des dépenses énormes pour y ajouter toutes les beautés qui la caractérisent, il faut reconnaître les avantages qu'elle devait à la nature. Maurice de Tascher, un cousin éloigné de l'Impératrice, qui entra dans l'armée impériale à vingt ans, fut à Iéna, Friedland, Wagram et suivit l'empereur en Russie, où il mourut épuisé de fatigue, nous a laissé ses impressions sur la Malmaison d'alors, l'ayant visité le 25 mai 1810.

Une rivière artificielle charmante, dont les bords sont vivifiés par mille oiseaux indigènes et étrangers, une serre chaude qu'on admire encore après les belles serres du Jardin des Plantes, des jardins, où, sans s'attarder à la nomenclature scientifique, on a réuni parmi les arbustes et les fleurs ce que les deux mondes offrent de plus séduisant. Sous un massif de beaux arbres, au-dessus d'une source qui bouillonne, s'élève un temple consacré à l'Amour. Le parfum qui exhalent des massifs de fleurs, l'expression du dieu, la situation poétique du lieu, tout concourt à le rendre digne et de la déité auquel il est consacré et de celle pour qui s'embellit ce beau jardin. Une grande fraîcheur dans la verdure, des prés, des bois entremêlés avec goût, en font un lieu de promenade agréable. L'œil se repose de toutes parts sur un rideau de verdure, l'oreille n'est frappée d'aucun son qui lui rappelle la ville et son fracas.

Je ne parlerai pas de l'intérieur des appartements, de la beauté des tableaux, de la recherche des meubles, où la délicatesse française lutte et se joint à la mollesse orientale. Cette maison qui ne présente au dehors qu'un pavillon fort simple, est en dedans un véritable palais en miniature.

***

Inquiets de la popularité grandissante du général, les nouveaux membres du Directoire[33] avaient songé à lui retirer son commandement, mais n'osant pas, ils pensèrent à diminuer ses pouvoirs en divisant l'armée. Bonaparte proteste énergiquement contre cette méconnaissance des intérêts les plus évidents de la République et il n'en est plus question. Mais une lutte sourde va s'engager entre lui et les membres du gouvernement.

Le traité de Campo-Formio avait laissé la France seule en guerre avec l'Angleterre. Bonaparte veut attaquer son ennemie jurée et propose au Directoire la campagne d'Orient. La conquête de l'Egypte sera, dit-il, la ruine de l'empire que les Anglais viennent de fonder dans les Indes. Maître de l'Egypte il pourra pénétrer en Syrie et marcher sur Constantinople ; puis pénétrer jusqu'aux Indes. Il rêve d'imiter Alexandre. La Méditerranée doit être un lac français, affirme-t-il.

Trop heureux de l'éloigner momentanément de la capitale, les Directeurs acceptent ses propositions et, le 30 floréal, il s'embarque à Toulon, en prenant le titre de Commandant en chef de l'armée d'Angleterre ! Son autorité est absolue sur la flotte et sur l'armée.

L'idée qu'il poursuit est d'arracher l'empire des mers à l'ambitieuse Angleterre et d'élever la France au plus haut degré de la prospérité en rétablissant le droit de tous les peuples à la libre 'possession des routes de communication entre toutes les parties du globe. Ce vaste et périlleux dessein il l'a porté dans son sein depuis Toulon, et il est maintenant résolu à secouer l'insupportable domination des Anglais, à affranchir et régénérer la vieille Asie qui, après avoir connu les bienfaits d'une haute civilisation, se trouve, depuis de longs siècles plongée dans la barbarie.

Cette conception gigantesque n'avait-elle pas déjà occupé ses grands prédécesseurs : Alexandre et César ? Donnant libre cours à son imagination démesurée, Bonaparte ne recule pas devant sa pensée, quelque téméraire qu'elle pût paraître aux autres hommes. Il avait foi dans son étoile, connaissait la puissance de son génie, sa force de volonté et avait tenu longtemps conseil lui-même dans de profondes méditations, après avoir invoqué le secours de toutes les lumières du passé. Sur le rocher de Sainte-Hélène, prisonnier de l'Angleterre, il devait plus tard regretter amèrement l'impuissance des hommes et se plaindre des bornes trop étroites de l'humanité.

Il emmène avec lui son frère Louis, Eugène, Marmont, Junot, Berthier, Desaix et Julien, ses frères d'armes ; Bourrienne, son secrétaire intime, et une pléiade de savants : Champollion, Geoffroy Saint-Hilaire, Monge, Dolomieu, Berthollet, Desgenettes, Larrey, Fourrier, Castaz Say, Nouet, Quesnot, Cassard, Conté, Dubois, Regnault, Samuel-Bernard, Champy père et fils, Cordier, Rozières, Parseval de Grandmaison, Victor Dupuy, Delille, Coquebert, Ripault, Pourlier ; les ingénieurs géographes : Jacotin, Lafeuillade, Leduc, Bourgeois Pottier, Dulion, Chaumont, Levèque, Laroche, Jomard, Corabœuf ; des astronomes, des chimistes, des géomètres, des architectes, des minéralogistes, des sculpteurs, des littérateurs, des musiciens, etc.

Joséphine qui avait longtemps hésité avant d'aller le rejoindre en Italie, veut cette fois l'accompagner, mais il s'y oppose. Le souvenir de l'aventure de Brescia est encore trop vivace dans sa mémoire. Et il Y avait les dangers de la traversée maritime. L'amiral anglais Nelson croisait dans la Méditerranée.

Elle l'accompagnera jusqu'à Toulon où la flotte est prête. Elle se compose du vaisseau amiral, l'Orient, un trois ponts de 120 canons, le Franklin — contre amiral Villeneuve —, le Conquérant, le Peuple Souverain, le Mercure, le Guillaume Tell, le Généreux, le Guerrier, le Spartiate, le Timoléon, l'Aquilon, le Tonnant[34], l'Heureux et les frégates la Diane, la Justice, la Junon, la Sensible.

Bonaparte passe en revue les troupes. Il leur adresse ces paroles mémorables :

Soldats, les légions romaines que vous avez quelquefois imitées, mais pas encore égalées, combattaient Carthage tour à tour sur cette même mer et aux plaines de Zama. La victoire ne les abandonna jamais, parce que constamment elles furent braves, patientes à supporter tes fatigues, disciplinées et unies entre elles. Soldats, l'Europe a ses yeux fixés sur vous. Vous avez de grandes destinées à remplir, des batailles à livrer, des dangers, des fatigues à vaincre. Vous ferez plus que vous n'avez fait pour la prospérité de la patrie, le bonheur des hommes et votre propre gloire.

 

L'heure de la nouvelle séparation a sonné. Bonaparte parle avec volubilité de ses projets. Il veut creuser un canal à travers l'isthme de Suez, afin que la France puisse ultérieurement protéger ses nouvelles conquêtes, se rendre mai Ire de Constantinople, traverser la Syrie et aller jusqu'aux Indes, et lorsque Joséphine lui demande combien de temps durera son absence, il répond : Six mois ou six ans ! Il se voit déjà en Asie, le fondateur d'un nouvel empire et, monté sur un éléphant, portant un turban, tenant à la main un nouveau Coran, propageant une nouvelle religion[35] !

Aussitôt le départ de la flotte, le 19 mai, Joséphine s'est rendue à Plombières pour y prendre les eaux. C'est dans cette station thermale qu'elle eut un accident qui aurait pu être grave. Elle était sur le balcon de son appartement, en compagnie de la citoyenne Adrienne Cambis, le général Colle et le citoyen Latour, lorsque les planches cédèrent et tous les quatre tombèrent d'une hauteur d'environ quinze pieds. Joséphine fut très contusionnée, mais, grâce aux soins qui lui furent prodigués, se rétablit assez rapidement de sa chute. Elle passait son temps à ourler des madras. Des fêtes superbes sont données en son honneur et le Directoire lui fait parvenir un sabre magnifique qu'elle devra remettre au général à son retour.

Un matin, on lui porte cette lettre de Bonaparte, écrite à bord de l'Orient.

La fièvre me brûle, douce et cruelle Joséphine, mon cœur se dessèche quand je n'ai pas ton amour. Si tu pouvais comprendre l'homme que je suis ! Ma pensée, hantée de rêves prodigieux, me hausse constamment au-dessus des autres hommes. Si entouré que je sois, aimé, admiré, obéi, je suis seul au milieu de la foule de mes compagnons ; aucun ne peut mesurer son âme à la mienne. Je ne peux pas être faible devant eux, car ils viennent tous à moi comme à un protecteur ; même quand je plaisante, quand je joue avec eux, je ne m'abandonne pas. mais avec toi, j'oserais être faible, je serais le protégé et toi la protectrice. Ta petite main rafraîchirait ma fièvre, je poserais sur ton sein mon front trop lourd de pensées et tu me bercerais. Quand les bruits de la guerre auraient trop longtemps fatigué mes oreilles, ta voix me dirait un chant d'amour Joséphine ! Joséphine ! Pourquoi n'es-tu pas ici ?

***

En route pour la côte d'Afrique, Bonaparte a pris Malte[36], dont il confie le gouvernement au général Vaubois et, le 13 messidor, au matin, une ligne dorée annonce la côte. La colonne de granit rose de Pompée, à l'entrée de la ville d'Alexandrie, se détache bientôt sur le ciel bleu ; Bonaparte a échappé à l'escadre de Nelson !

***

Le 29 fructidor (16 août 1798), Joséphine est de retour à Paris. La nouvelle de la défaite d'Aboukir, le 1er août l'avait précédé. La flotte qui avait transporté l'armée en Egypte était au mouillage dans la rade d'Aboukir, où son chef, Brueys, âgé seulement de 45 ans, se croyait dans une position très forte, lorsque l'escadre anglaise, commandée par Nelson, vint l'y attaquer. Les navires, pris entre deux feux, durent combattre à l'ancre et furent écrasés au mouillage.

La bataille d'Aboukir fut un désastre car il anéantissait les projets de Bonaparte, fixant le sort de l'Orient qui allait rester sous la domination de l'Angleterre, plongée dans l'ignorance et la misère par la politique inflexible de ses maîtres, comme plus tard Trafalgar devait fixer le sort de l'Angleterre elle-même, menacée par le blocus continental.

Ce n'est pas une victoire, mais une conquête ! s'était écrié Nelson, en examinant la situation. Le vaisseau amiral, L'Orient, avait sauté. Neuf vaisseaux et la plupart des petits navires avaient été capturés. Nous avions perdu plus de cinq mille hommes, trois mille prisonniers, tandis que les Anglais comptaient 900 tués. L'armée d'Egypte se trouvait bloquée, toutes les communications avec la France coupées[37]. Joséphine qui connaissait les sombres desseins du Directoire comprend le danger qui menace son mari. Elle s'empresse d'écrire à Barras qui est à la campagne :

Mon premier soin a été d'envoyer chez vous pour savoir de vos nouvelles. J'ai appris que vous étiez à la campagne et que vous n'arriverez que fort tard ; comme je suis bien inquiète des nouvelles que j'ai appris par Malte, mon cher Barras, voulez-vous que j'aille vous voir ce soir à neuf heures. Donnez des ordres pour que personne ne puisse entrer.

 

C'est par son fils Eugène qu'elle avait appris la triste nouvelle. Eugène lui annonçait en même temps que Bonaparte allait revenir en France. Ayant appris nos revers en Allemagne, il s'était décidé à partir secrètement, laissant le commandement général des troupes à Kléber. Peu de jours avant, il devait battre les Mameluks, à la journée des Pyramides et s'emparer du Caire[38].

La perte de la bataille navale d'Aboukir était une catastrophe, le malheur était grand, et Bonaparte prévoyant que la nouvelle de cette défaite va jeter la consternation à Paris et provoquer des décisions du Directoire a en effet décidé de rentrer en France, après avoir organisé ses services administratifs et assuré la sécurité et la subsistance de son armée. Il fera au préalable la conquête de la Syrie, vestibule et grenier de l'Egypte, afin de lui assurer la disposition des grandes forêts du Liban.

Un malheur ne vient jamais seul. Bonaparte, ainsi que nous le rapportent le Prince Eugène et Bourrienne, dans leurs Mémoires, avait eu connaissance des histoires qui circulaient sur l'inconduite et les soi-disant infidélités de sa femme à Paris[39] et ces calomnies, ajoutées au mécontentement qui régnait parmi certains généraux de l'armée[40], avaient troublé son .esprit et assombri son bonheur domestique. Il avait aussi hâte de retrouver sa Joséphine, de connaître la vérité et d'exterminer cette race de freluquets et de blondins.

Sous l'impulsion de la colère, il avait écrit une lettre, contenant d'amères reproches, à laquelle Joséphine avait répondu :

Est-ce bien vous, mon ami, qui avez écrit la lettre que je viens de recevoir ? A peine puis-je le croire, en la comparant à celles qui sont là devant moi et auxquelles votre amour a su prêter tant de charmes ! Mes yeux ne peuvent douter que ces pages qui me déchirent le cœur, ne soient bien de vous ; mais mon âme se refuse à imaginer que la votre ait pu tracer ces lignes, qui devaient faire succéder à la joie si vive que j'éprouve en recevant de vos nouvelles, le chagrin mortel d'avoir, - pour la première fois, à lire les expressions d'une colère qui m'afflige surtout parce qu'elle doit vous avoir fait un mal affreux.

J'ignore totalement ce que j'ai pu faire pour avoir un ennemi acharné à détruire mon repos, en troublant le vôtre ; mais il est certain qu'il faut un motif bien grave, pour engager quelqu'un à renouveler sans cesse auprès de vous des calomnies contre moi, qui aient assez de vraisemblance pour être accueillies une minute, par l'homme qui m'a jusqu'ici jugée digne de tout son attachement et de sa confiance. Ces deux sentiments sont nécessaires à mon bonheur, et s'ils devaient sitôt m'être refusés, pourquoi fallait-il me faire connaître toute la douceur ? Il eut été plus heureux pour moi de vous être restée étrangère.

Lorsque je vous connus, abîmée de douleurs qui m'avaient accablée, je croyais ne pouvoir plus éprouver rien qui put ressembler à l'amour. Les scènes sanglantes dont j'avais été le témoin et la victime, me poursuivaient en tous lieux ; voilà pourquoi je ne craignais pas de me rencontrer souvent avec vous, imaginant peu d'ailleurs que je pusse un seul instant fixer votre choix.

Comme tout le monde, j'admirais votre esprit, vos talents ; moins que personne je devinais votre gloire future ; mais enfin j'étais tranquille et ne vous aimais que pour les services que vous rendiez à ma patrie. Il fallait me laisser livrée à cette admiration et ne pas chercher à la rendre passionnée, en vous servant près de moi des moyens de plaire que vous possédez mieux que qui que ce soit au monde, si, peu de temps après avoir uni votre destinée à la mienne, vous deviez regretter la félicité dont vous me faisiez jouir.

Croyez-vous maintenant qu'il soit possible d'oublier vos soins, votre amour ? Pensez-vous que je puisse devenir indifférente pour celui qui embellit mon existence par tout ce que la passion a de plus enivrant ? Pourrais-je jamais effacer de ma mémoire vos bontés pour Hortense ; les conseils et les exemples que vous donnez à Eugène ? Si cela vous paraît impossible, comment pouvez-vous me soupçonner de m'occuper un seul instant de ce qui vous est étranger ?

Oh ! mon ami, au lieu de prêter l'oreille aux imposteurs qui, par un motif que je ne m'explique pas, cherchent à détourner notre bonheur, que ne leur imposez-vous silence en leur racontant vos bienfaits pour une femme, dont le caractère n'a jamais été soupçonné d'ingratitude ? En leur détaillant ce que vous avez fait pour mes enfants, les calomniateurs se tairaient, puisqu'ils sauraient que c'est d'abord comme mère que je me suis attachée à vous. Depuis cette époque, si chère à mon souvenir, votre conduite, admirée de l'Europe entière, n'a pu que me faire adorer davantage l'époux qui m'avait choisie, pauvre et malheureuse. Chaque pas que vous faites ajoute à l'éclat du nom que je porte ; et c'est ce moment qu'on prend pour vous assurer que je ne vous aime plus ! Quelle absurdité, ou quelle méchanceté de la part de votre entourage, jaloux de votre supériorité marquée[41].

Oui, mon ami, je vous aime avec excès, et ceux qui assurent le contraire, savent qu'ils ont tort ; car je leur ai écrit plusieurs fois pour avoir de vos nouvelles par eux ; pour leur recommander de veiller sur vous ; enfin de m'instruire de tout ce qui avait rapport à vous.

Qu'ont-ils fait ces gens dévoués, sur lesquels vous comptez, et d'après lesquels vous me jugez avec une inconcevable injustice ? Ils vous cachent tout ce qui diminuerait les peines de l'absence ; ils profitent de votre caractère soupçonneux afin de vous donner des inquiétudes, qui vous portent à quitter un pays qu'ils détestent ; et plus ils vous irritent, plus ils sont contents. Voilà ce que je vois, tandis que vous vous abusez sur leurs intentions perfides. Croyez-moi, mon ami, dès que vous n'êtes plus leur égal, vous devenez leur ennemi ; et vos victoires sont autant de raisons de vous haïr.

Je connais leurs intrigues, et dédaigne de m'en venger en nommant ces hommes que je méprise, mais dont la valeur et les talents peuvent vous êtres utiles dans la grande entreprise, commencée si heureusement. Lorsque vous serez de retour je vous découvrirai quels sont ces envieux de votre gloire ; mais non, dès que je vous aurai vu, j'oublierai tout le mal qu'ils auront cherché à me faire pour ne me souvenir que de ce qu'ils auront fait pour contribuer à la réussite de vos projets.

Je vois, en effet, beaucoup de monde ; car c'est à qui me complimentera sur vos succès ; et j'avoue que je n'ai pas la force de fermer ma porte à qui me parle de vous. Les hommes sont en grand nombre dans ma société ; ils comprennent mieux que les femmes vos hardis projets ; ils parlent avec enthousiasme de ce que vous faites de grand ; tandis que celles-ci ne savent que se plaindre de ce que vous avez emmené avec vous leur époux, leur frère, leur père ! dès qu'elles ne vous louent pas, elles ne me plaisent plus ; cependant il en est dont j'aime le cœur, l'esprit, de préférence à tout, parce qu'elles ont pour vous une sincère amitié. Il faut avant tout placer ici le nom des spirituelles Mmes d'Aiguillon, Tallien et ma tante. Je les quitte peu ; et elles vous diront, ingrat que vous êtes, si j'ai pensé à faire des coquetteries avec tout le monde, ce sont vos expressions, et elles me seraient odieuses, si je n'avais la certitude que vous les avez désavouées, et que vous vous affligez maintenant de les avoir tracées.

Je suis effrayée de tous les dangers qui vous entourent et dont j'ignorerais la moitié, si Eugène n'insistait pour que je vous écrive de ne pas aller au-devant des périls et de ménager davantage des jours qui intéressent non seulement votre famille et vos amis mais d'où dépend la destinée de vos frères d'armes et de milliers de soldats qui n'ont de courage pour supporter tant de fatigues, que lorsqu'ils sont sous vos yeux.

Mon ami, je vous conjure de ne pas outrepasser vos forces, et d'écouter moins votre génie que les avis dictés par ceux qui vous aiment. Berthier, Bourrienne, Eugène, Caffarelli, plus calmes que vous, voient quelquefois plus juste ; ils vous sont dévoués, écoutez-les donc ; mais n'écoutez qu'eux, entendez-vous ? et vous et moi serons plus heureux.

On me rend ici des honneurs qui, quelquefois, m embarrassent ; car, enfin, je ne suis pas habituée à ces hommages, qui, je le vois, déplaisent à. nos autorités, toujours ombrageuses, et craignant de perdre leur pouvoir de la veille. Laissez faire tous ces gens, me dites-vous ; mais, mon ami, ils tâcheront de vous nuire ; ils vous accuseront de chercher à diminuer leur puissance ; et je serais désolée de contribuer en rien à une humeur que vos triomphes suffisent pour justifier. Lorsque vous reviendrez, couvert de lauriers, que feront-ils, mon Dieu, si déjà ils se tourmentent ? Je ne puis calculer où s'arrêtera leur colère, mais vous serez près de moi, et dès lors je serai rassurée.

Ne parlons plus d'eux ni de vos soupçons, que je ne veux pas repousser un à un, parce qu'ils sont tous aussi dénués de vraisemblance les uns que les autres ; et pour vous reposer de tout le désagrément du commencement de cette lettre, je vais vous donner quelques détails sur ce qui vous intéresse, puisque cela me touche.

Hortense, pour me consoler autant qu'il dépend d'elle, emploie tous ses soins à cacher ses inquiétudes pour vous, pour son frère, et met en œuvre toutes les ressources de son esprit pour dissiper cette tristesse dont vous doutez, et qui ne me quitte pas. Par ses talents[42] et le charme de sa conversation, elle parvient quelquefois à me faire sourire, alors elle s'écrie avec joie : On saura cela au Caire, chère maman ! Ce nom qui me rappelle immédiatement quelle distance me sépare de vous et de mon fils, me rend cette mélancolie que l'on veut dissiper ; et je suis obligée de faire de grands efforts pour la dissimuler à ma fille, qui, par un mot, un regard, me transporte précisément aux lieux dont elle voudrait me faire perdre le souvenir.

La taille d'Hortense se forme et acquiert une grâce parfaite ; elle se met avec goût et certainement, sans être à beaucoup près aussi jolie que vos sœurs, elle pourra plaire, même auprès d'elles.

Ma bonne tante passe sa vie à souffrir sans se plaindre, à consoler les affligés, à me parler de vous et à faire des vers. Moi, je passe mon temps à vous écrire, à entendre vos louanges, à lire les journaux où votre nom se trouve à chaque page ; à penser à vous, à me reporter au temps où je pouvais vous voir à toute heure ; à me désespérer d'en être éloignée, à désirer votre retour ; et lorsque j'ai fini, je recommence ; sont-ce bien là des preuves d'indifférence ? Je ne vous en souhaite pas d'autres à mon égard, et, si vous êtes ainsi pour moi, malgré les petites calomnies que l'on tâche de me faire croire, en me parlant d'une certaine dame[43] qui parait vous intéresser vivement ; pourquoi douterais-je de vous ? Vous m'assurez que vous m aimez, je vous juge d'après mon cœur, et je vous crois. Dieu sait quand, et où cette lettre vous parviendra ; puisse-t-elle vous rendre une sécurité que vous n'auriez pas dû perdre ; et vous assurer, plus que jamais, que tant que je vivrai, je vous chérirai, comme au jour de notre séparation. Adieu, mon seul ami, croyez-moi, aimez-moi, et recevez mille tendres baisers[44].

JOSÉPHINE.

 

En même temps qu'il écrivait à Joséphine, il avait, dans sa douleur, adressé la lettre suivante à son frère Joseph :

Mon cher Joseph,

Tu verras dans les papiers publics les bulletins des batailles et de la conquête de l'Egypte, qui a été assez disputée pour ajouter encore une feuille à la gloire militaire de cette armée. L'Egypte est le pays le plus riche en blé, riz, légumes, viande, qui existe sur la terre. La barbarie y est à son comble. Il n'y a point d'argent, pas même pour solder les troupes.

Je peux être en France dans deux mois, je te recommande mes intérêts. J'ai beaucoup de chagrin domestique, car le voile est entièrement déchiré. Toi seul me reste sur la terre, ton amitié m'est chère, il ne me reste plus pour devenir misanthrope qu'à la perdre et te voir me trahir. C'est une triste position que d'avoir à la fois tous les sentiments pour une même personne dans un même cœur. tu m'entends. Fais en sorte que j'ai une campagne à mon arrivée, soit près de Paris ou en Bourgogne. Je compte y passer l'hiver et m'y enfermer. Je suis ennuyé de la nature humaine. J'ai besoin de solitude et d'isolement. Les grandeurs m'ennuient, le sentiment est desséché, la gloire est fade. A vingt-neuf ans, j'ai tout épuisé, il ne me reste plus qu'à devenir bien franchement égoïste ! Je compte garder ma maison. Jamais je ne la donnerai à qui que ce soit. Je n'ai plus que de quoi vivre : Adieu, mon unique ami, je n'ai jamais été injuste envers toi ! Tu me dois cette justice, malgré le désir de mon cœur de l'être. tu m'entends ! Embrasse ta femme, Jérôme.

BONAPARTE.

 

De son côté, Eugène, mis au courant par Junot de l'état d'esprit de Bonaparte, de sa colère contre sa mère, avait écrit à Joséphine :

Bonaparte paraît bien triste, depuis cinq jours, et cela est venu à la suite d'un entretien qu'il a eu avec Julien, Junot et même Berthier. Il a été très affecté de cette conversation. On raconte que Charles est venu dans ta voiture jusqu'à trois postes de Paris[45], que tu l'as vu à Paris, que tu as été aux Italiens avec lui dans les quatrièmes loges, qu'il t'a donné ton petit chien, que même en ce moment il est près de toi ; voilà en mots entrecoupés tout ce que j'ai pu entendre.

Tu penses bien, maman, que je ne crois pas cela, mais ce qu'il y a de sûr, c'est que le général est très affecté. Cependant, il redouble d'amabilité pour moi. Il semble, par ses actions, vouloir dire que les enfants ne sont pas garants des fautes de leur mère. Mais ton fils se plaît à croire tout ce bavardage inventé par tes ennemis. Il ne t'en aime pas moins et ne désire pas moins t'embrasser. J'espère que, quand tu viendras[46], tout sera oublié.

Nous avons eu de bien grandes fatigues à supporter. Nous avons traversé des déserts. Nous avons souffert la faim, la soif et le chaud, nous voilà arrivés heureusement victorieux au Caire. Depuis six semaines, point de nouvelles, point de lettres de toi, de ma sœur, de personne. Il ne faut pas nous oublier, il faut penser à tes enfants. Adieu ! je crois que ton fils sacrifierait mille fois son bonheur au tien.

***

Le 18 vendémiaire, an VII, au soir, une grande nouvelle électrifie la capitale. Bonaparte : échappé à la croisière anglaise a débarqué le 16 à Fréjus.

Le 19, Joséphine part à sa rencontre. Elle avait tant de choses à lui communiquer. Le malheur veut qu'ils se croisent avant Lyon, Joséphine suivant la route de Bourgogne tandis que Bonaparte avait pris celle du Bourbonnais. A Lyon elle apprend le passage de son mari la veille et rebrousse chemin, désemparée. De ce fait, Bonaparte a quarante-huit heures d'avance. Il arrive à Paris pour trouver la maison, rue de la Victoire, occupée par sa mère, ses deux frères, Louis et Jérôme, et la petite Caroline — âgée alors de dix-sept ans — qui lui remettent une lettre du Directoire, prévenant le général que la citoyenne Bonaparte est partie avec Joseph et Lucien pour aller rejoindre l'illustre voyageur et l'emmener à Paris. Cette absence l'exaspère, il exprime son ressentiment, il parle de séparation et va s'enfermer dans sa chambre.

Deux jours après, dans la nuit, arrive Joséphine. Elle est avertie que Bonaparte ne veut pas la voir, qu'il a décidé qu'elle irait habiter la Malmaison et que lui il restera à Paris. Echevelée, toute en larmes, elle va frapper à la porte du cabinet où s'est enfermé son mari. Il refuse d'ouvrir. Durant des heures, elle lui répète les mots les plus tendres, les plus touchants, ses gémissements filtrent à travers la porte. Bonaparte reste inflexible. Alors le désespoir succède aux prières, anéantie, véritable image de la douleur, elle va chercher Eugène et Hortense qui frappent et pleurent à cette porte cl ose, supplient avec leur mère. Bonaparte a lutté, a, lui aussi, pleuré. Il ne peut plus résister. Cette femme dont la détresse est immense, c'est la chair de sa chair, à laquelle il est lié par le souvenir des voluptés infinies et les supplications des enfants torturent son âme et déchirent son cœur. La porte s'ouvre. Joséphine est dans ses bras, les sanglots l'étouffent, elle ne peut pas dire un seul mot. Elle s'évanouit.

La réconciliation est faite. Pour la sceller, il fait cadeau à Joséphine d'une superbe broche garnie de diamants, qu'il a rapportée d'Egypte, et le lendemain, à Lucien qui de bonne heure vient le trouver au lit à côté de sa femme, il dit : Si je n'étais pas sûr de moi, j'arracherais mon cœur, je le jetterais au feu.

La secousse a été terrible. Néanmoins Joséphine reprend l'existence douce et paisible à côté de son fougueux mari, avec toute la grâce et tout le charme qui la caractérisent. Bonaparte a oublié, avec son cœur, mais son invincible orgueil, n'a pas pardonné l'imaginaire trahison et de ce jour va peser sur la malheureuse la menace du divorce qui fera la tristesse de sa vie.

***

A son retour à Paris, Bonaparte trouva une situation critique, presque désespérée. A l'intérieur, le Directoire, trop faible pour gouverner, se laisse mener par de mauvais patriotes qui ne cherchent qu'à s'attribuer les revenus publics et satisfaire leurs vices. L'anarchie peu à peu a gagné les provinces. La Vendée se réveille. Une grande agitation règne en Bretagne et en Normandie. D'un côté le péril royaliste et de l'autre le péril jacobin. Va-t-on revivre la guerre civile, la Terreur ! Tous les regards sont tournés vers Bonaparte, le libérateur de l'Italie, le général qui avait montré le 13 vendémiaire ce dont il était capable. Cet homme d'action, c'est l'espoir des honnêtes gens, c'est le Sauveur !

A l'extérieur, l'armée d'Italie s'est fait battre, le général russe Souvarof est vainqueur de Moreau à Cassano, de Mac Donald à la Trébie et de Joubert à Novi. La France ne possède plus en Italie que la ville de Gênes où s'est enfermé Mac Donald après sa défaite. Les Russes traversent les Alpes pour envahir la France. Une deuxième coalition est formée, réunissant l'Angleterre, la Russie, l'Autriche et l'Italie.

Bonaparte qui ne voit autour de lui que platitudes et bassesses, qui a horreur de ces magnificences oratoires qui ne servent qu'à cacher la médiocrité, les mesquineries et les incapacités de ces prétendus hommes d'Etat, qui ne savent que prononcer de vains discours et cherchent à tous prix de l'argent et du prestige, alors que la France essuie au dehors des revers, que le trésor est vide, que l'armée, toujours mal payée, est dans un état lamentable qui fait honte et pitié, que le désordre et l'anarchie est partout, que l'on pille et on assassine sur les grandes routes[47], Bonaparte, enfin, qui sait par Joséphine que le Directoire veut lui enlever sa puissance et que Barras n'est plus son ami, médite son coup d'Etat. Tantôt à la Malmaison, tantôt rue de la Victoire, il reçoit les futurs conjurés. Joséphine, grâce à ses relations, est un auxiliaire utile. Son salon est devenu la citadelle des conspirateurs. Elle en fait les honneurs, prépare les esprits, arrange les rencontres et seconde avec ardeur les vues de son époux. Gohier, le Président du Directoire Exécutif fait de la résistance ; il a même dénoncé Bonaparte comme conspirateur et proposé au Directoire de le faire arrêter — tentative qu'avait fait échouer Fouché qui était du complot —. Joséphine lui fait parvenir ce mot :

Venez, mon cher Gohier, et votre femme, déjeuner avec moi demain, à huit heures du matin. N'y manquez pas ; j'ai à causer avec vous sur des choses très intéressantes[48].

Adieu, mon cher Gohier, comptez toujours sur ma sincère amitié.

 

Gohier, flairant le coup, avait envoyé sa femme pour espionner mais ne s'était pas rendu à l'invitation.

Les hommes de tous les partis et de toutes les nuances sont affiliés au mouvement : des généraux, Lannes, Berthier, Murat, Duroc, La Valette, Marmont, Jourdan, Moreau, Lefèvre, Leclerc, Beurnonville, Macdonald, Morand ; des députés, des abbés, des royalistes, des Jacobins, des ministres. Citons tout particulièrement Fouché, le fameux ministre de la Police, Talleyrand, ministre des Relations Extérieures, que l'on appelait à l'Assemblée Constituante le patriote métis, Cambacérès, ministre de la Justice, Sieyès et Roger Ducros qui vont faire partie du Consulat. Barras, sur lequel on ne peut compter, est écarté. Il avait prédit à Joséphine : C'est le hors-la-loi qui sera prononcé. Il en est de même de Gohier et de Moulins.

Le 18 Brumaire, les Anciens, convoqués extraordinairement, à l'insu des Cinq Cents et du Directoire, arrêtent que les Conseils seront transférés à Saint-Cloud pour les soustraire à un soi-disant complot. Le général Bonaparte est chargé de l'exécution de ce décret. C'est leur droit constitutionnel.

Tout marche à merveille. Trois Directeurs donnent leur démission. Bonaparte fait garder à vue les deux autres. Il n'y a plus de Gouvernement.

Le 19 Brumaire, les deux Conseils se réunissent à Saint-Cloud. Bonaparte a fait couvrir de troupes la route de Paris à Saint-Cloud. De bonne heure il s'est rendu sur place. La bataille qu'il va livrer ce jour-là est suprême : s'il la gagne, il est nommé Consul, s'il la perd, il est mis hors la loi et condamné à mort. Féru d'histoire ancienne, il s'est certainement souvenu des fameuses paroles de César, se préparant à franchir le Rubicon : alea jacta est.

Une compagnie de grenadiers que commande le général Leclerc, le mari de Pauline Bonaparte, est rassemblée dans la cour du château.

Bonaparte est informé que la majorité de l'assemblée s'est soulevée contre la menace de dictature. Le moment est venu d'entrer en scène. Plus pâle qu'à l'ordinaire, très ému, il pénètre dans la salle, avec Bourrienne à sa droite et Berthier à sa gauche. D'une voix mal assurée, il s'adresse au président :

Il n'y a plus de gouvernement... il faut adopter un nouvel ordre de choses... je parle des frères d'armes, avec une franchise de soldat... Pour moi, je ne veux être à l'égard de la magistrature que vous allez nommer que le bras chargé de la soutenir. Il faut prévenir les déchirements je viens à vous, accompagné du dieu de la guerre et du dieu de la fortune, pour sauver la liberté et l'égalité.

Cette proposition de changer la Constitution est repoussée par les cris de hors la loi. A bas le Cromwell. A bas le Dictateur. A bas le tyran. Bonaparte riposte : Si quelque orateur payé par l'étranger parle de me mettre hors la loi, qu'il prenne garde de porter cet arrêt contre lui-même. S'il parle de me mettre hors la loi, j'en appellerais à vous mes braves compagnons d'armes, à vous braves soldats, que j'ai tant de fois menés à la victoire ! A vous, braves défenseurs de la République, avec lesquels j'ai partagé tant de périls pour affermir la Liberté et l'Egalité. Je m'en remettrais, braves amis, au courage de vous tous et à ma fortune !

Lucien qui préside l'assemblée cherche à rétablir le calme mais en vain. Barras s'est dressé contre Bonaparte et le coup, menace d'échouer pitoyablement. Lucien, qui comprend le danger, s'échappe de la salle au milieu des hurlements et laisse agir Bonaparte.

La compagnie des grenadiers que commande le général Leclerc, pénètre alors dans la salle et invite les députés à l'évacuer. Des protestations s'élèvent. Un commandement se fait entendre : Grenadiers, en avant ! Tambours, la charge ! Baïonnettes basses, précédés de tambours, les soldats avancent. Les députés se précipitent dans les cours et les jardins du Palais, y abandonnent leurs toges rouges et s'enfuient dans toutes les directions.

Le Directoire est aboli. Le Conseil des Anciens, uni à quelques membres des Cinq Cents, défèrent le pouvoir exécutif à trois Consuls provisoires : Bonaparte, Sieyès et Roger Ducros. Ces Consuls sont chargés de rétablir l'ordre dans.

 

toutes les parties de l'administration, de pourvoir à la tranquillité intérieure et de procurera la France une paix honorable et solide à l'extérieur.

Le premier soin de Bonaparte est d'exiler des affaires l'ex-directeur Barras, son ex-protecteur, devenu son adversaire et de le mettre en surveillance :

BONAPARTE, général en chef.

Ordonne :

Au commandant de la barrière Charenton, de laisser passer le directeur Barras qui se rend à sa maison de campagne de Grosbois.

Le Commandant du 9e régiment des dragons restera avec l'ex-directeur Barras autant de temps qu'il le jugera à propos et le protégera contre quel qu'attroupement que ce soit :

BONAPARTE.

 

Le bruit avait couru à Paris que le général avait failli être assassiné à Saint-Cloud par les traîtres à la patrie, et comme l'agitation était extrême il ne voulait pourtant pas laisser attenter aux jours de son ex-protecteur.

Bonaparte est premier Consul ! Sa puissance s'affirme, sa vie politique se dessine. Il va être absorbé par un tumulte de pensées, une abondance de travail qui empliront ses heures. Ceux que la destinée a choisis pour accomplir une grande œuvre ici-bas n'ont jamais assez de temps à vivre comme les autres hommes. L'amour, cet amour exalté, puissant, dévastateur des premiers jours va se muer en une grande affection, que rien ne pourra changer, ni le divorce, ni le mariage avec Marie-Louise. L'ambition va dominer son âme et son cerveau et il ne vivra plus que pour sa gloire !

 

Depuis un an, il a machiné et fabriqué de toutes pièces l'Etat. Il est maintenant le maître indiscutable de la République triomphante et il entend garder son pouvoir toujours grandissant. Un jour, lors de la campagne d'Italie, dans les jardins de Montebello, n'avait-il pas dit à Miot : Croyez-vous que ce soit pour faire la grandeur des avocats du Directoire, des Carnot, des Barras, que je triomphe en Italie ! Il avait déjà conscience de son destin. L'homme de gouvernement va maintenant déborder l'homme de guerre !

***

Le 20 brumaire (11 novembre 1799) Bonaparte et sa femme s'installent au Petit Luxembourg, Bonaparte occupe le rez-de-chaussée, à droite, en entrant par la rue de Vaugirard. Mme Bonaparte habite l'appartement de Gohier, au premier étage. Un escalier dérobé qui donne dans une garde-robe, servant autrefois d'oratoire à Marie de Médicis, conduit du cabinet de travail du général à la chambre de Joséphine.

Roger Ducos et Sieyès ont repris leurs appartements.

Le Premier Consul a réglé mathématiquement sa vie. Levé de bonne heure, il descend à son cabinet de travail et s'occupe des affaires courantes jusqu'à l'heure du déjeuner. Après avoir déjeuné avec sa femme, sa fille Hortense et Bourrienne, il retourne de suite au travail. A cinq heures, il revient pour diner. Une table de vingt couverts est servie, le premier Consul retient toujours une dizaine de personnes à diner. Le repas ne dure pas plus de vingt minutes, des mets peu compliqués. Deux mamelouks font le service.

Le diner terminé, Bonaparte monte avec Joséphine dans ses appartements et là, il reçoit les ministres Berthier, Gaudin, Laplace, Fouché, Forfait, Talleyrand et les habitués de la maison.

Bonaparte a fait richement installer les nouveaux appartements. Le garde meuble de l'Etat est riche en beaux meubles et en tapisserie. Sa chambre à coucher est celle qu'occupait Louis XIV. Il considère l'étalage du luxe comme une nécessité. Tout cela est provisoire car il est décidé à venir aux Tuileries, ce qui ne tarde pas d'ailleurs. Il est sur les marches du trône.

En arrivant au pouvoir, son premier soin avait été d'inviter les souverains d'Autriche et d'Angleterre, à poser les mares. Ils avaient refusé. Bonaparte décide d'accabler l'Autriche, en l'attaquant à la fois en Italie et en Allemagne, puis viendra le tour de l'Angleterre.

Masséna qui est assiégé dans Gènes par le général autrichien Mêlas, fait une défense héroïque qui donne au Premier Consul le temps de conduire une armée en Italie. Il traverse les Alpes par le Saint-Bernard et, le 14 juin, gagne la bataille de Marengo, contre Mêlas, puis le 3 décembre, la bataille de Hohenlinden, contre l'archiduc Jean. A la suite de ces deux victoires, il impose les traités de Lunéville et d'Amiens.

***

Avant de quitter la capitale, Bonaparte avait tenu à régler le prix d'achat de la Malmaison (225.000 francs) et les factures de Joséphine qui s'élevaient à l'importante somme de 1.200.000 francs. Sachant les prix exagérés, il avait fait accepter 600.000 francs. Les intéressés gagnaient encore 50 à 75%. Toutes les dettes étant payées, il avait demandé à Joséphine d'éviter ces folles dépenses. Pouvait-elle ?

En attendant son retour, Joséphine est allée à la Malmaison. On y joue la comédie, les dimanches on se livre au plaisir de la danse. Tous les mercredis soir, dîners de cérémonie. Les invités sont nombreux, les mets sont exquis et variés et les contemporains nous informent que c'était chaque jour un mouvement interminable de va et vient sur la route de Paris à Rueil.

De la Malmaison, alors que l'Univers commence à retentir des conquêtes du jeune général, elle écrit à sa tante Fanny :

Êtes-vous heureuse, me demandez-vous, ma chère tante. A cette question on peut faire plusieurs réponses : Oui, je le suis, et comme mère et comme épouse. Fût-il des enfants plus aimables, plus chéris et plus dignes de l'être ? Est-il un mari qui fasse plus honneur à celle qu'il décora de son nom ? Pourtant, c'est lui, c'est ce mari qui fait toute ma gloire, qui fait aussi tous mes tourments. Ah ! que d'insomnies me coûtent ses victoires ! Peut-être serait-il moins avide de lauriers s'il voyait chaque feuille des siens arrosés de Carmes. Mais que dis-je ? femme d'un Français, ne dois-je pas porter un cœur fiançais ? Avant que d'être épouse, avant que d'être mère, j'étais citoyenne et Alexandre ne m'apprit-il pas à faire marcher ce titre avant tout ? Son digne successeur, possesseur de ma tendresse, est aussi l'héritier de tous ses sentiments ; méritons, en les partageant, le titre honoré de la veuve de Beauharnais et le titre honorable de l'épouse de Bonaparte : c'est une belle association de gloire, une noble communauté d'illustrations. Puisse le sort heureux qui s'éloigne de l'un accompagner toujours l'autre !

Voici la lettre que je viens de recevoir de celui-ci[49]. J'y joins celle de mon fils, qui est aussi le vôtre, et que vous lirez avec des yeux de mère. Les journaux ont altéré l'une et l'autre : je les rétablis.

JOSÉPHINE.

 

Le 15 Messidor, la joie emplit la capitale et l'enthousiasme de la population est à son comble. Le vainqueur de Marengo et de Hohenlinden est arrivé dans la nuit aux Tuileries. Tout le long du chemin du retour à Milan, à Lyon, à Dijon, ce furent des vivats continuels ; les citadins, les campagnards formaient la haie pour voir le héros ; les femmes jetaient devant son cheval des branches de myrthe et de lauriers ; on se bousculait au risque de se faire écraser par l'escorte du général, pour avoir une vision du petit caporal qui emplissait toutes les imaginations.

Maintenant la foule se presse devant les Tuileries et les voitures s'entassent dans la rue Saint-Honoré. Lucien est un des premiers à venir féliciter son frère et en même temps lui faire connaître les intrigues qui s étaient menées en son absence. N'avait-il pas été question de mettre Carnot à la tête du gouvernement ? Lorsqu'ils avaient cru voir chanceler la fortune de Bonaparte, ceux qui avaient juré de le servir n'avaient pas hésité à le trahir, Fouché tout le premier[50]. Ce dernier avait des appuis dans tous les camps, aussi bien dans celui des royalistes que des jacobins et, sachant l'influence que possédait Joséphine sur son époux, il s'était fait son allié, décidé pourtant à l'abandonner lorsque viendra l'heure de la répudiation.

Bonaparte, pensant à Annibal qui, au moment décisif, avait été abandonné par les factions politiques de Carthage, au lieu d'être soutenu, répondit à Lucien :

Je ne crains rien. Je ferai rentrer tous ces ingrats, tous ces traîtres, dans la poussière. Je saurai bien sauver la France en dépit des factieux et des brouillons. Au lieu de s'ingénier à m'aider, ils ne songent qu'à se débarrasser de moi pour prendre le pouvoir à ma place. Les insensés ! Ils sont incapables de l'exercer.

Marengo vient de placer la France à la tête des nations. Désormais la paix régnera en Europe et je vais pouvoir consacrer mes efforts à l'expansion coloniale de la France, afin de lui procurer la prospérité. Je vais réclamer à l'Espagne la rétrocession de la Louisiane, puis réprimer l'insurrection, de Toussaint Louverture à Saint-Domingue, et aux Antilles. Nous serons alors aussi puissants que les Anglais en Amérique. J'enverrai Leclerc[51] avec 30.000 hommes à Saint-Domingue et Richepanse à la Guadeloupe[52].

 

Après mille ans, Bonaparte rêvait la reconstitution de l'empire de Charlemagne, une fédération d'Etats, grands et petits, dont la France serait lame : Je serai le maitre du monde, après avoir signé la paix à Constantinople ! Ce plan grandiose devait échouer comme le rêve de paix universelle et de réconciliation générale, après la grande guerre de 1914-1918. Les buts de guerre du Président Wilson n'étaient-ils pas de détruire le militarisme prussien pour le salut du monde et le triomphe de la démocratie ? — The World safe for democracy —. La paix devait être obtenue non pas par les accommodements périmés de la diplomatie mais par l'entente et le rapprochement des peuples. Or si nous jetons les yeux sur la carte de l'Europe nous constatons que les trois quarts des peuples se sont soumis à des régimes de dictature, solidement appuyés sur des forces armées.

Bonaparte était considéré par les souverains étrangers comme le continuateur de la Révolution française, ce crime d'un peuple contre la monarchie de droit divin ; l'expression même de cette révolution qui avait détruit l'ordre existant des choses, les règles traditionnelles des dynasties qui s'étaient succédées depuis plusieurs siècles et auxquelles les peuples s'étaient accoutumés. Il tenait tête victorieusement à l'Europe coalisée, il fallait à tout prix l'abattre.

Se considérant supérieur à tous ces souverains qui le détestent, Bonaparte, lui, comprend que pour maintenir sa puissance, il lui faudra les dominer par la force et, pour aboutir, il va décider tout d'abord de restaurer en France l'exercice du culte catholique, rendant ainsi la paix religieuse à l'église et, ensuite, de rétablir le trône à son profit. Les royalistes avaient espéré qu'il le ferait en faveur d'un prince de la maison de Bourbon — le comte de Lille — et on lui fit même promesse de terre, fortune, connétablie, le premier rang dans l'Etat et une colonne érigée sur le Carrousel, sur laquelle serait sa statue couronnant les Bourbons, mais il s'empressa de détruire cet espoir naissant en disant à Joséphine :

On me croit assez léger et assez inconséquent dans l'étranger pour me soupçonner d'arrière-pensée en faveur d'un prince de la maison de Bourbon. On ignore donc que si un prince pouvait entrer en arrangements avec moi sur cette matière, j'aurais aussi peu de foi à ses promesses qu'à ses engagements. Je suis persuadé que je ne tarderais pas à être traité comme un réprouvé, si je ne l'étais pas comme un rebelle.

 

La réponse à cette déclaration fut la machine infernale de Georges Cadoudal du 3 nivôse (24 décembre). Bonaparte devait assister ce soir-là à l'Opéra, avec Joséphine, à une audition de l'oratoire de la Création du Monde, de Haydn. L'Opéra était alors rue de Richelieu, en l'emplacement actuel de la place Louvois, à côté du Théâtre français. Pour s'y rendre, des Tuileries, la voiture du Premier Consul devait traverser le Carrousel, suivre la rue Sainte-Niçoise, et après un petit crochet sur la droite par la rue Saint-Honoré, prendre la rue de Richelieu. Le cocher ayant trouvé la rue Sainte-Niçoise encombrée prit la rue de Malle et à peine était-il passé qu'une formidable explosion ébranla tout le quartier, faisant voler les vitres de la voiture en éclats. Un cheval de l'escorte du Premier Consul avait été blessé. Vingt-deux tués et cinquante-six blessés jonchaient le pavé. Bonaparte avait miraculeusement échappé à l'attentat, ainsi que Lannes qui l'accompagnait.

De ce jour, il devint, dans l'esprit de la masse, l'élu de la Providence, et la superstition légitima sa fortune. Fouché, ministre de la Justice, feignant l'ignorance du complot, parla tout d'abord d'un crime, non d'une conspiration. Joséphine n'écoutant que les impulsions de son cœur, plein de pardon et de pitié, lui écrivit aussitôt :

Citoyen Ministre,

Encore tout effrayée de l'affreux événement qui vient d'avoir lieu, je suis inquiète et tourmentée par la crainte des punitions qu'il va falloir infliger aux coupables, qui tiennent, dit-on, à des familles avec lesquelles j'ai été autrefois en relation[53]. Je serai sollicitée par des mères, des sœurs, des épouses désolées, et mon cœur sera déchiré de ne pouvoir accorder toutes les grâces que je voudrais obtenir.

La clémence du Consul est grande, son attachement pour moi extrême, je le sais ; mais le crime est trop affreux, pour qu'il ne soit pas nécessaire de faire de terribles exemples. Le chef du gouvernement n'a pas été seul exposé, et c'est là ce qui le rendra sévère, inflexible.

Je vous conjure donc, citoyen Ministre, de faire ce qui dépendra de vous pour ne pas pousser les recherches assez loin pour découvrir toutes les personnes qui ont été complices de cette odieuse machine. La France, si longtemps consternée par des exécutions nombreuses, aura-t-elle encore à gémir sur de nouveaux supplices ? N'est-il pas plus essentiel de chercher à calmer les esprits, que de les exaspérer encore par de nouvelles terreurs ? Enfin, dès qu'on aura saisi les chefs de cette trame abominable, la sévérité ne devrait-elle pas faire place à la pitié, pour des subalternes entrainés par des sophismes dangereux, et des opinions exagérées ?

A peine investi de la toute puissance, le Consul doit, ce me semble, gagner les cœurs, et non soumettre des esclaves ; adoucissez, par des conseils, ce que ses premiers mouvements auront de trop violent. Punissez, hélas ! il faut bien, mais graciez encore davantage. Enfin, soyez l'appui des infortunés qui, par la franchise ou le repentir, expieront une partie de leurs fautes.

Ayant été moi-même prête à périr dans la Révolution, vous devez trouver simple que je m'intéresse à ceux que l'on peut sauver sans risquer de nouveaux dangers pour les jours de mon époux, qui sont précieux à moi et à la France. Voilà pourquoi je désire que vous fassiez une grande différence entre les moteurs de ce crime et ceux qui, par faiblesse ou par crainte, ont consenti à en accepter une partie. Femme, épouse, mère, je dois sentir toutes les douleurs de cœur de ces familles qui viendront s'adresser à moi.

Faites, citoyen Ministre, que le nombre en soit moindre ; ce sera m'épargner de grands chagrins. Je ne repousserai jamais les supplications du malheur ; mais vous pouvez, dans cette occasion, infiniment plus que moi, voilà ce qui doit vous faire excuser l'importunité de ma démarche.

Croyez à ma reconnaissance et à mes sentiments.

LAPAGERIE BONAPARTE.

 

Bonaparte est obligé de se défendre. Il vit jour et nuit sous le poignard des misérables. Déjà à son retour d'Italie, un homme avait voulu le tuer avec une espingole. Tout récemment, on avait découvert dans son cabinet de travail, sur son bureau, une tabatière semblable à la sienne et dont le tabac était empoisonné. De son propre aveu, le comte d'Artois entretenait à Paris soixante assassins[54]. Avec l'énergie qui le caractérise, il va terrifier ses ennemis par un coup de tonnerre. Bonaparte a juré de rétablir et de faire respecter les lois ; la France a besoin de calme, de repos.

Georges Cadoudal[55], l'auteur de l'attentat est arrêté et décapité, ainsi que onze de ses compagnons, mais Cadoudal n'a été que l'exécuteur du complot tramé contre le Premier Consul, il faut frapper à la tête. Les chefs du complot, Moreau et Pichegru sont condamnés à la prison[56] et enfin, sur l'ordre du Premier Consul, trois cents dragons passent la frontière du Rhin, pénètrent dans le village de Ettenheim (Bade) la nuit du 15 au 16 mars 1804, et enlèvent le duc d'Enghien qui, quatre jours plus tard, arrive à Paris et est conduit au fort de Vincennes, à cinq heures de l'après-midi.

Un décret, rendu le même jour, spécifiait que le ci-devant duc d'Enghien prévenu d'avoir porté les armes contre la République, d'avoir été et d'être encore à la solde de l'Angleterre, de faire partie des complots tramés par cette dernière puissance contre la sûreté intérieure et extérieure de la République, sera traduit devant une commission militaire composée de sept membres, nommée par le Général Gouverneur de Paris, et qui se réunira à Vincennes.

Le général Hullin est nommé pour présider ce tribunal. A minuit, le duc, interrogé dans la grande salle, au-dessus de la porte d'entrée du château, éclairée par des flambeaux, reconnaît avoir cherché du service dans l'armée anglaise, d'avoir reçu de l'argent des agents britanniques dans le but de libérer son pays delà tyrannie du Premier Consul ; d'avoir travaillé à fomenter une révolte. Un Condé ne peut rentrer dans son pays que sous les armes, répond-t-il à une question du Président, et il ajoute : le général Bonaparte est un grand homme mais étant prince de la famille Bourbon je lui ai voué une haine implacable ainsi qu'aux Français auxquels je ferai la guerre dans toutes les occasions. C'est sa condamnation !

Une partie des troupes de la garnison de Paris avait été rassemblée dans la cour et aux abords du château, sous les ordres du général Savary. Condamné à mort, le duc est exécuté à trois heures du matin dans un fossé du château. (21 mars 1804).

Joséphine était parvenue à attendrir le Premier Consul et elle eût sauvé la vie du duc si la Commission militaire n'avait été si hâtive. Talleyrand qui avait recherché et approuvé cette exécution, qui avait indiqué à Bonaparte le lieu où se trouvait le duc et affirmé qu'il avait dirigé la conspiration, crut devoir écrire plus tard, pour se laver de ce sang versé : Ce fut plus qu'un crime, ce fut une faute ! Il est certain que les aveux du duc ont signé sa mort, puisqu'il voulait renverser l'ordre des choses établi, mais son exécution fut un défi jeté à tous les trônes d'Europe et à des millions de gens pour qui le pouvoir royal était d'essence divine. Ce fut le signal de ralliement de toutes les têtes couronnées contre le dictateur qui proclamait ainsi les droits imprescriptibles de la Révolution française.

Cette mort eut en effet des conséquences incalculables en aliénant à Bonaparte l'opinion des cours étrangères. La qualité du condamné, le sentiment de pitié que souleva sa fin tragique avait transformé cet impérieux devoir d'un chef d'Etat en un crime d'une cruauté sauvage, un acte qui, quelle que soit sa nécessite, devait couvrir d'opprobre celui qui l'avait ordonné. Pourtant, si l'on pense aux dangers qui menaçaient alors la patrie, à cette époque encore troublée, il faut reconnaître que le Premier Consul n'a fait que remplir un devoir pénible mais obligatoire pour un chef de gouvernement soucieux de ses responsabilités.

***

Le Concordat avec le Saint-Siège, qui rétablit l'exercice public du culte catholique, rend la paix à l'Eglise de France et règle ses rapports avec l'Etat, est signé le 25 janvier 1801, à Fontainebleau, et la loi promulguée le 16 juillet 1801. Le 25 janvier à six heures du matin, soixante coups de canon ont annoncé cette importante nouvelle aux Parisiens. A dix heures et demie une revue des troupes a lieu dans la cour du Carrousel et des drapeaux sont distribués à des unités nouvelles. A onze heures et demie, précédé de la garde consulaire, de hussards rouges, de dragons, de chasseurs, de grenadiers à cheval et de mameluks, le Premier Consul, en habit écarlate, avec large broderie de palmes en or, un sabre d'Égypte au côté, culotte de soie, souliers à boucle, chapeau à la française avec panache tricolore, quitte les Tuileries et se rend, accompagné des deuxième et troisième consuls, à Notre-Dame où une messe doit être célébrée pontificalement. Les conseillers d'Etat, les membres du corps diplomatique, les ministres, les préfets, le Gouverneur du Palais, les généraux de la Garde, suivent, dans leurs uniformes flamboyants, d'or et d'argent, avec leurs domestiques en livrée de gala. Quatre bataillons d'Infanterie occupent l'intérieur de la cathédrale. Les tribunes regorgent de toilettes féminines. La messe terminée, les évêques viennent prêter serment aux mains de Bonaparte. Soixante autres coups de canon marquent le retour. Toute la splendeur et le luxe d'apparat de l'ancienne monarchie reprend.

Le 20 floréal, les Consuls, le Conseil d'Etat entendu, arrêtent que le peuple français sera consulté sur cette question : Napoléon Bonaparte sera-t-il consul à vie ?

Le peuple répond oui par 3.577.259 suffrages contre 8.374. C'est le premier pas vers le trône !

***

Au milieu de toutes ces cérémonies auxquelles elle participe, Joséphine apparaît toujours belle, toujours gracieuse. A la Malmaison, où elle passe le printemps, à Saint-Cloud, que Bonaparte vient de faire mettre en état au prix de 2.847.000 francs — avec le mobilier, trois millions, on y voyait, au haut de l'escalier, dans le vestibule de forme ronde, le tableau de David : Bonaparte franchissant les Alpes, et dans le salon attenant : La mort de Desaix, le luxe à l'intérieur était frappant —, à Plombières où elle va prendre les eaux qui doivent lui rendre l'éclat de la jeunesse, la femme du Premier Consul est toujours fêtée, entourée et adulée.

Désireuse de faire cesser l'hostilité que lui manifestait la famille de Bonaparte, elle avait réussi à faire épouser Hortense, le 13 nivôse (3 janvier 1802) par Louis Bonaparte, le frère de son mari. Dans l'état perpétuel de guerre qui existait entre les Beauharnais et les Bonaparte, c'était' un succès pour elle. Un fils devait naître de .cette alliance, le 18 vendémiaire an X (10 octobre 1802) que le premier Consul fit baptiser du nom de Napoléon-Charles et qu'il adopta comme héritier. Malheureusement il mourut le 5 mai 1807.

Le 26 vendémiaire (octobre 1802), Joséphine écrivait à sa mère :

La frégate qui se rend à la Guadeloupe pour annoncer au général Lacrosse la paix avec l'Angleterre, est porteur de ma lettre ; le général Lacrosse vous la fera passer par l'aviso qu'il doit expédier à la Martinique pour annoncer aux habitants que les Anglais restituent la colonie à la France, et tranquilliser les habitants sur leurs sorts futurs ; les nègres seront maintenus dans le même état où ils sont et des gens probablement bien puissants seront chargés de l'administration de la colonie. Vous pouvez faire part de cela à tous les colons que cela peut intéresser. Il y a bien longtemps, ma chère maman, que je n'ai reçu de vos nouvelles, je pense cependant bien souvent à vous. J'espère que vous vous portez bien, que vous êtes heureuse et que vous aimez bien votre Yeyette. Eugène à cinq pieds cinq pouces, il est lieutenant-colonel de cavalerie dans le régiment de Bonaparte ; il désirerait bien aller à la Martinique pour voir sa grand-maman. Hortense est grande comme moi, elle dessine bien et fait en ce moment un tableau qui représente Bonaparte, se promenant dans son parc, ce tableau vous est destiné. Dites à mon oncle Tascher que je désirerais qu'il vint de suite à Paris pour donner des renseignements à Bonaparte sur la Martinique ; il peut venir par Londres, les communications sont libres entre la France et l'Angleterre. Dites à Mme de Chauvigné que j'ai fait arranger toutes ses affaires pendant son absence. Bonaparte vous écrira lorsque nous aurons pris possession de la colonie, il désirerait bien que vous veniez en France, si vous pouvez vous accoutumera vivre dans un climat si différent de celui-ci. Si vous vous rendez à nos désirs il faudrait partir pour arriver au mois de juin.

Vous devez bien aimer Bonaparte, il rend votre fille bien heureuse, il est bon, aimable, c'est en tout un homme charmant ; il aime bien votre Yeyette.

Adieu, ma chère maman, je vous embrasse de tout mon cœur, vos petits enfants se joignent à moi pour vous embrasser.

LAPAGERIE BONAPARTE.

Rappelez-moi au souvenir de ma famille et de mes amis. J'embrasse ma nourrice.

 

Et le 22 floréal (mai 1803) :

C'est le citoyen Bertin qui vous remettra ma lettre, ma chère maman, le choix qu'a fait Bonaparte de lui en le nommant Préfet de la Martinique prouve l'estime qu'il lui porte et l'assurance qu'il fera le bonheur de la colonie. Le citoyen Bertin vous donnera de mes nouvelles et vous remettra une boîte d'or enrichie de diamants sur laquelle sont les portraits de Bonaparte, le mien et ceux de mes enfants ; c'est un cadeau que vous fait mon mari, il désire qu'il vous soit agréable et que vous puissiez en jouir longtemps. Je veux aussi, ma chère maman, vous faire mon petit présent. Je vous envoie un très beau chapelet que m'a donné Notre Saint-Père le Pape ; il le bénit de sa main. Je ne puis mieux prouver au Pape le cas que je fais de son cadeau qu'en le présentant à la plus vertueuse et à la meilleure des femmes.

Bonaparte et moi avons le plus grand désir que vous veniez vivre avec nous, j'espère que vous exaucerez nos vœux et que l'année ne se passera pas sans jouir de ce bonheur. Je vous ai mandé dans le temps, le mariage de voire petite-fille avec un frère de Bonaparte ; c'est le quatrième il se nomme Louis. C'est un très bon sujet, il a été élevé par Bonaparte. Il est colonel d'un régiment de dragons, il n'a que vingt-trois ans, il n'y a que quatre mois qu'il est marié et sa femme est déjà grosse de trois mois. Me voilà bientôt grand -maman, cela me paraît très plaisant. Ecrivez-moi souvent et donnez-moi des nouvelles de toute ma famille. Décidez donc mon oncle à venir en France et à nous mener tous ses garçons. Bonaparte se chargera d'eux ; il devrait aussi m'envoyer ma filleule. Je profiterai, ma chère maman, de toutes les occasions pour vous écrire et vous renouveler l'assurance du tendre attachement de votre chère Yeyette. Adieu, ma chère et bonne maman, je vous embrasse de tout mon cœur.

LAPAGERIE BONAPARTE.

Je laisse la plume à mes enfants qui veulent vous écrire. Ecrivez à Bonaparte, cela lui fera plaisir. Envoyez-moi toutes les graines d'Amérique et tous les fruits, des patates, des bananes, des oranges, des mangots ou mangue, enfin tout ce que vous pouvez de fruits et de graines. Mille choses aimables à mes connaissances. Mme Daudifredi se porte bien.

 

Et à la suite :

Paris, 22 floréal.

Je me joins à maman, ma chère grand-maman, pour vous donner des nouvelles de vos petits-enfants, je suis le seul qui ne vous connaisse pas ; mais j'espère que si vous ne venez pas en France, j'irai vous voir. Je le désire beaucoup et le plus ardent de mes souhaits est de voir le moment où nous serons tous réunis. Car maman me fait espérer que vous viendrez cette année. Elle vous y engage et si cela est nécessaire je me joins à elle de tout cœur. Adieu ma bonne maman. Ecrivez-nous souvent ; ne nous oubliez pas, et comptez que je vous suis attaché comme le doit être un bon fils à une bonne et tendre mère. Je vous embrasse de tout mon cœur.

EUGÈNE BEAUHARNAIS.

 

Votre Hortense qui vous aime toujours et qui se rappelle toujours de vous avec plaisir, veut aussi se joindre à son frère pour vous parler de son attachement, et du désir qu'elle aurait de vous revoir. Je ne doute pas que ma chère maman ne fasse son possible pour venir embrasser ses enfants, ses petits-enfants et bientôt son arrière-petit-enfant. Cette réunion nous rendra bien heureux je vous assure. Adieu, ma chère maman. Pensez toujours à votre Hortense et ayez pour elle les sentiments bien tendres qu'elle vous a voués pour la vie.

HORTENSE BONAPARTE.

 

Je vous envoie aussi différentes médailles en or et en argent représentant les victoires de Bonaparte.

LAPAGERIE BONAPARTE.

 

Joséphine à sa mère :

Au Havre, ce 16 brumaire (nov. 1802).

Bonaparte est venu visiter Le Havre, Rouen et toute la Normandie. Je l'accompagne dans cette tournée. Jugez du plaisir que j'ai eu ce matin d'apprendre qu'il partait un bâtiment pour la Martinique. Ma joie a été d'autant plus grande qu'il en était parti deux ce matin et qu'ignorant leur départ je n'avais pas pu profiter de leur occasion pour vous écrire. Cependant Bonaparte se promenant ce matin sur la mer a fait appeler l'un des capitaines et lui a dit de vous donner de nos nouvelles. Je suis maintenant plus heureuse, ma chère maman, je vous en donne moi-même l'assurance et je vous assure aussi que vos enfants et petits-enfants vous aiment bien ; que j'ai le plus grand désir de vous voir, qu'il ne manque à mon bonheur que celui de vivre auprès de vous ; donnez-moi, ma chère maman, cette satisfaction et il ne manquera rien à mon bonheur. Vendez votre habitation de la Martinique et venez acheter une propriété en France. Vous devez désirer de vivre maintenant avec vos enfants, vous ne devez plus habiter les colonies après le désir qu'ils ont de vous voir habiter avec eux.

Je vous ai mandé l'heureux accouchement d'Hortense ; il y a trois semaines qu'elle nous a donné un gros garçon. Bonaparte le fera baptiser à son retour à Paris, il en est le parrain et moi la marraine. Il s'appellera Napoléon. Louis-Bonaparte vous a écrit pour vous faire part de l'accouchement de sa femme, il est le plus heureux des hommes d'être père et surtout d'un garçon : je vous annonce avec plaisir que ce ménagé est très heureux et qu'ils s'aiment beaucoup.

Vous devez avoir maintenant près de vous, mon beau-frère Jérôme Bonaparte : je suis sûre que vous l'aimez beaucoup, c'est un jeune homme charmant. Je vous prie de l'embrasser pour moi sur une joue et de lui donner un petit soufflet sur l'autre pour ne pas nous donner de ses nouvelles.

Eugène est avec nous au Havre, il se porte bien. Bonaparte vient de le nommer colonel. Tascher[57] est charmant, il se fait aimer de tout le monde, c'est un modèle de sagesse. Bonaparte l'a placé dans un régiment, il se trouve très heureux. Vous pouvez assurer mon oncle que si son fils était mon enfant je ne l'aimerais pas plus que je n'aime ce bon Tascher. Vous feriez bien, ma chère maman, de profiter des occasions qui viennent au Havre pour m'envoyer les arbres et les graines que je vous demande. Envoyez-moi de toutes les espèces possibles, même celles qui viennent dans les bois. Je ne cesserai dans toutes mes lettres de vous demander des confitures de toutes sortes de fruits, si on pouvait en faire de m'en envoyer en conserves. Je serai fort aise d'en avoir. Je vois souvent MM. Faure, d'Audiffrédi et d'Audiffret, ils se portent tous bien. Rappelez-moi je vous prie au souvenir de leur famille.

J'embrasse la mienne de tout mon cœur. Je vous envoie des journaux, vous verrez l'accueil qu'a reçu Bonaparte en Normandie. Il serait difficile de vous dire l'enthousiasme du peuple partout où Bonaparte s'est montré. Adieu, ma chère maman, nous vous embrassons de tout notre cœur et vous aimons de même.

***

1803 ! Joséphine et Bonaparte continuent à visiter les villes de France. Après le Havre, c'est Dieppe, Dunkerque, Rouen, Evreux, Louviers, Mantes, Beauvais où ils laissent après eux une trace lumineuse de leur passage. Partout, on leur fait des réceptions royales, des présents et les acclamations tiennent du délire. On lui remet même un manuscrit où il est comparé à César et à Cromwell.

Louis Bonaparte et Hortense écrivent à leur grand-mère :

Paris, le dimanche 24 nivôse an II (14 février 1803).

Madame,

Je vois bien que vous n'avez pas reçu la lettre que j'ai eu l'honneur de vous écrire un peu avant mon mariage, pour vous en faire part et comme nous étions alors en guerre avec les Anglais je n'en, suis pas étonné. J'en serai tout à fait consolé si vous avez la bonté de m'accorder quelque amitié, croyez Madame et chère grand'maman que j'en suis digne par le respect et l'attachement que je partage avec Hortense pour vous et votre intéressante famille.

Nous vous avons fait part de la naissance de notre fils, mais comme il est arrivé après le départ de Jérôme, nous n'avons pu le charger de notre lettre, il est actuellement déjà âgé de plus de trois mois, il est grand, fort, et nous donne déjà des plaisirs que vous connaissez très bien, et qui ne s'effacent point, puisque le temps et l'éloignement n'ont pu diminuer les sentiments que vous accordez à notre mère qui les mérite si bien par son affection pour vous.

Oserai-je vous prier, Madame, d'offrir mes sentiments à M. et Mme Tascher, leurs enfants se portent bien, nous les voyons souvent. Veuillez recevoir, avec bonté, Madame, l'hommage de mon respectueux attachement.

LOUIS BONAPARTE.

 

Vous m'en voulez un peu, ma chère maman, de ne pas vous écrire plus souvent, n'en accusez que les circonstances où je me suis trouvée et croyez que votre petite fille est très reconnaissante des bontés que vous avez eues pour elle pour jamais les oublier.

On nous fait toujours espérer que vous viendrez en France ; ce serait une grande joie pour nous et nous vous y engageons bien. Mes cousins se portent à merveille, ils se conduisent très bien, et se font aimer de tout le monde par leur douceur et leur désir de réussir ; ils écrivent bien souvent à leurs parents et sont bien heureux quand ils reçoivent des nouvelles. On leur a annoncé que Louis était déjà arrivé à Toulon. Adieu, ma chère maman, rappelez-moi au souvenir de toute votre famille, dont je me souviens fort bien, et croyez à mon sincère attachement.

HORTENSE BONAPARTE.

 

Lettre de Joséphine à sa mère :

Je ne vous écris pas aussi souvent que je le désirerais, ma chère maman, parce que j'ai bien peu de moment à ma disposition, mais si je ne vous exprime pas, par écrit, tout ce que je sens, ce que j'éprouve de tendresse pour vous, mon cœur se le dit, se nourrit de votre idée, de mille souvenirs et s'attriste souvent de celle de ne pouvoir serrer dans ses bras sa bonne et excellente mère, il se présente une occasion, et j'en profite bien vite, pour vous donner quelques détails sur tous les objets d'intérêt que vous avez en France. Nous nous portons tous bien, Hortense aussi, son petit Napoléon devient un amour, cet enfant est déjà d'une intelligence admirable et vous devez juger s'il fait mon bonheur. Le regret cependant qui occupe chaque instant de ma vie et la trouble est de ne pas vous voir partager ici toutes ces jouissances, tous ces divers sentiments. Je conçois que vous éprouvez quelquefois des inquiétudes mais elles ne sont pas fondées, ainsi de grâce ne vous y livrez pas, et ne croyez qu'aux nouvelles qui vous seront transmises par moi. Bonaparte est très attaché à la Martinique et il compte sur le dévouement des habitants de cette colonie ; il prendra tous les moyens possibles pour la conserver. Je vous remercie, ma chère maman, de n'avoir pas profité des offres de service qui vous ont été faites. Vous avez votre fille qui n'a rien qui ne vous appartienne et qu'elle ne se trouve heureuse de partager avec vous ; ainsi non seulement j'ai payé les lettres de change que vous avez tirées sur moi, mais je vous demande pour l'avenir de ne vous laisser manquer de rien, n'y gêner d'aucune manière, et de croire que je ferai toujours honneur aux billets signés de vous. Dites, je vous prie, à mon oncle et à ma tante que ses enfants sont tous très bien portants, qu'ils peuvent être tranquilles sur leur existence dans ce pays-ci. Stéphanie[58] est tout à fait guérie, elle a beaucoup gagné pour la figure et la tournure, elle a un caractère charmant qui la fait aimer de tous ceux qui la connaissent. Tascher l'aîné est à Rome, il sera de retour dans deux jours, son frère L'Amour[59] est nommé adjoint du palais. Fanfan[60] est en pension, on est content de lui. Yéyé[61] qui est un modèle de raison a voulu absolument aller en pension, je l'ai mis dans la même pension que son frère, ainsi que les petits Sanois[62]. J'espère que ce pays guérira Yéyé de son asthme, il a beaucoup grandi et engraisse depuis qu'il est ici. Dites à ma tante de Sanois de ne pas s'inquiéter sur le sort de ses enfants, je me charge de les élever, et je me chargerai de les placer, ce sont de bons enfants. Voilà, ma chère maman, tous les détails que je puis vous donner sur les vôtres, ne m'oubliez pas je vous prie auprès de mon oncle et de ma tante et de tous ceux qui m'ont conservé souvenir et intérêt. Quant à votre amitié, votre tendresse, j'y compte, elle fait mon bonheur et ne peut jamais surpasser celle que mon cœur vous a vouée pour la vie. Adieu, je vous embrasse de tout mon cœur. Tout ce qui m'entoure se joint à moi pour vous faire mille caresses. Rappelez-moi au souvenir du général Villaret[63] et de sa femme. Nous les aimons beaucoup.

***

Si à l'intérieur tout est à la joie, l'orage gronde à l'extérieur. Un mouvement de conspiration se précise, cristallisant peu à peu tous les mécontentements et toutes les haines. Le Gouvernement anglais refuse de remplir les conditions du traité d'Amiens. Une troisième coalition se prépare contre la France et va réunir la Russie, l'Angleterre, l'Autriche et la Suède.

Bonaparte qui veut la paix essaie d'intimider l'Angleterre en faisant connaître son projet d'envahir ce pays. Il fait d'immenses préparatifs à Boulogne-sur-Mer, en vue d'opérer une descente dans les îles britanniques. Mais, cette menace ne fera pas céder l'orgueilleuse Angleterre.

La fin malheureuse du général Leclerc, mort de la fièvre jaune à l'île de la Tortue, près de Saint-Dominique[64], le 2 brumaire (2 septembre), le rappel des troupes décimées par la terrible maladie[65], et la crainte de voir la Louisiane tomber, comme le Canada, au pouvoir des Anglais, décident Bonaparte à vendre cette belle colonie aux Etats-Unis, pour la modique somme de 80 millions.

***

Le 18 mai 1804, le Sénat décrète que le titre d'Empereur sera déféré au premier Consul, en établissant dans sa famille l'hérédité au trône impérial. Au sortir de la séance, le Sénat, ayant à sa tête le consul Cambacérès, se rend en corps à Saint-Cloud, escorté par la cavalerie de la garde, pour présenter à Bonaparte le Sénatus-consulte qu'il venait d'adopter et qui le proclamait Empereur des Français. Pour la première fois il est salué du titre de Majesté et, pour la première fois aussi, il signe de son prénom : Napoléon. Trois syllabes qui bientôt vont déferler sur l'Europe comme un roulement de tonnerre et étonner le monde.

Puis, les délégués passent dans les appartements de Joséphine qui, à son tour, est proclamée Impératrice ! Le canon tonne dans Paris et le cri de Vive l'Empereur ! fait vibrer l'atmosphère. La prédiction d'Eliama s'est réalisée !

Bonaparte depuis longtemps songeait à relever le trône de France. Se rappelant le concours que lui avait apporté Joséphine, lors de la préparation du coup d'Etat, le 19 brumaire, il lui avait confié ses projets et nous avons d'elle une lettre très édifiante qu'elle adressait à son mari à ce sujet.

Mon ami,

Pour la dixième fois, peut-être, je relis votre lettre et j'avoue que l'étourdissement qu'elle me cause ne cesse que pour faire place à la douleur et à l'effroi. Vous voulez relever le trône de France, et ce n'est pas pour y faire asseoir ceux que la Révolution en a renversés ! C'est pour vous y placer vous-même ! Que de force, dites-vous, que de grandeur dans ce projet, et surtout que d'utilité ! Et moi je vous dis : que d'obstacles pour le faire agréer ! Que de sacrifices pour l'accomplir ! Quelles incalculables suites, quand il sera réalisé ! Mais admettons qu'il le soit, vous arrêterez-vous à la fondation du nouvel empire ? Cette création, disputée par des voisins, n'entraînera-t-elle pas la guerre avec eux, et peut-être leur ruine ? Leurs voisins, à leur tour, la verront-ils sans terreur et n'essayeront-ils pas de la repousser par la vengeance ? Et au-dedans, que d'envieux, que de mécontents ? Que de complots à déconcerter, que de conspirations à punir ! Les rois vous dédaigneront comme parvenu : les peuples vous haïront comme usurpateur, vos égaux comme tyran. Aucun ne comprendra la nécessité de votre élévation ; tous l'attribueront à l'ambition et à l'orgueil. Vous ne manquerez pas d'esclaves qui ramperont sous votre puissance, jusqu'à ce que, secondés par une puissance qu'ils croiront plus formidable, ils se relèveront pour vous renverser. Heureux encore si le poignard, si le poison !... Une épouse, une amie, peut-elle fixer son imagination troublante sur de si funestes images ?

Ceci m'amène à moi, dont je ne m'occuperais pas s'il ne s'agissait que de moi-même ; mais le trône ne vous inspirera-t-il pas le besoin de nouvelles alliances ? Ne croirez-vous pas devoir chercher, dans de nouveaux liens de famille, de plus sûrs appuis à votre pouvoir ? Ah ! quels qu'ils soient, vaudront-ils ceux que la convenance avait tissé, que les affections les plus douces semblaient devoir éterniser ? Je m'arrête à cette perspective que la crainte, faut-il le dire, que l'amour trace dans un avenir effrayant. Vous m'avez alarmée par votre essor ambitieux ; rassurez-moi par le retour, par l'assurance de votre modération.

 

Quels pressentiments de l'avenir ! Joséphine savait que Talleyrand avait, peu de temps auparavant, conçu le projet de faire divorcer le nouvel Empereur et de l'unir à une grande duchesse de Russie. Ce projet avait échoué mais n'était pas abandonné.

 

 

 



[1] Blanqué était le gérant de l'habitation Lapagerie.

[2] La maison Emery et Wankee, de Dunkerque, était commissionnaire de M. de Lapagerie, chargé de vendre le sucre de la propriété en France et de servir une rente à Joséphine.

[3] Fifine, enfant trouvée que Mme de La Pagerie avait adoptée et qui fut mariée plus tard à M. Blanqué, avec 80.000 francs de dot.

[4] La propriété située quartier de Léogane dans l'île de la Tortue.

[5] C'est M. Emery qui avait inspiré cette combinaison. Le sucre et le café valaient très cher et montaient journellement, l'Angleterre interceptant tout commerce avec les colonies.

[6] On remarquera avec quelle insistance, sachant sa mère seule, éloignée de toute affection, depuis la mort de son mari et sa fille Marie-Françoise, Joséphine l'appelle auprès d'elle.

[7] Les banquiers, très avisés, prévoyaient l'inflation.

[8] Nous avons peut-être là la preuve qu'elle n'a pas été la maîtresse de Barras. On ne rembourse pas un amant.

[9] Le Directoire qui avait succédé à la Convention se composait de cinq membres : Larévellière-Lépeaux, Carnot, Rewbel, Le Tourneur et Barras.

[10] La propriété de Barras, ainsi appelée parce que la maison représentait une ferme, avec une toiture de chaume rustique. Elle était dissimulée par des peupliers et des lilas.

[11] Le poète, né à la Guadeloupe.

[12] Bonaparte avait, le 22 vendémiaire, ordonné le désarmement de tous les citoyens.

[13] C'est là, il y a quelque vingt ans, que Curie mourut écrasé contre un trottoir par un camion.

[14] Publiée par le bibliophile Pol André : Œuvres amoureuses de Napoléon.

[15] C'est Metternich, après le mariage de l'Empereur avec Marie-Louise, qui fit rechercher et établir la descendance de Napoléon. L'Empereur, après l'avoir examiné se contenta de dire : Les généalogistes veulent faire remonter mon origine au déluge. La maison de Bonaparte a commencé le 13 brumaire.

[16] C'est dans le bel hôtel de Mme de Montesson, construit avant la Révolution, contigu à celui de Mgr le duc d'Orléans, qu'elle avait épousé, que fut donné le premier bal pour le mariage de Louis Bonaparte avec Hortense de Beauharnais. La fête fut féerique. Sept cents personnes avaient été invitées et on y vit le tout Paris de la politique, de la finance, de la littérature et des arts.

Cet hôtel fut détruit par un incendie lors d'une fête donnée par le prince de Schwartzenberg pour le mariage de Marie-Louise. Plusieurs personnes périrent dont les princesses de Schwartzenberg et de La Leyden.

[17] Norvins, Histoire de Napoléon.

[18] Il avait quitté le quai Conti depuis peu.

[19] Par républicanisme les particules de noblesse ont été confondues ou oubliées et les titres de l'ancien régime omis.

[20] L'hôtel n'existe plus. Il a été totalement démoli.

[21] Cette harpe ainsi qu'un fauteuil et une estrade, avant fait partie de la collection Maurice de Waleffe, ont été vendus à la salle Drouot le 16 novembre 1933 et acquis par le Musée de Fontainebleau pour la somme de 13.800 francs.

[22] Frédéric Masson, Madame Bonaparte.

[23] Aujourd'hui dans la collection du duc de Leuchtenberg, Prince d'Eichstœdt.

[24] Le lendemain il apprenait que l'enfant était mort en naissant.

[25] Le général Pichegru avait envahi la Hollande et le traité de Bâle avec la Prusse et l'Espagne nous avait donné la rive gauche du Rhin et la partie espagnole de Saint-Domingue.

[26] Le passeport porte Compoix.

[27] Le passeport porte Compoix.

[28] Président du Directoire de la République cisalpine.

[29] Quel âge a votre général avait demandé Wurmser au capitaine Lassalle (plus tard général) envoyé en parlementaire. — L'âge de Scipion quand il vainquit Annibal, avait répondu l'officier français.

[30] Pour commémorer ce glorieux événement, le Directoire offrit à Bonaparte une épée merveilleusement sculptée. Sur la lame damasquinée étaient inscrits les noms de tous les empereurs romains et du Saint-Empire germanique : le fourreau était de cristal de roche, incrusté d'or et de lapis-lazuli.

[31] Plus tard, devenue Impératrice, elle ne cessait de prêcher à ses enfants la modestie et la simplicité, leur disant : Le sort m'a été si favorable que je crains continuellement quelque grand revers.

Voici une de ses lettres à Eugène, modèle de grâce et de sentiment :

AU PRINCE EUGÈNE

En voyant s'agrandir vos destinées, vous n'aurez nul besoin, mon fils, d'élever votre âme avec elles. A quelque hauteur qu'elles atteignent, les sentiments que je vous connais sont encore plus hauts. Tel est, l'avantage d'un homme qui met sa conscience partout. En cela vous êtes le digne fils de celui dont vous me retracez, avec les traits, les principes et la conduite. Dans le gouffre de l'infortune il ne montra tant de courage que parce que, dans une meilleure fortune, il avait montré toute sa probité. C'est qu'il suffit des souvenirs d'une vertu sans tache pour fortifier les derniers moments, comme ils ont suffi pour illustrer toute une vie. Voilà la vôtre, mon fils, livrée au prestige de la grandeur ; mais, ne vous séduisant pas, ils ne pourront vous corrompre. Au milieu des hommes et de l'opulence, vous vous rappellerez Fontainebleau, où vous fûtes pauvre, orphelin et délaissé ; mais vous ne vous le rappellerez que pour tendre aux malheureux une main secourable. J'apprends avec une vive satisfaction que votre jeune épouse partage tous vos sentiments l c'est la preuve qu'elle partage aussi toutes vos affections ; et comme je suis intéressée à ce qu'elle les éprouve au même degré que vous, c'est en même que je m'en réjouis. C'est aussi de même que je vous embrasse l'un et l'autre.

[32] Elle paya jusqu'à 4.000 francs un oignon de tulipe.

[33] Dans la nuit du 17 fructidor (4 septembre) Barras, Rewbel et Larévellière-Lépeaux avaient introduit dans Paris un corps de troupes sous le commandement d'Augereau et avaient réussi le coup d'Etat du 18. Leurs collègues Barthélémy et Carnot et 53 membres des deux conseils avaient été condamnés à la déportation.

[34] Le Tonnant était commandé par le célèbre capitaine du Petit-Thouars qui perdit ses deux jambes à la bataille d'Aboukir. Son corps mutilé, jeté à la mer, alla rejoindre celui de l'amiral Brueys, dans l'insondable gouffre.

[35] Les Arabes le surnommèrent Bounaberdi, le sultan des Francs d'Europe.

[36] Arrivé à Malte le 9 juin, il y débarque le 10.

[37] Nelson avait vaincu l'Invincible. Il fut nommé Baron du Nil, avec une rente viagère de 2.500 livres sterling. Des cadeaux lui furent envoyés de toutes les parties de l'Europe. Le Roi d'Angleterre lui conféra le titre de pair et la ville de Londres lui présenta un glaive au pommeau incrusté de diamants. La Sultan de Turquie lui fit parvenir une pelisse de fourrure estimée 1.000 livres sterling et une aigrette en diamants de 5.000 livres, détachée de l'un de ses turbans ; la Sultane, un coffret entouré de diamants, d'une valeur de 1.000 livres et un porte-cigarette orné de pierres précieuses. Le Tsar de Russie, un portrait garni de brillants. La Compagnie des Indes Orientales, un plat d'or massif. La ville de Palerme, une chaîne d'or merveilleuse. Le Roi de Naples, une épée infiniment précieuse qui avait appartenu à Louis XIV et qui lui était échue par voie d'héritage. Enfin, le plus curieux des dons, un cercueil.

Un des marins de Nelson, Ben Hallowell, avait fait repêcher le mat principal, en bois de chêne, du croiseur français L'Orient et s'en était servi pour fabriquer un cercueil à son chef. Les clous et les ferrures mêmes provenaient du navire sombré. Il l'envoya à son amiral adoré en exprimant l'humble espoir que le grand Nelson, le libérateur de l'Angleterre, se ferait enterrer dans ce trophée de sa victoire.

[38] Bonaparte aimait la guerre mais il n'était pas insensible à la douleur, témoin cette lettre qu'il adressa à la femme de l'amiral Brueys, le grand vaincu d'Aboukir.

Du Caire, le 19 août 1798.

Madame, votre mari a été tué d'un coup de canon, en combattant, à son bord. Il est mort sans souffrir et de la mort la plus douce, la plus enviée par les militaires.

Je sens vivement votre douleur. Le moment qui nous sépare de l'objet que nous aimons est terrible ; il nous isole de la terre, il fait éprouver au corps les convulsions de l'agonie. Les facultés de l'âme sont anéanties. Elle ne conserve de relation avec l'univers qu'au travers d'un cauchemar qui altère tout. L'on sent dans cette situation que, si rien ne vous obligeait à vivre, il voudrait mieux mourir. Mais lorsque, après cette pensée, l'on presse ses enfants sur son cœur, des larmes, des sentiments tendres raniment la nature et l'on vit pour ses enfants. Oui, Madame, vous pleurerez avec eux, vous élèverez leur enfance, vous cultiverez leur jeunesse : vous leur parlerez de leur père, de votre douleur, de la perte qu'ils ont faite, de celle qu'a faite la République. Après avoir rattaché votre âme au monde par l'amour filial et l'amour maternel, appréciez pour quelque chose l'amitié et le vif intérêt que je prendrai toujours à la femme de mon ami. Persuadez-vous qu'il est des hommes, en petit nombre, qui méritent d'être l'espoir de la douleur, parce qu'ils sentent avec douleur les peines de l'âme. BONAPARTE.

[39] On avait rapporté à Bonaparte que sa femme était la maîtresse d'Hippolyte Charles.

[40] Les vieux soldats qui se rappelaient les délices de la campagne d'Italie se plaignaient d'être dans un pays sans pain ni vin.

[41] Ce sont Junot, Berthier et Julien qui avaient rapporté à Bonaparte les potins qui défrayaient la chronique scandaleuse de Paris.

[42] Elle peignait adorablement.

[43] La belle Pauline Fourès, femme d'un capitaine de chasseurs à cheval. Tous les officiers avaient pris femme : Junot avait une maîtresse turque nommée Xraxarane ; Menou avait épousé une arabe. Bonaparte, pour mieux posséder Pauline, fit prononcer un divorce provisoire par le Commissaire Ordonnateur Sartelou ! Elle redevint Pauline Bellisle : La favorite du général en chef que les arabes avaient surnommé le cheik El Kebir (le puissant) fut désignée par les vieux troupiers Clioupatre. Le besoin d'aimer était un des traits caractéristiques de Bonaparte. Desaix, qui faisait régner la paix dans la haute Egypte, était appelé le Sultan juste.

[44] Cette lettre ne parvint pas à Bonaparte, le navire qui la portait ayant été capturé par la croisière anglaise.

[45] Lors du retour de Plombières.

[46] Bonaparte avait eu l'intention de faire venir Joséphine en Egypte.

[47] Ses domestiques ont été dévalisés au sortir de Fréjus.

[48] Gohier avait épousé sa cuisinière. Joséphine avait cherché à le faire divorcer pour épouser sa fille Hortense mais il avait refusé.

[49] Voici la lettre de Bonaparte :

Ma chère amie : mon premier laurier dût-être à la patrie, mon second sera pour vous. En poussant Alvinzi, je pensais à la France ; quand il fut battu, je pensais à vous. Votre fils vous remettra une dragonne que lui a offerte le colonel Morbach, fait prisonnier de sa main. Vous voyez, Madame, que votre Eugène est digne de son père. Ne me trouvez pas moi-même trop indigne d'avoir succédé à ce brave et malheureux général, sous lequel je me serais honoré d'apprendre à vaincre. Je vous embrasse. BONAPARTE.

Et voici celle d'Eugène à sa mère :

Retenu à Lyon, pour y terminer quelques affaires, je ne puis résister à l'impatience que j'ai de vous entretenir, ma chère et digne mère ; j'ai eu le bonheur de faire, sous les yeux du général Bonaparte, une action qui m'a valu son approbation et qui m'a donné de moi-même une honorable idée. En faisant prisonnier un lieutenant-colonel autrichien, je pensais à mon père, j'étais vu du général et je savais que vous m'applaudiriez. Que de motifs pour servir son pays ! Ces encouragements seront toujours les mêmes et ils auront sur mon cœur la même influence. Suspendez cette dragonne dans votre cabinet, au-dessous du portrait de mon père, auquel j'en fais hommage aussi bien qu'à vous. Quant à celle que m'a donné Hortense et dont elle a tissé le chiffre (Eugène était alors colonel), dites-lui bien qu'elle ne me quittera pas facilement. Nous avons l'intention de rendre les Autrichiens prodigues envers nous : nous avons aussi celui de rester avares avec eux.

Au revoir, ma bonne et tendre mère : encore huit jours ici, puis je piquerai mon gris pommelé pour aller, tout d'un temps, me mettre à vos pieds.

[50] Fouché était un être immoral et faux. Durant la révolution il s'était montré aussi cruel et odieux nue Robespierre. Son esprit était fécond en ressources et il avait l'art de dissimuler et persuader.

[51] Le mari de Pauline Bonaparte qui l'accompagna à Saint-Domingue. Leclerc avait alors trente ans.

[52] Voir Le général Richepanse, par l'auteur.

[53] Il s'agit de MM. de Polignac, de Rivière et Charles d'Hosier. Elle réussit à faire commuer la peine de mort prononcée contre eux. Elle ne put malheureusement pas sauver de l'échafaud MM. de Villeneuve et le jeune Costez Saint- Victor, qui furent exécutés en même temps que Cadoudal, Carbon, Limoëlan Saint-Régent, Lahaie-Saint-Hilaire et Joyeux, dit d'Assas, les auteurs de ce plan exécrable. Joséphine avait demandé pour eux une détention perpétuelle mais les avis de Fouché l'emportèrent sur le sien.

[54] On les avait nommés les tape-durs.

[55] Cadoudal était venu d'Angleterre, sur un bateau anglais, envoyé par Pichegru et Lord Hawkesbury, le chef du Foreign Office.

[56] Moreau, gracié par Bonaparte, partit pour l'Amérique. Pichegru se suicida dans sa prison.

[57] Cousin germain de Joséphine, l'aîné de la famille, il devint plus tard baron et mourut à Paris en 1849.

[58] Stéphanie Tascher de La Pagerie, cousine germaine de Joséphine qui épousa le prince d'Arenberg, divorça à la rentrée des Bourbons et épousa le comte de Chaumont de Guitry. Elle mourut en 1832.

[59] Henri, surnommé L'Amour, devint maréchal de camp et fut nommé aide de camp du roi Joseph. Il mourut à Paris en 1816.

[60] Louis Tascher de La Pagerie, surnommé Fanfan, devint général. Il épousa la fille de la princesse de Leyen, gouverna la ville de Francfort-sur-Mein et après 1814 alla se fixer à Munich, en Bavière.

[61] Le frère de Louis Tascher.

[62] Les fils de Mme de Sanois, propre tante de Joséphine.

[63] Après la remise de l'île par les Anglais (traité d'Amiens) l'amiral Villaret de Joyeuse fut nommé capitaine général et occupa le gouvernement de la Martinique du 10 septembre 1802 au 24 février 1809, lorsque les Anglais reprirent l'île sous les ordres du général Sir Georges Ueckwith et l'amiral Sir Alexanders Cohrane.

[64] Le général Richepanse mourut de la même maladie à la Guadeloupe, mais plus heureux il y avait réprimé la révolte.

[65] En quelques mois les deux tiers de l'armée avaient disparu et l'insurrection avait gagné le dessus.