Le Gouverneur général de Beauharnais, en quittant la Martinique, le 17 avril 1761[1], après avoir remis les pouvoirs à son successeur M. Levassor de La Touche, craignant d'exposer son deuxième fils, Alexandre, âgé d'un an, aux hasards d'une traversée[2], l'avait laissé aux bons soins de Mme Tascher, née La Chevalerie, la mère de Mme de Renaudin, qui était une amie intime. Cette dernière était rentrée en France depuis une année. Alexandre, né à Fort-Royal le 28 mai 1760, avait été ondoyé le 10 juin suivant par le frère Ambroise, capucin, curé de la paroisse Saint-Louis du Fort-Royal. Il n'allait rentrer en France qu'à la fin de 1769, peu avant la mort de Mme de Beauharnais. Le 15 juin suivant il était régulièrement baptisé en l'Eglise de Saint-Sulpice, à Paris. L'année suivante, 1771, il est envoyé en Allemagne, avec son frère François et un précepteur. Il y passe deux années, puis il va à Blois, où il vit avec sa grand'mère maternelle, la comtesse de Chastulé. A quatorze ans, il entre au service, dans la Compagnie des Mousquetaires, maison du Roi. Trois ans plus tard, grâce à la protection du cousin de sa mère, le duc de La Rochefoucauld, colonel du Régiment de la Sarre-Infanterie, il obtient une sous-lieutenance et est inscrit à la 1re compagnie des Mousquetaires (8 décembre 1776). Sa figure est élégante, ses manières parfaites et il est très aimé de ses camarades. Mais il est fougueux, indépendant, un vrai fils du pays qui l'a vu naître. Il est promu major en second du régiment de Hainault lorsque la noblesse de Blois le nomme député aux Etats Généraux de 1789. Il est un des premiers à joindre le Tiers-Etat. Il adopte les opinions dominantes alors, prend une part active aux délibérations de l'Assemblée Nationale qui l'élit plusieurs fois à la présidence. Aide de camp du marquis de Bouillé, qui connaissait la famille depuis son séjour à la Martinique, celui même qui joua le rôle que l'on sait au moment de la fuite du roi Louis XVI, le 20 juin 1791, il fut le dernier général de la royauté et le premier de la République. Le lendemain de la fuite du Roi, il convoque l'Assemblée et préside à ses délibérations, avec dignité et fermeté. Lorsqu'il remit ses pouvoirs le 3 juillet, ce fut au milieu de l'enthousiasme général et des applaudissements de ses collègues. En janvier 1792, les ennemis sont à la frontière. La patrie est en danger. Alexandre va rejoindre son régiment et se placer sous les ordres de Luckner et de Rochambeau. Avant de partir, le 17 janvier, il demande la bénédiction de son père. L'aîné, François, classé parmi les émigrés, est à l'armée de Condé, opposé à celle des patriotes. Peu à près il est promu chef d'Etat-Major de l'armée du Rhin que commande le général Biron et rejoint ce poste avec enthousiasme. Le 21 septembre 1792, commence le procès de Louis XVI par la Convention, de Beauharnais cherche, mais en vain, à le sauver. Il ne réussit qu'à se compromettre. Louis XVI est exécuté le 21 janvier 1793. Le 9 mars est établi le tribunal révolutionnaire et le 25 mars, le Comité de Salut Public, composé de neuf membres, qui est chargé de pourvoir à la défense intérieure et extérieure de la République. Nous allons voir comment l'ingratitude, la suspicion et la mort allaient être la rançon du patriotisme et de la bravoure. Le régime sanguinaire de la Terreur allait peser sur la France, de la proscription des Girondins jusqu'à la mort de Robespierre. De Custine qui avait succédé à Biron, après son grand succès dans le Palatinat, avait été dans l'obligation de se retirer devant les ennemis trop nombreux, laissant vingt mille Français investis dans Mayence. Le Comité de Salut Public décide de le rappeler et donne le 30 mai 1793, le commandement en chef de l'Armée du Rhin à de Beauharnais. Il avait trente-trois ans. Le 13 juin suivant il est nommé ministre de la Guerre. Il avait pour mission de reprendre le territoire abandonné par son prédécesseur et de gagner des batailles, mais on ne lui fournissait ni hommes ni matériel. Son adversaire était le Roi de Prusse en personne, le plus habile des généraux de l'époque. De Beauharnais fait l'impossible, cherche à réorganiser son armée et à l'entretenir, mais la place forte de Mayence capitule avant qu'il ait pu la secourir. Cette capitulation est dénoncée comme infamante par le Comité de Salut Public et le ci-devant général, ancien girondin, reconnu suspect. Sa démission est imposée. De Beauharnais demande à servir en sous ordre, cette demande est repoussée, il est écarté de l'armée. La loi des suspects est proclamée, les prisons vont regorger de prisonniers, destinés à la guillotine[3]. Plus de vingt généraux sont arrêtés et parmi les exécutés on compte Custine, Houchard, Luckner, Brion et finalement le vicomte de Beauharnais. ***La maison de Beauharnais était, comme celle de Tascher, originaire d'Orléans. Les de Beauharnais établissaient leur filiation depuis Guillaume de Beauharnais, seigneur de Miramion et de La Chaussée, marié par contrat du 20 janvier 1390 à Marguerite de Bourges. Un de ses fils, Jean, avait servi sous le comte de Dunois et fut un des témoins nommé pour la justification de Jeanne d'Arc, avec Pétronille, sa femme, sœur de Louis de Coutes, gentilhomme que Charles VII avait mis auprès de la Pucelle. En 1504, un Guillaume de Beauharnais, seigneur de Miramion et de La Chaussée, de La Grillière et de la Villechauve, s'était marié le 20 septembre 1499 avec Marie Le Vassor et donne son aveu à la Cour des Comptes de Paris, en l'an 1504, des terres de Miramion et de La Chaussée[4]. Le 4 septembre 1652, Jean de Beauharnais, chevalier, seigneur de la Boische, de Villechauve, de Beaumont et de La Chaussée, notaire de la Chambre du Roi Louis XIII, gentilhomme ordinaire de sa chambre, conseiller, maître d'hôtel ordinaire, épouse la demoiselle Mallet et meurt en 1661. De ce mariage est né, François de Beauharnais, le grand-père du marquis, gouverneur de la Martinique. Ce François, lors de la convocation de la noblesse du royaume, servit avec distinction. Il épousa le 14 septembre 1664, Marguerite-Françoise Pyvart de Chastullé, fille de Jacques Pyvart, conseiller du Roi, maître ordinaire de la Chambre des Comptes de Blois. De cette union naquit quatorze enfants, dont Claude, le père du futur Gouverneur de la Martinique. L'oncle du gouverneur général, chef d'escadre des armées navales eut une brillante carrière coloniale. Il découvrit le Mississipi, les montagnes Rocheuses et resta vingt-deux ans gouverneur de la Nouvelle France. Il avait détruit la nation des sauvages Renards, qui troublaient la tranquillité du Canada. François, le gouverneur général de la Martinique, fils aîné de Claude, le découvreur du Mississipi, avec d'Iberville, fut tout d'abord connu sous le nom de Beauharnais-Beaumont, Chevalier, Baron de Beauville, Seigneur de Villechauve, qualifié de haut et puissant seigneur et ultérieurement fait marquis. Il avait épousé sa cousine Marie-Anne-Henriette Pyvart de Chastullé, qui avait hérité de la grosse fortune des Hardouineau, consistant en de vastes propriétés à Saint-Domingue. Les deux maisons se valaient et, durant la haute administration de Beauharnais à la Martinique, les deux familles avaient été très liées. ***Joséphine qui avait six ans de plus qu'Alexandre, ne l'avait jamais vu à la Martinique, qu'il avait quitté à l'âge de neuf ans. Elle en avait seulement entendu parler chez Mme de Renaudin, que l'on disait la maîtresse du Gouverneur de Beauharnais. Mme de Renaudin avait toujours rêvé d'unir par le mariage l'une des filles de son frère au fils de Beauharnais, Alexandre. Joséphine étant trop âgée, son choix s'était fixé sur Catherine-Désirée qui malheureusement fut enlevée par la phtisie à l'âge de treize ans et demi. La dernière, Marie-Françoise, surnommée Manette, était trop jeune, n'ayant que douze ans et demi. Elle s'entendit avec les parents pour unir Joséphine et Alexandre et dès que la chose fut bien convenue, le marquis de Beauharnais envoya à M. de La Pagerie, à la Martinique, un pouvoir pour faire publier les bans du mariage, lui demandant de venir le plus tôt possible à Paris, avec sa fille. De son côté Mme de Renaudin insista sur la nécessité de ne point perdre de temps : Venez, venez, c'est votre chère sœur qui vous en conjure. Profitant d'un convoi, escorté par la frégate Pomone, détachée de la flotte de l'amiral d'Estaing[5], M. de Beauharnais s'embarque, avec sa fille, qu'accompagne la mulâtresse Euphémie, sur la flotte du Roi, Ile-de-France, touche à Saint-Domingue et arrive à Brest, très fatigué par le voyage. Il souffre depuis longtemps du foie et va profiter de son voyage pour consulter les médecins célèbres de la capitale. Il était alors très dangereux de traverser l'océan. L'amiral anglais Byron, avec sa flotte, sillonnait la mer des Antilles. C'est ainsi que, quelques mois après leur départ, le 26 août 1780, l'amiral anglais Rodney se rencontra avec l'amiral français Guichen, en vue de Fort-Royal, et, quoique l'action fût indécise, ses résultats furent importants car la flotte de Guichen fut si endommagée qu'elle ne put rallier les côtes américaines, comme prévu, et avec un convoi rentra à Cadix, au grand désappointement du général Washington. Voici le rapport de l'amiral Rodney à l'amirauté anglaise : Sandwich,
Fort-Royal Bay, Martinico, 26 avril 1780. Depuis que j'ai eu l'honneur d'informer Vos Seigneureries de mon arrivée à la Barbade et à Sainte-Lucie, et ma prise de possession du commandement des navires de Sa Majesté en cette station, l'ennemi qui avait paradé pendant plusieurs jours en vue de Sainte-Lucie, avec vingt-cinq vaisseaux et huit frégates, chargés de troupes, et avait espéré surprendre l'île, a été déçu par suite des dispositions prises par les troupes du général Vaughan et les navires du contre-amiral Parker. Il se retira dans la baie de Fort-Royal, quelques heures avant mon arrivée au Gros-Ilet, le 27 mars. Dès que ma flotte fut réunie, je pris la détermination de retourner à l'ennemi sa visite et d'offrir le combat ; en conséquence, le 2 avril, je me présentais avec toute la flotte devant Fort-Royal, où pendant deux jours j'offris la bataille. Nous étions assez près pour pouvoir compter leurs pièces et parfois à portée de canon des forts. M. de Guichen, quoique supérieur en nombre, décida de rester à l'abri dans le port. Les deux flottes restèrent dans cette situation jusqu'au 15 courant, lorsque l'ennemi, avec toutes ses forces, mit à la voile au milieu de la nuit ; avis m ayant été donné immédiatement, je me mis à sa poursuite ; et ayant passé devant Fort-Royal, puis devant Saint-Pierre, nous l'aperçûmes le 16 à environ huit lieues à l'ouest du rocher la Perle. Une chasse générale dans le nord-ouest s'ensuivit et à 5 heures de l'après-midi nous pûmes distinctement reconnaître que la flotte ennemie consistait de vingt-trois vaisseaux, dont l'un de cinquante canons, trois frégates et deux flûtes. La nuit venue, ma flotte était en ordre de bataille et je donnais pour instructions au Venus et au Greghound de demeurer. entre les deux flottes, de surveiller les mouvements de l'ennemi, ordre qui fut admirablement exécuté par ce vieux vétéran officier, le capitaine Fergusson. Les manœuvres de l'ennemi durant la nuit indiquaient le désir d'éviter le combat, mais j'étais déterminé qu'il n'en serait point ainsi et pris mes dispositions pour contrecarrer ses mouvements. A onze heures, le lendemain matin, je fis hausser le signal de combat, et à onze heures cinquante celui d'avancer en gouvernant dans la direction opposée à celle de l'ennemi, conformément à l'article 21 des instructions additionnelles sur la manœuvre du combat. Cinq minutes plus tard j'ordonnai la bataille ; quelques minutes après je faisais signaler mon intention d'engager de près, bien entendu le navire amiral en tête, pour donner l'exemple. Quelques minutes avant une heure de l'après-midi, un des navires de première ligne commença l'action ; à une heure, le Sandwich, au centre, après avoir reçu plusieurs coups de l'ennemi entra en action. Je fis répéter le signal d'engager de près. L'action au centre continua jusqu'à quatre heures, lorsque M. de Guichen, sur la Couronne, sur lequel on avait monté quatre-vingt-dix canons, le Triomphant et le Fendant, après un engagement qui dura une heure et demie avec le Sandwich, se retirèrent. A la fin de la bataille on peut dire que l'ennemi était complètement battu ; mais la distance était telle entre mon avant-garde et mon arrière-garde, et l'état si critiques, de plusieurs navires, particulièrement le Sandwich qui pendant vingt-quatre heures ne fut maintenu à flots qu'avec grande difficulté, qu'il fut impossible de les poursuivre la nuit sans risquer de se mettre en mauvaise position. L'ennemi, pour éviter une nouvelle action, alla se réfugier à la Guadeloupe. Estimant qu'il était vain de le poursuivre, vu l'état de la flotte de Sa Majesté, et tous les mouvements de l'ennemi indiquant qu'il avait l'intention de rallier la baie de Fort-Royal, Martinique, où une flotte endommagée a les moyens de se réparer, j'ai estimé que la seule chance de renouveler le combat était de me poster devant Fort-Royal et c'est de cette position que j'ai l'honneur de vous écrire, avec la flotte sous mes ordres, attendant journellement le retour de l'ennemi. Je ne veux pas terminer sans porter à la connaissance de Vos Seigneureries que l'amiral français, qui a donné des preuves de bravoure et de galanterie, a eu l'honneur d'être noblement soutenu pendant toute l'action. G.-B. RUDNEY. ***Avertis par lettre de l'arrivée de M. de Beauharnais et de sa fille à Brest, Mme de Renaudin et le fiancé sont allés les y chercher. A petites étapes, pour ne pas trop fatiguer M. de Beauharnais, on gagne Paris en diligence. On y arrive en plein mois de novembre et il fait un froid de loup. C'est le premier contact de Joséphine avec l'hiver. Il faut se couvrir et le premier soin de Mme de Renaudin est de conduire sa protégée dans les magasins où l'on fait choix de nouvelles toilettes, de chapeaux, de dentelles. Joséphine est toute à la joie. De Beauharnais n'a éprouvé qu'un médiocre entraînement pour Joséphine. Ce mariage de raison n'a été accepté que pour plaire à son père et, indifférent, il laisse venir les événements. Joséphine qui a besoin d'aimer, dont l'amour est une nécessité de la vie, ne pense qu'au jour heureux qui l'unira à son fier époux tandis que Mme de Renaudin assure à M. de Beauharnais père que sa bru sera votre chère et tendre fille, c'est moi qui vous en assure ; elle possède toutes les qualités essentielles pour faire le bonheur du chevalier. Alexandre n'ajoute pas un mot à toutes ces déclarations, il garde un silence obstiné qu'il ne rompt qu'une fois pour écrire à son père : Mme de La Pagerie vous paraîtra peut-être moins jolie que vous ne l'attendiez, mais je crois pouvoir vous assurer que l'honnêteté et la douceur de son caractère surpassent tout ce qu'on a pu vous en dire. Les pièces nécessaires ayant été reçues de la Martinique[6] les bans sont publiés à Paris — une dispense est accordée le 9 par Monseigneur l'Archevêque pour les deux derniers —, à Noisy-le-Grand, le 5 décembre, paroisse de M. de Beauharnais père, et à Saint-Sulpice, la paroisse du même avant qu'il ne vint habiter rue Thévenot, et où Alexandre a été baptisé. Le 7 décembre, rue Thévenot, on passe le contrat de mariage. Sont présents : du côté des Beauharnais, le père, Mme de Renaudin, le frère ainé d'Alexandre, capitaine de dragons, l'oncle Claude, comte des Roches-Baritaud, chevalier de Saint-Louis, chef d'escadre, le fils de celui-ci, aussi appelé Claude, un oncle à la mode de Bretagne, Michel Bégon, conseiller honoraire au Parlement de Metz, intendant de la marine ; du côté des Tascher, le père, Louis-Samuel de Tascher, prêtre, docteur en Sorbonne, prieur de Sainte-Gauburge, aumônier de S. A. S. Monseigneur le Duc de Penthièvre, Mme Madeleine et Louis de Ceccouy, amies de la famille. Alexandre apporte 40.000 livres de rente qu'il tient de sa mère ; la future mariée, des effets mobiliers restés à la Martinique, d'une valeur de 15.000 livres, son trousseau qui a coûté 20.000 livres — don de Mme de Renaudin — et une rente annuelle de 5.000 livres garantie par M. de La Pagerie. De plus, Mme de Renaudin donne à sa nièce sa maison de Noisy-le-Grand, le mobilier la garnissant et une créance de 129.149 livres, 6 sols, 9 deniers sur le marquis de Saint-Léger. Six jours après, le 13 décembre 1779, le mariage est béni dans l'église de Noisy-le-Grand[7]. Des premiers temps qui suivirent le mariage on n'a pas trouvé de documents intéressants. La jeune Mme de Beauharnais fréquentait assidûment les salons de sa tante Fanny. Elle y rencontrait de nombreuses célébrités de l'époque : Buffon, Jean-Jacques Rousseau, Voltaire et beaucoup d'autres hommes connus, Mme la Duchesse de La Rochefoucauld, Mme de Rohan-Chabot Léon, née Elisabeth de Montmorency, Mme de Montesson, femme morganatique du duc d'Orléans, la Princesse de Hohenzollern qui devait rester son amie la plus intime et la plus dévouée. Ce qui est certain, c'est que des liens étroits et durables ne purent jamais s'établir entre les deux époux et que Joséphine ne parvint pas, malgré tous ses charmes, à captiver le volage Alexandre. Peu de temps après le mariage, son mari reprit sa vie de garnison, alla tout d'abord rejoindre son régiment à Brest, de là à Verdun, oubliant sa jeune femme dans les bras des jeunes provinciales. Il mène une vie décousue, désordonnée, s'affiche avec des maitresses et ne vient à Paris que de temps en temps, pour des séjours peu prolongés. Joséphine est consolée par les soins attentifs de son beau-père et de sa tante Fanny. Les infidélités de son mari la plongent dans les larmes, cela exprime vainement sa douleur. Alexandre veut rester libre et indépendant. Néanmoins, elle maintient la dignité de son nom et, s'étant créée de brillantes relations, elle reçoit dans son salon toute l'aristocratie militaire et politique de l'époque : le marquis de La Fayette, MM. d'Aiguillon, de Crillon, d'André, de Montesquiou, de Biron, Barnave, Chapelier, Mounier, Thouret, le comte de Montmorency, le duc de la Rochefoucauld, le marquis de Caulaincourt, le prince de Salm-Kirbourg. Ces relations lui seront très utiles par la suite. Le 3 septembre 1781, rue Thévenot, la haute et puissante dame Marie-Josèphe Rose de Tascher de La Pagerie, femme de haut et puissant Seigneur Messire Alexandre François Marie, vicomte de Beauharnais, capitaine au régiment de la Sarre, met au monde un enfant de sexe masculin qui reçoit le nom de Eugène Rose — le futur prince Eugène —. Il est baptisé le lendemain 4 septembre. Après la naissance de ce fils, voulant l'arracher du milieu où il vivait alors, Mme de Renaudin obtint pour Alexandre un congé et, le 1er novembre 1781, elle le fait partir pour l'Italie. Il est à Antibes le 25, visite Gènes, Rome, Venise et est de retour à Paris le 25 juin 1782. Il habite alors avec sa femme et lui donne des preuves d'affection mais bientôt il éprouve le besoin de reprendre la vie de garnison et la situation reste inchangée. Au mois d'août 1782, Alexandre ayant rencontré le marquis de Bouillé, l'illustre homme de guerre, gouverneur général des îles du Vent pendant la guerre de l'Indépendance américaine, et qui rêvait toujours d'enlever la Jamaïque aux Anglais, il sollicite de servir sous ses ordres et fait appuyer sa demande par le duc de La Rochefoucauld, son chef. Il obtient satisfaction et, malgré les objurgations de sa marraine et les prières de sa femme, il s'embarque à Brest pour les Antilles, à la fin du mois de septembre et arrive à Fort-Royal en novembre 1782, à la recherche de l'avancement et de lauriers, la tète lourde des fumées de la gloire ! A la Martinique, il est reçu chaleureusement par le baron de Tascher qui, en 1770, avait été proposé par l'amiral d'Estaing et par le gouverneur de Bouillé pour le grade de capitaine de vaisseau, et remplissait alors les fonctions de directeur de port à Fort-Royal. Séduit par la distinction et le charme du vicomte, il le présente à la Société martiniquaise où il recueille le plus grand succès. L'homme mondain, pétri de belles manières est fêté à outrance ; il ne rêve qu'à sacrifier sur l'autel de Vénus et se complaît dans l'adoration de plusieurs belles créoles. Durant ce temps, à Paris, la vicomtesse qui demeure, depuis le départ de son mari, rue de La Pépinière, avec sa tante et le marquis, achève une seconde grossesse et met au monde, le 10 avril 1783, une fille qui reçoit le nom de Hortense Eugénie — la future Reine de Hollande —. Le baptême a lieu le 11 à la Madeleine de la ville l'Evêque. Après ses couches, Joséphine va faire un séjour à l'abbaye de Panthemont, rue de Grenelle, chez les religieuses du Verbe-Incarné et du Saint-Sacrement[8], ayant décidé de se séparer de son époux, puis à Croissy-sur-Seine et enfin elle va habiter à Fontainebleau chez sa tante de Renaudin. Le traité de paix signé à Versailles en janvier 1783, ayant mis fin à la lutte entre l'Angleterre et la France, coupant court en même temps aux rêves de gloire du bouillant Alexandre, ce dernier s'embarque, le 18 août, sur la frégate Atalante pour rentrer en France, accompagné par une dame de Longpré. Avant de partir, il n'avait même pas daigné aller saluer son beau-père qui, pour lui reprocher sa conduite scandaleuse, crut devoir lui écrire : Voilà donc le fruit que vous avez tiré de votre voyage et de la belle campagne que vous comptiez faire contre les ennemis de l'Etat. Elle s'est bornée à faire la guerre à la réputation de votre femme et à la tranquillité de sa famille. C'est qu'Alexandre, pour expliquer sa conduite, n'avait pas hésité à mentir et à déclarer publiquement qu'il savait que sa femme avait eu des relations avec des officiers, à la Martinique, avant son départ de l'île[9], chercha même à le prouver et M. de Tascher avait tenu à le rappeler aux sentiments des convenances. De son côté, Mme de La Pagerie écrivait, après son départ de la Martinique, en date de septembre 1783, au marquis de Beauharnais, le père : Je n'aurais jamais cru que le vicomte, notre gendre, nous aurait causé les chagrins qu'il vient de nous donner. Pendant son séjour ici, il nous a fort négligés, il passait son temps en faveur de la jeunesse, livré à plusieurs femmes, et plus agréablement à la ville qu'à la campagne où rien ne l'eut dissipé, mais je ne me serais jamais attendue qu'il se fut laissé conduire par Mme de Longpré, sa compagne de voyage, qu'elle lui aurait tourné la tête au point de s'oublier, de se manquer à lui-même comme il a fait. Cette femme qui vraisemblablement n'a jamais rien senti pour les siens, lui a monté l'imagination, lui a inspiré de la défiance, de la jalousie pour sa femme, et, pour se l'attacher sans doute pour toujours, a jugé qu'il fallait le séparer de son épouse. Pour y parvenir, elle a eu la bassesse de lui inspirer de séduire un de mes esclaves, à qui ils ont, l'un et l'autre, fait dire tout ce qu'ils ont voulu, en lui prodiguant de l'argent et l'accablant de promesses, le vicomte lui a donné quinze moêdes, à deux fois, or ! Quel est l'esclave que l'on ne corromprait point avec cette somme, et quel est celui qui ne vendrait pas ses maîtres pour la moitié moins. Je le tiens enchaîné, je voudrais bien qu'il fût possible de vous l'envoyer pour le questionner, vous jugeriez vous-même, Monsieur, de toutes les faussetés qu'on lui a fait dire, par les erreurs où on l'a induit, une conduite aussi basse, des moyens aussi vils peuvent-ils etre mis en usage par un homme d'esprit, et bien né. Je rends encore justice au vicomte, il s'est laissé entraîner sans réfléchir, sans penser à ce qu'il faisait, il a de bonnes qualités, un bon cœur, je suis persuadé qu'il n'est pas à en rougir. Tant de petitesses ne sont point compatibles avec une âme élevée et sensible. La dernière fois qu'il est venu à l'habitation, en se séparant de nous, je l'ai vu troublé, ému, il semblait même chercher à me fuir promptement, à éviter ma présence, son cœur lui reprochait déjà une démarche aussi déplacée. Il n'est guère possible que ma fille puisse rester avec lui, à moins qu'il ne lui donne des preuves bien sincères d'un véritable retour et d'un parfait oubli Qu'il est douloureux pour moi d'être séparée d'elle et de me rappeler tous les dangers qu'elle a couru pour se rendre malheureuse. Nous sommes, Monsieur, tous mortels, si elle venait à avoir le malheur de vous perdre, à quels maux ne serait-elle pas exposée, pour les prévenir, vous me rendriez le plus grand des services, si vous pouvez obtenir de son mari de la laisser venir répandre ses larmes et ses chagrins dans le sein de ses honnêtes parents, je vous le demande même au nom de toute l'amitié que vous avez pour elle, car peut-elle encore vivre avec un mari qui est assez faible pour employer les promesses et l'argent pour se couvrir de honte, en achetant le deshonneur de sa femme. 0 ma pauvre fille, toutes vos peines sont dans mon sein, elles ne me laissent de repos ni jour ni nuit, venez mêler vos pleurs à ceux d'une tendre mère, toutes vos amies vous rendent justice, vous aiment toujours et vous consoleront. Rendez-la moi, Monsieur, et vous me donnerez une nouvelle existence. Le vicomte a jugé de toutes les femmes par celles qu'il a connues, mais il est encore de l'honneur et de la vertu, si elle est devenue plus rare depuis la guerre, qu'il y croye encore et s'il est juste, il le doit, sa triste prévention a pour jamais empoisonné le reste de mes jours. Adieu, Monsieur, je vous recommande ma fille, vous êtes bon père, bon ami, judicieux, c'est cette persuation qui adoucit en quelques façons mes maux et mes chagrins, je vous recommande mes petits enfants, donnez-moi je vous prie de leurs nouvelles. ***Après ce scandale, la rupture est inévitable. Le vicomte débarque à La Rochelle, le 15 septembre, gravement malade de fièvres. Il n'ose se rendre à Paris avec sa maîtresse et va à Châtellerault, chez des parents de Mme de Longpré, d'où il écrit à son père qu'il y est pour se soigner et à sa femme pour lui faire connaître sa décision de divorcer. Complètement guéri, il est à Paris le 26 octobre et va loger rue de Grammont, puis dans le petit hôtel de La Rochefoucauld, rue des Petits-Augustins, paroisse de Saint-Sulpice. Il évite d'aller rue Saint-Charles, où est sa demeure, et, par suite, le domicile conjugal est définitivement déserté. Durant toute son absence il n'a fourni aucune subsistance à sa famille. Joséphine a fait des dettes. Elle lui fait présenter les mémoires. Il refuse de paver quoique ce soit, fait vendre les meubles et pousse l'indélicatesse jusqu'à réclamer à sa femme les bijoux donnés dans la corbeille de noces. Il fait établir une note par le joaillier qui les avait fourni : une paire de girandole, une paire de bracelets, une montre et son cordon garnie de petits diamants ! C'est maigre. Puis, il adresse une plainte au Parlement, déclarant que sa femme ne lui a pas été fidèle avant la lettre et demandant une rupture judiciaire. La coupe est pleine. Fatiguée d'être insultée et soutenue par les propres parents de son mari, elle introduit, le 10 décembre, devant le Châtelet de Paris, une demande en séparation de corps et d'habitation, par l'intermédiaire de M. Joron, conseiller du Roy, exposant ses griefs. Les lettres injurieuses et diffamatoires de son mari sont annexées et on lui demande de faire ses preuves. Voyant qu'il allait perdre son procès, Alexandre finit par reconnaître ses torts, confesse que ses doutes ne reposaient sur rien, fait des excuses les plus complètes devant notaire, mais il exige une séparation. Joséphine, blessée, meurtrie, y consent et les articles de cette séparation sont libellés à son avantage. Dans un long préambule il est donné tout l'exposé des faits, hautement à l'honneur de Joséphine. Il est convenu que chacun habitera où bon lui plaira. La femme recevra une pension de 5.000 livres. Les deux enfants, Eugène et Hortense restent avec leur mère. Le père doit payer d'avance, et par trimestre, les frais de leur nourriture, de leur entretien et de leur éducation. Une gouvernante est engagée pour Hortense ; Eugène est envoyé au Collège de Louis-le-Grand. ***Joséphine est sortie de ce procès avec les honneurs de la guerre, elle a fait tomber toutes les accusations portées contre elle par son mari, mais que d'autres vont les exploiter par la suite. Alexandre, lui, a obtenu ce qu'il désirait : la liberté, dont il va user maintenant le plus largement possible. Il rejoint le régiment de cavalerie Royal Champagne dont il a été nommé capitaine. Joséphine a 21 ans. Elle est aussi libre et avec la pension de 5.000 livres qu'elle reçoit de son mari, ajoutée à celle de même somme qu'elle reçoit de la Martinique, elle va pouvoir vivre et tenir son rang dans la société. Malheureusement ces rentes sont très irrégulièrement servies : d'une part Alexandre ne connaît pas l'exactitude et de l'autre il est parfois difficile pour son père de transférer des fonds des Antilles en France, par suite de l'état de guerre. Les difficultés financières, s'accumulent pour le malheureux Alexandre qui a dépensé beaucoup d'argent dans sa liaison avec Mme de Longpré. Son père refuse de le secourir, il devient très gêné, la misère est au bercail, sa maîtresse l'abandonne[10]. Il ne paie plus la pension promise, bien plus il réclame encore les bijoux de la corbeille de noces. Elle ne va plus compter que sur les envois de la Martinique. Le 20 mai 1787, elle écrit à son père : J'ai reçu mon cher papa la lettre de change de 2.159 F + 65 dont vous avez chargé mon oncle, recevez-en tous mes remerciements, il me fait espérer que vous vous occupez sérieusement à me faire passer bientôt des fonds plus considérables, cela me fera d'autant plus plaisir qu'ils metteront de la tranquillité dans mon esprit et nous empêchera, pour remplir nos engagements, de faire des sacrifices onéreux. Vous me connaissez assez, mon cher papa, pour être persuadé que sans un besoin pressant d'argent, je ne vous entretiendrai que de mes tendres sentiments pour vous. Je vous reprocherais surtout votre silence à mon égard. Je sais que vous êtes un paresseux pour écrire mais vous savez qu'il n'est rien de plus consolant que de recevoir des nouvelles directes des personnes à qui l'on est attaché. Je sais que vous avez écrit à M. Belin, il m'a fait le plaisir de me le mander, n'auriez-vous pas pu, mon cher papa, par la même occasion m'écrire une petite lettre. J'espère que vous me traiterez une autre fois plus favorablement. Je vous en supplie. Ma lettre ne sera pas bien longue, étant occupée dans ce moment à soigner ma fille, dont M. de Beauharnais a désiré l'inoculation. J'ai cru ne devoir pas résister dans cette circonstance délicate à la prière qu'il m'en a faite. Jusqu'à présent je n'ai qu'à m'en louer puisque l'enfant est aussi bien qu'on puisse le désirer ; elle fait ma consolation, elle est charmante par la figure et le caractère, elle parle déjà fort souvent de son grand-papa et de sa grande-maman Lapagerie ; elle n'oublie pas sa tante Manette et me demande : Maman, les verrai-je bientôt ? Tel est son patois pour l'instant. Eugène est depuis quatre mois dans une pension à Paris, il se porte à merveille, il n'a pu être inoculé à cause de ses dents de sept ans, qui lui pousse comme vous voyez de bonne heure. Je vois avec satisfaction qu'il sera aussi .....[11] que sa sœur, aussi son père l'aime beaucoup ; il me donne toutes les semaines de ses nouvelles, j'en fais autant pour sa fille. Son papa se porte bien, il me charge de vous faire ses compliments et de vous demander où vous en êtes avec M. Chauvaud, il est très essentiel pour lui d'en avoir les détails puisque les Mrs retiennent les fonds qu'ils ont à lui, par rapport à vous ; vous jugerez combien cela le gêne, je vous prie, mon cher papa, de ne pas perdre un moment pour envoyer des détails, cela donne vraiment du chagrin à mon papa, nous voyons cela avec d'autant plus de peine que nous avons besoin de toute manière que le ciel nous le conserve. Ma tante, dont la santé est absolument dérangée depuis longtemps, vous embrasse. Je serais bien inquiète sur son compte si elle n'avait pas un courage intrépide. Je suis bien contente de tous ses procédés pour moi. Notre attachement est bien réciproque ; je. vous assure, mon cher papa, que j'ai été bien heureuse de la trouver dans bien des occasions et elle s'est saignée pour moi, surtout dans la position gênante où elle se trouve. Ma fille m'appelle ce n'est pas sans regret, mon cher papa, que je vous quitte. Recevez l'assurance de mon tendre et respectueux attachement. Je vous embrasse de tout mon cœur. LA PAGERIE DE BEAUHARNAIS. A M. de La Pagerie sur son habitation aux Trois-Îlets à la Martinique. Un mois après cette lettre, elle est informée que son père est très souffrant, qu'il est alité et que la santé surtout de sa sœur aînée, Manette, inspire de vives alarmes. Tous les secours de l'art n'ont pu apporter aucun changement à l'état de la malade, Rien ne retient Joséphine en France. Sa mère, depuis sa séparation ne cesse de lui demander de venir la joindre. Elle se décide à retourner à la Martinique. Elle a aussi besoin de résoudre avec ses parents la question financière qui la préoccupe, car elle s'est fait des dettes et il faut les payer. Eugène va rester en pension, Hortense, plus jeune, sera du voyage. Ce voyage coûtant très cher, elle décide de partir sur un petit navire de commerce, Le Sultan, qui quitte le Havre le 2 juillet 1788 et arrive à la Martinique le 11 août. ***La voici de retour aux Trois-Ilets, au milieu de sa famille, dans ce paisible séjour qu'elle a quitté neuf ans auparavant, jeune fille sans souci, sans amertume et où elle se retrouve femme divorcée, mère de deux enfants. Elle a retrouvé la tendresse de ses parents, l'affection des esclaves, le dévouement de sa vieille Marion, mais la vie y est triste et sans but. Le malheur est assis au foyer familial : le père garde le lit, la sœur Manette est condamnée, les revenus sont restreints. Pendant deux années elle va séjourner à la Martinique au milieu d'événements terribles, durant le bouleversement causé par les premiers soubresauts de la Révolution. Pour se distraire, Joséphine doit aller à Fort-Royal où elle visite d'excellents amis : les Gantheaune, les Marlet, les Girardin, les Percin, les d'Audiffredi, les de La Touche, ou bien, avec la petite Hortense, elle visite les lieux qui ont charmé son enfance : les rochers, la rivière, le jardin, les cases des esclaves, les champs de cannes, la sucrerie. Parfois, le dimanche, elle reçoit aux Trois-Ilets et la maison est alors le rendez-vous d'une foule de personnes distinguées, attirées par le bon accueil de Mme de La Pagerie et l'amabilité de Joséphine qui fait les délices de la société martiniquaise, autant par sa conversation variée, naturelle et charmante, que par ses manières pleines de distinction. Le dimanche matin, comme autrefois, on va à la messe, on rend visite à M. le Curé, au presbytère ; les autres jours ce sont de longues promenades dans les environs à la recherche de fleurs sauvages et d'orchidées. Le 14 septembre 1788, elle porte sur les fonds baptismaux sa cousine germaine, Marie Rose Françoise Stéphanie Tascher de La Pagerie[12]. Le parrain est François Soudon de Rivecourt, ancien lieutenant au régiment de Normandie. Le 5 septembre, elle participe à un autre grand baptême, présidé par le Vice-préfet apostolique, celui de la fille de Louis-Charles-Alexandre Le Vassor de La Touche, écuyer, ancien lieutenant de vaisseau. Ces baptêmes étaient toujours — encore aujourd'hui — suivis de réunions intimes. Les jeunes gens en profitaient pour organiser des sauteries. Joséphine participe à toutes ces joies, elle accepte toutes les invitations. Belle-fille de l'ancien gouverneur général des Iles du - Vent, elle est reçue partout à bras ouverts. Le gouverneur comte de Damas recherche sa présence à toutes les fêtes et elle assiste à toutes les réceptions offertes aux officiers et aux hauts fonctionnaires. Ne vient-elle pas de Paris, de la capitale enchanteresse que beaucoup envient de connaître ? Ne porte-t-elle pas des robes superbes et des coiffures à la dernière mode ? A la campagne, elle fait de longues promenades sur un petit cheval créole ou bien se fait porter par des esclaves dans un hamac. La nuit venue, les nègres qui précèdent le cortège allument de grosses torches de résine qui répandent une odeur agréable d'encens. Pour aller voir la tante Rosette ou l'oncle Tascher, à Fort-Royal, elle s'embarque sur une pirogue légère et traverse à la voile la baie qui est d'ordinaire calme et pas trop mouvementée. Un jour, avec Marion et Hortense, elle retourna au carbet de la caraïbe. Elle n'avait pas oublié la prophétie : Plus que reine ! La première partie de la prédiction s'était réalisée, elle n'avait pas trouvé le bonheur dans le mariage, que lui réservait maintenant l'avenir ? Du sang... le veuvage... alors plus que reine ! Elle désirait consulter à nouveau la sorcière, savoir ce que signifiait ces paroles. Malheureusement Eliama était depuis quelques années à Saint-Vincent. L'avenir restait impénétrable. Plus que reine ! et pensant à sa pauvre situation elle murmura : Quelle ironie ! |
[1] Nommé par décision royale de mai 1756, alors qu'il était major des armées navales à Rochefort, il était arrivé à la Martinique le 13 mai 1757.
[2] Sur les bâtiments à voiles de l'époque, le confort manquait, la nourriture était mauvaise et pour l'enfant il n'était pas possible d'avoir du lait. Ces craintes étaient d'ailleurs fondées, puisque quelques mois plus tard, l'île était prise par les Anglais (13 février 1762).
[3] 4.600 en janvier, 5.800 en mars, 8.000 en avril.
[4] D'Hozier donne la liste des Beauharnais, homme de robe et d'épée, établis dans les finances et la magistrature, conseillers d'Etat, ministre, intendant, maître des requêtes, marins.
[5] D'Estaing, après la capture de Saint-Vincent et la Grenade reçut l'ordre de se rendre en Amérique du Nord avec 22 vaisseaux et 10 frégates.
[6] Mme de La Pagerie avait fait publier les bans en l'église Notre-Dame de la Martinique, les 11, 18 et 25 avril.
[7] En cette même année, 1779, débarquait sur un autre point de la France, venant aussi d'une autre colonie, celui que le destin avait désigné pour exécuter la prophétie de la femme caraïbe, Bonaparte.
[8] Cette abbaye donnait asile aux femmes qui se trouvaient dans une situation délicate, qui plaidait par exemple en séparation.
[9] On avait bien entendu exagéré le flirt avec Tercier.
[10] Elle épousa, le 7 février 1785, à Saint-Sulpice, le comte Arthur-Richard de Dillon, maréchal de camp 1784 qui, en 1786, fut nommé gouverneur de Tobago, puis député de la Martinique à l'Assemblée Constituante de 1789 et qui mourut décapité en 1794.
[11] Mot oublié.
[12] La fille du baron de Tascher et de Jeanne Le Houx de la Chapelle, qui épousa plus tard un duc régnant.