JOSÉPHINE

IMPÉRATRICE DES FRANÇAIS - REINE D'ITALIE

 

LA MARTINIQUE ATTAQUÉE PAR LES ANGLAIS EST DÉFENDUE AVEC SUCCÈS PAR M. DE BEAUHARNAIS.

 

 

Le 31 mai 1757, nommé par le Roi, par provisions en date du premier novembre 1756, gouverneur et lieutenant-général des îles de la Martinique, la Guadeloupe, Marie-Galante, Saint-Martin, Saint-Barthélemy, la Désirade, la Dominique, Sainte-Lucie, la Grenade, les Grenadins, Tabago, Saint-Vincent, Cayenne avec ses dépendances et les îles du vent de l'Amérique, Messire François de Beauharnais, major des Armées Navales, qualifié haut et puissant Seigneur, baron de Beauville, seigneur de Villechauve et de Monvoy, etc., etc., prenait possession de son poste à la Martinique.

Il est établi presque souverain en ces colonies, chargé de la terrible responsabilité de les défendre contre la rapacité des Anglais. C'est un homme de quarante-deux ans, qui sert depuis vingt-sept ans dans la marine. Garde marine en 1729, enseigne en 1733, lieutenant de vaisseau en 1741, chevalier de Saint-Louis en 1749, capitaine de vaisseau en 1751, major des Armées navales en 1754[1].

La maison de Beauharnais, originaire d'Orléans, établissait sa filiation depuis Guillaume Beauharnais, seigneur de Miramion et de la Chaussée, marié par contrat du 20 janvier 1390 à Marguerite de Bourges. Les Beauharnais avaient été créés comtes des Roches-Baritaud en juin 1759 et devinrent marquis de Beauharnais en juillet 1764[2].

Le père, Claude, avait épousé une demoiselle Renée Hardouineau et mourut à Paris, rue Thévenot, en 1749.

Dès son arrivée à la Martinique, M. de Beauharnais avait constaté l'affreuse situation dans laquelle il se trouvait placé et tous les périls qui l'entouraient. Il s'attendait, chaque jour, à la prise par les Anglais de la Grenade et de Sainte-Lucie, avant-postes de la Martinique, et il ne cessait d'écrire au Ministre pour demander des secours. Il avait même envoyé en France deux officiers, MM. de Mezedun, commandant de la Bellone et le chevalier de Beauharnais, commandant de l'Aigrette, pour lui faire connaître l'état exact de nos colonies. Après avoir échappé aux poursuites des Anglais, ces envoyés étaient parvenus à destination et avaient rempli leur mission, mais la Cour de Versailles, entrainée dans ses armements, n'avait pu faire qu'un maigre effort et avait envoyé un renfort limité à 250 hommes et quelques transports, sous l'escorte de la frégate L'Améthyste, commandée par le chevalier de Courcy. La Martinique restait livrée à ses propres ressources.

Au mieux des circonstances, M. de Beauharnais avait fait prendre toutes dispositions utiles. Il avait fait établir à Case-Navire, par M. de Caponi, major de la Martinique, des retranchements qu'occupaient deux compagnies du Fort-Royal. Une autre compagnie avait été détachée à Case-Pilote, aussi à la Pointe des Nègres. La batterie de Case-Navire avait 4 canons et était à barbette ; celle de la Pointe des Nègres, formant presque un demi cercle, avait 7 canons battant tous les points de l'île. Il vivait dans la plus grande appréhension, lorsque le 15 août on vint lui annoncer l'arrivée de l'ennemi attendu. Aussitôt il fait envoyer au Morne Tartenson la Compagnie du Lamentin (60 hommes), où elle est ultérieurement rejointe par celle de la Rivière Salée, la cavalerie du Lamentin et plusieurs autres compagnies venues de toutes les communes environnantes.

Au Fort-Royal, les ressources sont médiocres ; 120 hommes d'infanterie, 36 bombardiers, 80 suisses, 14 officiers, 100 barils de bœuf pour tous vivres, pas d'eau dans les citernes — on était dans une période sèche —, trop peu d'ustensiles pour servir les canons, point d'affûts de rechange, point de linge, point de charpie, peu de boulets, presque point de mitraille. Il y aurait fallu 1.200 hommes, bien approvisionnés.

Le 16 août 1759, à sept heures du matin, la flotte ennemie est devant Fort-Royal. C'est celle de l'Amiral Moore, parti de Portsmouth le 15 novembre 1758 et qui avait fait escale à Barbade le 3 janvier. Elle était composée de 12 vaisseaux de ligne de 50 à 90 canons, 5 frégates de 20 à 40 canons, 6 chaloupes de guerre, 4 bombardes et des transports avec 8.000 hommes commandés par les généraux Hopson et Barrington, dont 6 régiments d'infanterie, 800 soldats de marine, 4 compagnies d'artillerie, 1 corps de volontaires de 1.000 blancs et 500 nègres embarqués à Barbade.

A neuf heures, un navire approche à très petite portée de canon du fort et cherche à le bombarder. Les batteries ripostent et il est contraint à rejoindre l'escadre. A onze heures, quatre vaisseaux s'embossent, l'un devant la batterie de la Pointe des Nègres, les trois autres devant celle de Case-Navire, dont les batteries sont rapidement démontées par l'artillerie ennemie. Les troupes l'évacuent après avoir encloué les canons et se replient sur le morne Tartenson.

Dans la nuit, favorisées par un beau clair de lune, des troupes ennemies, commandées par les généraux Hopson et Barrington, débarquent près de la Pointe des Nègres et, en toute tranquillité, se préparent à marcher au petit jour sur la ville.

M. de Beauharnais avait rangé sa petite armée en bataille aux abords d'une ravine qui entoure le morne Tartenson. Cette position, son objet capital, dominait le Fort-Royal, le port, la rade et la ville. Le 17 au matin, l'ennemi avance par deux colonnes, avec deux pièces de canon qui nettoient le chemin. Pour leur répondre, de Beauharnais a une batterie de 8 mortiers et quelques gros canons. Une opiniâtre résistance oblige les Anglais à se replier. Le général Hopson essaie un mouvement tournant, en faisant filer des bommes le long de la mer. Le Gouverneur envoie un détachement les fusiller de l'autre côté de la ravine, et après cinq heures de combats acharnés, l'ennemi doit renoncer à forcer ce passage et bat en retraite sur son camp, laissant 400 morts sur le terrain. Les Français n'avaient perdu que trois blancs tués et quelques nègres.

Quatre prisonniers anglais, blessés, avaient été conduits au fort, un soldat irlandais s'était rendu. Ce dernier interrogé par le gouverneur lui donne d'intéressantes indications. Il affirme que les généraux et les principaux officiers de l'armée ennemie avaient assuré à l'amiral Moore que celui-ci ne trouverait aucune résistance ; que les Anglais ne voyaient point en face l'ennemi à combattre ; que de chaque brin d'herbe on voyait sortir pour ainsi dire des balles ; que tout était plein d'embuscades ; qu'ils ne pouvaient sans imprudence s'engager plus avant, à moins d'être écharpés ; qu'ils avaient en outre à combattre des insectes, un soleil et une chaleur insupportables ; qu'il n'y avait pas moyen de prendre poste dans l'endroit indiqué et qu'ils voulaient tous rembarquer aussitôt[3].

En effet, le 18 au matin, la flotte anglaise levait l'ancre et prenait la direction de la Dominique, pour se présenter le 21 devant la Basse-Terre (Guadeloupe). Après un bombardement de huit heures, les forts Saint-Charles et la Batterie 'royale étaient réduits au silence et le gouverneur Nadau du Theil abandonnait la ville pour se retirer à Gourbeyre, près des Trois-Rivières, et enfin capituler le 27. La ville de Basse-Terre fut incendiée et, du pont de son navire, Le Woolwick, l'amiral Moore assista, impassible, au spectacle. Le colonel Krumpt, au nom de sa Majesté Britannique, prenait possession du Gouvernement qu'il devait conserver jusqu'au 4 juillet 1763[4].

Dès que de Beauharnais apprit que la Guadeloupe était attaquée, il envoya une expédition, sous les ordres de M. Douville, avec 400 hommes, pour porter secours à la colonie-sœur, mais lorsqu'elle se présenta tout était accompli.

Après le succès remporté sur les Anglais, et pour récompenser ceux qui s'étaient le plus distingués, le gouverneur général de Beauharnais demanda la croix de Saint-Louis pour trois officiers de son Etat-Major : Duvarquet, Déjan, de La Coste, qui s'étaient tout particulièrement fait remarquer durant la défense. Pour les capitaines de milice Levassor, Deville, Arbousse, Baillardel, La Reinty et Roy, il obtint des commissions de colonel, de lieutenant-colonel, et pour les autres des lettres de lieutenant réformé.

***

La Guadeloupe occupée par les Anglais, le danger augmentait pour la Martinique. Néanmoins tout resta paisible jusqu'en 1762. Les colons reprirent le travail, le commerce prospéra.

La guerre de sept ans, qui avait commencé en Europe en 1756, n'avait porté aucune atteinte au commerce colonial. Malgré les efforts de notre implacable ennemi Pitt, Louis XV s'efforçait à reconstituer notre puissance navale et avait placé au ministère de la Marine le Duc de Choiseul (1761). Résolu à combattre l'Angleterre par la mer, celui-ci avait concentré dans ses mains la Marine et la Guerre, confiant les Affaires Etrangères à son cousin le Duc de Praslin.

La guerre de sept ans avait pour causes la jalousie de l'Angleterre qui voulait ruiner notre marine, nous enlever nos colonies et établir sa domination sur les mers ; aussi le désir de l'Autriche de reprendre la Silésie au Roi de Prusse. Sur mer, l'Angleterre luttait contre la France et l'Espagne ; sur terre, la Prusse soutenue par l'Angleterre luttait contre la France, la Saxe, l'Autriche et la Russie. Notre flotte n'étant pas suffisante, de Choiseul avait conçu la pensée de la fortifier par la flotte d'Espagne. Ferdinand VI était mort le 10 août 1759 et son frère, Don Carlos, roi de Naples, lui avait succédé sous le nom de Charles III, abandonnant la couronne napolitaine à son fils Ferdinand.

Charles III, prince intelligent et courageux, avait compris que la régénération de l'Espagne ne pouvait résulter que d'une union intime avec la France et que son prédécesseur avait commis une faute énorme en laissant 1a France seule en lutte avec une puissance qui aspirait ouvertement à la ruine des nations maritimes pour dominer sur les mers. L'Alliance secrète proposée par de Choiseul fut acceptée et il signa, le 13 août 1761, le fameux traité dit Pacte de famille, chef-d'œuvre de notes diplomatiques du règne de Louis XV, par lequel tous les souverains de la maison de Bourbon faisaient une alliance perpétuelle, offensive et défensive, se garantissant réciproquement dans leurs Etats, dans quelques parties du monde qu'ils fussent ; déclarant prendre l'engagement de n'exécuter ni de faire aucune proposition de paix avec l'ennemi que d'un consentement mutuel et de n'admettre dans l'Alliance aucun souverain étranger.

L'Angleterre eut connaissance de ce pacte et déclara la guerre à l'Espagne. Elle était prête pour toute expédition maritime alors que la France ni l'Espagne ne l'étaient, et l'attaque allait bientôt être déclenchée.

Pour obvier à notre faiblesse, 180 corsaires furent armés à la Martinique. Ils avaient pour mission de poursuivre les navires anglais dans tous les canaux des Antilles et, l'un de leurs capitaines, Marès, né à Bordeaux, acquit une grande renommée et devint pour le commerce anglais le Thurot des Iles. Il s'attaquait à tout ce qui était ennemi : navire de guerre, comme navire de commerce, et avec son brigantin de 12 canons, il faisait pâlir les Anglais, même sous les canons de leurs forteresses. Les pertes subies par le commerce anglais et dont les produits servirent à alimenter la population de la Martinique furent considérables. Un exploit de Marès porta au comble l'exaspération des négociants de Londres : il s'était emparé d'une flotte marchande allant à Antigue, sous l'escorte de deux navires de guerre. Pitt s'émut et demanda au Parlement des fonds pour préparer une expédition formidable contre la Martinique. Il allait prendre sa revanche.

 

 

 



[1] Sa châtellenie, terre et seigneurie de la Ferté-Aurin, dans l'élection de Romorantin, près de Blois, ne sera érigée en marquisat que par lettres patentes de juillet 1764.

[2] Les de Beauharnais portent d'argent à la fasce de sable accompagnée de trois merlettes du même en chef.

[3] Relation par un anonyme. E. Malo, Les Iles de l'Aventure.

[4] C'est lui qui fonda la Pointe-à-Pitre.