Les Hassidim. — Origines du Pharisaïsme et du Saducéisme. — Luttes pour la prépondérance sous les rois Asmonéens. — Parallèle des deux tendances. — Leurs défauts et leurs qualités. — Les Saducéens sous Hérode le Grand. — L'influence des Pharisiens. — Ils se divisent. — Les deux partis pendant la vie de Jésus-Christ. — Leur attitude en présence du christianisme naissant. — Les sept espèces de Pharisiens.Nous étudierons, dans ce second livre, la vie religieuse des Juifs de Palestine au premier siècle. Elle se présente avant tout à nous comme incarnée dans deux grands partis : celui des Pharisiens et celui des Saducéens. Nous les avons déjà et souvent nommés dans le livre précédent, et le Nouveau Testament met sans cesse Jésus en leur présence. Josèphe nous décrit ces hommes comme ayant formé des sectes au sein du judaïsme de son temps. Il importe, pour comprendre leur attitude en face du Christ, de remonter jusqu'à leur origine et d'étudier leur passé. Au premier siècle, en effet, ils avaient déjà, les uns et les autres, une longue histoire derrière eux ; nous la raconterons succinctement. Lorsque Esdras et Néhémie avaient restauré la nationalité
juive, ils avaient rencontré une approbation à peu près unanime. Toutes leurs
réformes avaient été accueillies et pratiquées, et les premiers temps du
rétablissement des Juifs avaient été marqués par un admirable réveil de la
foi et de la vie religieuse. Tous les enfants d'Israël, presque sans
exception, s'étaient soumis au joug de Cependant la conquête de L'insurrection, d'abord simple guerre de partisans et qui semblait devoir être étouffée, fut, au contraire, victorieuse, grâce à la fermeté de ses chefs, les Hassidim, grâce surtout à l'adhésion du peuple presque tout entier, joyeux de combattre pour sa patrie, pour son indépendance et pour son Dieu. Cependant le petit nombre des Juifs hellénistes désapprouvait en secret insurrection. Leur foi patriotique et religieuse s'était affaiblie sous la domination grecque et, sans renier aucune de leurs croyances, ils ne voyaient pas pourquoi les étrangers étaient si abominables ; ils n'avaient aucune répugnance à apprendre leur langue, à la parler et à connaître un peu leurs idées. Ces Juifs hellénistes, plus tolérants que les Hassidim, mais aussi plus indifférents, larges par scepticisme et par mollesse, furent appelés Tsadoukim (Saducéens), c'est-à-dire : Justes. Pourquoi ? Il est assez difficile de le dire. Il parait naturel de supposer que leurs adversaires s'appelant les Pieux, ils ont voulu se donner un nom équivalent au leur aux yeux du peuple, et ont choisi, par opposition, celui de Justes[1]. Mais comme ils ne se le donnent jamais eux-mêmes, et semblent, parla, le rejeter, il est possible qu'il ait été choisi par les Hassidim eux-mêmes, et ne soit qu'un sobriquet ironique, les Justes dans le sens de : les prétendus Justes[2]. Les Saducéens voulaient, en effet, par opposition à l'ardeur des Hassidim, qui leur semblait intempérante, représenter le parti de la modération, du sang-froid, de l'équité, être de ceux qui se placent à un point de vue juste et sensé[3]. Ce nom de Tsadoukim s'appliquait d'autant mieux à eux qu'un certain Tsadok avait été grand-prêtre du Temple de Salomon (soit le premier[4], soit seulement le quatrième[5]), et que, sous Ezéchias, on avait déjà parlé de Tsadoukim[6]. Les Saducéens voulaient sans doute continuer les traditions de cette famille. On parlait aussi d'un autre Tsadok,
disciple d'Antigone de Soccho, et qu'ils auraient
appelé leur chef[7].
Ces diverses étymologies, toutes également probables, et que l'on citait sans
doute déjà autrefois, sans choisir entre elles plus qu'aujourd'hui, donnèrent
une certaine autorité à ce parti naissant. Cependant on découvrit bientôt que
les Saducéens n'étaient pas là quand Esdras rétablit la nationalité juive et
qu'ils n'étaient arrivés de Babylone qu'après que le nouvel ordre de choses
était solidement établi ; mais ils étaient riches et se donnaient pour les
vrais conservateurs du passé. De plus, ils ne prétendaient nullement
repousser la réforme d'Esdras : au contraire. Pour tout ce qui concernait le Temple et ses cérémonies, les sacrifices
mosaïques et l'accomplissement de Les Hassidim virent de fort mauvais œil ce parti grandissant. Ils se sentirent obligés à la lutte, et quand le triomphe des Macchabées fut complet, quand l'étranger fat définitivement chassé, ils songèrent à diminuer l'influence croissante des Saducéens. Un certain nombre d'entre eux cependant reculèrent devant cette tâche. Ne se sentant appelés ni à la controverse ni aux luttes politiques, voulant rester mystiques et contemplatifs, ils se séparèrent de leurs frères et formèrent une secte : les Esséniens. Nous en reparlerons dans un chapitre spécial. Les autres, décidés à combattre, engagèrent résolument la bataille. Ils perdirent alors leur nom de Hasidims et, à dater du jour où les Esséniens les quittèrent, et où ils n'eurent plus à lutter contre l'étranger, mais seule contre les Juifs Tsadoukim, ils s'appelèrent les Perouschim[8] (Pharisiens). Ce mot signifie les Séparés. Il s'appliquait admirablement à eux, car ils étaient séparés de l'étranger séparés des Saducéens, séparés des Esséniens, bref, de tout ce qui n'était pas eux-mêmes, c'est-à-dire le Judaïsme vivant, ami du progrès et conquérant de l'avenir. Si ce nom les Séparés avait ainsi plusieurs applications, la première de toutes était la haine de l'hellénisme. Nous avons déjà cité, dans notre premier livre, la fameuse parole : Celui qui enseigne le grec à ses fils est maudit à l'égal de celui qui élève des porcs. Cette haine de tout ce qui était grec alla si loin que la traduction des Septante fut considérée comme néfaste. La date en fut marquée comme un jour aussi fâcheux que celui où les Hébreux adorèrent le veau d'or[9]. Plus tard, ce ne sera pas seulement la haine des Grecs que le Pharisien entretiendra autour de lui, ce sera aussi la haine les Romains, en un mot, de tout ce qui n'est pas juif[10]. Les Pharisiens ne prétendaient à rien moins qu'à être le
peuple tout entier, et ils y réussirent dans une grande mesure. Nous verrons
tout à l'heure leur tendance partout victorieuse, les Saducéens affaiblis,
relégués dans le Temple dont ils ne sortent plus, et Ce sera précisément l'époque de la vie du Christ ; et alors paraîtra, avec la prédication de Jésus, la réaction contre le pharisaïsme, réaction provoquée par les excès même du parti. Mais, avant d'en venir là, Pharisiens et Saducéens soutinrent une longue lutte politique avec des alternatives de succès et de revers ; tantôt les uns, tantôt les autres, furent maîtres du pouvoir. C'est sous le règne de Hyrcan que commença cette guerre acharnée de l'esprit nouveau contre l'esprit ancien ; des libéraux contre les conservateurs. Mais, fait étrange, les libéraux étaient ici ceux qui ne voulaient pas s'allier à l'étranger ; les conservateurs étaient, au contraire, les hommes larges et tolérants. Il importe d'expliquer cette anomalie et de caractériser les deux tendances en les mettant en parallèle. Le Saducéen était homme d'État, diplomate et savait
calculer. Il agissait toujours par intérêt et ne manquait pas d'habileté. Le
Pharisien était tout d'une pièce ; son patriotisme était farouche, sa franchise,
au moins à cette époque-là, à l'abri de tout reproche. Ses idées absolues et
son absence de tout esprit de calcul le rendaient entièrement désintéressé.
Pour le Saducéen, Il est évident que le parallèle que nous essayons de
tracer ici des deux grands partis religieux des Juifs à cette époque est tout
à l'avantage des Pharisiens. Cependant il ne faut pas que nous négligions de
reconnaître ce qu'il pouvait y avoir de bon chez les Saducéens. Il est
certain qu'ils ont souvent fait preuve, du moins dans cette première période
de leur histoire, d'une grande intelligence pratique. Rompus aux intrigues,
adroits et retors, ils ne partaient pas toujours et partout d'un a priori
inflexible comme les Pharisiens. Us avaient de l'esprit de gouvernement et
pouvaient fournir d'excellents généraux et surtout des diplomates consommés.
Ils savaient faire les concessions nécessitées par les différences des temps
et des positions, et chaque fois que dans ces concessions ils ne
transigeaient pas avec la conscience, ils avaient raison contre les
Pharisiens. Nous en avons un exemple frappant au début même de leur histoire.
Lorsque Judas Macchabée fut vainqueur il voulut conclure une alliance avec
les Romains. Le projet était habile et les Saducéens eurent l'intelligence de
l'encourager. Le premier livre des Macchabées[11] nous expose les
considérations les plus judicieuses à l'appui de ce projet et leur rédaction
est certainement due à des Saducéens. Les Pharisiens jaloux se séparèrent
alors de Judas, l'accusant d'infidélité, et leur maxime : tout ou rien, leur
fit commettre, ici comme en plusieurs autres circonstances, une déplorable
maladresse. Jamais, sous les Macchabées, ils n'auraient dit : Aide-toi, le ciel t'aidera. Avec leur foi passive
et semi-fataliste, leur confiance aveugle en
l'intervention de Nous avons appelé le Saducéen, conservateur. En réalité,
il l'était beaucoup moins que le Pharisien. Il ne voulait pu sans doute qu'on
changeât rien à L'histoire de la dynastie asmonéenne est avant tout l'histoire de la latte des partis pharisien et saducéen. Elle a été souvent faite[15]. Nous n'avons pas l'intention de la raconter ici. Bornons-nous à un rapide résumé. Les Pharisiens qui avaient dirigé l'insurrection macchabéenne triomphèrent d'abord avec elle ; mais, après la mort de Judas Macchabée, les partisans des idées étrangères, les Saducéens, reprirent le pouvoir. Jean Hyrcan, d'abord indifférent aux uns et aux autres, finit par favoriser ceux-ci dans la latte politique, religieuse et sociale qu'ils avaient engagée contre les Pharisiens. Aristobule, son successeur, continua ces traditions et rétablit la royauté, ce qui froissa profondément les Pharisiens, dont les préférences étaient plus ou moins républicaines. Les idées saducéennes semblaient devoir remporter définitivement, mais Aristobule en mourant laissa le pouvoir à sa femme Alexandra (appelée aussi Salomé). Elle était très attachée au parti des Pharisiens et, elle lui rendit tontes ses prérogatives et toute son influence. Le frère de la reine, Siméon Ben-Schetach prit la direction de la secte. Les Saducéens furent chassés du Sanhédrin. Cependant Alexandra avait épousé son beau-frère Alexandre Jannée, qui était resté partisan secret des Saducéens. Un jour, dans une cérémonie publique, il eut l'imprudence de violer ouvertement les coutumes pharisiennes. Le peuple indigné souleva une formidable émeute, suivie d'une répression terrible, dans laquelle huit cents Pharisiens furent crucifiés et leurs femmes et leurs enfants égorgés. Pendant six années Alexandre Jannée travailla à briser le parti pharisien. Il ne put y parvenir et Alexandra restée veuve pour la seconde fois rétablit cette secte au pouvoir. Siméon Ben-Schetach reprit son influence, et les Pharisiens se livrèrent à de sanglantes représailles contre les Saducéens. A la mort d'Alexandra, la guerre civile éclata. Aristobule, fils de la reine, se mit à la tête des Saducéens et fut vainqueur. La lutte n'en continua pas moins jusqu'à la fin de la dynastie asmonéenne. Avec l'avènement d'Hérode le Grand, les luttes à main
armée prirent fin et une phase nouvelle de l'histoire des Pharisiens et des
Saducéens commença. En effet, sa main de fer avait pacifié Ceux-ci seront toujours fiers et hautains devant la dynastie des Hérodes. Us garderont leur foi indomptable en la liberté à venir et représenteront l'inébranlable attachement à celle qui est perdue. Ils refuseront au nombre de six mille le serment de fidélité à l'empereur[17]. Ils conserveront donc toutes leurs idées politiques et, renonçant à les faire triompher immédiatement comme ils l'ont toujours espéré sous les Macchabées, ils apprendront à attendre. Parmi eux diverses nuances s'accuseront bientôt et ils se sépareront
en groupes distincts. Jusque-là le Pharisien a été le Juif croyant, convaincu
qu'il possède la révélation divine, que son peuple est le premier de tous les
peuples et faisant de la politique par foi religieuse. Maintenant
quelques-uns abandonneront la politique militante et, restant dans leurs
écoles, ne s'occuperont que de leurs controverses avec les Saducéens. Plus
tard, quand ceux-ci, toujours plus indifférents, renonceront même à ces
controverses, alors ces Pharisiens, docteurs de A la mort d'Hérode et à la naissance de Jésus, les Pharisiens et les Saducéens n'ont donc plus que des discussions religieuses. Nous exposerons plus loin ces disputes, dont le portique de Salomon devait être le constant théâtre[21]. Là, dans la première cour du Temple, les deux partis
seront en continuelle présence et les frottements seront fréquents. Mais
leurs controverses perdront chaque jour de leur intérêt. Elles sont trop
purement théoriques. Celui des deux qui l'emporte triomphe dans le domaine
des idées et demain il pourra y être battu. Sa victoire ne peut avoir aucune
conséquence, puisque les Romains les surveillent du haut de la tour Antonia
et prennent bien soin qu'ils ne passent jamais des paroles aux actes. Du côté
des Saducéens, surtout, la discussion ne conserve rien de son ancienne
ardeur. Les grands-prêtres sont tous Saducéens ; ils sont certains que les
Pharisiens ne peuvent plus leur ôter cette charge. Jamais ni les Hérodes ni
les Romains ne confieront le sacerdoce à un Pharisien ; du reste celui-ci
n'en voudrait pas. Le Temple l'intéresse de moins en moins et il sent que
l'avenir de la nation est ailleurs que dans ses cérémonies. Les Saducéens,
possesseurs paisibles du pouvoir religieux officiel, n'ont donc qu'un désir :
jouir de leur position, de leurs richesses, de leur reste de prestige et vivre
en paix avec le maître. Sous le portique ils discuteront encore à cause du
peuple qui est là et qui écoute ; mais ils n'ont point de zèle pour Nous disons les Juifs croyants du dix-neuvième siècle ;
mais, il faut bien le reconnaître, il y a aussi des Juifs incroyants,
Israélites de naissance et qui n'ont plus de foi religieuse. Ceux-là sont de
vrais Saducéens, et, dans ce sens, on peut dire que le saducéisme vit encore
ou plutôt qu'il est ressuscité. Le Sémite moderne, qui ne croit plus qu'à la
richesse et qui répète avec l'Ecclésiaste : Tout est
vanité ; le banquier Israélite qui ne pense qu'à gagner et à jouir, le
Juif millionnaire, qui est le roi de Les Saducéens, pendant la vie de Jésus, n'étaient donc point des dévots défendant, en face du pharisaïsme, une certaine manière différente de la leur de pratiquer le mosaïsme ; ils étaient simplement des conservateurs n'admettant aucun changement à l'ordre établi. Ils étaient indifférents ; or, les indifférents ne sont jamais embarrassés par les doctrines officielles et consacrées par le temps et l'usage. Us en prennent leur parti, ils s'y soumettent pour la forme et sans aucune difficulté. Les Saducéens n'étaient ni irréligieux, comme on l'a cru souvent, ni cléricaux, comme l'ont pensé d'autres critiques ; car ces deux erreurs ont été tour à tour soutenues. Ils n'avaient pas assez de piété pour ressembler aux cléricaux modernes, et étaient trop affirmatifs en religion pour s'appeler irréligieux. Ils étaient à la fois orthodoxes et indifférents, de ces indifférents qui ne sont nullement gênés par les croyances anciennes et généralement reçues, et qui trouvent toujours moyen de s'en accommoder. Toute nouveauté leur était suspecte ; ils y découvraient aisément quelque hérésie, étant de ceux pour lesquels l'antiquité d'une croyance est une preuve de sa vérité. Leur caractère était, avec le temps, devenu détestable. Ils se vengeaient de la perte de leur influence politique sous certains rois macchabéens en détestant quiconque n'était pas des leurs. Us haïssaient les Pharisiens, cela va sans dire ; le christianisme naissant n'eut pas non plus de plus acharnés adversaires. Enfin, étant presque tous fort riches et de l'aristocratie, ils n'avaient qu'un profond mépris pour les pauvres et les petits. Le peuple les redoutait beaucoup en jugement ; or, dans le Sanhédrin, les deux partis étaient représentés[23] ; on pouvait donc en justice comparaître soit devant des Saducéens, soit devant des Pharisiens. Ceux-ci passaient pour très indulgents, toujours prêts à défendre l'accusé et à parler en sa faveur ; les Saducéens, au contraire, s'étaient fait une réputation méritée de hauteur, d'impertinence, de morgue insupportable[24], et on disait d'eux : Ils ne sont pas dayané-guezeroth (des juges suprêmes) mais dayané-guezeloth (des juges de brigandage). L'histoire évangélique nous montre souvent les Pharisiens et les Saducéens en présence de Jésus et des apôtres. La physionomie générale des deux partis y est bien telle que nous l'avons décrite. Les Saducéens, tous prêtres ou aristocrates, forment presque une secte ; aucun d'eux ne se rapproche de Jésus ; tous le haïssent et c'est par eux que sa mort est décidée. Hanan, Kaiaphas étaient d'incorrigibles Saducéens, et dans notre chapitre sur le Sanctuaire, nous décrirons la vie de ces prêtres qui n'avaient plus de l'homme religieux que le nom. Les premières pages du livre des Actes nous montrent aussi l'incroyable acharnement de l'aristocratie saducéenne contre les apôtres. Tout autre a été l'attitude des Pharisiens ; si un certain nombre d'entre eux ont été hostiles au Christ, tous ne l'ont pas été. Jésus allait volontiers prendre ses repas dans des maisons habitées par des Pharisiens et c'est eux-mêmes qui l'y invitaient[25]. Le fait parait s'être renouvelé plus d'une fois[26]. Quand Hérode Antipas veut arrêter Jésus, des Pharisiens s'empressent de le prévenir pour qu'il puisse s'échapper[27]. Un Pharisien éminent, membre du Sanhédrin, était, en secret, partisan du Christ[28] et, d'après les Actes, les Pharisiens acceptèrent facilement les idées nouvelles et se firent Judéo-chrétiens. Jésus a prononcé, il est vrai, de sévères paroles contre les Pharisiens[29]. Il a condamné ceux qui étaient étroits, fanatiques, intolérants, et surtout les hypocrites, les pharisiens c teints v, mais les Talmuds eux-mêmes les ont condamnés[30] en nous disant : Il y a sept espèces de Pharisiens : 1° le Pharisien accablé, qui s'avance le dos courbé sous le fardeau de la loi qu'il feint de porter sur les épaules ; 2° le Pharisien intéressé, qui semble demander de l'argent avant d'accomplir un précepte ; 3° le Pharisien au front sanglant, il marche les yeux fermés et se heurte la tête contre les murailles pour ne pas voir les femmes ; 4° le Pharisien prétentieux, qui porte une robe large et flottante pour se faire remarquer ; 5° le Pharisien qui fait son salut, toujours en quête d'une bonne œuvre à accomplir pour effacer ses péchés et semblant dire à tout le monde : qu'y a-t-il à faire ? je le fais ; 6° le Pharisien dont le mobile est la crainte, comme Job ; et 7° le Pharisien dont le mobile est l'amour. Ce dernier est le meilleur de tous ; il ressemble à notre père Abraham dont la foi a vaincu les mauvais penchants. —Tous ces pharisiens, sauf le septième et peut-être le sixième, étaient des Pharisiens teints. Or, ces Pharisiens teints avaient toujours été blâmés par les Juifs pieux. Le roi Jannée en mourant, dit à sa femme de se garder des hommes teints qui font semblant d'être Pharisiens[31]. Nous lisons encore ailleurs : Le disciple des sages qui n'est pas le même au dedans et au dehors n'est pas disciple des sages[32]. Quand Jésus s'écriait : Vous êtes pleins d'iniquités, — il disait ce que les Talmudistes écriront plus tard[33]. Il serait donc injuste de conclure des immortelles invectives du Christ sept fois répétées : Malheur à vous Scribes et Pharisiens hypocrites ! etc. que les Pharisiens étaient tous des sectaires intéressés, faux et orgueilleux, des Tartufes jouant la comédie de la dévotion. Quelques-uns, sans doute, étaient tels ; mais il ressort clairement des Évangiles que les Pharisiens ont été divisés d'opinion sur le Christ : les uns leur étaient favorables ; les autres hostiles[34]. Cette double attitude nous est expliquée par les Talmuds. II nous y est dit que vers la fin du règne d'Hérode le Grand les Pharisiens se divisèrent en deux partis ennemis, les uns se rattachant au célèbre Hillel (les Hillélistes), les autres à son adversaire Schammaï (les Schammaïstes). Qui étaient Hillel et Schammaï, et quelles tendances religieuses représentèrent-ils en face du christianisme naissant ? C'est ce qu'il nous faut maintenant examiner. |
[1] Cependant cette étymologie se heurte à une grosse difficulté grammaticale ; voir Montet., Essai sur l'origine des partis Pharisien et Saducéen, p. 56.
[2] C'est là ce qui nous paraît le plus plausible. Les deux partis se lançaient mutuellement et par mépris ces noms de Pharisiens et de Saducéens. Dans les Talmuds, le nom de Saducéen est toujours plus ou moins tourné en ridicule. Il en est souvent de même du mot Pharisien, par exemple, lorsque les Talmudistes nous décrivent les sept espèces de Pharisiens. Nous n'avons pas besoin d'ajouter que, dans les Evangiles, les Pharisiens et les Saducéens sont aussi toujours blâmés.
[3] Epiphane, Hœres, I, § 14.
[4] Josèphe, Ant. Jud., X, 2.
[5] I Chron., VI, 10-12.
[6] II Chron., XXXI, 10 ; Ezéchiel, XLIV, 15.
[7] Quelle que soit l'origine du mot Saducéen, il faut l'écrire avec un seul d. ni Tsadekia ni Tsadok ne prennent de daguesch et c'est à tort que Josèphe orthographie ce mot Σαδδουκαΐος.
[8] Sota III, 4 ; Jadajim, IV, 6-8. En araméen, Perischin.
[9] Mischna, Sopherim, I, 7.
[10] Ce qui ne les empêchera pas de parcourir la terre et les mers pour faire des prosélytes, et pour cela ils se serviront, bien entendu, de la langue grecque et de la traduction des Septante ; les apôtres s'en serviront aussi et citeront souvent l'Ancien Testament d'après cette version.
[11] I Macchabées, chap. VIII. Voir aussi le texte du traité dans Josèphe, Ant. Jud., XII, 17.
[12] Exode, XIV, 14.
[13] Psaume CXVIII, 8.
[14] Psaume XXXIII, 18.
[15] Voir en particulier : Les Pharisiens, par Cohen, 2 vol. in-8° (le premier volume).
[16] Les Hérodiens sont nommés trois fois dans les Evangiles (Ev. de Matth, XXII, 16 ; Marc, III, 6, et XII, 13). Josèphe n'en parle pas. Il faut probablement les confondre avec les Bœthusim, descendants de Bœthus, grand-père de Mariamne Macchabée, troisième femme d'Hérode, et par suite membres de sa famille. Ils étaient Saducéens par leur origine, Bœthus l'ayant été ; mais il est probable que le gros du parti répudiait leur servilisme anti-patriotique. Les Hérodiens semblent s'être entendus avec certains Pharisiens, ennemis de Jésus, pour le perdre.
[17] Ant. Jud., XVII, 2, 4.
[18] Actes des apôtres, ch. V, 37.
[19] Voici comment Josèphe s'exprime sur le compte des partisans de Judas le Galiléen : Ses partisans sont pour toutes les opinions d'accord avec les Pharisiens, mais ils ont une passion inébranlable pour la liberté fit n'admettent que Dieu comme chef et maître. Peu leur importe les supplices raffinés qu'ils endurant, les châtiments que supportent pour eux leurs parents et leurs amis, pourvu qu'ils n'aient pas à donner le nom de maître à un homme (Ant. Jud., XVIII, I, 6). Voir sur Judas le Galiléen ou le Gaulonite, livre I, chapitre III.
[20] Josèphe, Ant. Jud., XVII, 8.
[21] Voir notre chapitre IV, Les idées philosophiques des Pharisiens et des Saducéens.
[22] Josèphe, Vita, § 1 et 2.
[23] Actes des apôtres, ch. XXIII, 6.
[24] Josèphe, D. B. J., II, 12.
[25] Ev. de Luc, VII, 36.
[26] Ev. de Luc, XI, 37.
[27] Ev. de Luc, XIII, 31.
[28] Ev. de Jean, III, 1, et VII, 50.
[29] Ev. de Matthieu, XXIII, 1 et suiv. ; de Luc, XI, 39 et suiv., etc.
[30] Talmud de Babylone, Sotah 22, b. ; Talmud de Jérusalem, Berakhoth, 13, b.
[31] Talmud de Babylone, Sotah, fol. 22, 2.
[32] Talmud de Babylone, Joma, fol. 72, 2.
[33] Talmud de Babylone, Joma, fol. 9, 2.
[34] Le passage Ev. de Jean, IX, 16, nous montre bien ces deux tendances. Parmi les Pharisiens, les uns disent : Jésus viole le sabbat. Les autres l'admirent et n'osent pas le blâmer.