Le Nouveau Testament, les écrits de Josèphe et les
Talmuds, tels sont, le titre l'indique, les trois sources que nous avons
consultées. Il n'y en a point d'autres, en effet. Les écrits pseudépigraphes,
composés en Palestine aux environs de l'ère chrétienne, n'ont d'importance
que pour l'histoire des idées du peuple juif. Ils ne nous renseignent ni sur
sa vie sociale, ni sur ses pratiques religieuses. Nous aurons l'occasion de
parler de ces singuliers écrits en traitant de la littérature juive au
premier siècle, mais ils ne sauraient, à aucun titre, être considérés comme
des sources pour l'étude que nous entreprenons. Quant aux auteurs païens, les
détails qu'ils nous donnent çà et là sur les Juifs sont assez insignifiants.
Parmi les Grecs, nous mentionnerons Polybe ; les fragments des quinze
derniers livres de son histoire romaine donnent quelques renseignements sur 1° LE NOUVEAU TESTAMENT. Les écrits des premiers chrétiens, des témoins de la vie
de Jésus, apôtres ou compagnons d'apôtres, prirent de bonne heure une très
grande valeur dans l'Église chrétienne. La tradition orale, d'abord
puissante, se perdait et devenait incertaine. Les communautés avaient pris
l'habitude de lire les livres des apôtres au culte public et les plaçaient
sur le même rang que le Code sacré des Juifs, connu sous le nom d'Ancien
Testament, et que leur avait transmis Le Nouveau Testament nous offre d'abord trois écrits, trois Evangiles appelés Evangiles synoptiques, parce qu'ils rapportent presque constamment les mêmes événements. L'examen le plus superficiel leur donne une source commune ; ils ne forment à eux trois qu'un seul document, le document synoptique. Sous leur forme actuelle, qu'ils aient été ou non précédés d'Évangiles aujourd'hui perdus, ils ont été écrits après l'an 60 et avant l'an 80. Nous plaçons l'Évangile de Marc le premier, celui de Matthieu le deuxième, celui de Luc le troisième, et, s'il fallait préciser les dates, nous dirions : l'Évangile de Marc a été écrit vers l'an 65 ; la rédaction grecque actuelle de l'Evangile de Matthieu fut faite un peu avant 70 et l'Evangile de Luc fut composé un peu après cette époque. Le caractère anonyme de ces écrits, la simplicité, la naïveté avec lesquelles leurs auteurs composent leurs récits, donnant les faits sans beaucoup d'ordre ni de soin, les groupant les uns à la suite des autres et sans esprit critique, nous montrent assez que nous avons affaire à des chroniqueurs se bornant à collectionner ce que la tradition leur a transmis. Les trois premiers Évangiles nous offrent des récits qui ont dû être conservés longtemps dans la tradition orale et que les Évangélistes ont insérés dans leurs ouvrages tels qu'on les récitait encore de leur temps. Ils abondent en détails certainement exacts sur les Pharisiens, les Saducéens, les Scribes ; ils nous donnent le spectacle authentique des discussions des Docteurs et des Rabbins, la vraie physionomie des croyances messianiques, la juste notion des coutumes du premier siècle. Celles-ci apparaissent partout dans leur rédaction, et en particulier dans les paraboles du Christ dont les sujets étaient toujours empruntés à la vie sociale de ses auditeurs. Les paroles que les Évangélistes placent dans la bouche des personnages qui sont en scène, les détails de mœurs épars çà et là dans les faits qu'ils rapportent, les révélations qu'ils renferment sur les coutumes, les doctrines, la vie religieuse des Juifs du premier siècle, tout cela est d'une sincérité et, par suite, d'une historicité incontestable. Les Évangélistes n'ont aucune prétention critique, aucun esprit de jugement ; ils sont simples et naïfs et, par conséquent, fidèles. Le livre des Actes des Apôtres, continuation de l'Évangile de Luc, témoigne d'un esprit critique plus étendu. Son auteur, qui, déjà dans le troisième Évangile, classait ses sources et les jugeait, a décidément ici ses préférences. On ne peut méconnaître chez lui un désir de concilier les deux grandes tendances qui s'accusaient dans l'Eglise primitive, celle des Judéo-Chrétiens et celle des Pagano-Chrétiens. Mais la discussion de ce problème, si intéressant pour la critique approfondie du livre des Actes, n'a point d'importance pour nous. Nous n'aurons, pour ainsi dire, aucun emprunt à faire à cet ouvrage. Qu'il nous suffise de dire ici qu'il nous offre, à tout prendre, un tableau fidèle du monde juif et romain au premier siècle. Nous n'aurons point non plus à citer les Épîtres catholiques et l'Apocalypse. Ces livres, sauf peut-être l'Épître de Jacques, ont été écrits sous l'empire de préoccupations étrangères au Judaïsme contemporain de la vie de Jésus. Il reste les Épîtres de saint Paul et le quatrième Évangile. Les Épîtres de saint Paul auront pour nous une importance capitale. Elles ont été écrites par un ancien Pharisien, par un homme qui a passé sa jeunesse à Jérusalem, qui y a vécu en même temps que Jésus et dans un monde différent du sien, dans le monde officiel des Docteurs et des Scribes. Il y a pris leurs habitudes de langage et de raisonnement, il est rompu à leur manière de discuter, il connaît à fond leurs doctrines, il les a lui-même crues et pratiquées. Les Épîtres de Paul seront donc pour nous une raine inépuisable de renseignement sur la vie religieuse des Juifs contemporains de Jésus. Le quatrième Évangile a un tout autre caractère. Rédigé à la fin du premier siècle, il offre un mélange curieux de parties certainement historiques, de détails qui remontent irrécusablement à la vie de Jésus et de parties plus difficiles à accepter, de détails où la personnalité de l'auteur est presque seule en scène. Aussi ce livre est-il peut-être le plus extraordinaire qui ait jamais été écrit. Il est aussi difficile de nier son authenticité que d'admettre sa pleine et entière historicité. Il reste et restera la croix des théologiens, pour employer la vieille expression consacrée. Nous croyons qu'il est de l'apôtre Jean, soit qu'il ait été rédigé par lui, soit qu'il ait été écrit par ses disciples immédiats et sous son inspiration directe ; mais, à l'inverse des Synoptiques, son authenticité est pour nous plus évidente que son historicité. Pour ceux-là, l'historicité est certaine et le nom de l'auteur importe peu. Pour le quatrième Évangile, le nom de l'auteur importe beaucoup, mais, une fois qu'il est trouvé, il reste à faire la part de sa personnalité dans la rédaction de son livre, ce qu est d'une inextricable difficulté. Nous ne le consulterons donc qu'avec prudence ; mais, en même temps, avec confiance, car nous n'oublierons pas que c'est Jésus qui a créé la personnalité de Jean et non pas Jean celle de Jésus. Nous contrôlerons toujours les données du quatrième Évangéliste par celles des Synoptiques, mais elles auront pour nous, de prime abord, une grande autorité, car elles nous donnent, elles aussi, sur le milieu dans lequel Jésus a vécu, des renseignements dont il nous semble impossible de méconnaître la vérité. 2° LES ÉCRITS DE JOSÈPHE. Flavius Josèphe naquit à Jérusalem la première année du
règne de Caligula, qui commença le 16 mars 37 après Jésus-Christ. Nous
savons, d'autre part, que lorsqu'il termina son ouvrage, intitulé les Antiquités
judaïques, il était dans sa cinquante-sixième année, et que Domitien
était dans la treizième année de son règne. Or, celle-ci commençait le 13
septembre 93 ; Josèphe est donc né après le 13 septembre 37 et avant le 16
mars 38. Nous ne connaissons sa vie que par le récit qu'il en fait lui-même
dans son Autobiographie et par les détails épars dans son Histoire
de la guerre des Juifs. Recueillons d'abord le témoignage qu'il se rend à
lui-même. Il nous raconte qu'il était de race sacerdotale et d'une famille
très estimée. Une de ses ancêtres maternelles aurait été fille de Jonathan,
le premier grand-prêtre macchabéen[1]. A quatorze ans,
il possédait, dit-il, si complètement la science rabbinique que les prêtres
et les principaux personnages de la ville venaient l'interroger et se
faisaient instruire par lui. Il affirme ensuite qu'à seize ans il connaissait
à fond les doctrines des Pharisiens, des Saducéens et des Esséniens. Il
s'était livré à cette étude pour pouvoir choisir en connaissance de cause
celle des trois tendances qui lui conviendrait le mieux ; mais, avant de se
prononcer, il se retira au désert auprès d'un certain Banus, qui lui donna la
dernière consécration. Banus se nourrissait de fruits sauvages, avait un
vêtement d'écorces et se livrait fréquemment à des baptêmes ou ablutions religieuses.
Josèphe vécut trois ans dans son intimité, puis se décida pour la secte des
Pharisiens ; il avait dix-neuf ans[2] ; à vingt-six ans
(64 après Jésus-Christ), il fit le
voyage de Rome. Il était alors avocat et chargé d'une mission importante par
des Juifs que le procurateur Félix avait fait illégalement déporter. Un
acteur juif de sa connaissance le recommanda à l'impératrice Poppée et, grâce
à son intervention, il obtint gain de cause pour ses clients. Revenu en Judée
(66), il se mêla activement aux
intrigues politiques qui devaient aboutir au soulèvement général de son
peuple contre les Romains. Les Saducéens étaient opposés à la guerre, A quoi bon, disaient-ils, une
lutte inégale ? pourquoi courir à une perte certaine ? Les Pharisiens
étaient au contraire pour la résistance ; mais ils se partageaient en deux
camps : les intransigeants, étroits et fanatiques, qui prêchaient la lutte à
outrance et qui ne reculaient pas devant le meurtre ; on comptait parmi eux
les sicaires exaltés qui poignardaient tout transgresseur de la loi ; à côté
d'eux se trouvaient les Pharisiens modérés qui conseillaient la prudence.
Josèphe était de ce nombre. Il avait même commencé par s'opposer à la guerre.
Dans son voyage de Rome, il avait vu de quelle formidable puissance
disposaient les Romains. Mais quand il comprit que l'insurrection était
inévitable, il demanda un commandement et fut chargé d'organiser et de
diriger le soulèvement de Nous ne savons presque rien de la fin de sa vie. Il vécut à Rome, protégé par Domitien et plus encore par l'impératrice Domitia[7]. Il fut, du reste, très en faveur auprès des trois empereurs Flaviens : Vespasien, Titus et Domitien. La date de sa mort est inconnue : il vivait encore dans les premières années du second siècle, car il a écrit son autobiographie après la mort d'Agrippa, et ce prince mourut la troisième année de Trajan, en l'an 100. Eusèbe[8] affirme qu'on éleva à Rome une statue à Josèphe. II s'était marié trois fois. Pendant sa captivité à Césarée, il avait épousé une juive qu'il répudia pour se remarier à Alexandrie où il avait accompagné Vespasien. Il eut un fils de ce second mariage ; puis il divorça encore une fois pour épouser une autre juive Crétoise, de laquelle il eut plusieurs enfants. Nous venons de résumer la vie de Josèphe en citant son
propre témoignage. La critique de ce récit est difficile ; les moyens d'en
contrôler l'exactitude nous manquent presque complètement : mais on éprouve
en le lisant un sentiment naturel de défiance. L'auteur parle trop de lui
dans ses écrits ; on le trouve à la fois léger et vaniteux. En outre,
certains détails de sa narration sont décidément inacceptables. Les personnes
qui savent ce qu'était alors la science rabbinique ne croiront jamais qu'il
fût capable, à quatorze ans, de donner des instructions aux légistes de son
temps. Sa prétention d'avoir étudié à fond les diverses tendances religieuses
de son siècle et d'avoir lui-même été un Pharisien zélé est injustifiable. Il
nous donne, dans ses histoires, des notions tout à fait erronées sur les
Pharisiens, les Saducéens et les Esséniens. Le parallèle qu'il fait entre
leurs doctrines et les philosophies de Ce n'est pas tout. Josèphe, en parlant de lui dans ses écrits, prend toujours le ton d'un accusé qui se défend. On sent que des reproches graves lui étaient faits par ses compatriotes et qu'il avait à se justifier devant eux. Nous le savons, du reste. Juste de Tibériade avait écrit, lui aussi, l'histoire de la guerre juive, et il y accusait Josèphe de trahison envers sa patrie. Celui-ci dirigea son autobiographie toute entière contre Juste de Tibériade. Toute l'histoire du siège de Jotapata, avec la prédiction qui la termine, a une couleur légendaire très prononcée. S'il s'étend ainsi sur sa conduite en Galilée, sur le rôle qu'il a joué dans cette province, c'est certainement que l'opinion publique lui était ici défavorable et qu'il avait à se réhabiliter devant elle. Josèphe nous apparaît dans tout ce récit, comme un homme plein de confiance en lui-même et qui, à l'heure de la défaite, n'a pas eu la même force morale que ses compatriotes égarés et enthousiastes si nombreux autour de lui. Plus tard, quand il écrivit l'histoire de cette guerre, il n'eut pas davantage le sentiment de la grandeur de la lutte qu'il racontait. Il alla jusqu'à démentir froidement l'espérance messianique, en appliquant à Vespasien les prophéties des livres saints[9], et il prétendait connaître les Pharisiens ! et être lui-même un Pharisien ! Du reste, il n'a pas assez de talent pour peindre les événements sous leur vrai jour. Nous ne nierons pas cependant que l'intérêt ne l'ait rendu fort habile. Il voulait faire reconnaître aux Romains la grandeur historique de son peuple ; sa nation était haïe et il a essayé dans ses écrits de la relever aux yeux de ses détracteurs, sans pour cela renier la foi mosaïque et sans méconnaître ouvertement les traditions reçues. Lui-même professait une philosophie rationaliste assez inoffensive, celle du déisme et de la morale naturelle. Il nous reste quatre écrits de Josèphe : 1° Πέρί
τοϋ Ιουδαικοϋ
πολέμου, Du troisième au septième livre, c'est le témoin oculaire qui parle, et la lecture devient vraiment émouvante. Le troisième livre traite de l'insurrection en Galilée (67 après J.-C). Les quatrième, cinquième et sixième racontent les autres faits de la guerre et le siège de Jérusalem ; le septième, enfin, relate les derniers événements jusqu'à la défaite définitive des insurgés. Josèphe avait d'abord écrit cette histoire en langue aramaïque ; plus tard, il la traduisit lui-même en grec. Pour la rédaction de cet ouvrage, il a, avant tout, utilisé ses souvenirs personnels. Il semble, en particulier, avoir été bien renseigné pour le siège de Jérusalem. Il nous raconte qu'il prenait des notes pendant les opérations et qu'il avait, par les déserteurs, de fréquents rapports sur ce qui se passait dans la ville[12]. Vespasien et Titus auxquels il remit son ouvrage, reconnurent, dit-il, la parfaite exactitude de son récit. Il date probablement de la fin du règne de Vespasien[13]. 2° Ίουδαϊκή άρχκιολογιά, l'Histoire ancienne des Juifs ou les Antiquités Judaïques traite en vingt livres l'histoire du peuple juif, depuis les origines jusqu'à la déclaration de guerre aux Romains (66 après J.-C). Les dix premiers livres répètent les faits racontés dans l'Ancien Testament et nous mènent jusqu'à la captivité de Babylone. Le livre onzième raconte les événements accomplis depuis le règne de Gyrus jusqu'au règne d'Alexandre le Grand, le douzième se termine à la mort de Judas Macchabée (160 av. J.-C.) ; le treizième à la mort d'Alexandra (67 av. J.-C.) ; le quatorzième au début du règne d'Hérode le Grand (37 av. J.-C.). Le règne de ce prince, mort en l'an 4 av. J.-C, est raconté dans les quinzième, seizième et dix-septième livres. Enfin, les trois derniers rapportent les événements accomplis depuis la mort d'Hérode jusqu'à l'an 66 ap. J.-C, date de la déclaration de guerre. Josèphe, pour les premiers livres de son histoire jusqu'à Néhémie, n'a pas eu d'autres sources à sa disposition que l'Ancien Testament, dont il abrège ou développe le contenu ; il a dû emprunter ses développements à la tradition rabbinique[14]. Il est très incomplet et insuffisant pour l'époque écoulée de Néhémie à Antiochus Epiphane (440-175 av. J.-C), ce qui est d'autant plus regrettable qu'il est pour nous le seul historien de cette période. Or, il semble n'avoir eu aucune idée de son importance exceptionnelle et du développement que prit alors le judaïsme. Il ne nous parle ni de l'origine delà Synagogue, ni de celles du Pharisaïsme, du Saducéïsme, de l'Essénisme. Pour l'histoire des Asmonéens, il a utilisé le premier livre des Macchabées, Polybe, Strabon et Nicolas Damascène. Il parait avoir été très bien renseigné sur le règne d'Hérode le Grand. En revanche, il l'est fort mal sur ses successeurs, sauf sur les deux Agrippa. C'était de l'histoire contemporaine et il pouvait interroger les témoins et les acteurs des faits qu'il rapportait. Josèphe écrivit son ouvrage des Antiquités judaïques sur la demande d'un certain Épaphrodite dont il était le client[15]. Celui-ci, qui ne savait pas l'hébreu et qui ne comprenait pas bien les Septante, engagea Josèphe à composer une histoire de son peuple à l'usage des Gréco-Romains. Cette proposition fut accueillie avec empressement. Ce grand travail n'était donc pas destiné par l'auteur à ses compatriotes, mais aux païens ; il veut relever les Juifs à leurs yeux ; on les accuse de ne pas avoir d'histoire, de ne pas avoir de héros ; il va prouver le contraire, raconter la haute antiquité de son peuple, les grands faits de son passé, et l'arracher au mépris qu'on lui montre[16]. Tout en racontant l'histoire des Juifs, il ne perd pas de vue son apologie personnelle et répond aux attaques de Juste de Tibériade. Disons à la louange de Josèphe qu'il ne fit rien pour perdre son rival, ce qui lui aurait été facile, puisqu'il était bien vu à la cour. Il se borna à se défendre par la plume et il le fit, du reste, assez faiblement, se contentant d'en appeler aux approbations officielles de Titus et d'Agrippa II. Cet ouvrage des Antiquités judaïques fut écrit en plusieurs fois[17] et achevé l'an 13 de Domitien (93-94 ap. J.-C). 3° L'autobiographie (vita). Cet ouvrage n'est pas, comme on pourrait le croire d'après le titre, un récit de la vie de Josèphe, mais une apologie de sa conduite en Galilée (66-67 ap. J.-C), lorsqu'il y commandait en chef les forces juives pendant l'insurrection (§ 7-§ 74). Les paragraphes 1-6 et 75-76 ajoutent à cette apologie quelques détails biographiques, servant d'introduction et de conclusion. C'est encore pour répondre à Juste de Tibériade, qui, dans ses écrits, avait présenté les faits sous un jour peu favorable à Josèphe, que celui-ci rédigea ces quelques pages vers la fin de sa vie. 4° Contre Apion, ou de la haute antiquité du peuple juif, ouvrage en deux livres, écrit en réponse aux attaques d'Apion, savant égyptien, qui, cinquante ans auparavant, avait contesté, non sans une certaine érudition, l'ancienneté de la religion juive, ce qui, aux yeux d'un grec, lui enlevait tout crédit et tout prestige. Le livre d'Apion avait été beaucoup lu vers le règne de Tibère, et était encore célèbre. Josèphe y répond dans un plaidoyer plein de parti pris et sans aucune valeur critique. Il y cherche à justifier les Juifs de tout les bruits qui circulent contre eux. Cet ouvrage fut écrit après l'an 93[18]. Outre ces quatre écrits, on trouve souvent dans les éditions de Josèphe le Quatrième livre des Macchabées, intitulé aussi : De l'empire de la raison. Les Pères de l'Eglise lui en attribuaient la rédaction[19]. Les critiques modernes sont d'accord pour nier que cet ouvrage soit de lui. Cependant M. Reuss ne se prononce pas et ne trouve pas décisifs les motifs invoqués contre son authenticité[20]. Un important écrit de Josèphe a été perdu. Il y fait allusion plusieurs fois dans les Antiquités judaïques en disant : καθώς καί έν άλλοις δεδηλώκαμεν[21]. Les citations qu'il fait de ce écrit perdu se rapportent toutes à l'histoire des rois Séleucides[22]. Dans l'antiquité et dans l'Eglise du moyen-âge, Josèphe
jouit d'une réputation que peu d'historiens ont eue. Renié par les Juifs,
inconnu des Talmudistes, il avait été adopté par les chrétiens comme un des
leurs. Ses écrits complétaient pour eux l'Histoire sainte et en confirmaient
la vérité. De plus, ses récits de l'Ancien Testament étaient plus faciles à
lire que l'Ancien Testament lui-même. Il n'avait point de passages
didactiques ni de développements abstraits, et se bornait à narrer les faits
en les peignant sous de vives couleurs. Son histoire des Hérodes était un
commentaire excellent des Evangiles, et sa narration du siège de Jérusalem
fut longtemps une des bases de l'apologétique chrétienne, le Christ ayant prédit
dans ses discours eschatologiques les faits mêmes qu'il racontait. Enfin, il
parlait de Jean-Baptiste[23], de Jésus-Christ[24], de saint
Jacques[25].
Ses ouvrages formaient donc une sorte de supplément à On en fit des éditions chrétiennes. Ces éditions chrétiennes parurent de très bonne heure, car son passage sur Jésus-Christ ne nous est parvenu qu'interpolé par les chrétiens ; peut-être même a-t-il été entièrement composé par eux. Ce passage, où Jésus-Christ est expressément désigné comme le Christ annoncé par les prophètes, servit pendant des siècles à défrayer l'apologétique. Voici ce passage : Dans ce temps vécut Jésus, homme sage, si toutefois il est permis de ne voir en lui qu'un homme. Car il accomplit des œuvres admirables, il fut le maître de ceux qui trouvent du plaisir à recevoir la vérité. Il attira à lui plusieurs Juifs et même plusieurs païens. Il était le Christ (ό Χριστός ούτος ήν). Quand Pilate, auquel l'avaient dénoncé les principaux de notre nation, l'eut condamné au supplice de la croix, ceux qui l'avaient aimé if d'abord n'ont pas cessé de l'aimer. Il leur apparut, en effet, le troisième jour, vivant, comme les divins oracles l'avaient prédit, ainsi que mille autres choses étonnantes sur lui. Le peuple des chrétiens, qui a reçu ce nom à cause de lui, subsiste jusqu'à aujourd'hui. L'authenticité de ce morceau finit cependant par être mise en doute et, au dix-septième siècle, il n'était plus défendu par personne. On comprend, du reste, que les Pères de l'Eglise aient accueilli avec enthousiasme un historien juif qui leur fournissait des armes si commodes pour la conversion des Juifs et des païens. Justin Martyr, Clément d'Alexandrie, Tertullien, Origène, Eusèbe, Basile, Grégoire de Nazianze, le portaient aux nues ; Jérôme l'appelle le Tite-Live grec. Sa renommée fût si grande au moyen-âge qu'une réaction était inévitable, et dans les temps modernes on a parfois trop rabaissé Josèphe. Le personnage lui-même est certainement peu intéressant : vaniteux et prétentieux, il a le tort de se prendre sérieusement pour un grand écrivain. S'il n'a pas été absolument traître à sa patrie, puisqu'il a cherché à justifier les Juifs des accusations qui pesaient sur eux, cependant il a accepté la faveur des Romains, et en particulier des empereurs, qui avaient anéanti sa nation. Comme écrivain, nous ne devons pas le comparer aux grands classiques, ce serait injuste, mais aux autres historiens de son temps, et il tient parmi eux une place honorable. Si son style est artificiel, si sa rhétorique est déplaisante, ce sont-là des défauts dont son époque est plus coupable que lui-même. Quand ses sources sont bonnes, il sait les utiliser ; il lui arrive même de les critiquer avec intelligence[26]. Le reproche le plus grave à lui faire est d'avoir quelquefois falsifié l'histoire dans son intérêt personnel. Il prétend, par exemple, que la haine de son peuple pour les Romains n'était que le crime isolé de quelques fanatiques, quand il sait fort bien que sa nation toute entière partageait la haine de l'étranger. C'est encore le vain désir de cacher les passions politiques de ses compatriotes et la prétention de trouver, en Judée comme en Grèce, des écoles de philosophie stoïcienne ou épicurienne, qui lui a fait dénaturer la vraie physionomie des partis religieux en Palestine. On peut affirmer, toutefois, que l'ensemble de ses récits est exact, autrement il n'aurait pas osé en appeler au témoignage de Vespasien, de Titus et d'Agrippa. Quand il mourut, il préparait un grand ouvrage sur Dieu et son essence et sur la loi de Moïse[27]. 3° LES TALMUDS. Après la restauration d'Esdras et de Néhémie, lorsque le
peuple fut tout entier devenu fidèle et que Ce commentaire important devait naturellement être connu
de tous. Il formait, avec les commentaires semblables sur les autres parties
de On distingue dans 1° Des semences. Il traite des lois sur l'agriculture, des bénédictions ou prières, des dîmes dues aux prêtres, aux lévites, aux pauvres, de Tannée sabbatique, des mélanges interdits dans les plantes, les animaux, les vêtements ; 2° Des Fêtes. Il traite des cérémonies accomplies les jours de fête et des travaux qui y sont interdits ; 3° Des Femmes. Il traite du mariage, de la famille, du divorce, etc. ; 4° Des Dommages. Il traite de la législation civile et criminelle, de l'idolâtrie, du sanhédrin, tribunal suprême, et se termine par le fameux traité des Pères, recueil des anciennes maximes des rabbins ; 5° Des Saintetés (sacrifices offerts au temple et description du temple) ; 6° Des Purifications (lois sur la pureté). Ce simple énoncé suffit à montrer l'importance capitale de
Le Talmud ou Guemara de Babylone renferme, nous l'avons
dit, les discussions des écoles de Babylonie et en particulier de celle de
Sura. Commencé par Asché, continué par son fils Mar, et par son disciple Marimor,
il ne fut achevé que vers l'an D'ordinaire, on comprend |
[1] Vita, §1 ; D. B. J., préface, § 1.
[2] Vita, § 2.
[3] D. B. J., II, 20, 4 ; Vita, § 7.
[4] Vita, § 7 - 71.
[5] D. B. J., III, 6-13.
[6] D. B. J., IV, 10, 7.
[7] Vita, § 76.
[8] Histoire ecclésiastique, III, 9.
[9] D. B. J., V, 5, 4.
[10] Vita, § 74.
[11] Antiq. Jud., XIII, 10, 6.
[12] Contre Apion, I, 9.
[13] Contre Apion, I, 9 ; Vita, § 65.
[14] Voyez Hartmann : Die enge Verbindung des alten Testaments mit dem neuen, 1831, p. 464-514.
[15] Antiq. Jud., I ; Contre Apion, II, 41 ; Vita, § 76.
[16] Antiq. Jud., XVI, 6, 8.
[17] Préface, § 2.
[18] I, 10.
[19] Eusèbe, H. E., 3, 10 ; Jérôme, Catal. script. eccl.
[20] Revue de théologie de Strasbourg, année 1859, p. 270.
[21] Antiq. Jud., XIII, 2, 1 ; 2, 4 ; 4, 6 et 5, 11.
[22] Nous avons utilisé l'édition des œuvres complètes de Josèphe publiée par Firmin Didot en 1845 : Φλαβιού Ίωσηποϋ τά Εύρισκόμενα, 2 vol. in-8°, édit. Dindorf.
[23] Antiq. Jud., XVIII, 5, 2.
[24] Antiq. Jud., XVIII, 3, 3.
[25] Antiq. Jud., XX, 9, 1.
[26] Antiq. Jud., XIV, 1, 3 ; XV, 6, 3 ; XVI, 7, 1 ; XIX, 1, 10 ; XIX, 1, 14.
[27] Antiq. Jud., I, 1, 1 ; I, 10, 5 ; III, 5, 6.
[28] Nous traiterons en détail de l'origine des Scribes et de leurs fonctions, Livre II, chapitre III.
[29] Voir Livre II, chapitre VII, Le Sabbat.
[30] C'est la παράδοσις τών πρεσβυτέρων dont il est parlé Ev. de Mat., XV, 2 ; Ev. de Marc, VII, 3.
[31]
Pirké Aboth, I, 1. Voir Livre II, chapitre II, Hillel et Schammaï,
et chap. III, Les Docteurs de
[32] Epiphane, hœr., XV, 33, 9 ; Talmud de Babylone,
Horajoth, 13 b.
[33] Epiphane, hœr., XV, 33, 9.
[34] Les Idées religieuses en Palestine à l'époque de J.-C., chap. XII, Les libéraux.
[35]
Outre les Talmuds, nous utiliserons quelques ouvrages dans lesquels se sont
aussi fixées les traditions des rabbins, on les appelle Midraschim
(pluriel de Midrasch, interprétation, commentaire. Le verbe darasch signifie
fouler aux pieds et par ext. scruter, étudier). Les Midraschim sont des
commentaires bibliques. Les plus anciens sont contemporains de
Les citations fréquentes faites de ces ouvrages dans les Talmuds prouvent leur ancienneté. Ils datent au moins de l'époque d'Aquiba (commencement du second siècle).
Enfin nous aurons l'occasion de citer quelques traités d'histoire, le Megillah Taanith (livre du jeûne) et le Seder olam ou Seder alam rabba, explication de l'histoire biblique depuis Adam jusqu'à Alexandre-le-Grand avec quelques notes sur l'époque qui a suivi la mort d'Alexandre.