LA PRINCESSE DE LAMBALLE

UNE AMIE DE LA REINE MARIE-ANTOINETTE

 

CHAPITRE III. — LA JEUNE VEUVE.

 

 

L'ABBAYE DE SAINT-ANTOINE DES CHAMPS — SOLITUDE DU DUC DE PENTHIÈVRE — RETOUR À RAMBOUILLET — MARIAGE DE Mlle DE PENTHIÈVRE AVEC LE DUC DE CHARTRES — MARIAGE DU DAUPHIN — PREMIÈRES RENCONTRES AVEC MARIE-ANTOINETTE

 

L'ABBAYE de Saint-Antoine des Champs était — selon une belle expression de M. Paul Bourget sur les couvents — un hôpital pour les âmes malades. De vastes terrains cultivés, qui s'étendaient du faubourg Saint-Antoine à la plaine de Reuilly, l'isolaient de la ville. La construction datait de la fin du XIIe siècle. Entre une double rangée d'arbres, les mains enfoncées dans les larges manches de leur robe immaculée sur laquelle se détachait le scapulaire noir, la théorie des religieuses fidèles à la règle de Cîteaux, venait, aux heures de récréation, y respirer l'air du dehors. Elles se consacraient à l'adoration, dans le chœur de l'église qu'avaient inaugurée saint Louis et Blanche de Castille. Leurs chants se confondaient et montaient en une mystique symphonie pour se briser contre la voûte ogivale et emplir la nef. Cette magnifique maison s'ouvrait à certaines femmes, converties à la dévotion. Elle abritait une vingtaine de cisterciennes qui les recevaient, cependant que les converses, vêtues de bure, veillaient aux travaux matériels.

C'est là que Marie-Thérèse de Lamballe demanda asile à l'abbesse Gabrielle-Charlotte de Beauvau. Après avoir fréquenté le monde profane, celle-ci avait pris le voile. Familiarisée avec l'épreuve humaine, elle fut pitoyable à la jeune veuve de dix-huit ans.

Le printemps faisait s'épanouir les fleurs et s'étaler les feuillages. Les buis taillés, tout luisants, se reflétaient dans l'eau des bassins ; du verger s'exhalait une senteur de fruits, et au potager on avait l'impression de respirer les sucs des racines. À ces splendeurs naturelles, sans doute, elle préférait l'ombre de la chapelle, les vitraux que rendait incandescents le soleil couchant, l'austérité de l'office grégorien dont l'harmonie achevait le rythme architectural, les longues méditations entre les stalles, les tableaux, et les lentes, les silencieuses oraisons, tandis que ses pas, sonnant le creux sur les tombeaux qui jonchaient le sol de leurs dalles, elle songeait à la fragilité du bonheur terrestre.

Les premiers jours qui succèdent à un deuil révulsent tout l'être et même, à l'âge qui était le sien, le cœur s'abîme par un retour sur le passé qu'en vain il cherche à retenir. Les yeux des autres ne la regardaient pas ici : il lui était permis de pleurer toutes ses larmes, ses déceptions, de regretter son pays natal vers lequel l'attirait une cruelle nostalgie, de désirer sa lumière. Ici, la clarté du jour la blessait et l'abîmait. Sur ses lèvres, elle retrouvait le goût du fiel qu'y avaient laissé des baisers menteurs, et puis, se repliant sur elle-même, se courbant sous l'humilité, elle implorait pour le salut éternel du perfide qui l'avait trahie et qui avait brisé sa destinée. Quel crime avait-elle donc commis pour endurer ce châtiment ? Elle avait subi toutes les humiliations ; elle allait les traîner avec elle le long du chemin. Elle restait vivante pourtant et la vie était la plus forte. Elle l'appelait hors de la sépulture dans laquelle elle eût souhaité murer sa jeunesse.

Le duc de Penthièvre s'est retiré à Rambouillet ou sur quelque autre de ses terres. Sa piété inébranlable, retrempée par les épreuves, une fois encore le soutient et il y puise, avec de nouvelles forces, un besoin d'action, le besoin de donner aux moins privilégiés que lui les fruits de sa douleur. Il est de ces êtres rares qui ont de tous temps vécu comme plongés dans la dévotion, qui ne se révoltent jamais contre les duretés du sort et ne l'accusent point d'injustice : il s'en remet à la Providence et, peut-être, avec un inconscient orgueil, croit-il que son fils goûte maintenant un bonheur céleste que lui valent les mérites de son père. Un tel sentiment n'est pas pour ralentir son zèle : il décuple au contraire sa charité. Quels que soient les maux dont il est accablé, il se redresse sous leur fardeau et comprend, par sentiment chrétien, que parmi ses semblables il en est d'aussi cruellement, voire de plus cruellement frappés que lui. Ainsi, par sa souffrance même, il sert encore son prochain.

Bien qu'il eût pris pour page l'exquis et spirituel Florian, qui le secondait par ses jeunes aspirations dans toutes ses œuvres, et bien qu'il eût auprès de lui Mlle de Penthièvre, sa fille, la pensée du duc rejoignait sans cesse la princesse de Lamballe. Auprès d'elle, mieux qu'auprès de personne, il retrouvait la figure de son fils. Elle l'évoquait pour lui, comme épurée, à l'ombre de son visage penché sur l'agonisant. Le prince avait eu une conduite que le duc ne pouvait que réprouver et condamner aussi longtemps qu'il avait été vivant. La mort avait dû effacer les traces de ses fautes et le jugement des humains n'était pas autorisé à se prononcer sur ses errements. Le prince de Lamballe relevait maintenant de la justice divine. Les scrupules du chrétien n'en tourmentaient pas moins la conscience délicate du duc de Penthièvre. Il avait besoin de sentir auprès de lui des vestiges spirituels pour ressusciter l'enfant arraché à sa tendresse. En dépit d'une existence mathématiquement réglée, et en dépit des prévenances dont l'entourait sa fille, la princesse lui manquait dans ses châteaux, dont aucun n'était capable de lui offrir une diversion à ses pensées. Les œuvres d'art qu'ils contenaient et auxquelles sa vue était accoutumée lui semblaient peut-être un défi à son affliction. Elles perpétuaient le souvenir de ses aînés : elles ne lui rendaient pas moins amère l'obsession de l'absent. Alors il se décida à rappeler auprès de lui sa belle-fille.

Avant d'entrer à l'abbaye de Saint-Antoine des Champs, elle avait rencontré l'abbesse dans la vie mondaine. Il est fort probable que celle-ci s'employait à consoler la malheureuse et qu'elle s'ingéniait à la distraire par ses entretiens. Probablement parlèrent-elles des années révolues, des années insouciantes et, pour la jeune femme, lourdes de beaux espoirs. La princesse retrouva un dernier soulagement à s'épancher auprès d'une âme compatissante. Elle avait été rudement meurtrie par la destinée, mais elle avait dix-huit ans.... Peu à peu lui revint le sentiment de ses charmes. Il renaissait avec l'évocation de son enfance choyée, des gâteries que lui prodiguaient ses parents, de Turin sous les caresses du soleil blond ; peut-être songea-t-elle aux fêtes de son mariage, à la traversée des Alpes et au page de Nangis.... Et puis, si elle était germanique par sa mère, encline à subir l'influence de sa mélancolie, son atavisme italien la sauvait du désastre et l'empêchait de sombrer dans le désespoir. Elle était douée de séductions, elle était toujours capable de plaire, et il n'est point de femme, à l'âge qui était le sien, que ne dût ranimer par un instinct de coquetterie naturelle l'attrait de la vie extérieure. Elle quitta la sévère retraite, non pour se jeter dans les plaisirs, mais pour répondre à l'appel de son beau-père et lui apporter son sourire qui, pour rester pâle encore, n'en répandait pas moins un reflet de sa lumière intérieure. Mlle de Penthièvre se promit d'ouvrir ses bras à la convalescente. Le duc dut refermer les siens sur elle. Florian, qui achevait son poème de Ruth, écrit dans la dédicace à son maître :

Pieux comme Booz, austère avec douceur,

Vous aimez les humains et craignez le Seigneur.

Hélas ! un seul soutien manque à votre famille.

Vous n'épousez pas Ruth, mais vous l'avez pour fille.

Et lorsque Marie-Thérèse lui arriva, le duc de Penthièvre conçut l'espoir qu'elle ne le quitterait plus.

Le 13 octobre 1768, elle figura au mariage de son frère Victor de Carignan avec Joséphine de Lorraine et elle y reçut quelques demoiselles du couvent, grâce auxquelles il lui fut loisible de continuer à se montrer bonne dans la vie.

Cet événement lui facilita la transition entre la retraite et la reprise de l'existence mondaine. Heureusement pour elle, la mélancolie n'avait pas encore rongé son âme. Son naturel gai triompha de ses dépressions et lui permit de reprendre des forces. Auprès du duc de Penthièvre à Rambouillet, l'occasion lui est offerte d'apprendre l'art de faire la charité. Il s'appuie sur elle ; elle devient sa fidèle élève. Ensemble ils parcourent les environs, distribuent aux indigents des secours ; Mlle de Penthièvre et sa belle-sœur ajoutent à leurs bienfaits matériels les trésors de leur délicatesse morale. Elles ne se contentent pas de distribuer les aumônes : elles prodiguent les trésors de leurs vertus. Elles savent que la véritable bonté doit s'essayer à se faire pardonner ses actions. Elles se font aimer. On nomme le duc de Penthièvre Le Roi des Pauvres et sa belle-fille Le Bon Ange de M. de Penthièvre. Cependant, Mlle de Penthièvre a tout juste 15 ans. Elle s'épanouit après sa sortie du couvent de Montmartre. Elle rencontre avec la princesse de Lamballe une compagne, de quatre années plus âgée qu'elle, mais qui a conservé dans son cœur le goût d'amusements ingénus. Elles folâtrent dans le parc ; ce sont rires joyeux et divertissements innocents qui se succèdent. Parfois les surprenant, le duc de Penthièvre s'arrête bienveillant devant le groupe qu'elles forment et considérant les traits de sa belle-fille, réchauffés par la gaieté, il lui demande, en souriant : Marie, la folle, combien avez-vous aujourd'hui dansé de contredanses ? Ce serait erreur d'attribuer à la légèreté d'un caractère sans mémoire cet attrait naïf pour des distractions enfantines. C'est la vie qui reprend ses droits : une réaction spontanée qui s'opère, c'est peut-être la recherche d'un refuge contre elle-même, contre les idées sombres et morbides qui l'assaillent, c'est aussi un présage du charme dont elle jouira plus tard, en partageant les plaisirs champêtres de la Reine à Trianon. Au surplus, la jeunesse de deux belles-sœurs a des prédilections pour les occupations sérieuses. Si elles se promènent volontiers dans le bourg, qui à cette époque compte 1.500 habitants, si elles gravissent les flancs de la butte du Moulin, c'est pour se rendre dans les masures minées par la misère ; elles y sont vénérées par les habitants. En elles, tout est pureté. Le dimanche, par le souterrain qui à la paroisse Saint-Lubin relie le château, elles gagnent l'église et elles assistent à l'office. Le duc interrompant sa pieuse journée sur les neuf heures du soir, pour la recommencer ensuite jusqu'à deux heures du matin, elles soupent en sa compagnie et se couchent après avoir fait ensemble une dernière partie de jeux.

La Cour ne sollicitait guère la princesse de Lamballe durant les premiers mois de son veuvage. Au surplus, la Cour était en deuil. La Reine était morte le 25 juin 1768. Plus tard, au cours de cette même année, la princesse revint fréquemment faire des séjours chez son beau-père, et cette habitude se perpétua jusqu'en 1769.

Mlle de Penthièvre avait voué à sa belle-sœur une affection aussi profonde que si elle avait été unie à elle par le sang. La triste expérience qu'avait faite du mariage Mme de Lamballe n'empêcha point sa compagne de la renouveler pour son propre compte. Ni leurs entretiens, ni les confidences échangées, ni les cruautés du sort n'avertirent le duc : il conclut pour sa fille une union qui devait, pour d'autres raisons, n'être pas plus heureuse que celle de sa belle-fille. Mlle de Penthièvre avait été présentée à la Cour le 7 décembre 1768. Elle était l'unique héritière des enfants de la main gauche descendant de Louis XIV. La maison d'Orléans y gagnerait 3.000.000 de rentes. Enfin le Roi donna son consentement et le mariage de Philippe-Joseph, duc de Chartres, avec Mlle de Penthièvre fut déclaré le 1er janvier 1769. Le duc de Chartres — on louait unanimement ses avantages physiques — passait, sous ses apparences de prodigue pour avare. Il ambitionnait le titre de Grand Amiral qui était celui de son futur beau-père. Il était réputé peu courageux et des quolibets circulaient sur son compte. Plus tard, on dira de lui : C'est un prince qui revient de la campagne, non de faire campagne. Ce qui n'empêcha pas le Roi de créer pour lui, le moment venu, la charge très honorifique de colonel général de hussards. Le duc connaissait fort peu sa fiancée. Il l'avait rencontrée une seule fois et lui avait tout juste donné la main pour la mener à son carrosse. Quant à ses mœurs, elles auraient mieux convenu à un célibataire invétéré qu'à un homme qui se proposait de fonder une famille. Mais, après la mort du duc de Penthièvre, sa fille serait — le prince de Lamballe étant mort — seule héritière, et cet argument valait son prix. Mlle de Penthièvre était douée d'une aine toute pure que reflétait son visage. Elle était douce. Elle était fraiche. Comme sa belle-sœur au prince de Lamballe, elle apportait au duc de Chartres un cœur prêt à se donner entièrement, et en une seule fois. Il lui offrait en échange son passé, alourdi par les vices, son esprit volage et son cynisme.

Le Roi désirait que Mlle de Penthièvre choisît en toute liberté son mari. Lorsque le duc, son père, lui fit part de la démarche qu'avait faite auprès de lui le duc d'Orléans en faveur du duc de Chartres, elle répondit : Oh ! papa, tous les princes ont des maîtresses, mais pourvu que M. le duc de Chartres me préfère à toutes les femmes qui l'aimeront, je me trouverai heureuse. Elle était pleine de bon sens, cette jeune fille. Le mariage fut célébré le 5 avril 1769. Joyeusement, le duc de Chartres enterra sa vie de garçon, conformément au cérémonial, adopté en pareille occurrence par le comte de Fitz-James. Un souper des Veuves rassembla les maîtresses du fiancé, ainsi que divers seigneurs à la veille de contracter des engagements semblables. Entre les murs, tendus de noir, les femmes parurent en costumes de deuil, ainsi que leurs comparses. L'usage voulait que, la veille de leurs noces, les hommes se fissent épiler. Le duc de Chartres fut le dernier à se conformer à cet usage. Il y eut de grandes réjouissances, naturellement. Le prince de Conti en particulier tint à commémorer cette solennité. Il était hautain et disert, portait beau et se plaisait, à l'écart de la Cour, en dépit de la sympathie que lui témoignait le Roi, à s'entourer, au Temple, d'artistes et d'écrivains. Intrigant, il savait être aimable et il réussit à se mériter le surnom de dernier des Princes. Cette fête eut lieu dans le parc d'Issy et, à en croire Bachaumont, ce fut une fête délicieuse, point de tumulte, presque en famille. Après le mariage, la duchesse de Chartres se prit de passion pour le théâtre. On l'y vit fréquemment, en compagnie de Mlle d'Orléans, sa belle-sœur.

Les ennemis de la princesse de Lamballe, qui lui ont reproché ses faiblesses, ont négligé de noter chez elle un trait de caractère qui témoigne à la fois de la possession qu'elle était capable d'exercer sur elle-même et de la générosité de son cœur. Le duc de Chartres avait été accusé d'avoir, en l'entraînant dans le désordre, hâté la mort du prince de Lamballe. La jeune veuve ne pouvait pas l'aimer. Son aspect seul suffisait à lui rappeler que, par sa faute, elle avait perdu l'amour de son mari, ce qui peut-être, pour elle, était plus douloureux que de l'avoir perdu lui-même. Néanmoins, surmontant sa répulsion, bravement, elle assista au mariage de Mlle de Penthièvre par tendresse pour celle-ci.

Lorsqu'elle revint à Rambouillet, le duc de Penthièvre l'y accueillit avec une profonde émotion. Ma fille suivant sa destinée a passé dans une autre maison et m'a quitté, disait-il, mais ma pauvre belle-fille est venue la remplacer dans la maison paternelle en épousant mon fils ; elle l'a perdu ; c'est moi maintenant qui doit lui tenir lieu de tout. En dépit de ces épanchements, l'existence reprend sur le même rythme, entre le parc, les pauvres, le château, avec pour seul compagnon cet homme de bien dont la dévotion redouble, qui accuse son austérité et son naturel craintif autant que minutieux. Il est infiniment prévenant pour la princesse, il est vrai, mais elle doit se sentir intérieurement loin de lui ; il a des timidités qui la glacent ; il est replié sur lui-même et l'écarte instinctivement de la confiance qu'il s'ingénie à lui inspirer. Elle a secrètement peur de ses jugements ; surtout elle a dix-neuf ans, elle a besoin de jeunesse et, dans ce splendide domaine, elle a froid au cœur, toute seule. Elle cherche sa belle-sœur dans les allées, le long des chemins qu'elles ont parcourus ensemble, en bavardant librement. C'est la perfide tentation de son cœur déçu qui menace de la cloîtrer dans la prison du passé. Peut-être rêva-t-elle un instant de retourner à Turin. Qu'y trouverait-elle ? Sans doute l'amour de ses parents, mais avec la sourde pensée d'être pour eux une gêne. Comment le prince de Carignan lui assurerait-il une situation digne de son rang ? Le duc de Penthièvre lui avait voué toute sa tendresse ; cette tendresse ne lui suffisait pas ; s'imaginait-elle qu'en se remariant elle découvrirait cette stabilité à la poursuite de laquelle elle s'était, dans l'inconscience de ses dix-sept ans, si imprudemment lancée ? Elle était autorisée à épouser seulement un prince du sang et, alors, ce serait à recommencer. Ah ! si certain projet avait abouti....

Ce sont là pures suppositions. On ne trouve point trace de ses rêveries au lendemain d'une intrigue qui s'était nouée autour d'elle. À la Cour, elle avait su plaire. Sa sensibilité y avait paru touchante. Dès 1767, elle s'était penchée sur l'agonie de la Dauphine, attirée vers elle par sa souffrance, comme si sa propre douleur avait besoin de cette atmosphère cruelle pour ne point l'étouffer. Elle lui avait rendu fréquemment visite et, chez elle, elle rencontrait la Reine. Elle fréquenta plus assidûment l'entourage des souverains, si bien qu'après la mort de Marie Leczinska, elle allait être l'objet d'une proposition émanant des proches du Roi et qui, à défaut de l'émouvoir profondément, pouvait éveiller en elle certaine espérance d'amour-propre, capable de supplanter son désir d'aimer.

Les négociations pour le mariage de Mlle de Penthièvre l'obligèrent à retourner plus souvent à Versailles. Elle fut frôlée, mais non éclaboussée par la corruption qui l'environnait. Il y avait — paraît-il — des toiles d'araignée au château et des carreaux cassés qui étaient réparés au moyen d'un emplâtre en papier. Ce désordre n'empêchait pas rivalités et intrigues de se disputer les faveurs du souverain. Déjà Choiseul n'était plus tout-puissant auprès de lui. Ses partisans s'ingéniaient à le défendre contre la menace d'une chute. En face de lui se lèvent les premiers rayons qui annoncent l'aurore de Maupeou. Il devait paraître en 1771, et les présents événements se déroulent entre 1768 et 1769. Le Roi se désintéresse de ces querelles dans lesquelles n'est pas engagé l'intérêt supérieur de l'État. Au surplus, l'heure n'est pas aux futilités : le deuil de la Dauphine, de Mme de Pompadour, de la Reine enfin ont troublé sa sérénité ; il y a en lui de l'amertume. De courtes liaisons, auxquelles il n'attache pas d'importance, se sont égrenées le long de son existence, pour n'en pas perdre l'habitude. Ses journées sont rythmées par ses visites chez ses filles : Madame Adélaïde, qui atteint sa trente-huitième année, nourrie de préjugés qu'elle défend avec son caractère despotique, aigrie par de mesquines rancunes, bizarre avec cela, capricieuse ; Madame Sophie, qui ne montre pas beaucoup d'esprit, se tient sur la réserve, dépourvue de beauté ; Madame Louise — Madame Dernière, comme l'appelait Louis XV — qui déjà se prépare à entrer au Carmel. Tant de dévotion était excessif pour retenir un roi, ami des femmes, dans ce que l'on nommait la bonne voie.

Aussi, depuis 1768 a-t-il une nouvelle maîtresse, la Du Barry, de son vrai nom Jeanne Vaubernier ou la Vaubernier. Son amant, Jean Du Barry, dit Le Roué, avait fait d'elle la femme de son frère, puis l'avait vendue à Louis XV qui lui avait conféré le titre de comtesse. Peu à peu, utilisant le prestige de sa beauté, par lequel elle exerçait sur le Roi une fascination qu'elle savait être toute-puissante, par des manœuvres successives, elle avait réussi à ce que le souverain annonçât sa présentation à Versailles. Ce scandale épouvanta Mesdames Royales : il fallait à tout prix l'éviter et opposer à cette femme une rivale, qui, unie à Louis XV par les sacrements, triomphât peut-être d'elle. On songea à un mariage avec l'archiduchesse Elisabeth. Le Roi répondit évasivement : il verrait ; à son âge, il ne lui seyait point de contracter une nouvelle union. Surtout, il voulait que sa femme lui plût par ses charmes. Il eut l'air d'encourager ses filles, mais il les oubliait auprès de sa maîtresse. Il continua à descendre chez Mesdames, et un jour il y distingua la princesse de Lamballe. Quelle grâce est la sienne avec la blancheur de sa carnation et son ravissant visage. Manifestement, Louis XV paraît être séduit par elle. Elle ne ressemble à personne : elle a un air qui n'appartient qu'à elle. Elle s'est montrée, lors des fêtes à l'hôtel de Toulouse, en l'honneur du roi de Danemark, le i8 novembre 1768, belle sous un masque de douleur ; elle est apparue également le 25 novembre, au Palais-Royal, mais elle a des scrupules à jouer les coquettes ; elle n'y a pas l'esprit et ne songe point à séduire. Aux soupers intimes, Madame Adélaïde s'essaye à attirer sur la princesse l'attention de son père ; par ailleurs, Choiseul et Mme de Grammont, sa sœur, sont froissés de n'avoir pas eu assez de part à ce projet : c'est la prédominance des Noailles à la Cour ; c'est la menace d'avoir une reine que Louis XV ne saurait congédier comme une maîtresse et qui régnerait sur lui.

Au surplus, la question fut abandonnée. Cousine du Roi par la main gauche, la princesse de Lamballe ne peut prétendre à un mariage déclaré. Ce serait pour l'archiduchesse Élisabeth un affront que l'Autriche ne pardonnerait pas. Louis XV hésita pourtant. Finalement, devant ces complications, il se décida : il exigea que Mme de Béarn présentât à la Cour la Du Barry, et la princesse de Lamballe retourna auprès de son beau-père. Si elle n'en garda point de rancune et si toute amertume s'effaça de sa mémoire, sa mélancolie s'en accrut : elle se voyait condamnée à ne donner à personne un cœur qui ne demandait qu'à aimer. Elle assista au bout de l'an de la Reine, à Saint-Denis, puis elle se cabra devant l'idée de retourner à la Cour. Elle s'y sentait l'objet de la malveillance. Sa santé elle-même y était objet de risée. Mme de Genlis s'en allait, répétant que la vue d'un bouquet la faisait s'évanouir, ainsi que l'aspect d'une écrevisse ou d'un homard, même en peinture.... Enfin, elle se refusait à s'incliner devant la Du Barry et préféra passer l'hiver à Vernon plutôt que de consentir à cette platitude. Elle revint pour les noces du duc de Bourbon avec Mademoiselle, le 24 août 1770. Le duc avait quatorze ans. On disait qu'il jouait L'amoureux de quinze ans. La même année, se produisit l'événement qui allait déterminer le sens de sa destinée : le mariage du Dauphin avec l'archiduchesse Marie-Antoinette d'Autriche, dont on attendait l'arrivée.

On la mariait pour sceller l'alliance ; elle eut contre elle tous les ennemis de l'Autriche : les tantes de Louis XVI, son frère le comte de Provence, ses deux belles-sœurs qui étaient de Savoie, toute la cabale montée contre Choiseul et la Lorraine. Elle forma sa cour avec la coterie autrichienne et rompit, sans réflexion comme sans mesure, avec les ennemis de sa maison. Il aurait fallu au Dauphin une compagne douée de sens politique et qui orientât ses vues sur le péril grandissant qui menaçait la royauté française. Marie-Antoinette, poursuit Albert Sorel, n'avait rien de la femme d'État. Elle était femme, tout simplement. Ce fut son charme et son malheur. Nulle trace en elle du génie tout viril de sa mère, Marie-Thérèse ; nul trait qui rappelle, même de loin, ces têtes carrées à l'allemande, ces tailles un peu épaisses, hommasses et lourdes, manifestement cambrées et disposées pour l'armure, comme celle de Catherine II.... Elle était une pure Autrichienne, une princesse toute viennoise. Enjouée, avec une pointe de sensibilité ; trop fière de son rang et de sa naissance, trop dédaigneuse des opinions du monde pour y sacrifier même une étourderie, frivole, au fond, et ne tenant dans les occasions à paraître grave que par un jeu de coquetterie féminine ou par un caprice passager de l'orgueil lorrain ; médiocrement instruite, ne lisant guère, indocile aux conseils, impatiente des propos sérieux et des discours suivis, elle plaçait toute la politique dans les personnes et jugeait les personnes d'après les coteries. Elle n'entendait pas le calcul des affaires. Elle possédait le courage, il lui manquait le jugement. Sa vaillance se dissipait dans la colère et dans les larmes. Mais son cœur était noble, son âme haute : elle avait la passion de l'honneur. Telle elle se révéla, lorsqu'elle devint reine. Ses épreuves, conclut l'auteur de L'Europe et la Révolution française, commencèrent avec son mariage. La devise des jours prospères de sa maison, le Felix Austria nube, se traduit pour elle en une sanglante ironie. Marie-Thérèse était bonne mère, indulgente et tendre à ses filles adolescentes ; mais sitôt qu'elle les estimait nubiles, elle ne les aimait plus qu'avec un cœur d'impératrice. Marie-Antoinette n'avait que quinze ans quand elle quitta Vienne. Elle ne revit jamais l'Autriche, ni sa mère. La naissance l'avait dotée d'un admirable physique qui s'épanouissait lors de son arrivée en France. Les épaules tombantes, elle était grande, d'une ligne harmonieuse, à laquelle ne nuisait point certaine minceur de sa personne ; les traits de son visage frappaient par leur régularité, le nez aquilin et une sorte d'arrogance royale dans le profil. Le dédain se dessinait sur sa bouche. Elle devait à la pureté de son teint l'éclat de sa beauté. Elle parlait fort incorrectement le français, mais elle rachetait ce défaut par la dignité de son allure et par la majesté souple de sa démarche : incessu patuit dea.

Le Dauphin, son fiancé, présente tout l'opposé de son caractère. Il est menacé par l'embonpoint, car il est gros mangeur et il a besoin de sommeil. Son tempérament réclame des exercices physiques, la chasse ou bien le métier de forgeron amateur. Il ne s'occupe pas des choses de l'amour : son âme pieuse s'en détournerait volontiers. Il aurait besoin d'être opéré. On ne lui connaît guère de passions, en dehors de celle qu'il professe pour l'entraînement physique. Il est timide en présence des femmes surtout ; à leur société il préfère la réclusion dans son cabinet de travail où il s'enferme pour l'étude ou pour s'amuser à des travaux d'horlogerie.

Le 16 avril 1770, le comte de Lorges, ambassadeur de France à Vienne, reçut la mission de demander en mariage pour le petit-fils de Louis XV la fille de Marie-Thérèse. La cérémonie religieuse y fut célébrée le 19 avril ; le 24, Marie-Antoinette quittait la Cour. Tout le long de la route, ce fut l'enthousiasme : elle fut fêtée de ville en ville. Accompagné du Dauphin et de Mesdames, Louis XV s'était rendu au-devant de Marie-Antoinette Josèphe de Lorraine-Autriche ; il était parti de Versailles le 13 mai. En costume d'apparat, la famille royale l'attendait. Le 14, le Roi l'avait devancée pour l'accueillir à Compiègne, au pont de Berne. Elle tomba à ses pieds ; il lui sourit, l'embrassa. Seul, le Dauphin ne partageait pas l'enchantement qu'elle éveillait. La seule curiosité, remarque Mme Guénard, lui faisait désirer la première nuit de noces. C'est dans la pompe royale, splendide, mais froide, que la future Reine de France marche à l'accomplissement de son destin. Une nouvelle cérémonie religieuse l'appela à s'agenouiller entre les murs de marbre blanc, dans la chapelle du château de Versailles. Le soir, on se promena et joua dans le salon d'Hercule et les réjouissances entraînèrent les invités au salon de la Guerre. On soupa, puis Louis XV escorta les jeunes mariés jusqu'à leur appartement. L'archevêque de Reims bénit la couche nuptiale ; Sa Majesté tendit au Dauphin sa chemise de nuit ; la duchesse de Parme remit la sienne à Marie-Antoinette. Ni cette nuit-là, ni les suivantes, le Dauphin ne se montra empressé auprès de sa femme.

Les fêtes, par contre, succèdent aux fêtes. On les prépare à Paris. Le 30 mai, comme la Cour sort, à Versailles, d'une représentation de Castor et Pollux, se répand une nouvelle qui terrifie Marie-Antoinette. Sur la place Neuve, à Paris, un bastion, dans lequel se trouvait le bouquet pour le feu d'artifice, s'est enflammé. La foule s'est affolée. L'incendie, qui s'étend aux échafaudages, menace d'encercler les spectateurs ; pris de panique, ils s'écrasent pour fuir le danger. Des hommes, l'épée à la main, se sont frayé un passage : ce fut une véritable boucherie. Des misérables en ont profité pour piller. Un fossé, qui n'avait pas été comblé, s'est empli de cadavres. Il y a 132 morts. Le mariage blanc débute par une journée qui semble déjà prendre des allures révolutionnaires. Vingt-quatre heures de deuil interrompent les réjouissances nuptiales.

Les derniers lampions éteints, voici que s'ouvre pour Marie-Antoinette une ère qui pèsera péniblement sur ses jeunes années. Il faut achever son éducation, comme une écolière. L'abbé Vermond lui est imposé en qualité de précepteur et de mentor. Mercy-Argenteau, ambassadeur d'Autriche en France, la prend sous sa tutelle. Marie-Thérèse lui prodigue dans ses lettres des conseils et ne lui manifeste aucune sollicitude maternelle ; il faut, pour avoir des enfants, que Marie-Antoinette renonce à monter à cheval. Quelle ironie ! Elle lui reproche ses moindres travers, ses ongles mal tenus, et sa fille n'a le droit de lui répondre que par des lettres dûment contrôlées et en style protocolaire. Elle a pour dame d'honneur Mme de Noailles qui, sans cesse, la rappelle à ses devoirs. Elle est prisonnière entre ces murs, et sa pensée va à sa chère cité de Vienne. Vient-on la chercher pour une promenade, c'est avec un livre à la main. Aucun visage jeune ne l'entoure : Mme de Villars, sa dame d'atour, a passé l'âge canonique et elle est de santé fragile. L'influence de la Du Barry la révolte, et elle n'a personne à qui se confier. Elle réclame un cœur à qui ouvrir le sien. Il y a Mesdames Adélaïde et Sophie.... Près d'elles, ne rencontrera-t-elle pas de la sympathie ? Elle descend chez elles pour y passer ses soirées. Mesdames prétendent la séquestrer moralement. Madame Adélaïde, avec son caractère fantasque, joue un double jeu : tour à tour, elle s'emporte contre la Du Barry et la ménage. Marie-Antoinette n'entend rien à ces procédés. Elle est simple, elle est naïve, et elle se compromet par ses propos. Il n'en faut pas plus pour qu'elle soit au ban de Mesdames. Lorsque Mme Campan sollicite les ordres de Madame Adélaïde au sujet de la Dauphine, elle répond : Si j'avais des ordres à donner, ce ne serait pas pour envoyer chercher cette Autrichienne. Dès son entrée à la Cour, ce sont ses propres belles-sœurs qui l'affublent de ce sobriquet. Il lui restera. Au surplus, ce sera en général de la Cour que partiront les pamphlets qui insulteront à ses plus rares qualités.

Afin de la distraire, Louis XV décide qu'il y aura bal chez elle le lundi. Les femmes y paraissent en dominos blancs, à plis derrière comme les robes de ville ; elles sont à petits paniers, à manches flottantes. Marie-Antoinette se sent captive d'un réseau d'intrigues. Pour retrouver le sentiment de sa jeunesse, il lui reste la fréquentation des dames du palais. Elles sont ses contemporaines. Ses deux beaux-frères, le galant comte de Provence et le léger comte d'Artois, encouragent ses relations, et ensemble, ils raillent avec elle ses compagnes, les vieilles dames de la Cour. Un peu de gaieté lui revient. Insouciante, elle ne surveille pas assez son langage. Elle ne se défie pas suffisamment de la Du Barry qui a trouvé moyen d'assister à toutes les fêtes en l'honneur du mariage et qui risque de compromettre Marie-Antoinette. Marie-Thérèse, se méfiant du caractère primesautier de sa fille, l'engage à écouter en toutes circonstances Mercy-Argenteau et d'adresser au moins une fois la parole à Mme Du Barry. Mais la Dauphine ne saurait se résoudre à cet abaissement qu'elle juge contraire à sa dignité. Mesdames se mêlent de lui prodiguer leurs avis et l'irritent par leurs susceptibilités. À qui se fier ? À quoi s'accrocher ? De quelque côté qu'elle se tourne, elle se voit épiée ; sa première erreur est guettée et on ne la lui pardonnera point.

On se la représente en contemplation devant le parc ou avançant en silence le long des allées qu'envahissent les ombres vespérales. Elles effacent les contours des arbres, elles épaississent les taillis. Un dernier cri d'oiseau s'échappe des feuilles ; les senteurs du soir avivent sa nostalgie. Elle rêve, elle rêve d'un amour qui l'isolerait, loin de ses ennemis ; elle rêve de Vienne et de ses divertissements, de sa musique. Les brises chantent les mélodies qui ont bercé ses premiers émois ; elle songe au maître qui l'a initiée à l'art du clavecin et qui lui a révélé la sérénité céleste des âmes heureuses. Si, un jour, elle pouvait appeler auprès d'elle l'enchanteur, Gluck !

La princesse de Lamballe avait participé, dans la suite du Roi, à l'arrivée de la Dauphine, à Compiègne. Le souverain lui-même l'avait présentée à Marie-Antoinette. Lentement, reculant dans une longue révérence, la princesse s'était inclinée devant elle, paupières et tête baissées. Lorsqu'elle se releva, ses yeux se portèrent sur le noble visage, sur l'expression d'orgueil qu'il trahissait en cet instant, sur l'expression de fierté joyeuse aussi qui se dessinait sur ses traits. Durant cette seconde, eut-elle le pressentiment de l'amitié dévote qui allait, vingt-deux ans plus tard, aboutir à son sacrifice pour la cause de la Reine ? On ne peut se défendre de croire qu'elle opéra un retour sur elle-même.

Ainsi que l'archiduchesse d'Autriche, elle aussi avait été mariée par procuration. À Vienne, Marie-Antoinette avait entrevu dans un éblouissement cette Cour de France, sur laquelle elle pensait régner par ses charmes. Elle avait connu les mêmes craintes que la princesse de Lamballe, le même frisson l'avait parcourue à l'instant de se séparer de sa mère, puis elle avait traversé, en carrosse, des pays qui la rapprochaient de son royaume, progressant dans une marche triomphale, pour être reçue par Louis XV et par son royal fiancé. Avait-elle eu, elle aussi, l'adorable surprise de voir un page accourir au-devant d'elle, les bras chargés de fleurs, et avait-elle appris, avec ravissement, que ce page était le mari qui lui était destiné ? Ah ! que le sort l'épargne du moins ; qu'elle ignore, après la troublante illusion, la déception qui avait brisé la princesse de Lamballe, que ce règne à venir s'écoule dans le calme de la puissance, dans la beauté de la paix intérieure, dans la sympathie des âmes. Et l'image entr'aperçue la poursuivait sans doute et elle se sentit pour la princesse autrichienne un attrait instinctif : le sang allemand coulait dans leurs veines et un même sentimentalisme, sous le masque de la coquetterie, les rapprochait déjà mystérieusement l'une de l'autre. Une sorte de prédestination les vouait à l'amitié mutuelle. Plus tard, Mme de Lamballe apprendra comment fut brisé l'élan de Marie-Antoinette, entraînée vers son fiancé impassible.

La princesse de Lamballe avait traversé, souriante, quelques heures illusoires de bonheur ; avant de devenir la victime de son mari, elle avait été apprivoisée par ses prévenances ; elle l'avait vu épris d'elle : elle lui devait de savoir aimer et de savoir ce qu'est d'être aimée, si fugitivement que ce soit. Plus tard, il l'avait torturée par la jalousie qu'il lui inspirait, par les humiliations, par le cynisme, mais elle était, grâce à sa souffrance même, grâce au dévouement qu'elle lui avait prodigué dans la maladie, une femme sensible comme un instrument à cordes.

Constamment, au cours de ces journées de fête, elle a rencontré la Dauphine. Elle a figuré à Saint-Denis dans le cortège et participé au souper de la Muette avec la famille royale. Le lendemain, elle est à la bénédiction nuptiale par Mgr de La Roche-Aymon. Elle a été témoin du coucher de Marie-Antoinette. Puis, le 17, elle a assisté à la représentation de Persée, et, le 19, au bal de la Cour. Le 30 mai, M. Raoul Arnaud signale sa présence sur la place Louis XV : ayant été invitée dans une loge avec le duc de Chartres et Mme de La Marche, elle a failli être victime de la catastrophe. Sous des auspices de joie et de malheur se formait l'affection de ces deux femmes, appelées à devenir confidentes l'une de l'autre, et qui devait s'achever sur la plus pathétique et sanglante tragédie.