NAISSANCE ET ADOLESCENCE DE MARIE-THÉRÈSE DE SAVOIE-CARIGNAN — LA FAMILLE CARIGNAN — LA COUR DE SAVOIE — UN MARIAGE POLITIQUE — LE DUC DE PENTHIÈVRE — LE PRINCE DE LAMBALLE — LE MARIAGE À TURINLE 8 septembre 1749, Turin commémorait la date de sa délivrance : en pareil jour, l'an 1706, Eugène de Carignan avait chassé hors de la cité les Français et sauvé sa patrie. La cérémonie empruntait à l'inspiration hiératique et nationale le caractère de sa pompe. Souverains en tête, la procession se déroulait en suivant les rues blanches, les arcades, et le peuple fervent montait le long des pentes de la Superga, où l'entraînait la statue de la Vierge Consolata, en argent, qui étincelait sous les rayons du soleil, comme si elle avait été revêtue d'une armure. Sur les épaules des jeunes hommes qui la portaient, elle semblait ailée, en tête du cortège qui, lentement, s'élevait vers la basilique, vouée à son culte, et que le roi Victor-Amédée avait fait élever au sommet de la colline. Derrière l'effigie avançaient les prêtres qui chantaient des cantiques, formant la haie autour de l'archevêque. Les cloches de la ville sonnaient dans l'espace bleuté et lançaient aux échos les oraisons qui s'y répercutaient au loin. Du haut de la citadelle tonnait le canon, rythmant cette marche pieuse. Lorsque se taisaient les voix de l'Église, retentissaient les hymnes belliqueux pour exalter la foule. Cependant que se déroulait la fête, dans le palais de Carignan, proche celui du roi, place de S. A. S., à l'extrémité d'une rue étroite, noyée dans l'ombre et que souvent envahissait un peuple nombreux, un appel retentit, auquel succéda un faible cri. Sous des auspices héroïques et sacrés naissait Marie-Thérèse-Louise, la cinquième fille du prince Victor de Savoie-Carignan. Aussitôt la nouvelle fut propagée. Bientôt, on se pressa devant les portes de la demeure princière pour voir et saluer l'enfant. Sous le signe de l'amour, elle poussa ses premiers vagissements. Son enfance et son adolescence furent prisonnières d'une atmosphère morale monotone. Les murs en briques massives donnaient au palais un aspect privé d'élégance. Les Carignan n'attachaient pas à l'étiquette une importance primordiale. L'atavisme dont elle était tributaire devait influencer par ses prédispositions le caractère de la jeune fille que se disputaient le courage, la tendresse, la rêverie, non moins que les facultés affectives et les affinités sentimentales. Le prince Louis-Victor de Carignan, issu d'une race de soldats, marquait une prédilection pour les parades militaires, évocatrices des exploits accomplis par ses aïeux. Il était charmeur, avait de l'esprit et il était réputé homme de goût. En 1717, il avait épousé Christine de Hesse Rheinfels-Rothenburg, fille d'Ernest-Léopold de Hesse-Rothenburg et d'Anne de Löwenstein. Précocement ses maternités successives l'avaient fatiguée et vieillie. Néanmoins, elle était encore fort belle. C'était une Allemande ; elle avait été belle ; la vie s'était chargée de la mûrir. Elle était protestante et elle ne se départait pas de l'austérité de sa religion. Les sentiments toutefois l'emportaient sur les idées. Sa nature était encline à l'orgueil. Elle témoignait de plus d'aptitudes pour le rôle de ménagère que pour tenir le rang de princesse. Il y eut de sourds démêlés de famille auxquels assista Marie-Thérèse. Elle entendit les doléances sur les charges de famille ; ils étaient sept enfants : Victor, Charlotte, Léopolda, Gabrielle, Catherine, Eugène et Marie-Thérèse. On discutait des dots à constituer, et elles étaient médiocres. Enfin les Carignan vivaient à l'écart de la Cour, ainsi que l'indique une lettre de Condé, datée du 2I janvier 1767 : le roi de Sardaigne s'était fait une loi de ne point se mêler de tout ce qui regarde les Carignan. L'hiver se passait dans le palais de Turin, silencieusement, sans distractions presque. L'été, la famille partait pour le château de Raconigi, dans la province de Coni. Il était agrémenté d'un théâtre. Le prince et la princesse s'ingéniaient à procurer à leurs enfants des divertissements et ils jouaient entre eux la comédie sur cette scène. Le prince volontiers se fût montré enclin à la prodigalité, mais la princesse ralentissait son zèle et lui rappelait leurs obligations. Il fallait éduquer les fils et songer à marier les filles. Que de prodiges dut accomplir la mère pour mener à bonne fin sa tâche, pour que Léopolda se fiançât un jour avec un descendant des Doria, que Gabrielle épousât le prince Lobkowitz, ambassadeur de Hongrie en Espagne, Catherine un prince Colonna, pour que Marie-Thérèse enfin, devînt princesse de Lamballe et pour que tout s'accomplît régulièrement, par le jeu naturel des circonstances. Le prince Victor résistait aux épreuves et faisait belle figure dans la vie. Il était de son pays et il s'enorgueillissait de son ascendance. Les Carignan étaient l'une des branches de la famille royale de Savoie ; ils tenaient leur nom de la petite ville de Carignano, sur la rive gauche du Pô, dans la province de Turin. Thomas-François, l'un des neuf enfants de Charles Emmanuel le Grand, était par la main gauche le chef de la maison. Il était né en 1596. Ambitieux, il avait suscité des troubles en Savoie, lors de la minorité de Charles-Emmanuel II, avait bombardé Turin et s'était emparé de la cité par surprise. Sur son ordre, quelques centaines de soldats, se disant envoyés pour renforcer la garnison, s'étaient présentés aux portes de la ville qui s'étaient ouvertes devant eux. Un signal avait permis à Thomas-François d'entrer à son tour, suivi de ses troupes. Dans la suite, il s'était réconcilié avec sa belle-sœur Christine, régente de Savoie, et s'était rapproché de la Cour de France. Nommé plus tard lieutenant général, il avait guerroyé en Italie à la tête des armées françaises, ayant Turenne sous ses ordres. Après la disgrâce de Condé, Mazarin l'avait élevé à la dignité de grand maître de France. Il mourut à Turin en 1659. Puis c'était toute une lignée de guerriers, qui avaient fait rayonner l'éclat du nom de Carignan. La princesse est belle et reçoit les hommages que lui méritent ses attraits, mais pareille à beaucoup d'Allemandes, même souveraines, son caractère reste complexe et elle est sollicitée par les soucis domestiques. Sans être avare, Marie-Thérèse, plus tard, saura compter et s'occupera de la gestion de ses biens. De sa mère, elle héritera une mélancolie latente qui la fera se replier sur elle-même, se pencher sur les sources de son âme et y mirer son image ; un arrière-fonds d'humeur chagrine, sous les apparences d'une gaieté souvent factice ; une logique abstraite et subitement maladroite ; une intelligence du cœur prompte à se muer en jalousie et qui paraîtra à ceux qui l'approcheront de qualité banale ; une sentimentalité nuancée d'une ténacité parfois ennuyeuse ; un sens du sacrifice que lui révéleront ses tendresses. De son père elle aura l'attitude fière dans les situations critiques ; l'énergie subitement éveillée par l'épreuve et la force redressée par la clairvoyance latine pour mater ses nerfs malades et pour dissimuler les frissons de la peur. Elle sera bonne, droite, simple de nature, encore que tourmentée par les scrupules de ses affections et le désir de se dévouer à ce qu'elle aime. La princesse de Carignan, qui dirigeait son éducation, voulait que sa fille fût pieuse, que sa conduite s'inspirât d'une morale élevée et pratique. Enfant, de Marie-Thérèse se dégageait un charme communicatif. Elle était candide, ignorait du monde les turbulences et les intrigues. Ses cheveux blonds cendrés coulaient de ses épaules jusqu'à ses pieds. Translucide était son regard. Avec ses traits gracieux, sa bouche petite, elle avait un air ingénu qu'elle conservera longtemps. Un léger zézaiement ne manquait pas d'un certain agrément. A ses proches elle inspirait une sympathie spontanée, et peut-être une secrète prédilection. Ses parents l'idolâtraient. Elle était l'orgueil de sa mère qui rêvait de la voir à la Cour de France, dans l'admiration de laquelle ils l'élevaient. Là, se figurait la jeune fille, une princesse s'épanouit au milieu des délices, parmi d'éternelles illusions qui se changent en réalités. Des musiques légères rythment les pas ; des orchestres en sourdine exhalent leurs mélodies derrière les taillis d'un parc que percent les rayons d'un soleil qui n'aveugle pas ; le jour annonce les féeries qui commencent au crépuscule et qui s'achèvent à l'aurore. L'étiquette rigide n'y emprisonne pas, à les étouffer, les élans du cœur. Dans ce décor, les galanteries sont un doux plaisir qui ne saurait être répréhensible, les intrigues un jeu d'esprit. Elle s'abandonne à la joie qui semble l'appeler. Elle respire les parfums de la vie. Elle aime son père, sa mère, ses frères et ses sœurs ; elle ne demande qu'à aimer tout le monde, qu'à aimer l'amour. Ce pendant qu'elle tressaille à peine aux souffles de la vie qui la frôlent, elle est tourmentée par des maux de tête qui, périodiquement, apparaissent et s'accusent dès sa treizième année. Dans son adolescence de légende, elle a pour la soigner et cajoler une vieille nourrice qui compatit aux maux de l'enfance prête à devenir la jeunesse. La petite princesse italienne qu'alourdit le sang germanique grandit maladive, passant de ses souffrances à des sourires pâles, veillée par sa gardienne dévouée, loin de la réalité brutale, rêvant de cette Cour de France qui, à travers les songes, ressemble au Paradis. En 1767, elle a dix-sept ans. La voici dans l'épanouissement d'une beauté qui parle à l'âme. Son visage tout de sentiment émeut. Elle est sereine. L'éclair même de ses yeux était tranquille, disent les Goncourt. Les épreuves physiques ont glissé sur son front pour effacer jusqu'au souvenir de leur passage. Il y a en elle on ne sait quoi de nordique qui s'harmonise avec la langueur italienne. Un type de Lawrence sous un grand chapeau de paille, remarque Lescure. Sa démarche ressemble à celle d'une biche blessée ; elle est souple aussi. En elle se rencontrent, sans se heurter, la réserve et l'abandon, l'enjouement et la tristesse qui la voile, comme la brume du matin la lumière qui monte. Bien prise, sa taille élégante accuse la grâce de sa séduction. A Turin, l'existence n'est pas divertissante. La noblesse du pays est pauvre. Le peuple aime les plaisirs et n'en trouve pas. Les marchands, qui constituent la majorité de la population, sont enrichis et économes. Ils veulent le rester et le souvenir des persécutions religieuses les hante. Ils s'enferment dans leurs magasins. Il y a bien quelques réceptions, mais combien rares. Un dîner est un grand événement. Le duc de Savoie, fils aîné du roi, donne au Palais-Madame quelques fêtes, une fois l'an, des mascarades. Marie-Thérèse petite fille avait assisté aux goûters qu'offrait à ses contemporains le duc de Chablais, le dernier-né de la couronne. H était malingre ; son visage avait une expression maussade et il manifestait des humeurs bizarres que s'efforçait de combattre le comte de Céru, son gouverneur. La Cour est pénétrée de son importance. Charles-Emmanuel
III, l'oncle des Carignan, est de caractère pessimiste. Fidèle à la tradition
de ses prédécesseurs, il veut maintenir l'équilibre entre la France et l'Autriche
: la Sardaigne balançait son alliance entre la
France et l'Autriche, servant la première pour acquérir et la seconde pour
conserver. Il semblait que leurs masses, en se rapprochant, dussent écraser
le Piémont : il se poussa au contraire entre elles comme un coin et s'élargit
en les écartant. Charles-Emmanuel III éprouvait de la sympathie à
l'égard de la France. Il se rappelait les liens qui l'unissaient à cette Cour
: Louise de Savoie était la mère de François Ier ; Madame de Maintenon avait
présidé à l'éducation d'une princesse de Savoie, qui fut la mère de Louis XV.
Les Bourbons enfin étaient apparentés à Emmanuel le Grand. Lorsque les
intérêts divisaient les deux Cours, le sang pouvait les rapprocher. Aussi
Charles-Emmanuel désirait-il resserrer les relations avec la France et les
consacrer par une union durable entre sa maison et celle de Louis XV.
Secrètement, il souhaitait que ses petites-filles, Joséphine et Marie-Thérèse,
se mariassent en France, et il se proposait d'envoyer à la Cour leurs
portraits. A la réflexion, il jugea plus politique de préparer les voies et
il estima qu'il serait opportun de songer à un mariage entre une princesse de
Carignan et un prince de Bourbon. La princesse Marie-Thérèse de Carignan s'imposa à son choix. On ne la consulta que pour la forme : elle était destinée à servir les intérêts du souverain et non à obéir à ses préférences. Il semble toutefois qu'elle n'ait pas fait opposition à ce projet. Désintéressée, d'humeur égale, elle possède les vertus qui se sont développées loin du monde et qui auraient assuré son bonheur dans une condition plus modeste. Elle n'aurait pas dû naître princesse. Romanesque, elle n'aspirait pas aux grandeurs. Leurs promesses pourtant l'ont peut-être fascinée. A dix-sept ans, dans le palais de Carignan ; pouvait-elle percevoir les rumeurs du dehors ? A Raconigi, en pleine campagne, entendait-elle d'autres voix que celles des oiseaux ou des feuillages remués par les brises ? Sentimentale, elle eut l'illusion qu'elle pourrait être heureuse, lorsqu'on lui présenta certaine miniature du prince de Lamballe. Il était grand, mince, frêle. Ses yeux bleus foncés trahissaient, dans la pâleur de son visage, une expression inassouvie. Son sourire était autoritaire. Il était beau. Il avait dix-neuf ans. Elle l'apercevait dans un mirage de pierreries étincelantes. Elle ouvrit les bras sur l'apparition. Un jour, mes parents me firent appeler, raconte le journal de la princesse, et là, en présence du roi Charles-Emmanuel III et de l'envoyé de France, on me demanda si j'aimerais à devenir la compagne du prince de Lamballe. Oui, répondis-je ; il ne m'inspire pas plus de répulsion que tout autre. Cette réponse ingénue amusa beaucoup l'assemblée. Le 7 janvier 1767, Louis XV déclara le mariage de Louis-Alexandre-Stanislas de Bourbon, prince de Lamballe, fils du duc de Bourbon-Penthièvre, avec Marie-Thérèse de Savoie-Carignan. D'après la Gazette de France, qui publie la nouvelle le 12, le baron Choiseul-Beaupré, ambassadeur de France, reçoit la mission d'adresser au roi de Sardaigne la demande au nom du Roi Très Chrétien. Le 8, il obtient audience du roi de Sardaigne et lui remet une lettre autographe de Louis XV : Monsieur Mon Frère et Oncle, Votre Majesté a été informée du consentement que j'ai donné aux démarches du duc de Penthièvre pour le mariage du prince de Lamballe avec la princesse de Carignan. Cette alliance, si conforme à mon désir, ayant aussi l'approbation de Votre Majesté, je charge le baron de Choiseul, ambassadeur auprès d'Elle, de lui faire en mon nom la demande formelle de cette princesse qui m'est déjà chère par nos liaisons de parenté et par les qualités, dignes de sa maison, qui forment son caractère. Je la verrai avec plaisir arriver à ma Cour et je serai disposé à lui donner des marques de ma sincère et constante affection. C'est une sensible satisfaction pour moi de multiplier les liens qui m'unissent à Votre Majesté et de lui renouveler les assurances de la tendre et inaltérable amitié avec laquelle je suis, Monsieur mon Frère et Oncle, de Votre Majesté le Frère et Neveu. LOUIS. Stanislas-Marie de Bourbon-Penthièvre était fils du comte de Toulouse, enfant légitimé de Louis XIV et de Madame de Montespan. Sa mère, Marie-Sophie de Noailles, lui avait donné le jour à Rambouillet en 1725. Les yeux du duc de Penthièvre s'étaient ouverts sur ce domaine qui allait être, durant de longues années, le berceau et le mausolée de sa race. Le duc de Penthièvre, qui devait s'immortaliser par le culte des plus hautes vertus, incarna au milieu de ses richesses l'esprit de charité. Le reflet de ses yeux bleus, assombris par une expression mélancolique, rayonnait comme d'une auréole sur son visage à l'ovale harmonieux. Sa piété confinait à la dévotion. Méticuleux jusqu'au scrupule, il ne manquait pas de gaieté. Il approchait de la sainteté. Il était de tous points excellent, parfait excessivement parfait, pourrait-on dire — et vraiment digne d'être cité en exemple à l'univers. En 1746, il avait épousé Marie-Thérèse-Félicité d'Este qui lui avait donné sept enfants : le duc de Rambouillet, de Châteauvillain, une princesse qui mourut en naissant, le comte de Grignan, la princesse Félicité, le prince de Lamballe et Mlle de Penthièvre. Une maladie héréditaire en enleva cinq. Dès 1734, il avait été nommé Grand Amiral, et dès 1737, Grand Veneur. Entouré de respect et de dignités, il semblait que les épreuves eussent dû l'épargner. La destinée s'acharna à sa poursuite. La duchesse mourut en 1754, après avoir mis au monde sa dernière fille. Le duc resta seul avec ses trésors et ses deux enfants. Tristement, il évoquait les débuts d'une carrière militaire, au cours de laquelle il avait reçu le baptême du feu à Dettingen, puis à Fontenoy. Ses prédilections pour les études sérieuses le portèrent à la méditation dans le calme d'une jeunesse tranquille et sage. De belles années lui accordèrent une trêve ; il les consacra à son foyer, à ses pauvres, à ses domaines qui s'étendaient de Rambouillet à la Bretagne, sur l'Ile-de-France et s'étalaient jusqu'à la Loire et aux confins du Nord. La catastrophe survint ; la maison fut dévastée. Sa piété sauva le duc du désespoir. Mais ce fut l'isolement, au milieu des splendeurs terrestres dont il était entouré, enfin le retour, non pas au monde, mais au devoir. Ses uniques débauches sont celles de la bienfaisance. Au cours d'une chasse, Louis XV le surprend, à Rambouillet, affublé d'un tablier et maniant une cuiller : Voilà, dit le duc de Penthièvre, le potage de mes pauvres et le ragoût de mouton dont je les régalerai demain à leur dîner. Je fais apprêter moi-même ici, sous mes yeux, une fois par mois, leur ordinaire, afin que les cuisiniers de l'hospice s'y conforment. Il mène l'existence d'un ascète ; il porte un cilice. Il est sanguin et il mate ses violences qui se traduisent par une bonhomie quelquefois irritée. Dans sa correspondance, il ne craint pas de se montrer piquant. Mais il obéit à une discipline implacable qui règle ses jours : à peine levé, il récite ses oraisons. Le détachement des choses de la terre ne l'empêche pas de procéder à sa toilette avec un soin extrême, ni de s'occuper utilement de ses affaires. Puis il s'enferme dans son cabinet de travail. Au cours de la matinée, il accorde quelques audiences. Il dîne à une heure un quart et reprend ses prières. Il parcourt ses terres et il est salué avec autant d'affection que de déférence. La journée bien remplie s'achève ; à deux heures du matin, il se couche. Florian, qui sera son page et qu'il nommera Polichinelle, dira de lui : Égaye avec douceur les plaisirs de la table Et sait parler de tout, hormis de ce qu'il fait. Il est populaire. Les femmes de la Halle, le voyant passer dans une procession, se bousculent pour l'embrasser. Il s'y prête et leur déclare : Dans l'ordre de la religion et devant Dieu, je suis votre frère ; autrement, je serai toujours votre ami. Il a des caprices et ne se refuse pas le droit de les satisfaire. Ainsi il collectionne les pendules et les consulte fréquemment. Est-ce pour mesurer la limite de la vie ?... Certain jour, un domestique renverse la table sur laquelle étaient posés les chronomètres. Le duc de Penthièvre, sans doute mécontent, ne se fâche pas : Ne vous inquiétez pas trop, sourit-il, c'est la première fois qu'ils sont allés ensemble. il est évidemment un saint ; il s'inflige des mortifications ; il s'humilie ; mais il est aussi et il demeure un grand seigneur, un puissant de la terre qui peut méditer sur la misère humaine dans l'éclat du luxe et choisir pour chartreuse un palais. A Paris, il séjourne à l'hôtel de Toulouse. Les splendeurs artistiques qui s'y accumulent n'égayent pas cette demeure. Elle s'élevait sur l'emplacement actuel de la Banque de France. Une ombre de deuil atténuait la lumière qui y circulait : là, le duc de Penthièvre avait été le témoin inconsolable de la mort de ses enfants et de sa femme ; là, en 1766, il devait encore assister à l'agonie de la comtesse de Toulouse, sa mère. Que signifiaient dès lors pour lui les ornements, dont les hommes périssables avaient agrémenté ces murs et ces salles ? Sa pensée était ailleurs. Il n'apercevait plus au-dessus de la porte cochère Mars et Pallas qui se détachaient sur le bandeau d'entablement et se penchaient l'un vers l'autre. Il ne prêtait plus d'attention à. l'art qui réchauffait la froideur de ces aîtres. Les bustes des amiraux de France s'alignaient au rez-de-chaussée, leur marbre blanc accusant encore la solennité glacée des dalles, également en marbre blanc, d'où montait en une courbe majestueuse l'escalier que bordait une rampe en fer forgé. Des trophées de chasse et des sujets maritimes, sculptés par Vassé, rythmaient le regard. Partout, à chaque pas, les œuvres faites pour charmer les yeux se succèdent et s'enchaînent les unes aux autres : c'est Lucas de Leyde qui a décoré la salle des Gardes. Les meubles, recouverts de velours rouge, s'alignent lourdement dans l'antichambre. Des colonnes torses relient au plafond le parquet. Van Dyck et Véronèse ont peint les dessus de portes. Les décorations sont signées par Guerchin, dans le grand cabinet de travail que précède la chambre de parade. Les tapisseries. ont été commandées par le Roi Soleil pour charmer Mme de Montespan. Quel contraste entre l'éclat de ces beautés extérieures et la demeure intérieure, dépouillée et nue comme la cellule d'un moine. Avec le double souci de ne pas manquer aux principes chrétiens et à ceux de la tradition qu'il devait à sa naissance, le duc préside à l'éducation de ses enfants. Il se révèle pour eux plus sévère que pour lui-même. Plus que de leur tendresse, il tient à être l'objet de leur respect. Aucune intimité entre eux et lui. Les préséances écrasent les sentiments. Ces mœurs ne lui étaient point particulières : elles étaient celles de l'époque. Pour les filles, une nourrice les emportait dès leur naissance et les gardait jusqu'à ce qu'elles fussent confiées à une gouvernante qui leur enseignait à lire, à écrire, à faire la révérence. Quelquefois aussi elles étaient internées dans un couvent. Les fils disaient Monsieur à leur père et grandissaient à l'écart de la famille, sous la tutelle d'un précepteur. Il leur apprenait à garder les apparences de l'éducation la plus raffinée. Jusqu'aux dernières années de l'ancien régime, note Taine, les petits garçons sont poudrés à blanc.... Ils portent l'épée ; ils ont le chapeau sous le bras.... Ils baisent la main aux jeunes demoiselles. Le maître à danser se charge d'inculquer les belles manières et, par ses leçons, sanctionne les résultats de cette méthode pédagogique. L'influence du duc de Penthièvre sur les siens en allait être atténuée d'autant. Mlle de Penthièvre fut placée au couvent de Montmartre. Elle ne s'en plaindra pas. Seulement, son caractère se ressentira de cette retraite précoce. Elle sera toute sa vie repliée sur elle-même. Elle restera petite fille longtemps. Elle deviendra la femme de devoir, dressée à la résignation et soumise aux rigueurs du sort. Toute différente sera la réaction du caractère de son frère. Louis-Alexis-Stanislas-Joseph de Bourbon, prince de Lamballe, naît le 7 septembre 1747. Il ne connaît guère sa mère. Il ignore ses tendresses. Le duc, qui a opté pour les procédés durs et qui, en pareille matière, se montre systématique, est enclin à juger de prime abord son fils d'après lui-même. Il remet le soin de le former au Père Imbert. L'adolescent souffre de tant de rigueur et de tant d'austérité morale poussée à l'extrême. Il se révolte bientôt contre elle ; il s'ingéniera à s'en affranchir et, n'y réussissant pas par les procédés directs, il usera de subterfuges et de mensonges pour secouer le joug qui lui pèse. Il est orgueilleux de son titre, et de son ascendance il tire vanité. Les scrupules ne le gênent pas. Il s'ennuie dans ce palais où toutes choses semblent glacées, où jamais on ne rit, où l'on a peur de plaisanter. Il se croit, avec son nom, autorisé à tous les excès, à toutes les folies. Pour une jouissance, il ne reculerait pas devant une mauvaise action. L'or coule autour de lui : il n'a qu'à se baisser pour en remplir ses mains et ses poches. L'or coule aussi entre ses doigts. En vain, son précepteur s'acharne à le retenir dans la voie que le duc de Penthièvre lui a tracée. Le duc est pitoyable pour les pauvres qui manquent de pain. Les usages et sa doctrine le séparent de son fils : il ne se rend pas compte qu'il a besoin d'une affection. Le duc le fait surveiller : le prince déjoue la vigilance de ses geôliers et se moque bien des remontrances qui lui sont promises. Il est paresseux, oisif. Il est naturellement libertin. De santé précaire, il use dans la débauche son tempérament fragile. Pourtant l'occasion se présente de travailler, ou du moins de se ressaisir. Le 13 juin 1755, il est nommé en remplacement de son père Grand Veneur de France. Il prête serment à Compiègne et n'y songe plus. Cette haute dignité le laisse indifférent. Pour le préparer à la charge de Grand Amiral, dans l'avenir, le duc de Penthièvre invite de vieux capitaines de vaisseaux. A table, entre eux et le Père Imbert, son imagination s'agite à vide. Il n'écoute pas ces techniciens dogmatiques qui l'importunent. Il étouffe. Il lui faut de l'air libre pour n'être pas asphyxié par l'atmosphère monacale qu'il respire entre ces murs. En cachette d'abord, puis cyniquement, il s'échappe, la nuit. Instruit de ses fugues, le duc fait suivre son fils par un laquais. Très vite, le prince découvre l'espionnage dont il est l'objet. Il aborde le domestique : Combien mon père te donne-t-il pour me suivre ? — Cinquante livres, monseigneur. — Eh bien, moi, mon ami, je te promets cinquante louis pour n'en rien faire et cinquante coups de canne si tu persistes. Le laquais n'hésita pas ; il trouva une solution qui accordait avec son devoir ses intérêts. Afin de ne pas manquer de respect ni d'obéissance envers son maitre, il continua sa filature si adroitement qu'au lieu de toucher un seul salaire, il en reçut deux. Au duc, il racontait que son fils se cachait pour faire de bonnes œuvres et, sans doute, le saint homme ajouta foi à ce mensonge, car désormais le prince de Lamballe put courir l'aventure sans être inquiété. Au Père Imbert il substitua en qualité de mentor le duc de Chartres qui l'initia à des plaisirs qui, à en croire Mme Campan — elle ne le ménage guère — étaient fort éloignés des doux et chastes divertissements autorisés par le duc de Penthièvre. Louis-Philippe-Joseph, duc de Chartres, né à Saint-Cloud le 13 avril 1747, était le contemporain à quelques mois près du prince de Lamballe. Il lui servira d'exemple contagieux et, à s'en référer à certains racontars de l'époque, il sera son âme damnée. Son père, le duc Louis-Philippe d'Orléans, passe pour un prince pacifique. On parlera de son mariage clandestin avec Mme de Montesson. Plus sévère se montre l'opinion pour la duchesse, sa mère, née Henriette de Bourbon-Conti. Ne va-t-on pas jusqu'à la nommera la Messaline de son siècle et ne prétend-on pas qu'elle choisit, sous les galeries du Palais-Royal, ses amants de rencontre ? On murmure même, sous le manteau, que son fils aurait pour père un cocher. Jeune, il est beau et il en profite : son physique justifie presque et explique ses succès dont il tire vanité, sans s'y arrêter. Les maîtres les plus éminents de son temps président à son éducation et s'ingénient à la soigner. Tentative inutile : le duc de Chartres se montre rebelle à tout travail suivi. Aujourd'hui, on dirait qu'il était sportif ; alors, on louait son adresse aux exercices physiques. Chasseur, cavalier, nageur et en plus danseur accompli, sa belle tenue fait l'admiration de tout le monde ; on loue sa souplesse, son élégance, sa force. Il n'a, par contre, aucune valeur morale et il s'en flatte. Mais son cœur a beau être sec et dur, il inspire les amitiés les plus vives. Grand seigneur, il ne manque pas de bonté envers ses serviteurs. Il lui plaît d'être réputé insensible. N'était-ce l'allure qu'il tient de sa naissance, la manière, comme dirait M. Henri Lavedan, il paraîtrait d'âme vulgaire. Il fréquente la plus vile canaille qui s'entend à flatter son goût du luxe bas et à lui donner des leçons de démagogie. Escorté par ses amis, dont le prince de Lamballe, il s'amuse, tout comme un garnement des rues, à briser les vitres, la nuit, et à démolir les réverbères. La police l'arrête-t-elle, il décline son nom avec arrogance et exhibe ses titres ; aussitôt il est relâché. Aucun embryon même d'un sentiment délicat. C'est un débauché : la fameuse Duthé devient sa première maîtresse et il l'abandonne presque aussitôt pour lui préférer n'importe quelle courtisane. Et le prince de Lamballe, imitant ce chef de file, ne s'attache lui non plus à aucune femme ; il satisfait ses caprices, au hasard d'une rencontre. Il fait la fête, bêtement, bruyamment, en noceur vicieux. Il court les petites maisons, rues Neuve-Saint-Étienne, de Valois, du Rouvre, puis hypocritement il va s'asseoir à sa place au banc d'œuvre de Saint-Eustache. Si à l'écart qu'il vive du monde, on se figure difficilement que le duc de Penthièvre n'ait point perçu les rumeurs que soulevait l'inconduite de son fils. Faisait-il la sourde oreille ou bien, ce qui paraît plus probable, espérait-il un éveil de conscience qui rendrait le prince aux idées de sa famille ? Il possédait cet optimisme volontaire qu'accorde une confiance aveugle qui entretient jusqu'aux illusions et qui va contre l'évidence. Un orgueil peut-être inconscient l'invitait-il à croire que l'exemple de sa propre dévotion suffirait pour maintenir dans la bonne voie un jeune homme impatient de s'affranchir ? On se représenterait non sans peine un personnage doué de si hautes vertus, systématiquement aveugle sur sa descendance, s'il n'avait été en quelque sorte victime de ses vertus mêmes, par naïveté ou plutôt par habitude. Sans absoudre de ses fautes le prince de Lamballe, on ne saurait se défendre de chercher pour lui une excuse dans cette sorte d'abandon familial où il vivait, au milieu de figures austères comme des portraits d'ancêtres. Intransigeant sur le devoir, le duc de Penthièvre ne devait pas se contenter de si peu de garanties pour fondements au foyer qui exposait à devenir la proie d'un libertin la plus pure et innocente princesse. Il est vrai, le duc de Penthièvre, quelques années plus tard, consentit au mariage de sa propre fille avec le duc de Chartres.... Au cours d'un voyage en Italie, il avait rencontré Marie-Thérèse de Carignan. Aucune critique n'entachait sa réputation : elle lui parut être désignée par la Providence pour assurer le salut de son fils. Dès lors, il commença ses négociations, imposant silence à ses scrupules et, pour le reste, s'en remit à la Providence. Il avait été frappé assez cruellement pour que sa maison fût protégée contre de nouvelles épreuves. Le prince de Lamballe avait alors dix-neuf ans. Le projet d'un tel mariage ne lui déplaisait pas. Il y avait là pour lui une émotion nouvelle qui ne manquait pas d'attrait ; une jeune fille, de la condition de celle-ci, était pour lui l'objet d'une séduction particulière. Au surplus, il ne considérait nullement comme définitif l'engagement qu'il allait solennellement contracter. On lui présenta le portrait de Marie-Thérèse et il dut prendre conseil de ses acolytes habituels, du duc de Chartres en particulier. Le Jugement fut favorable : cet air ingénu, ces prunelles claires, cette carnation fraîche, cette expression tendre, mélancolique, cette chevelure, tout était fait pour déterminer le choix d'un voluptueux. Les démarches ayant abouti, Louis XV ayant approuvé, le roi de Sardaigne déclara solennellement, le 14 janvier 1767, le mariage de Mlle de Carignan avec le prince de Lamballe aux chevaliers de l'Annonciade, aux grands de son royaume, aux officiers de la couronne, aux principaux seigneurs. Le collier à émaux rouges de l'Annonciade tombant sur ses épaules, quoique souffrant et toussant, Charles-Emmanuel III assiste à la cérémonie. Il a voulu donner à la France et à sa nièce ce témoignage de son attachement et de sa sympathie. Il a l'air morne. Devant lui, autour d'une table ont pris place le prince et la princesse de Carignan, les princesses Louise et Marie-Thérèse, accompagnées de leurs parents, le duc et la duchesse de Savoie, Joseph-Louis Caissoti, marquis de Verdun, comte de Sainte-Victoire et de Sainte-Marie faisant fonction de notaire royal, les Chevaliers de l'Annonciade et le Ministre d't.tat. Face à. face Marie-Thérèse de Carignan et son frère Victor représentant le prince de Lamballe. Le greffier Despino, invité par le chevalier Piozzo, maître des cérémonies, se lève et lit le contrat. Le prince de Lamballe apporte 1.238.000 livres provenant de l'héritage de sa mère, ses émoluments de Grand Veneur, soit 50.000 livres, 50.000 autres promises par Louis XV, 150.000 offertes pour l'honneur d'appartenir à Sa Majesté Très Chrétienne. De son côté, le duc de Penthièvre assure à la princesse un revenu de 30.000 livres par an pour sa cassette personnelle. En monnaie du Piémont, la fiancée apporte 150.000 livres. Le trousseau est évalué dans la même monnaie à 15.000 livres. Il est entendu qu'elle renoncera à toute succession directe ou collatérale en faveur de ses frères. Cependant que se poursuit la lecture, Marie-Thérèse de Carignan, comme la plupart des jeunes filles qui songent seulement à être heureuses, n'écoute pas. Elle observe le roi qu'agacent de légères erreurs d'étiquette. Le paragraphe relatif à la mort éventuelle du prince de Lamballe, qui soulève la curiosité, n'a pas l'air de l'émouvoir. Tout est invraisemblable pour elle. Elle se croit encore à Raconigi, en train de jouer la comédie. Au fond d'elle-même s'éveille pourtant un vague émoi : bientôt, elle partira, quittera ses parents, ses frères, ses sœurs, Turin.... Elle ne connaît pas ce prince de Lamballe, dont elle a vu seulement l'image, qui l'a charmée, mais de qui elle ne sait rien, sinon qu'il est le fils du duc de Penthièvre. Ce titre lui suffit pour l'apaiser, et déjà elle envisage l'avenir sous de souriantes couleurs : le duc est bon, infiniment bon ; il est pieux ; il est charitable ; près de lui, elle est assurée de trouver un refuge. Elle chérira Mlle de Penthièvre à l'égal d'une sœur.... Son frère doit lui ressembler, puisqu'il a subi les mêmes et saintes influences. Les sourdes agitations se taisent et elle rêve des fêtes qui se succéderont à Turin et à Paris, de ces féeries qui la porteront sur des rayons vers le bonheur. Après la signature du contrat, elle eut avec sa mère un court entretien. Elle dit, tout émue : Oui, je l'aimerai ; sa physionomie est aimable ; elle accuse un caractère franc et sensible : d'ailleurs, il est doux d'aimer son époux. La princesse de Carignan avait-elle eu vent des débauches du prince de Lamballe et, en pareille minute, lui en souvint-il ? Elle répondit avec sagesse, peut-être pour ralentir l'enthousiasme de sa fille : Puissiez-vous passer avec lui des jours aussi heureux que ceux que le ciel avait accordés au duc de Penthièvre ! Eut-elle en cet instant un pressentiment, une secrète angoisse ? Eut-elle comme un remords d'avoir lié le sort de sa fille et se reprochait-elle l'ambition à laquelle elle avait cédé ? Elle connaissait le cœur de Marie-Thérèse, romanesque, romantique avant la lettre, et elle prononça, après l'avoir mise en garde contre l'amitié qui unissait son fiancé au duc de Chartres : N'employez jamais que la voix de la persuasion.... Il ne faut pas vous imaginer que le mariage n'en cause jamais — de peines secrètes —. Si ces propos sont exacts, — ils sont rapportés par Mme Guénard dont le témoignage est suspect, — ils dénotent dans l'âme des parents qui chérissent leur fille une clairvoyance singulière et une poignante et tardive angoisse. Mais Marie-Thérèse ne peut saisir le sens de ces mots-là ; elle est toute à la joie. La miniature du prince de Lamballe ne reproduisait pas son teint bistré, ses lèvres pendantes, son expression lassée. La princesse Marie-Thérèse de Carignan marchait à l'autel nuptial, les yeux bandés, comme une victime expiatoire. |