VANNES - LAFOLYE - 1895.
Que ce titre ne scandalise pas les lecteurs de la Revue du Bas-Poitou ! Habitant pour la plupart le pays qui fut le théâtre de l’insurrection vendéenne, familiers avec les détails de son histoire, ils connaissent aussi bien et mieux que moi les événements que je vais rappeler ; peut-être connaît-on moins la légèreté, l’audace et, je pourrais ajouter, la mauvaise foi avec laquelle ces événements ont été exploités, ou plutôt dénaturés, et le sont encore tous les jours, par certains patrons des faux dauphins. La thèse de la Survivance, comme on est convenu de l’appeler, compte encore une petite légion de défenseurs. Je ne les confonds point dans un commun dédain. Quelques-uns — je ne parle pas ici du troupeau des crédules, mais de ceux, bien rares, qui ont étudié ou croient avoir étudié la question — sont assurément sincères ; d’autres, plus rares encore, ont mis, au service de leurs illusions, des recherches et une ingéniosité dignes d’une meilleure cause. J’en sais même un ou deux qui se sont cru obligés de déguiser sous des pseudonymes des noms honorablement connus dans les lettres. Le tort ou le malheur de tous, de tous sans exception, c’est d’avoir méconnu les règles de la critique historique véritablement sérieuse en rejetant de parti pris les documents les plus irréfragables quand ils contredisaient leur thèse, et de l’avoir, aussi de parti pris, constamment appuyée sur des pièces apocryphes, sur des autorités nulles ou suspectes, sur de prétendues traditions de famille qui n’étaient au fond que des hochets de vanité ou des racontars sans base ni garantie. Le journalisme, qui a trop souvent la prétention de tout savoir sans avoir rien appris, a mêlé sa note criarde à ce concert, tantôt par spéculation sur l’enjouement du public pour tout ce qui est étrange et merveilleux, tantôt par manie de contredire et de régenter les opinions généralement reçues, le plus souvent par légèreté. J’en parle avec quelque expérience. Depuis plus de vingt ans je m’occupe de la question Louis XVII ou de la Survivance. J’y ai consacré plusieurs études qui n’ont pas été inaperçues[1], malgré le peu de publicité que j’avais cru devoir leur donner, et qui m’ont valu, de la part de ceux de mes adversaires à l’estime desquels je tiens, d’honorables témoignages dont j’ai le droit d’être fier, en même temps qu’elles provoquaient de la part des autres des insinuations ou même des attaques injurieuses auxquelles j’ai dédaigné de répondre[2]. Les lecteurs dont j’ai l’honneur d’être connu savent si j’ai apporté, dans l’étude de cette question historique comme de toutes celles auxquelles mon nom a été mêlé depuis tantôt soixante ans, une sincérité complète et le désintéressement le plus absolu. Je ne voudrais point ici reprendre dans leurs grandes lignes ni la question de la mort au Temple du jeune Louis XVII, le 8 juin 1795, ni celle des mensonges, plus ou moins grossiers, jetés à la crédulité publique par les imposteurs qui ont eu la prétention posthume de se substituer à ce malheureux prince. Je me borne à détacher de leurs romans un chapitre — un seul — celui de la fuite et du séjour en Vendée, en 1794 et 1795, du jeune Louis XVII. Constatons tout d’abord que les prétendants les plus accrédités ont tous et comme à l’envi adopté cette version ; qu’il s’agit ici de faits qui leur auraient été absolument personnels, sur lesquels, par conséquent, il leur est impossible de se tromper de bonne foi ; que leurs affirmations, sur ces faits, ne peuvent être fausses sans que, par contre-coup, leur système lui-même ne le devienne tout entier[3] : semel mendax, semper mendax ! Or, je vais établir que le séjour de Louis XVII en Vendée et toutes les circonstances dont on a voulu l’embellir sont absolument faux, et même impossibles. Comme garantie d’exactitude, j’ose invoquer le témoignage des rédacteurs, des lecteurs de la Revue du Bas-Poitou, de tous ceux — Blancs ou Bleus — qui savent l’histoire vendéenne. C’est dans un recueil, qui est un de leurs organes les plus sérieux et les plus estimés, au cœur même du pays où les faits se seraient passés, au milieu des familles qui y auraient pris part, que je pose ma thèse. Enfin, à la différence de nos adversaires, qui se dérobent le plus souvent sous des pseudonymes et qui, parfois même, en emploient plusieurs pour une seule plume, je signerai ces pages : double preuve, ce semble, de ma sincérité et de ma confiance dans la solidité de mes raisons. Je m’efforcerai d’être aussi précis que possible. Toutes mes citations seront faites le volume et la page sous mes yeux. En retour, je demande à mes contradicteurs, si je dois en avoir, des faits, des noms, des dates, des citations exactes et même textuelles. Est-ce trop ? Je les prie aussi — dans l’intérêt même de leur cause — de déblayer enfin le champ de la discussion de ces références à des Mémoires revêtus de noms illustres, mais en réalité et de notoriété publique tout à fait apocryphes, dont le pauvre Gruau et ses successeurs l’ont encombré trop longtemps. Sortons, s’il se peut, du roman pour entrer dans l’histoire véritable. Enfin, qu’on ne me demande pas de voir avec M. Henri Provins[4], et même M. Jules Favre, dans l’invraisemblance même des systèmes des prétendants un premier indice de vérité, l’étrangeté de ces systèmes ayant dû frapper tout d’abord les prétendants eux-mêmes et les détourner de mensonges trop compromettants. Sur ce terrain, on ne sait guère à qui de Richemont ou de Naündorff resterait l’avantage : il y a entre eux un véritable assaut de hâbleries grotesques, d’impudents mensonges, d’extravagances sans nom. Chez tous les deux, même enchevêtrement d’aventures romanesques, substitutions, prisons, délivrances, combats, déguisements, amours princières, empoisonnements, vols, assassinats, reconnaissances, miracles même[5] ! à faire pâmer d’aise ou frissonner d’épouvante une légion de vieilles portières ! On pourrait répondre à M. Provins qu’il est permis aux honnêtes gens de ne pas comprendre toujours les calculs de ceux qui ne le sont pas. Il faut bien reconnaître, d’ailleurs, que les aventuriers, en prenant position, en lançant leurs ballons d’essai dans un monde crédule et borné, ne calculent pas toujours la suite de leur témérité et deviennent, par le succès même de leurs premiers contes, si insensés qu’ils soient, prisonniers de ces contes mêmes. C’est l’histoire des charlatans de tous les ordres et de toutes les époques. Malheureusement, ils sont suivis par d’honnêtes gens, parfois même par des gens d’esprit, qui, dans l’embarras de faire un tri dans le bloc, comme on dit aujourd’hui, l’acceptent... ou le subissent... tout entier[6]. Pour plus de clarté dans notre discussion, nous examinerons successivement les circonstances qui concernent : 1° L’enlèvement supposé du Temple ; 2° Le voyage de l’enfant en Vendée ; 3° Son séjour ; 4° Sa fuite. Nous n’appliquerons, d’ailleurs, nos observations qu’à quatre noms principaux, deux déjà anciens, Hervagault et Bruneau, et deux plus récents, Richemont et Naündorff ; les autres prétendants n’ont été pris au sérieux par personne et ne valent pas qu’on s’y arrête. Nous montrerons dans un rapide avant-propos que leurs systèmes à tous les quatre procèdent du roman de Regnault-Warin, Le Cimetière de la Madeleine. AVANT-PROPOS C’est en 1800 que, le premier, dans son roman Le Cimetière de la Madeleine[7], Regnault-Warin posa carrément cette thèse de l’enlèvement que devaient adopter, avec quelques variantes, tous les faux dauphins. L’enlèvement aurait eu lieu très peu de temps avant la mort supposée du jeune prisonnier, c’est-à-dire dans les premiers jours de juin 1795. L’agent principal aurait été un certain Felzac, émissaire de Charette, envoyé directement à Paris pour organiser cet enlèvement et qui, en se liant avec un élève du chirurgien Desault et avec Desault lui-même, aurait trouvé moyen de pénétrer dans le Temple : Felzac deviendra bientôt Louis de Frotté. Felzac aurait introduit dans le corps d’un cheval de bois destiné à amuser le jeune prisonnier un enfant malade et, pour surcroît de précaution, endormi avec de l’opium ; il l’aurait adroitement substitué au Dauphin, qu’il aurait lui-même emporté, caché dans la manne à double fond qui avait contenu le cheval (chap. IV, p. 88 et suiv.). Le romancier conduit ensuite son héros, toujours sous la garde de Felzac, en Vendée près de Fontenay, au quartier général de Charette qui le fait proclamer roi. Nous reviendrons tout à l’heure sur les détails de son odyssée fantastique que la mort, après des aventures bucoliques, militaires et surtout bizarres, terminera dans une nouvelle captivité. HERVAGAULT (Jean-Marie) est le fils d’un petit tailleur de Saint-Lô. Il a étudié dans la prison de Vire le roman de Regnault-Warin et s’en approprie, comme on va le voir, la plupart des détails. Il sera condamné trois fois pour vagabondage et escroqueries et finira par mourir à Bicêtre[8]. BRUNEAU (Mathurin), né à Vezins en 1784, sabotier, est à moitié fou et de plus d’une crasse ignorance. C’est ainsi qu’il soutiendra jusque devant la justice qu’il a pris part à l’affaire des Aubiers (avril 1793), antérieure de plusieurs mois à toute évasion possible. Mais tout fou, tout ignorant qu’il est, il remplira le rôle qu’il a, lui aussi, appris dans Le Cimetière de la Madeleine, avec un succès extraordinaire. Il aura des partisans, une cour véritable. Ce qui est plus étrange encore, il trouvera moyen de se faire reconnaître — car il joue successivement plusieurs personnages — comme l’enfant d’une veuve Philippeaux dont le fils avait disparu depuis longtemps et de lui soutirer toutes ses économies, une somme de 600 francs[9]. Bruneau, comme Hervagault, sera condamné pour escroquerie. Il mourra au Mont-Saint-Michel vers 1825[10]. RICHEMONT, sorti on ne sait d’où, ayant pris successivement les noms de Hébert, Giovanni, de France, baron Augustin Picted, Legros, Bana Bénard, comte de Saint-Julien, colonel Lemaître, Henri de Transtamare, prince Gustave, baron Richemont ; condamné par la Cour d’assises de la Seine à 12 ans de détention pour complot contre la sûreté de l’État et délits de presse (1834), sous le nom de Hébert, sans qu’on ait jamais bien su si c’était le véritable ; mort au château de Gleizé, le 10 août 1853. Personnage à peu près insaisissable sous les nombreux pseudonymes dont il s’était affublé et au milieu des vantardises, des mensonges, des contradictions dont fourmillent les publications faites par lui-même ou dans son intérêt. Par une tactique hardie, son dernier biographe, Le Normant des Varannes, a jeté prestement par-dessus le bord, non seulement les récits des Richemontistes, ses devanciers, comme Suvigny[11], et Claravali[12], qu’il nomme à peine, mais Richemont lui-même. — Il déclara que Richemont avait faussé sciemment vingt années de son existence depuis sa sortie du Temple jusqu’à sa captivité à Milan. Singulière façon, pour le dire en passant, d’accréditer la sincérité de Richemont pour les temps qui l’ont précédée et suivie, que d’être forcé d’avouer que ses récits, pendant une période de vingt ans, ne sont qu’un long mensonge[13] ! NAÜNDORFF (Charles-Guillaume). Il y a entre nos quatre charlatans certains points de ressemblance. Tous les quatre auront été condamnés pour crimes ou délits de droit commun ; Naündorff, comme les autres, à trois ans de prison pour fausse monnaie. De même aussi que Richemont, pour élargir sa clientèle aristocratique et sacerdotale, s’était posé en combattant de Juillet et en franc-maçon, ainsi Naündorff, dont les doctrines affichent aujourd’hui la plus rigoureuse orthodoxie, non content de se séparer scandaleusement, avec les principaux d’entre eux, de l’Église romaine, s’était fait le chef d’une église catholique évangélique, mélanges de protestantisme, d’illuminisme et d’humanitarisme ; il publiait de gros volumes d’insanités et de blasphèmes contre la papauté, les saints, la Sainte Vierge, le purgatoire, la présence réelle et même la divinité de Jésus-Christ[14]. Les évêques et le pape lui-même condamnèrent ses doctrines ; il ne se rendit pas. Nous ne reviendrons pas ici sur ses relations avec l’Œuvre de la Miséricorde dont les deux chefs principaux, Vintras et Godefroy, devaient, eux aussi, éprouver les justes sévérités de la police correctionnelle pour cause d’escroquerie, et n’en sont pas restés moins chers à leurs anciens coreligionnaires. Naündorff mourut à Delft, le 18 avril 1845. Après lui, Gruau, se disant comte de la Barre par la grâce du prétendant, continua à diriger le parti. Il publia de gros factums en faveur de la Survivance[15] ; il fut l’instigateur des procès dirigés par les héritiers Naündorff contre les Bourbons de la branche aînée, plaidés avec retentissement par Jules Favre et finalement perdus tous les deux. Longtemps, il fut l’oracle du parti. On exaltait jusqu’aux nues son dévouement et ses capacités[16]. Aujourd’hui, on le désavoue, on le renie. Il aurait été le mauvais génie du prince et de sa famille... ses écrits seraient détestables[17]... Pourquoi ? Nous ne le savons pas ; mais nous prenons acte de cette évolution. Entrons maintenant dans quelques détails. I. — L’ENLÈVEMENT Trois questions se posent naturellement ici : à quelle époque cet enlèvement aurait-il eu lieu ? Par qui et à l’aide de quels moyens aurait-il été exécuté ? Nous allons constater sur un point, non seulement les erreurs, mais les contradictions et les divergences de nos adversaires. Date. — Le roman avait fixé l’enlèvement à une époque très voisine de la mort officiellement constatée de l’enfant du Temple (8 juin 1795). Hervagault et Bruneau l’avaient suivi. Richemont, dans ses premiers Mémoires[18], suppose qu’il était déjà libéré et même sorti de France en 1794 (p. 35). C’est tout simplement absurde. En 1834, devant la Cour d’assises de la Seine, il se refuse à toute explication : il n’ose pas affirmer qu’il est le fils de Louis XVI, il croit l’être, et rien de plus. En 1850, son biographe Claravali donne la date précise du 19 janvier 1794 (p. 110, 122). On s’était aperçu un peu tard que les époux Simon, gardiens de l’enfant, avaient quitté le Temple ce jour-là, et comme on en voulait faire des complices de l’évasion, il fallait la faire rétrograder jusqu’à cette date[19]. Le Normant des Varannes est forcé de l’accepter aussi (p. 17). Quant à Naündorff, il est bien d’accord avec son compétiteur pour soutenir qu’il aurait été enlevé de sa prison dans l’hiver de 1793-1794, mais pendant que son principal confident, Gruau, précise la date du 19 janvier 1794[20], ses autres auxiliaires, Provins (t. I, p. 100) et Otto Friedrichs (p. 30), la répudient comme absolument fantastique. Enlevé de sa prison ? non pas précisément, mais transporté d’un étage à un autre de cette prison et caché dans les combles du Temple, pendant que, dans son cachot primitif on lui aurait substitué tout d’abord un mannequin (sic) habilement façonné à son image, puis à ce mannequin un enfant muet, puis à cet enfant muet un autre enfant scrofuleux... et cette funèbre et dangereuse comédie aurait duré dix-sept mois entiers, de janvier 1794 à juin 1795 !... Et c’est après cinquante ans qu’éclate subitement, comme une bombe, ce beau système, dont Jules Favre, tout en le couvrant des fleurs de sa rhétorique, devant les tribunaux, était forcé de confesser l’invraisemblance[21], que la Cour de Paris a justement flétri comme frauduleux dans son arrêt du 28 février 1874, et que, de mon côté, j’ai bien le droit de qualifier d’absurde ! Rappelons ici que Naündorff avait eu l’audace de produire, comme preuve de l’enlèvement du 19 janvier 1794 et de son séjour dans les combles du Temple, trois lettres qu’il attribuait à Laurent, l’un de ses gardiens. Ces lettres qui portent les dates des 7 novembre 1794, 5 février et 3 mars 1795, et sont adressées à un général, sous couleur d’annoncer, de préparer le prétendu enlèvement, elles ont pour objet rétrospectif d’établir qu’il aurait eu lieu. Pour qui sait lire entre les lignes, on voit qu’elles s’adressent, non à un complice, mais au public[22]. On avait d’abord affirmé qu’elles étaient envoyées au général de Frotté. Or, aux dates des 7 novembre 1794, 5 février et 3 mars 1795, non seulement Frotté n’avait pas le titre de général qu’il ne reçut que beaucoup plus tard, mais il n’était même pas en France, et plus tard, dans ses épanchements les plus intimes, il se défendait de toute participation à l’enlèvement prétendu. Il fallut alors chercher un autre destinataire. On en trouva même plusieurs. Louis Blanc indiqua Barras[23] ; Provins, plus hardi, le général Hoche (t. I, p. 100, 313 et suiv.) ; Jules Favre dans son plaidoyer (p. 222) à un général quelconque. Quant à Otto Friedrichs, en rejetant la date du 19 janvier 1794, assignée à l’évasion par ses coreligionnaires, comme absolument fantastique (p. 30), il n’en précise pas une autre. Louis Blanc avait dit que ces lettres doivent être écartées du débat. Nous avions répondu : Elles doivent y rester comme pièces fausses, comme l’œuvre d’un faussaire et comme la condamnation honteuse des prétentions du fabricateur. Nous le répétons volontiers. Agents d’exécution. — Nous avons vu que Regnault-Warin désignait Felzac, émissaire de Charette ; il lui donnait comme complice, moitié volontaire et moitié forcée, la gardienne de l’enfant. D’après Hervagault, les organisateurs du complot auraient été, en dehors du Temple, Frotté, Guerville, du Châtellier et un abbé Laurent, aumônier du ci-devant prince de Talmont ; à l’intérieur, agent unique, le blanchisseur de la prison[24]. C’est également à Frotté que Bruneau attribuera l’honneur de sa délivrance[25]. Richemont de même ; mais il adjoint à Frotté toute une légion d’auxiliaires et quels auxiliaires ! Un certain Jenais Ojardias, prétendu médecin, absolument inconnu en dehors de ce rôle ; un maçon, du nom de Paulin, dont les partisans de la Survivance eux-mêmes ont constaté les commérages et les mensonges[26] ; Laurent, un des gardiens ; Barras ; Cambacérès ; Carnot !! Rappelons-nous aussi que Richemont fixe l’enlèvement au 19 janvier 1794, au lieu de juin 1795, comme ses prédécesseurs. Nous en avons dit la raison. Joséphine aurait été la confidente et la complice de la délivrance ; le prince de Condé, du fond de l’Allemagne, le directeur[27]. Avec Naündorff, nous nous trouvons, comme nous venons de le dire, en présence de deux évasions ou plutôt de deux enlèvements distincts : l’un en janvier 1794, l’autre en juin 1795, et à tous les deux on mêle le nom de Frotté. Dans le premier, il aura contribué à introduire au Temple un enfant étranger et à le substituer au petit prisonnier ; dans le second, on aura emporté ce dernier toujours vivant à la place du cadavre de l’autre, et le tour aura été joué ! Joséphine et Barras sont les chefs du complot : Les généraux Hoche, Frotté, qui n’était à Paris ni en janvier 1794 ni en juin 1795, Pichegru et Charette forment avec eux le comité libérateur[28]. Les Naündorffistes ne nomment pas les agents subalternes, sauf le gardien Lasne, le même qui a toujours affirmé la mort du Dauphin. Le chirurgien Desault aurait connu l’enlèvement sans y prendre part (Survivance, p. 44). Ils glorifient Hoche à raison de sa complicité supposée dans une intrigue que la morale ordinaire qualifierait de trahison[29]. Des moyens de sauvetage qu’auraient employés ces prétendus libérateurs, nous avons peu de chose à dire. Ils procèdent presque tous du roman de Regnault-Warin ; c’est le cheval en bois ou en carton dans le ventre duquel on aurait caché un enfant pour l’introduire dans le Temple ; un second cheval plus extraordinaire encore qui aurait servi à en faire sortir le Dauphin, et dont Richemont n’a pas dédaigné de nous donner la description pittoresque[30] ; c’est la manne à double fond ; c’est aussi un paquet de linge, blanc suivant les uns, sale suivant les autres, dans lequel on aurait enveloppé l’enfant ; c’est enfin — invention personnelle de Naündorff — après un séjour de dix-sept mois entiers dans les combles du Temple, le 8 juin 1795, le Dauphin que l’on substitue dans son cercueil à l’enfant qui lui avait été substitué ; le Dauphin qui est lui-même remplacé par des liasses de vieux papiers ; le Dauphin que l’on glisse dans un double fond pratiqué sous le corbillard et qui, le simulacre d’enterrement à Sainte-Marguerite opéré, sort de Paris vivant et libre[31] ! Est-ce assez d’extravagances et d’insanités ? Dans le roman, c’est Felzac qui conduit en Vendée le jeune prince déguisé en fille (p. 94). Il s’adjoint une jeune gouvernante du nom de Charlotte. Incidents grotesques à propos du sexe de l’enfant que veulent vérifier des gendarmes trop curieux. Arrestation ; combat ; victoire finale des fugitifs. Hervagault racontait aussi que Frotté, du Châtellier et l’abbé Laurent l’auraient conduit en Vendée et remis aux mains de Charette. Il se taisait sur les prétendus incidents du voyage. Bruneau, au contraire, les relatait textuellement d’après Regnault. Richemont ne les précisait pas tout d’abord ; mais Claravali, plus hardi, nous apprendra que le jour même de l’enlèvement (19 janvier 1794), l’enfant quitta Paris pour être conduit par le comte de Frotté et Ojardias, dans les provinces de l’Ouest, la Bretagne et le Bas-Poitou (p. 114, 122) ; ce qui, pour le dire en passant, est assez peu compréhensible. M. Le Normant admet également le départ immédiat. Il a toutefois découvert une nouvelle gouvernante. À Longjumeau, l’enfant aurait été
remis à une Vendéenne du nom de Françoise Desprez[32], convoquée par Charette pour le chercher et qui resta
attachée à son service pendant le court séjour qu’il fit à l’armée de l’Ouest.
(p. 18) Assertion absolument gratuite, se produisant pour la première fois près d’un siècle après les événements, et à l’appui de laquelle les Richemontistes ne peuvent fournir l’ombre d’une preuve. Naündorff, de son côté, ne voudra pas rester en arrière. Il renchérira même sur ses devanciers. Il produira une autre gouvernante de son cru, véritable défi au bon sens des lecteurs, ce sera la veuve d’un Suisse tué au 10 août, laquelle aurait trouvé moyen de se faire incorporer dans la garde nationale et qui, sous l’uniforme civique, aurait déjà entretenu quelques relations avec les captifs du Temple. (Survivance, p. 44, 47, 48[33].) Un point du moins sur lequel Regnault, Hervagault, Bruneau, Richemont et Naündorff s’accordent, c’est la participation personnelle et directe de Frotté à la translation dont il s’agit. Mensonge collectif, auquel nous opposons une seule et catégorique réponse : En janvier 1794, Frotté n’était pas en France, mais en Angleterre ; en juin 1795, il était en Normandie, au milieu de son armée, tout occupé de l’organiser, et livrant ses premiers combats. II. — EN VENDÉE Nous arrivons au point capital de notre discussion, et de nouveau nous appelons le contrôle le plus scrupuleux, le plus sévère, des lecteurs de la Revue sur nos observations. Ce ne sont plus seulement les contradictions existant entre le système des divers prétendants ou même dans chacun de leurs systèmes, les invraisemblances et les insanités dont ils fourmillent, que nous allons dénoncer, mais la production de pièces matériellement fausses, la falsification de certains textes, d’audacieux démentis aux données les plus positives de l’histoire. C’est toujours Regnault-Warin qui va ouvrir la marche. En peu d’heures, dit son héros (Felzac), nous arrivâmes à Fontenay, occupé par le quartier général de l’Armée catholique et royale, auquel j’avais dépêché un courrier. La garnison était sous les armes ; de toutes parts retentissait le bruit d’une canonnade d’allégresse. Charette, accompagné de ses généraux, vint recevoir le jeune roi et déposer aux pieds de Sa Majesté le glaive tiré pour sa querelle. Charles, prenant ce fer, s’empressa de le remettre dans le fourreau, et dit avec autant de grâce que de sensibilité : Je l’aime mieux là. Le général répondit qu’il était prêt à tout faire pour qu’il n’en sortît plus. Le soir, il y eut une illumination universelle, et le jour d’ensuite fut fixé pour l’inauguration du nouveau monarque. Cette cérémonie eut lieu en effet et fut célébrée dans l’église paroissiale de Fontenay. Le procès-verbal du sacre administré au fils de Louis par l’évêque de S. XXXXXX dans la tour du Temple avait été envoyé à Charette ; il fut lu par ce chef des insurgés. Le nouveau potentat prêta serment aux constitutions de l’État, et reçut celui des personnages désignés pour représenter les Ordres. D’abondantes distributions en argent et en comestibles, une nouvelle illumination, des danses prolongées bien avant dans la nuit terminèrent cette solennité. Louis fut logé dans le château avec sa gouvernante, quelques personnes de confiance et nous. La garde de sa personne fut remise à une nombreuse et vaillante division de l’armée. (IV, p. 116.) Ce récit avait été adopté par Hervagault (t. II, p. 146), avec la substitution de Belleville à Fontenay, comme théâtre de la scène (t. I, p. 170) : mais il est tellement extravagant que ni Bruneau, ni Naündorff lui-même n’ont osé se l’approprier. Richemont a été plus hardi ; Claravali, un de ses biographes, nous le montre en 1794, au quartier général de Charette, passant en revue l’armée royaliste (p. 114) ; puis reconnu à Beaupréau par les chefs vendéens réunis à cet effet (p. 115, 116). Proclamation, revues, reconnaissances, tout cela est également faux, impossible même. Ces faits se seraient passés au grand jour, sous les yeux d’une population entière ; des centaines, des milliers de témoins devraient en déposer, et vous n’en produisez pas un seul[34] ! Les nombreux historiens qui, depuis un siècle, ont écrit l’histoire de la Vendée, auraient dû les connaître, — et pas un d’eux n’y fait la moindre allusion, pas un seul ! Chefs et soldats, acteurs et simples spectateurs, ont laissé des mémoires intimes, secrets, livrés aujourd’hui à une publicité à laquelle ils n’étaient pas destinés, — et pas un d’eux n’en parle, pas un seul ! Les correspondances républicaines ont livré tous leurs secrets, non seulement ceux des administrateurs, des représentants, des magistrats, des militaires, mais ceux des insurgés, leurs ennemis, les projets, les espérances, les illusions de ces derniers ; les Archives nationales et les Archives de la Guerre, celles des départements ont été fouillées dans tous leurs recoins ; les recueils de Savary, de Chassin, de du Chatellier sont là... et dans l’immensité de ces documents, pas une trace de ce séjour si bien fait pour attirer tous les regards et toutes les préoccupations, — pas une ! En vain essaierez-vous timidement, gauchement d’expliquer cette conspiration du silence par la mort de quelques-uns des témoins — tous n’étaient pas morts — ; par le besoin de soustraire le Dauphin aux recherches de ses ennemis — vous oubliez que vous avez dit vous-même que sa venue en Vendée aurait été annoncée et proclamée à grand bruit — ; par un dévouement superstitieux à la Monarchie — ce n’est pas en Vendée où l’idée monarchique fit tant de héros et de martyrs, que la légitimité véritable aurait été sacrifiée, de gaîté de cœur, à une légitimité fausse et criminelle. D’ailleurs, on ne bouche pas les oreilles, on n’étouffe pas la voix de tout un peuple ! Il est, d’un autre côté, historiquement certain que les Vendéens ne s’emparèrent jamais des Sables, dont il sera question plus loin, et qu’ils n’occupèrent Fontenay que pendant peu de jours, à la suite de leur victoire du 25 mai 1793. Charette, à ce moment, n’était même pas avec la Grande Armée. On le voit se joindre à elle aux affaires de Nantes, de Luçon, de Torfou, et, dès le commencement d’octobre, il prendra le parti qu’on lui a tant reproché, de se cantonner sur son propre territoire, en laissant aux autres chefs le soin et la responsabilité de défendre le leur[35]. Ni avec eux ni seul, il ne s’approcha jamais de Fontenay pendant la première guerre (1793-1794). Pendant la seconde (juin 1795 à février 1796), il se concentra encore davantage dans le Marais, réduit à des coups de main et absolument hors d’état d’essayer des pointes lointaines. Tout s’y passe autour de Legé, de Belleville, de Machecoul, à une grande distance de Fontenay, des Sables et de Beaupréau[36], et sa présence y est signalée pour ainsi dire jour par jour. Consultez les nombreux historiens de la Vendée, de toutes nuances, depuis Bourniseaux, le premier en date, jusqu’aux six gros volumes de l’abbé Deniau, en passant par Beauchamp, Crétineau-Joly et Muret ; les biographes spéciaux de Charette comme Le Bouvier, Desmortiers et Muret ; les recueils de documents de Savary et de Chassin ; consultez les histoires particulières de la ville de Fontenay[37], consultez la ville elle-même dont tous les habitants ont pu recueillir de la bouche de leurs pères ou de leurs grands-pères la tradition, relativement récente, de la période révolutionnaire... Je vous défie de trouver une ligne, un témoin pour appuyer cette affirmation mensongère de la présence à Fontenay du jeune roi, ni même de celle de Charette. Les républicains ne cessèrent pas un jour d’occuper cette ville qu’ils gardaient d’autant plus soigneusement qu’ils y avaient une partie de leurs magasins. (Savary.) Le principal ou plutôt le seul document produit pour établir le séjour de Louis XVII en Vendée, c’est la prétendue proclamation de Charette à ses troupes pour les rallier autour du jeune fugitif qui leur a été confié, et pour les détourner de la paix. La voici textuellement, telle qu’elle a été fabriquée par Regnault-Warin, d’après des souvenirs du Conciones, insérés par lui dans son roman Le Cimetière de la Madeleine (t. IV, p. 126), reproduite par Labreli de Fontaine d’abord, puis invoquée par les partisans de la Survivance. Charette à qui son discours fesait bouillonner le sang, fixait avec une inquiétude mêlée d’indignation ses perfides officiers. Que parlez-vous d’intérêt et de profit, s’écria-t-il ; qu’entendez-vous par des conditions lucratives ? Est-ce pour nous enrichir que nous fesons la guerre ? Sera-ce pour rétablir nos fortunes que nous ferons la paix ? Ne vous souvient-il plus du serment par lequel vous avez enchaîné vos destins à ceux du roi ? Ne sentez-vous plus palpiter vos cœurs au cri de l’honneur ? N’êtes-vous plus royalistes et français ? Eh quoi ! des usurpateurs siègent sur un trône inondé du sang de vos monarques, et tout le vôtre ne se soulève point ? Les bourreaux de Louis XVI, armés d’un poignard au lieu de sceptre, foulent d’un pied superbe la nation prosternée, et vous renoncez à la remettre debout et à les punir ? Pourquoi mendier, qu’est-il besoin d’attendre les secours tardifs et honteux de l’Angleterre et de la Russie ? Qu’ont de commun avec notre querelle, nos désirs, nos espérances, notre courage, notre dévouement, le flegme des autocrates du Nord, la fausse protection des insulaires ? Ne rougissez-vous pas de honte et de dépit, ne frémissez-vous pas de courroux, en commettant à des mains étrangères le soin de vos vengeances ? Est-ce Georges ou Catherine qui sont morts sur un échafaud ? Est-ce le despotisme moscovite ou la grande charte anglaise qu’on a renversés ? Non, c’est votre monarchie que la sape de la Révolution a fait écrouler ; c’est le trône de Saint-Louis qui s’est enfoncé dans la fange sanglante de la démagogie ; c’est le fils de Henri IV qui a porté sa tête découronnée sous la hache des bourreaux ; c’est le sang de ses serviteurs dévoués, de ses amis fidèles, des meilleurs citoyens ; c’est le sang de vos pères, de vos enfants, de vos épouses, de vos amis, de vos amantes, qui a ruisselé par torrent des échafauds sur le sol français ! Et vous voulez poser les armes ! Que dis-je ? Vous prétendez les mettre aux genoux des meurtriers régnants ? De leurs mains qui vous ont égorgés ou dépouillés, vous recevrez ces dons insultants ? Ceux qui ont incendié vos moissons vous offrent des grains ? Ils veulent rebâtir vos demeures, ceux qui les ont démolies par le fer ou par le feu ? Oui, ils les rebâtiront ; mais ce sera des ossements de vos frères massacrés, c’est avec votre sang qu’ils cimenteront ces horribles matériaux ! Allez donc, lâches et perfides soldats ! allez, déserteurs d’une cause que vous déshonorez ! abandonnez aux caprices du sort, à l’instabilité des événements, ce royal et malheureux orphelin que vous jurâtes de défendre ! mais plutôt emmenez-le captif au milieu de vous ; conduisez-le aux assassins de son père ; soyez sans pitié pour son âge, pour ses grâces, pour sa faiblesse, pour ses revers ; et lorsque vous serez en présence de vos nouveaux maîtres, devenez dignes d’eux, en faisant rouler à leurs pieds la tête innocente de votre roi !... Que peut l’éloquence de la probité contre celle de l’égoïsme ? Ce discours bien fait pour entraîner d’autres cœurs, remua faiblement ceux-ci ; je vis des larmes prêtes à jaillir ; le sordide intérêt les repoussa... Il est évident, tout d’abord, par la manière dont elles sont encadrées dans le récit de Regnault-Warin et par le texte même, qu’ainsi que nous l’avons toujours soutenu, les paroles de Charette constituent non pas une proclamation, mais un discours — non pas une proclamation destinée à des lecteurs absents, mais un véritable discours adressé à des auditeurs présents, avec lesquels l’orateur dialogue pour ainsi dire : Que parlez-vous d’intérêt et de profit ? Qu’entendez-vous par des conditions lucratives ?... Ne vous souvient-il plus ?... Vous renoncez... Ne rougissez-vous pas ?... Vous voulez poser les armes ! Que dis-je ? Vous prétendez... Allez donc, lâches et perfides soldats !..., etc. Cela saute aux yeux les plus prévenus. Voyons maintenant par quels arguments nos contradicteurs ont essayé de soutenir l’authenticité de la pièce. L’un d’eux, grand partisan de Richemont — et c’est assurément l’un des plus autorisés —, M. Le Normant des Varannes (Édouard Burton) y a mis une insistance particulière ; aussi le suivrons-nous pas à pas, sans lui faire grâce d’aucune de ses méprises et de ses erreurs, empruntées pour partie, il est vrai, à Gruau (Survivance, p. XXXI) et à M. Henri Provins (Le Dernier roi, t. II, p. 191 et s.[38]) dont il aurait dû se défier. Pour lui, en effet, Naündorff n’est qu’un intrigant et ses partisans ne sont que des dupes ; à charge de revanche ! Et c’est pourtant à des adversaires ainsi suspects de spéculation honteuse ou d’excessive crédulité que, des deux côtés, les combattants empruntent une partie de leurs arguments ! sans même se donner la peine de vérifier l’exactitude de leurs citations et s’appropriant de confiance leurs bévues et leurs falsifications ! Cette proclamation célèbre, dit-il, dont l’authenticité n’est pas mise en doute aujourd’hui, quoiqu’on ait essayé de l’attribuer à Regnault-Warin[39], auteur du Cimetière de la Madeleine. (P. 24.) Pas un des anciens historiens de la Vendée ni des biographes de Charette ne l’avait connue ou n’avait daigné y attacher la moindre attention. C’est Labreli de Fontaine qui, dans un de ses pamphlets de 1821, s’avisa le premier de la rééditer sans indiquer naturellement la source à laquelle il l’empruntait. En 1882, nous signalâmes cette source plus que suspecte ; on n’essaya pas de nous répondre. Depuis lors, pas un écrivain de quelque autorité, en dehors des Naündorffistes ou des Richemontistes, n’a osé en faire usage. J’ajoute que mes demandes de renseignements sur la personne et les écrits de ce Labreli de Fontaine, glorifié par mes adversaires comme une autorité véritable, sont restées sans réponse[40]. De ce qu’un romancier en a tiré parti, il ne (s’en suit) pas que ce soit une pièce apocryphe. (P. 24.) Sans aucun doute ; mais quand tous les autres documents, quand presque tous les détails donnés par ce romancier de bas étage sont absolument apocryphes, on est en droit et même en devoir de suspecter la sincérité de celui-là, de se demander où il l’a puisé et si quelques preuves extrinsèques viennent en justifier l’authenticité. — Ici rien de tel. La pièce est romanesque comme le reste du roman. Un général vendéen, le comte de Vauban, la donne dans ses Mémoires. (P. 24.) Ce n’est pas vrai. De la proclamation en question il n’est pas dit un mot dans les Mémoires[41]. Une assertion aussi fausse sur un point qu’il était si facile de vérifier, donne la mesure de l’incroyable sans-façon avec lequel certains soi-disant historiens traitent l’histoire. Un exemplaire de cette proclamation imprimée en 1795, existait à la préfecture de police et le secrétaire, M. le baron Tardif, en avait donné copie à M. Bourbon-Leblanc avocat. Les incendies de la Commune ont dû détruire cet exemplaire, mais M. Nauroy en a découvert un autre, aux Archives de la Guerre. À l’endroit où devrait se trouver le passage relatif à Louis XVII, est un vide produit par un grand coup de ciseaux[42]. (P. 24.) Qu’une ou plusieurs copies manuscrites de la prétendue proclamation soient venues échouer à la Préfecture de Police, après avoir été saisies chez quelqu’un des nombreux prétendants qui voulaient s’en faire une arme ou chez leurs partisans qui s’en faisaient un argument, la chose est fort possible. Mais qu’on y ait jamais vu l’original imprimé, authentique, de cette proclamation, nous le nions absolument, par la raison péremptoire que cette proclamation n’exista jamais. Nous allons le démontrer. Constatons ici que nous n’avons aucun témoignage direct, positif de son existence, mais des souvenirs plus ou moins exacts, plus ou moins sincères, transmis, soi-disant, du baron Tardif à Bourbon-Leblanc, de si pauvre autorité, par Bourbon-Leblanc à d’autres, par d’autres à M. Le Normant, par M. Le Normant à ses lecteurs ; de pures allégations. Souvenirs et allégations, nous savons déjà ce que valent ceux des Richemontistes ! Quant à la découverte qu’aurait faite M. Nauroy, aux Archives de la Guerre, d’un autre exemplaire de la proclamation imprimée, nous y opposons le formel démenti de M. Nauroy lui-même. Voici ses propres paroles : Ce serait à l’occasion de l’arrivée du Dauphin en Vendée, que Charette et Puisaye auraient publié deux proclamations où il serait question de ce dernier. Je dois dire que les textes authentiques paraissent avoir disparu, et les différentes copies que j’ai eues sous les yeux me paraissent suspectes[43]. J’ajoute que les recherches les plus attentives aux Archives de la Guerre m’ont donné la certitude personnelle que la prétendue proclamation de Charette ne s’y trouve pas. Enfin, nous avons retrouvé un rapport de police du 13 septembre 1817 donnant les noms des 38 signataires de cette proclamation parmi lesquels nous relevons ceux des principaux chefs de l’insurrection, Stofflet, La Rochejacquelein, Scépeaux, Frotté, de Lescure... Cette proclamation de Charette, dont nous n’avons pu trouver la date précise est de la fin de l’année 1795. (P. 24.) De plus en plus fort ! Voilà la signature de Lescure invoquée comme authentiquant une pièce de la fin de 1795 ; or Lescure était mort, après le passage de la Loire par la Grande Armée vendéenne, le 4 novembre 1793, entre Ernée et Fougères[44]. Pour Frotté, il n’exerça jamais l’ombre d’un commandement dans la Vendée. Après sa visite à Charette en février 1795 et les conférences de La Mabilais (mars-avril 1795), il avait passé en Normandie, et il y resta jusqu’à sa rentrée en Angleterre, juin 1796. À la fin de 1795, il était en pleine activité de guerre sur le territoire normand. Il n’a donc pu signer à cent lieues de ses cantonnements la prétendue proclamation des chefs vendéens. Enfin, dernier argument, M. Dupré-La Salle, avocat général dans l’affaire des Naündorff contre le comte de Chambord, aurait reconnu l’authenticité de la proclamation. (P. 24.) Encore une fois, ce n’est pas vrai ! M. Dupré-La Salle dans ses conclusions que nous venons de relire[45] ne dit pas un mot de la proclamation en question. Toute cette argumentation en faveur de l’authenticité de la proclamation est donc pitoyable. Elle repose sur des citations fausses, sur des allégations sans preuves ; elle se retourne contre ses auteurs. Mais je vais plus loin et c’est dans la pièce même qu’ils invoquent que je trouve la preuve évidente de sa fausseté. Elle est d’un style emphatique et grotesquement sentimental qui ne fut jamais celui de Charette. Ce n’est point à des laboureurs, à des maraisins qu’il aurait eu la niaiserie de faire un cours d’histoire diplomatique. Il n’aurait invectivé ni le gouvernement anglais qui lui avait envoyé un convoi de secours en août 1795, à Saint-Jean-des-Monts, et sur lequel il comptait pour en obtenir d’autres, ni la Russie, protectrice des émigrés et qui, par la plume de Sawarow, lui adressait, le 1er octobre, les témoignages les plus vifs de sympathie et d’admiration. On ne peut indiquer ni le lieu ni le jour où cette proclamation aurait paru[46]. Imprimée et répandue nécessairement à grand nombre d’exemplaires, on n’a pu jamais en retrouver un seul. Un imprimé suppose une imprimerie, et jamais, à notre connaissance, Charette n’eut d’imprimerie à sa disposition. Dans la prétendue proclamation du 22 juin 1795[47] ; dans celle bien authentique celle-là, et dont la sincérité n’a jamais été contestée, il avait affirmé la mort au Temple de l’enfant royal, dont on lui fait quelques mois après invoquer l’existence ! Poursuivons notre examen et achevons de démontrer l’évidence. La prétendue proclamation de Charette n’est pas datée quoi qu’en aient dit certains de nos adversaires, mais ils sont d’accord pour la placer à la fin de 1795[48]. Ils n’ont pas vu que cette date est tout à fait inconciliable avec le texte et même avec leurs propres systèmes. Après une lutte énergiquement soutenue pendant toute l’année 1794[49], Charette, épuisé de forces et de ressources, avait dû se prêter à un accommodement avec la République. Le traité de La Jaunaye avait été signé le 17 février 1795. C’était une trêve au fond plutôt qu’une paix véritable. Il fut exécuté toutefois, avec des plaintes et des récriminations réciproques, jusqu’au mois de juin, date à laquelle Charette reprit les armes. Il débuta par l’enlèvement du camp des Essarts, 28 juin. La proclamation ne peut coïncider avec la période de la pacification. À partir de la fin de juin jusqu’à la destruction et à la prise de Charette (23 mars 1796), il n’y eut ni nouveau traité, ni nouvelles négociations entre lui et les représentants du Gouvernement, auxquels puisse s’appliquer la proclamation ci-dessus. Il y eut certaines défections individuelles, mais Charette demeura inébranlable, repoussa toutes les concessions qui lui furent offertes et ne s’interrompit pas de combattre un seul jour. Aussi, Regnault, le fabricateur, et Labreli, le premier rééditeur de la fausse proclamation, l’avaient-ils appliquée à la pacification de février 1795. Mais ce n’est pas seulement une impossibilité morale qui repousse cette date de la fin de l’année 1795 ; matériellement, elle est inconciliable avec le système de nos adversaires. Le texte de la proclamation suppose, en effet, la présence en Vendée, à l’armée vendéenne, du jeune roi. Les Naündorffistes et les Richemontistes affirment de même qu’il y était encore lorsqu’elle aurait été lancée ; c’est même à raison de cette circonstance qu’ils y prêtent une si capitale importance. Mais en même temps, ils s’accordent pour reconnaître que son séjour en Vendée aurait été fort court et nécessairement antérieur à la fin de 1795[50]. Suivant Hervagault, ce séjour n’aurait duré que deux mois — à partir du 8 juin 1795 (Le Faux Dauphin actuellement en France ; Paris, Lerouge, an XI, t. I, p. 177). Suivant Richemont (première version), quelques semaines — à partir du 8 juin 1795 (Mémoires du duc de Normandie, 1831, p. 44). Suivant Richemont (deuxième version), l’enfant aurait été remis au prince de Condé à la fin de juin 1795 (Claravali, p. 115 et 140). Suivant Richemont (troisième version), il aurait été emmené hors de France après le massacre de Quiberon (qui est de juillet et d’août 1795) et après un séjour de quelques semaines en Suisse, il aurait été conduit à Mmes Adélaïde et Victoire (à Rome), fin d’août ou commencement de septembre 1795 (Le Normant, p. 25). Naündorff ne contredit point ces calculs. Tous sont la condamnation de la fameuse proclamation, car tous lui assigneraient une date antérieure de plusieurs mois à celle où leur prince aurait quitté la Vendée. Donc, impossible de la placer soit avant la pacification, soit pendant la pacification, soit après la pacification. Quelques-uns de nos adversaires ont essayé de produire une lettre de Charette à Louis XVIII, aussi fausse que la proclamation et dont, bien entendu, personne n’a jamais vu l’original. Il l’aurait écrite peu de temps après le traité de La Jaunaye pour justifier son adhésion à ce traité. Elle entre dans certains détails sur ces prétendus articles secrets dont un examen scrupuleux a pu faire complète justice. Le début : Je viens apporter ma tête aux pieds de V. A. R., si elle me juge coupable, suffirait pour en prouver la fausseté. Est-ce bien à Charette que l’on peut prêter ce sentimentalisme ridicule, et qu’avait Louis XVIII à faire de sa tête ? Il est à noter que cette lettre écrite, dit-on, en février ou mars 1795 suppose que le Dauphin est encore au Temple et que, vraie, elle serait un démenti à l’évasion du 19 janvier précédent, en même temps que, fausse, elle prouverait la déloyauté des fabricateurs[51]. Rien non plus à induire du manifeste distribué par Puisaye, lors de son débarquement en France, avant Quiberon. Il y suppose l’enfant royal encore vivant. Supposition toute naturelle : cette pièce avait été imprimée en Angleterre, avant le départ de l’expédition qui ne s’embarqua que le 10 juin 1795, c'est-à-dire dans un lieu et à une époque où la mort n’était pas encore connue[52]. Que serait donc devenu le prétendant pendant ce séjour en Vendée, de quelques semaines suivant les uns, de dix-sept longs mois suivant les autres ? Le Normant répond : On jugea prudent de le confier à Mme la comtesse de Turpin de Crissé qui se trouvait à son château d’Angrie où se trouvait également sa belle-sœur, Mme la comtesse de Vezins. Il y aurait passé une année environ. (P. 18.) Assertion non moins gratuite, non moins tardive, non moins téméraire que les autres ; contradictoire avec tout ce qu’avaient dit Richemont lui-même et ses historiens, fausse de tout point[53]. Franchement, on n’écrit pas l’histoire avec une pareille désinvolture ! Les Naündorffistes prétendent, eux, que Louis XVII aurait été caché dans le château d’un certain Tort de la Sonde ; château à peu près introuvable comme celui de la Belle-au-bois-dormant, personnage de tournure et de réputation fort équivoques et que rien ne rattache ni à l’ancienne famille des Bourbons, ni aux guerres de la Vendée. Il semble même résulter des communications de M. Deséglise et plus particulièrement de M. Alfred Bégis, notre collègue à la Société de l’histoire contemporaine, qu’il n’était qu’un intrigant, victime des rigueurs de l’Ancien Régime ou plutôt de ses propres écarts, que ce régime avait dû punir, sans crédit aucun, hostile à la cause vendéenne, absent même de France à l’époque où on lui prête ce rôle fantastique de sauveur[54]. Incident particulier sur lequel les Naündorffistes glissent avec une prudence bien concevable, mais qui est encore un démenti à leurs combinaisons, en ce qui touche le séjour du Dauphin dans la Vendée. Pendant ce séjour, il aurait été ressaisi par les autorités républicaines, réintégré en prison et finalement remis de nouveau en liberté, par l’intervention toute puissante de Joséphine (Survivance, p. 53 ; Provins, t. II, p. 276) sans qu’on ose dire ni à quelle date ni dans quel endroit aurait eu lieu l’arrestation, ni dans quelle prison il aurait été transféré ; sans que ni Joséphine, ni aucun autre contemporain ait jamais parlé de ces mystérieuses circonstances ; sans qu’on puisse s’expliquer le silence du Gouvernement et sa remise en liberté ! C’était encore un emprunt, un retour aux imaginations de Regnault-Warin (t. IV, p. 152[55]). En réalité pas une preuve, pas le moindre indice en faveur du séjour du jeune prince en Vendée ; rien que des commérages ou des citations tronquées, des pièces apocryphes, qui sont la condamnation même du système qu’elles devaient appuyer. III. — LA FUITE Il ne suffisait pas aux partisans de la Survivance d’avoir amené leur prétendant en Vendée, il fallait l’en faire sortir. À quelle date l’aurait-il quittée ? En quel endroit serait-il parvenu à franchir la frontière ? Quel eût été son guide dans cette périlleuse entreprise ? Sur tous ces points, naturellement, nouvelles imaginations et nouvelles contradictions de leur part. À quelle date ? Regnault ne le dit pas ; mais nous avons vu que ses successeurs s’accordaient à peu près pour indiquer le mois de juillet ou d’août 1795 ; nous avons vu aussi que c’était en se donnant à eux-mêmes le plus piteux des démentis, puisqu’ils soutiennent en même temps que leur héros aurait été encore en Vendée à la fin de cette même année, sous la garde de Charette. D’où serait-il parti ? De l’embouchure de la Loire, suivant Regnault (t. IV, p. 132, 149) ; des Sables, suivant Le Normant (p. 22) ; par la frontière de Belgique, suivant Claravali (p. 140). Pour quelle destination ? Pour l’Amérique ? pour l’Angleterre ? pour la Belgique ? pour l’Allemagne ? Pour tous ces pays à la fois, car on les a tous indiqués ? Il nous importe peu. Mais ce qui est plus grave, c’est l’accord des prétendants et de leurs évangélistes à soutenir que Frotté, qui les aurait fait sortir du Temple, les aurait encore, quelques semaines ou quelques mois après, fait sortir de France[56]. Frotté, Frotté toujours ! Ces mensonges, en se multipliant, se réfutent l’un par l’autre... Mentita est iniquitas sibi !... Il y avait, dans les Annales de l’insurrection royaliste, une figure consacrée par le triple sceau du courage, du dévouement et du malheur. C’était celle du général en chef de la Normandie. Comme à Charette, ses ennemis et même quelques-uns de ses amis lui avaient reproché l’indomptable fidélité qui lui avait fait garder les armes après la destruction de son parti et continuer jusqu’à la mort une lutte désespérée. Cette mort avait été héroïque, héroïque autant qu’odieuse, car il avait été victime d’un indigne guet-apens. Ce n’est pas tout : Frotté s’était particulièrement dévoué au jeune prisonnier du Temple. Dès le commencement de 1794, il avait, de concert avec une amie, Mme Atkyns, projeté de l’enlever. Plus tard, aux conférences de La Mabilais (avril 1795), il demandait la faveur de s’enfermer au Temple, sauf à n’en sortir jamais, pour y prodiguer ses soins au malheureux enfant, et il ne renonçait à ce généreux projet qu’en acquérant la certitude qu’il était tombé dans un état de prostration physique et morale qui ne lui permettait pas de profiter de ce dévouement[57]. Quelque chose de ces intentions avait sans doute circulé dans l’entourage de Frotté et s’était répandu au dehors. Regnault-Warin s’en empara et prêta à Frotté, sous le nom de Felzac, le rôle principal dans l’enlèvement complaisamment raconté dans son roman Le Cimetière de la Madeleine, 1801. Hervagault et Mathurin Bruneau lui empruntèrent son récit. Les nouveaux prétendants, Richemont et Naündorff, l’empruntèrent à leur tour à ces deux aventuriers ; eux aussi veulent avoir été délivrés, sauvés par l’entremise directe, personnelle, de Frotté. Il avait passé à l’étranger la plus grande partie de la Révolution ; on n’avait sur son rôle que très peu de documents officiels ; le dossier de sa condamnation avait disparu des archives. On croyait sa tombe muette à jamais. De là, l’imprudente ou coupable légèreté qui avait fait mêler son nom à une foule d’événements auxquels il était tout à fait étranger. Mais la tombe va parler. Les papiers de Frotté, les fragments de ses Mémoires, ses correspondances confidentielles, intimes, sortent, après un siècle, du silence douloureux où les avait ensevelis sa famille. J’ai l’honneur, qui me sera toujours cher, d’être le premier à en obtenir la communication, et le bonheur d’être autorisé à leur donner toute la publicité qu’ils méritaient. Qu’établissent donc ces papiers ? Ils établissent nettement, absolument : 1° Qu’au mois de janvier 1794, date supposée d’un premier enlèvement, Frotté se trouvait en Angleterre, et qu’il n’était pas rentré en France depuis son émigration (juillet 1791) : qu’il n’y devait reparaître qu’en février 1795 ; 2° Qu’il avait si peu réussi à enlever le jeune prince du Temple en janvier 1794, qu’en mai de la même année, il s’occupait des moyens de l’en arracher ; qu’au mois de septembre, au mois de novembre suivant, il y songeait encore ; qu’aux conférences de La Mabilais (mai et avril 1795), il sollicitait la faveur de partager sa captivité ; que, le 16 mars 1795, il expliquait à madame Atkyns, les tristes raisons qui le forçaient d’abandonner ce projet. Comment, en tout cela, entrevoir, non seulement la trace, mais même la possibilité d’une participation quelconque à l’enlèvement prétendu du 19 janvier 1794[58] ? Même impossibilité pour l’enlèvement prétendu du 8 juin 1795. À cette date, Frotté est, il est vrai, en France, mais bien loin de Paris. Traqué au château de Flers où il s’occupait de l’organisation de sa petite armée, par les autorités républicaines, il a dû le quitter brusquement pour se faire reconnaître en qualité de commandant en chef, rassembler ses hommes et engager ses premières affaires à Saint-Christophe-de-Chaulieu et Brimbal (28 mai, 10 juin 1795[59]). À partir de ce moment, jusqu’à la fin de l’année, cantonné dans son Bocage normand dont il aura fait un vaste champ de bataille, esclave de ses devoirs de chef et de soldat, il s’y consacrera tout entier. Pendant que l’on s’amuse à le faire voltiger à Rouen (Survivance, p. LXXXI), à Paris, en Anjou (Le Normant, p. 22), en Poitou (Le Normant, p. 22[60]) et même en Angleterre (Le Normant, p. 24), ses lettres et les Mémoires de ses camarades (Billard, Moulin, de Moustier, Béjarry) nous le montrent constamment à son poste, la plume ou le mousqueton à la main. Il y avait là un cruel démenti donné par les traités et par Frotté lui-même aux partisans de la Survivance. Aussi n’ont-ils pas voulu rester sous le coup. Ils ont essayé tout d’abord de jeter quelques doutes sur la fidélité de ma transcription. Mais cette transcription est exacte, loyale, littérale ; il a bien fallu le reconnaître. Changeant encore une fois de système, c’est nous l’avons vu leur constante habitude, ils ont alors essayé de se venger, sur la mémoire de Frotté, de l’échec que ses révélations posthumes et bien inconscientes assurément leur avaient infligé. L’homme d’honneur, de dévouement, de courage, de fidélité, est devenu tout à coup un traître et presque un escroc[61]. Frotté aurait sacrifié à l’ambition criminelle de Louis XVIII — qu’il n’aimait guère, comme on le voit par sa correspondance — les intérêts et les droits sacrés de cet enfant — pour lequel nous connaissons son dévouement. Il se serait prêté à d’odieuses combinaisons pour l’écarter du trône, pour faire perdre sa trace ; il aurait soustrait à Mme Atkyns des lettres que celle-ci lui avait remises de confiance. On croit rêver en lisant de pareilles énormités. Tel est le résultat auquel conduisent les insinuations de M. Le Normant des Varannes — un loyal homme pourtant —, qui savait qu’il y a une solidarité d’honneur entre les gens de bien, et qui, sans l’ombre d’une preuve, d’un indice quelconque, en dehors de tout ce qui est acquis à l’histoire et avec une légèreté qu’il aurait dû laisser à ses devanciers, vient, lui qui se croit conservateur et monarchiste, traîner dans la boue une mémoire jusque-là respectée, même des ennemis. CONCLUSION Le séjour de Louis XVII en Vendée, au cours des années 1794 et 1795, n’est qu’une audacieuse imposture. FIN DE L'OUVRAGE |
[1] Charlotte Corday et Fualdès (Droit, 23 juin 1861).
Intermédiaire des chercheurs et curieux, 23 juin 1861.
Charlotte Corday et Fualdès (Revue des questions historiques, 1er janvier 1867, et tirage à part, 50 ex., Palmé, 32 p., in-8°).
Les Articles secrets. Pacification de la Vendée en 1795 (Revue des questions historiques, janvier 1881, et tirage à part, 50 ex., Palmé, 64 p., in-8°).
Les Faux Louis XVII (Revue des questions historiques, juillet-octobre 1882, tirage à part, 100 ex., Palmé, 1882, 164 p., in-8°).
Louis XVII et le cercueil de Sainte-Marguerite (Gaulois, 16 juillet 1894).
[2] Quelques-uns ont eu la charité de supposer que j’aurais tronqué, c’est-à-dire falsifié, les documents, inédits avant moi, dont je devais la communication à l’honorable confiance de la famille de Frotté. Ils n’ont retiré de cette campagne qu’un démenti à leurs injurieux soupçons.
Ailleurs (Le Dernier Dauphin de France, 45), on m’a reproché, comme dénaturées, des citations parfaitement exactes.
Précisant davantage, M. Otto Friedrichs, dont je ne connaissais pas même le nom en écrivant mes articles, et qu’ils n’avaient pu viser ni directement, ni indirectement, m’inculpera personnellement de crasse ignorance, de mauvaise foi. (Un crime politique, 394, 395.)
J’en passe et des meilleurs...
À propos d’un document dont je contestais — et l’on verra bientôt si j’étais dans mon droit — l’authenticité, il a plu à M. Henri Provins de faire de moi un historien docile aux mandements de l’usurpation de 1815 (Le Dernier roi légitime, II, 192). J’affirme que je n’ai reçu, ni sur ce point, ni sur aucun autre, de mandements de personne.
Je prends volontiers ma part de l’accusation d’âneries et de billevesées lancée contre leurs adversaires par MM. les Naündorffistes (Légitimité, 2 décembre 1894) ; elle m’attaque en bonne et nombreuse compagnie.
[3] Une maille rompue emporta tout l’ouvrage. LA FONTAINE.
[4] Le Dernier roi légitime de France, II, 279.
[5] L’écrivain qui se cache sous le nom de Claravali, et dans lequel nous avons le regret de soupçonner un prêtre, a bien osé écrire que la conservation du nouveau Moïse (Richemont), paraît encore plus miraculeuse que celle de l’ancien chef du peuple de Dieu (113). C’est la superstition poussée jusqu’à l’impiété.
[6] Pour ne pas multiplier outre mesure les notes au bas des pages, nous intercalons souvent dans le texte, entre parenthèses, le nom des auteurs ou le n° des pages que nous citons.
[7] Le Cimetière de la Madeleine, par J. J. Regnault-Warin, auteur de Roméo et Juliette, la Caverne de Strozzi, etc., avec gravures et musique ; Paris, Le Petit jeune, an IX (1801), 4 vol. in-18. Il y a deux éditions, ce semble : l’une de 1800, l’autre de 1801.
Jean-Baptiste-Joseph-Innocent-Philadelphe Regnault-Warin (ou de Warin, car il ne dédaignait pas à l’occasion d’affubler son nom de la particule) était un romancier et un pamphlétaire de bas étage. Il était né à Bar-le-Duc le 25 décembre 1775, et mourut à Paris en novembre 1844. On trouve dans La France littéraire de Quérard et dans la Biographie la liste de ses nombreuses productions.
On s’étonnerait, si quelque chose pouvait encore étonner en cette matière, de voir l’autorité si misérable, si suspecte de Regnault-Warin invoquée, même de nos jours, par certains partisans de la Survivance. Il existe un ouvrage de lui, imprimé celui-là non pas sous le regard de la police et la menace de la prison, mais en 1817, en pleine Restauration et en pleine sécurité. C’est L’Ange des prisons (Louis XVII) : élégide, par M. Regnault de Warin (Paris, Lhuillier, 1817, in-12), dont le texte et les notes historiques affirment également la réalité de la mort au Temple du jeune prisonnier. Il y a plus : l’éditeur, qui doit être Warin ou de Warin lui-même, déclare que ces notes historiques doivent être considérées comme la rectification des erreurs volontaires du Cimetière de la Madeleine. L’Élégide se compose d’une suite de nocturnes en prose poétique où l’auteur s’est proposé d’imiter Properce, Colardeau et surtout Young ; suivent des romances avec musique, le tout est offert en hommage au Roi, à la duchesse d’Angoulême et aux membres de la famille royale. L’ouvrage est tout aussi mauvais que les autres productions de son auteur ; mais il prouve, du moins, combien on s’est trompé en cherchant en lui un soutien, si peu sérieux, si peu constant que ce soit, de ce système de l’enlèvement de Louis XVII et de sa fuite en Vendée, dont il avait été l’inventeur.
J’ai sous les yeux un autre roman, fort rare, du même écrivain : Les Prisonniers du Temple : suite du Cimetière de la Madeleine, par J. J. Regnault-Warin, Paris, Locard fils, an XI (1802), 3 vol. in-12. Le héros du livre est le duc d’Angoulême ; on l’y voit successivement commander les royalistes dans l’expédition de Quiberon et s’y couvrir de gloire, conspirer contre Robespierre (mort depuis un an) et l’aller braver jusque dans son cabinet, pénétrer dans la prison de la jeune Marie-Thérèse, la fille de Louis XVI, et échanger avec elle les serments qu’ils renouvelleront bientôt devant les autels.
C’est de cette façon ridicule que Regnault-Warin comprenait et peignait l’histoire contemporaine.
[8] Les Faux Louis XVII, 56 ; etc.
[9] Cette malheureuse femme crut le reconnaître pour son fils : double preuve du peu de sérieux des reconnaissances fondées sur certaines ressemblances physiques, et de l’extrême crédulité avec laquelle peuvent être accueillis les mensonges les plus effrontés ! (Les Faux Louis XVII, 60.)
[10] Port, Dictionnaire de l’Anjou. — Les Faux Louis XVII. — Histoire des deux faux Dauphins ; etc.
Gruau de la Barre, dont nous reparlerons plus loin, s’était imaginé qu’Hervagault et Bruneau auraient bien pu ne former qu’un seul et même personnage. (Intrigues dévoilées.) Otto Friedrichs (Un crime politique) a repris cette thèse avec plus d’aplomb. Le Normant des Varannes (Édouard Burton) l’a reproduite à son tour dans son Histoire de Louis XVII, en la grossissant encore. Suivant lui, Hervagault, Bruneau et Richemont ne faisaient qu’un. Les partisans de Naündorff ont vivement protesté contre la supposition que Richemont, qu’ils considèrent comme un intrus et un misérable intrigant, procédât en effet des deux autres prétendants et par eux de l’enfant royal. Leur journal, La Légitimité, a publié du 10 mai 1891 au 2 septembre 1894 une longue série d’articles où cette légende est minutieusement et péremptoirement réfutée, au profit de la candidature de Naündorff qui, en réalité, n’est pas mieux établie.
Singulier rapprochement ! Pendant que, d’un côté, on découpe en trois personnes distinctes et successives le petit prisonnier, voilà qu’on veut réunir en une seule, trois aventuriers que la justice des tribunaux, d’accord avec l’histoire, avait très distinctement frappés, chacun d’eux pour son compte personnel. L’identification était, d’ailleurs, singulièrement favorisée par cette circonstance que tous les trois, comme Naündorff, le quatrième, puisaient la plupart des éléments de leurs récits à une source commune, Le Cimetière de la Madeleine.
[11] La Restauration convaincue d’hypocrisie, de mensonge et d’usurpation... ou Preuves de l’existence du fils de Louis XVI, réunies et discutées, Paris, 1851, in-12.
[12] Vie de Monseigneur le duc de Normandie, fils de Louis XVI et de Marie-Antoinette... par L. Esp. J. V. Claravali del Curso, Paris et Lyon, 1850, in-8°.
[13] Histoire de Louis XVII, d’après des documents inédits officiels et privés, par Ed. Le Normant des Varannes (Édouard Burton). Orléans, Herluison, 1890, in-8°. L’ouvrage inachevé au moment de sa mort a été continué par sa veuve. Le Normant des Varannes, homme de labeur et de droiture, mais de trop d’imagination, hélas ! avait publié précédemment, sous le nom d’Édouard Burton, Le Dernier Dauphin de France. Orléans, 1884, in-12.
Nous ne connaissons pas tous les titres scientifiques de M. le vicomte d’Orcet ; nous n’avons pas inventorié les archives mystérieuses de son château de la Roseraie, dont les adeptes de Richemont font grand bruit ; mais, en constatant que c’est surtout sur les documents fournis par M. d’Orcet que Le Normant des Varannes a composé son livre, qu’en tête de ce livre il l’appelle son précieux collaborateur, que M. d’Orcet, qui y revendique lui-même une part de contrôle et de responsabilité, y a introduit ou du moins n’en a pas éliminé les autorités suspectes, les citations fausses dont nous allons donner de frappants échantillons, nous ne pouvons nous empêcher de craindre que ces archives n’offrent pas dans le choix des pièces qui les composent, toutes les garanties désirables de critique raisonnée et sévère.
[14] Doctrine céleste et autres ouvrages. J’ai sous les yeux ces odieuses et ineptes rapsodies, devenues bien rares. Le nouveau messie recevait directement la communication des anges. Cette campagne de recrutement n’ayant pas réussi, on en ouvrit habilement une autre dans un esprit diamétralement contraire.
[15] Intrigues dévoilées, ou Louis XVII, dernier roi légitime de France... Rotterdam, 1846-1849, 3 vol. in-8°.
[16] La Légitimité dans chacun de ses numéros vantait l’héroïsme de Gruau.
Otto Friedrichs appelait son livre un admirable ouvrage : l’auteur était à ses yeux un caractère véritablement antique... Un nom synonyme de dévouement inépuisable et de fidélité incomparable... Une figure prenant des proportions gigantesques (392, 435, 440).
Gruau a fait école. Parmi les ouvrages qui procèdent du sien, nous ne citerons que les suivants :
La Survivance du Roi-martyr, par un ami de la Vérité. Toulouse, 1880, in-12. Résumé des Intrigues dévoilées ; Gruau y prend souvent la parole en son nom personnel. L’éditeur serait l’abbé Dupuis, un des rédacteurs de La Légitimité. Il convient d’ailleurs (XVII) que son livre est emprunté totalement à celui de Gruau.
Le Dernier roi légitime de France, par Henri Provins. Paris, Ollendorff, 1889, 2 vol. in-12.
Ces deux derniers ouvrages sont moins un plaidoyer en faveur de Naündorff qu’un réquisitoire enfiellé contre Louis XVIII, la duchesse d’Angoulême, le comte de Chambord, le duc de La Rochefoucauld, contre leurs partisans et leurs amis les plus respectables. La violence sans mesure de ces attaques et le peu de sérieux des autorités qu’à la suite de Gruau, les Naündorffistes invoquent à l’appui de leur système, leur enlèvent le crédit que des recherches, d’ailleurs laborieuses, et une argumentation parfois ingénieuse, auraient pu leur prêter.
[17] Légitimité, 2 décembre 1894.
[18] Mémoires du duc de Normandie, fils de Louis XVI, écrits et publiés par lui-même. Paris, chez les marchands de nouveautés, juillet 1831, in-8°. Richemont plus tard essaya bien de désavouer ce pamphlet, mais il dut reconnaître qu’il avait été en relation avec l’auteur ou le teinturier qui ne serait autre que Bourg dit Saint-Edme. (Quérard, Supercheries littéraires. — Bourquelot, Littérature française contemporaine.)
[19] Claravali a l’impudence d’écrire que la duchesse d’Angoulême dit formellement dans ses Mémoires que son frère serait sorti du Temple, ce même jour (122). La duchesse dit seulement qu’à cette date elle avait entendu du bruit dans l’appartement de son frère et vu emporter des paquets ; elle avait cru d’abord qu’on le changeait de logement ; plus tard j’ai su que c’était Simon qui était parti. (Édit. Poulet-Malassis, 1862, p. 103.)
[20] Survivance, passim : Au commencement de l’hiver 1794-1795 (Provins, I, 313).
[21] Plaidoyer, édit. de 1845, p. 157.
[22] V. dans Les Faux Louis XVII, 157, le texte de ces lettres et les raisons qui en démontrent la fausseté absolue. Ni Naündorff ni Gruau, mis au pied du mur par Richemont, n’ont jamais osé en produire les originaux.
Gruau a persisté jusqu’à la fin dans cette affirmation ridicule (Survivance, 105). Jules Favre dans son plaidoyer (222) l’acceptait aussi, avec une certaine réserve.
[23] Histoire de la Révolution, XII, Les Mystères du Temple.
[24] Le Faux Dauphin actuellement en France, par Alphonse B. (Beauchamp), 1803, 2 vol. in-12 ; II, 144, 157.
On trouve les noms de Guerville et de Châtellier dans la Proclamation apocryphe du 22 juin 1795, dont nous parlerons plus loin ; celui de l’abbé Lambert [Laurent ? (N.D.E.)] nous est tout à fait inconnu. C’est cet abbé qui aurait acheté moyennant 200,000 livres l’enfant Hervagault pour le substituer au prisonnier ; d’autres veulent que le marché eût été conclu par Frotté.
[25] Le Normant, 16 et suivantes. — Journal Le Jour, 6 août 1894. — Les Imposteurs fameux, Paris, Eymery, 1810, in-12, 220.
[26] La Légitimité, 7 octobre 1894. — Le Faux Louis XVII, 160. — Le Normant des Varannes, 444.
[27] Claravali, 110 et suivantes. — Le Normant, 15 et suivantes.
[28] Survivance, I, XXVII et 96. — Provins, 15, 196.
[29] Provins, I, 361.
[30] Le soir étant venu, je fus conduit non loin de là et placé dans un autre cheval bien plus grand : il était de bois et artistement recouvert d’une véritable peau de l’animal qu’il représentait ; on l’avait attaché à une grosse charrette, de manière à être supporté par deux allonges en fer, cordées et peintes de la couleur des cordes ordinaires et ficelées à la pointe des brancards, et directement devant le cheval qui était attelé à la charrette même ; il avait devant lui deux autres chevaux, ce qui présentait un attelage de quatre de ces animaux, traînant une voiture conduite par un homme en blouse, habitué à ce métier, et n’ayant pour toute charge qu’un peu de paille. Ce cheval était aussi léger que l’avait pu permettre sa grandeur, ses jambes un peu plus courtes et pliantes dans toutes les jointures inférieures, ce qui facilitait la marche, en cas de rencontre d’un corps dur. Il était bien garni dans l’intérieur, et fourré de manière à éviter les inconvénients des secousses de la charrette ; sous sa longue queue était un soupirail qui avait été également pratiqué dans les oreilles, les narines et aux quatre jambes pour faciliter la respiration. (32, 33.)
[31] La Survivance, 47. Le cercueil ne fut même pas transporté dans un corbillard, mais sur un brancard.
[32] Françoise Desprez est bien le nom d’une femme qui joua un certain rôle dans les guerres de l’Ouest et fut mêlée à diverses intrigues. Mais elle a publié ses Mémoires (Paris, Michaud, 1817, in-8°), et dans ces Mémoires où elle grossit singulièrement son rôle, elle ne dit pas un mot de cette mission, la plus importante et la plus heureuse de toutes celles dont elle aurait été chargée, celle dont elle aurait été justement la plus fière.
[33] Le malheureux Jules Favre en avait été réduit à reprendre cette thèse dans sa plaidoirie pour les Naündorff (p. 16).
[34] Claravali (114, 115) a bien essayé, dans son fatras, de donner une petite liste des personnes qui auraient vu Louis XVII en Vendée en 1794 ou 1795, mais il se garde de les nommer ; il ne les désigne que par des initiales ou par des points ; il n’invoque même que des racontars de seconde ou troisième main. Il aurait pu donner dix pages de ces pauvretés, sans faire faire un pas à la question. Pas un de ses alliés, je leur rends cette justice, n’a eu le courage de le suivre sur ce terrain.
[35] Abbé Deniau, Histoire de la Vendée, II, 540.
[36] Les quartiers généraux de Charette étaient éloignés à vol d’oiseau (ce qui suppose une distance en réalité beaucoup plus considérable) d’environ 11 lieues des Sables, 15 de Beaupréau, 20 de Fontenay.
[37] Par Fillon et autres.
[38] Le même M. Provins avait avancé que la proclamation aurait été citée par Crétineau-Joly (Histoire de la Vendée militaire, p. 363) : la proclamation citée par Crétineau est celle du 22 juin 1795 dont nous avons démontré la fausseté dans notre étude sur les Articles secrets, fausseté qu’il reconnaît avec nous. Non seulement elle ne fait pas la moindre allusion à la présence en Vendée du jeune prince, mais elle constate qu’il est mort dans la prison du Temple ! Fiez-vous donc aux citations ! Nous regrettons aussi que M. Provins (I, 22) présente le procès de la malheureuse Reine (octobre 1793) comme une réponse à la proclamation qu’il date lui-même de la fin de 1795. Par ces erreurs de l’un de nos adversaires les plus sérieux qu’on juge de la confiance que doivent inspirer les autres.
[39] Me, me adsum qui feci !
[40] Les Faux Louis XVII, p. 40, 71, 72, 73. — L’Intermédiaire des chercheurs et curieux, 30 septembre, 30 décembre 1794 [sic].
[41] Paris, 1806, in-8°.
[42] Je transcris littéralement le passage de l’Histoire de Louis XVII, sans le bien comprendre.
[43] Les Secrets des Bourbons, Paris, Charavay, 1882, in-12, p. 73.
[44] Mme de La Rochejacquelein, Mémoires, et tous les historiens.
[45] Droit, 13 juin 1851.
[46] M. Henri Provins (II, 192) va jusqu’à dire que cette proclamation est datée de décembre 1795. C’est une erreur. Elle n’est point datée. Tous ses alliés en conviennent et se bornent à dire qu’elle doit être de la fin de l’année 1795 (Survivance, XXXI ; — Le Normant, 24) ; ce qui, du reste, n’est pas vrai davantage, ni même possible ainsi que nous l’allons démontrer.
Quelques explications sont ici nécessaires.
Une erreur commune à la plupart des partisans de la Survivance consiste à avoir admis l’existence de ces fameux articles secrets aux termes desquels, lors de la pacification de La Jaunaye en février 1795, les représentants de la Convention auraient pris l’engagement de remettre les enfants du Temple aux mains de Charette dans un délai déterminé, et même de rétablir la Monarchie. Cette erreur, il faut le dire, ils n’en ont pas été les promoteurs. Ils l’ont empruntée, sans examen suffisant, à nombre d’historiens de l’école royaliste et même de l’école républicaine, qui se l’ont trop complaisamment transmise depuis quatre-vingts ans. Je l’ai réfutée, il y a longtemps déjà (Les Articles secrets, 1881), par des arguments que je crois péremptoires, car on n’a même pas essayé d’y répondre. J’y discutais à fond les témoignages des négociateurs de la pacification, les opinions des historiens divers. J’y démontrais que le manifeste du 22 juin 1795 attribué à Charette, au moment de la reprise d’armes, la seule pièce officielle où l’existence des Articles fût positivement alléguée, était certainement apocryphe. Il n’y eut jamais d’Articles secrets écrits ; il n’y eut même pas de conventions verbales discutées et arrêtées formellement, stipulant le rétablissement de la Monarchie et la remise des enfants de France aux mains de Charette ; rien du moins ne le prouve ; tout au plus des ouvertures relatives à ces divers points faites par des chefs royalistes à quelques-uns des représentants, ouvertures qui, au lieu d’être repoussées, furent accueillies avec une certaine bienveillance et auxquelles il fut répondu par des promesses plus ou moins formelles, plus ou moins évasives selon le caractère de ceux qui les firent. Réduite à ces termes, la question des Articles secrets n’a rien à voir dans celle de la Survivance.
[47] Je me fondais principalement sur la date de cette pièce : Réponse des armées catholiques et royales de la Vendée et des Chouans, ou Rapport fait à la soi-disant Convention du 16 juin 1795..., date absolument inconciliable avec celle du Rapport ; sur la fausse indication du lieu d’impression ; sur l’impossibilité absolue qu’elle eût été signée par Stofflet et Bernier, qui s’empressèrent de la désavouer et qui, à cette époque, étaient en très mauvais termes avec Charette ; sur l’authenticité incontestable et incontestée de la proclamation du 26 juin (4 jours après) dont les termes excluent toute idée d’un manifeste antérieur.
Hâtons-nous d’ajouter que ces deux proclamations des 22 et 26 juin 1795, loin de favoriser le système des partisans de la Survivance lui portent au contraire un nouveau coup. Dans la première, il est dit textuellement : Louis XVII vient d’expirer dans la prison du Temple ; dans la seconde, le fils infortuné de notre malheureux monarque, notre roi, a été lâchement empoisonné par une secte impie. Voilà donc la mort de Louis XVII affirmée positivement dans les documents même où, en désespoir de cause, on voudrait chercher des arguments en faveur de la Survivance !
M. Henri Provins (t. I, 356 et suiv.) a apprécié cette partie de notre étude avec une indulgence dont nous le remercions et nous a même fait l’honneur d’en adopter les conclusions. M. Baguenier-Desormeaux, si compétent dans toutes les questions vendéennes, vient aussi de se prononcer contre l’authenticité du manifeste du 22 juin. (Revue de l’Anjou, t. XXIX, 1894, p. 245.)
[48] Le Normant, 24. — Provins, II, 192. — Survivance, XXXI.
[49] C’est à propos de cette campagne de 1794, que Napoléon a dit de Charette : Il laisse percer du génie. (Mémorial de Sainte-Hélène.)
[50] Provins, II, 192. — Le Normant, 24, et Le Dernier Dauphin de France, Orléans, 1884, in-12, 16. — Survivance, XXX.
Claravali, qui ne recule devant aucune absurdité, dira (116) : Au commencement de 1795, les Vendéens, Charette et Stofflet étaient obligés de faire la paix pendant laquelle le fils de Louis XVI sortit de France. Cette paix dura de février à juin 1795. Ce serait donc dans cet intervalle que la fuite aurait eu lieu, et la proclamation aurait été ainsi de beaucoup postérieure.
[51] Cette pièce figure dans les Mémoires de Louis XVIII, recueillis et mis en ordre par M. le duc de D***, Paris, Mame-Delaunay, 1832-33, 12 vol. in-8°, ouvrage absolument apocryphe et dont le baron de La Mothe-Langon a été le principal compilateur (Supercheries littéraires). La Survivance (LXXVI) y voit une preuve d’authenticité. C’est le contraire qu’il fallait dire. Il a fallu toute l’ignorance... ou toute la mauvaise foi de Gruau et de son école pour convertir en documents authentiques les élucubrations fantaisistes ou romanesques de La Mothe-Langon, Touchard-La Fosse et consorts. La lettre de Charette a été réimprimée dans la Galerie historique de la Révolution française, par Albert Maurin, 1843, II, 177, et dans la plaidoirie de Jules Favre (163). Nous l’avons citée nous-même et appréciée à sa juste valeur dans notre mémoire sur les Articles secrets, 33.
[52] Les Faux Louis XVII, 42.
[53] La vicomtesse de Turpin-Crissé, née Jeanne-Élisabeth de Bongars, morte en 1846 à l’âge de 85 ans, prit aux pacifications de l’Ouest une part très active. Son mari était émigré ; son beau-père et son neveu avaient des commandements dans la chouannerie. Angrie est fort éloigné des quartiers de Charette qui ne s’en approcha jamais. Mme de Turpin ne s’y trouvait même pas à l’époque où elle aurait dû y garder le fugitif, ayant été emprisonnée en mars 1793, puis une seconde fois en mars 1794, au Calvaire d’Angers et n’en étant sortie qu’au bout de huit mois. Elle a laissé non pas des mémoires, mais des notes sur son rôle pendant la Révolution, publiées par Beauchamp (Mémoires secrets et inédits pour servir à l’histoire contemporaine, Paris, 1825, 2 vol. in-8°), où il n’est aucunement question de Louis XVII. (V. Port, Dictionnaire de Maine-et-Loire, Ve Turpin de Crissé.)
La supposition que Mathurin Bruneau — qui devait jouer plus tard le rôle de faux Dauphin — se serait rencontré au château d’Angrie avec le véritable, est également démentie par les dates : Bruneau ne parut à Angrie qu’en 1795 ; sa sœur, qu’il plaît à M. Le Normant de mêler à leurs jeux enfantins, et qui ne s’appelait pas Marie, mais Jeanne, était déjà mariée à cette époque.
[54] Intermédiaire des chercheurs et curieux, XXX, 321, 502, 539, 647.
Le nom de Tort de la Sonde n’aurait été mis en avant que par un seul individu assez suspect lui-même, Brémond, sans l’avoir jamais prouvé, ancien secrétaire de Louis XVI et n’apportant même pas en faveur de Tort un témoignage précis et personnel, mais des commérages de troisième ou quatrième bouche. Il avait reconnu comme le vrai Louis XVII successivement Naündorff et Richemont. (Le Dernier Dauphin, 86.)
[55] Seulement Warin plaçait cette aventure dans l’Océan, à la suite d’un combat maritime.
[56] Claravali, 125, 140. — Le Normant, 24. — Survivance, 31. — J. Favre, 228.
[57] Louis de Frotté et les insurrections normandes, 1889, 2 vol. in-8° ; t. I, 47 et suiv.
[58] M. Le Normant écrit (15) que j’aurais démontré la présence de Frotté en France à cette époque. J’ai pensé, j’ai dit et j’ai démontré le contraire.
Les Mémoires de Puisaye et les autres ouvrages sur l’Émigration en Angleterre montrent assez à quelles lenteurs et à quelles difficultés de la part du Gouvernement se heurtèrent les Français partisans, comme Frotté, d’une Contre-Révolution armée et s’offrant pour l’exécuter.
[59] Frotté, I, 97 et suiv. — Mémoires de Michelot Moulin sur la Chouannerie normande publiés par la Société d’histoire contemporaine, Paris, Picard, 1893, in-8°, 39 et suiv.
La Survivance (LXXX) va jusqu’à supposer que Frotté aurait été occupé à Rouen de préparer l’enlèvement dès avant le 2 juin.
[60] L’embarquement eut lieu, croit-on, près des Sables-d’Olonne. Une barque vint au milieu de la nuit stationner à quelque distance du rivage. M. de Frotté, couvert d’un grand manteau sous lequel il portait le Dauphin, dut faire une centaine de pas dans la mer pour atteindre cette barque.
[61] Le Normant, 22 et suiv. — Jour 6 août 1894.