Influence que la paix donne à la France sur les affaires de l'Europe. — Médiation entre le Danemark et la Suède, entre la Russie et la Suède. Ambassade ottomane à Paris. — Motifs qui encouragent Dubois à refuser les ouvertures de la Porte. — Congrès de Cambrai ; raison qui en empêche la réunion. — Dubois négocie les mariages espagnols. — Saint-Simon est nommé ambassadeur extraordinaire à Madrid. — Conclusion des mariages. — Remise de l'Infante et de Mademoiselle de Montpensier. — Compensation demandée par l'Angleterre. — Dubois n'a pas favorisé les prétentions du gouvernement anglais.Au commencement de l'année 1721, on ressentait, déjà, les effets de la politique ferme de l'abbé Dubois. La confiance ranimée par les mesures énergiques, avait ramené le calme et l'activité dans les transactions ; le numéraire disparu un moment, commençait à circuler. Les querelles religieuses avaient perdu beaucoup de leur vivacité, et les menées de quelques évêques récalcitrants ne pouvaient plus entraîner la masse du clergé, que Dubois par son accommodement avait conquise à la raison. La tranquillité publique faisait chaque jour des progrès, grâce à l'esprit de modération qui animait le gouvernement du Régent. Des résultats si prompts, si heureux, étaient dus aux efforts et aux lumières que Dubois apportait dans l'administration du royaume ; et sans doute la reconnaissance publique aurait payé ces services, si le peuple ne s'était laissé gagner par la fausse opinion que les ennemis personnels de Dubois lui donnaient du caractère, des mœurs et des intentions de ce Ministre. La même politique qui avait assuré à la France la tranquillité au dedans, lui donna au dehors, une paix profonde et une considération qui la rendit l'arbitre des destinées de l'Europe. Dubois avait érigé la paix en système, et s'efforçait de la faire régner du nord au midi. Il employait à cette fin, la force que lui prêtait le Traité de la quadruple alliance, et l'autorité personnelle que lui avait acquise la conclusion de cette alliance qui était son œuvre. Ainsi, en 1720, lors du Traité de Stockholm[1], il apportait la médiation de la France dans le nord, et facilitait entre la Prusse et la Suède, l'arrangement du différend au sujet de la possession réclamée par le roi Frédéric-Guillaume, de Stettin, du territoire compris entre l'Oder et la Pehne, des îles Wollin, Usedom et des embouchures des rivières qui se déchargent dans la Pehne. Au mois de juillet de la même année, il intervenait encore, au nom du Roi, au Traité de Frédérickbourg pour mettre fin à la longue guerre que Frédéric IV, roi de Danemark, avait soutenue pendant dix ans contre Charles XII ; il faisait rendre à la Suède l'ile et la principauté de Rugen, la forteresse du Stralsund, une portion de la Poméranie jusqu'à la Pehne, et assurait au Danemark, sous la garantie de la France, la paisible possession de Scleswick. Partout où s'élevaient des contestations ou des difficultés capables de troubler l'Europe, Dubois s'interposait comme conciliateur, et réalisait le rêve de paix générale, que des philosophes nébuleux poursuivaient depuis longtemps dans l'institution proposée d'une diète Européenne. Trois Ministres unis étroitement dans les mêmes sentiments et dans les mêmes vues, exerçaient alors réellement l'autorité de cette diète imaginaire : Dubois, Stanhope et Schaub, ministre de l'Empereur à Londres. L'accord de ces trois hommes d'État fit plus pour la paix, que les clauses de la quadruple alliance, par le soin constant que chacun d'eux apportait à rendre facile l'exécution du Traité. Un événement malheureux vint rompre ce concert. Stanhope qui dirigeait les conseils du roi Georges, comme Dubois dirigeait ceux du Régent, mourut à Londres le 5 février 1721[2]. Ce fut pour Dubois une perte douloureuse. Il avait été témoin des luttes que le ministre favori de Georges avait eu à soutenir contre ses collègues et le Parlement, pour faire accepter le principe de la quadruple alliance, et il craignait avec une apparence de raison que, malgré les dispositions amicales de Sa Majesté Britannique, la mort de Stanhope ne fût le signal d'une révolution dans la politique de l'Angleterre. Dans cette prévision, Dubois songea à ménager sans bruit à la France, l'alliance intime de l'Espagne. Il semblait que le moment où la grande alliance menaçait ruine était favorable aux alliances particulières. Au mois de mars 1721, on vit arriver à Paris une ambassade Turque, dont l'objet apparent était de complimenter le Roi Louis XV, et le but réel d'assurer au Sultan Ibrahim l'amitié et les bons offices de la France. De tout temps, la Porte Ottomane avait recherché ces relations amicales et témoigné dé ses préférences en accordant à l'ambassadeur du Roi le pas sur tous les autres ministres étrangers. A l'époque de sa grande lutte avec la maison d'Autriche, Louis XV avait senti l'intérêt qu'il avait à se lier avec une puissance qui pouvait tenir en échec l'Autriche et la Russie, au besoin opérer une forte diversion en Italie, et il avait toujours fort bien traité le Sultan. Depuis la grande alliance, la Turquie était devenue moins importante dans la balance Européenne. Le Régent n'avait aucun avantage particulier à retirer d'une alliance avec la Porte, et de plus il devait craindre de faire ombrage à ses alliés ; en conséquence, Dubois reçut sans empressement l'ambassadeur d'Ibrahim. Cependant, comme la présence d'Orientaux était un spectacle nouveau, il y vit un moyen de frapper les yeux du public, et déploya un grand apparat dans la réception de l'envoyé Ottoman. Mehemet-Effendi, chef de la mission, fit son entrée à Paris par la Porte Saint-Antoine, à la tête des troupes de la maison du Roi, traversa la ville à cheval en riche équipage et entra dans le jardin des Tuileries par la grande allée, où les gardes-françaises et Suisses formaient la haie. Pendant son séjour dans la capitale, il y eut des fêtes brillantes. Dubois lui rendit de grands honneurs, afin de donner à des étrangers une idée avantageuse de la magnificence de la Cour de France. Il accueillit moins bien les ouvertures que Méhémet était chargé de lui faire. La Porte venait de donner, tout récemment, une marque de ses sentiments à la Régence, en lui accordant l'autorisation de réparer les Lieux-Saints, autorisation longtemps refusée à Louis XIV et au Saint-Siège. Persuadé que le Sultan avait par cette faveur, témoigné de sa bonne volonté pour la France, Méhémet demandait en retour, l'intervention du Roi pour la cessation des hostilités entre la Porte et le chevaliers de Malte, et proposait de remettre aux vaisseaux du Grand Seigneur, la répression de la piraterie dans les mers du Levant. La France exerçait alors une grande influence sur l'Ordre de Saint-Jean. Elle avait exigé que les bâtiments de la Religion ne donnassent la chasse que dans l'Archipel, parce que la Porte s'autorisait des prises faites dans les Échelles, pour gêner le commerce des Français dans ses États. Mais elle ne pouvait exiger d'une manière absolue la suppression de la course sans ruiner l'Ordre de Malte, dont le premier devoir était de faire la guerre aux infidèles. Il était plus sûr, d'ailleurs, de s'en rapporter aux chevaliers qu'à la Porte, pour le châtiment des corsaires. Outre ces considérations très-puissantes, la France avait intérêt à ne pas laisser décliner la marine de l'Ordre, qui pouvait devenir un auxiliaire, comme il arriva l'année suivante. L'escadre de l'Ordre se joignit aux bâtiments du Roi, sous le commandement de M. de Broves, pour châtier l'insulte faite par les Tunisiens au pavillon Français. Dubois n'ignorait pas les motifs qui poussaient la Porte à demander la paix. Le Sultan était alors engagé avec la Perse dans une querelle d'où devait sortir une guerre, et il était bien aise de s'assurer l'amitié des chevaliers de Malte, pour n'avoir pas un second ennemi sur les bras. Dubois ne pouvait donc considérer comme bien sincères, les propositions de Méhémet-Effendi. Quelque fût son désir de servir de médiateur pour une paix définitive, il lui était impossible de s'y prêter aux conditions posées par la Porte ; c'est-à-dire en abandonnant aux Turcs la surveillance des Pirates. Ce n'était pas en effet au moment où les mers du Levant étaient infestées de corsaires, et où le bailli Zondadad venait de signaler son avènement au magistère par un grand nombre de prises sur les Barbares, qu'il eût été convenable d'arrêter les expéditions de l'Ordre[3]. Mais comme les intérêts du commerce de France dans le Levant exigeaient qu'on ne mécontentât point la Porte, Dubois fit agir près du conseil de l'Ordre. Son intervention influa sur le projet d'une trêve de vingt ans, que le bailli Vilhena proposa l'année suivante ; projet que le Divan n'osa pas accepter, à cause du soulèvement qu'il excita parmi les officiers de la marine turque. Telle fut l'issue de cette ambassade. La Turquie retira de l'ambassade de Méhémet des fruits qui compensèrent l'insuccès de ses démarches. L'ambassadeur Ottoman, séduit par les merveilles de nos arts, conçut le généreux dessein d'apporter à sa patrie les plus nécessaires et les plus utiles. Par ses soins, l'imprimerie s'établit dans les États du Grand Seigneur. On reprocha à Dubois d'avoir, dans cette occasion, méconnu les vrais intérêts de la politique française. La parti de la vieille Cour, qui tenait pour les traditions de Louis XIV, et ne s'apercevait pas combien les temps étaient changés, ne manqua pas de l'accuser d'avoir sacrifié à l'Angleterre un allié nécessaire. L'événement justifia sa conduite, et prouva qu'il avait eu raison de se défier des intentions de la Turquie. L'année suivante, une flotte Turque forte de dix vaisseaux, se présenta devant Malte. Mais l'amiral Ottoman trouva la ville si bien défendue, qu'il se retira sans engager une attaque. Cette démonstration rendit aux Tunisiens leur audace, et ils recommencèrent leurs déprédations sous la protection des vaisseaux Ottomans. C'était toujours vers la France que se tournaient les peuples qui aspiraient à la paix. La réconciliation du Danemark et de la Suède, scellée l'année précédente sous ses auspices, favorisa la pacification du Nord. La Suède, aux prises avec la Russie pendant vingt ans, négociait sans succès depuis la mort de Charles XII[4]. La Reine Ulrique, voyant qu'elle ne pouvait faire céder les exigences du Czar, eut recours à la médiation armée de l'Angleterre, qui envoya une escadre dans la Baltique (1719). Cette démonstration n'eut point d'effet ; la guerre continuait, malgré les négociations. En cet état, le Roi de Suède Frédéric, époux d'Ulrique dont il prit les droits en son nom, sollicita la médiation de la France. M. de Campredon, ministre du roi à Stockholm reçut ordre de se rendre à Saint-Pétersbourg au commencement de l'année (1721), et son intervention prépara les voies au Traité de Nystadt[5], signé le 30 août de la même année. La conclusion de cet acte si longtemps différée fut reçue en Russie avec des transports d'allégresse, et célébrée par des fêtes. Les réjouissances furent renouvelées à Paris, au mois de décembre, par le comte Dolgoroucki, ambassadeur de Sa Majesté Czarienne, avec une magnificence et une prodigalité qui les ont rendues célèbres[6]. Dubois assista à cette fête de la paix, fête de la grande alliance, qui venait par son influence, de terminer la guerre en Europe. Si les dissentiments avaient été ensevelis dans la paix, les Traités avaient laissé subsister beaucoup de prétentions. Dubois avait assigné le congrès de Cambrai, pour vider les questions qui restaient encore à résoudre. Il n'ignorait pas combien ce moyen était lent et rempli de difficultés. Tout imparfait qu'il était, il offrait une voie à temporiser sur des difficultés qui paraissaient insolubles[7]. L'Espagne et l'Autriche surtout étaient encore divisées sur une foule de droits que ni l'une ni l'autre de ces puissances ne pouvait consentir à abandonner. Le Traité de Londres avait stipulé les renonciations que les deux couronnes consentaient en vue de la paix. Mais au moment où la discussion allait s'engager sur l'Italie, et où, par conséquent, Philippe V pouvait avoir intérêt à revenir sur ses renonciations, l'Empereur exigea qu'avant l'ouverture du Congrès, cette renonciation fut validée et confirmée par les Cortés espagnoles. Philippe s'opposa fortement à cette validation, qui portait atteinte à la plénitude de sa puissance royale. Cette seule difficulté retarda indéfiniment l'ouverture du Congrès[8]. Ce retard servait les vues de Dubois. Il se voyait embarrassé de tenir les engagements secrets qu'il avait pris envers l'Espagne par le Traité signé à Madrid le 27 mars 1721. Par ce traité, il s'était obligé à appuyer, dans le Congrès, les réclamations que la cour de Madrid se croyait autorisée à exercer contre l'Empereur, et à insister sur la restitution de Gibraltar par l'Angleterre. En contractant ces engagements qu'il savait inconciliables avec les intentions formelles de ses alliés, Dubois était dirigé par le désir de se rapprocher du cabinet de Madrid ; il ne se flattait point d'arracher à l'Angleterre et à l'Autriche des concessions qu'elles avaient refusées avec persistance, dans les conférences de Londres. Il s'en fallait que le Traité de Madrid eût disposé Sa Majesté Catholique au projet de Dubois, qui consistait à resserrer l'union des deux couronnes par l'alliance des familles royales de France et d'Espagne. Le sombre Philippe V, en proie à des vapeurs, oubliait son royaume et ne se ressouvenait plus de la France, que par les humiliations qu'il avait reçues de son gouvernement. Dans les dispositions où était le Roi d'Espagne, Dubois n'attendant aucuns succès, d'ouvertures faites directement à la cour de Madrid, songea à employer le duc de Parme, son intermédiaire habituel prés de Philippe V. Ce prince mit un prix excessif à ses services, en demandant que la France lui fournit des troupes pour s'affranchir de la suzeraineté de l'Empereur. Dubois dût renoncer à son intervention et se mit en mesure d'agir par un autre canal. Philippe V avait alors pour confesseur un jésuite Français, le Père d'Aubenton, homme très-estimable, sans ambition, sans intrigue, très-attaché à son ministère, et fort dévoué au Roi. Dubois avait eu autrefois avec lui des rapports assez intimes ; il résolut d'en faire l'instrument de sa politique. Le jésuite eut d'abord quelques scrupules, mais encouragé par Innocent XIII, il embrassa chaudement les vues de la France. Il appliqua toute son adresse à persuader à Sa Majesté Catholique qu'il était de l'intérêt des deux couronnes de fondre en une même famille les maisons royales de France et d'Espagne, et, à cet effet, d'unir l'infante Marie-Anne-Victoire au Roi Louis XV, et le prince des Asturies, héritier du trône, à Mademoiselle de Montpensier fille du Régent. Philippe V goûta le projet seulement pour le mariage de l'Infante ; aux sollicitations de la Reine, il avait tourné ses vues vers une princesse de la maison d'Autriche, pour le prince héréditaire d'Espagne. D'Aubenton ne se tint pas pour battu ; aidé du marquis de Maulevrier, ambassadeur du Roi de France à Madrid et ami particulier de Philippe, il fut assez heureux pour ébranler, au moins fortement, les résolutions de Sa Majesté Catholique et ne désespérait pas de l'amener à choisir pour son fils, la princesse d'Orléans. Quelque désintéressé que fût le père d'Aubenton, il avait nécessairement trop à cœur la considération de sa compagnie, pour oublier que le service qu'il rendait au Régent, méritait quelque reconnaissance. L'exil du Père Le Tellier, ancien confesseur du Roi, avait été une sorte d'affront pour son ordre ; d'Aubenton exigea, en retour de ses bons offices, que l'on restituât à un religieux de sa société, la direction de la conscience du jeune Roi. Toutes les préventions qu'on essaya de donner à Dubois contre l'influence d'un confesseur jésuite ne l'alarmèrent point. Animé d'intentions droites, aspirant sincèrement au bien de l'Église, à la gloire du Roi et à la prospérité de l'État, il ne faisait pas aux Jésuites l'injure de les craindre. Le Père d'Aubenton obtint sans peine une satisfaction qui devait exciter, ainsi qu'on le verra, le courroux du parti Janséniste. Le Régent reçut, le 15 décembre, une lettre de Philippe V, par laquelle Sa Majesté Catholique offrait au Roi la main de l'Infante sa fille, et exprimait la joie qu'elle ressentait de pouvoir cimenter plus fortement, par cette union, l'alliance des deux nations. Le merle jour, le Régent et le cardinal Dubois se rendirent auprès du Roi, pour lui annoncer le résultat de la négociation conduite par d'Aubenton, et félicitèrent Sa Majesté d'un événement si avantageux pour lui et son royaume. Le Roi, alors âgé de onze ans, ne pouvait pas être fort touché de cette nouvelle ; mais il vit le Régent et son ministre si joyeux, qu'il prit part à leur joie, et les remercia du zèle qu'ils mettaient à le servir. Dubois alla ensuite communiquer au Conseil de Régence le mariage de Sa Majesté avec l'Infante. Cette communication fut accueillie avec froideur. Ceux mêmes qui avaient le plus vivement soutenu, à une autre époque, la nécessité de s'unir à l'Espagne, semblaient moins portés à cette union, du moment qu'elle était l'œuvre de Dubois. En réalité, ils étaient contrariés de l'honneur qui en rejaillissait sur un ministre qu'ils jalousaient. Néanmoins il n'y eut pas d'avis émis contre le projet. Accoutumé à son abaissement, le Conseil n'était plus capable d'aucune résistance ; satisfait de paraître important, il acceptait servilement les propositions qui lui répugnaient le plus, et se laissait mener, de peur qu'on se passât de lui. Les accords du mariage demandaient un négociateur qui fût, en même temps dévoué au Régent et agréable à Sa Majesté Catholique. Le duc d'Orléans choisit le duc de Saint-Simon. Avec toutes les qualités nécessaires à cette mission, le duc avait un très-vif désir de plaire au Régent, et par ce motif ne devait pas manquer de pousser activement le mariage de Mademoiselle de Montpensier. Saint-Simon se rendit à Madrid en qualité d'ambassadeur extraordinaire, et apporta à Sa Majesté Catholique les clauses du contrat de mariage, qui fut signé le 27 novembre par lui et le marquis de Maulevrier. Pendant la discussion des articles, la négociation relative au mariage de Mademoiselle d'Orléans avait fait de grands progrès, et elle fut enfin couronnée de succès. Philippe, de son côté envoya en France le duc d'Ossuna, avec mission de complimenter Louis XV à l'occasion de son mariage, et de lui demander en même temps la main de Mademoiselle de Montpensier, pour le prince des Asturies. L'ambassadeur de Sa Majesté Catholique arriva à Paris, en novembre, et fut reçu par le Roi en audience particulière le 18 du même mois. Les conventions pour le mariage de Mademoiselle d'Orléans furent promptement réglées. Philippe V avait exigé que le Régent donnât une renonciation formelle des droits qu'il aurait pu prétendre à la couronne d'Espagne, du fait du mariage de sa fille avec le prince des Asturies. Son Altesse Royale signa cette déclaration le 10 novembre, par-devant deux Notaires au Châtelet de Paris, sous la condition toutefois que la maison d'Autriche ne pourrait en aucun cas être appelée à la succession d'Espagne ; reconnaissant à la maison de Savoie, seule, le droit de succéder, à défaut d'héritiers dans la branche Espagnole. Mademoiselle de Montpensier quitta Paris le 18 novembre, pour se rendre en Espagne. La Princesse, âgée de douze ans, devait voyager à petites journées. Le Régent avait désigné pour l'accompagner le prince de Rohan, la duchesse de Ventadour, nommée gouvernante de l'Infante, et la princesse de Soubise. Joseph Dubois qui avait succédé à la place de secrétaire de la chambre du Roi, résignée en sa faveur par le Cardinal son frère, fut nommé commissaire pour assister à la remise des Princesses. Une suite nombreuse escortait Mademoiselle. On arriva le 3 janvier 1722 à Bayonne, où la princesse séjourna jusqu'au 6. Elle se rendit à Saint-Jean de Lux, et y attendit jusqu'au au matin. Ce jour-là, elle partit pour l'Ile des Faisans, où l'Infante arriva peu de moments avant elle. L'échange des deux princesses eut lieu avec le cérémonial arrêté à l'avance, entre le prince de Rohan et le marquis de Sainte. Croix, grand maître de la maison de la Reine. L'Infante fut remise au Prince de Rohan, qui la conduisit par la main à la duchesse de Ventadour, et Mademoiselle de Montpensier au marquis de Sainte-Croix, qui la confia à la duchesse de Monteliano. Des réjouissances publiques, accompagnèrent cette cérémonie. Jamais le mot prononcé par Louis XIV à la paix de 1660 : Désormais il n'y aura plus de Pyrénées, ne sembla plus à propos et plus vrai. Hélas ! la fortune réservait à ces deux mariages un sort bien différent de celui qu'un si doux accord faisait alors présager[9]. Cet événement, si heureux en apparence, combla la famille d'Orléans de la joie la plus vive. De toutes les alliances que cette maison avait contractées, aucune ne pouvait la flatter autant, ni contribuer davantage à son illustration et à sa grandeur. Le Régent, appréciant les efforts et les prodiges d'habilité que Dubois avait faits pour conclure cette union, voulut récompenser le dévouement et le zèle de son ministre : dès le mois de juillet de cette année, pendant que les négociations se poursuivaient encore, il lui accorda, à titre de gratification, la riche abbaye de Cercamp. Dubois ne se laissa pas éblouir par un succès qui lui attirait les marques de la reconnaissance de son maître et les félicitations de ceux qui l'approchaient, L'Angleterre mêla un déboire à la satisfaction que les mariages Espagnols lui causaient. Aussitôt que le cabinet de Londres connut les démarches faites auprès de Philippe V, pour le double mariage, il sentit renaître son ancien esprit de rivalité. Jaloux des avantages que les alliances projetées allaient donner à la France, il exigea, à titre de compensation, un Traité qui lui livrât le commerce des colonies Espagnoles. On a reproché à Dubois d'avoir facilité cette convention, par une honteuse condescendance pour l'Angleterre. Les regrets, le dépit qu'il témoigna en apprenant la conclusion du Traité prouvent combien ce reproche est peu fondé. Il écrivit au marquis de Maulevrier, ambassadeur en Espagne, pour se plaindre au nom du Régent du dédommagement disproportionné que Sa Majesté Catholique avait accordé au gouvernement Anglais, et lui recommanda un silence absolu sur un acte qu'il déplorait, afin, disait-il, que l'incertitude du fait et le temps fassent tomber, s'il est possible, cet événement dans l'oubli. Si Dubois n'a pas prêté volontairement les mains à ce Traité, que pouvait-il pour l'empêcher ? Il fallait qu'il renonçât au bénéfice de ce double mariage, qui faisait concevoir des espérances si flatteuses : c'est-à-dire qu'il sacrifiât un bien qui allait attacher indissolublement l'Espagne à la France ; qu'il se privât d'une alliance solide et durable, en vue d'enlever à l'Angleterre des avantages passagers, que l'Espagne pourrait ressaisir quand il lui plairait, et qu'elle ressaisit en effet lors de la guerre de 1739, qui l'affranchit de Traités onéreux pour le commerce de ses colonies. En 1713, Louis XIV avait aussi laissé conclure le Traité appelé Asiento de Negros, qui livra à l'Angleterre la traite des noirs dans les possessions Espagnoles, et un vaste commerce de contrebande par Porto-Bello ; Dubois fut-il plus coupable que Louis XIV ? Il faut dire que ni Louis XIV, ni Dubois, n'étaient fondés à disputer aux Anglais des concessions qu'ils avaient rendues nécessaires ; en se faisant une large part d'influence en Espagne. Au reste, il est certainement oiseux de s'arrêter à discuter sur ce point, lorsque la dépêche à M. de Maulevrier laisse percer le chagrin et la honte qu'éprouvait Dubois de n'avoir pu empêcher ce Traité qu'on lui reproche. |
[1] Le traité conclu à Stockholm entre Frédéric Guillaume et la Reine Ulrique-Eléonore, reine de Suède, est du 21 janvier 1720.
[2] Il était né en 1673.
[3] Marc-Antoine Zondadari, de la langue d'Italie, succéda dans le magistère de l'ordre à Raymond Perellos de la langue d'Aragon, le 23 janvier 1720, il mourut le 16 juin 1722.
[4] Charles XII fut tué au siège de Fredérickhall, le 11 décembre 1718.
[5] Plusieurs historiens désignent improprement sous le nom de Neustadt, la ville où le traité fut signé. Nystadt est une ville de Suède, située dans la Finlande, sur le golfe de Bothnie ; Neustadt est un nom commun à un grand nombre de villes de la Confédération germanique.
[6] Les mémoires du temps ont conservé le souvenir et la description de ces fêtes somptueuses.
[7] Dubois écrivait à propos du Congrès : Nous verrons le Congrès de Cambrai employer la moitié de sa durée à régler son cérémonial, l'autre moitié à ne rien faire, jusqu'à ce que des incidents inattendus le fissent dissoudre.
[8] Le Congrès ne fut ouvert que le 21 janvier 1724.
[9] Joseph Dubois a conservé dans une lettre les circonstances principales de la cérémonie de l'échange des deux princesses.