Agitation des mécontents. — Hostilité du Parlement. — Dubois et d'Argenson conseillent des mesures vigoureuses. — Lit de justice. — Arrêt contre le Parlement et les Princes légitimés. — Suppression des Conseils. — Dubois est nommé secrétaire d'État aux affaires étrangères. — Réjouissances à Brive à l'occasion de cette nomination. — Vigueur qu'il déploie contre Albéroni. — Premiers indices de la conspiration Cellamare.Il est nécessaire de reprendre brièvement les événements qui s'étaient passés à l'intérieur depuis le commencement de l'année 1718. Le silence recommandé sur les affaires de la Bulle n'avait pas été observé ; la lutte recommença avec plus de vivacité entre les constitutionnaires et les appelants. Le corps de doctrine envoyé à l'approbation du Pape ne revenait pas de Rome. Des avis secrets avertissaient le maréchal d'Uxelles des vraies causes de ce retard ; l'accommodement n'était nullement du goût de Clément XI, qui cherchait à gagner du temps. Le Régent, qui n'avait contenu jusque-là les appelants que par la promesse d'un arrangement, se vit tout-à-coup trompé dans son attente. Le Parlement, de son côté, était pressé d'en finir avec la Bulle, au moins autant que les plus purs Jansénistes. Sa hardiesse d'ailleurs augmentait à mesure que les embarras de la Régence devenaient plus grands. D'autres causes de désaffection l'avaient tourné contre le Régent. Les censures qu'il avait portées contre plusieurs édits monétaires avaient déterminé le duc d'Orléans à soustraire à sa juridiction les lois sur cette matière, pour les soumettre à la Cour des monnaies. La disgrâce du chancelier d'Aguesseau fut encore pour cette compagnie un coup sensible. A la mort de Voisin, le duc d'Orléans avait cru plaire au Parlement en donnant les Sceaux à une des plus grandes lumières de ce corps ; mais il s'assura bientôt que d'Aguesseau n'avait ni le nerf ni la fermeté que comportaient les fonctions de chancelier, et que l'ancien procureur-général au Parlement éprouvait des faiblesses en face de sa compagnie. Conduit par le duc de Noailles, d'Aguesseau partageait l'antipathie du président du Conseil des Finances contre les projets de Law, et les contrecarrait plus qu'il ne convenait au Régent. Par tous ces motifs, le 28 janvier, le duc d'Orléans lui avait fait redemander les Sceaux pour les donner à d'Argenson, dont le caractère plus énergique devait imposer davantage au Parlement. Celui-ci s'offensa de cette destitution comme d'une injure ; mais d'Aguesseau ne montra pas la même susceptibilité. On peut en juger par la lettre suivante, qu'il remit à la Vrillière avec les Sceaux : À MONSEIGNEUR LE DUC D'ORLÉANS, RÉGENT. Monseigneur, Je vous remets les Sceaux avec plus de facilité que je n'ai eue à les accepter. Je conserverai le reste de mes jours une reconnaissance pour votre personne, et un attachement inaltérable pour l'État. Ma seule peine est de me voir privé de faire ma cour à Votre Altesse Royale. Personne n'est, au reste, plus sincèrement, Monseigneur, de Votre Altesse Royale, etc. D'AGUESSEAU. Cette lettre où respire la modération aurait peut-être tempéré l'aigreur du Parlement, s'il l'eût connue. Mais comme elle ne fut pas rendue publique, il profita de cette circonstance pour faire croire que d'Aguesseau était tombé de sa place en victime, et refusa d'enregistrer l'édit portant érection de l'état et office de Garde des Sceaux en faveur du marquis d'Argenson. Dans les dispositions chagrines où se trouvait le Parlement, tous les mécontents devenaient ses clients. La cause des princes légitimés, quoiqu'elle fût perdue, appela son attention sans beaucoup l'intéresser. Le duc du Maine, avec ses mémoires judiciaires, faisait assez de bruit pour être à lui seul une cause de trouble. Il ne cessait d'ailleurs d'en appeler aux États-Généraux, et devenait par là un embarras pour le Régent ; c'était pour le Parlement le côté vraiment attachant de cette cause. Il y avait un sujet de sollicitude plus intéressant. Les édits monétaires avaient frappé de discrédit toutes les espèces. Les fraudes pratiquées pour en hausser ou baisser la valeur numéraire introduisaient le désordre dans les relations de commerce, et ruinaient les citoyens. Une dernière refonte ordonnée en 1718 excita des plaintes très-vives. Au taux où étaient les nouvelles espèces, un particulier qui portait à la monnaie 125 marcs d'argent représentant une somme de 5.000 livres, à raison de 40 livres le marc, et 2.000 livres en billets de l'État, recevait 7.000 livres en espèces nouvelles du poids total de cent seize marcs ; il perdait par conséquent neuf marcs sur les cent- vingt-cinq, plus la totalité des billets. Cette opération causait un immense préjudice à la fortune des citoyens. Le Parlement lit à ce sujet des remontrances le 19 juin. Le Régent répondit, le même jour, qu'il avait senti et pesé les inconvénients signalés, mais qu'il n'avait pu se dispenser de donner l'édit, et assura qu'il le ferait examiner à nouveau pour y remédier ; il allégua que l'inconvénient des particuliers se trouvait compensé par des avantages publics qui ne permettaient pas de retirer l'édit. La Cour des Aides et la Chambre des Comptes protestèrent à leur tour, et le Parlement, soutenu dans son opposition adressa le 26 juillet des remontrances pour la révocation de l'édit des monnaies. Le 12 août suivant, il rendit un arrêt qui ordonnait la garantie et la responsabilité personnelle des officiers comptables, et faisait défense à tous étrangers, même naturalisés, de s'immiscer dans l'administration des derniers royaux. Ce dernier arrêt indique d'où venait le mal. Les dépréciations successives avaient fait la prospérité de la Banque générale. D'accord avec Law, le Régent méditait de tourner au profit de l'État les bénéfices de cette institution, en la déclarant Banque Royale, et en agrandissant ses privilèges. Le succès des premières opérations avait procuré à Law un crédit sans bornes dans l'esprit du Régent. Cette faveur annonçait que le directeur de la Banque serait bientôt maître des finances de l'État. Le Parlement avait cru qu'il préviendrait, par son arrêt du 12 août, des abus nouveaux. S'il avait toujours su, comme en cette occasion, borner sa sollicitude à des objets d'un intérêt public, il aurait pu se rendre redoutable. Il mêla ses passions aux inspirations d'un zèle louable, et ne retira d'une opposition qui pouvait être utile, que la satisfaction vaine de contrarier le gouvernement. Dans son désir de fronder, il s'en prenait aux actes mêmes sur lesquels il n'avait pas d'avis à émettre. Des conseillers imprudents revendiquaient dans leurs discours le droit du Parlement à s'entremettre dans toutes les affaires, comme tuteur-né de la royauté. Le danger que ces délibérations séditieuses faisaient courir à la paix publique était accru par l'état des esprits. De toutes parts, on demandait la tenue des États-Généraux avec plus de force ; ce cri universel était un signe de l'affaiblissement du pouvoir royal. Le Régent était de lui-même incapable de relever, par un acte de vigueur, l'autorité qu'il avait laissé tomber au milieu des dissensions. Deux hommes réunissant au même degré la hardiesse et l'énergie qui manquaient au Régent, d'Argenson et Dubois, conçurent l'idée de sauver la puissance Royale, par un de ces coups d'autorité qui ne demandent pour réussir, qu'une résolution ferme et de l'adresse. Dubois s'empara d'abord de l'esprit du duc d'Orléans, en
lui exposant, dans un mémoire plein de force, les raisons qui lui
commandaient de réprimer les usurpations du Parlement et d'écarter les
États-Généraux. Il lui fit voir les dangers d'un pouvoir partagé avec des
assemblées d'où peuvent s'élever des volontés trop hardies, et indiqua la
marche à suivre pour briser la résistance du Parlement. Les moyens qu'il
proposa sont un lit de justice ; l'exil des chefs de faction, si la mutinerie
persiste, et, au besoin, l'exil du corps du Parlement tout entier à Pontoise,
si son opiniâtreté le rend nécessaire. A l'égard d'une assemblée nationale,
les difficultés sont plus grandes ; on n'exile point la nation pour se faire
obéir : Le Roi, écrivait Dubois, est assuré de ses troupes contre le Parlement ; le
serait-il contre la France assemblée ? Où frapperait donc le soldat, le
général, sans frapper contre ses compatriotes, ses amis, ses parents ou ses
frères ? N'oublions jamais que le dernier malheur des Rois est de ne pas
jouir de l'obéissance aveugle du soldat ; que compromettre ce genre
d'autorité, qui est la seule ressource des Rois, c'est s'exposer aux plus
grands dangers ; c'est véritablement la partie douteuse du monarque qu'il ne
faut pas montrer au peuple, même dans les plus grands maux de l'État. De son côté, d'Argenson pressait avec toute l'inflexibilité de son caractère, pour des mesures rigoureuses contre le Parlement qu'il n'aimait pas, persuadé qu'on rabattrait la turbulence des mécontents en réduisant les parlementaires au silence. Mais, en retirant brusquement au Parlement les concessions qui lui avaient été faites par nécessité au commencement de la Régence, on s'exposait à paraître l'avoir dupé. Il ne convenait pas au caractère du Régent d'être accusé d'un manque de franchise. Dubois, plus souple que d'Argenson, imagina divers moyens pour atteindre le but que se proposait le chancelier, sans que le duc d'Orléans eût à se rétracter. Le succès des coups hardis est dans leur soudaineté ; ils doivent surprendre ceux qu'ils frappent. Tout était préparé contre le Parlement, lorsque le 25 août, celui-ci fut convoqué pour le lendemain au lit de justice que le Roi devait tenir. Le 26, à onze heu res du matin, la Cour représentée par cent soixante-cinq membres, en robe rouge et précédée du président de Novion, se rendit à pied au Palais du Louvre. D'Argenson n'avait pas oublié l'appareil militaire. Le Roi, accompagné des princes du sang et des grands dignitaires de la couronne, se rendit à la chapelle et reçut la députation du Parlement. Après la réception, il fit son entrée dans la salle où devait se tenir le lit de justice ; les préparatifs en avaient été faits pendant la nuit. D'Argenson prit d'abord la parole au nom du Roi, et dans un discours très-vif, s'éleva contre l'esprit hostile des derniers arrêts. Sa harangue finie, il lut une déclaration portant enregistrement en lit de justice de l'édit de création de l'office de Garde des Sceaux, enregistrement qui avait été refusé. Il prononça ensuite un arrêt de Sa Majesté qui cassa plusieurs résolutions de la Cour. Enfin, il présenta des 'lettres-patentes qui restreignaient le droit de remontrance, et limitaient à huit jours le temps dans lequel l'enregistrement des actes royaux devait s'exécuter ; déclarant que, passé ce temps, les actes seraient considérés comme enregistrés. Enfin, il était fait défense au Parlement d'interpréter à l'avenir les édits et autres actes de l'autorité royale, de s'assembler et de délibérer au sujet de l'administration des finances. Le président de Mesmes, un genou sur sa banquette, supplia le Roi de permettre que le Parlement prit connaissance des actes avant qu'il fût arrêté une résolution. Le chancelier, ayant reçu les ordres du Régent, dit d'un ton ferme : Sa Majesté veut être obéie et obéie à l'instant. La Cour garda le silence, et l'édit fut enregistré. Après qu'il en eut fini avec le Parlement, le Chancelier commença un autre discours sur les prérogatives des princes légitimés. Il y développa les motifs d'un arrêt qui remettait, à leur égard, les choses en l'état naturel, et les faisait redescendre dans l'ordre de la pairie à leur rang d'ancienneté. Et, attendu que, par le rang de sa pairie, le duc du Maine devenait inférieur aux autres pairs, il était déclaré déchargé de la surintendance de l'éducation du Roi. Par une disposition que le Régent s'était plu à ménager en faveur du comte de Toulouse, dont la conduite avait toujours été pleine de mesure, ce prince fut excepté dans l'édit, et conserva, sans pouvoir les transmettre, les prérogatives et le rang qui lui avaient été accordés. L'enregistrement de ce dernier édit ayant été ordonné, le duc de Bourbon présenta une requête pour solliciter la place qui venait d'être enlevée au duc du Maine. Le Régent se leva et demanda que cet honneur fût accordé au duc, ce qui fut en effet concédé par le Roi. Le duc du Maine et le comte de Toulouse n'assistèrent pas à la séance ; La Vrillière les avait invités à s'abstenir de paraître au lit de justice. On a vu avec quelle humilité le Parlement dut s'incliner devant l'arrêt qui le dégradait. Les têtes chaudes de la compagnie ne cachèrent point leur indignation, et enflammèrent les plus timides par leurs excitations. La Cour s'assembla le lendemain. A la suite d'une courte délibération, elle ordonna qu'il serait couché sur ses registres qu'elle n'avait pu ni dû entendre avoir aucune part aux actes de la veille, et protesta en termes d'une excessive et tardive vivacité contre les arrêts qui avaient été pris. Une tactique habile donna à la protestation une grande publicité, et le public, généralement hostile aux excès de pouvoir, ne manqua pas de se déclarer pour le Parlement. Cet éclat inquiétait moins la Régence que les dispositions mêmes de la Cour. On savait qu'à l'incitation des membres les plus remuants, il s'organisait une véritable révolte des Parlements du royaume. Le Régent se décida à prévenir le danger. Dans la nuit du 28 au 29 août, des mousquetaires enlevèrent, par ordre du Roi, le président de Blamont, Feydeau de Galande, président des enquêtes et Saint-Martin, conseiller, qui furent exilés. Le Parlement réclama contre cette arrestation, menaçant d'interrompre le cours de la justice. Le Régent signifia aux récalcitrants qu'ils eussent à continuer leurs séances, sous peine d'être transférés en corps à Pontoise. La crainte ne rendit le Parlement qu'en apparence plus docile ; ces hostilités n'étaient que le commencement d'une lutte qui devait se ranimer bientôt avec plus de violence, et se prolonger avec tous les caractères d'une guerre de parti. Sans doute l'apologie d'un coup d'autorité ne dépend pas du succès qui l'a couronné. Le triomphe de quelques intérêts particuliers ne suffit point pour légitimer une mesure violente. Nous attachons donc peu d'importance à constater, qu'après l'ordre d'exil, les actions de la Banque générale montèrent rapidement de dix-huit pour cent. Mais ce qui tendrait à faire absoudre le Régent, ce sont les avantages qu'il sut tirer de la prépondérance qu'il venait d'acquérir, pour dominer les factions. La compression du Parlement fut un exemple salutaire. Les mécontents, accoutumés à considérer cette Cour comme le refuge de leurs espérances, se sentirent découragés. A la faveur de la surprise qui suivit cet acte de vigueur, le Régent songea à concentrer davantage l'action du gouvernement en supprimant les Conseils. Leurs attributions furent transmises à des secrétaires d'État dont le nombre, réduit à trois par l'édit de janvier 1716, se trouva porté à cinq. Au comte de Maurepas échut à la fois la Maison du Roi et le Clergé ; La Vrillière fut chargé des Affaires générales de la religion réformée, des bénéfices, dons et brevets militaires ; d'Armenonville eut en partage le Commerce maritime et les Colonies ; Leblanc, la Guerre ; l'abbé Dubois, les Affaires-Étrangères. L'administration des Finances resta confiée à un Conseil dont le Régent fut le chef, et d'Argenson, qui avait succédé au duc de Noailles dans la présidence des Finances, l'un des membres. On savait que le duc d'Orléans réservait ce département à Law, qui le dirigeait déjà par ses conseils. L'élévation de Dubois à une place aussi importante ne manqua pas de déchaîner toutes les jalousies. Ceux, surtout, qui avaient la secrète ambition d'exercer quelque empire sur le Régent, maudirent une faveur qui ouvrait à l'abbé le chemin d'un crédit sans bornes. Pendant que Dubois surexcitait l'envie à Paris, ses concitoyens de Brive lui réservaient une marque éclatante de leur considération et de leur respect. Son avènement au ministère fut célébré par de brillantes démonstrations dans la ville qui l'avait vu naître. Le 14 octobre 1718, la communauté de Brive et les habitants les plus considérables s'assemblèrent dans la maison consulaire au son de la trompette et de la grande cloche. Sur la proposition d'un des consuls, M. de Fonteneil, ils arrêtèrent des réjouissances publiques à l'occasion d'une nomination dont l'honneur rejaillissait sur leur cité. Le même jour, les consuls, barons et co-seigneurs de Brive, accompagnés des syndics de la communauté et des principaux de la bourgeoisie, se rendirent en corps dans la maison de Joseph Dubois, lieutenant général de police, frère aîné du secrétaire d'État[1], pour lui offrir les félicitations de ses concitoyens. Il y eut le 15 et le 16 des fêtes d'une grande magnificence, auxquelles s'associèrent avec le même élan de joie les autorités, la bourgeoisie, les corporations et les habitants les plus éloignés de l'élection. L'allégresse publique fit éclater le sentiment d'orgueil qui transportait les habitants de Brive ; aucune ville n'a jamais décerné à ses plus grands citoyens un triomphe plus flatteur et plus populaire[2]. Dubois établit son ministère au Palais-Royal. D'abord il s'éleva des difficultés de forme au sujet de la commission qui venait de lui être délivrée. Comme il n'était pas pourvu d'une charge de conseiller-secrétaire du Roi, on lui contesta le droit de signer les expéditions de son département. Le Régent y remédia provisoirement, le 30 septembre, par un brevet du Roi, qui donnait à l'abbé la signature, en attendant qu'il fût en charge de conseiller du Roi. Dans les premiers jours d'octobre, Dubois traita de la charge de M. Godemel de Bourdrille, et entra immédiatement dans le plein exercice de sa place. Aussitôt que la nomination de l'abbé fut connue à Londres, il lui arriva des félicitations des nombreux amis qu'il avait en Angleterre. Les ministres du Roi Georges Ier et lord Stanhope avaient témoigné à plusieurs reprises le plaisir qu'ils auraient à le voir chargé des Affaires-Étrangères, parce que cette nomination était pour eux un gage de la bonne harmonie qu'ils souhaitaient établir entre les deux couronnes. Aussi, en répondant à M. Craggs, ministre des Affaires-Étrangères d'Angleterre, Dubois ne manqua pas de donner au choix du Régent une couleur qui devait flatter la Cour de Londres, et présenta son élévation comme une sorte de déférence pour les vues du Roi. Il lui écrivait dans l'effusion de sa joie : C'est maintenant que l'Alliance va fleurir ! Toute l'ambition de l'abbé était en effet de donner la
paix à la France et à l'Europe, en s'appuyant sur le Traité de Londres. Il
était fermement persuadé que rien n'était plus capable de contenir les
puissances remuantes que l'union des deux peuples, et, à ce sujet, il
écrivait à lord Stanhope, le 14 octobre 1718 : Nous
avons cru avec raison que ce point était le plus puissant et le plus sage moyen
que nous puissions employer pour ébranler le cardinal Albéroni. Nous venons
en dernier lieu encore de continuer à le mettre en usage en ordonnant au duc de
Saint-Aignan, notre ambassadeur, de se plaindre de la saisie de vos effets,
et si l'on ne donne pas une prompte satisfaction à Son Altesse Royale, et que
le Roi Catholique laisse passer le deux novembre sans accéder, — de se retirer et de revenir en France. Afin de ne laisser aucun doute sur l'intimité des deux cabinets, le duc de Saint-Aignan recevait des instructions qui lui prescrivaient d'agir d'accord avec le ministre d'Angleterre. M. de Nancré, resté à Madrid, avait également reçu des avis exprès de prendre son audience de congé aussitôt que le terme laissé à Philippe V serait expiré. Alberoni se riait secrètement de la confiance que le gouvernement du Régent montrait dans sa force et dans les secours de l'Angleterre, et se croyait déjà sûr de renverser la Régence du duc d'Orléans et la royauté de Georges Pr. Mais Dubois avait saisi quelques-uns des fils de la conspiration que le ministre de Philippe tramait en France. Le 25 août 1718, une lettre écrite par un avocat au Parlement, nommé Taphinon, fut interceptée, et donna la preuve des intelligences qu'Alberoni entretenait avec les mécontents. Taphinon, d'accord avec Portas, colonel au régiment d'Infanterie-Dauphin, Privat, capitaine de cavalerie, et Pichon, prêtre du diocèse de Bordeaux, offraient au cardinal de l'informer de l'état des affaires, et protestaient, au nom des associés, de leur dévouement au Roi d'Espagne. L'abbé Dubois était en outre informé que Cellamare, ambassadeur de Sa Majesté Catholique à Paris, entretenait des rapports avec des mécontents de France. Il profita de ces découvertes pour tâcher de persuader à la Cour de Madrid de se désister de ses mauvais desseins. Le 25 octobre, il écrivit à M. de Nancré pour qu'il dénonçât au Roi d'Espagne les brigues souterraines de son principal ministre, et la conduite déloyale de son ambassadeur. Ces plaintes étaient reçues comme un signe de faiblesse à la Cour de Philippe, où on avait l'orgueil de croire que le Régent de France en était réduit à implorer la modération de l'Espagne comme une grâce. Des faits plus graves vinrent bientôt éclairer le gouvernement du Régent sur les secrètes menées de l'ambassadeur espagnol à Paris. Un écrivain de la bibliothèque du Roi, du nom de Buvat, employé comme copiste par le prince de Cellamare, révéla à Dubois des circonstances qui prouvaient l'existence d'un complot[3]. Ces révélations apprirent que l'ambassadeur avait fait passer en Espagne divers projets d'actes qui devaient en revenir avec la signature du Roi, pour exciter à la révolte les Parlements et les différents ordres de l'État. Muni de ces renseignements, l'abbé s'appliqua à rechercher les traces de la conspiration, et en eut bientôt tous les fils. Il lui était facile de confondre Albéroni, au moyen des indices qu'il avait recueillis de sa fourberie. Mais il fallait justifier publiquement aux yeux de la France et de l'Espagne les mesures énergiques que la trahison d'Albéroni rendait nécessaires ; il fallait enfin des preuves évidentes de la conspiration. Dubois parvint à les saisir, et renversa, comme en se jouant, une conspiration à laquelle il n'avait manqué que des conspirateurs habiles. |
[1] Joseph Dubois jouissait non-seulement dans sa ville, mais dans toute la province, d'une considération justifiée par les services publics qu'il avait rendus dans l'exercice des nombreuses fonctions dont il avait été revêtu. En 1692 et 1693, d fut chargé 'de la distribution des blés envoyés par le Roi à l'élection de Brive. Il reçut, le 7 janvier 1693, des provisions de Maire et de Lieutenant de police et. fut nommé subdélégué de l'intendance provinciale. Nous avons eu sous les yeux les attestations des divers intendants qui ont administré le Limousin jusqu'eu 1719, époque à laquelle Joseph Dubois fut appelé à Paris par son frère ; elles sont unanimes à louer les mérites qu'il apporta dans les devoirs de sa charge. Une de ces lettres d'honneur s'exprime ainsi : Les gentilshommes et les taillables s'en rapportaient à lui de leurs différends, de sorte qu'il entretenait la paix et l'union dans toute son élection. Son désintéressement, sa douceur, lui ont acquis le cœur de la province (1710).
Le 23 juin 1716, Joseph Dubois avait réuni à ses fonctions celle d'inspecteur des Finances pour le recouvrement et la distribution des deniers royaux de la province.
De son mariage avec Anne David de Laplagne il eut deux fils, dont l'un, qui avait embrassé l'état ecclésiastique, fut chanoine de la Collégiale de Saint-Honoré à Paris et se rendit recommandable par sa piété et son désintéressement. Il n'aspira à aucune dignité ecclésiastique, même dans le temps de la plus grande élévation de son oncle, et à la mort de celui-ci, abandonna à sa ville natale l'héritage du Cardinal et refusa la pension que le Roi lui fit offrir en reconnaissance des services rendus par Dubois. Il fut un des appelants de la bulle les plus décidés. Le second fils de Joseph Dubois, connu sous le nom de chevalier Dubois, travailla quelque temps près de son oncle et mourut jeune vers 1721. Joseph eut aussi une fille nommée Catherine, mariée à Messire Guillaume Sahuguet d'Amarzit, seigneur de Puymaret et de Vialard. Il n'y eut de ce mariage qu'une fille morte sans être mariée.
[2] La relation de cette ovation populaire a été conservée dans les registres de la ville de Brive. Elle contient une description très-détaillée des fêtes et donne une idée très-exacte de leur magnificence. Cette pièce nous a semblé un monument fort curieux pour l'étude des mœurs et des usages du dix-huitième siècle.
[3] Voltaire et presque tous les historiens du dix-huitième siècle ont attribué la découverte de La conspiration Cellamare à une courtisane célèbre nommée la Filhon. Il était fort connu cependant, en ce temps-là, que Buvat avait reçu, en FM, du roi Louis XV, une pension de gratification pour ses révélations ; les preuves en ont été rendues publiques. Si donc, des écrivains contemporains ont paru ignorer un fait aussi notoire, c'est parce que l'opinion contraire avait l'avantage de prêter à la singularité et au scandale.