Connivence d'Albéroni dans les troubles de France. — Lettre de Georges Ier au Régent. — Reprise des négociations pour le traité de la quadruple alliance. — Dubois passe en Angleterre. — Difficultés du Traité. — Hésitations du Régent. — Signature de la quadruple alliance (2 août 1718). — Hostilités entre l'Espagne et l'Angleterre.A ces causes de trouble venait s'ajouter la secrète influence de l'Espagne, qui soufflait la révolte et en préparait l'explosion. Albéroni n'avait pas tardé à nouer des intelligences avec les chefs principaux de la noblesse, et en leur promettant des secours excitait leur confiance. Il se flattait, à l'aide des mécontents, d'enlever la Régence au duc d'Orléans. Ses machinations étaient à peine couvertes, et le peu de déguisement qu'il mettait à ses intrigues marque avec quelle assurance il en attendait le succès. Cette intervention frauduleuse du gouvernement espagnol dans les affaires intérieures du royaume n'avait pas des dangers seulement pour le duc d'Orléans ; elle menaçait encore la stabilité des traités garantis par la triple Alliance, car on savait que le but de Philippe V était de s'emparer du gouvernement de la France, par lui-même ou par un substitut. Elle constituait un cas prévu au Traité, et donnait ainsi à l'Angleterre le droit de s'opposer aux vues d'Albéroni, en même temps qu'elle lui imposait l'obligation d'intervenir en faveur du Régent, son allié. Dès le commencement des troubles, et avant même que le duc d'Orléans eût songé à requérir les bénéfices de l'alliance, le Roi Georges avait fait tenir au Régent, par son ambassadeur à Paris, les assurances d'une coopération active dans la guerre sourde qui lui était déclarée par l'Espagne. Ces offres, qui n'avaient pas un objet pressant alors, furent toujours écartées. Mais lorsque, au mois de mai, le procès des princes vint donner au mécontentement une plus grande force, le Roi Georges écrivit de sa main au Régent : Mon frère et cousin, Quoique milord comte de Stairs ait ordre de vous assurer, de ma part, de ma sincère amitié, et de la confiance que j'ai en vous, comme aussi de mon intention à poursuivre toutes les mesures qui peuvent avancer vos intérêts, je ne puis m'empêcher de vous donner les mêmes assurances de ma propre main. C'est avec beaucoup de plaisir que, j'apprends dudit comte les obligeantes dispositions que vous avez fait paraître à maintenir les engagements où nous sommes entrés, et à en donner des preuves convenables dans les occasions. Comme il connaît très-bien mes, sentiments, il pourra vous faire savoir avec combien d'estime je suis, Mon frère et cousin, Votre bon frère et cousin, GEORGES, ROI. A Saint-James, le 2/12 mai 1717. La protestation du Roi d'Angleterre ne laissait pas d'embarrasser le Régent. 11 ne pouvait se dissimuler que l'intervention qui lui était promise serait, vue en France d'un mauvais œil. Dubois lui fit apercevoir le parti qu'on en pouvait tirer pour porter l'alarme Ma Cour de Madrid, et l'amener, en lui inspirant des inquiétudes,, à se retirer des cabales qu'elle entretenait dans le royaume. Ce plan offrait à l'abbé une occasion de reprendre les négociations, et de compléter l'œuvre qu'il s'était proposée par la triple Alliance. Aucune paix n'avait réconcilié l'Empereur et l'Espagne ;- la rivalité des deux couronnes subsistait toujours au fond d'une trêve. Alberoni, par une politique ambitieuse, travaillait dans l'obscurité à rallumer la guerre avec l'Empire, tandis que Charles VII, enivré de ses prospérités en Hongrie, aspirait secrètement à ressaisir au moins quelques parties de la couronne d'Espagne. L'ambition des cours de Vienne et de Madrid mettait ainsi chaque jour en péril la tranquillité générale. Afin de prévenir un embrasement qui pouvait envelopper l'Europe, le Roi d'Angleterre et le Régent songèrent à demander à Philippe V et à l'Empereur d'accéder à l'alliance ; l'accession de l'un d'eux devait suffire pour réduire l'autre à l'impuissance de troubler la paix. Georges, porté par ses préférences vers l'Empereur, se chargea des ouvertures de ce côté. Dans, l'état de ses rapports avec l'Espagne, le Régent ne se sentait pas très-disposé à renouveler des démarches près de Philippe V. Immédiatement après la conclusion du traité de La Haye, il s'était empressé de faire remettre une copie des conventions à Sa Majesté Catholique, qui ne donna aucune attention à cette communication. Ces circonstances réunies laissaient peu, au duc d'Orléans, l'envie de s'exposer aux mêmes rebuts, quoiqu'il fût très-sincèrement porté pour une alliance avec Philippe V. Il était affermi dans ses répugnances par les pressantes-remontrances de Dubois. L'abbé ne voyait aucun bon résultat à attendre, pour le Régent, d'un mouvement généreux que l'ingratitude de Philippe lui ferait promptement oublier. D'ailleurs, instruit des projets d'Albéroni, dont le dessein était de former en Italie un État en faveur de l'un des enfants de son maître, il savait très -bien qu'on ne ferait pas goûter au cardinal la triple Alliance, qui contrariait ses vues, Une partie du Conseil, au contraire, composé des adversaires de l'abbé, penchait pour un rapprochement, et proposait d'y employer la médiation du duc de Parme[1]. Le duc d'Orléans flotta longtemps, combattu tour à tour par les raisons de Dubois et l'inclination qu'il avait à être utile à l'Espagne. Il fut surpris dans son indécision par un événement qui vint le forcer à prendre un parti. Au milieu du calme des grandes puissances, pendant que Charles VI était occupé avec les Turcs en Servie, on apprend que des troupes espagnoles, parties de Barcelone, venaient de débarquer à l'improviste en Sardaigne (22 août 1717), et d'enlever la conquête de cette île, en représailles du traitement fait au grand Inquisiteur d'Espagne, arrêté à Milan, où il était mort en prison. Albéroni avait abusé les puissances sur le but de l'expédition partie de Cadix. Tandis qu'il annonçait que son objet était de secourir les Vénitiens menacés par les Turcs, il trompait le Pape, et obtenait de Sa Sainteté la permission de lever une contribution sur le clergé espagnol pour les frais d'une guerre qu'il préparait contre l'Empereur. Celui-ci fit des reproches au Pape, de l'aide qu'il croyait avoir été donnée volontairement au cardinal, et cette équivoque faillit brouiller le Saint-Siège et l'Empire. L'agression hypocrite d'Albéroni précipita les déterminations des alliés, et amena l'ouverture d'une conférence à Londres. L'abbé Dubois fut désigné pour y assister. Il partit de Paris le 20 septembre 1717, en qualité de simple commissaire, accompagné de Destouches, chargé des fonctions de secrétaire[2]. L'objet de son voyage était de préparer les bases de l'accession de l'Empereur et de Philippe à l'alliance. Dubois arriva à Londres le 28 septembre. Les événements de Sardaigne y avaient produit l'étonnement et l'indignation ; il en augura qu'il trouverait le Roi et ses ministres mal disposés à l'égard de l'Espagne, dont le Régent lui avait prescrit de ménager les intérêts. Les premiers jours de son arrivée furent donnés aux cérémonies. Quoiqu'il ne fût pas accrédité publiquement, l'abbé reçut les visites des ministres du Roi, des ministres étrangers et des premiers personnages de la cour. Le 5 octobre, il eut, à Hampton-Court, une première audience du Roi, en fut gracieusement traité et dîna avec Sa Majesté. Il avait été chargé par Madame la Palatine, tante du Roi, de lui offrir les compliments de Son Altesse Royale. A cette occasion, Georges Pr, donna à l'abbé des témoignages touchants de l'affection sincère qu'il portait à la princesse, au Régent et à sa famille. Il nous a semblé qu'il n'était pas inutile d'insister sur les circonstances de cet accueil cordial, quelque indifférentes qu'elles paraissent, parce qu'elles fournissent une induction concluante contre l'accusation calomnieuse qui reprochait à Dubois de recevoir une pension de l'Angleterre. Personne ne croira que l'homme auquel on rendait publiquement de semblables honneurs fut un ministre vénal. Certainement le Roi Georges n'aurait pas admis à sa table celui qu'il aurait honteusement pensionné[3]. La conférence ouvrit le mardi 10 octobre avec les ministres d'État. On y tomba d'accord, dans la première réunion, sur la nécessité d'arrêter les hostilités commencées par Albéroni, et d'appeler l'attention de l'Espagne sur les conséquences sérieuses de la guerre qu'elle venait de déclarer. Déjà des remontrances à ce sujet étaient parties de Paris pour Madrid ; elles restèrent sans effet. Sur quelle base asseoir une réconciliation entre deux puissances qui se jalousaient avec tant de passion et dont les prétentions se combattaient aussi violemment ? Les conférences se poursuivaient et les conventions n'avançaient pas. Mais on avait acquis assez de lumières pour croire qu'il n'était pas impossible de former un projet acceptable. Un accident arrivé au Régent, au mois de novembre, causa de vives inquiétudes aux amis du Prince[4], et ramena brusquement Dubois à Paris (29 novembre). Dès que le duc d'Orléans put reprendre les affaires, l'abbé lui exposa l'état des négociations et les difficultés qu'elles présentaient. Il eut le chagrin de trouver le prince aliéné à la quadruple-Alliance, et complètement dominé par la fraction du conseil de Régence qui travaillait de concert avec le maréchal d'Uxelles à faire manquer le Traité. Dubois fut consterné. Dans son dépit, il ne trouva à répondre que par un sarcasme : Monseigneur, dit-il au Régent, puisque vous hésitez à parler un langage ferme à l'Espagne, et à montrer au Roi Philippe de quel poids vous pouvez peser sur ses États, préparez un ton suppliant, car vous aurez bientôt à demander la paix au cardinal Alberoni. Le. Régent sentit le trait et convint que le parti proposé, par l'abbé était le plus raisonnable. La difficulté de satisfaire équitablement le Roi, d'Espagne lui faisait douter de la possibilité d'un accommodement. Il importait que Philippe ne parût pas être immolé. Dubois avait songé à cet embarras. Dans cette prévision, il avait demandé et, obtenu de Stanhope une sorte de promesse de la remise de Gibraltar à l'Espagne, en échange des renonciations qu'on exigeait d'elle en Italie. Dans ces termes, qui agréaient au Régent, le Traité devenait praticable. L'abbé fut chargé de poursuivre l'exécution de la promesse de lord Stanhope, et reçut l'ordre de retourner à Londres. Le duc d'Orléans lui délivra le 17 décembre les pleins pouvoirs du Roi pour traiter en qualité d'ambassadeur et de plénipotentiaire avec l'Empereur, le Roi d'Espagne, le Roi de la Grande-Bretagne et les États-Généraux. Les motifs de la mission étaient ainsi spécifiés : Comme nous voulons autant qu'il est en nous contribuer au maintien de la tranquillité publique, rétablie par les traités d'Utrecht et de Bade, et à l'affermissement de la paix nécessaire à toute l'Europe ; que nous désirons d'ailleurs de répondre aux ouvertures de la part du Roi de la Grande-Bretagne ; dans la vue de prévenir l'embrasement qui menace de s'élever à l'occasion des différends qui subsistent entre l'Empereur des Romains et le Roi d'Espagne, nous confiant dans la capacité, etc. En subordonnant ainsi sou action aux ouvertures de l'Angleterre, en acceptant un rôle intermédiaire, le Régent désirait amoindrir, en apparence, sa participation au projet d'alliance, afin de ne pas laisser voir l'intérêt de la France, et de rendre plus facile l'accession de Philippe V. Dubois partit de Paris le 25 décembre. La fatigue et une extrême application au travail avaient miné ses forces ; il tomba malade en arrivant à Londres. Les conférences arrêtées furent reprises seulement dans le courant du mois de janvier. Stanhope désirait contenter le duc d'Orléans ; mais il ne voyait aucun moyen de satisfaire Albéroni qui demandait que la Sardaigne et la Sicile restassent à l'Espagne, moyennant un équivalent que l'Empereur donnerait, pour la Sicile, au duc de Savoie, dans le Milanais ; cette proposition annonçait la mauvaise foi du ministre de Philippe V. Les dépêches de M. de Nancré témoignaient, en effet, combien peu Albéroni espérait conserver même la Sicile. Stanhope, en renouvelant la promesse de remettre Gibraltar aux Espagnols, à titre de compensation, prenait un engagement qui devait soulever une opposition formidable en Angleterre ; en conséquence, il exigeait que cette clause demeurât secrète jusqu'à la fin des négociations. Dubois avait trop appris à connaître le caractère vacillant de son maitre, pour l'abandonner librement à lui-même. Sa correspondance avec le Régent devint plus fréquente. Toutes ses lettres portaient invariablement les mêmes recommandations et les mêmes supplications. Il répétait sur tous les tons : Défiez-vous des flatteurs ; gardez-vous du parti espagnol qui délibère dans vos conseils... Les lettres qu'il recevait lui-même du maréchal d'Uxelles, président du Conseil des Affaires-Étrangères, lui traduisaient le succès de ses avis particuliers. Le maréchal traitait avec lui en supérieur bourru dont l'autorité est dépassée, et qui se plaît à faire sentir le pouvoir qu'il a retenu. Les dissentiments qui se révélaient par cette mauvaise humeur, rendaient plus sensible l'incompatibilité des Conseils avec la pleine autorité, que Dubois était jaloux de conserver au chef de la Régence, dût-il en conserver seulement les apparences. Il en développa les inconvénients dans un mémoire détaillé envoyé au Régent. L'abbé y faisait une critique amère de l'indolence et de la lenteur de ces petites assemblées, où la mobilité des suffrages rompait l'unité de vue nécessaire à un gouvernement. Il appuyait sur l'ignorance de la plupart de ceux qui les composaient, sur la dépendance en laquelle le Ré- gent était tenu par ces conseils infatués de la supériorité que suppose le droit de donner des avis qui doivent être suivis. Les Conseils, ajoutait Dubois, agissent moins qu'ils ne parlent ; c'est le contraire qui serait nécessaire pour la célérité des affaires. Avec Débagnet[5] seul et de la fermeté, je réponds à Son Altesse Royale qu'elle serait plus respectée, mieux obéie qu'avec une multitude de conseillers prêts à la flatter, si elle leur montre de la complaisance, à la trahir s'ils la trouvent ferme. Au moment où l'abbé se flattait d'avoir fixé
l'irrésolution du Régent, la volonté du Prince recevait à Paris de nouveaux
assauts et flottait dans les mêmes incertitudes. Les conditions arrêtées du
Traité lui semblaient inégales à l'égard de l'Espagne, bien qu'il reconnût
que son intérêt personnel s'accommodât de cette inégalité ; il écrivit à
Dubois : Je suis Régent de France, et je dois me
conduire de façon qu'on ne puisse pas me reprocher de n'avoir songé qu'à moi.
Je dois aussi des ménagements aux Espagnols que je révolterais par un
traitement inégal avec l'Empereur, auquel leur gloire et l'honneur de leur
monarchie les rendraient très-sensibles. Par là, je les réunirais à Alberoni,
au lieu que, s'il fallait une guerre pour l'amener à notre point, il faudrait
que l'on pût dire ce que le comte de Grammont disait au Roi : Dans le temps
que nous servions votre Majesté contre le cardinal Mazarin ; alors les
Espagnols même nous aideraient. Dubois ne partageait pas les idées de son maître. Quels que fussent les avantages faits à Philippe V, l'abbé prévoyait qu'ils ne le réconcilieraient pas franchement avec le duc d'Orléans, et que le Roi d'Espagne n'en poursuivrait pas moins, à l'ombre du Traité, ses espérances à l'égard de la France, et peut-être ses projets cachés. Quoi qu'il en soit, le sort des négociations semblait désespéré. Le maréchal d'Uxelles avait interrompu toute correspondance, et protestait par son silence contre les actes du plénipotentiaire. Le Régent, autant par lassitude que par faiblesse ne montrait plus aucun souci du Traité. Dubois, poussé par une anxiété extrême, vint à Paris et employa les plus vives instances pour décider Son Altesse Royale à accepter des conditions qui ne pouvaient être meilleures. Le Régent persista dans son opposition. La remise de Gibraltar que l'Angleterre promettait ne reposait sur aucune convention expresse ; le Régent désirait au moins des garanties de cette promesse. L'abbé retourna à Londres ; mais il ne put obtenir de lord Stanhope aucune assurance écrite de remettre Gibraltar, le ministre anglais ne voulant pas, avant d'être certain de l'acceptation de l'Espagne, se compromettre par un engagement qui serait réprouvé en Angleterre. Dubois voyait le fruit de ses efforts lui échapper par la difficulté d'accorder le différend, et gémissait d'une obstination qui servait à souhait la politique d'Alberoni. En effet, pendant qu'on négociait lentement à Londres, pendant que M. de Nancré essayait inutilement à Madrid de persuader Philippe V des bons sentiments du Régent et des avantages du Traité, Albéroni mit à profit le temps, et brava les négociateurs par un nouveau coup d'audace. Le 1er juillet, une flotte espagnole, forte de 400 voiles, se présenta sur les côtes de Sicile, et s'empara de cette fie avec la même facilité que les troupes de Philippe V, l'année précédente, avaient eue à se rendre maîtresses de la Sardaigne. Les hostilités changèrent la face des choses. D'après l'avis de Dubois, Stanhope se rendit à Paris pour conférer avec le Régent des mesures que les circonstances réclamaient. Le ministre s'aperçut bien vite que le duc d'Orléans était circonvenu par les partisans de l'Espagne. Il déclara au Régent que le Roi Georges était résolu à une médiation armée, et que des représentations coercitives seraient faites à Albéroni de la part de la Grande-Bretagne. Au moment où Stanhope s'exprimait ainsi, l'effet des menaces de Georges lu était déjà produit. Dès le milieu de juin, une escadre, aux ordres de l'amiral Byng, avait quitté l'Angleterre pour aller appuyer la mission du colonel Stanhope, cousin du ministre anglais, chargé de disposer Alberoni à la paix. L'escadre anglaise arrivait devant Cadix, comme l'invasion de Sicile était connue. Cet événement ne laissait plus d'utilité aux instructions du colonel Stanhope. De nouveaux ordres venus de Londres lui prescrivirent d'assurer, par l'emploi de ses forces, la neutralité de l'Italie, stipulée dans le Traité d'Utrecht, si Alberoni refusait d'observer les conventions. Ces faite, annoncés de Madrid par le marquis de Nancré, et confirmés par lord Stanhope, firent plus d'impression sur l'esprit du Régent que tous les raisonnements de ses conseillers. Les sacrifices consentis pour le maintien des Traités qu'Alberoni venait de fouler appelaient un nouvel acte de résignation : le Régent se vit forcé de remplir les obligations de la Triple-Alliance. Le 18 juillet 1718. Une convention préparatoire fut signée à Paris ; les articles portaient : renonciation de l'Empereur à ses prétentions sur l'Espagne et les Indes ; réunion de la Sicile au royaume de Naples ; remise de la Sardaigne au duc de Savoie ; érection en fiefs impériaux des États de Parme et de Toscane, avec clauses de retour aux enfants de la Reine d'Espagne. Un délai de trois mois était laissé à Philippe V pour accéder au Traité ; à son refus, il devait être contraint par les armes. Une particularité se rattache à la conclusion de cette convention : Stanhope avait concerté avec Dubois d'exiger que le maréchal d'Uxelles et le Conseil de Régence signeraient l'acte ; le ministre anglais affectait de regarder cette garantie comme nécessaire, à cause de l'instabilité que l'état de trouble faisait présager dans les affaires de la France. Au fond, ils comptaient embarrasser le maréchal et quelques membres du Conseil ; ils voulaient ainsi les mettre dans le cas de se démasquer par une démission ou au moins par une protestation. M. d'Uxelles vint au piège. Le Président des Affaires-Étrangères était animé contre Dubois d'une telle passion qu'il refusa sa signature, quoiqu'il eût tout approuvé des négociations, à l'exclusion du négociateur. Il offrit sa démission qui fut acceptée, et la retira ensuite, à la persuasion de quelques amis qui s'entremirent pour un raccommodement avec le Régent. Immédiatement après la signature de la convention préparatoire, Stanhope partit pour Madrid, muni d'un passeport délivré par Alberoni. Le ministre de Georges, désireux autant que le Régent de conserver la paix, se proposait d'appuyer des conseils de l'Angleterre les sollicitations stériles de M. de Nancré. L'obstination du cardinal réservait à cette démarche le même accueil qu'aux propositions de la France, et bientôt les événements devaient faire ressortir la pénétration et la prudence qui avaient préparé la Quadruple-Alliance. Le 2 août 1718, Dubois signa à Londres l'acte définitif dont les préliminaires avaient été arrêtés à Paris. Aux termes du Traité, l'Espagne devait remettre la Sardaigne à l'Empereur. Sa Majesté Impériale acceptait les renonciations relatives à la succession de France et d'Espagne, contenues au Traité d'Utrecht, et renonçait pour elle et ses descendants à toutes les parties de la monarchie espagnole, reconnaissant le Roi Catholique comme légitime possesseur des Espagnes et des Indes. Philippe V, à son tour, abandonnait tous les droits appartenant à l'Empereur en Italie et en Flandre, et renonçait au droit de réversion qu'il avait conservé sur le royaume de Sicile. L'article V du Traité donnait à don Carlos, fils de la Reine d'Espagne, Élisabeth Farnèse, l'investiture éventuelle des duchés de Toscane et Plaisance, restés fiefs impériaux, stipulait la franchise du port de Livourne, et déterminait les forces qui seraient employées dans les duchés. Telles étaient les clauses de ce Traité qui avait coûté tant de peine, et qui devait encore donner beaucoup de souci à Dubois. L'Espagne y était sans doute peu favorablement traitée et ne pouvait s'en prendre qu'à elle-même. Si Philippe se fût montré intimement uni à la France, il eût infailliblement donné pour défendre ses intérêts une plus grande force au duc d'Orléans. Néanmoins, le Traité n'avait rien que d'équitable, les renonciations imposées à l'Espagne étant fondées en droit. A un autre point de vue, il y avait des avantages pour elle, puisque le Traité lui assurait la paix par les renonciations de Charles VI, et de plus une expectative en Italie. Ces profits n'étaient rien auprès du déplaisir que devait causer à Philippe V la confirmation solennelle des Traités d'Utrecht et de Bade. Le Roi d'Espagne avait laissé percer ses regrets et son découragement dans ces mots qu'il écrivait au Régent : Je ne savais pas que le Roi, mon aïeul, eût conclu sans solidité à Utrecht et qu'il fût nécessaire de confirmer des Traités faits par lui. Cette raillerie prévenait des dispositions de la Cour de Madrid à l'égard des invitations de la France. Les supplications du marquis de Nancré ne purent vaincre la résistance de Philippe V. En vain l'envoyé du Régent employa les représentations les plus touchantes ; il remontra au Roi d'Espagne combien il serait honorable pour lui d'acquitter la dette qu'il avait envers la France, qui l'avait placé sur le trône, en lui donnant la paix. Rien ne put émouvoir Philippe V ni son ministre. Un autre sujet vint encore aigrir les rapports des Cours de France et d'Espagne. Le 11 août, l'escadre de Byng rencontra la flotte espagnole à la hauteur de Messine et la détruisit en quelques heures. Obligé de justifier une attaque qui n'avait été précédée d'aucune déclaration de guerre, le gouvernement anglais essaya de présenter le combat de Messine comme un événement fortuit, auquel les Espagnols avaient eux-mêmes donné lieu en ouvrant le feu les premiers. On avait, au contraire, des motifs de penser que la rencontre était méditée. L'Espagne était alors engagée avec Pierre le Grand et Charles XII dans des négociations dont le but était de favoriser une nouvelle entreprise du Chevalier de Saint-Georges ; il est probable que l'Angleterre, instruite de ces trames d'Alberoni, se proposa, en balayant la marine espagnole, d'empêcher le secours que le Prétendant pouvait tirer des forces de l'Espagne. Par malheur, Albéroni fit excuser ces représailles par les hostilités commencées en Italie, et, en violant les Traités, il donna aux Anglais une raison spécieuse de les défendre. Dans la voie où Albéroni avait fait entrer la politique espagnole, celle-ci ne pouvait se soutenir que par la fourberie et la violence. A la nouvelle du désastre arrivé en Sicile, le cardinal ne sut garder aucune mesure. Les sujets anglais établis en Espagne, devinrent les victimes de ses vengeances ; ils furent dépouillés et chassés du royaume, au mépris des conventions qui leur garantissaient un délai pour se mettre à couvert. Le gouvernement espagnol qui avait déchaîné l'indignation publique ne put contenir les fureurs populaires. Le colonel Stanhope ministre d'Angleterre, fut contraint de se réfugier aux environs de Madrid, pour se dérober aux fureurs populaires. Cette haine se tourna contre la France ; un domestique de M. de Nancré, surpris par des gens du peuple, fut massacré. Des actes de cette nature étaient bien propres à diminuer les scrupules que le Régent pouvait conserver encore à rompre ouvertement avec la Cour de Madrid. Il n'en continua pas moins de s'efforcer de soustraire Philippe V aux conseils d'Albéroni. Dubois revint de Londres, le 16 août 1718. Il n'ignorait pas les obstacles nombreux qu'il rencontrerait à Paris, pour assurer les effets de la Quadruple-Alliance. Le Traité de Londres avait mécontenté les amis de l'Espagne et les ennemis de l'Angleterre. On accusait l'abbé d'avoir entraîné le Régent dans une faute irréparable, de s'être fait l'instrument des calculs intéressés du Roi Georges, et d'avoir ainsi trahi les intérêts de la France. Indifférent à ces accusations, plein de dédain pour ses accusateurs, Dubois s'applaudissait d'un traité qui armait le Régent contre ses ennemis au dedans et au dehors du Royaume ; et cette confiance lui inspirait la fermeté nécessaire pour en poursuivre l'exécution. |
[1] Philippe V avait épousé en secondes noces Elisabeth Farnèse, duchesse de Parme. L'idée de recourir à la médiation de son beau-père dut s'offrir tout naturellement dans un moment où le Duc réclamait les bons offices de la cour de France. Il s'agissait pour lui d'empêcher que, selon la prétention de l'Empereur, ses États ne devinssent des fiefs de l'Empire.
[2] Néricault-Destouches, poète comique, auteur du Glorieux ; il fut depuis chargé des affaires du Roi à Londres et reçu à l'Académie française en 1723.
[3] Il y a une preuve meilleure à donner de la fausseté de cette supposition : dans les circonstances où le traité de la Triple-Alliance a été négocié, on a vu que l'Angleterre s'était mise dans le cas de vendre son agrément et non d'acheter une acceptation que la France offrait si bénévolement. Au surplus, l'infâme calomnie qu'on a essayé d'attacher à la mémoire de Dubois est aujourd'hui radicalement détruite par les témoignages les plus graves ; et il n'est pas un historien respectable qui ne se soit fait un devoir de la démentir.
[4] Le Régent, dans une partie de paume, avait été grièvement blessé à l'œil d'un coup de raquette et fut menacé de perdre la vue.
[5] Débagnet, nom du concierge du Palais-Royal.