HISTOIRE NARRATIVE ET DESCRIPTIVE DU PEUPLE ROMAIN

 

CHAPITRE XXIII. — LES ARTS, LES SPECTACLES ET LES LETTRES.

 

 

Grands monuments à Rome et en province. — Pendant les deux premiers siècles de l'Empire, Rome s'agrandit et surtout s'embellit beaucoup. Les empereurs y firent construire un grand nombre de nouveaux monuments.

Sur le Palatin, où Auguste avait sa maison, Caligula se fit bâtir un palais orné de peintures et de statues grecques, qui s'avançait jusqu'au Forum. On a retrouvé à côté, dans les ruines d'une maison de plaisance, qu'on croit avoir été la maison de Livie, veuve d'Auguste, quelques-unes des peintures les plus belles que nous connaissions de l'antiquité.

Dans la plaine, au pied du Palatin, Néron fit construire la Maison-d'Or avec un étang et un parc. On la démolit ; Domitien la remplaça par un palais nouveau, avec une grande salle de marbre à colonnes, où l'empereur rendait la justice et recevait les envoyés des rois étrangers.

Sur le terrain qu'avait occupé le parc de Néron, Vespasien fit élever, en souvenir de la prise de Jérusalem, l'arc de Titus, avec des bas-reliefs qui représentent le triomphe du prince sur les Juifs, et le Colisée. Le Colisée, destiné aux jeux du cirque, fut le plus grand de tous les amphithéâtres, si grand et si solide qu'il est encore debout. Il a 188 mètres de long, 156 de large, 50 de haut. L'arène a 76 mètres de long, 46 de large. Les gradins étaient divisés en plusieurs étages, celui d'en bas réservé à l'empereur et aux nobles. Ils pouvaient recevoir 87.000 spectateurs assis, et il restait de la place pour environ 20.000 debout.

Il y avait déjà trois Forums, l'ancien, celui de César, celui d'Auguste. Trajan fit construire le Forum de Trajan, le plus grand et le plus beau de tous. On commença par creuser entre les deux collines du Capitole et du Quirinal une tranchée large presque de 200 mètres. On enleva tout un morceau de colline (680.000 mètres cubes). Sur l'emplacement ainsi créé s'éleva tout un groupe de monuments : l'arc de triomphe, la place, avec la statue équestre de Trajan au milieu, la basilique, la bibliothèque, le temple et la grande colonne Trajane, ornée de bas-reliefs en marbre qui représentaient les scènes de la guerre contre les Daces. Le Forum de Trajan passa pour une des merveilles du monde.

Du côté du Champ de Mars, sur la place laissée vide pendant la République, on construisit sous les empereurs un grand nombre de portiques, galeries à colonnes sous lesquelles on pouvait circuler à l'abri du soleil ou de la pluie. Quelques-uns étaient garnis de statues et de peintures, comme un musée.

De l'autre côté du Tibre, Hadrien fit bâtir un tombeau, le Mausolée d'Hadrien, avec un pont de pierre. Il fit réparer aussi le Panthéon d'Agrippa.

Il y avait déjà à la fin du règne d'Auguste 7 aqueducs pour amener à Rome l'eau des sources ; on en construisit trois nouveaux. Il y eut en tout 428 kilomètres de canaux, dont 32 supportés par des arcades. Rome était beaucoup mieux pourvue d'eau que ne le sont aujourd'hui Paris ou Londres.

Une partie de cette eau servait à alimenter les bains publics, les Thermes, tous construits sous les empereurs (Thermes d'Agrippa, de Néron, de Titus, de Trajan). Ces bains, ou l'on allait autant pour se réunir et causer que pour se baigner, étaient d'énormes édifices ornés de statues pour 1.600 baigneurs. Les plus &rands, bâtis de 206 à 217, furent les Thermes de Caracalla. Élevés sur des chambres voûtées qui servaient de magasins et de calorifères, ils comprenaient : 1° un grand bassin d'eau froide en marbre ; 2° une grande salle d'étuves (50 mètres sur 25) ornée d'épaisses colonnes de granit ; 3° une grande salle chauffée entourée de petites chambres de bains ; 4° deux immenses galeries à colonnes ; 5° des vestiaires ; 6° des salles de friction ; tout cela pavé de mosaïques, orné de statues et de tableaux. A côté s'étendait un grand jardin entouré d'une enceinte de bâtiments, formée d'un portique, de bibliothèques, de gymnases, de salles de conversation. L'eau arrivait par un aqueduc dans un réservoir formé de 60 grandes chambres voûtées.

Claude et Trajan firent construire les deux ports d'Ostie, pour permettre aux grands navires de débarquer près de Rome.

Nous ne connaissons pas tous les monuments bâtis sous les empereurs. Beaucoup ont disparu ; d'autres, dans les déserts d'Afrique et de Syrie, étaient restés inconnus jusqu'à ces derniers temps. Mais il reste assez de débris pour donner l'idée d'un pays garni de constructions, ponts, aqueducs, cirques, théâtres, temples, basiliques, arcs de triomphe.

En Italie, on a retrouvé les ruines de 80 amphithéâtres environ. De ce temps datent deux des grands ports d'Italie, Centumellæ (Civita-Vecchia), sur la côte de l'ouest, et Ancône sur l'Adriatique ; tous deux construits sous Trajan.

En Espagne, on admire encore le pont d'Alcantara, sur le Tage, haut de 60 mètres, bâti sous Trajan, et l'énorme aqueduc de Ségovie ; en Gaule, les monuments construits dans le Midi, le théâtre et l'arc de triomphe d'Orange, les Arènes d'Arles, les Arènes de Nîmes, le temple surnommé Maison-Carrée, à Nîmes, et l'aqueduc surnommé Pont du Gard, qui amenait à Nîmes les sources des montagnes par dessus la vallée du Gard.

La maison romaine. — La maison d'un riche sous l'Empire ne ressemble plus à l'ancienne maison romaine ; elle est imitée des maisons grecques d'Orient. La façade n'est pas du côté de la rue comme celle de nos maisons ; elle est tournée vers l'intérieur.

En entrant, on traverse une galerie fermée qui remplace l'ancien vestibule et on arrive dans la salle de réception. Elle s'appelle encore atrium, mais elle ressemble plutôt à l'aula grecque ; elle est portée par des colonnes de marbre, pavée de mosaïque, ornée de statues ; les salles qui s'ouvrent sur l'atrium ne servent plus de chambres à coucher : ce sont des salles de conversation, des salles à manger garnies de lits de bronze ou même d'argent, la galerie de tableaux (pinacothèque), la bibliothèque, le grand salon de réception.

L'ancienne cour, derrière la maison, est remplacée par le péristyle : ce sont des galeries ouvertes soutenues par des rangées de colonnes qui entourent un petit jardin, garni d'arbustes et de corbeilles de fleurs, avec un bassin où l'eau jaillit.

Enfin, derrière le jardin, dans le bâtiment du fond, sont les chambres où logent le maître de la maison, sa femme et ses enfants ; les salles de bain, la salle de gymnastique.

Les salles sont maintenant ornées à l'intérieur ; le sol est pavé de mosaïques ; les murs sont décorés de peintures, de plaques de marbre, ou de portières d'étoffes ; le plafond est formé de lambris en bois de luxe. On a des tables de bois précieux, des buffets de bronze ou d'argent où l'on étale la vaisselle d'argent.

A la campagne, près de la maison, on aménage des parcs, des étangs, des réservoirs où l'on élève des poissons, des volières d'oiseaux rares, des galeries souterraines pour les grandes chaleurs. Les bâtiments annexes, les cuisines, la buanderie, le moulin, le four, la forge, les ateliers où les femmes filent et tissent les vêtements, les cellules des esclaves forment souvent tout un village habité par des centaines d'esclaves.

Les spectacles. — C'était à Rome un usage ancien de célébrer les fêtes en l'honneur des dieux par des jeux ; chaque jeu durait plusieurs jours et se composait d'une série de spectacles publics. Le nombre en augmenta sans cesse. Sous Auguste, il y en avait déjà 7 par an qui duraient 66 jours ; à la fin de l'Empire il y eut par an 175 jours de spectacles (101 de théâtres, 64 de cirques, 10 de combats de gladiateurs). Les spectacles — sans compter les spectacles extraordinaires — duraient du matin au soir ; les citoyens y assistaient gratuitement. Le spectacle devint la passion dominante du monde romain.

Le théâtre avait été d'abord organisé à la façon grecque, les acteurs jouaient avec des masques des pièces imitées du grec.

Les Romains n'aimaient guère ce spectacle, trop délicat pour eux. Ils préféraient les mimes, espèces de farces comiques. Les acteurs, vêtus d'un costume comique semblable à un habit d'arlequin, représentaient des personnages ridicules, se donnaient des coups, exécutaient des danses grotesques. Contrairement aux usages anciens, c'étaient des actrices qui jouaient les rôles de femmes.

On aimait aussi beaucoup la pantomime. Un acteur seul en scène, jouait la pièce sans parler, seulement avec des gestes et des expressions de figure. Parfois on représentait des ballets exécutés par des danseurs de profession.

Il y eut aussi, mais plus rarement, des représentations de chant et de déclamation, comme en Grèce. Néron parut sur la scène comme chanteur. Domitien, en fondant les jeux du Capitole, créa un concours de chant et fit bâtir un théâtre spécial couvert, qu'on appela l'Odéon.

Le Cirque, destiné aux courses de chars, était un champ de courses entouré de gradins pour les spectateurs. Il y en avait à Rome plusieurs : le principal, le Grand Cirque, au pied du Palatin, pouvait contenir 250.000 spectateurs. Sur l'arène, garnie de sable, se dressaient aux deux bouts des bornes en bronze doré, autour desquelles le char devait tourner. Il fallait faire sept fois le tour de l'arène (plus de 7 kilomètres). Le cocher, debout sur un char léger attelé d'ordinaire de quatre chevaux, son fouet à la main, les rênes attachées à sa ceinture, excitait les chevaux en criant. Souvent, au tournant, le char se brisait contre la borne. Le gagnant recevait un prix.

On faisait d'ordinaire 24 courses de suite le même jour. C'étaient des compagnies rivales qui faisaient courir ; chacune habillait ses cochers d'une couleur différente ; il y en avait quatre : blancs, rouges, verts, bleus, qui finirent par se réduire à deux, les Bleus et les Verts. Les spectateurs prenaient parti pour une des couleurs. Pendant la course, ils criaient, trépignaient, agitaient leurs mouchoirs ; parfois ils se battaient entre eux. On se passionnait alors pour les courses de chars, comme aujourd'hui pour les courses de chevaux ; on pariait, on parlait des courses, même les femmes et les enfants. Quand l'Empereur prenait parti pour une des couleurs (Caligula et Néron pour les verts, Vitellius pour les bleus), la querelle devenait une affaire politique.

L'amphithéâtre servait à différentes sortes de spectacles. Le principal était le combat de gladiateurs. Des hommes armés d'un glaive (gladiator vient de gladius) se battaient entre eux jusqu'à la mort pour amuser les spectateurs. C'était un vieil usage, probablement étrusque, une sorte de sacrifice humain en l'honneur d'un mort ; car ces combats ne se livraient d'abord qu'à l'occasion des funérailles de quelque noble.

Puis ces combats devinrent un spectacle régulier, et le nombre des combattants augmenta. Les gladiateurs furent d'abord des barbares pris à la guerre, qui se battaient avec le costume et les armes de leur pays. Après chaque grande guerre, on faisait ainsi lutter des milliers de prisonniers ; Trajan donna en spectacle 10.000 guerriers daces. Puis on employa des condamnés à mort ou des esclaves. Enfin ce fut un métier, où des hommes libres s'engagèrent par goût ou pour gagner leur vie. On leur apprenait le métier dans une école spéciale ; ils étaient tenus enfermés, soumis à des exercices continuels et à une discipline terrible ; chacun s'engageait par serment à se laisser battre de verges, brûler au fer chaud et même tuer par le chef.

Au jour du spectacle, les gladiateurs défilaient dans l'arène en saluant l'Empereur : Adieu, César, ceux qui vont mourir te saluent. Puis, au son des cors et des trompettes, ils se battaient, d'ordinaire, un contre un, quelquefois une troupe contre une autre. Dans ce duel, les deux combattants n'étaient pas toujours armés de même. Un rétiaire à demi nu, armé d'un filet, luttait contre un Myrmillon, armé de toutes pièces ; un Samnite, armé d'un grand bouclier et d'une petite épée, contre un Thrace, armé d'une grande épée et d'un petit bouclier. Quand un des deux combattants était à terre, les spectateurs décidaient s'il fallait le tuer ou lui faire grâce. Des valets tiraient avec des cordes les corps restés étendus sur l'arène. Ils les amenaient dans une salle où on les examinait ; un homme, déguisé en Mercure, touchait le corps avec un fer chaud pour voir s'il vivait encore ; un autre, déguisé en Charon, achevait d'un coup de massue les blessés qui ne pouvaient pas guérir ; les autres étaient soignés et remis sur pied.

On donnait quelquefois des combats de cavaliers ou de chars de guerre. On donna même des combats de navires (naumachies) dans des bassins ou des lacs. Claude fit battre sur le lac Fucin deux flottes entières, montées par 19.000 hommes ; on avait réuni les condamnés à mort de tout l'Empire et placé le long du lac des machines de guerre pour les forcer à combattre.

L'Empereur assistait à ces massacres. Marc-Aurèle se rendit impopulaire à Rome parce qu'il laissait voir son dégoût, lisait, causait, donnait des audiences au lieu de regarder.

L'amphithéâtre servait aussi aux chasses. On lâchait dans l'arène des bêtes sauvages, lions, panthères, léopards, ours, sangliers, éléphants, buffles, cerfs, taureaux, autruches. Pompée et César montrèrent des animaux nouveaux : hippopotames, girafes, crocodiles. Des chasseurs, armés d'arcs, de javelots, de lances, venaient massacrer ces animaux. Aux fêtes de 106 on en tua jusqu'à 11.000. On faisait aussi battre ensemble deux bêtes, un ours avec un buffle, un taureau avec un éléphant. On faisait battre un homme, armé seulement d'une lance ou d'une épée, sans cuirasse ni bouclier, contre un lion ou un ours.

On finit par trouver plus intéressant de lâcher les bêtes féroces contre des hommes nus et enchaînés un poteau ; le plaisir consistait à les voir déchirer et dévorer. On employait des condamnés à mort, hommes ou femmes ; l'exécution servait ainsi de divertissement au public.

On se servit même des condamnés pour leur faire jouer au naturel le rôle d'un personnage qui devait périr. Un condamné à mort représentait Orphée et était déchiré par un ours ; un autre, habillé en Hercule, était brûlé sur un bûcher ; un autre représentait le brigand Lauréolus mis en croix.

Ce n'était pas seulement à Rome, c'était dans toutes les grandes villes de l'Empire qu'on donnait en spectacle au peuple des comédies, des mimes, des courses de chars, des combats sanglants et des condamnés livrés aux bêtes.

La littérature. — On continuait dans l'Empire à parler quelques-unes des anciennes langues : l'étrusque et l'osque en Italie, le celtique en Gaule et en Bretagne, le basque en Espagne, le berbère et le phénicien en Afrique, le copte en Égypte, le syriaque en Orient, l'albanais en Illyrie. Mais on n'écrivait qu'en deux langues, le latin en Occident, le grec en Orient. Les peuples soumis n'ont pas eu de littérature dans leur langue naturelle, ils ont adopté la littérature de l'un des deux grands peuples antiques ; l'Orient a produit des écrivains grecs, l'Occident des écrivains latins.

Il y avait déjà des écoles grecques à Athènes, à Alexandrie, à Rhodes ; d'autres en Gaule, à Rome, à Carthage. Sous les empereurs quelques villes ont fondé des écoles latines pour les jeunes gens riches, et ont commencé à payer les professeurs, surtout de rhétorique et de philosophie.

Au je siècle, les plus célèbres écrivains latins ne viennent déjà plus d'Italie, mais des villes romaines de la Gaule et surtout d'Espagne. Le poète Gallus, l'historien Trogue Pompée, l'orateur Aper, que nous ne connaissons que de réputation, étaient du midi de la Gaule. Sénèque le rhéteur, Sénèque le philosophe, les poètes Lucain, Silius Italicus, Martial, le géographe Pomponius Méla, l'agronome Columelle, le professeur d'éloquence Quintilien, étaient tous des Romains d'Espagne.

La mode était alors aux lectures publiques. Les assemblées du Forum et les grands procès politiques avaient cessé ; les orateurs ne savaient plus comment se montrer. Un favori d'Auguste, Pollion, donna l'exemple de réunir des amis pour leur lire ses œuvres. L'usage s'établit parmi les lettrés de Rome de rassembler dans une salle des invités et de leur lire les écrits qu'ils composaient, des poèmes, des panégyriques, des fragments d'histoire, même des tragédies. C'était un moyen de se procurer un public obligé d'applaudir par politesse.

Ce fut aussi le temps des rhéteurs célèbres. Les jeunes gens venaient à leur école apprendre l'art de faire des discours ; le maître leur enseignait les préceptes que depuis deux siècles les professeurs d'éloquence grecs travaillaient à rassembler, ils leur donnaient à développer des matières de discours imaginaires.

Le IIe siècle fut la période la plus brillante de la littérature sous l'Empire. Alors parurent à la fois des écrivains latins et des écrivains grecs.

Les écrivains latins vécurent surtout sous Trajan ; c'étaient Pline le Jeune, connu surtout par ses lettres ; Juvénal, célèbre par ses Satires ; Suétone, l'auteur des biographies des douze premiers empereurs, et le plus illustre de tous, Tacite l'historien, un des plus brillants écrivains de Rome ; tous des Romains d'Italie.

Les écrivains grecs vécurent surtout sous Hadrien. Les plus connus furent Plutarque, un Grec de Béotie, auteur des Vies des hommes illustres ; l'orateur Dion Chrysostome, deux historiens, Appien d'Alexandrie, Arrien, gouverneur sous Hadrien ; le philosophe satirique Lucien, deux savants célèbres, le géographe Ptolémée, le médecin Galien. L'empereur Marc-Aurèle écrivit en grec ses Pensées.

Les Stoïciens. — Les Romains ne s'intéressaient pas à la philosophie théorique, mais ils adoptèrent les doctrines des philosophes grecs sur la morale pour avoir une règle de conduite. Il se partagèrent d'abord entre deux sectes : stoïciens et épicuriens. Horace était épicurien, il disait que le seul vrai bien est le plaisir, que la sagesse consiste à vivre paisiblement sans se soucier de l'avenir.

A partir du Ier siècle les stoïciens dominent. Ils disent que le bien suprême est la vertu, qui consiste à se conduire suivant les lois établies par la Divinité. Les biens de la terre, richesse, honneurs, beauté, santé, ne sont rien pour le sage ; il ne doit tenir qu'à la vertu.

Le plus célèbre stoïcien fut un Grec du premier siècle, Épictète. Il fut d'abord esclave d'un favori de Néron ; un jour que son maître le battait, Épictète lui dit : Tu vas me casser la jambe. L'autre continua et lui cassa la jambe. Épictète dit tranquillement : Je t'avais bien dit que tu me la casserais. Affranchi, il se mit à prêcher et eut beaucoup. de disciples., Il mourut sous Trajan. Un de ses élèves rédigea ses enseignements dans le Manuel.

Épictète recommandait avant tout de combattre ses passions et, d'obéir à Dieu. Tu dois travailler ton âme, comme le charpentier travaille le bois. — En t'envoyant sur la terre, Zeus (Dieu) t'a donné ses ordres : ne pas convoiter le bien d'autrui, aimer les hommes, être juste et fidèle. Ces commandements sont gravés dans la conscience, le sage doit dompter sa colère, son égoïsme ; il doit fortifier ceux qui souffrent en leur montrant son exemple : Je suis comme vous sans patrie, ni maison, ni biens, ni esclaves ; je n'ai que la terre, le ciel et mon manteau. Le but de la philosophie est de nous apprendre à mépriser la vie du monde et de nous donner la sérénité parfaite que rien ne peut plus troubler. Elle se résume en cette formule : Supporte et abstiens-toi.

Le stoïcisme fut à la mode au Ier siècle parmi les nobles de Rome, surtout les adversaires de l'empereur. Les sénateurs les plus considérés avaient souvent auprès d'eux un philosophe pour diriger leur conscience et les encourager dans les mauvais moments. Quand ils recevaient leur sentence de mort, ils mettaient leur honneur à se tuer avec courage. Sénèque, le précepteur de Néron, un stoïcien bien imparfait puisqu'il avait amassé une grande fortune et avait justifié l'empereur meurtrier de sa mère, Sénèque se fit ouvrir les veines avec calme, et, pendant que le sang coulait, dicta à ses secrétaires un long discours.

Il y eut alors des philosophes de profession. Ils servaient de directeurs de conscience, donnant des conseils sur la façon de se conduire ; plusieurs empereurs eurent ainsi leur philosophe. Ils allaient même visiter les prisonniers, les malades, les condamnés à mort pour leur montrer la lumière salutaire de la vérité, comme dit Sénèque. Ils venaient quelquefois au théâtre faire un sermon à la foule réunie.

Souvent ils menaient une vie très dure, mangeant mal, ne buvant que de l'eau, couchant par terre, vêtus seulement d'un manteau, portant la barbe et les cheveux longs ; quelques-uns n'ayant pas même de maison, ne possédant que leur manteau, une besace et un bâton, allaient de ville en ville en mendiant.

Ils faisaient faire à leurs élèves des exercices pour les fortifier dans la vertu : prier, méditer une pensée morale, faire chaque soir son examen de conscience, lire la vie d'un grand philosophe. Ils se déclaraient citoyens de l'univers, regardaient tous les hommes comme frères, même les Barbares, même les esclaves. Sénèque déjà recommandait de traiter ses esclaves avec douceur, s'indignait contre les maîtres cruels et blâmait les combats de gladiateurs.

Marc-Aurèle, disciple d'Épictète, fut le philosophe sur le trône. Il continua, même pendant la guerre, à faire son examen de conscience ; il écrivit alors ses Conseils à lui-même. Pense que les hommes sont tes frères, et tu les aimeras. — Que dois-tu faire ? Honorer les dieux et faire du bien aux hommes.