Nerva (96-98). — Les meurtriers de Domitien avaient d'avance choisi son successeur, un vieux sénateur faible et malade, Nerva. Le Sénat l'élut empereur et se vengea de Domitien en décrétant son souvenir aboli ; non seulement Domitien ne fut pas déclaré dieu, mais on ordonna de renverser ses statues et de gratter son nom de toutes les inscriptions. Nerva rappela les exilés, défendit de faire des procès de lèse-majesté et rendit au Sénat tous ses pouvoirs. Les prétoriens, irrités contre le Sénat, vinrent en armes au palais réclamer la punition des meurtriers de Domitien, et les massacrèrent. Nerva, trop faible pour résister aux prétoriens, se choisit un collègue, un général, Trajan, l'adopta et mourut bientôt. Trajan et ses conquêtes (98-117). — Le nouvel empereur, Trajan, le premier empereur qui ne fût pas un Italien, était né dans une colonie romaine d'Espagne, Italica (près de Séville) ; il était déjà connu comme général. Il traita le Sénat avec respect, le consultant sur les affaires, lui faisant juger les procès contre les gouverneurs. Il défendit de recevoir les dénonciations d'un esclave contre son maître, de condamner un absent, de faire des procès de lèse-majesté. Il se conduisit lui-même non comme un maître, mais comme un magistrat ; il allait siéger avec les autres sénateurs, et quand il acceptait d'être consul, il se soumettait à l'usage, il prêtait serment debout au consul assis. Il laissa écrire l'éloge des citoyens condamnés par les empereurs ; il laissa exposer les images de Brutus et Cassius. Ce fut la mode alors de vanter les partisans de la vieille République, de parler avec mépris des mauvais empereurs, et de dire que Rome était redevenue libre. Malgré tout l'Empereur restait le véritable maître. Trajan fut surtout un général occupé de conquêtes. Sur la rive gauche du Danube, entre le fleuve et les
Carpathes (aujourd'hui Trajan voulut détruire ce voisin dangereux. Il alla passer l'hiver à l'armée du Danube pour préparer la guerre (101) ; il fit construire une route sur la rive droite. Au printemps il passa le Danube, entra dans les montagnes, prit les forteresses daces une à une et ramena les Romains emmenés captifs et les enseignes prises aux soldats romains par les Barbares. Décébale demanda la paix, promit de livrer ses machines, ses ouvriers et les transfuges romains (102). Trajan laissa une garnison romaine dans la capitale, Sarmizegethusa, et fit bâtir un pont sur le Danube, un pont de pierre à 17 piles[1] ; par là les Romains pouvaient toujours entrer dans le pays. Mais le roi des Daces garda ses armes et ne livra pas les transfuges. Trajan revint, lui déclara la guerre, envahit le pays et entra dans Sarmizegethusa. Il refusa de faire la paix, exigea que Décébale vînt se rendre. Décébale se tua (106). Trajan garda le pays, en fit une province nouvelle, Au Ier siècle, la plus forte armée avait été celle du Rhin. Depuis Trajan ce fut l'armée du Danube, formée de 10 légions divisées entre 5 gouverneurs. Le pays au sud du Danube, n'étant plus exposé aux ravages des Barbares, devint plus peuplé et plus riche. Trajan, en souvenir de sa conquête, fit élever à Rome la colonne Trajane, avec des bas-reliefs en marbre qui représentaient les scènes de la guerre. Il ne restait plus qu'un seul ennemi de l'Empire, le roi
des Parthes. Depuis un siècle Rome lui avait fait plusieurs fois la guerre,
d'ordinaire pour décider qui choisirait le roi d'Arménie. Trajan vint à
Antioche organiser son armée, puis il fit venir le roi d'Arménie, lui ordonna
de déposer sa couronne, le laissa massacrer par ses soldats, et déclara que
l'Arménie devenait une province romaine. Il entra ensuite dans le royaume des
Parthes, fit apporter sur des chariots des barques démontées qu'on mit à flot
sur l'Euphrate, et entra dans Babylone où il sacrifia aux mânes d'Alexandre.
Puis il fit traîner ses navires par terre depuis l'Euphrate jusque dans le
Tigre, prit les grandes villes des Parthes, Séleucie, Ctésiphon, d'où il
ramena le trône d'or du roi, et descendit en bateau jusqu'à l'Océan. Il
voulait, dit-on, s'avancer jusqu'au point où était arrivé Alexandre. Mais les
habitants des villes parthes se soulevèrent, il revint malade et mourut en
chemin (117). Il avait fait du pays
conquis trois provinces nouvelles : l'Arménie, Hadrien (117-137). — Trajan n'avait pas eu le temps de désigner son successeur, mais il l'avait déjà choisi ; c'était un de ses parents, Hadrien, grand, beau, intelligent et doux ; il l'avait adopté et l'avait marié à sa petite-nièce. Hadrien, proclamé empereur, jura de ne jamais mettre à mort un sénateur et laissa au Sénat les mêmes pouvoirs que Trajan. Quand il était à Rome, il assistait aux séances du Sénat et le consultait sur les affaires. Quand le Sénat lui rendait visite, il le recevait debout. Un jour, voyant un de ses esclaves se promener entre deux sénateurs, Hadrien envoya quelqu'un donner un soufflet à l'esclave impérial, pour le punir de ne pas se tenir à son rang. Il s'occupait des affaires avec soin, rendait lui-même la justice, écoutait toutes les réclamations. Il surveillait les gouverneurs de province ; quelques-uns même furent condamnés à mort. Je veux gouverner la république, disait-il, de façon qu'on voie qu'elle est la propriété du peuple, non la mienne. Un jour, une femme l'arrête dans la rue pour lui demander justice. Hadrien lui dit qu'il n'a pas le temps de l'écouter : Pourquoi es-tu empereur ? répond la femme. Et Hadrien l'écoute. Il vécut comme un particulier, sans luxe, faisant des repas simples, allant voir ses amis malades, allant à la chasse avec eux. Dans Rome, il ne se faisait pas escorter par des gardes et revenait du Sénat en litière pour ne pas attirer l'attention. Il ne recherchait pas les honneurs, ne prit jamais le
titre de consul, refusa longtemps celui de Père de Hadrien avait vécu surtout dans les pays grecs ; il parlait grec et avait appris, suivant la mode grecque, à faire des vers, à peindre, à sculpter ; il avait appris aussi la géométrie, la musique, la médecine et l'astrologie. Ses ennemis l'appelaient le petit Grec. Il commença par abandonner les conquêtes de Trajan en Orient, les provinces au delà de l'Euphrate ; il trouvait, comme Auguste, l'Empire déjà assez grand. Il ne désirait pas la guerre, il préférait maintenir les Barbares en paix avec l'Empire en faisant des présents à leurs chefs, et il réussit : pendant tout son gouvernement la frontière ne fut jamais attaquée. Mais s'il ne voulait pas de guerre, il tenait à avoir de bonnes armées. Il alla lui-même visiter les armées de toutes les frontières, et les obligea à conserver les vieilles habitudes des soldats romains. Il fit détruire les maisons de plaisance des officiers, leurs salles de festin, les grottes, les portiques construits pour se mettre à l'ombre. Il chassa des camps les acteurs et les faiseurs de tours. Il refusait aux soldats les congés, afin de tenir les corps au complet. Il ordonna de faire au moins trois marches militaires par mois. Il fit un règlement sur le camp, un règlement sur les bagages. Il fit fabriquer de nouvelles machines de guerre plus légères, plus faciles à emmener. Quand il était au camp, il vivait comme un simple soldat, mangeait du lard et du fromage, buvait de la piquette. Il s'exerçait à lancer le javelot ; il faisait les marches militaires (30 kilomètres) à pied, nu-tête, en armes ; il ne voulait avoir pour lui ni voiture ni litière. Il s'occupait des soldats, allait visiter les malades, donnait les grades au mérite ou à l'ancienneté, à de vieux braves plutôt qu'aux jeunes gens riches. Les hommes lui étaient dévoués. Pendant 21 ans qu'il gouverna il n'y eut pas une émeute de soldats. Voyages d'Hadrien. — Hadrien ne se plaisait pas à Rome ; il passa son temps à parcourir l'Empire. Proclamé empereur en Syrie, il traversa les provinces du Danube pour venir à Rome. Il y resta plus d'un an pour organiser le gouvernement. Il alla visiter l'Italie du Sud, puis au nord Hadrien vint en Espagne où il assista à l'assemblée des députés des villes espagnoles, réunis à Tarracone pour célébrer la fête de Rome et d'Auguste. Puis il passa en Afrique, et visita les camps romains au bord du désert. A Lambessa, où résidait une légion, on a retrouvé une inscription qui reproduit un ordre du jour d'Hadrien aux soldats pour les féliciter de la façon dont ils travaillent, portent les fardeaux et font les manœuvres. Hadrien fit terminer la route et les forts dans les montagnes de l'Aurès, au bord du désert. Il traversa toutes les provinces d'Afrique et arriva en Syrie. Là il eut une entrevue avec le roi des Parthes ; il lui renvoya sa fille que les Romains avaient prise, mais refusa de lui rendre le trône d'or enlevé par Trajan. Puis il visita les provinces au bord de la mer Noire. Il
voulut voir la montagne d'où les Dix Mille avaient pour la première fois
aperçu la mer ; on y éleva une statue d'Hadrien, le doigt tourné vers la mer.
A Trébizonde, il fit construire un temple et un port. Dans les montagnes de Il passa en Europe, visita la Thrace[2], Il repartit de Rome pour un second voyage en Orient. Cette fois il s'arrêta longtemps dans les pays grecs où il aimait à vivre. Dans chaque ville il laissait une trace de son passage : à Corinthe des bains et un aqueduc, à Mantinée un temple de Neptune, à Argos un paon d'or avec des pierreries pour faire les yeux de la queue. C'est à Athènes surtout qu'il séjourna. Il prit le costume grec, accepta le titre d'archonte, présida les jeux, se fit recevoir aux mystères d'Éleusis, discuta avec les philosophes et les artistes. Il fit bâtir toute une ville nouvelle à côté de l'ancienne, avec un gymnase, un cirque, une bibliothèque. Entre les deux on éleva un arc de triomphe, avec deux inscriptions : du côté d'Athènes : C'est ici la ville de Thésée ; du côté de la ville nouvelle : C'est ici la ville d'Hadrien. En Asie, il visita les villes grecques. A Smyrne, il fit bâtir un temple et le plus beau gymnase d'Asie ; Smyrne le remercia en lui donnant le titre de sauveur, de fondateur, et en créant des jeux hadriens. Il alla voir les curiosités du pays, le tombeau de Tantale et le bas-relief de Sésostris. A Troie, il rétablit le tombeau d'Ajax et composa des vers grecs en l'honneur de la ville. Il passa par Arrivé en Égypte, à Alexandrie, il visita le musée et la bibliothèque, et discuta avec les savants qui ne lui plurent pas. En remontant le Nil, il eut un grand chagrin : son esclave favori, un jeune Asiatique, Antinoüs, se noya dans le fleuve. Hadrien le fit adorer comme un dieu ; à l'endroit où il avait péri il fit bâtir une ville, Antinopolis, et fit faire une route entre cette ville et la mer Rouge. Il revint en Judée pour une affaire grave. A son passage,
il avait ordonné de fonder sur les ruines de Jérusalem une colonie de
vétérans : Ælia Capitolina. Les Juifs se soulevèrent ; ils obéissaient à un
prêtre et à un chef de bandits surnommé Barkokeba (le Fils de l'Étoile), qui se disait envoyé de Dieu pour
délivrer le peuple de Jacob. Les révoltés prirent Jérusalem et furent maîtres
de Hadrien enleva le nom de Judée à la province (on l'appela Syrie palestine) et y établit 2 légions, bien qu'elle ne fût pas province frontière. Le pays resta presque désert. Il fut défendu à aucun Juif, sous peine de mort, de paraître sur l'emplacement de Jérusalem ; on leur permit seulement de venir un jour par an pleurer au pied du rempart. Les Juifs dispersés dans l'Empire gardèrent leur religion, leurs synagogues, leurs conseils des anciens. Mais ils ne voulurent plus avoir rien de commun avec les infidèles, cessèrent peu à peu de se servir du grec et n'eurent plus que des livres écrits en hébreu. Hadrien, revenu en Italie, y passa ses dernières années (134-137). Il se fit bâtir à Tibur une grande villa où étaient reproduits en petit les monuments et les paysages qu'il avait le plus admirés dans ses voyages : il y avait une académie, un lycée, un théâtre, et même une vallée de Tempé avec des montagnes et un fleuve en miniature ; on a retrouvé dans les ruines de cette villa des bas-reliefs, des statues et des mosaïques. Antonin (137-161) et Marc-Aurèle (161-180). — Hadrien avait adopté un riche sénateur né dans la ville romaine de Nîmes en Gaule, Antonin, qui fut reconnu comme empereur (137). Antonin avait déjà 52 ans. C'était un homme simple et économe. Il refusa l'argent qu'on avait l'habitude d'offrir aux empereurs, et prit même sur sa fortune personnelle pour payer le donativum aux soldats. Il vécut sans luxe et économisa si bien les revenus de l'État qu'il laissa, au bout de 20 ans, un trésor de plus d'un demi-milliard. De caractère doux, un peu timide, il resta toujours à Rome ; il traitait le Sénat avec respect et venait régulièrement aux séances. Il votait d'ordinaire pour les peines les plus faibles, et faisait volontiers grâce aux condamnés. On conspira contre lui, il empêcha le Sénat de rechercher les complices. On prétend qu'il dit à cette occasion : Que gagnerais-je à ce qu'on sache que quelques-uns de mes concitoyens me haïssent ? — Il disait : Je veux me conduire avec le Sénat comme j'aurais désiré qu'on se conduisit avec moi quand j'étais sénateur. — Son fils adoptif Marc-Aurèle pleurait la mort de son précepteur. Ses amis trouvaient ce chagrin déplacé : Laissez-le être homme, dit Antonin, la philosophie et l'Empire ne doivent pas dessécher le cœur. Il ne fit pas de guerre. Mieux vaut, disait-il, sauver un citoyen que tuer mille ennemis. Il avait adopté avant d'être empereur un jeune homme, Marc-Aurèle, qui lui succéda et prit comme collègue son parent, L. Verus (161). Marc-Aurèle, dès l'âge de douze ans, portait le manteau des philosophes et couchait par terre, sa mère lui avait à grand'peine fait accepter de coucher sur des peaux de mouton. Adopté à dix-huit ans par Antonin, il continua à travailler avec son maître de rhétorique ; puis il se prit d'admiration pour la doctrine des stoïciens et, devenu empereur, ne cessa pas de la pratiquer. Il faisait chaque jour son examen de conscience, se demandant s'il avait rempli tous ses devoirs. Il a écrit dans ses Pensées : On ne doit pas se fâcher contre les méchants, mais les supporter avec douceur. Corrige-les si tu peux ; sinon, souviens-toi que la bienveillance t'a été donnée pour l'exercer sur eux. Il mena toujours une vie austère, mangeant peu, travaillant beaucoup, n'ayant d'autre distraction que d'écrire ses pensées. Quoique de santé faible, il fit toujours en conscience son métier d'empereur. Il allait aux séances du Sénat, et y restait jusqu'à la fin. Il jugeait souvent et s'occupait de réformer les lois. Il n'aimait pas la guerre. Cependant il passa des années à l'armée pour défendre l'Empire contre les ennemis. Une araignée, écrit-il, est fière d'avoir pris une mouche. Les hommes sont fiers d'avoir pris l'un un lièvre, l'autre un sanglier ou un ours, un autre des Sarmates. Ne sont-ils pas tous des brigands aux yeux du sage ? Les Parthes attaquèrent Les ennemis les plus dangereux furent les Barbares du Danube. Des peuples germains traversèrent le fleuve et demandèrent des terres dans les provinces romaines ; on les repoussa. Tout d'un coup ils entrèrent dans l'Empire tous à la fois ; les uns arrivèrent jusqu'en Grèce, les autres jusqu'à Aquilée, en Italie. Ils ravageaient, pillaient et emmenaient les habitants. La peste venait de détruire une partie de l'armée romaine. Une mauvaise récolte avait ruiné le pays ; les impôts ne rentraient plus. Pour avoir de l'argent Marc-Aurèle vendit les bijoux du palais. Il ramassa avec peine une armée en Italie, en enrôlant les soldats de police, des esclaves qu'il affranchit, et même les gladiateurs. Verus mourut. Marc-Aurèle conduisit lui-même l'armée et fit reculer les Barbares (167). Ce fut une guerre pénible, on la compara à la guerre contre Annibal. Marc-Aurèle batailla plusieurs années sur le Danube, surtout contre les Marcomans (en Bohème) et les Quades (en Moravie). Les Barbares demandèrent enfin la paix : ils rendirent les captifs romains, ils s'engagèrent à fournir des auxiliaires à l'empereur et à ne plus approcher du Danube (176). Le bruit courut alors en Orient que Marc-Aurèle était mort. Le général de l'armée de Syrie, celui qui avait vaincu les Parthes, se fit proclamer empereur ; mais ses soldats le massacrèrent au bout de trois mois. Marc-Aurèle revint sur le Danube, recommença la guerre, et se mit à détruire les Barbares. Il voulait faire de leur pays deux provinces romaines, mais il mourut à Vindobona (Vienne), épuisé, à l'âge de 60 ans (180). Gouvernement des Antonins. — Le temps de Trajan, Hadrien, Antonin et Marc-Aurèle a été appelé le siècle des Antonins. Ce fut la période la plus heureuse de l'Empire. Les empereurs se succédèrent sans avoir de fils ; l'Empire ne put donc être transmis comme un héritage. L'empereur choisissait un fils adoptif qui, sans révolution, arrivait au pouvoir, à l'âge d'homme, déjà habitué à bien gouverner. L'empereur ne dépendait plus du caprice des prétoriens ;
il n'avait plus peur des nobles du Sénat. Il se conduisait comme le premier
magistrat de Le Sénat restait le corps le plus honoré de l'État, les familles de sénateurs formaient la plus haute noblesse de l'empire ; la plupart maintenant descendaient non plus des anciens nobles de Rome, mais des colons romains et des grands propriétaires des provinces. Ils obéissaient à l'empereur[3] et ne songeaient plus à rétablir le gouvernement du Sénat. Pour aider l'empereur à gouverner, Hadrien organisa le conseil, formé de sénateurs et de jurisconsultes, chargé de préparer les édits et d'examiner les affaires. Les premiers empereurs avaient irrité les nobles en prenant pour secrétaires leurs affranchis. Les Antonins gardèrent ces employés, ils ne pouvaient plus s'en passer ; mais pour diriger ces affranchis, ils choisirent des chevaliers, c'est-à-dire des hommes de la seconde noblesse. Il y en eut un à la tête de chacun des quatre services, des dépêches, des comptes, des pétitions, des enquêtes. Dans les provinces on conserva le système d'Auguste : des
gouverneurs pris dans la noblesse sénatoriale, des intendants choisis dans la
noblesse des chevaliers. L'Empereur leur donnait un traitement, mais leur
défendait de rien prendre aux habitants ; il recevait les plaintes des provinciaux
contre eux et, s'ils avaient commis des vols ou des violences, les condamnait
sévèrement. Quand il était satisfait d'un gouverneur, il le laissait dans la
même province pendant plusieurs années. Ainsi les provinces ne servaient plus
à enrichir les nobles de Rome ; les provinciaux gardaient leur argent et
l'employaient dans leur pays. Les pays barbares, Rome n'envoyait dans les provinces que très peu de
fonctionnaires ; dans tout le pays qui forme aujourd'hui Toutes les autres affaires étaient réglées par les petits gouvernements établis avant la conquête ; il y en avait plusieurs dans chaque province, d'ordinaire un pour chaque ville un peu importante ; le pays d'alentour formait le territoire soumis à la ville on les appelait du même nom que l'État romain, des cités. Chaque cité était organisée sur le modèle de la cité romaine : elle avait son sénat, ses magistrats, son assemblée du peuple. Les magistrats, élus pour un an, étaient divisés en deux collèges de deux chacun, un pour la justice et le gouvernement (semblable aux consuls romains), un pour la police et les marchés (semblable aux édiles). Le sénat, nommé curie, était formé des grands propriétaires. Dans la cité, comme à Rome, l'assemblée n'était guère qu'une forme ; le véritable maître était la curie, c'est-à-dire les riches. La capitale de ce petit État était une ville, une Rome en miniature, avec des temples, une salle de conseil, des théâtres, des bains, des fontaines, des aqueducs, des routes. On y menait en petit la même vie qu'à Rome ; on donnait des cérémonies, on distribuait du blé, de l'argent. Rome ne donnait rien aux cités ; elle ne payait même pas les frais de l'administration, des tribunaux, des milices. C'étaient les habitants eux-mêmes qui faisaient les frais de leur gouvernement, de leurs constructions, de leurs fêtes. D'ordinaire les riches fournissaient l'argent ; la cité les remerciait en les nommant magistrats, membres de la curie, prêtres des temples, et en faisant inscrire leur nom et leur éloge sur les bâtiments publics. Trajan et Hadrien permirent aux cités de recevoir des dons et des legs ; les riches en mourant laissaient à leur ville des sommes, parfois considérables. Pline le Jeune dépensa pour Côme, sa ville natale, plus de Il millions de sesterces ; il y fit élever une bibliothèque, une école, un temple de Cérès avec des galeries pour abriter les marchands pendant la foire qui se tenait au moment de la fête. Un habitant de Marseille dépensa 10 millions de sesterces pour rebâtir les remparts de la ville. Les Romains avaient rendu un service aux peuples en les soumettant : ils avaient supprimé la guerre dans l'intérieur de leur empire et établi la paix romaine. Un orateur grec décrivait ainsi l'état du monde : Chacun peut aller où il veut ; les montagnes sont sures pour les voyageurs, comme les villes pour les habitants. La terre a quitté sa vieille armure de fer et se montre en habits de fêtes. Pour la première fois, les habitants de l'Europe pouvaient vivre tranquilles sans se sentir menacés d'être massacrés ou emmenés en esclavage par des guerriers ennemis. |