HISTOIRE NARRATIVE ET DESCRIPTIVE DU PEUPLE ROMAIN

 

CHAPITRE XVIII. — L'EMPIRE.

 

 

Auguste. — Auguste gouverna pendant quarante ans encore et eut le temps d'organiser entièrement le régime impérial. Il avait autant de pouvoir qu'un roi absolu ; cependant il évita toujours, non seulement de prendre le titre de roi ou même de dictateur, mais d'adopter les manières d'un souverain. Sans doute il craignait, en blessant les habitudes des Romains, comme César, de se faire assassiner comme lui.

Il affecta toujours de se conduire comme un simple magistrat. A Rome il ne portait que la toge, bien qu'il eût le droit de garder le manteau de général. Il défendit de l'appeler maître ou seigneur. Quand il venait au Sénat, il siégeait et votait comme un sénateur ; en 23 ayant été très malade, il offrit de nouveau d'abdiquer son pouvoir. Il allait à l'assemblée du peuple, et présentait lui-même ses candidats au peuple en le priant de voter pour eux. Il allait au tribunal déposer comme un simple témoin et permettait à l'avocat de mal parler de lui.

Il vivait simplement, logé dans une chambre de sa maison du mont Palatin, habillé de vêtements de laine tissés par les femmes de sa famille, suivant l'ancien usage ; à table il se faisait servir trois plats seulement et des plus simples. Il allait dîner en ville sans escorte. On entrait chez lui sans formalité, comme chez un particulier ; il recevait tout citoyen qui avait une demande à lui adresser.

Un jour, quelqu'un lui présentait une pétition en tremblant. Auguste lui dit : Tu fais autant de façon que pour offrir une pièce d'argent à un éléphant.

Auguste n'eut pas de fils, mais il était entouré d'une famille, d'abord assez nombreuse : sa sœur Octavie, veuve d'Antoine, — sa femme Livie qui lui avait amené deux fils d'un premier mariage, Tiberius et Drusus ; — sa fille Julie, — son neveu Marcellus. Il maria sa fille à son neveu, qu'il fit consul et qu'il associa au gouvernement ; Marcellus devait être son successeur ; mais il mourut jeune (23).

Un ami d'enfance d'Auguste, Agrippa, l'avait aidé à gouverner pendant son triumvirat, avait équipé et commandé sa flotte, dirigé les constructions de Rome, organisé l'administration. Auguste lui fit épouser sa fille, l'associa au pouvoir et le destina à lui succéder. Agrippa mourut (12), laissant deux fils. Auguste le fit enterrer dans le tombeau préparé pour lui-même.

Un des beaux-fils d'Auguste, Drusus, déjà célèbre par ses victoires, mourut à trente ans d'une chute de cheval (9) ; l'autre, Tibère, devint le personnage principal de la famille ; Auguste le força à épouser sa fille Julie, mariée pour la troisième fois et fameuse par sa mauvaise conduite. Mais il voulait laisser sa succession à ses deux petits-fils, les fils d'Agrippa et de Julie, Caïus et Lucius ; il les adopta et les fit élire consuls désignés. Tibère, mécontent d'être sacrifié à ces enfants, refusa de rester à Rome. Auguste voulut le retenir, Tibère déclara qu'il se laisserait mourir de faim ; il se retira à Rhodes et y resta sept ans.

Les deux petits-fils d'Auguste moururent (2 et 4 après J.-C.). Il ne restait plus que Tibère. Auguste l'adopta et le prit comme collègue.

Auguste, faible et maladif, n'aimait ni la chasse, ni la guerre. Il ne commandait pas lui-même ses armées, il les confiait d'ordinaire à quelque membre de sa famille, Agrippa, Tibère, Drusus.

Arrivé à soixante-seize ans, Auguste tomba malade pendant un voyage en Campanie ; il fit venir Tibère, lui donna ses conseils sur la façon de gouverner et mourut (14).

Un moment avant sa mort, il demanda un miroir et s'arrangea les cheveux. Puis il ordonna de faire entrer ses amis et leur dit : La pièce est finie, ai-je bien joué mon rôle ? Et il ajouta en grec : Si vous êtes contents, applaudissez[1].

Son corps fut brûlé sur le Champ de Mars ; Livie déposa les ossements dans un monument. Le Sénat déclara qu'Auguste était passé au rang des dieux et on créa des temples et des prêtres du dieu Auguste.

Organisation du gouvernement impérial. — Le gouvernement organisé par Auguste devait durer près de trois siècles. (On l'appelle le principat ou le Haut-Empire.)

Dans ce régime, le pouvoir absolu appartient à un seul homme, l'Empereur (imperator, celui qui a l'imperium, c'est-à-dire le commandement). L'empereur porte le titre de César (le nom de famille du premier empereur est devenu un prénom de tous) ; et d'Auguste (le vénérable)[2]. On l'appelle aussi le prince, c'est-à-dire le premier.

L'empereur à lui seul réunit tous les pouvoirs que se partageaient autrefois les magistrats et le peuple.

Il a le pouvoir proconsulaire, c'est-à-dire le pouvoir sur toutes les armées et toutes les provinces ; par conséquent la force armée.

Il a le pouvoir tribunicien, c'est-à-dire la direction du peuple dans Rome ; sa personne est sacrée, inviolable ; le blesser c'est porter atteinte à la majesté du peuple romain.

Il est grand pontife, c'est-à-dire qu'il a la direction de toutes les affaires de religion.

Il a le pouvoir du censeur et la direction des mœurs, c'est-à-dire qu'il dresse la liste des sénateurs, des chevaliers et des citoyens ; il donne à chacun son rang dans la société.

Il a le droit de convoquer le Sénat et le peuple, de régler les impôts et les dépenses.

Il a le droit de juger et de faire des ordonnances (édits) ou d'envoyer des explications (rescrits) qui ont la même valeur qu'une loi.

Auguste a évité de faire une révolution brusque. Il n'a pas supprimé les anciens noms. L'État s'appelle encore respublica et les étendards de l'armée continuent à porter les initiales SPQR (Sénat et peuple romain). Mais il a concentré sur lui seul les pouvoirs que les autres magistrats se partageaient et, au lieu de les exercer un an seulement, il les garde toute la vie. Il est le magistrat unique et viager de la République.

Il porte les anciens insignes des magistrats, joints à des emblèmes religieux : il a la robe de pourpre brodée d'or et le trône d'or ; il a des licteurs qui portent des faisceaux ornés de lauriers ; il a dans son palais une cohorte (bataillon) de soldats et une escorte de gardes du corps. Chaque année on fait des prières aux dieux pour son salut. Tous les citoyens jurent de lui obéir.

Il y a autour de lui une sorte de cour ; des compagnons qu'on appelle amis d'Auguste, un conseil qu'il consulte pour les affaires et une troupe d'employés, esclaves ou affranchis, divisés en trois bureaux (la correspondance, les pétitions, les comptes).

Le Sénat reste ce qu'il était, l'assemblée des personnages les plus considérables et les plus riches de l'Empire. Auguste a établi la règle que, pour être sénateur, il faut posséder au moins 1 million de sesterces ; à ceux qui n'avaient pas cette somme, il a donné l'argent nécessaire pour la compléter. Il n'a conservé que 600 sénateurs. C'est l'empereur qui les désigne, et il continue à prendre les anciens magistrats.

Le Sénat se rassemble à des jours fixés, dans un temple, la curia Julia. Les sénateurs ont le devoir d'assister aux séances ; chacun doit offrir le vin et l'encens sur l'autel de la Victoire. L'empereur envoie lire au Sénat ses messages et le consulte sur les affaires ; mais il n'est pas obligé de suivre ses avis. Le Sénat reste le corps le plus élevé de l'État, mais il n'est plus le maître du gouvernement.

L'assemblée du peuple n'a pas été abolie ; mais on a cessé de la réunir pour lui faire voter des lois ; Auguste la convoquait encore pour élire les magistrats, son successeur a transporté l'élection au Sénat.

Les anciennes magistratures n'ont pas été supprimées, et même Auguste a décidé dans quel ordre on doit les exercer : on est successivement questeur, édile ou tribun de la plèbe, préteur, consul, proconsul. Mais tous ces magistrats sont soumis au pouvoir supérieur de l'empereur. Ils sont élus, mais l'empereur désigne eue partie des candidats qu'on doit élire ; et pour les autres places il recommande ses candidats, que naturellement on élit. En fait, c'est donc l'empereur qui choisit tous les magistrats.

L'apothéose. — L'empereur, tant qu'il vit, gouverne en maître. A sa mort, son pouvoir finit, il retourne au peuple romain, représenté par le Sénat. Le Sénat a le droit d'examiner les actes de l'empereur mort. Il peut condamner sa mémoire ; dans ce cas, ses actes sont déclarés nuls, les ordres qu'il a donnés sont cassés, on détruit ses statues, on efface son nom des monuments. (On a trouvé des inscriptions où le nom d'un empereur avait été enlevé à coups de marteau.) Mais c'est un cas rare.

Le plus souvent le Sénat ratifie les actes et, d'ordinaire, il décrète d'élever l'empereur mort au rang des dieux ; on lui bâtit des temples, on nomme un prêtre spécial pour lui rendre un culte. Il y eut ainsi des flamines du divin Auguste, ou du divin Claude.

Cet usage s'appela d'un nom grec, apothéose (divinisation).

L'empereur n'a pas le droit de léguer son pouvoir ; son fils, s'il en a un, n'est pas empereur de droit ; c'est le Sénat quia le droit de choisir l'empereur. Mais il ne peut guère se dispenser de reconnaître celui que l'empereur, avant sa mort, a désigné pour lui succéder.

Administration de Rome. — On conservait encore la distinction entre les citoyens romains et les sujets de Rome. La ville de Rome et l'Italie, dont tous les habitants étaient devenus citoyens, étaient administrées directement par les magistrats et le Sénat. Mais Auguste organisa cette administration régulièrement.

La loi défendait au général d'amener des soldats dans l'intérieur de la ville ; mais l'empereur, chef des armées, garda près de lui son escorte militaire, les cohortes prétoriennes (le mot signifie bataillons du général). Les prétoriens, choisis parmi les anciens soldats, recevaient une paie double des autres, sans compter les gratifications en argent (donativum).

Avec ces troupes près de lui, l'empereur n'avait rien à craindre du peuple de Rome. Ce furent les prétoriens eux-mêmes qui devinrent redoutables.

Auguste établit aussi dans la ville des troupes pour faire la police (les cohortes urbaines), et des troupes pour faire des rondes de nuit et éteindre les incendies (les vigiles).

Auguste conserva l'usage de donner du blé aux citoyens pauvres ; un fonctionnaire spécial était chargé d'approvisionner la ville, de dresser les listes et de surveiller les distributions. A l'occasion des grandes fêtes, l'empereur faisait aussi distribuer du vin, de l'huile, des vêtements et même de l'argent (congiarium). Sous Auguste on distribua en neuf fois 700 francs par tête.

Un fonctionnaire, le préfet de la ville, était chargé de maintenir l'ordre et de rendre la justice à Rome et dans le pays d'alentour.

Administration des provinces. — L'empereur avait le pouvoir sur toutes les provinces ; Auguste laissa au Sénat les provinces qui n'avaient pas besoin de soldats ; dans ces provinces du Sénat on continua d'envoyer des proconsuls.

Il se réserva toutes les provinces où il y avait une armée et les provinces frontières, ce furent les provinces d'Auguste. Là l'empereur nommait lui-même tous les fonctionnaires.

Dans chaque province il envoyait un gouverneur, appelé légat d'Auguste, chargé d'exercer tous ses pouvoirs ; ce légat commandait l'armée, gouvernait la population, faisait des tournées pour juger les affaires importantes ; il avait le droit de vie et de mort. Pour chaque légion l'empereur nommait un légat de légion.

Dans chaque province, l'empereur avait un ou plusieurs intendants chargés de lever les impôts et de faire rentrer l'argent dans sa caisse ; c'étaient les procurateurs d'Auguste. Dans les petites provinces sans armée le procurateur était en même temps gouverneur.

Pour défendre ses provinces, l'empereur avait une armée permanente, composée de volontaires, d'ordinaire des citoyens pauvres qui se faisaient soldats de métier pour gagner leur vie. Ils s'engageaient pour 20 ans et parfois même se rengageaient. Ils recevaient une solde et, à la fin de leur temps de service, leur congé avec une somme d'argent et un petit domaine.

Il y eut ainsi 25, puis 30 légions de citoyens, chacune de 6.000 hommes, divisée en cohortes (bataillons). Il y avait, en outre, des auxiliaires organisés en petits corps, les cohortes de fantassins, les ailes de cavaliers ; c'étaient des étrangers, c'est-à-dire des sujets de Rome, la plupart conservaient le costume, les armes et la façon de combattre de leur pays. Souvent, en recevant leur congé, ils étaient faits citoyens romains.

Les simples soldats avançaient jusqu'au grade de centurion qui équivaut à celui de capitaine. Mais tous les hauts grades, comme toutes les fonctions, étaient réservés aux riches, chevaliers ou sénateurs. Il fallait être sénateur pour devenir légat d'Auguste ou légat de légion, il fallait être chevalier pour devenir procurateur ou commandant de cohorte. Il y avait ainsi trois carrières séparées, la carrière sénatoriale, la carrière équestre et celle des simples citoyens.

Pour entretenir cette armée, Auguste créa une caisse militaire ; on y versait les revenus des impôts nouveaux : l'impôt sur les ventes, 1/100 ; l'impôt sur les esclaves affranchis, 1/20 ; l'impôt sur les gros héritages, 1/20.

Il y eut alors quatre caisses séparées : 1° l'ancienne caisse du Sénat qui resta dans le temple de Saturne ; 2° la caisse militaire alimentée par les nouveaux impôts ; 3° la caisse de l'empereur appelée fisc où entraient les revenus des provinces, domaines, impôts des sujets, douanes ; 4° la fortune privée de l'empereur. Mais en fait l'empereur employait l'argent de toutes ces caisses aux dépenses de son gouvernement.

Guerres contre les Barbares. — Sous le gouvernement du Sénat, presque toutes les provinces romaines avaient pour voisins des peuples barbares, restés armés, qui venaient ravager le pays, piller les maisons, emmener les habitants en esclavage. Auguste passa sa vie à soumettre ces Barbares et à organiser la frontière de façon à assurer la paix aux habitants de l'Empire.

Dans l'Italie du Nord, les montagnards des Alpes venaient piller jusqu'à la plaine du Pô. Auguste les fit poursuivre jusque dans les montagnes ; un de ces petits peuples, les Salasses, fut tout entier massacré ou vendu. Toutes les Alpes furent soumises aux Romains ; Auguste y organisa trois petites provinces. On voit encore, sur une hauteur, près de Monaco, le monument élevé à Auguste, avec une inscription où sont énumérés les petits peuples qu'il a soumis.

Pour protéger l'Italie du côté du nord où il est facile de descendre par les Alpes, Auguste fit occuper tout le pays au nord des Alpes jusqu'au Danube. Il en fit deux provinces, la Rhétie (Bavière), qui resta en partie déserte ; le Norique (Autriche) où la population devint bientôt italienne.

En Espagne, Auguste alla diriger la guerre contre les peuples des montagnes du nord, les Astures et les Cantabres (Asturies, pays basque) ; après plusieurs campagnes (25-19), il les soumit, en déporta une partie et laissa près des montagnes trois légions pour contenir ceux qui restaient.

Dans le pays de montagnes, à l'est de la mer Adriatique, que les anciens appelaient Illyrie, habitaient des peuples belliqueux, semblables aux Albanais (ils parlaient la langue des Albanais d'aujourd'hui). Ils s'étaient soumis à Rome et leurs guerriers combattaient dans les armées romaines. Ils se révoltèrent. Après trois ans de guerre (12-10) Tibère les soumit.

Des deux côtés du Danube, depuis les montagnes jusqu'à son embouchure, étaient établis des peuples guerriers, au nord les Daces, au sud les Thraces. Un peuple thrace avait un roi partisan de Rome, un autre peuple thrace lui fit la guerre et attaqua la Macédoine. Les Romains occupèrent la plaine entre le Danube et le Balkan (Bulgarie) et en firent la province de Mœsie qui sépara les Thraces des Daces (13-11).

En l'an 8, ces guerres étant terminées, Auguste ferma le temple de Janus ; il resta fermé douze ans.

Guerres contre les Germains. — César avait soumis la Gaule ; Auguste l'organisa. Il y vint passer quelques années avec ses deux beaux-fils, Tibère et Drusus. Il la divisa en trois grandes provinces : au sud, l'Aquitaine ; au centre, la Lugdunaise ; au nord, la Belgique. Chacune avait un gouverneur, mais il leur donna un centre commun. Sur la colline qui domine la Saône[3], on venait de fonder une colonie romaine, Lyon (Lugdunum) ; le gouverneur de la Lugdunaise y fut établi. Au pied de la colline, à l'endroit où la Saône se jetait dans le Rhône, on éleva un autel consacré à Rome et Auguste. Chaque année, les envoyés des soixante peuples de la Gaule s'y réunissaient, ils assistaient au sacrifice, s'assemblaient sous la présidence du prêtre chargé de ce culte, un grand personnage gaulois, et avaient le droit d'adresser des demandes à l'empereur.

La Gaule était toujours menacée par les Germains, barbares et guerriers, qui habitaient entre le Rhin et l'Elbe un pays couvert de forêts et de marécages, sans aucune ville. Les Sicambres, un de ces peuples, saisirent les marchands romains, et les crucifièrent ; ils passèrent le Rhin et se mirent à piller le pays gaulois ; ils détruisirent presque une légion envoyée contre eux et prirent l'aigle qui servait d'étendard (16). — Puis ils s'allièrent avec deux autres peuples pour piller et passèrent le Rhin ensemble ; ils s'étaient partagé d'avance le butin : les Chérusques auraient les chevaux, les Suèves l'or et l'argent, les Sicambres les captifs.

Drusus partit avec une forte armée pour mettre fin à ces invasions (12). Il repoussa d'abord les barbares derrière le Rhin. Puis il s'avança par le nord ; pour éviter à ses navires la traversée dangereuse de la mer du Nord, il fit creuser un canal en arrière, et amena son armée jusqu'à l'embouchure du Weser. Il fut aidé par les peuples germains de la côte, les Bataves, qui devinrent les alliés de Rome ; on ne leur demandait aucun impôt ; ils fournissaient des soldats, surtout des cavaliers, que Rome payait bien.

Drusus pénétra ainsi au milieu des peuples germains et les vainquit ; il transplanta 40.000 Sicambres sur la rive gauche du Rhin. Il arriva jusqu'à l'Elbe. Au retour il tomba de cheval et se tua (9).

Auguste voulait probablement garder tout le pays entre le Rhin et l'Elbe et en faire une province de Germanie ; on éleva au bord du Rhin, près de Cologne, un autel où tous les peuples germains devaient venir sacrifier, comme les peuples gaulois sacrifiaient à Lyon. Les légions passaient encore l'hiver dans deux grands camps retranchés au bord du Rhin, mais souvent elles passaient l'été au milieu de la Germanie dans le pays du Weser ; on y bâtit une forteresse romaine, Aliso.

Tibère mena son armée jusqu'à l'Elbe et lui fit passer l'hiver près d'Aliso. Il ne manquait plus pour joindre la frontière de l'Elbe à celle du Danube que le pays entouré de montagnes qui est aujourd'hui la Bohême. Il était occupé par un peuple germain, les Marcomans. Leur roi, Marbod, ayant vécu à Rome, avait armé et organisé ses guerriers à la façon romaine ; il avait, dit-on, 70.000 fantassins et 4.000 cavaliers. Tibère vint l'attaquer du côté de l'Elbe ; une autre armée romaine l'attaquait par le Danube (6 ap. J. C.).

Pour former cette armée, on avait fait partir les légions d'Illyrie et ordonné aux peuples illyriens d'envoyer leurs guerriers. Ces peuples étaient mécontents de la façon dont les Romains levaient les impôts ; ils se soulevèrent tous, les Dalmates dans les montagnes du sud, les Pannoniens dans la grande plaine du nord (Hongrie). Ils réunirent, dit-on, 200.000 fantassins ; ils voulaient marcher sur l'Italie. On eut peur à Rome. Auguste vint au Sénat dire que dans dix jours les Barbares pouvaient être là

Tibère fit la paix avec Marbod et tourna du côté de l'Illyrie ; à son armée se joignirent l'armée de Mœsie, et des troupes venues de Syrie et d'Italie ; il finit par avoir 15 légions ; mais il lui fallut trois campagnes pour venir à bout de la résistance (6-8). Ce fut une des guerres les plus rudes que Rome eut à soutenir. Les révoltés avaient servi dans l'armée romaine comme auxiliaires et savaient se battre. Enfin ils se soumirent. Le chef, un Dalmate, Bato, cerné dans sa forteresse de montagnes, se rendit et fut envoyé à Ravenne.

Tibère lui demanda : Pourquoi vous êtes-vous révoltés ? Il répondit : Pourquoi les Romains envoient-ils pour garder leurs troupeaux des loups au lieu de chiens ?

Ce fut une grande joie à Rome à la nouvelle de la paix (9).

Varus. — Quelques jours après arrivait la nouvelle d'un désastre en Germanie. Le gouverneur de Germanie, Varus, mari d'une nièce de l'empereur, venait d'être gouverneur en Syrie (on disait qu'il s'y était enrichi en pillant le pays) ; il n'avait l'habitude ni de la guerre, ni des peuples barbares. Les Germains n'étaient pas encore habitués au régime romain, où le gouverneur faisait des tournées pour juger les affaires importantes ; il leur déplaisait de venir devant son tribunal où l'on parlait latin et où les procès se décidaient avec des avocats étrangers.

Il y avait dans chaque peuple germain deux partis, l'un favorable, l'autre hostile aux Romains. Le parti ennemi de Rome devint le plus fort ; plusieurs peuples décidèrent de se soulever. Le chef de la ligue fut un jeune prince des Chérusques, Arminius. Il avait servi dans l'armée romaine comme officier, Auguste l'avait fait citoyen et même chevalier romain ; on le croyait dévoué aux Romains. Mais il était brouillé avec le roi des Chérusques, Segeste, dont il avait enlevé la fille, la belle Thusnelda.

Varus venait de passer l'été du côté du Weser. A l'automne il se préparait à revenir vers le Rhin. Il apprend qu'un pays voisin vient de se révolter ; il y va avec son armée, environ 20.000 hommes, et s'engage au milieu des forêts de Teutobourg. Alors de tous côtés les guerriers germains accourent, massacrent les petites garnisons éparses et viennent se réunir contre l'armée romaine.

Arminius, avec quelques-uns de ses amis, était resté auprès de Varus, pour mieux le tromper. Un soir, après avoir dîné dans la tente de Varus, il disparaît et va se mettre à la tête des révoltés. L'armée romaine était encombrée de bagages, fatiguée de marcher sous la pluie dans une forêt sans route ; elle marcha trois jours, attaquée sans cesse par les Germains. Les cavaliers l'abandonnèrent, et essayèrent de se sauver seuls (ils furent massacrés). Varus blessé, désespéré, se tua ; quelques officiers firent de même. Enfin l'armée se rendit avec les aigles des 3 légions ; les Germains massacrèrent les soldats, crucifièrent ou enterrèrent vifs les officiers et les avocats ; leurs tètes furent coupées et clouées à des arbres (9).

Les Germains en voulaient surtout aux avocats. Ils en prirent un, lui coupèrent la langue et lui cousirent la bouche ; puis ils lui disaient : Siffle maintenant, vipère !

Auguste fut consterné. On dit qu'on l'entendait la nuit dans sa chambre crier : Varus, rends-moi mes légions.

Ce ne fut pourtant qu'une armée perdue. Les peuples germains de la côte restèrent fidèles à Rome. Le roi des Marcomans, Marbod, ne bougea pas ; les vainqueurs lui envoyèrent la tête de Varus pour le décider à marcher avec eux ; il renvoya cette tête à Auguste pour l'ensevelir. Les révoltés ne franchirent pas même le Rhin. Tibère, envoyé avec une armée, mit les frontières en défense (10).

Puis Auguste étant mort, Germanicus, fils de Drusus, neveu et fils adoptif de Tibère, fit trois expéditions en Germanie (14-16). Il entra dans le pays des Chérusques, où il délivra le roi Segeste, l'allié de Rome, et prit la belle Thusnelda, femme d'Arminius, qu'il emmena à Rome. Il s'avança le long de la côte et dans le pays du Weser, livra deux grandes batailles à Arminius, deux batailles sanglantes où on ne fit pas de prisonniers (16). Mais, au retour, sa flotte fut jetée à la côte par la tempête et une partie de son armée périt.

Marbod, abandonné par une partie de ses sujets, fut attaqué par Arminius ; il demanda secours à Tibère, qui refusa de le soutenir. Marbod, surpris par un prince germain, s'enfuit chez les Romains (18) ; on lui donna pour résidence Ravenne, où il mourut longtemps après.

Arminius, accusé de vouloir se faire roi, fut assassiné par des nobles de son peuple. Les Germains se détruisaient les uns les autres.

Mais Tibère renonça à soumettre la Germanie et abandonna la rive droite du Rhin. Les légions détruites par les Germains (les numéros 17, 18, 19) ne furent jamais rétablies.

Frontières de l'Empire. — C'est Auguste qui a organisé la frontière de l'Empire romain. Les anciennes provinces, conquises sans plan d'ensemble, n'avaient pas de limités régulières. Auguste a soumis de nouveaux pays pour atteindre une frontière facile à défendre.

L'Empire romain eut alors pour limites : — à l'ouest, l'Océan, — au nord, la Manche, le Rhin, le Danube, la mer Noire, — à l'est, les déserts de l'Euphrate et de l'Arabie, — au sud, le grand désert d'Afrique.

Il comprenait tous les pays qui entourent la Méditerranée : l'Espagne, la France, l'Italie, la Bavière, l'Autriche, la Hongrie, la Turquie d'Europe ; toute l'Asie Mineure, la Syrie, l'Égypte et l'Afrique du Nord. C'était le plus grand empire qu'on eût vu. Auguste, en mourant, conseilla à son successeur de ne pas l'agrandir.

Presque tous les pays étaient organisés en provinces, avec des gouverneurs romains. Il restait pourtant encore, surtout du côté de l'Asie Mineure, quelques rois des anciennes familles, mais ils dépendaient de l'empereur et lui obéissaient. Ces petits royaumes ne subsistaient que par la volonté de l'empereur ; ils furent tous, dès le Ier siècle, transformés en provinces romaines.

Pour défendre ce vaste empire, Auguste avait 25 légions de citoyens (plus tard il y en eut 30) et des corps auxiliaires. Ces soldats n'étaient pas dispersés dans tout l'Empire, mais réunis sur les frontières. Dans les provinces de l'intérieur, il n'y avait pas d'armée romaine. Sur la frontière, au contraire, chaque province avait sa petite armée, établie dans un camp fortifié où elle passait au moins tout l'hiver. Le commandant en chef, en même temps gouverneur, y avait son tribunal : A côté s'établissaient les familles des soldats, les marchands, les fournisseurs, les cabaretiers et beaucoup d'anciens soldats qui, après avoir fini leur service, restaient auprès de leur ancien corps. Ainsi chaque camp devenait une ville.

A l'ouest, en Espagne, l'armée, formée de 3 légions (une seule depuis le IIe siècle), était établie dans le nord pour combattre les montagnards des Asturies ; le camp a gardé le nom de l'armée, Legio (Léon).

Au sud de l'Afrique il y avait une petite armée, une légion, pour arrêter les brigands du désert.

A l'est, il n'y avait qu'un ennemi, le grand royaume des Parthes. L'armée (3 légions) était dans la province de Syrie, casernée dans Antioche. De ce côté, il ne se fit sous Auguste aucune grande guerre. Les rois des Parthes, occupés à se combattre entre eux, restaient en paix avec Rome ; l'un d'eux demanda même l'alliance d'Auguste et lui renvoya les enseignes des légions de Crassus prises autrefois par les Parthes.

La plus menacée était la frontière du nord, derrière laquelle vivaient des peuples barbares, pauvres et guerriers, toujours prêts à envahir le pays romain pour le piller ; — derrière le Rhin les Germains, — derrière le Danube les Germains et les Daces. Là aussi furent établies les deux plus fortes armées romaines.

L'armée du Rhin, formée de 8 légions, était divisée en deux. Le corps de basse Germanie avait son camp à Vetera-Castra et défendait le Rhin depuis son embouchure jusqu'aux montagnes. Le corps de haute Germanie avait son camp à Moguntiacum (Mayence) et défendait tout le reste du Rhin, jusqu'au lac de Constance.

La frontière fut plus tard portée assez loin en avant du Rhin, elle était marquée par un retranchement en ligne droite, long de plus de 500 kilomètres, qui allait du Rhin au Danube. La partie du côté du Rhin consistait en un fossé et un rempart flanqué de tours ; de loin en loin s'élevait, à un demi-kilomètre au plus en arrière, une forteresse en pierre. La partie du côté du Danube se composait seulement d'un amas de pierres sans fossé ni tours. Le pays entre cette frontière et le Rhin se peupla de colons et il s'y forma plusieurs petites villes romaines.

L'armée du Danube était divisée entre quatre provinces ; l'Illyrie et la Dalmatie dans les montagnes, — la Pannonie, dans la plaine de Hongrie, défendue par le corps principal et la flottille des barques de guerre, — la Mœsie (aujourd'hui Bulgarie) entre les Balkans et le Danube. Cette armée, moins nombreuse d'abord que celle du Rhin, devint la plus considérable avant la fin du Ier siècle.

 

 

 



[1] Dans les comédies grecques, l'acteur, à la fin de la pièce, s'adressait aux spectateurs pour leur dire : Applaudissez.

[2] On disait, par exemple, Imperator Nero Cæsar Augustus.

[3] Sur la colline où est aujourd'hui Fourvière.