HISTOIRE NARRATIVE ET DESCRIPTIVE DU PEUPLE ROMAIN

 

CHAPITRE XV. — POMPÉE.

 

 

Pompée. — Après la mort de Sylla, le personnage le plus important à Rome fut un de ses généraux, Pompée. C'était un noble, fils d'un consul, qui possédait des domaines immenses dans le Picenum.

Âgé de vingt-trois ans, sans aucun titre, Pompée avait recruté une armée avec les gens de ses domaines et l'avait amenée à Sylla. Il combattit pour lui en Italie, puis en Sicile et en Afrique.

Sylla s'attacha à Pompée. Il lui permit de célébrer le triomphe, contrairement aux usages, puisqu'il n'avait pas encore l'âge voulu pour être magistrat. Il lui donna le surnom de Grand. Pompée devint alors le premier personnage de Rome après Sylla.

Il avait une belle figure, semblable à celle d'Alexandre, des manières nobles et un train de maison simple pour un homme si riche. Il eut beaucoup de partisans, surtout parmi les nobles et les soldats.

Aussitôt Sylla mort, le consul Lepidus attaqua son œuvre. Il proposa de rendre aux Italiens leurs terres confisquées, aux fils des proscrits leurs droits, aux citoyens pauvres de Rome les distributions de blé supprimées par Sylla. Le Sénat, pour se débarrasser de lui, l'envoya dans la Gaule cisalpine. Lepidus alla prendre l'armée de sa province et voulut se faire réélire consul malgré la loi. La guerre civile recommença (78).

Le Sénat chargea Pompée, bien qu'il ne fut pas encore magistrat, de commander une armée. Pompée alla soumettre la Cisalpine. Lepidus arriva jusque devant Rome ; après une bataille sur le Champ de Mars (77), il s'enfuit et mourut bientôt.

Guerre contre Sertorius. — La guerre civile continua en Espagne. Un ancien officier de Marius, Sertorius, homme du peuple parvenu de grade en grade jusqu'à être consul, s'était échappé, après la victoire de Sylla, avec une troupe de compagnons et s'était réfugié en Espagne, puis chez les Maures, puis en Lusitanie (Portugal).

Il inspira confiance aux gens du pays par sa justice et son courage. Avec une petite armée de 7.000 hommes il se mit à faire la guerre aux généraux romains, en battit quatre et s'avança peu à peu jusqu'à l'Èbre. Il forma une armée avec des Barbares d'Espagne, armés et disciplinés à la façon romaine et commandés par des officiers romains. Avec les nobles proscrits, échappés à Sylla et réfugiés près de lui, il composa un Sénat romain. Les restes de l'armée de Lepidus vinrent le rejoindre. Les chefs des peuples espagnols lui confièrent leurs fils ; il les réunit dans une ville et les fit élever par des précepteurs romains.

Il avait, dit-on, une biche blanche apprivoisée qu'il faisait passer pour un animal merveilleux, donné par une déesse ; il faisait croire aux Barbares qu'elle lui prédisait l'avenir. Quand il recevait une bonne nouvelle, il la tenait secrète, amenait sa biche couronnée de fleurs et annonçait à ses soldats qu'ils apprendraient bientôt quelque chose d'heureux.

Ainsi se formait en Espagne un parti ennemi du Sénat. Le Sénat envoya contre Sertorius ses meilleurs généraux : Metellus d'abord ; — Metellus, vieux et fatigué, habitué à la guerre régulière, ne sut pas se défendre contre Sertorius, qui lui faisait une guerre d'embuscades dans les montagnes, — puis Pompée lui-même, Pompée fut blessé, s'échappa pendant que les ennemis perdaient le temps à se partager les harnais de son cheval et ne fut sauvé que par l'arrivée de Metellus (76-74).

Sertorius dit : Sans cette vieille femme (il parlait de Metellus), j'aurais renvoyé à Rome cet enfant (il appelait ainsi Pompée) après lui avoir donné les verges.

Metellus se décida à mettre à prix la tête de Sertorius ; il promit 100 talents (plus d'un demi-million) à qui le tuerait. Quelques-uns des officiers romains de Sertorius conspirèrent contre lui ; ils l'invitèrent à un festin et le poignardèrent (72). Après sa mort son armée fut dispersée.

Guerre contre Spartacus. — Deux fois déjà en Sicile (135 et 103), les esclaves, maltraités, s'étaient révoltés contre leurs maîtres, et il avait fallu envoyer des armées romaines pour les soumettre.

En 73 commença une révolte d'esclaves en Italie. Il y avait à Capoue une école de gladiateurs où l'on tenait enfermés des esclaves destinés à combattre pour amuser le public ; on choisissait de préférence des Gaulois et des Thraces, réputés les plus braves des Barbares.

Une bande de ces gladiateurs parvint à s'enfuir ; ils entrèrent dans une boutique de rôtisseur, s'armèrent de broches et de couperets et sortirent de Capoue. Ils rencontrèrent des chariots chargés d'armes de gladiateurs, les prirent et se retirèrent sur une montagne escarpée couverte de vignes sauvages, où ils se retranchèrent. Ils choisirent pour chef un des leurs, un Thrace, Spartacus, qui se montra grand capitaine.

Une petite armée romaine vint cerner leur montagne. Ils firent des échelles avec des branches de vigne et descendirent par des rochers à pic ; puis ils attaquèrent brusquement les assiégeants et les mirent en déroute. Les esclaves bergers des environs vinrent se joindre à eux ; ils furent bientôt une armée.

Spartacus vainquit trois petites armées romaines et emmena ses hommes du côté des Alpes, par où ils devaient passer pour rentrer les uns en Thrace, les autres en Gaule. Il rencontra l'une après l'autre les armées des deux consuls et les repoussa.

Le Sénat alors donna le commandement à Crassus, un des généraux de Sylla, l'homme le plus riche de Rome (il s'était enrichi en achetant les biens des proscrits).

L'armée de Spartacus s'était séparée par nations : les Germains, les Gaulois, les Thraces campaient à part. Spartacus voulut passer en Sicile pour essayer d'y soulever les esclaves ; mais les pirates, qui lui avaient promis d'embarquer ses hommes, les laissèrent sur le rivage. Crassus attaqua l'une après l'autre les bandes des révoltés et les extermina. Spartacus fut tué en combattant (71).

Dans la première bataille, on trouva, dit-on, 12.300 cadavres, tous, excepté deux, frappés par devant en combattant à leur poste.

Avant la dernière bataille, Spartacus, ayant rangé ses hommes, se fit amener son cheval et le tua, en disant : Si je suis vainqueur, j'en trouverai assez d'autres ; si je suis vaincu, je n'en aurai plus besoin. Il se jeta dans la mêlée pour arriver jusqu'à Crassus et tua de sa main deux officiers.

Pompée revenait d'Espagne avec ses troupes ; il eut la chance de rencontrer une bande de fuyards qu'il massacra. Il écrivit au Sénat que Crassus avait vaincu les esclaves, mais qu'il venait, lui, d'arracher les racines de la guerre.

Pompée et Crassus, chacun avec son armée, arrivèrent devant Rome ; ils s'entendirent et se firent élire tous deux consuls. Jusque-là ils avaient soutenu le parti du Sénat ; devenus consuls, ils se retournèrent vers le parti des populares et firent abolir les principales lois de Sylla. On rétablit la censure et on rendit aux tribuns leur ancien pouvoir (70).

Verrès. — Depuis que Sylla avait rétabli les tribunaux composés de sénateurs, il était devenu impossible de faire condamner un gouverneur de province ; quelque crime qu'il eût commis, les sénateurs l'acquittaient toujours.

Un tribun dénonça au peuple le gouverneur de Sicile, Verrès ; un jeune orateur, Cicéron, se chargea de l'accuser devant le tribunal (70).

Verrès était resté trois ans gouverneur en Sicile, et voici quelques-uns des faits qu'on lui reprochait :

Il vendait les jugements et les fonctions ; personne n'était élu membre d'un conseil de ville sans le payer. Il extorqua ainsi à un riche Sicilien 1.100.000 sesterces, ses plus beaux chevaux, son argenterie et ses tapis. Il jugeait au mépris de toutes les formes ; il lui arriva de déclarer en janvier qu'on était en mars.

Il exigeait des redevances exorbitantes ; il leva dans une ville 300.000 boisseaux de blé, dans une autre 400.000 de plus qu'elles ne devaient. Une ville se permit de réclamer, il fit battre de verges les envoyés et imposa à la ville 400.000 boisseaux de plus. Il avait reçu du Trésor romain 37 millions de sesterces (plus de 9 millions) pour acheter des blés, il garda l'argent et envoya à Rome les blés qu'il avait volés.

Il aimait les objets d'art et les prenait où il les trouvait. Il enleva à Messine la statue de l'Amour de Praxitèle, à Agrigente un beau vase, à Ségeste l'idole de Diane, à Enna l'idole de Cérès. Le roi de Syrie ayant traversé sa province avec des objets précieux qu'il apportait à Rome pour les offrir au Capitole, Verrès les lui prit.

Il profita de la guerre contre les pirates pour ordonner aux villes de fournir des navires, des provisions, des matelots ; il vendit les vivres, les congés, les exemptions ; sa flotte, dégarnie de soldats et de matelots, fut battue ; il fit décapiter les capitaines.

Il fit emprisonner un citoyen romain, négociant à Syracuse ; le citoyen se sauva, arriva à Messine ; là Verrès le fit arrêter, battre de verges par tous ses licteurs à la fois et mettre sur une croix en face de l'Italie. Le condamné répétait : Je suis citoyen romain. La loi interdisait de battre de verges et de mettre à mort un citoyen.

Verrès ne niait pas les faits ; mais il disait qu'il emploierait pour acheter ses juges le tiers de ce qu'il avait pillé. Le plus célèbre avocat de Rome, Hortensius, élu consul, se chargea de le défendre, et le successeur de Verrès, le gouverneur de Sicile, chercha à empêcher de recueillir les témoignages contre lui.

Cicéron fit un discours si convaincant qu'Hortensius ne sut que répondre. Verrès, sûr dès lors d'être condamné, s'en alla en exil. Ce fut toute sa punition.

Le scandale fut si grand que le peuple vota une loi pour changer la composition des tribunaux.

Guerre contre Mithridate. — Pendant ce temps Mithridate avait recommencé la guerre. Avec l'aide d'un général envoyé par Sertorius, il reconquit les petits royaumes d'Asie Mineure et attaqua la province d'Asie, promettant aux habitants de supprimer les impôts.

Il avait réformé son armée, supprimé les riches armures, les boucliers ornés et les harnais d'argent, renoncé à la phalange grecque. Il avait créé, avec des Barbares d'Europe, une infanterie armée de l'épée romaine, d'un solide bouclier, d'un casque et d'une cuirasse de métal, divisée en bataillons et instruite à combattre à la romaine. Sa cavalerie, montée sur des chevaux rapides, manœuvrait par petits pelotons, faisant semblant de s'enfuir, puis revenant brusquement.

Rome envoya contre lui Lucullus ; il trouva en Asie les deux légions qui avaient trahi leur général (Fimbria) pour passer à Sylla et eut beaucoup de peine à les discipliner (74).

Il alla d'abord dégager la ville grecque de Cyzique et détruisit la flotte de Mithridate (73).

Puis il entra dans les royaumes conquis par Mithridate, traversa des pays dévastés où il se fit accompagner par 30.000 habitants chargés de farine, et alla hiverner dans le royaume même de Mithridate (72). Là ses soldats pillèrent et firent tant de butin qu'ils vendaient un bœuf 1 drachme (95 centimes) et un esclave 4 ; quant au reste du butin, on ne trouvait même plus à le vendre.

L'année suivante, il poursuivit Mithridate dans les montagnes, attaqua son camp encombré de chariots et de valets, et le prit. Mithridate s'enfuit chez son beau-père, le roi d'Arménie ; en partant il envoya l'ordre à ses femmes et à ses sœurs de se tuer pour ne pas être prises.

On dit qu'en recevant l'ordre, une des sœurs, Roxane, maudit son frère ; l'autre, Statira, le remercia de la mettre à l'abri des insultes des vainqueurs ; toutes deux avalèrent du poison. L'une des femmes, Bérénice, ne prit pas assez de poison, et il fallut l'étrangler. L'autre, Monime, une Grecque de Milet, qui ne s'était jamais habituée à vivre enfermée au milieu des Barbares, voulut s'étrangler avec son bandeau royal ; il se cassa : Fatal bandeau, dit-elle, tu ne peux pas même me rendre ce triste service. Et elle se fit tuer d'un coup d'épée.

Lucullus passa deux ans à prendre les villes grecques du royaume de Pont, qui se défendirent longtemps, et à remettre l'ordre dans la province d'Asie. Les publicains et les banquiers romains tourmentaient les habitants pour leur faire payer les 20.000 talents imposés par Sylla. Ils les forçaient à vendre leurs filles et leurs fils ou les faisaient mettre à la torture, les exposaient en été à l'ardeur du soleil, en hiver à la gelée. Lucullus vint au secours des habitants ; il fixa l'intérêt de l'argent dû par eux à 12 pour 100.

Guerre contre Tigrane. — Le beau-père de Mithridate, Tigrane, avait alors le plus grand royaume d'Asie. Parti des montagnes d'Arménie, il avait conquis tout le pays depuis la Médie jusqu'au Taurus et même la Syrie. Il avait fait bâtir une nouvelle capitale, Tigranocerte, avec un rempart épais de vingt-cinq mètres ; pour la peupler il y avait transporté par force les habitants de plusieurs villes grecques. Il se faisait appeler Roi des rois ; quatre rois lui faisaient escorte ; quand il s'asseyait sur son trône ils se tenaient debout sur les marches les mains entrelacées, quand il allait à cheval ils couraient devant lui.

Il refusa d'abord de recevoir Mithridate, le logea dans un château fort et l'y laissa près de deux ans. Mais quand Lucullus lui envoya demander de le livrer, il fut blessé de cette proposition et aussi de ce que Lucullus l'appelait seulement roi et non Roi des rois. Il fit venir Mithridate et décida d'attaquer les Romains.

Lucullus prit les devants, passa l'Euphrate, et attaqua. Tigrane, surpris, s'enfuit en abandonnant son trésor et ses femmes.

Tigrane s'était, dit-on, laissé persuader par ses courtisans que Lucullus n'oserait pas résister à un si grand roi et s'enfuirait à sa vue. Le messager qui vint lui annoncer l'arrivée de Lucullus, il le fit mettre à mort ; personne n'osa, plus le prévenir, et il ne prit aucune mesure pour se défendre.

Les Romains vinrent assiéger Tigranocerte. Tigrane arriva pour la dégager avec toutes ses troupes ; sa force consistait surtout en cavaliers recouverts d'une armure de fer.

Lucullus prit 12.000 fantassins et 3.000 cavaliers, passa le Tigre en présence de l'armée ennemie et, sans donner le temps aux archers de lancer leurs flèches, gravit la colline avec son infanterie. Arrivé au sommet il cria : Victoire ! et attaqua les cavaliers arméniens qui s'enfuirent et se jetèrent sur leur infanterie. Les Romains n'eurent plus qu'à massacrer.

D'après le récit de Lucullus, Tigrane avait 55.000 cavaliers, 150000 fantassins, 20.000 archers et frondeurs, 35.000 pionniers. Les Romains n'eurent que 5 morts et 100 blessés (69).

On raconta qu'avant la bataille Tigrane, en voyant le petit nombre des Romains, dit : Pour des ambassadeurs, ils sont beaucoup ; pour des combattants, ils sont bien peu. Quand il les vit se détourner pour chercher le gué du Tigre, il se mit à rire : Les voilà qui s'enfuient ! dit-il. Mais quand il les vit passer la rivière, il fut frappé d'étonnement et répéta : Comment ! ces gens-là viennent à nous !

Lucullus prit Tigranocerte et renvoya dans leur patrie les Grecs et les Barbares que Tigrane y avait transportés ; il prit le trésor de Tigrane (8.000 talents), et sur le reste du butin fit distribuer 800 drachmes à chaque soldat. Mais son armée était trop petite et ses soldats lui obéissaient mal ; ils le trouvaient trop fier ; ils lui reprochaient de les faire camper au lieu de les mener dans les villes riches qu'ils auraient pu piller, de garder pour lui tout l'argent et de les employer seulement à escorter ses chars et ses chameaux chargés de butin. Ils refusèrent de combattre et laissèrent Mithridate revenir en armes jusque dans son royaume (67). Puis Pompée arriva pour prendre le commandement et ne laissa à Lucullus que 1.600 hommes (66).

Guerre contre les pirates. — Depuis longtemps dans les ports de la Cilicie se tenaient des pirates qui faisaient métier de capturer les hommes et de les vendre comme esclaves. Rome avait déjà envoyé contre eux des généraux et même créé une province de Cilicie avec un proconsul et une armée. Mais il était difficile de les détruire. Quand on les poursuivait, ils se réfugiaient dans les montagnes inaccessibles du Taurus.

Pendant les guerres, Rome étant occupée ailleurs, les pirates devinrent de plus en plus nombreux ; ils aidèrent Mithridate et Tigrane et finirent par former un véritable État, avec des chefs, des places fortes, des arsenaux et une flotte de guerre (1.000 navires, disait-on). Ils n'opéraient plus seulement du côté de l'Asie, ils venaient dans la mer Adriatique et jusque sur les côtes de Sicile et d'Italie occidentale. Ils n'arrêtaient pas seulement les navires ; ils pillaient les côtes, attaquaient les villes (ils en prirent, dit-on, 400), emmenaient les gens riches pour leur faire payer rançon. Ils enlevèrent ainsi en Italie deux préteurs romains avec leur escorte et leurs licteurs ; ils enlevèrent la fille d'un des grands personnages de Rome pendant qu'elle allait à la campagne.

Ils avaient des navires magnifiques, la poupe dorée, les rames argentées, le pont orné de tapis de pourpre ; ils célébraient des banquets avec des musiciens. Ils avaient fini par mépriser même les Romains. Quand en prisonnier disait qu'il était Romain, ils s'amusaient à faire semblant d'être saisis de respect, se mettaient à genoux, le priaient de leur pardonner leur erreur et lui mettaient une toge pour qu'on reconnût à l'avenir sa qualité. Après quoi ils apportaient une échelle, en tournaient le bout sur la mer et disaient au Romain de descendre pour retourner tranquillement chez lui. S'il refusait, ils le jetaient à l'eau.

On n'osait plus naviguer sur la Méditerranée et les navires n'apportaient plus assez de blé à Rome. Le peuple romain réclama des mesures énergiques. Une loi créa pour Pompée un pouvoir exceptionnel. Il eut le droit pendant trois ans de commander sur toutes les côtes de la mer jusqu'à quinze milles dans l'intérieur, de lever 120.000 soldats, d'équiper 500 galères. Tous les magistrats devaient lui obéir ; il avait sous ses ordres 24 généraux. C'était une sorte de royauté ; le peuple l'avait donnée à Pompée malgré le Sénat.

Pompée, en six semaines, chassa les pirates de la mer d'Italie et de Sicile et revint à Rome. Puis, en cinquante jours, il les chassa des mers de Grèce, les poursuivit jusqu'en Cilicie, détruisit leur flotte et les força à livrer leur capitale. Il épargna tous ceux qui se rendirent et les établit dans plusieurs villes d'Orient qu'il repeupla (67).

Pompée en Asie. — Le peuple vota une autre loi qui ajoutait aux pouvoirs de Pompée le commandement de la guerre contre Mithridate et le gouvernement de toutes les provinces d'Asie. Pompée alla prendre l'armée de Lucullus (66).

On dit que lorsqu'ils se rencontrèrent, ils commencèrent par se faire l'un à l'autre de grands compliments sur leurs exploits, mais qu'ils finirent par s'injurier, Lucullus reprochant à Pompée son ambition, Pompée reprochant à Lucullus son avidité. Leurs amis eurent de la peine à les séparer.

Cette guerre fut facile. Lucullus avait détruit les forces des deux rois. Pompée poursuivit la petite armée de Mithridate, l'attaqua dans son camp la nuit au clair de lune, et la dispersa. Mithridate se sauva à cheval avec une de ses femmes. Il voulait se réfugier chez Tigrane, mais Tigrane le repoussa, mit sa tête à prix et alla en personne au camp romain demander la paix. Pompée lui laissa son royaume en exigeant une indemnité de 6.000 talents, puis alla faire la guerre aux montagnards du Caucase et s'avança jusque près de la mer Caspienne (65).

Il revint régler l'organisation des pays conquis. Il fit du Pont et de la Bithynie une province romaine ; dans le reste de l'Asie Mineure il rétablit les petits rois alliés de Rome. La Syrie, que Tigrane avait enlevée à Antiochus, Pompée ne la rendit pas à son ancien roi ; il en fit une province romaine, sans attendre l'ordre du Sénat. Les Juifs voulurent lui résister ; il prit Jérusalem et le Temple (63).

Pendant ce temps, Mithridate, réfugié au nord de la mer Noire, se préparait à recommencer la guerre en Europe. Il voulait emmener les Barbares du pays du Danube, ses alliés, remonter la vallée du Danube en ramassant sur son passage les peuples guerriers, et descendre sur l'Italie par les Alpes. Mais son fils, qui voulait régner à sa place, se révolta et se déclara l'allié de Rome. Mithridate, pour ne pas être pris, se tua (63).

Cicéron et Catilina. — Pendant que Pompée était encore en Orient, Rome courut un grand danger.

Il y avait en Italie beaucoup de mécontents : les Italiens que Sylla avait privés de leurs terres pour les donner à ses vétérans et les vétérans de Sylla qui avaient déjà vendu leur terre ; les descendants des proscrits, dépouillés de leurs biens par Sylla, et les anciens partisans de Sylla, mécontents de n'avoir plus de dépouilles à recevoir.

Un noble, Catilina, un des massacreurs de Sylla — on disait qu'il avait fait mettre son frère sur la liste des proscrits pour avoir sa fortune —, ruiné et endetté, essaya de réunir les mécontents pour faire une révolution. Il s'était fait des partisans avec les jeunes nobles romains, débauchés et ruinés, en leur prêtant de l'argent, leur fournissant des chiens de chasse et des chevaux. Il s'entendit avec eux pour égorger à la fois les deux nouveaux consuls le jour où ils iraient au Capitole ; les consuls furent avertis et le coup manqua (65).

Catilina continua à conspirer. Les ennemis du Sénat le soutenaient sans l'avouer. Il se présenta au consulat ; Cicéron fut élu contre lui (65).

Cicéron, le plus célèbre de tous les orateurs romains, n'était que chevalier et médiocrement riche ; c'est par son éloquence qu'il se fit connaître et parvint à se faire élire à toutes les magistratures, même au consulat, où d'ordinaire on n'élisait que des nobles.

Il avait étudié à Athènes, à Rhodes, en Asie, auprès des orateurs et des philosophes grecs ; il parlait facilement, avec grâce et esprit. Il avait plaidé plusieurs procès célèbres et prononcé plusieurs discours en faveur de Pompée.

Cicéron passa son année de consulat à lutter contre Catilina qui voulait prendre le pouvoir par la force. Les vétérans de Sylla, établis en Étrurie, devaient marcher sur Rome, les conjurés de Rome devaient massacrer Cicéron et les sénateurs, et mettre le feu à la ville. Cicéron fut averti ; il se mit à porter une cuirasse sous sa toge, et ne marcha plus qu'entouré d'une escorte de chevaliers.

Il chercha à empêcher Catilina d'être élu consul pour l'année suivante ; il y parvint en soutenant deux candidats amis de Crassus.

Mais il fut quelque temps fort inquiet. Il n'avait pas d'armée à opposer aux conjurés, les légions étaient en Orient avec Pompée. L'autre consul, Antonins son collègue, était en secret favorable au complot, et les vétérans de Sylla étaient déjà rassemblés en armes.

Enfin deux proconsuls revinrent avec leurs troupes. Le Sénat ordonna aux consuls de « veiller au salut de l'État ». Cette formule donnait à Cicéron le droit de prendre les mesures qu'il jugerait nécessaires. e mit des soldats aux portes de Rome, sur les places, autour de la salle du Sénat, et convoqua le Sénat. Là il prononça son célèbre discours (1re Catilinaire) : Jusques à quand, Catilina, abuseras-tu de notre patience ? Il s'adressait directement à Catilina, l'avertissait que ses projets étaient connus et l'engageait à partir.

Catilina sortit de Rome et alla rejoindre l'armée des vétérans en Étrurie, en déclarant qu'il avait pris parti pour les malheureux contre les riches.

Ses partisans restés à Rome s'entendirent avec les envoyés d'un peuple barbare de Gaule, les Allobroges, qui promirent de leur fournir des cavaliers. Mais les envoyés prirent peur et dénoncèrent les conjurés. Cicéron informé fit venir les cinq principaux complices de Catilina et les força à avouer. Puis il demanda au Sénat ce qu'il fallait faire des coupables. Le Sénat conseilla de les faire mettre à mort. Cicéron alla les prendre lui-même (un d'entre eux était préteur, un consul seul avait le pouvoir de l'arrêter) ; il les mena à la prison où ils furent étranglés. En revenant, Cicéron dit à la foule assemblée : Ils ont vécu.

Catilina commença la guerre en Étrurie avec 20.000 hommes, mais 5.000 seulement avaient pu se procurer des armes. Cicéron fit envoyer contre lui son collègue Antonins dont il se défiait et qu'il fit surveiller. Les révoltés se mirent à déserter. Catilina, resté avec 3 ou 4.000 hommes, essaya de traverser l'Apennin : repoussé par une armée venue du nord, il se rejeta sur l'armée d'Antonius. Il se battit bravement et fut tué avec tous ses compagnons (63).

Cicéron, tout fier de sa victoire, surnommé par le Sénat Père de la patrie, s'imagina être devenu le premier personnage de Rome. Il composa une pièce de vers où il disait : Que les armes le cèdent à la toge ! Mais quand il écrivit à Pompée comme à son égal, Pompée ne lui répondit même pas. Quand, au sortir de son consulat, il demanda à parler au peuple, un tribun le lui défendit[1].

Cicéron n'avait d'autres forces que son éloquence, et désormais Rome n'obéissait plus ni aux orateurs ni aux magistrats, mais seulement aux généraux.

 

 

 



[1] Cicéron parvint pourtant à parler. Tout magistrat devait, en sortant de charge, devant le peuple assemblé, prêter serment qu'il avait observé les lois. Cicéron dit : Je jure que j'ai sauvé la République. La foule l'applaudit.