HISTOIRE NARRATIVE ET DESCRIPTIVE DU PEUPLE ROMAIN

 

CHAPITRE XIV. — SYLLA.

 

 

Sylla. — Celui qui prit la place de Marius fut Sylla. Il était de la grande famille patricienne des Cornélius, mais d'une branche ruinée. Il passa sa jeunesse à s'amuser, en compagnie de comédiens. C'était un homme violent, avec une figure rouge semée de taches blanches, des yeux clairs, un regard terrible quand il se mettait en colère.

Il commença à se faire connaître dans la guerre de Numidie où il était questeur de Marius, en allant trouver Bocchus pour se faire livrer Jugurtha ; il se fit faire un cachet qui le représentait recevant Jugurtha enchaîné. Il fut un des principaux officiers de l'armée qui combattit les Cimbres. Puis, il fut envoyé comme propréteur en Cappadoce ; il en revint avec beaucoup d'argent et faillit être accusé de concussion.

Pendant la guerre sociale, il commanda l'armée qui reprit la Campanie aux Samnites et se fit la réputation d'un grand général. Il travailla à se faire aimer de ses soldats et y réussit, par des moyens inconnus aux anciens généraux romains, en leur laissant faire ce qu'ils voulaient. Un jour les soldats ameutés assommèrent un général, un ancien préteur : Sylla n'essaya même pas de les punir.

Après la guerre, il fut élu consul et chargé de la guerre en Asie contre Mithridate.

Mithridate. — Sur les côtes de la mer Noire (Pont-Euxin) s'était formé peu à peu un nouvel État, le royaume du Pont. Les rois prétendaient descendre des princes perses parents de Darius, leurs sujets étaient des Barbares ; eux-mêmes adoraient encore le dieu de la Perse, mais ils avaient des soldats grecs, des ministres grecs ; on parlait grec à leur cour. Établis d'abord dans les montagnes, ils étaient descendus sur la côte et avaient pris pour résidence une ville grecque, Sinope ; ils devinrent à moitié Grecs.

Un de ces rois, Mithridate, fut le dernier adversaire de Rome en Orient. Né à Sinope d'une princesse grecque de Syrie, il perdit son père très jeune. Sa mère et ses tuteurs, qui gouvernaient sous son nom, cherchèrent à le supprimer ; il s'en aperçut et à 14 ans se retira dans les montagnes.

La légende disait que pour empêcher ses tuteurs de l'empoisonner, il s'habitua graduellement à tous les poisons, en prenant chaque jour une dose, commençant par une dose très faible, puis passant à une dose un peu plus forte, jusqu'à ce que le poison ne lui fit plus rien.

A 20 ans il était beau, avec des cheveux bouclés et une figure majestueuse, robuste, bon cavalier, bon tireur d'arc ; à la fois Barbare et Grec comme Alexandre, tantôt s'amusant à chasser, à banqueter avec ses camarades, les nobles barbares, tantôt causant avec des gens lettrés ; il savait non seulement le grec, mais un grand nombre des langues de l'Asie.

Il revint à Sinope, prit le pouvoir et fit enfermer sa mère. Il travailla aussitôt à agrandir son royaume. Des officiers grecs instruisirent ses guerriers à la grecque et formèrent une phalange de 6.000 hommes.

Il y avait alors sur l'autre rive de la mer Noire, au bord de la presqu'île de Crimée, des villes grecques[1], autrefois très riches grâce au commerce des blés, mais depuis longtemps menacées par leurs voisins, les Barbares Scythes, qui les forçaient à payer tribut. Ces Grecs demandèrent secours à Mithridate. Un officier grec, Diophante, se chargea de l'expédition. Il repoussa les cavaliers barbares armés d'arcs, de lances et de corselets de cuir, et Mithridate devint roi des pays grecs au nord de la mer Noire.

Mithridate soumit ensuite la Colchide, formée d'une plaine fertile et de montagnes boisées, au bout de la mer Noire, au pied du Caucase ; et la petite Arménie, pays de montagnes abruptes, qui domine la mer Noire au sud-est. Son royaume se composa alors de trois morceaux séparés, autour de la mer Noire, mais qui communiquaient par mer. La Crimée lui fournissait des blés, la Colchide du bois et du goudron pour ses navires.

Les peuples barbares des grandes plaines entre le Don et le Danube, Sarmates et Bastarnes, étaient ses alliés et lui fournissaient des soldats grands et robustes.

Soulèvement de l'Asie. — L'ancien royaume hellénique de Pergame appartenait à Rome ; le dernier roi en mourant l'avait légué au peuple romain (133), qui en avait fait une province, appelée Asie. C'était un pays riche, les Romains se mirent à l'exploiter. Ils exigeaient des habitants la dîme des récoltes, le droit sur les pâturages, la douane. Les publicains qui affermaient le droit de percevoir ces impôts réclamaient plus qu'il n'était dû, et, si on ne pouvait les payer, vendaient les gens comme esclaves. Souvent une ville, pour acquitter les impôts, empruntait à un taux énorme (parfois au-dessus de 24 %) ; les chevaliers romains, créanciers de la ville, faisaient mettre en prison ou à la torture les chefs de la ville. Le proconsul, de son côté, confisquait les héritages, vendait les jugements, prononçait des amendes énormes, et d'ordinaire s'entendait avec les publicains pour piller la province. Un questeur, Rutilius, prit la défense des habitants. De retour à Rome les publicains l'accusèrent et le tribunal, composé de chevaliers amis des publicains, le condamna à l'exil. Il y avait, disait-on, dans la province 100.000 Italiens, employés des banquiers, des publicains, des négociants, voleurs d'hommes ou marchands d'esclaves.

Tout le reste de l'Asie Mineure était partagé entre de petits rois et de petits peuples barbares, et les villes grecques de la côte. Mithridate guerroya plusieurs années pour s'agrandir en soumettant ces petits peuples. Le Sénat lui ordonna de rendre ses conquêtes ; il s'arrêta quelque temps, puis il profita de la guerre sociale pour attaquer brusquement les petits royaumes, soutenus par les Romains.

Il dispersa les armées des rois. L'envoyé du Sénat, Aquilins, haï pour sa cupidité, avait attaqué son territoire ; il fut vaincu et s'enfuit dans la ville grecque de Mitylène, qui le livra. Mithridate le fit promener de ville en ville, attaché sur un âne, en le faisant battre de verges et le forçant à dire son nom ; puis il le fit exécuter.

On raconte qu'on lui avait coulé de l'or fondu dans la bouche en lui disant de se rassasier d'or.

Mithridate, vainqueur, s'entendit avec les Grecs de la province d'Asie, exaspérés contre les publicains. Tous à la fois se soulevèrent, ils massacrèrent tous les gens qui parlaient latin, 80.000 personnes, dit-on ; laissèrent leurs corps sans sépulture et confisquèrent leurs biens (88).

Mithridate, devenu maître de la province, abolit tous les impôts pour cinq ans et s'établit à Pergame.

Les Athéniens, jusque-là alliés de Rome, s'allièrent à Mithridate. Archélaos, chef de la flotte de Mithridate, parcourut les fies de lamer Égée ; attaqua Délos, port de commerce des marchands italiens, la prit, massacra les hommes (20.000, dit-on), fit vendre les femmes et les enfants.

Guerre dans Rome. — Sylla fut chargé de commander la guerre contre Mithridate. Son armée était déjà réunie en Campanie. Marius essaya de lui enlever son commandement. Le tribun Sulpicius dominait alors l'assemblée du peuple par la force ; il s'était entouré d'une bande d'hommes armés et de 600 chevaliers qu'il appelait son Anti-Sénat et faisait voter les lois qu'il voulait. Marius s'entendit avec lui. Une loi enleva à Sylla la guerre contre Mithridate pour la donner à Marius, bien qu'il ne fût pas magistrat. Sylla avait été forcé de quitter Rome et son gendre avait été tué dans une émeute.

Mais les soldats voulaient Sylla pour général. Marius leur envoya deux officiers, ils les massacrèrent ; puis les six légions marchèrent sur Rome et y entrèrent en armes. C'était la première fois qu'une armée franchissait l'enceinte sacrée défendue par la religion. Les partisans de Marius essayèrent de se défendre en jetant du haut des toits des pierres et des tuiles. Sylla ordonna de mettre le feu aux maisons, le combat s'arrêta (87).

Le Sénat déclara ennemis publics Marius et quelques autres, et Sulpicius fut massacré. Marius parvint à se sauver en Afrique, après bien des aventures qu'on racontait ainsi :

Marius s'enfuit à Ostie où il s'embarqua avec quelques serviteurs. La tempête les obligea à aborder sur la côte du Latium ; ils errèrent sans rien à manger, craignant sans cesse d'être pris. Le soir ils rencontrèrent des bouviers qui reconnurent Marius et le prévinrent qu'ils venaient de voir passer des cavaliers envoyés à sa poursuite, mais ils ne purent rien lui donner à manger. Marius et ses serviteurs se cachèrent dans un bois où ils passèrent la nuit.

Le lendemain, ils se mirent à marcher le long de la mer. Arrivés près de Minturnes, ils virent accourir des cavaliers et se jetèrent à la mer ; deux barques étaient près de la côte, ils les atteignirent et y montèrent. Deux esclaves portaient Marius, trop gros et trop impotent pour se remuer. Mais les cavaliers crièrent aux marins d'amener leur barque ou de jeter Marius à la mer. Les marins eurent peur, ils abordèrent près d'un marais, firent descendre Marius en lui promettant de le reprendre quand il serait reposé, puis ils s'en allèrent.

Marius, seul, découragé, se mit en route à travers le marais coupé de fossés pleins de boue. Il arriva à une petite cabane ; le vieillard qui l'habitait l'accueillit et lui offrit de le cacher dans un lieu sûr ; il le mena dans un trou près de la rivière et le couvrit de roseaux. Les cavaliers arrivèrent et dirent au vieillard qu'il cachait un ennemi du peuple romain. Marius les entendit et, pour mieux se cacher, quitta ses vêtements et s'enfonça au plus profond de l'eau. Ce mouvement le fit découvrir.

Nu et couvert de boue, il fut mené à Minturnes et remis aux magistrats de la ville qui l'enfermèrent et se mirent à délibérer. Ils résolurent enfin de le faire tuer, mais aucun habitant ne voulut s'en charger, ce fut un Cimbre qui accepta. Il entra l'épée à la main dans la chambre où était enfermé le prisonnier. Il faisait sombre. Le Cimbre entendit une voix terrible crier : Misérable, tu oserais tuer Caïus Marius ! Il s'enfuit effrayé, en lâchant son épée, criant : Je ne puis tuer Caïus Marius.

Les gens de Minturnes décidèrent d'épargner Marius, ils le conduisirent au bord de la mer et l'embarquèrent.

Marius faillit encore être pris en Sicile. Il débarqua à Carthage. Le gouverneur d'Afrique envoya un licteur lui défendre de débarquer dans sa province. Il resta un moment silencieux ; le licteur lui demanda ce qu'il devait dire au gouverneur : Dis-lui, répondit-il, que tu as vu Marius assis sur les ruines de Carthage.

Guerre contre Mithridate. — Sylla partit pour aller d'abord reprendre la Grèce. Il débarqua en Épire avec 30.000 légionnaires et très peu de cavaliers. L'armée de Mithridate, venue d'Asie par la Thrace et la Macédoine, occupait la Béotie. A Athènes le parti ennemi de Rome avait nommé général un professeur d'éloquence, Aristion, exécuté les partisans de Rome et fait entrer une garnison envoyée par Mithridate.

Sylla vint assiéger à la fois Athènes et le Pirée (87). Il bloqua Athènes et voulait prendre d'assaut le Pirée, défendu par un mur haut de 18 mètres, épais de 5, en pierres de taille, qui entourait le port et la colline. II se procura de l'argent en empruntant par force les trésors des temples grecs, du bois en coupant les arbres célèbres des environs d'Athènes, le bosquet du Lycée, les platanes de l'Académie. Il fit construire une levée de terre revêtue de pierres, sur laquelle il fit avancer ses machines et ses tours de bois.

On se battit pendant six mois. L'hiver arriva, les pluies empêchèrent Sylla de donner l'assaut.

A la fin de l'hiver il reprit l'attaque, parvint enfin à faire écrouler un morceau du rempart, au moyen d'un fourneau de mine fait avec de l'étoupe, du soufre et de la poix, et entra par cette brèche. Mais les assiégés l'arrêtèrent ; et le lendemain matin les Romains trouvèrent devant eux un mur improvisé. Sylla se retourna contre Athènes.

Les Athéniens, bloqués depuis un an, n'avaient plus de vivres ; ils avaient mangé les bêtes de somme, ils mangeaient le cuir des souliers et des outres, les herbes, les cadavres.

Les espions de Sylla l'avertirent qu'ils avaient entendu des gens à Athènes se plaindre qu'un côté de l'enceinte était mal gardé. Sylla arriva de ce côté, surprit le mur et en fit abattre un morceau ; par cette brèche, à minuit, son armée entra au son de la trompette. Il voulait se venger des Athéniens qui du haut de leur rempart s'étaient moqués de lui et de sa femme (ils le comparaient à une mûre saupoudrée de farine). Il lâcha ses soldats avec permission de tout tuer. La moitié des habitants fut massacrée ; le sang coula, dit-on, depuis la place jusque dans les faubourgs (86).

Sylla revint contre le Pirée, le prit d'assaut et brûla l'arsenal.

Sylla vint alors camper en Béotie, en face de l'armée de Mithridate trois fois plus nombreuse, mais composée d'Asiatiques et de 15000 esclaves qu'on avait affranchis pour former une phalange. Il l'attaqua brusquement près de Chéronée et la mit en déroute. Les fuyards coururent vers leur camp, les Romains les y suivirent et les massacrèrent. Sylla déclara avoir perdu 14 hommes seulement et tué ou pris 50.000 ennemis (86).

Une autre armée de Mithridate envoyée par mer se joignit aux débris de l'armée vaincue, entra en Béotie et vint camper dans la plaine d'Orchomène, près des marais ; elle avait une bonne cavalerie. Pour l'empêcher de manœuvrer, Sylla fit creuser des fossés profonds. Les cavaliers ennemis chargèrent sur les travailleurs ; déjà les Romains prenaient la fuite. Sylla, sautant de cheval, courut à eux et leur cria : Quand on vous demandera où vous avez abandonné votre général, vous direz : C'était à Orchomène. Les Romains se reformèrent et repoussèrent les ennemis jusque dans leur camp, près du marais.

Le lendemain ils creusèrent une tranchée de façon à enfermer le camp ennemi, puis ils l'attaquèrent. Les Asiatiques, pris entre les Romains et les marais, furent massacrés ou noyés.

Sylla était maître de toute la Grèce ; n'ayant pas de flotte pour passer en Asie, il hiverna en Thessalie.

Domination de Marius à Rome. — Sylla, avant de quitter Rome, avait fait élire ses partisans. Mais les deux consuls ne s'entendirent pas. L'un d'eux, Cinna, s'allia aux partisans de Marius ; chassé de Rome par son collègue, il alla chercher l'armée réunie en Campanie, rappela Marius d'Afrique, et tous deux marchèrent sur Rome. Après une bataille, ils y entrèrent et massacrèrent les principaux sénateurs. Sylla fut déclaré ennemi public et Marius fut élu consul (87).

Il mourut l'année suivante (86). Cinna, devenu maître de Rome, fit voter une loi pour donner le commandement de la guerre contre Mithridate à un de ses partisans, le consul Valerius Flaccus.

Flaccus partit avec une armée, et, passant par la Macédoine et la Thrace arriva en Asie. Sylla allait avoir à combattre à la fois une armée romaine et Mithridate. Il accepta les propositions de Mithridate et alla le trouver en Asie pour traiter. La paix fut conclue : Mithridate renonçait à la Grèce, à la province d'Asie, aux royaumes qu'il avait conquis, s'engageait à payer 2.000 talents et à fournir 70 navires avec leur équipage et leurs vivres (84).

Pendant l'hiver précédent, Flaccus, logé dans Byzance, avait fait camper son armée hors des murs. Les soldats se plaignirent d'avoir froid, entrèrent de force dans la ville, massacrèrent les habitants et s'y logèrent. Flaccus se disputa avec son lieutenant Fimbria et le renvoya. Fimbria alla au camp, fit un discours aux soldats et prit le commandement. Flaccus s'enfuit, fut pris et tué. Fimbria marcha contre l'armée de Mithridate.

Sylla vint camper près du camp de Fimbria et fit creuser des fossés à ses hommes. Les soldats de Fimbria, sortant par bandes de leur camp en tuniques, vinrent aider ceux de Sylla. Fimbria assemble ses soldats et leur fait un discours ; il veut leur faire prêter de nouveau le serment de lui obéir. On fait l'appel, l'officier appelé refuse de jurer. Fimbria lève son épée, les soldats poussent des cris. Puis ils vont se réunir à l'armée de Sylla.

Fimbria abandonné se tua. Sylla, resté seul chef des armées romaines, passa l'hiver dans la province d'Asie. Il logea ses soldats chez les habitants. L'hôte devait fournir à chaque légionnaire seize drachmes par jour et donner à souper à tous les invités qu'il amenait. Puis Sylla convoqua les notables de la province et leur annonça qu'il faisait grâce à la province, mais qu'elle devrait payer 20,000 talents. Pour se procurer cette somme, les villes empruntèrent et mirent en gages leurs théâtres, leurs gymnases, leurs ports. L'Asie fut ruinée.

Retour de Sylla à Rome. — Sylla, s'étant attaché son armée en lui laissant piller l'Asie, la ramena en Italie par l'Adriatique. Il avait pour lui 40.000 hommes, contre lui le gouvernement de Rome et les Italiens, mais ses soldats lui étaient si dévoués qu'ils lui offrirent leur argent. Il débarqua à Brindes, traversa l'Italie et arriva en Campanie (83).

Ses ennemis levèrent six armées pour l'arrêter. Mais les soldats ne combattaient pas volontiers contre Sylla. L'armée de Cinna avait déjà massacré son général quand il voulut l'embarquer (84). L'armée de Norbanus fut vaincue près de Capoue. C'était la première fois que deux armées romaines se battaient l'une contre l'autre (83).

Sylla rencontra ensuite l'armée du consul Scipion. Il proposa à Scipion de traiter ; pendant les entrevues ses soldats parlaient aux soldats de Scipion et leur persuadaient de passer de son côté. Un jour il marcha sur le camp avec son armée ; l'armée de Scipion vint le rejoindre. Scipion, resté seul, fut pris. Sylla le renvoya.

Au printemps suivant (82), une armée, commandée par le fils de Marius, fut dispersée à Sacriport ; le jeune Marius s'enfuit et s'enferma dans Préneste.

Les partisans de Marius sortirent de Rome après avoir massacré encore quelques sénateurs. Sylla entra dans la ville sans combat.

Il restait une armée romaine en Étrurie, celle du consul Carbon ; elle vint à la rencontre de Sylla, lui résista quelque temps, mais attaquée par une armée que Metellus amenait du côté du nord, elle se débanda.

Alors Pontius Telesinus, avec une armée de Samnites, les vieux ennemis des Romains, ramassant au passage les débris des armées vaincues, essaya d'aller débloquer Préneste et, se trouvant cerné, marcha rapidement sur Rome.

On dit qu'il voulait détruire Rome. Exterminons, disait-il, ces loups ravisseurs de la liberté de l'Italie. Il faut couper la forêt qui leur sert de repaire.

Les Samnites arrivèrent jusque devant Rome et campèrent près de la Porte Colline. Le matin ils repoussèrent les jeunes nobles sortis de la ville à cheval. Après midi Sylla arriva et, sans laisser reposer son armée, la rangea en bataille et attaqua. Ce fut la plus rude bataille de la guerre. L'aile gauche de Sylla fut repoussée jusqu'au pied du rempart. Sylla, en courant au secours sur son cheval blanc, faillit recevoir un javelot. La nuit arrêta le combat. Pendant ce temps l'autre aile avait mis l'ennemi en déroute ; Sylla en reçut la nouvelle pendant la nuit. Les Samnites ne pouvaient plus résister, ils se retirèrent et, en se retirant, furent pris. Sylla les fit tous massacrer au Champ de Mars, même ceux qui s'étaient rendus.

Pendant le massacre, du temple où siégeait le Sénat on entendait leurs cris. Les sénateurs effrayés demandèrent ce qui se passait. Ce n'est rien, dit tranquillement Sylla, ce sont quelques séditieux que je fais châtier.

Les défenseurs de Préneste, bloqués depuis huit mois, n'avaient plus de vivres ; quatre fois on avait essayé de les débloquer. Enfin les assiégeants leur montrèrent les têtes des chefs vaincus et, après la défaite des Samnites, ils se rendirent. Le jeune Marius se tua. Sylla fit exécuter les sénateurs, les officiers, tous les Samnites et tous les hommes de Préneste.

Proscriptions. — A Rome Sylla réunit l'assemblée du peuple. Il déclara qu'il allait rétablir la constitution et punir tous ceux qui avaient combattu contre lui. Puis ses soldats se mirent à massacrer.

Après quelques jours de massacre, un de ses partisans lui dit qu'il devrait désigner ceux qu'il désirait voir mettre à mort, afin de rendre au moins le massacre régulier. Sylla fit écrire une liste de noms et la fit afficher. Tout homme inscrit sur la liste était abandonné aux massacreurs, ses biens étaient confisqués. Quiconque livrait ou dénonçait sa retraite avait droit à une somme ; quiconque le cachait s'exposait à être puni. Cette liste ne fut pas définitive ; Sylla en publia bientôt une deuxième, puis une troisième. Ce furent les listes de proscription.

Des soldats partirent de tous côtés à la recherche des proscrits ; on apportait les têtes des victimes dans la maison de Sylla, puis on les exposait près du Forum. On proscrivit surtout les chefs du parti des populares, sénateurs ou chevaliers, mais aussi les ennemis personnels de Sylla et de ses favoris, et même des gens riches, pour confisquer leur fortune.

Un Romain riche, resté en dehors des partis, va sur la place lire la liste des proscrits ; il y trouve son nom : Malheureux ! s'écrie-t-il, c'est ma maison d'Albe qui m'a perdu ? Aussitôt il est tué.

Il périt, dit-on, 90 sénateurs et 2.600 chevaliers, partisans de Marius. Un préteur, parent de Marius, fut mené sur le tombeau de Catulus qu'on voulait venger ; là on lui coupa les mains, les oreilles, le nez, les membres ; on lui creva les yeux.

Sylla fit vendre aux enchères les maisons et les biens des proscrits. Il en tira 350 millions de sesterces (100 millions) ; ses favoris s'enrichirent en les achetant à bas prix.

Lois cornéliennes. — Sylla était maître absolu de Rome. Il se fit élire consul, puis se fit donner un pouvoir et un titre nouveaux : dictateur chargé de rédiger des lois et d'organiser la constitution (82). Pendant deux ans il fit des lois sans durée limitée. On les appela de son nom, lois cornéliennes[2].

Sylla voulut récompenser ses vétérans (anciens soldats) en leur donnant des terres. Il venait de détruire presque entièrement deux peuples d'Italie qui avaient pris parti pour ses adversaires, les Samnites et les Étrusques ; il leur enleva leurs terres et s'en servit pour créer des colonies militaires formées de ses vétérans. Il en établit ainsi 120.000 ; l'Étrurie devint un pays latin ; on cessa d'y parler la langue étrusque.

Sylla affranchit les esclaves des proscrits et les fit citoyens en leur donnant son nom ; ces Cornéliens, au nombre de 10.000, lui faisaient une garde du corps.

Sylla décida que les descendants des proscrits ne pourraient plus être élus à aucune magistrature.

Sylla travailla ensuite à réorganiser le gouvernement. Il voulait rendre la domination au Sénat et aux nobles, enlever tout pouvoir aux tribuns de la plèbe et à l'assemblée du peuple qui, depuis les Gracques, avaient servi à lutter contre le parti des nobles. Voici comment il s'y prit :

1° Les tribuns n'eurent plus le droit de proposer des lois au peuple.

2° Le peuple n'eut plus le droit de voter aucune loi qu'après que le Sénat l'avait approuvée.

3° Quiconque avait été tribun ne pouvait plus être élu à aucune magistrature ; c'était un moyen d'écarter du tribunat tous les hommes importants.

4° Sylla compléta le Sénat, très diminué par les massacres, en nommant sénateurs trois cents chevaliers.

5° Il rendit aux sénateurs le droit d'être juges dans les procès criminels.

6° Il supprima la censure. A l'avenir tout magistrat en sortant de charge devenait de droit sénateur.

Mort de Sylla. — Sylla célébra son triomphe sur Mithridate, suivi des nobles couronnés de fleurs qui l'appelaient leur sauveur. Il attribuait ses succès moins à son talent qu'à la protection des dieux ; les anciens regardaient la Chance comme une divinité. Il prit le surnom de Felix (l'Heureux). Il s'appelait, en grec, Épaphrodite, favori d'Aphrodite, déesse du bonheur. Il appela ses enfants Faustus et Fausta.

Il fit créer des fêtes en l'honneur de la Victoire. Il consacra à Hercule la dîme de sa fortune et donna au peuple des banquets où l'on servit du vin très vieux et de la viande en telle abondance qu'on ne put la manger toute et qu'on en jeta beaucoup au Tibre.

Après avoir rétabli le gouvernement du Sénat, Sylla abdiqua la dictature et se retira dans sa maison de campagne, où il se mit à s'amuser en compagnie de musiciens et d'acteurs.

Il ne courait pas grand risque. Ses vétérans et ses Cornéliens suffisaient à le protéger. Il mourut bientôt, dans un accès de colère, dit-on (79).

Son corps fut porté à Rome et enterré au Champ de Mars. On vint de toute l'Italie pour assister à ses funérailles.

 

 

 



[1] Voir Histoire de la Grèce, p. 193.

[2] Son nom complet était Lucius Cornelius Sylla.