HISTOIRE NARRATIVE ET DESCRIPTIVE DU PEUPLE ROMAIN

 

CHAPITRE VII. — LA PREMIÈRE GUERRE PUNIQUE.

 

 

Carthage. — Depuis le Ve siècle, l'État le plus puissant de la Méditerranée était Carthage. Fondée par des colons de Tyr[1], Carthage était devenue la plus riche des colonies phéniciennes. Elle avait un grand port de commerce et un bon port de guerre, à la pointe de l'Afrique, dans un pays qui produisait d'excellentes récoltes de blé, à portée de la Sicile, un des plus riches pays de l'antiquité.

Tyr, ruinée par les guerres, ne pouvait plus défendre ses colonies contre les Grecs de Sicile. Les Carthaginois les protégèrent, ils s'établirent d'abord ainsi à l'ouest de la Sicile. Puis ils conquirent la côte de Sardaigne ; puis ils firent entrer dans leur alliance toutes les villes phéniciennes de la côte d'Afrique jusqu'à l'Océan et enfin ils s'établirent sur la côte sud de l'Espagne. Au VIe siècle, ils s'étaient alliés aux Étrusques, ce qui leur donnait le commerce de l'Italie du Nord.

Les Carthaginois restèrent Phéniciens de langue, de mœurs, de religion. Ils appelaient leur dieu Baal, leur déesse Tanith et les adoraient à la façon des Phéniciens. Un colosse de bronze, les bras étendus et abaissés, représentait Baal Moloch ; on déposait sur ses mains des victimes humaines qui glissaient aussitôt dans un gouffre de feu à l'intérieur du colosse. Parfois, dans les grands dangers, les principaux de Carthage sacrifièrent leurs propres enfants pour apaiser Baal.

Les Carthaginois vivaient surtout de commerce. Ils allaient chercher en Phénicie les produits de l'Orient, en Espagne et en Sardaigne l'argent des mines. Ils vendaient le blé et l'huile de leurs domaines d'Afrique, et les bijoux, les armes, les idoles fabriqués par leurs ouvriers. Pour garder les bénéfices du commerce ils interdisaient aux autres villes d'Afrique de recevoir dans leurs ports aucun navire étranger.

Carthage était gouvernée par deux chefs (suffètes), renouvelés tous les ans, et par les Anciens, conseil de cent membres formé des plus riches marchands de la ville. Le reste du peuple n'avait aucun pouvoir ; le Conseil, comme le Sénat- à Rome, était le véritable maître ; et il gouvernait dans l'intérêt des marchands.

L'armée carthaginoise. — Les Carthaginois ne faisaient pas la guerre eux-mêmes. Ils prenaient à leur service des soldats étrangers. La légende suivante expliquait cet usage.

L'armée carthaginoise était autrefois composée des citoyens de Carthage. Elle fut vaincue en Sicile, et le général fut exilé. Il revint alors à la tête de ses troupes, prit la ville par force et fit mettre à mort dix membres du Conseil. Plus tard, il fut lui-même exécuté. Magon, chargé de réformer l'armée, décida de ne plus y admettre de citoyens et la composa avec des soldats étrangers.

Une armée carthaginoise était une réunion de bandes de différents peuples, d'ordinaire des barbares ; chacun continuait à parler sa langue, à porter son costume national, à combattre avec ses armes. Les Libyens d'Afrique, à la peau noire, étaient armés de piques. Les Numides montaient sans selles de petits chevaux rapides ; ils étaient vêtus d'une peau de lion qui leur servait de lit, armés de lances et de flèches ; ils tiraient de l'arc au galop, chargeaient l'ennemi et se retiraient pour revenir encore.

Les Ibères d'Espagne, vêtus de blanc et de rouge, avaient pour arme une épée pointue. Les Gaulois, nus jusqu'à la ceinture, se couvraient avec un large bouclier, et combattaient avec une large épée qu'ils tenaient à deux mains. Les Ligures servaient comme archers.

Les gens des Îles Baléares avaient une fronde, avec laquelle ils lançaient des cailloux ou des balles de plomb ; la fronde était leur métier national. Dès l'enfance on les dressait à s'en servir ; on suspendait hors de leur portée le pain qui leur était destiné, ils ne mangeaient qu'après l'avoir fait tomber avec leur fronde.

Tous ces étrangers servaient pour recevoir une solde. Dans cette armée, il n'y avait de Carthaginois que le général et ses officiers. Le gouvernement de Carthage se défiait d'eux, les faisait accompagner de sénateurs chargés de les surveiller et, quand ils étaient vaincus, les condamnait à être crucifiés.

Les Romains en Sicile. — Carthage et Rome avaient toujours vécu en paix, elles avaient même conclu plusieurs traités d'amitié ; les Carthaginois s'engageaient à ne pas attaquer les côtes du Latium, les Romains à ne pas naviguer sur la côte d'Afrique. Pendant la guerre contre Pyrrhus, Carthage envoya une flotte au secours des Romains.

Les deux peuples se brouillèrent à propos de la Sicile. Carthage avait fini par conquérir toute la Sicile, excepté la côte de l'Est, où une colonie grecque, Syracuse, lui avait résisté. Un général grec, Hiéron, devenu roi de Syracuse, gouvernait un royaume formé de tout le sud-est de l'île.

A la pointe nord-est, sur le détroit qui sépare la Sicile de l'Italie, une bande de soldats italiens, entrés au service des Grecs de Messine, avait massacré les habitants et formé dans Messine un peuple qui s'appela Mamertins (peuple de Mars). Hiéron vint les attaquer ; les Mamertins se cherchèrent des alliés, mais ils ne s'entendirent pas : les uns demandèrent secours à Carthage et firent entrer une garnison carthaginoise dans la citadelle ; les autres envoyèrent à Rome. Le Sénat hésitait, l'assemblée du peuple décida la guerre (264).

Les Mamertins s'allièrent aux Romains. Carthage s'allia à Hiéron ; et leurs armées réunies assiégèrent les Mamertins dans Messine. Une armée romaine passa en Sicile, attaqua brusquement l'armée de Hiéron, la dispersa, envahit son royaume et vint camper devant Syracuse. Hiéron demanda la paix, Rome lui laissa son royaume, mais il paya 200 talents et devint allié des Romains (263).

L'armée romaine, maîtresse de l'est de la Sicile, marcha vers l'ouest, et assiégea Agrigente ; la ville était en ruines, mais derrière les remparts se tenait une armée carthaginoise ; les Romains la bloquèrent et l'affamèrent. Alors débarqua une seconde armée carthaginoise, avec 60 éléphants. Après une grande bataille elle fut mise en déroute ; mais, pendant que les Romains poursuivaient les fuyards, l'armée, enfermée dans Agrigente, profita d'une nuit sombre pour s'échapper. Les habitants d'Agrigente, restés seuls, demandèrent à se rendre, les Romains refusèrent, enfoncèrent les portes, pillèrent la ville et vendirent les habitants comme esclaves (262).

Victoire navale des Romains. — Rome n'avait pas de flotte de guerre, elle s'était servie des navires de ses alliés, les Grecs d'Italie. Les Carthaginois dominaient la mer, leur flotte vint ravager les côtes d'Italie.

On racontait qu'au commencement de la guerre, le gouvernement de Carthage avait dit : Sans notre permission, les Romains ne peuvent pas même se laver les mains dans la mer.

Le Sénat romain ordonna de construire une flotte de guerre. En ce temps, on combattait avec des navires longs et étroits[2] qu'on faisait marcher avec des rames ; pour aller vite il fallait des rameurs en grand nombre. Un navire de la taille d'une de nos canonnières qui aurait aujourd'hui un équipage de 30 à 40 hommes, exigeait plus de 200 rameurs ; un navire de 500 tonnes en exigeait près de 400.

Les Romains n'avaient que des navires à deux ou à trois rangs de rames, trop petits pour combattre les navires carthaginois à cinq rangs de rames (quinquérèmes) beaucoup plus hauts. Ils décidèrent de construire des quinquérèmes. Ce fut, dit-on, un navire carthaginois, échoué sur la côte du Bruttium, qui leur servit de modèle. En deux mois, ils construisirent 130 navires.

Leurs rameurs n'étaient pas habitués à manœuvrer d'aussi grands vaisseaux. On les fit exercer d'abord à vide pendant qu'on construisait la flotte. Les rameurs, montés sur des échafaudages, apprenaient à manier leurs rames dans l'air ; ils continuèrent à s'exercer sur les navires à l'ancre dans les ports.

Ces vaisseaux construits à la hâte avec du bois vert, montés par des marins inexpérimentés, ne pouvaient pas manœuvrer habilement. Une petite escadre fut envoyée aux îles Lipari ; à l'arrivée des navires carthaginois les rameurs s'enfuirent à terre et l'escadre fut prise. Le consul Duilius eut alors l'idée de rendre inutile l'habileté des marins carthaginois en les empêchant de manœuvrer. Sur chaque navire romain, on installa une machine pour jeter sur le navire ennemi un énorme grappin, de façon à accrocher les deux navires l'un à l'autre ; les soldats romains pouvaient sauter à bord de l'ennemi, et le combat naval devenait un combat de terre.

La flotte romaine, ainsi équipée, vint devant Mylée ; les Carthaginois sortirent à sa rencontre ; leurs navires un à un furent accrochés par les navires romains. On se battit corps à corps. Les Romains, vainqueurs, prirent une trentaine de navires ennemis (260).

A Rome, en souvenir de cette victoire, on éleva une colonne de bronze sur la place du Forum. Duilius, le vainqueur, reçut le droit de sortir dans les rues le soir aux flambeaux, escorté d'un joueur de flûte. Puis l'armée romaine continua à prendre les villes de Sicile, et une flotte romaine alla enlever la Corse aux Carthaginois.

Expédition de Regulus en Afrique. — Les Romains se préparèrent alors à attaquer les Carthaginois dans Carthage même. Ils réunirent, dit-on, 330 galères à cinq rangs de rames, chacune montée par 300 rameurs ; cette flotte portait, en outre, 40.000 soldats. Carthage avait, dit-on, 350 galères et 50.000 soldats (256).

Les deux flottes se battirent devant le promontoire d'Ecnome. Les Carthaginois, vaincus, se retirèrent. La flotte romaine, trouvant le passage libre, vint débarquer l'armée sur la côte d'Afrique, dans un pays riche, couvert de jardins et de maisons de campagne. L'armée le ravagea, emmenant les troupeaux et les habitants.

L'hiver venu, la flotte revint en Italie avec une partie des soldats. Le consul Regulus resta en Afrique avec le gros de l'armée, et se mit à prendre les villes une à une. Les indigènes de l'Afrique, soumis malgré eux à Carthage, commencèrent à tourner du côté de Rome. Carthage se remplissait de gens de la campagne fuyant devant les Romains. Les Carthaginois prirent peur et demandèrent la paix. Regulus refusa et assiégea Carthage.

Alors arriva un général spartiate, Xanthippe, qui se mit au service des Carthaginois et leur inspira confiance. Il fit exercer les soldats à combattre en phalange, à la façon des Macédoniens ; il leur montra comment il fallait employer les éléphants. Puis il sortit avec son armée et la rangea en bataille : au centre, 14.000 fantassins ; aux ailes, 4.000 cavaliers ; en avant des fantassins, 100 éléphants. Les Romains avaient, dit-on, 30.000 hommes ; ils attaquèrent les fantassins, mais furent mis en déroute par les éléphants et les cavaliers. Tous furent massacrés. Le consul Regulus fut fait prisonnier (255).

La garnison romaine, restée dans Clupea, fut assiégée ; il fallut envoyer une flotte romaine pour la dégager et la rembarquer. Les Romains évacuèrent l'Afrique. Au retour, leur flotte fut détruite par la tempête. Les Carthaginois se vengèrent des indigènes qui les avaient abandonnés, pendirent leurs chefs et leur firent payer une grosse amende.

Batailles navales. — Des deux côtés, on réunit de nouvelles expéditions pour conquérir la Sicile. Rome, en trois mois, rassembla une flotte de 220 navires ; elle prit le plus grand port carthaginois, Panorme (254). Une autre flotte ravagea la côte d'Afrique ; au retour, elle périt dans une tempête (253).

L'armée romaine, assiégée dans Panorme, sortit brusquement, surprit les Carthaginois, les jeta à la mer et les massacra (250). Le général Metellus, revenu à Rome, conduisit à son triomphe 104 éléphants ; on les mena ensuite au cirque où on les massacra pour amuser le peuple.

Peu à peu, les Carthaginois avaient été repoussés dans l'angle nord-ouest de la Sicile. Regulus était captif, Carthage l'envoya à Rome demander la paix ou l'échange des prisonniers, Rome refusa. Cette ambassade donna naissance à la légende de Regulus.

Regulus, disait-on, avait lui-même conseillé au Sénat de refuser l'échange des captifs ; il sacrifiait ainsi sa vie à l'intérêt de sa patrie. Avant de partir de Carthage, on lui avait fait jurer de revenir se remettre en captivité. Il revint. Les Carthaginois furieux se vengèrent cruellement ; on lui coupa les paupières, puis on le mit dans un tonneau garni de pointes de clous, qu'on fit rouler du haut d'une colline. Sa famille, pour le venger, se fit donner deux généraux carthaginois prisonniers et les tortura jusqu'à la mort.

Rome envoya une armée assiéger Lilybée ; le siège échoua. L'année suivante, une nouvelle flotte arriva avec le consul P. Claudius ; il voulut surprendre les navires carthaginois dans le port de Drépane ; pendant qu'il entrait dans le port, la flotte carthaginoise en sortait ; quand il voulut sortir, ses navires se heurtèrent les uns les autres. Dans ce désordre, les Carthaginois les attaquèrent et les poussèrent à la côte, où ils furent coulés ou pris (249).

Les Romains regardaient cette défaite de Drépane comme une punition des dieux.

Claudius, suivant l'usage, avait emporté la cage des poulets sacrés. Avant de commencer l'attaque, on le prévint que les poulets sacrés refusaient de manger : c'était signe que les dieux désapprouvaient le combat. Claudius répondit : Eh bien ! s'ils ne veulent pas manger, qu'ils boivent. Et il fit jeter les poulets à la mer.

Une autre flotte romaine, navigant sur la côte sud de la Sicile, fut surprise par la flotte carthaginoise et se jeta au milieu des écueils. Un orage brisa les navires ; le chef de la flotte, Junius, de retour à Rome, fut accusé d'avoir, comme Claudius, méprisé les avertissements des augures ; il se suicida.

Hamilcar en Sicile. — Carthage envoya alors (247) pour commander son armée de Sicile un habile général, Hamilcar, surnommé Barca (la foudre). Il trouva les soldats révoltés, les soumit et les emmena piller le sud de l'Italie. Puis il s'établit à la pointe nord-ouest de la Sicile, sur le mont Éryx, une montagne abrupte qu'il fortifia (244). On ne pouvait y arriver du côté de la terre que par deux sentiers escarpés ; du côté de la mer, elle communiquait avec une baie où l'on pouvait débarquer. Les défenseurs recevaient leurs provisions par mer, de Drépane. Retranché dans cette citadelle naturelle, Hamilcar, pendant trois ans, menaça les deux armées romaines campées devant les deux ports qui restaient aux Carthaginois, Lilybée et Drépane.

A la fin, Rome équipa encore une flotte de 200 quinquérèmes qui vint bloquer les deux ports par mer. On se battit devant les îles Égates ; la flotte carthaginoise fut dispersée (241).

Carthage n'avait plus d'argent, elle chargea Hamilcar de traiter. Les Carthaginois s'engagèrent à se retirer de la Sicile et à payer 2.200 talents en vingt ans (241).

La première guerre punique avait donné à Rome la Sicile.

Guerre des mercenaires. — Les soldats qui venaient de faire la guerre en Sicile au service des Carthaginois, furent ramenés à Carthage pour recevoir la solde qu'on leur devait. Le gouvernement n'avait plus d'argent, il les laissa attendre dans l'intérieur de la ville ; puis, comme ils réclamaient avec menaces, il les envoya à Sicca en leur donnant à chacun une pièce d'or pour leur faire prendre patience ; ils voulaient laisser leurs bagages, on les obligea à les emporter.

Voilà ces étrangers campés devant Sicca, sans rien à faire qu'à attendre leur solde. Un jour, de la part du Conseil de Carthage, Hannon vient leur dire que le peuple, appauvri par la disette, ne peut les payer et leur fait demander une remise. Les soldats, en colère, s'attroupent, d'abord ceux d'une même nation ensemble, puis tous se réunissent. Il y avait là des Ibères d'Espagne, des Gaulois, des Ligures d'Italie, des Baléares, des Grecs, et surtout des Libyens d'Afrique. Ils ne connaissaient pas Hannon, et Hannon ne savait comment se faire écouter, car chaque nation parlait une langue différente. Ils se mettent en marche au nombre de 20.000, et vont camper près de Tunis avec leurs femmes et leurs enfants.

A Tunis, ils reçurent des vivres de Carthage et on leur promit de les payer ; mais ils réclamaient, en outre, le prix de leurs chevaux tués pendant la guerre. Le gouvernement de Carthage leur proposa de nommer des arbitres. Ils choisirent Giscon qu'ils avaient connu en Sicile.

Giscon vient au camp avec de l'argent, rassemble les soldats et commence à leur payer la solde. Mais quelques-uns réclament, demandent qu'il paie aussi le prix des chevaux ; les soldats africains se fâchent et jettent des pierres. Ceux qui les excitaient étaient un Africain Mathos, et un Grec de Campanie, Spendios, un ancien esclave, disait-on. On finit par se battre. Ces gens ne se comprenaient pas les uns les autres ; mais tous connaissaient le mot : Frappe ! Ils assommèrent les officiers et quelques soldats. Giscon essaya de les calmer. Les Africains prétendirent qu'on leur devait de l'argent pour leurs vivres. — Allez le demander à Mathos ! répondit Giscon. Les Africains irrités l'arrêtèrent et l'enchaînèrent.

Les mercenaires révoltés se divisent alors en deux bandes ; l'une va assiéger Utique, l'autre Hippozaritus. Carthage n'a ni armes, ni munitions, ni soldats, ni argent ; ses sujets, mécontents d'avoir payé un impôt double pendant la guerre, s'entendent avec les révoltés. Mathos se trouve bientôt à la tête d'une armée ; il ravage le pays jusqu'au pied des remparts de Carthage.

Enfin Hamilcar parvient à organiser une petite armée avec 70 éléphants ; il marche contre les soldats révoltés qui assiègent Utique. Il faut traverser une rivière profonde que Mathos fait garder ; mais Hamilcar profite d'un banc de sable que le vent a formé à l'embouchure de la mer ; il passe la rivière à cet endroit, attaque les révoltés qui gardent le pont, les met en déroute et délivre Utique.

Les révoltés évitent dès lors de se rencontrer en plaine avec les éléphants et les cavaliers d'Hamilcar ; ils le suivent en longeant le pied des montagnes. Un des chefs des révoltés, Naravas le Numide, vient devant le camp d'Hamilcar et fait signe de la main. Un cavalier d'Hamilcar vient voir ce qu'il veut : Naravas demande une entrevue avec Hamilcar ; il laisse son cheval et ses armes et entre dans le camp la tête haute. Il déclare à Hamilcar qu'il veut devenir son ami et l'aider ; en échange, Hamilcar jure de lui donner sa fille en mariage. Naravas part et revient avec 2.000 Numides. On se bat ; les éléphants mettent en déroute les révoltés ; 4.000 sont pris. Hamilcar enrôle ceux qui veulent entrer dans son armée.

Pendant ce temps, en Sardaigne, les soldats au service de Carthage se révoltent et massacrent leurs généraux. Carthage envoie de nouvelles bandes ; elles se révoltent, crucifient leur général et massacrent tous les Carthaginois. Les révoltés de Sardaigne écrivent aux révoltés d'Afrique de se défier de Giscon, leur prisonnier. Au reçu de cette lettre, un chef gaulois, Autharite, qui parlait phénicien, propose de faire périr Giscon. Quelques soldats demandent de l'épargner ; les autres crient chacun dans sa langue : Tue !... tue !, et les assomment à coup de pierres. Puis ils vont chercher Giscon et ses compagnons, au nombre de 700, les mènent hors du camp, leur coupent les mains et les oreilles, leur rompent les jambes, les jettent dans une fosse. Les Carthaginois envoient demander les cadavres pour les ensevelir ; les soldats refusent et déclarent que tout prisonnier carthaginois sera mis à mort, tout prisonnier allié aura les mains coupées.

Dès lors la guerre devient féroce. Hamilcar donne tous ses prisonniers à dévorer aux bêtes. Les habitants d'Hippozaryte, jusque-là fidèles à Carthage, se révoltent, massacrent leur garnison carthaginoise, jettent les cadavres du haut des remparts, font entrer les rebelles et refusent de laisser enterrer les corps. Les rebelles viennent assiéger Carthage. Hamilcar leur coupe les vivres et les force à se retirer.

Enfin, après une longue campagne, la principale armée des révoltés, errant dans les montagnes pour éviter les éléphants et les cavaliers, vient camper dans une vallée étroite entre des murs de rochers, le défilé de la Hache. Hamilcar ferme l'entrée du défilé par un fossé et un rempart. Les révoltés n'ont plus de vivres ; ils mangent leurs esclaves et leurs prisonniers. Leurs chefs envoient un héraut demander à Hamilcar un sauf-conduit pour aller dans son camp traiter avec lui, il promet de les laisser repartir. Les chefs, Spendios, Autharite, Zarxas, viennent trouver Hamilcar ; on convient que Hamilcar choisira dix des rebelles pour les garder prisonniers et renverra tous les autres, chacun avec un vêtement. Une fois le traité conclu, Hamilcar dit aux chefs : Vous êtes les dix que je choisis. Il les retient malgré sa promesse, attaque les rebelles privés de leurs chefs et épuisés par la faim et les massacre tous. Ils étaient, dit-on, 40.000.

Puis il va rejoindre l'armée d'Hannibal qui assiège Mathos dans Tunis. Il amène les chefs qu'il a pris dans le défilé de la Hache et les fait crucifier devant les murs. Mathos fait une sortie, surprend le camp d'Hannibal, tue ou chasse ses soldats, prend Hannibal lui-même, le mène devant la croix où pendait le cadavre de Spendios, le torture et le fait crucifier sur la même croix.

Dans une dernière bataille, la dernière armée des rebelles fut mise en déroute ; Mathos pris fut amené à Carthage et livré à la populace qui le déchira (238).

Cette guerre avait duré trois ans et quatre mois. Les anciens, habitués pourtant aux massacres, la trouvèrent horrible ; ils la surnommèrent la guerre inexpiable.

Les Romains en avaient profité pour prendre la place des Carthaginois en Sardaigne. La guerre finie, Carthage voulait reprendre la Sardaigne. Rome lui déclara la guerre. Les Carthaginois épuisés cédèrent et s'engagèrent à payer encore 1200 talents (239).

La guerre inexpiable avait donné à Rome la Sardaigne.

Conquête de la Gaule Cisalpine. — Les Gaulois occupaient encore tout le pays du Pô entre l'Apennin et les Alpes ; les Romains l'appelaient Gaule Cisalpine (c'est-à-dire de ce côté des Alpes). Rome voulut établir des colons au sud du Pô, et le consul fit distribuer des terres prises sur le pays des Boïens, le peuple gaulois le plus voisin de l'Italie. Les Boïens irrités s'allièrent aux Insubres, dont la capitale était Mediolanum (Milan) ; ils prirent à leur service des soldats gaulois de l'autre côté des Alpes, les Gésates, et tous ensemble envahirent l'Italie (225).

Rome envoya deux armées, à l'est vers l'Adriatique, à l'ouest en Étrurie. Les Gaulois vainquirent la première et s'avancèrent jusqu'à Clusium. Ils reculèrent devant la seconde.

En se retirant le long de la côte d'Étrurie, ils se trouvèrent pris entre l'armée qui les suivait et une autre armée romaine, revenant de Corse, qui par hasard débarquait au même moment à Pise. Ils se divisèrent en deux corps et, faisant front des deux côtés, se battirent à la fois contre les deux armées près du cap Télamon.

Les Gaulois attaquèrent en poussant leur terrible cri de guerre. Les Gésates, hommes de haute taille, aux yeux bleus, aux cheveux roux, mettaient. leur honneur à s'exposer aux coups ; ils rejetaient leurs boucliers et combattaient nus. Les Gaulois étaient d'une bravoure incomparable, mais ils avaient pour armes de mauvaises épées sans pointe, qui ne frappaient que de taille et qu'il fallait manier à deux mains, des épées si mauvaises qu'elles se faussaient en frappant. Pendant que le Gaulois mettait le pied sur son épée pour la redresser, il restait sans défense, exposé aux coups de l'ennemi.

Les Romains vainqueurs repoussèrent les Gaulois. Puis ils allèrent les attaquer chez eux. Ils soumirent d'abord les Boïens (224), puis — non sans peine — les Insubres (223-222). Ils finirent par prendre leur capitale et les obligèrent à donner des otages.

Pour contenir les Gaulois, Rome établit dans leur pays trois grandes colonies, Modène, Plaisance, Crémone (218).

 

 

 



[1] Voir Histoire des peuples d'Orient, p. 334.

[2] Huit fois plus longs que larges.