HISTOIRE NARRATIVE ET DESCRIPTIVE DU PEUPLE ROMAIN

 

CHAPITRE PREMIER. — LES ANCIENNES POPULATIONS DE L'ITALIE. GÉOGRAPHIE.

 

 

L'Italie. — L'Italie[1] est une presqu'île épaisse qui s'allonge en travers dans la Méditerranée, partant de la côté de France dans la direction de la Grèce. Les deux côtes sont à peu près parallèles, l'épaisseur de la presqu'île est à peu près la même partout, jusqu'à l'endroit où elle se partage en deux pointes ; ce qui lui donne la forme d'une botte dont le talon serait tourné vers la Grèce et la pointe toucherait la Sicile.

L'intérieur de l'Italie, clans toute sa longueur, est formé d'un énorme massif de montagnes de rochers gris, l'Apennin, dont la plus haute cime s'élève à 2 900 mètres. Ces montagnes ont leur pente la plus rapide vers l'est, du côté qui descend à la mer Adriatique. Sur ce versant, il n'y a guère que des vallées courtes et étroites séparées l'une de l'autre par des barrières de rochers. Au contraire ; à l'ouest, du côté de la mer Tyrrhénienne, les montagnes s'abaissent sur des pays de collines et des plaines fertiles. La mer venait autrefois jusqu'au pied des montagnes, et formait des golfes, mais les volcans les ont comblés avec des laves, des scories et de la cendre et ont créé tout un pays nouveau. C'est donc vers l'ouest que coulent les principales rivières, à l'ouest que sont les pays fertiles (Toscane, Latium, Campanie), où se sont formés les principaux peuples de l'Italie antique.

Au sud, la montagne s'arrête brusquement ; les deux pointes qui terminent l'Italie, les deux cornes comme disaient les anciens, ne font pas partie de l'Apennin.

Celle qui va vers la Grèce, à l'est de Tarente, est un plateau bas, sec, gris, poussiéreux et triste, brûlé par le soleil.

Celle qui s'avance vers la Sicile est formée de deux massifs de granit. Le premier, la Sila, séparé de l'Apennin par une large plaine, est une masse énorme couverte de forêts, dont la plus haute cime a 1.889 mètres et qui de trois côtés se termine par une pente abrupte, en forme de mur, d'où les torrents sortent par des gorges étroites ; ce fut de tout temps un repaire de brigands (la Calabre). L'autre massif, relié à la Sila par un isthme étroit formé de collines basses et arrondies, est un plateau dominé par des cimes qui s'élèvent jusqu'à 1.974 mètres. Les forêts qui le couvrent fournissaient aux anciens du bois de charpente pour les maisons et les navires et de la résine dont on faisait une poix renommée.

Le climat. — L'Italie a un climat doux et humide.

L'hiver y est court ; pendant quelques semaines souffle l'Aquilon, un vent du nord, froid et clair, qui chasse les nuages ; mais il gèle rarement dans la plaine et la neige ne couvre que les montagnes.

Dès le mois de février on sent un vent d'ouest léger et tiède (les anciens l'appelaient Favonius, le favorable), les hirondelles reviennent, les amandiers fleurissent, le printemps commence.

Il dure peu, du moins dans l'Italie du Sud ; dès le mois de mai c'est l'été, un été sec et brûlant qui grille les plantes si on ne les arrose pas ; la sécheresse dure près de quatre mois, c'est le climat de la Grèce. Dans les plaines du nord et du centre, dès la fin de mars, souffle d'ordinaire le vent du sud (on l'appelait l'Auster, le brûlant) ; il amène une chaleur lourde, une nuée suffocante qui trouble la transparence de l'air, et de temps à autre de violents orages, avec du tonnerre et de la grêle.

Cet été pénible et malsain dure jusqu'en septembre. Alors commence l'automne, la saison des grandes pluies, jusqu'en novembre. Il tombe pendant ces trois mois plus d'eau en Italie qu'en Allemagne dans toute l'année.

Les cours d'eau. — Cette eau, tombant en pluies torrentielles sur des montagnes abruptes, roule en bas rapidement ; ainsi se forment des torrents impétueux, chargés de terre et de cailloux qu'ils déposent ou entraînent jusqu'à la mer. Mais en été, pendant la sécheresse, ces torrents se réduisent à un filet d'eau qui coule dans un large lit de pierre laissé à sec.

Le rocher calcaire de l'Apennin, percé de trous et de crevasses, laisse passer une partie de l'eau des pluies et des neiges qui, au lieu de couler à la surface, s'enfonce dans l'intérieur de la montagne et ressort au bas en grosses sources. Ces eaux ainsi emmagasinées finissent par déboucher clans les rivières qu'elles alimentent pendant la sécheresse.

La côte. — Les côtes de l'Italie sont droites, peu découpées, presque dépourvues de ports naturels, et les débris apportés par les torrents des montagnes forment dans la mer des bancs de sable sous-marins qui barrent les embouchures des rivières.

Sur l'Adriatique la côte est bordée de lagunes et de bancs de sable, qui ne permettent pas aux navires d'approcher. La mer est agitée, surtout en hiver, par de terribles coups de vent du nord.

Sur la mer Ionienne il n'y avait guère qu'un bon port, celui de Tarente, aujourd'hui ensablé.

La côte de l'ouest est moins mauvaise. Encore les ports naturels y sont-ils rares. A deux endroits seulement, en Toscane et sur le golfe de Naples, il y a des îles et la mer est profonde près de la côte ; c'est là qu'étaient les ports principaux de l'antiquité.

L'Italie n'est pas, comme la Grèce, un pays naturellement disposé pour la navigation. Les anciens Italiens ne furent pas des peuples de marins ; ce furent des cultivateurs dans les plaines et les vallées, des bergers dans les montagnes.

LES PEUPLES DES MONTAGNES.

Les Ombriens. — Au centre de l'Apennin, dominé par les plus hautes cimes, s'étend un pays de vallées étroites et de petites montagnes, traversé par une large vallée fertile qui descend du côté de l'ouest.

Là demeurait un peuple de laboureurs et de bergers, les Ombriens. Ils habitaient de petites villes fortifiées bâties sur des rochers qui dominaient les vallées. On disait qu'ils avaient été jadis un grand peuple établi sur toute la Toscane et sur la plaine du Pô et qu'ils avaient été repoussés dans la montagne par des peuples nouveaux. Ils ne formaient pas une seule nation, chaque ville était un petit État. Mais ils parlaient la même langue et cette langue ressemblait au latin, à peu près comme le français ressemble à l'italien.

Les Sabins. — Au sud de l'Ombrie s'élève un énorme massif de montagnes sauvages, entouré de tous côtés par des murailles de rochers qui en font une sorte de forteresse naturelle ; ce sont les Abruzzes, un pays de brigands. En avant, vers l'ouest, s'avance une longue rangée de montagnes plus basses en pente plus douce, coupée par la vallée où coule l'Anio ; ce sont les monts de la Sabine.

C'était autrefois le pays des Sabins, paysans guerriers ; réputés comme des cultivateurs sobres, honnêtes, laborieux ; ils travaillaient à la bêche le sol pierreux et aride de leurs montagnes, et vivaient dans de pauvres maisons groupées en villages ouverts.

Leur langue ressemblait au latin.

Les Sabelliens. — De ce pays des Sabins étaient sortis, disait-on, la plupart des peuples qui habitaient les montagnes de l'Italie ; on les appelait Sabelliens (c'est le même nom que Sabins), et on expliquait leur origine par des légendes.

Les Sabins, disait-on, dans des moments de malheur, croyant les dieux irrités, avaient cherché à les apaiser par un grand sacrifice. Ils vouaient, c'est-à-dire consacraient d'avance à leur dieu tout ce qui naîtrait pendant une année ; cela s'appelait un printemps voué. Tous les enfants nés en cette année appartenaient au dieu. Arrivés à l'âge d'homme, ils s'en allaient au loin s'établir où ils pouvaient. Ainsi étaient parties de la Sabine, à diverses époques, plusieurs bandes ; chacune avait suivi un animal sacré, un loup, tin taureau, un pivert, comme un envoyé du dieu ; là où l'animal s'arrêtait, la bande s'établissait et devenait un peuple.

Plusieurs peuples portaient ainsi un nom d'animal ; les Picentins (c'était le peuple du pivert), les Hirpins (peuple du loup) ; d'autres avaient un nom de dieu (Marses, Vestins).

Ces Sabelliens avaient peuplé toutes les montagnes de l'Italie. Ils tenaient le massif du centre. Ils occupaient le pays qui descend sur l'Adriatique. Ils habitaient les chaînes de montagnes qui s'avancent vers la plaine (pays des Herniques et des Èques). Ils finirent même par descendre dans la plaine et s'établir dans les collines qui longent la côte (pays des Volsques).

Isolés dans leurs montagnes, ils restaient barbares et belliqueux, élevant leurs troupeaux, cultivant des coins de terre. Presque tous vivaient dans la campagne, sans villes, ayant seulement sur des montagnes escarpées quelques forteresses où en temps de guerre ils mettaient à l'abri leurs familles et leurs troupeaux. Ils se groupaient en petits peuples sous des chefs qui les menaient à la guerre, mais chaque peuple formait un État indépendant.

Les Samnites. — De tous ces Sabelliens, les plus puissants furent les Samnites. C'était une confédération de quatre peuples établis au milieu de l'Apennin, dans un pays couvert de montagnes sauvages, d'accès difficile, séparés par des gorges étroites, un pays de pacages où l'herbe est courte, faite plutôt pour les chèvres et les moutons que pour les bœufs.

Les Samnites devinrent un peuple de guerriers. Les jeunes gens, trop nombreux pour vivre dans ce pays pauvre, allaient se mettre comme soldats au service des riches villes des plaines. Ils en revenaient avec de riches armures, des boucliers d'argent, des colliers d'or, des bijoux.

Vers le VIe siècle, plusieurs bandes de guerriers samnites restèrent en pays étranger, soumirent les habitants et formèrent de nouveaux peuples ; les Lucaniens, les Bruttiens, les Campaniens[2]. Pendant un siècle, ces montagnards dominèrent toute l'Italie du Sud.

LES COLONIES GRECQUES.

La Grande-Grèce. — Le sud de l'Italie, formé de plaines basses et de collines, est tourné du côté de la Grèce. De la pointe la plus avancée on peut voir par les temps clairs les montagnes des îles de l'autre côté de la mer.

Les anciens habitants de ce pays, les Iapyges, étaient probablement venus de l'autre côté de l'Adriatique, de la région que les anciens appelaient l'Illyrie ; leur langue ressemblait à celle des Illyriens.

Puis, à partir du vine siècle arrivèrent les colons grecs. Ils s'établirent dans les plaines les plus fertiles, et sur la côte aux endroits où les navires pouvaient débarquer. Ils bâtissaient des villes fortifiées ; chacune formait une cité, c'est-à-dire un État indépendant se gouvernant lui-même et faisant la guerre aux autres. C'était la même vie qu'en Grèce, mais plus riche ; chaque cité avait un grand territoire couvert de moissons, de pâturages pour les chevaux, de vignobles et d'oliviers.

De ces cités les plus puissantes furent Sybaris, célèbre par sa richesse ; Crotone, la belliqueuse, qui détruisit Sybaris et Tarente, le grand port de l'Italie du Sud.

Ces Grecs n'avaient occupé qu'une partie du pays ; les anciens habitants restaient à côté d'eux, mais ils étaient moins riches, moins puissants, moins civilisés. Peu à peu ils adoptèrent les habitudes et la langue des Grecs. Toute l'Italie méridionale devint un pays grec ; on la surnomma la Grande-Grèce.

Les Grecs de Campanie. — De l'autre côté de l'Italie, sur la mer Tyrrhénienne, il y avait d'autres colonies grecques très anciennes.

La plus ancienne, Cumes, était bâtie sur un rocher volcanique, de 100 mètres de haut, taillé à pic de trois côtés au-dessus de la mer ; les navires s'arrêtaient en bas dans la baie de Baies. Au sud s'étendait la Campanie, une plaine volcanique très fertile, fameuse par ses belles moissons. Les marchands de Cumes vendaient aux Grecs le blé du pays et aux habitants du pays les vases fabriqués en Grèce. Les marins de Cumes devinrent des corsaires renommés ; leurs navires de guerre combattirent les Étrusques et vainquirent les Carthaginois.

Plus au sud, autour du golfe où sont les meilleurs ports de la côte, Cumes envoya des colons qui fondèrent des villes grecques nouvelles ; l'une d'elles fut Naples (ville neuve).

Les Grecs de Campanie furent trop peu nombreux pour transformer la population. Les anciens habitants (Ausones, Opiques), établis dans de petites villes en arrière de la côte, gardèrent leurs coutumes et leur langue, semblable au latin, jusqu'au temps ou les Étrusques du Nord, puis les Samnites de la montagne vinrent les dominer et changer leur genre de vie.

LES ÉTRUSQUES.

L'Étrurie. — Au nord-ouest de la presqu'île d'Italie, entre le massif des Apennins et la mer, s'étend un pays étrange : des montagnes noires ou brunes, anciens volcans éteints, semées çà et là comme en désordre, entourent de petites plaines fermées ; les eaux, ne pouvant s'écouler de ces enceintes, s'amassent en marais au milieu de la plaine ou en lacs profonds au pied de la montagne. Quelques-uns de ces lacs, les plus petits et les plus profonds, remplissent le fond d'un ancien cratère. C'est le pays que les anciens appelaient l'Étrurie[3].

Formé en partie de débris de volcans, ce pays est fertile ; les plaines, les vallées et les collines donnaient autrefois de belles moissons de blé. Le massif des montagnes du centre, couvert de bois, formait la forêt ciminienne, déserte et sombre ; on ne la traversait qu'avec crainte, et elle coupait l'Étrurie en deux régions qui communiquaient difficilement ; la région du sud, plus petite et plus basse, allait jusqu'au Tibre.

La côte de nos jours est ensablée et bordée d'une large plaine semée de marais fiévreux (la Maremme). Dans l'antiquité, elle était moins encombrée et moins malsaine sans doute ; on y trouvait des ports disparus aujourd'hui, le plus important en face de l'île d'Elbe.

Les Étrusques. — Le peuple qui habitait ce pays ne ressemblait à aucun des autres peuples voisins ; les Grecs l'appelaient Tusque ou Tyrrhénien, les Romains Étrusque (c'est le même nom prononcé d'une façon différente). Il parlait une langue très différente de toutes les autres langues de l'Italie ; nous en connaissons quelques mots par des inscriptions, mais aucun savant n'est parvenu à l'expliquer.

On disait que les Étrusques étaient des étrangers, mais on ne savait au juste d'où ils venaient. Peut-être étaient-ils descendus des Alpes du Nord, de la Rhétie (le Tyrol).

Établis dans ce pays fertile, les Étrusques devinrent riches et puissants. Leurs villes, bâties sur des montagnes, entourées de remparts faits d'énormes blocs de pierre, furent les plus grandes de l'Italie. Chacune avait son territoire et formait un État indépendant. Dans ces petits États, les nobles (lucumons) possédaient toutes les terres et avaient toute la richesse ; ils allaient en guerre avec des armures précieuses ; tous les autres habitants leur obéissaient.

Dans plusieurs cités, il y avait un chef supérieur aux autres nobles, une sorte de roi ; il portait une robe de cérémonie bordée de pourpre, s'asseyait sur une chaise d'ivoire et se faisait accompagner de licteurs qui portaient des verges et une hache.

Les douze principales cités d'Étrurie célébraient une fête dans le sanctuaire d'une déesse, adorée de tous les Étrusques. Là se tenait une assemblée des chefs de toutes les cités ; mais il n'y avait pas de confédération politique, et chacune faisait la guerre sans tenir compte des autres.

Les villes étrusques de la côte avaient des navires qui naviguaient sur toute la côte jusqu'en Sicile. Elles faisaient le commerce surtout avec les Carthaginois qui leur apportaient les produits de l'Orient, l'ivoire, les étoffes de pourpre, les bijoux égyptiens. Une de ces villes commerçait même avec les Grecs, c'était Cæré. Les Grecs l'appelaient d'un nom phénicien, Agylla (la Ronde), et faisaient l'éloge de ses habitants, les seuls Étrusques, disaient-ils, qui ne fussent pas des pirates. En ce temps, les marins allaient d'ordinaire armés ; à l'occasion ils pillaient les navires, et même les villages de la côte, ils enlevaient les femmes et les enfants pour les vendre, ils massacraient les équipages. Les marins étrusques faisaient une guerre de pirates aux marins grecs, leurs concurrents ; les poètes grecs les appelaient farouches Tyrrhéniens et racontaient comment le dieu Apollon, capturé par des pirates étrusques, les avait punis en les changeant en dauphins.

Il y eut aussi des villes étrusques dans le pays du Pô, du côté de l'Adriatique : Bologne, Mantoue, Ravenne (on ne sait quand elles avaient été fondées) ; elles furent enlevées aux Étrusques par les Gaulois.

Enfin les Étrusques, s'avançant vers le sud, soumirent les petits peuples du Latium et vinrent conquérir les villes de Campanie, où ils introduisirent leur façon de vivre ; la plus importante fut Capoue.

Religion étrusque. — Les Étrusques croyaient à des dieux protecteurs du peuple ; nous ne connaissons guère que leurs noms : nous savons qu'ils en adoraient trois ensemble, un dieu et deux déesses.

Ils adoraient aussi les âmes des morts, comme des esprits puissants qui pouvaient faire du mal ; pour les apaiser ils leur offraient même des victimes humaines ; ainsi commença l'usage fameux des combats de gladiateurs.

On a découvert beaucoup de tombeaux étrusques ; quelques-uns étaient recouverts d'un monument de pierre en forme de dôme. Dans l'intérieur, on a trouvé des chambres construites comme pour être habitées par les morts ; sur des lits de parade sont étendus les cadavres ; ils ont autour d'eux des meubles, des étoffes, des insignes, des bijoux (colliers, bagues, broches, bracelets) et de grands vases peints ; les murs sont souvent couverts de peintures qui représentent surtout des jeux, des massacres de captifs et des festins.

Les Étrusques croyaient aussi à des démons souterrains qui conduisaient les âmes sous la terre, dans le séjour des morts ; on voit dans leurs peintures le roi des enfers, Mantus, sous la forme d'un génie ailé, une couronne sur la tête, une torche à la main, — Charun, vieillard hideux à longues oreilles, féroce, armé d'un lourd marteau, — d'autres génies tenant à la main des serpents dont ils menacent leurs victimes — et l'horrible Tuculcha, monstre à bec d'aigle et à oreilles d'âne dont les cheveux sont des serpents.

Les devins. — Les devins étrusques faisaient métier de prédire l'avenir ; ils employaient plusieurs procédés. Quand on venait de sacrifier un animal, ils regardaient les entrailles, la forme et la position du foie, du cœur, des poumons, et en concluaient l'avenir, d'après certaines règles d'interprétation.

Ils tiraient aussi des signes de la foudre. Mais leur moyen le plus habituel était de regarder le vol des oiseaux. Le devin debout, la figure tournée vers le nord, tenait de la main droite son bâton recourbé, et traçait dans le ciel des lignes droites de façon à former un carré. Dans l'espace ainsi délimité il observait les oiseaux qui passaient ; s'ils passaient à droite, c'était un signe favorable ; à gauche, un signe défavorable ; un aigle était un signe favorable, un hibou un mauvais signe. On finit par rédiger les règles de divination et il y eut plusieurs livres sacrés : sur le vol des oiseaux, sur le tonnerre, sur les cérémonies à faire dans les actes publics.

Un jour, disait la légende étrusque, près de Tarquinies, dans un champ qu'on labourait, sortit de terre un tout petit homme, qui avait l'aspect d'un enfant et la barbe grise d'un vieillard. C'était le génie Tagès. Il se mit à réciter les règles sacrées de la divination et des cérémonies ; les habitants s'assemblèrent pour l'entendre et le roi du pays fit écrire ce qu'il disait ; aussitôt après Tagès mourut.

Les devins prédisaient que le peuple étrusque durerait dix siècles. Ce qu'ils appelaient un siècle n'était pas exactement une période de cent ans, c'était la durée de la plus longue vie humaine. Les devins reconnaissaient d'après certains signes quand un siècle venait de finir. En 44 avant Jésus-Christ, une comète parut ; un devin étrusque déclara à Rome qu'elle annonçait la fin du ixe siècle et le commencement du Xe, le dernier du peuple étrusque.

Les arts étrusques. — Les Étrusques pratiquaient les principaux métiers des peuples civilisés de l'antiquité, ils les avaient appris des Carthaginois et des Grecs.

Ils tiraient le cuivre des montagnes de l'Étrurie ; ils tiraient des montagnes de l'île d'Elbe le minerai de fer qu'ils fondaient pour en extraire le métal. Les Étrusques fabriquaient surtout des objets de métal, des bijoux d'or et d'argent, des bagues, des agrafes, des colliers ; ils faisaient des meubles, des miroirs en bronze poli entourés d'ornements, des coupes ornées de dessins.

Les célèbres vases étrusques[4] étaient en argile cuite, noirs avec des dessins rouges ; ils représentaient d'ordinaire des scènes où figuraient des dieux ou des héros grecs ; beaucoup venaient des villes grecques, mais les Étrusques avaient appris aussi à les imiter.

Les villes d'Étrurie étaient bâties régulièrement avec des enceintes en pierre de taille et des portes voûtées, des rues droites et larges, pavées en dalles, les maisons isolées de façon à laisser passer entre elles des rigoles. Les Étrusques construisaient des canaux souterrains maintenus par des voûtes pour emmener les eaux des villes et pour dessécher les plaines humides.

Les Étrusques avaient adopté l'alphabet grec ancien.

LES LATINS.

Le Latium. — Du centre de l'Apennin descend un petit fleuve rapide, le Tibre, qui débouche dans une plaine étroite : après les pluies, il arrive ton' jaune de la terre arrachée aux montagnes et inonde ses rives.

Au sud du Tibre commence le Latium. C'est une terre volcanique. Un grand volcan éteint, le mont Albain, qui domine tout le pays, l'a couvert autrefois de scories, de cendres et de lave. Cette masse de débris mêlée au sable et à l'argile a formé une sorte de pierre tendre, le tuf, qui se taille facilement et dont on se sert pour les constructions grossières. Dans ce tuf tendre, les pluies et les torrents ont creusé des gorges étroites, de sorte que le pays est maintenant un chaos de collines abruptes entre des ravins profonds.

C'est un pays très humide, avec de grosses pluies en hiver, des orages en été ; l'eau ne s'écoule pas toute dans les torrents ou dans les petits lacs au pied de la montagne, une partie pénètre dans la terre. Le sol poreux est comme une éponge où l'eau se conserve, puis s'évapore peu à peu sous la chaleur ardente de l'été. L'air, ainsi chargé de vapeurs, est lourd et malsain. Dans les parties basses des vallées. surtout près de la mer, les eaux ne pouvant s'écouler forment des marais qui répandent au loin la fièvre ; c'est la fameuse malaria (le mauvais air). Le pays a toujours été fiévreux. Les anciens habitants adoraient en plusieurs endroits la déesse Fièvre ; ils portaient des vêtements de laine, allumaient des feux à ciel ouvert et bâtissaient leurs maisons serrées ensemble sur les hauteurs, ce qui semble être des précautions contre la fièvre. Mais le pays n'était pas cependant comme aujourd'hui un désert inhabitable ; la culture l'avait desséché et assaini, et, dans l'intérieur des collines, on avait creusé de petits canaux souterrains pour faire écouler les eaux.

Les Latins. — Les habitants du Latium, les Latins, étaient de même race que les Sabins de la montagne ; ils leur ressemblaient par la langue, la religion, la façon de vivre. Comme eux, c'étaient des paysans et des bergers. Mais, voisins des Étrusques et des Grecs de Cumes, ils étaient devenus un peu plus civilisés. Ils écrivaient avec l'alphabet grec[5] ; ils avaient, comme les Grecs, des oliviers et des figuiers. Ils savaient travailler les métaux, et ils apprirent à bâtir à la façon étrusque.

Ils habitaient de petites villes fortifiées placées au sommet des collines ; chaque ville avait son petit territoire ; les gens de la ville formaient un peuple qui avait son gouvernement indépendant ; on l'appelait res publica (la chose du peuple) ou cité (civitas). Ces petits peuples se faisaient souvent la guerre l'un à l'autre.

Il y avait sur le mont Albain un sanctuaire du dieu Jupiter latin (latiaris) commun à tous les Latins. Chaque année les cités latines (au nombre de 30, dit-on) envoyaient des délégués qui se réunissaient dans un bois sacré, sur la montagne, et sacrifiaient un taureau à Jupiter latin.

Ainsi l'Italie était habitée par des peuples très différents, sans aucun nom pour les désigner tous[6] ensemble. Ceux même qu'aujourd'hui nous reconnaissons comme formant une seule race, Ombriens, Sabins, Sabelliens, Latins, ignoraient leur origine commune. Ils ne se comprenaient pas bien entre eux ; leurs langues, pareilles à l'origine, étaient devenues différentes avec le temps.

Les plus civilisés, les Grecs au sud, les Étrusques au nord, étaient des étrangers. Les Latins, établis près de la côte, reçurent la civilisation de ces étrangers et, devenus plus civilisés que les peuples restés dans les montagnes, finirent par devenir maîtres de toute l'Italie.

 

 

 



[1] Les anciens Romains ne donnaient pas au mot Italie le même sens que nous. Nous comprenons sous ce nom tout ce qui est derrière les Alpes, non seulement la presqu'île, mais le pays du Pô et de l'Adige et la côte du golfe de Gênes. Les anciens (jusqu'au Ier siècle) appelaient Italie la presqu'île seulement. Le nom s'est étendu peu à peu.

[2] Les Romains appelaient ce peuple nouveau du même nom que les habitants du pays (Osques).

[3] L'Étrurie s'appelle aujourd'hui Toscane. Mais la Toscane s'étend plus 'au nord, de l'autre côté de l'Arno.

[4] Il y en a des milliers dans les musées ; ils ont été trouvés dans les tombeaux.

[5] Les lettres romaines ne sont que les lettres grecques anciennes, un peu transformées.

[6] Le nom d'Italien n'a été employé que vers le IIe siècle av. J.-C.