HISTOIRE ROMAINE

 

LIVRE III — CHAPITRE TRENTIÈME QUATRIÈME

 

 

CARUS, ET SES DEUX FILS CARIN ET NUMÉRIEN (An de Rome 1035. — De Jésus-Christ 282)

UNE des qualités qui caractérisent les grands princes, c’est la sagesse et l’habileté de leur choix : ils confient les postes importants, non à ceux qui leur plaisent, mais à ceux qu’ils estiment ; ils veulent, non qu’on flatte leurs passions, mais qu’on serve leurs intérêts : Probus, comme Valérien, forma et plaça à la tête des légions un grand nombre d’habiles généraux, dont les plus distingués, Carus, Dioclétien, Maximien, Constance et Galère parvinrent successivement à l’empire.

L’armée d’Orient élut pour empereur Carus ; il punit les meurtriers de Probus, et informa le sénat de son élection. Sa lettre était plus fière que modeste : Vous devez, disait-il, pères conscrits approuver un choix qui tombe sur un membre de votre ordre ; votre conduite prouvera qu’on doit préférer les lois d’un habitant de Rome à celles d’un étranger.

Carus, né à Narbonne, méritait plus d’estime par ses talents que par son caractère. Le sénat hésita quelque temps à confirmer sa nomination ; il redoutait les vices de Carin son fils, jeune guerrier, brave, mais corrompu, débauché, cruel, et tellement vindicatif qu’il donna la mort à plusieurs de ses anciens compagnons d’études, parce qu’ils lai avaient disputé avec succès le prix dans les écoles publiques. Son frère Numérien, au contraire, se montrait humain, éclairé, modeste et digne de régner. Les exercices militaires, les plaidoyers, les harangues, l’étude des anciens, la poésie, furent ses premiers jeux et ses uniques occupations. On comparait ses vers à ceux de Némésien, le plus estimé des poètes de ce temps, et ses succès à la tribune lui avaient fait décerner par le sénat une statue portant une inscription qui lui donnait la palme de l’éloquence.

Après quelques débats on souscrivit au choix de l’armée. Carus marcha contre les Sarmates qui étaient entrés en Pannonie, les battit, en tua seize mille et leur fit vingt mille prisonniers. Après un court séjour à Rome, ayant confié à Carin le gouvernement des Gaules et de l’Espagne, il passa en Orient pour combattre les Perses, affaiblis alors par des divisions intestines. Ses succès furent rapides ; il prit Séleucie, Ctésiphon, et s’empara de la Mésopotamie. Le sénat lui décerna le nom de Persique : le roi de Perse lui envoya une ambassade pour obtenir la paix, et quelques historiens lui attribuent la réponse hautaine et menaçante que nous avons citée, comme faite aux ambassadeurs persans par Probus.

Carus prétendait pousser plus loin ses conquêtes, et se disposait à s’éloigner des bords du Tigre ; méprisant d’anciens oracles qui avaient désigné la ville de Ctésiphon comme une barrière que les dieux défendaient aux Romains de franchir. Carus y périt d’un coup de tonnerre, et sa mort donna plus de force à la superstition.

Une lettre écrite au préfet de Rome par Calpurnius, secrétaire de l’empereur, peut faire croire que Carus périt sous d’autres coups que sous ceux de la foudre : L’empereur écrivait, il était malade ; tout à coup un orage affreux éclate avec des éclairs si vifs, avec des coups de tonnerre si violents, que l’épouvante répandue dans l’armée, jetant tout en confusion, couvre d’un voile impénétrable les causes réelles de l’événement qui nous consterne. Après un grand éclat de foudre, on s’écrie que l’empereur est mort, et ses esclaves, dans leur désespoir, brûlent sa tente. On le dit frappé du tonnerre, mais il est plus vraisemblable qu’il a succombé à sa maladie.

Le vulgaire le crut en effet foudroyé ; mais Numérien son fils et l’historien Vopiscus attribuèrent sa mort à l’ambition d’Aper, préfet du prétoire, qui l’assassina dans l’espoir de lui succéder.

Le règne de Carus dura sept mois, et ne fit connaître que son courage.