SEPTIME SÉVÈRE (An de Rome 943. — De Jésus-Christ 190)LE peu de Romains qui méritaient encore le titre de citoyens ceux qui, constamment animés de l’amour de la patrie, s’occupaient plus de l’intérêt général que de l’intérêt privé, et bravaient les périls, les malheurs personnels, pour assurer la gloire et la liberté de l’état, se livraient à l’espérance. La mort de Julianus effaçait à leurs yeux la honte de son élévation, et ne pouvant ressusciter la république, ils auraient reçu, avec une égale joie, Sévère, Albin ou Niger, généraux formés par Marc-Aurèle, respectés par les armées, redoutés par les ennemis. Il était certain que chacun de ces illustres chefs relèverait l’honneur de Rome, et la vengerait de l’insolence de ces lâches prétoriens qui avaient assassiné un empereur vertueux, et vendu l’empire à un usurier ; mais tous ceux qui avaient appelé Niger par leurs vœux, ou favorisé les meurtriers de Pertinax, ainsi que la foule de ces hommes cupides, intrigants, débauchés et corrompus par la cour de Commode, craignaient les ressentiments de Sévère, dont ils connaissaient la violence et l’inflexibilité. Sévère était né à Leptis en Afrique ; on respectait l’ancienneté de sa famille : Geta, son père, avait été consul ; sa mère, Fulvia Pia, devait le jour à une famille consulaire. Sévère, distingué par Antonin, favorisé par Marc-Aurèle, parvenu successivement aux dignités de questeur, de tribun, de consul, et de proconsul, avait combattu avec gloire et administré avec fermeté en Afrique, en Asie, en Espagne et en Germanie. Mais partout il s’était fait plus craindre qu’aimer. On admirait l’étendue et la vivacité de son esprit, la promptitude de son coup d’œil, son activité dans les travaux, l’audace de ses entreprises, sa fermeté dans les revers, sa munificence pour ceux qui s’attachaient à sa fortune, et sa constance en amitié mais, d’un autre côté, jamais homme ne se montra plus fourbe, plus cupide, plus vindicatif, plus violent, plus cruel, plus implacable pour ses ennemis. Sa taille élevée, sa barbe épaisse et noire, si figure imposante, sa voix forte, inspiraient le respect. Il réunissait dans sa personne les grandes qualités de Trajan et les vices de Tibère. Les députés de Rome le trouvèrent à la tête de son armée : il les reçut avec pompe et défiance. Par son ordre, les prétoriens vinrent au-devant de lui dans le costume que l’usage les obligeait de porter au palais, en toge et sans armes. Il les fit envelopper par ses troupes, leur reprocha l’assassinat de l’empereur, la vente de l’empire, envoya au supplice ceux qui avaient pris part à la mort de Pertinax, et bannit tous les autres à perpétuité. Arrivé aux portes de la capitale, il descendit de cheval, quitta l’habit militaire, fit porter devant lui les drapeaux prétoriens renversés, et entra dans la ville à la tête de soixante mille hommes. Tous les sénateurs, tenant à la main des couronnes de laurier, précédaient sa marche, et le peuple l’entourait, revêtu de robes blanches, comme aux jours de fête. Lorsque l’empereur eut offert un sacrifice aux dieux, il rassembla le sénat, lui rendit compte de sa conduite, l’assura qu’il n’avait pris les armes que pour le délivrer de l’ignominieuse tyrannie des cohortes prétoriennes, promit de gouverner avec modération, et proposa un décret qui le déclarait lui-même ennemi de la patrie, dans le cas où il ôterait la vie à un seul sénateur. On éprouva bientôt que rien n’était plus illusoire qu’un pareil engagement sans garantie. Sévère forma une nouvelle garde prétorienne ; il la composa de soldats d’élite pris dans toutes les légions et dans tous les pays soumis à l’empire Il la porta au nombre de quarante mille hommes. Cette mesure qui donnait une grande émulation à l’armée, ainsi qu’aux provinces, acheva de détruire ce qui restait de liberté dans Rome, et d’esprit militaire en Italie. L’empereur fit célébrer avec pompe les funérailles de Pertinax, accorda de fortes gratifications aux armées, punit rigoureusement quelques gouverneurs concussionnaires, diminua les impôts, publia de sages règlements pour entretenir l’abondance dans Rome, et maria ses filles à deux sénateurs estimés, Alius et Probus, qu’il nomma consuls. Après avoir ainsi consacré, tout au plus un mois aux soins intérieurs du gouvernement, il partit pour combattre en Orient son compétiteur Niger. Réunissant de grandes forces pour vaincre un tel rival, il ne se permit aucune déclamation contre lui, sachant trop que les douces vertus de Niger lui donnaient un grand nombre de partisans dans le sénat et dans le peuple. Comme il voulait se mettre à l’abri d’une diversion redoutable dans le Nord, avant son départ il s’efforça de tromper Albin par de perfides protestations d’amitié, le fit déclarer César par le sénat, le désigna consul, et ordonna, par un décret, de lui ériger des statues et de frapper des médailles en son honneur. Niger n’avait pas prévu la rapidité de Sévère : appelé
au trône par les vœux du peuple romain, et par ceux de tout l’Orient, égal à
son compétiteur en talents militaires, il lui était supérieur en vertus. On
Pavait toujours vu dofiX, l tim3iu, désintéressé. Rome le désirait avec
raison ; nul n’était plus digne que lui d’occuper la place d’Antonin et de
Marc-Aurèle. A la nouvelle de l’arrivée de Sévère dans Rome, Niger, sortant d’un
repos trop longtemps prolongé ; rassembla une forte armée, garnit les
passages de Émilien, proconsul d’Asie, et qui avait embrassé le parti
de Niger, s’avança pour défendre Byzance, dont l’empereur Sévère forma le
siège. Ce prince envoya une partie de son armée contre Émilien, sous les
ordres de Candide. Les troupes d’Asie étaient nombreuses ; mais, nées dans un
climat qui amollit toujours les hommes, elles furent constamment inférieures
en force et en courage aux légions de Émilien, battu, fut pris et tué près de Cyzique. Candide attaqua ensuite l’armée de Niger : le combat fut long et sanglant ; mais enfin Niger, vaincu, se vit contraint de fuir au-delà du mont Taurus. Sévère lui offrit une retraite honorable et la vie, s’il voulait cesser de prétendre à l’empire. Niger hésita ; il aurait accepté s’il n’eût consulté que ses penchants ; mais, cédant à l’ambition de ses amis, il rompit la négociation. L’armée de Sévère fit de vains efforts pour franchir le mont Taurus ; elle ne put forcer les retranchements inattaquables, construits dans ces défilés par Niger. Valérien et Annullin, généraux de l’empereur, étaient près de renoncer à une attaque inutile, lorsque tout à coup un affreux orage, versant l’eau par torrents, renversa ces remparts jusque-là inexpugnables. L’armée impériale, traversant alors le défilé sans obstacles, y continua sa route jusqu’aux portes de Cilicie, près d’Issus, lieu fameux par la victoire d’Alexandre le Grand. Niger s’y trouvait avec toutes ses forces, il livra à ses ennemis une bataille décisive. Son intrépidité, son exemple et l’habileté de ses manœuvres semblaient décider pour lui la victoire, lorsque soudain un tourbillon de vent et de grêle, frappant le visage de ses soldats, les remplit d’épouvante. En vain il s’efforça de les rallier, leur retraite se changea promptement en déroute ; on en fit un horrible carnage. Vingt mille hommes y périrent. Antioche, effrayée, n’opposa aucune résistance aux vainqueurs ; et Niger, qui voulait se réfugier chez les Parthes, fut atteint dans sa fuité et tué. On porta sa tête à Sévère, qui la fit jeter dans Byzance pour effrayer la garnison. Sévère abusa cruellement de sa victoire : il bannit tous les sénateurs soupçonnés d’avoir favorisé Niger, et fit tuer presque tous les officiers de l’armée de son rival. Un d’eux, Cassius Clemens, dut son salut à sa fermeté. Au moment de mourir, il dit à Sévère : Votre but et le mien étaient le même ; je voulais délivrer Rome, et faire descendre du trône l’infâme vieillard qui l’avait acheté. Vous n’avez pas plus de droits à l’empire que Niger. En condamnant ceux qui ont embrassé sa cause, vous condamnez ceux qui servent la vôtre. L’empereur lui accorda sa grâce ; mais il exila, tua tous les parents de Niger ; confisqua leurs biens, et, plaça cependant dans Rome une inscription qui rappelait les exploits de ce général. Je veux, dit-il, conserver le nom du vaincu pour consacrer la gloire du vainqueur. L’effroi qu’inspirait Sévère détermina une foule de
soldats romains à passer chez les Parthes. Cette émigration fortifia, éclaira
les anciens ennemis de Rome, et les rendit plus redoutables. L’empereur se
montra aussi libéral pour ses troupes que cruel pour ses ennemis. Après les
avoir magnifiquement récompensées, il les conduisît contre les Parthes,
remporta plusieurs victoires, et conclut enfin une paix honorable. Tandis qu’il
soumettait ainsi le reste de l’Asie à son obéissance, un seul homme brava son
pouvoir dans l’Orient. Claudius, chef de brigands, ravageait Byzance résistait toujours. Cette ville qui devait un jour devenir la rivale de Rome, se rendit alors célèbre par le courage opiniâtre de ses habitants. Ils triomphèrent, pendant trois années, de tous les efforts des assiégeants. Après avoir épuisé toutes leurs munitions, ils brisaient leurs vases précieux et leurs statues, et, du haut des remparts, les lançaient sur la tête de leurs ennemis. Enfin l’empereur, les ayant réduits à la plus affreuse disette, prit la ville d’assaut, la livra au pillage, et la rasa. Priscus, qui, déployant les talents d’Archimède, avait prolongé la défense de cette cité par ses ingénieuses machines, fut presque seul épargné. Sa mort aurait flétri l’empereur ; sa vie pouvait lui être utile, et l’intérêt dirigeait toutes les actions de Sévére. Tandis que cette guerre occupait ses forces, plusieurs
sénateurs, craignant sa vengeance avaient écrit à Albin, pour l’engager à s’emparer
de Rome et de l’empire. Ce général peu content du titre de César, était trop
ambitieux et trop semblable à Sévère pour rester soumis et fidèle. Certain du
dévouement des légions de Bretagne, il travaillait à soulever les Gaules en
sa faveur. L’empereur, moins sincère encore que lui, le flattait pour l’endormir
; mais, il était décidé à le perdre, afin de transmettre le pouvoir suprême à
ses propres fils. Continuant à masquer ses desseins, il écrivît à Albin des lettres
remplies de protestations d’amitié ; et les lui envoya par des émissaires qu’il
avait chargés de le poignarder ou de l’empoisonner. Leur complot fut
découvert ; Albin ordonna leur supplice, entra à la tête de ses légions dans Les deux Césars s’accusèrent mutuellement, et avec raison, l’un d’assassinat, l’autre de révolte et d’ingratitude. Sévère désigna pour son successeur son fils Bassianus Caracalla, qui prit le titre de César ; et les noms de Marc-Aurèle Antonin. L’empereur voulait que le sénat déclarât Albin ennemi de la patrie ; mais l’incertitude du résultat de cette lutte sanglante entre deux rivaux également vindicatifs et redoutables, empêcha ce corps, toujours tremblant et si souvent victime, de prendre une décision unanime. Les plus timides, qui détermine toujours le danger le plus prochain, obéirent à l’empereur. Les plus imprudents résistèrent ouvertement ; le reste, dont une longue habitude de révolution avait mûri l’expérience, demeura neutre. L’historien Dion Cassius fut de ce nombre. Albin poussa vivement la guerre dans les Gaules et y fit de grands progrès. On vît à cette époque un homme obscur jouer un rôle étrange. Numérien, maître d’école, se faisant passer pour sénateur, leva un corps de troupes gauloises, battit en plusieurs rencontres celles d’Albin, leva des contributions, envoya des sommes considérables à Sévère, contribua par sa vaillance à ses succès ; et lorsque la guerre fut terminée, dégoûté des grands, des combats et de l’ambition, il ne voulut d’aucune dignité ni d’aucune récompense, et rentra paisiblement dans son humble hameau. Albin, ardent, impétueux, et qui citait toujours, ce vers de Virgile, Furieux, je saisis mes armes, pour rappeler que la fureur le guidait plutôt que la raison,
conquit en peu de temps la plus grande partie de Sévère, alarmé de ces progrès, après avoir fortifié
prudemment le passage des Alpes, marcha contre son rival à la tête de toutes ses
forces. Ils se livrèrent une grande bataille entre le Rhône et La femme, les enfants, et tous les partisans d’Albin qu’on put saisir, furent égorgés ; tous les soldats des légions vaincues qui échappèrent à la mort, se sauvèrent en Germanie, portèrent dans les forêts leur haine, leurs armes, leurs lumières, leur tactique ; ils éclairèrent, ils disciplinèrent les barbares, et préparèrent ainsi la ruine de l’empire. Un officier gaulois, pris et condamné, voulut parler à Sévère : Si vous aviez été vaincu, lui dit-il, que demanderiez-vous au vainqueur, et que feriez-vous à ma place ? — Je garderais le silence, répondit l’empereur, et je souffrirais ce que tu vas souffrir. Il le fit périr sans pitié. Quelques lâches délateurs, lui ayant remis les papiers d’Albin, il connut tous les partisans que son rival s’était ménagés parmi les sénateurs. L’officier chargé de ces lettres pour le sénat, montrant à cette compagnie consternée la lettre d’Albin, lut à haute voix ces paroles de l’empereur : Ce présent vous fait connaître ma colère et vous annonce ma vengeance. Sévère rentra en Italie et dans Rome, à la tête de son armée. Ayant convoqué les sénateurs, il reprocha aux uns leur perfidie, aux autres leur lâcheté : Vous vous plaignez, dit-il, de ma rigueur, lorsque vous êtes dignes de tous les supplices : la douceur vous rend factieux ; la bonté ne peut attendre de vous que des trahisons. Insolents contre la faiblesse, tremblants aux pieds de la force, on ne peut vous gouverner que par la terreur ; Marius et Sylla vous connaissaient bien ; leurs proscriptions justes ont seules affermi leur pouvoir ; César a voulu se montrer clément, il est tombé sous vos poignards. Il vous sied bien de flétrir la mémoire de Commode, vous, qui avez acheté ses dépouilles, ses esclaves, ses courtisans ; vous qui avez tous ses vices, et aucune de ses qualités ; vous qui laissiez tout à l’heure impuni l’assassinat d’un vaillant empereur, et qui prodiguiez lâchement vos hommages au vil acheteur de l’empire. C’est parce que Commode vous a traités comme vous deviez l’être, qu’il mérite à mon avis l’apothéose ; j’ordonne donc qu’on lui décerne les honneurs divins. Après avoir ainsi répandu l’épouvante par ses paroles, au mépris de ses serments, il mit en jugement cinquante-sept sénateurs, ordonna la mort de vingt-deux, et fit grâce à trente-cinq. Apprenant alors que les Parthes et l’Arménie s’étaient de nouveau soulevés, il partit pour l’Orient. Barsème, roi d’Arménie, apaisa son ressentiment par sa soumission. Les Parthes, après de vains efforts, revenant à leur ancienne politique, pensèrent qu’il fallait laisser ce torrent s’écouler. Ils ne combattirent contre lui qu’en fuyant. Sévère porta ses armes, comme Trajan, au-delà de Babylone et de Ctésiphon, et, comme lui, il échoua deux fois devant Atra, ville défendue par sa positon et par le courage indomptable des Arabes. L’empereur se montra aussi cruel en Asie qu’à Rome. Tous ceux qui avaient pris part à la rébellion périrent. Caracalla, dévoilant déjà son affreux caractère, voulait qu’on proscrivît aussi les enfants des condamnés ; Geta, son frère, plus humain, demanda s’ils avaient beaucoup de parents : Un grand nombre, répondit-on : Vous voulez donc, répliqua-t-il, qu’une foule d’hommes détestent notre nom et notre victoire. L’empereur, après avoir pacifié Sévère, voyageant ensuite en Égypte, rendit de grands honneurs aux mânes de Pompée et du héros macédonien. Il admira les merveilles de cette antique contrée, visita ses temples, et en retira tous les livres sacrés qu’il fit enfermer dans le tombeau d’Alexandre. Il revînt enfin à Rome jouir d’une gloire méritée par tant d’exploits, mais souillée par tant de crimes et de sang. Ce prince si fier, et qui répandait l’effroi dans un l’empire, se laissait lui-même dominer par son favori. Plautien, semblable à Séjan par son ambition, par sa cruauté, par son orgueil, porta l’insolence au point d’ordonner à tous les Romains de baisser les yeux lorsqu’ils se trouvaient sur son passage. Fier de la faveur, de son maître, il ne ménageait personne, et traitait même avec mépris l’impératrice Julie et Geta. Sa fille Plautille épousa Caracalla : dès ce moment l’orgueilleux ministre crut plus voir d’intervalle entre le trône été lui : loin de modérer les passions de l’empereur, il les rendit plus ardentes et l’encourageait à la cruauté, soit dans le dessein de lui plaire, soit avec l’espoir de le rendre odieux et de le renverser. Par ses conseils, une foule de chrétiens, de chevaliers et de sénateurs furent envoyés au supplice. Ce fut à cette époque que Tertullien osa publier son éloquente apologie du christianisme : il y prouvait avec évidence que les chrétiens, soumis au prince et aux lois, étaient obligés par leur culte même à remplir tous les devoirs de citoyens que leurs mœurs étaient aussi douces que pures, et que d’ailleurs aucune, violence ne pouvait triompher d’une religion vraie, dont la persécution ne faisait qu’accroître les progrès : Nous remplissons déjà, dit-il, vos camps, votre sénat, vos cités, vos champs, vos palais, vos maisons, et nous ne vous laissons que vos temples et vos théâtres. Le succès répondit à son attente ; la raison l’emporta sur l’injustice ; et, si la persécution ne cessa pas totalement, au moins elle se ralentit. Caracalla, éclairé par sa jalousie contre Plautien, son beau-père, et plus capable peut-être qu’un autre de pénétrer les secrets d’un caractère semblable au sien, découvrit que ce ministre ingrat conspirait contre le pouvoir et contre les jours de son maître. Saturnin, tribun des prétoriens, gagné par le prince, feignit d’entrer dans les projets de Plautien, et, après avoir concerté avec lui tous les moyens de consommer son crime, il accourt un soir à son palais, lui apprend que ses vœux sont remplis, et, que toute la famille impériale vient d’être égorgée. Plautien, enivré d’orgueil et de joie, se rend précipitamment dans l’appartement impérial, impatient de monter sur le trône ; mais il y trouve l’empereur et ses fils, environnés de leurs officiers. A sa vue, Sévère, encore entraîné par son ancien penchant, se montrait disposé à écouter sa justification ; mais l’impétueux Caracalla, sans lui laisser le temps de prendre la parole, se jette sur lui, le désarme, et le fait massacrer aux pieds de son père. L’empereur rendit compte de cet événement au sénat, déplora le malheur des princes qui ne peuvent trouver d’amis, et attribua aux perfides conseils de son ministre toutes les rigueurs qu’il avait exercées. Mais la suite de sa vie démentit cette illusoire justification. Au reste, depuis le règne de Commode et de Julianus, tel était le malheur de Rome ; la vertu ne pouvait y régner, et, dans ce temps où les grands prétendaient tous au trône, où les plus riches osaient l’acheter, lorsque le soldat ôtait et donnait la couronne, quand le sénat et le peuple, sans force et sans mœurs, encensaient la puissance, outrageaient le malheur, l’empire ne devait plus être gouverné que par des tyrans. Sévère contenait les grands par la crainte des supplices, s’attachait l’armée par des largesses et par le relâchement de la discipline ; il se faisait chérir du peuple en adoucissant les impôts, et en donnant aux Romains des fêtes et des spectacles magnifiques. Les dépouilles des vaincus et les confiscations des condamnés, non seulement fournirent suffisamment à ses dépenses, mais elles lui permirent même de former un trésor plus riche que n’en avait possédé aucun de ses prédécesseurs. La vie de Sévère était active et régulière ; il
travaillait la plus grande partie de la nuit, donnait des audiences, et
assistait aux tribunaux jusqu’à La terreur de son nom contenait l’empire dans la soumission, et les étrangers dans le respect : une nouvelle d’une révolte des Calédoniens troubla seule ce repos triste mais universel. Quoique la goutte eût épuisé les forces de son corps, son esprit
conservait l’ardeur et l’impétuosité de la jeunesse. Il quitta Rome, malgré
ses infirmités, et partit pour Sévère pour mettre Caracalla se jeta à ses pieds avec une feinte douleur, mais plus déconcerté que repentant. Peu de jours après, ses émissaires excitent une révolte dans les légions, qui déclarent que Sévère, accablé de goutte et tombé dans l’imbécillité, ne pouvant plus les commander, Caracalla doit seul exercer le pouvoir suprême. On porte cette nouvelle à l’empereur, la colère semble lui rendre sa jeunesse et sa vigueur ; il se fait conduire à son tribunal, convoque les légions ; le feu de ses regards, la fierté de ses paroles, consternent les rebelles ; les armes tombent de leurs mains ; il ordonne le supplice de leurs chefs ; on tranche leurs têtes : portant ensuite la main à son front, il dit à Caracalla : Apprenez, que c’est la tête qui gouverne, et non les pieds. On croit qu’il fut tenté de faire mourir son indigne fils ; mais la nature l’emporta sur la justice. Ce monstre voulait empoisonner son père ; mais les médecins dont il essaya de corrompre la fidélité refusèrent avec indignation de lui obéir. Les derniers efforts de l’empereur avaient aigri sa maladie ; sentant sa mort prochaine et inévitable il dit : J’ai été tout, et je sens que tout n’est rien. Comme on lui apportait, conformément à ses ordres, l’urne destinée à recevoir ses cendres, il ajouta : Ce vase étroit va donc renfermer celui que le monde entier pouvait à peine contenir. Appelant ensuite ses fils il leur adressa ces paroles : J’ai trouvé l’empire sur le bord de sa ruine ; je vous le laisse puissant et glorieux. Il durera si vous vous laissez gouverner par la vertu ; il périra si vos vices vous gouvernent. Bientôt, ses douleurs épuisant son courage, il demanda du poison ; et comme on le lui refusait, décidé à hâter sa vie, il se fit apprêter un repas, mangea avec excès, et mourut dans la soixante-sixième année de son âge, après, dix-huit ans de règne. Ses talents et ses vices prouvent qu’il restait encore, à cette époque, quelque chose de grand et de romain dans les crimes, comme dans les vertus ; mais bientôt nous verrons la vieillesse de cet empire colossal montrer tous les symptômes de la langueur, de la décrépitude et de la mort., Sévère termina sa vie et son règne à Yorck. An de Rome 960, de Jésus-Christ 207. Il avait cultivé les lettres, et écrit une histoire de sa vie, dont Victor vantait le style et la franchise. |