HISTOIRE ROMAINE

 

LIVRE II — CHAPITRE TREIZIÈME

 

 

CAÏUS CALIGULA (An de Rome 790. — Jésus-Christ 37)

TOUS les princes de la famille de Tibère étaient morts ; la plupart avaient péri victimes des soupçons de ce vieillard cruel, de la cupidité des délateurs, et de l’ambition de Séjan : Caligula, âgé de vingt ans lorsque l’empereur l’appela près de lui, sut échapper par sa dissimulation aux périls qui le menaçaient dans cette cour orageuse. Cachant avec soin les ressentiments que lui inspiraient les malheurs de sa famille, il montra dans sa jeunesse les mérites d’un vieux courtisan, parut docile, soumis, dévoué, flatta les passions du prince, les caprices des favoris, et l’on dit de lui avec raison, qu’on n’avait jamais vu de meilleur esclave et de plus mauvais maître. Il trouvait dans la cour de Tibère des plaisirs conformes à ses penchants, assistait avec empressement au supplice des condamnés, et se déguisait la nuit pour parcourir les lieux de prostitution.

Le jeune Tibère, fils de Drusus et petit-fils de l’empereur, semblait devoir lui fermer le chemin du trône ; Caligula, pour s’en approcher, séduisit la femme de Macron, préfet du palais, et lui promit de partager son pouvoir avec elle s’il régnait.

L’empereur, dans son testament, le nomma seulement cohéritier de son petit-fils. Lorsque ce prince était mourant, Caligula voulût lui arracher son anneau ; le vieillard expirant ouvrît des yeux et se défendit ; mais Caligula et Macron se jetèrent sur lui et l’étouffèrent. Ces crimes, ensevelis dans l’enceinte presque impénétrable de la cour de Caprée, ne furent connus que dans la suite.

Le nom sacré de Germanicus protégea son fils ; le peuple espérait voir revivre en lui les vertus de ce grand homme, et les soldats le chérissaient comme leur nourrisson. Les vœux unanimes du sénat, des patriciens, des chevaliers, des plébéiens et des légions le portèrent au trône.

La mort de Tibère et l’avènement de Caïus à l’empire excitèrent une joie universelle : toutes les villes rendirent aux dieux de solennelles actions de grâces ; on leur sacrifia cent soixante mille victimes, présage funeste de celles que la tyrannie devait bientôt immoler.

Tous les citoyens de Rome vinrent en foule au-devant, de C. Caligula ; il parut au sénat, prononça l’éloge de Tibère, et accrut, par une feinte modestie, l’empressement qu’on lui montrait déjà pour l’élever au pouvoir suprême. Soit qu’un faible souvenir des leçons de Germanicus et d’Agrippine émût son âme dans les premiers instants, soit que son caractère féroce fût quelque temps amolli par l’amour d’un grand peuple lui exprimait si vivement, soit enfin qu’il eût résolu de mettre d’abord en pratique cet art profond de la dissimulation qu’il  avait étudié à  Caprée, il ne montra dans les premiers moments de son règne que des vertus.

Après avoir célébré les obsèques de Tibère, le nouvel empereur se rendit à l’île de Pandataire, y recueillit les cendres de ses frères et de ses sœurs ; et revint les déposer à Rome dans un magnifique tombeau. Les délateurs s’étaient empressés de lui dénoncer tous ceux qui s’étaient autrefois montrés ennemis de sa famille ; il fit brûler toutes leurs dépositions sans les lire. On lui transmit les détails d’une conjuration tramée contré lui ; il refusa d’y croire, disant qu’il n’avait rien fait qui pût mériter la haine.

Le testament de Tibère était cassé par le sénat, et Caïus cependant en exécuta religieusement toutes les dispositions. Par son ordre, les exilés revinrent dans leur patrie et recouvrèrent leurs biens. Il rendit aux princes étrangers lés états que leur avait enlevés Tibère : Antiochus, roi de Commagène, avec la restitution de son royaume, reçut quatorze millions d’indemnités. Caligula fit donner quatre-vingt mille sesterces à une affranchie ; cette femme courageuse avait supporté les tourments de la question sans vouloir révéler le secret de son maître.

Joignant la sévérité à la douceur, l’empereur punit les gouverneurs concussionnaires et corrompus, exila dans les Gaules Ponce Pilate, fit une réforme salutaire dans l’ordre des chevaliers, chassa de Rome les femmes les plus déréglées, et rendit leur ancienne force aux lois d’Auguste tombées en désuétude : en même temps il promit au peuple de lui laisser élire ses magistrats ; enfin, loin de paraître jaloux du jeune Tibère, son co-héritier, il le nomma prince de la jeunesse. Ainsi, le commencement du règne de ce tyran farouche n’annonça que celui d’un monarque sage, doux et vertueux ; et les honneurs qu’on lui décernait alors lui furent accordés, non par l’adulation, mais par la reconnaissance.

Le sénat ordonna qu’une fois par an le collège des prêtres suivi de tous les corps de l’état, porterait au Capitole un bouclier d’or, où serait gravée l’image de Caïus ; et, on donna au jour de son avènement le nom de Pubitia, pour faire entendre que cette époque était celle du rajeunissement de Rome.

Toutes ces espérances ne tardèrent pas à s’évanouir. Caligula ne put se contraindre longtemps à feindre des vertus étrangères à son âme. Au bout de huit mois son voile tomba ; le tyran parut, et le reste de son règne ne fut plus qu’un tissu d’injustices, d’atrocités et de démence qu’il est aussi honteux qu’affligeant de rapporter, et qui forcent l’histoire à prendre le langage et les traits de la satire.

L’orgueil, le premier vice que manifesta Caïus, fut la source de tous les autres. Il s’arrogea le titre de seigneur que tous les Césars avaient refusé. Lorsque les souverains étrangers voulaient le prendre pour arbitre de leurs différends, il répondait par ce vers d’Homère : Un roi suffit à l’univers.

Peu content de prendre le nom de maître des rois, il osa s’attribuer ceux d’Optimus et de Maximus qui n’appartenaient qu’à Jupiter. Prétendant qu’on ne pouvait pas plus l’assimiler au reste des hommes, qu’un berger aux animaux qui lui étaient soumis, il s’asseyait dans les temples entre les images de Castor et de Pollux, se faisait adorer sous le nom de Jupiter Latialis, et prenait alternativement le costume de ce dieu, de Bacchus, d’Apollon, ou même celui de Diane et de Vénus. On lui éleva, dans la capitale, un temple : sur l’autel brillait sa statue en or, elle était chaque jour revêtue de l’habit que l’empereur portait. Ce qui paraît encore plus incroyable que cette démence, c’est qu’une telle idole trouva des ministres et des adorateurs : à la honte de l’humanité, on vit les plus illustres Romains briguer avec plus d’ardeur le sacerdoce de ce temple que le consulat, et sacrifier à cette bizarre divinité les paons, les faisans et des oiseaux les plus rares d’Asie. Caligula, joignant la folie au sacrilège, associa sa femme et son cheval au collège de ses prêtres. Ce cheval, nommé Incitatus, et qu’il estimait plus que les hommes, fut, dit-on, un jour désigné pour le consulat.

Bravant les dieux comme les mortels il fit fabriquer une machine au moyen de laquelle il imitait le bruit du tonnerre, et lançait des pierres contre le ciel, en s’écriant : Jupiter extermine-moi, ou je t’exterminerai.

Il voulait qu’on le crût l’amant de Diane, et prétendait avoir des entretiens secrets avec cette déesse. Cet insensé, honteux de descendre d’Agrippa, plébéien qui ne devait sa gloire qu’à son mérite, publia que sa mère Agrippine était liée de l’inceste d’Auguste avec Julie, préférant ainsi une origine criminelle à une naissance plébéienne.

Jaloux de toute renommée, il enleva aux plus nobles familles les symboles de gloire de leurs ancêtres ; le collier aux Torquatus, le flocon de cheveux aux Cincinnatus, le titre, de grand aux descendants de Pompée, et fit même périr un des derniers rejetons de cette famille. Enfin, sans respect pour la mémoire du fondateur de l’empire, il défendit qu’on célébrât la victoire d’Actium, trop funeste, disait-il, à la république.

La gloire littéraire n’était pas plus sacrée pour lui ; méprisant Homère, Virgile et Tite-Live, il voulait qu’on les regardât comme des rêveurs sans raison et des parleurs sans esprit.

Se croyant au-dessus de toutes les lois comme au-dessus de tous les hommes ; il forçait les dames romaines à sacrifier leur pudeur à ses caprices. Ses propres sœurs furent les premières victimes de son impudicité. Après les avoir déshonorées, il prostitua Livie et Agrippine à ses compagnons de débauche ; et il épousa la troisième, nommée Drusille, qu’il aimait passionnément. Il l’institua héritière de l’empire et il osa la placer au rang des dieux. Lorsque la mort de Drusille mit fin à cet amour incestueux, sa fureur barbare et capricieuse fit périr également ceux qui portèrent le deuil d’une immortelle, et ceux qui ne prirent pas celui d’une impératrice.

Invité aux noces de Pison, et frappé des charmes de Livia Orestilla, au milieu du festin il défendit au mari de parler à sa femme, lui déclarant qu’elle devenait dès cet instant l’épouse de César. Il enleva de même Lollia Paulina à Caïus Memmius qui commandait une de ses armées. Cézonie lui succéda : cette femme, quoiqu’elle ne fût plus jeune, avait probablement des vices qui parurent des charmes à Caligula. Elle prit et conserva un empire absolu sur son cœur. Il la montrait aux troupes, sous le costume de Minerve, et chargea, dit-on, cette divinité d’élever la fille qu’il en eut et qu’on nommait Julie ; il prétendait n’avoir aucun doute sur la naissance de cette fille, parce qu’elle lui ressemblait, montrait dès le berceau son penchant à la cruauté, et déchirait les yeux des enfants qui jouaient avec elle.

Il croyait prouver la grandeur de son pouvoir par l’excès de ses dépenses : ses prodigalités n’avaient ni motifs ni bornes ; il servait à ses convives de l’or et des perles, jetait au peuple, du haut d’une tour, des monceaux d’argent, construisait des vaisseaux de cèdre, dont les voiles et les cordages, étaient de soie, la poupe dorée et enrichie de pierreries. Par ses ordres, on bâtit des tours dans la mer, on aplanit des montagnes, on éleva des coteaux dans les vallées. Ayant, rassemblé une immense quantité de vaisseaux, il les attacha l’un à l’autre par des madriers, et en construisit sur la mer un pont qui allait de Baïes à Putéole. On couvrit ce pont de terre, on y planta des arbres, on y éleva des maisons ; et l’empereur, vêtu d’une robe d’or brodée de perles, la hache dans une main, le bouclier dans l’autre, et la couronne sur la tête, traversa le pont en triomphateur, suivi de tous les grands de l’empire. Le lendemain, ayant invité le peuple à venir admirer cette merveille, il fit jeter impitoyablement dans la mer tous ceux qui étaient montés sur le pont. On prétend qu’il ne fit cette extravagante entreprise que pour se moquer de l’astrologue Thrasille, qui avait dit, pendant le règne de Tibère, qu’il serait aussi difficile à Caïus de parvenir à l’empire que de courir à cheval dans la baie de Putéole.

Caligula dissipa en peu de temps par ses folles dépenses cent trente millions que lui avait laissés Tibère. Le besoin d’argent est un des plus grands aiguillons de la tyrannie : pour remplir le vide du trésor, les mauvais princes remplissent les prisons de prétendus coupables : quand les impôts ne peuvent suffire, les confiscations les remplacent, et l’opulence devient un crime d’état. Caligula employa d’abord pour satisfaire sa cupidité toutes les ressources de la fiscalité ; il écrasa le peuple de tributs, vendit la justice, força les commerçants de lui céder la plus grande part de leurs bénéfices, et partagea même ceux des artisans et des porte-faix. Après avoir forcé tous les citoyens à lui donner des étrennes qu’il recevait lui-même, il établit dans son propre palais des jeux et des lieux de débauche, dont il percevait le profit. Bientôt les délations les accusations et les condamnations arbitraires menacèrent la vie et la fortune de tous les Romains.

Quelques-uns crurent se mettre à l’abri du péril en instituant Caïus leur héritier ; le tyran les fit empoisonner pour jouir plus promptement de la succession. Un jour, après le festin, quittant le jeu, il fit arrêter dans la cour de son palais deux riches patriciens, donna l’ordre de les tuer, et, retrouvant ses convives, il leur dit : Votre jeu est trop petit pour moi, je viens de jouer ailleurs, et de gagner en un instant six cent mille sesterces.

Dès qu’il eut commencé à verser du sang, il en devint insatiable : ses arrêts semblaient plus atroces encore par la frivolité des prétextes dont il les couvrait. Il fit mourir le jeune Tibère, parce qu’il le trouvait trop efféminé et trop parfumé. Ptolémée, son parent, reçut la mort parce qu’il descendait de Marc-Antoine. Silanus périt pour avoir refusé de l’accompagner sur mer, étant malade ; il ordonna le supplice de Macron, parce qu’il lui avait trop d’obligations, et ne pouvait supporter le fardeau de la reconnaissance.

Claude, son oncle, trouva seul grâce à ses yeux ; son imbécillité l’amusait. Voyant un matin les premières places prises au Cirque, il fit chasser à coups de bâton ceux qui les occupaient ; vingt chevaliers et plusieurs dames distinguées périrent dans ce tumulte. Les accusés qui remplissaient les prisons servirent, par son ordre, de nourriture aux bêtes sauvages. Un chevalier romain, condamné à combattre contre ces animaux, s’écria qu’il était innocent : l’empereur l’appela près de lui, lui fit couper la langue, et le renvoya sur l’arène. Il portait son mépris pour les hommes au point de forcer les sénateurs à courir en toge devant son char. Un jour, dînant entre les deux consuls, il se mit à rire immodérément ; et comme ils lui en demandaient la raison, il répondit : Je pensais que d’un signe je peux vous faire couper la tête, si je le veux.

Son aïeule Antonia l’avertit qu’il excitait contre lui la haine générale ; il lui imposa silence, en lui disant : Souvenez-vous qu’aucune personne et aucune loi ne sont au-dessus de ma volonté. Il persécuta tellement cette princesse infortunée, qu’elle fut obligée de se donner la mort. Féroce jusque dans ses amours, il dit à Cézonie qu’il avait été souvent tenté de lui faire subir la question pour savoir par quel artifice elle le captivait. On prétend qu’un philtre, que cette femme croyait propre à augmenter l’amour de Caligula, avait altéré sa raison ; enfin, pour mettre le comble à son délire, dans un accès de colère contre les Romains, il souhaita que le peuple n’eût qu’une seule tête, pour pouvoir la trancher d’un seul coup. Les Romains durent sentir alors qu’une nation qui cède le pouvoir absolu à un homme, lui donne le droit de tout oser, et s’impose la nécessité de tout souffrir.

On conçoit difficilement par quelle illusion Rome ainsi dégradée pouvait inspirer encore assez de respect aux nations étrangères pour les empêcher de prendre les armes, et de secouer un joug autrefois pesant désormais honteux ; mais la corruption des mœurs n’avait pas détruit encore la discipline ; les Romains, privés de toutes leurs autres vertus, gardaient pourtant leur courage ; citoyens méprisés, mais, soldats redoutables, on craignait toujours leurs armes. La tranquillité régnait clans tout l’empire ; cependant on crut qu’elle allait être troublée, lorsque, au sein de la plus profonde paix, l’empereur déclara tout à coup qu’il partait pour combattre les Germains et les Bretons.

Il rassemble à la hâte ses légions, lève de nouvelles troupes, et marche si précipitamment que les cohortes prétoriennes ont peine à le suivre. Arrivé aux extrémités de la Gaule, il borne ses exploits à recevoir avec éclat dans son camp, Adminius, fils du roi des Bretons, qui fuyait le courroux de son père, et informé le sénat de cet événement comme d’une conquête. Se portant ensuite sur le Rhin, il ordonne à une troupe de Germains de sa garde de passer le fleuve, de se cacher dans un bois voisin, et de crier aux armes, comme s’ils voyaient l’ennemi. Ils obéissent ; l’empereur, averti parleurs cris, s’avance avec quelques escadrons, s’enfonce dans le bois, y reste assez de temps pour faire croire qu’il s’y est battu, et rentre en vainqueur dans son camp, à la tête de ses soldats qui portaient des couronnes de chêne.

Quelques jours après, ayant fait évader secrètement des otages, il courut à leur poursuite, les ramena enchaînés, et écrivit au sénat pour lui reprocher de languir dans l’oisiveté ; tandis que le chef de l’empire s’exposait chaque jour à de si grands périls. Revenu sur les côtes des Bataves, il rangea ses troupes en bataille au bord de la mer, fit sonner la charge, et commanda aux soldats de remplir leurs casques de coquillages qu’il appela les dépouilles de l’Océan conquis. On éleva dans ce lieu une tour pour servir de monument à ses triomphes.

Avant de quitter l’armée, un nouveau délire s’empara de son esprit ; il voulut faire massacrer les légions qui s’étaient autrefois révoltées contre Germanicus son père ; et l’on obtint, avec beaucoup de peine, qu’il se contentât de les décimer. Les victimes désignées parurent devant lui, il les fit envelopper par la cavalerie et les harangua ; mais comme il s’aperçut que plusieurs de ces malheureux s’échappaient et couraient aux armes, la terreur le saisit, et il s’enfuit honteusement. Reprenant la route d’Italie, il écrivit des lettres menaçantes au sénat. Ce corps autrefois, la terreur des rois, et tremblant maintenant aux pieds d’un insensé, lui envoya des ambassadeurs pour le conjurer de remplir les vœux du peuple, et de venir promptement à Rome ; il répondit, en portant la main sur son glaive : J’irai, et celui-ci m’accompagnera. Bientôt il annonça par un édit que le désir ‘de revoir les chevaliers et le peuple était le motif de son retour ; mais qu’il ne se conduirait à l’égard du sénat ni en prince ni en citoyen : Les sénateurs eurent défense de venir au-devant de lui ; et comme il ne voulait pas avoir recours, suivant la forme, à leur suffrage, il renonça au triomphe et se contenta de l’ovation.

Le retour de ce furieux menaçait le sénat d’une destruction totale ; ce corps, par une bassesse aussi atroce que lâche, apaisa momentanément le courroux du tyran : son ministre Protogène parut dans l’assemblée pour lui porter les ordres de son maître ; tous les sénateurs le saluèrent avec la soumission dont une longue tyrannie avait fait contracter l’habitude. Scribonius Proculus, surpassant les autres en adulation, Protogène lui dit insolemment : Pourquoi affectez-vous de me témoigner plus de respect que vos collègues, vous qui êtes un ennemi de l’empereur ? A ces mots, tous les membres du sénat, quittant leurs places ; se mettent sur Scribonius et le mettent en pièces. De tels hommes méritaient un maître comme Caligula.

Ce monstre devenait de jour en jour plus féroce ; irrité par la haine qu’il inspirait, il détestait Rome, et voulait transférer le siège de l’empire, d’abord à Antium, et ensuite à Alexandrie. Mais il comptait avant faire périr tous ceux dont les noms seuls rappelaient la gloire et la liberté romaines. Après sa mort on en eut la preuve, et on trouva dans son palais deux écrits de sa main, dont l’un s’appelait l’épée et l’autre le poignard, contenant les noms de ceux qu’il destinait aux supplices.

Tout le monde conspirait en secret sa perte ; mais la crainte qu’inspiraient ses soldats, et surtout sa garde germaine, arrêtaient les bras prêts à le frapper. Enfin Cassius Chéréa, tribun d’une cohorte prétorienne, résolut, avec quelques amis courageux, de braver tous les périls et de purger la terre de ce monstre.

Caligula revenait tous les jours du bain, dans son palais, par une galerie souterraine ; les conjurés l’y attendirent ; Chéréa s’approcha de lui, sous prétexte de lui demander le mot d’ordre, et lui donna un coup d’épée dans la gorge ; tous ses complices l’imitèrent ; Caligula reçut avant d’expirer trente blessures ; en tombant il s’écriait : Scélérats, je suis encore en vie ! Il mourut l’année 794 de Rome et 41 de Jésus-Christ, âgé de vingt-neuf ans, et à la fin de la quatrième année de son règne.

La vengeance la plus légitime porte malheureusement presque toujours le caractère de la passion, et ne se renferme ni dans les bornes de la nécessité ni dans celles de la justice. Un centurion massacra l’impératrice Cézonie qu’on jugeait capable de tous les crimes parce qu’elle était chère à Caligula, et on brisa contre les murs du palais la tête de sa fille unique. Le sénat, qui aurait voulu pouvoir effacer de la mémoire des hommes le règne de Caïus et sa propre honte, fit fondre toutes les monnaies marquées à l’effigie de Caligula.

On croirait profaner la majesté de l’histoire, en traçant le tableau dégoûtant de l’extravagant délire d’un tyran tel que Caligula, si l’on ne sentait pas combien il est utile de rappeler aux hommes jusqu’à quel point le premier peuple du monde parvint à s’avilir, en renonçant à ces droits et en abdiquant sa liberté.

Ce fut pendant le règne de ce, monstre que les apôtres et les disciples de Jésus répandirent sa parole dans le monde. Saint Matthieu écrivit le premier évangile ; ceux qui embrassèrent ce nouveau culte prirent le nom de chrétiens. Nulle époque n’était plus favorable que celle de la tyrannie, de Tibère et de Caligula pour faire sentir la nécessité d’une religion morale et consolatrice : c’est lorsque l’homme gémit sur la terre qu’il tourne ses regards vers le ciel.