République juive, gouvernement des pontifes. Fin de la république juive LES JUIFS, revenus de leur captivité, reprirent le
gouvernement théocratique, sous lequel ils avaient vécu du temps de Moïse, et
avant que Samuel, cédant à leurs prières, leur eût donné un roi. Ils n’étaient
point indépendants puisqu’ils reconnaissaient l’autorité des rois de Perse,
successeurs des rois d’Assyrie, qui les avaient conquis. Ils payaient des
tributs, fournissaient des troupes à leurs vainqueurs, et ne pouvaient faire
d’alliance sans leur consentement ; mais on les laissait libres dans leur
administration intérieure sous la conduite de leurs anciens qui formaient une
espèce de sénat. Ils suivaient sans empêchement leur culte dans le temple qu’on
leur avait permis de rebâtir, leurs grands-prêtres étaient les chefs de cette
république, et l’on voit par plusieurs lettres parvenues jusqu’à nous que c’était
à ces pontifes que les rois étrangers s’adressaient dans leurs relations avec
Presque tous les Israélites des douze tribus, fidèles à leur religion, se trouvaient réunis à Juda et Benjamin dans le pays de Jérusalem. Samarie avait été peuplée par des Mèdes, des Perses, des Assyriens, et par les Hébreux tombés dans l’idolâtrie. Il résultait de cet état de choses une grande jalousie, une haine constante entre Samarie et Jérusalem ; et Josèphe reprochait aux Samaritains de prétendre toujours qu’ils étaient Israélites, lorsque la république des Juifs prospérait et de le nier, lorsque les rois d’Egypte ou de Perse l’opprimaient. Nous avons déjà dit combien d’efforts les Samaritains firent du temps de Cambyse pour empêcher ou retarder la construction du temple de Salomon ; et depuis on vit continuellement ces deux parties du royaume de David se livrer à des querelles souvent suivies d’hostilités. Malgré ces dissensions intérieures, la république des Juifs se peupla, s’accrut, s’enrichit et jouit d’une prospérité assez éclatante jusqu’à la mort d’Alexandre le Grand ; mais elle devint en suite le théâtre des combats que se livrèrent les successeurs de ce conquérant, et finit par être la victime de leurs sanglants démêlés. Les temps où les peuples sont heureux et paisibles sont ceux qui laissent le moins de souvenirs à la postérité. Ce sont les jours d’orages qui brillent dans la nuit des temps : à une si grande distance, nous ne distinguons ce qui se passait dans ces contrées antiques qu’à la leur de la foudre qui les ravageait. Aussi l’histoire ne nous à conservé presque aucun détail certain de la longue époque où les Juifs ont vécu tranquilles, depuis Cyrus et ses deux successeurs jusqu’au partage de l’empire d’Alexandre. Le calme dont jouissait Jérusalem fut d’abord interrompu
sous le pontificat de Jean, fils de Juda et petit-fils d’Éliazib. Jean imita
le crime de Caïn ; excité par l’envie et la haine, il massacra Jésus, son frère,
dans le temple. Ce meurtre et ce sacrilège indignèrent les étrangers comme les
Juifs. Artaxerxés envoya des troupes à Jérusalem, fit périr le prêtre coupable
dans le temple qu’il avait profané et imposa sur Darius ne put réaliser cette espérance ; il fut
vaincu par Alexandre et périt. Ce dernier après avoir conquis Malgré cette querelle, l’Écriture rapporte, et tous les historiens s’accordent à dire qu’Alexandre, loin de persécuter les Juifs, les protégea, et montra une grande vénération pour le Dieu, qu’ils adoraient. Josèphe va plus loin ; il prétend que ce prince vint lui-même à Jérusalem, et rendit hommage au Dieu d’Israël. Nous allons faire connaître cette anecdote, comme curieuse, et non comme un fait avéré. L’auteur juif assure qu’Alexandre s’étant approché de Jérusalem
à la tête de son armée, le grand-prêtre Jaddus, au lieu de lui opposer
quelque résistance, fit joncher de fleurs les rues et les chemins. Revêtu de
ses ornements sacerdotaux, il sortit en pompe de Jaddus termina sa carrière, et fut remplacé par son fils Onias. Après la mort, d’Alexandre à Babylone, les chefs de son
armée partagèrent son empire et l’ensanglantèrent par des guerres longues et cruelles.
Nous dirons seulement que Ptolémée Soter traita les Juifs avec rigueur : il en envoya cent vingt mille en Égypte. Ptolémée Philadelphe, son successeur, protégea la république, lui rendit ses bannis ; et, comme il s’occupait avec soin d’enrichir la bibliothèque d’Alexandrie et tous les manuscrits curieux, il demanda au grand-prêtre Éléazar de lui envoyer soixante douze Hébreux pour traduire la loi de Moïse. On lut publiquement cette traduction, et le roi d’Égypte fit
de riches présents au temple de Jérusalem. Il survint entre l’Égypte et Ptolémée Épiphane reprit Ptolémée Évergètes, ne pouvant obtenir d’Onias l’argent qu’il demandait, menaça Jérusalem d’une destruction totale. Un riche Hébreu, nommé Joseph, fils de Tobie, apaisa son courroux par de magnifiques présents, et acquit un grand crédit en Égypte et en Judée, malgré la rigueur avec laquelle il leva des impôts pour satisfaire le roi. Hyrcan, fils de Joseph, rendit de grands services à sa
patrie, et lui conserva la faveur de Ptolémée, mais sa puissance et ses
richesses excitèrent la haine de ses frères qui voulurent l’assassiner. Il
leur résista, en tua deux, sortit de Jérusalem, et se retira au-delà du
Jourdain près de Hessédon, où il construisit une forteresse, d’où il sortait
souvent pour faire la guerre aux Arabes. Il conserva sept ans son
indépendance, mais lorsque Antiochus Épiphane conquit Les Romains ayant déclaré la guerre à Antiochus le Grand, ce prince perdit contre eux une bataille dans laquelle il fut fait prisonnier. On l’obligea de payer un tribut énorme, et de trois fils qu’il avait, le premier et le dernier restèrent à Rome pour y être élevés, et pour y répondre de la fidélité de leur père Antiochus, obligé d’accabler Dans ce temps, la république des Juifs était gouvernée par
le grand-prêtre Onias, troisième pontife de ce nom. Onias par sa piété, sa
justice et son inflexible fermeté, maintenait l’ordre dans la république, et
la faisait respecter au dehors ; sous son administration, Un lâche factieux troubla cette tranquillité. Ce misérable, nommé Simon, de la tribu de Benjamin, n’était ni lévite ni prêtre ; mais chargé de la police extérieure du temple, son emploi lui donnait quelque crédit. Il voulût s’en servir pour favoriser des juifs corrompus, et pour introduire quelque relâchement dans l’exécution des lois : la rigueur d’Onias fit avorter ses projets. Simon, irrité, vint trouver Apollonius, gouverneur de Phénicie, et lui dit secrètement que le temple de Jérusalem renfermait d’immenses trésors qui n’étaient point employés au service public. Séleucus, informé de cette nouvelle, résolut d’en profiter. Il chargea Héliodore, intendant de ses finances, d’aller à Jérusalem, et de s’emparer de ce trésor. En vain le grand-prêtre Onias s’efforça de persuader à l’envoyé que Simon l’avait méchamment trompé ; Héliodore voulut s’en assurer par ses propres yeux, et déclara qu’il entrerait lui-même dans le temple au mépris des lois divines qui défendaient à tout profane l’accès de ce lieu sacré. A cette nouvelle, toute la ville de Jérusalem est remplie de consternation. Ses habitants jettent des cris, versent des larmes ; les prêtres sont prosternés au pied de l’autel ; toutes les mains sont levées vers le ciel ; toutes les voix adressent au Seigneur d’ardentes prières. Héliodore, à la tête de ses gardes, se prépare à forcer la porte du temple. Tout à coup paraît un cavalier d’un aspect formidable, couvert d’une armure d’or ; son coursier frappe Héliodore des deux pieds de devant et le renverse[1]. Deux jeunes hommes pleins de majesté et richement vêtus, le frappent sans relâche à coup de fouet ; l’impie est jeté à demi-mort hors de l’enceinte du temple, et Jérusalem passe subitement du désespoir à la joie. Héliodore, saisi de la crainte de Dieu, le remercia d’avoir épargné sa vie. Il revint près de Séleucus, le détrompa, et fut depuis aussi zélé pour servir les Juifs qu’il s’était montré d’abord ardent pour les persécuter. Simon ne fut point découragé par le mauvais succès de son
entreprise. Appuyé par le crédit d’Apollonius, il se mit à la tête de tout ce
qu’il y avait de Juifs infidèles et d’hommes perdus dans Jérusalem. Par ce
moyen, il y excita tant de troubles que le grand-prêtre Onias ne trouvant
plus d’autre remède contre ces désordres, sortit de Judée, et courut implorer
le secours et l’autorité du roi Séleucus. Il fut reçu à sa cour avec la vénération
qu’inspirait sa vertu. Mais les dispositions favorables de Séleucus restèrent
sans effet. Ce monarque mourut et ne put assurer le trône à son fils Démétrius.
Les Romains, suivant les maximes de leur politique artificieuse et
dominatrice, envoyèrent en Syrie le frère aîné du feu roi, Antiochus
Épiphane, qui avait été élevé à Rome ; et que Dieu destinait à être le fléau
de Jason, ’indigne frère du grand-prêtre Onias, profita de son absence pour usurper le pouvoir. Il se lia avec Sinon et avec tous les hommes adonnés à la débauche et à l’idolâtrie ; enfin, pour consommer sa perfidie, il vint trouver Antiochus, lui donna trois cent soixante talents d’argent pour obtenir le sacerdoce, et lui en promit deux cents autres, si le roi lui permettait d’établir à Jérusalem les usages des Grecs, des lieux publics d’exercices, et des académies pour la jeunesse. Antiochus, qui avait besoin d’argent pour combattre le parti de son neveu Démétrius, accorda à Jason tout ce qu’il lui demandait. Dés que celui-ci se vit revêtu du souverain sacerdoce, appuyé d’une troupe d’apostats et de gens débauchés, il persuada au peuple que tous ses malheurs venaient de la loi de Moïse, dont la rigueur isolait les Juifs des autres nations, en leur défendant toute alliance avec elles et tout rapport de culte et de moeurs. Bientôt Jérusalem fut remplie de jeux, de fêtes païennes, de profanations ; et ce grand-prêtre lui-même envoya de l’argent à Tyr, pour y faire un sacrifice à Hercule. Antiochos, après une longue guerre interrompue par une
paix et par un partage de peu de durée, triompha de son neveu Démétrius, l’envoya
en otage à Rome, devint le seul maître de Antiochus remporta de grandes victoires en Égypte ; mais
la résistance de cette nation et la politique romaine le forcèrent de
renoncer à cette conquête. Il se contenta de faire une paix glorieuse, et
tourna ses vues du côté de Le pontife Jason jouissait tranquillement du fruit de ses crimes, mais une perfidie semblable à la sienne le punit bientôt de sa trahison. Il avait chargé son frère Ménélaüs de porter le tribut des Juifs à Antiochus. Ce frère perfide capta la faveur du roi par des louanges, des présents et des promesses. Jason fut déposé, et Ménélaüs le remplaça. Fier de son succès, il crut pouvoir éluder les engagements pris avec le roi, il ne paya point le tribut aux époques prescrites. Le roi le destitua, et donna sa place à son frère Lysimaque. Peu de temps après, les villes de Tarse et de Mallo en
Cilicie se soulevèrent contre Antiochus, parce que le roi les avait cédées à
une de ses concubines. Ménélaüs, furieux de sa déposition, voulut profiter de
ce soulèvement ; il vendit des vasés d’or volés par lui dans le temple, et
porta le prix de ce sacrilège à Andronic, gouverneur d’Antioche, pour l’aider
à apaiser la révolte de Cependant le pontife Lysimaque continuait à Jérusalem ses pillages et ses sacrilèges lorsque tout à coup le bruit se répandit dans la ville qu’il avait enlevé et caché les trésors du temple. La multitude s’enflamma de colère, et se souleva contre lui. Il voulut en vain résister à la tête de trois mille hommes, qui lui étaient dévoués ; sa troupe fut dispersée, et on le massacra lui-même à la porte du temple. L’anarchie suivit cette sédition. On s’adressa au roi pour la faire cesser ; mais, à la grande surprise des gens de bien qui réclamaient son autorité, il rendit le sacerdoce à Ménélaüs, l’auteur et l’instigateur de tous les crimes commis depuis plusieurs années. Dès ce moment le vice triompha, la vertu fut proscrite ; on outragea l’innocence ; on opprima la pauvreté ; on supposa des crimes à la richesse. Ménélaüs protégea tous les brigands, extermina tous les hommes de courage et de mérite ; et Jérusalem, sans défense et sans protection, devint le théâtre des vengeances et des cruautés de ce tyran féroce. Cependant tous ces malheurs, qui accablaient Jérusalem, n’étaient
encore qu’un faible présage des calamités qui devaient bientôt fondre sur Dieu, dit l’Écriture, voulut encore porter son peuple au repentir,
et l’avertir par des prodiges de sa prochaine destruction[2]. On entendit un bruit
affreux sans le ciel ; on vit dans les airs une multitude d’hommes, armés de
casques et d’épées, des cavaliers qui se livrant des combats et se lançaient
des dards. Mais ces sinistres augures ne touchèrent point le cœur de l’impie
Ménélaüs et de ses partisans. Dans ce temps, Antiochus Épiphane,
ayant accru ses forces, ses richesses et sa puissance, revint à ses premiers
projets contre l’Égypte, et entra dans ce royaume à la tête d’une très forte
armée, espérant que la faiblesse de Ptolémée Philométor lui opposerait peu de
résistance. Mais la prédiction faite autrefois par Daniel s’accomplit. Les
Romains unirent leurs forces à celles des Égyptiens, et le roi de Syrie,
vaincu par eux, fut obligé de renoncer à son entreprise. Pendant son
expédition, le bruit de sa mort courut dans Antiochus, revenant d’Égypte, apprit les nouveaux troubles
que Jason avait excités en Judée. Il crut qu’un peuple si remuant ne pourrait
jamais être constamment soumis. Ennemi du culte des Juifs, redoutant leur
bravoure et leur esprit d’indépendance, méprisant la perfidie de leurs chefs
et leur basse ambition, il résolut, dans sa colère, de réduire Jamais peuple n’éprouva une plus terrible désolation, et cependant les malheurs des Juifs n’étaient pas encore à leur comble. Bientôt après, Antiochus publia un édit qui abolissait le culte du vrai Dieu, et ordonnait à tous ses sujets de se soumettre aux lois, et au culte des Grecs. Il consacra le temple de Garizim à Jupiter Hospitalier, et, le temple de Jérusalem à Jupiter Olympien. Apollonius, aussi cruel que son maître, fut chargé de l’exécution de cet édit. Pour mieux assurer la vengeance du roi, Apollonius déguisa d’abord sa fureur sous une feinte modération, il attendit, pour assouvir sa colère, le jour de la célébration du Sabbat. Presque tous les Juifs, qui avaient conservé dans leur cœur le culte de leurs pères, se réunirent autour des autels du Seigneur. Apollonius les fit tous passer au fil de l’épée ; livra la ville aux flammes, au pillage et fit raser ses murailles. Au milieu des débris de la cité sainte Apollonius fit fortifier un quartier appelé Ville de David, et y assembla tout ce qui voulut s’y rendre d’hommes perdus et de Juifs apostats, qu’il joignit à ses soldats idolâtres. Ce fut là qu’il renferma toutes les richesses dont il s’était emparé, et cette citadelle, dit l’Écriture, devint ainsi le siége du démon et de la tyrannie. Tous ceux qui échappèrent au fer des assassins abandonnèrent la ville sainte ; elle ne fut peuplée que d’étrangers. Apollonius vint rendre compte à Antiochus de l’horrible
succès de sa mission ; mais le roi, qui voulait étendre partout les
malheurs tombés sur Jérusalem, fit publier, dans toutes les villes et les
bourgs de Les Juifs, jusque-là restés fidèles, furent tellement effrayés par la ruine de Jérusalem et par la rigueur des supplices qu’attirait toute résistance, qu’on les vit presque universellement céder partout à la contagion, abjurer leur Dieu et sacrifier aux idoles. |