HISTOIRE DES JUIFS

 

CHAPITRE DIX-NEUVIÈME.

 

Job

L’HISTOIRE de Job succède dans les livres saints à celle d’Esther. On croit cependant que Job vivait dans un temps bien plus reculé, et probablement lorsque les Israélites étaient dans le désert. Plusieurs personnes ont même attribué à Moïse cet ouvrage où l’on voit en effet brillé les idées profondes et morales de ce législateur. Au reste nous en dirons ici peu de mots ; et pour en faire sentir le mérite, il faudrait le rapporter en entier, puisque sa beauté principale consiste, non dans la grandeur et la variété des événements, mais dans la  beauté des discours, l’élévation des pensées et la pureté des sentiments. Job possédait des qualités bien difficiles à réunir, une grande vertu, d’immenses richesses, et une humble patience. Pendant un grand nombre d’années le ciel avait comblé tous ses voeux. Puissant, riche, considéré, chef d’une famille nombreuse, il n’employait son opulence et son pouvoir qu’à faire du bien. Son argent secourait le pauvre ; son crédit soutenait l’opprimé ; sa charité consolait les malheureux ; son esprit ne lui servait qu’à répandre la vérité et à faire respecter Dieu et sa loi.

Job, partout chéri et révéré, jouit longtemps d’une complète prospérité. L’esprit malin, dit l’Écriture, jaloux d’un si grand bonheur, calomnia ce saint homme devant Dieu, et soutint qu’il ne le servait que pour garder les biens qu’il en avait reçus. Ne pouvant blâmer sa vie, il accusa ses intentions, et assura qu’il changerait de sentiment et de langage, si Dieu lui retirait sa protection et ses faveurs.

Le Seigneur, pour convaincre Satan d’imposture, lui permit d’affliger cet homme vertueux et de l’accabler par un grand nombre de maux.

Le démon profita de cette permission, et rendit le malheur de Job aussi grand que l’avait été sa félicité. Il fit piller ses richesses par des voleurs : le feu du ciel consuma ses troupeaux et ses granges ; tous ses enfants périrent sous les ruines de sa maison. Ces affreuses calamités n’ébranlèrent point la vertu de Job : il bénit Dieu et prononça ces paroles qui sont devenues si célèbres : Dieu me l’a donné, Dieu me l’a ôté.

Satan ne se découragea point : il frappa cet infortuné d’un ulcère qui lui couvrait tout le corps. Accablé de souffrances, couché sur un fumier, ses plaies étaient rongées par les vers qui s’y formaient. Sa femme, le seul des biens, qu’on lui eût laissé, devait être sa consolation, mais, séduite par l’esprit malin, elle mit le comble à ses tourments. Aigrissant son malheur, au lieu de l’adoucir, elle voulut le révolter contre Dieu et le pousser au blasphème et au désespoir. Job, toujours soumis à la volonté divine, et toujours maître de lui-même, se contenta de lui répondre : Vous parlez comme une femme insensée. Nous avons reçu avec reconnaissance tous nos biens de la main de Dieu : il faut recevoir de lui tous nos maux avec résignation.

Le malheureux Job ne pouvait opposer à tous les coups qui fondaient sur lui que la paix de son âme, le témoignage de sa conscience et l’innocence de sa vie passée.

Trois de ses amis qui venaient, disaient-ils, dans l’intention de lui montrer la part qu’ils prenaient à ses peines, voulurent lui enlever cette tranquillité intérieure, le seul bien dont il pût encore jouir. Cette épreuve, la moins forte en apparence, fut peut-être la plus difficile à soutenir.

Ces faux amis, avec un langage plein d’artifice, voulaient persuader au saint homme qu’il avait mérité ses malheurs ; et, lorsqu’il défendait son innocence devant eux, ils lui reprochaient ses plaintes, les taxaient de révolte, et prétendaient qu’il accusait Dieu d’injustice. C’est précisément ce dialogue qu’il faut lire, puisqu’on ne pourrait en faire sentir les beautés qu’en le copiant.

Job, pendant ce combat, où il était si difficile que la patience et la vertu triomphassent de la douleur aigrie et de l’amour-propre blessé, sut toujours se contenir dans les bornes du devoir, justifiant avec fermeté sa conduite et son innocence, ne portant point ses plaintes hors de la mesure que lui permettait sa piété ; et témoignant avec franchise son étonnement de la rigueur des arrêts de Dieu, sans prétendre en sonder la profondeur. Il résista avec douceur aux injustes attaques de ses dangereux amis, et s’efforça de leur prouver que Dieu sait et peut également frapper le méchant pour le punir, et l’homme vertueux pour l’éprouver.

La patience de Job fut enfin couronnée par un triomphe éclatant. Dieu lui rendit la santé, le bonheur, d’immenses richesses, et une famille plus nombreuse que celle qu’il avait perdue. Rien ne troubla plus la félicité de Job ; il vécut cent quarante années, et mourut après avoir vu la quatrième génération de ses enfants.