HISTOIRE DES JUIFS

 

CHAPITRE SIXIÈME

 

 

JOSUÉ ET LES JUGES

Après la mort de Moïse, Dieu dit à Josué : Levez-vous, et passez le fleuve du Jourdain avec tout le peuple d’Israël, pour entrée dans la terre que je lui ai promise. Vos limites seront le désert au midi, le Liban au nord, l’Euphrate à l’orient, et le pays des Gétéens au couchant. Nul ne pourra vous résister, à vous et à mon peuple, tant que vous vivrez. Méditez jour et nuit le livre de la loi, et observez tout ce qui y est écrit. Punissez de mort celui qui vous contredira et vous désobéira.

Josué envoya des émissaires pour reconnaître la ville de Jéricho ; le roi du pays en fut averti et voulut les faire pendre. La courtisane. Raab, chez laquelle ils logeaient, les fit sauver après qu’ils eurent promis que sa maison serait épargnée lorsqu’on pillerait la ville.

Les émissaires de Josué lui ayant rendu compte de la consternation des habitants de Jéricho, il fit prendre les armes aux Israélites, et ils traversèrent à pied sec le fleuve du Jourdain[1], en suivant l’arche du Seigneur. Lorsque les prêtres qui la portaient mirent le pied dans le fleuve, les eaux d’en bas s’écoulèrent et laissèrent la rivière à sec, et celles qui venaient d’en haut s’arrêtèrent et demeurèrent suspendues. Pour conserver la mémoire de ce miracle, chacune des douze tribus prit une pierre au milieu du lit du fleuve, et l’emporta, après l’avoir remplacée par une autre pierre du rivage, et, lorsqu’ils arrivèrent à Galgala, leur premier camp, au delà du Jourdain ils firent un monument de ces douze pierres pour rappeler à la postérité qu’Israël avait traversé le fleuve à pied sec.

Avant de commencer les hostilités, Josué pour obéir aux ordres divins, fit circoncire toute l’armée qui ne l’avait pas été dans le désert. La pâque fut célébrée avec solennité. La manne, n’étant plus nécessaire dans un pays fertile, cessa de tomber.

Les Israélites restèrent quelques temps à Galgala qu’ils nommèrent ainsi en mémoire de leur circoncision.

Josué étant venu campé sur le territoire de Jéricho, un ange lui apparut, et lui annonça que le Seigneur livrait entre ses mains la ville, le roi et tous ses guerriers. Il lui prescrivit de faire pendant six jours le tour de la ville avec son armée, précédée par l’arche, et au son de sept trompettes. Il lui prédit que le septième jour, lorsqu’il ferait sonner les mêmes trompettes, et que tout le peuple jetterait un grand cri, les murailles de la ville tomberaient jusqu’aux fondements, et que chaque soldat entrerait sans obstacle par l’endroit qui se trouverait devant lui. Cet ordre fut exécuté et la prédiction fut accomplie. Les Hébreux entrèrent dans Jéricho[2]. Ils passèrent au fil de l’épée tout ce qui s’y rencontra, hommes, femmes, vieillards, enfants ; la courtisane Raab et sa famille furent les seules sauvées. Ils tuèrent également les bœufs, les brebis et les ânes ; ils brûlèrent ensuite la ville, et tout ce qui était dedans, à la réserve de l’or, de l’argent et des vases d’airain, qui furent  portés au trésor et consacrés au Seigneur.

Un Hébreu seul, nommé Achan, de la tribu de Juda, transgressa cet ordre, et déroba une part du butin. Il attira, par cette désobéissance, la colère de Dieu sur l’armée. Les habitants de Haï devinrent les instruments du courroux céleste ; ils battirent complètement et mirent en déroute trois mille Israélites, envoyés par Josué contre eux. Le crime d’Achan fut découvert et expié ; on le lapida, et on brûla le lingot d’or, l’argent et le manteau d’écarlate qu’il avait dérobés.

Josué, réconcilié avec le Seigneur, attira les habitants de Haï dans une embuscade, les défit, prit leur ville, la brûla, et fit pendre leur roi.

Tous les rois du pays de Chanaan, informés de ces nouvelles et de ces sanglantes exécutions, formèrent une ligue, et se réunirent pour combattre les Israélites. Les Gabaonites seuls voulurent tromper Josué, et s’allier avec lui ; mais il découvrit leur ruse, et, au lieu de les recevoir comme alliés, il les condamna à la servitude. Adonibézech, roi de Jérusalem, avec quatre autre rois, assiégèrent Gabaon, pour la punir de sa défection. Josué marcha contre eux, mit leur armée en déroute, la tailla en pièces, et, comme la nuit approchait et laissait peu de temps aux Israélites pour compléter leur victoire et la défaite de leurs ennemis, Josué commanda au soleil, à la lune de s’arrêter, et ils s’arrêtèrent[3]. Le Seigneur, ainsi que le dit l’Écriture, obéit à la voix d’un homme. Jamais avant ni depuis, on ne vit un jour d’une telle longueur.

Josué poursuivit les cinq rois qui se cachèrent dans une caverne près de Macéda. Ils furent découverts, pris et pendus. Il s’empara ensuite de Macéda, de Lebna et de Lachis, dont le roi subit aussi la mort. Celui de Gazer, qui avait voulu secourir Lachis, et ceux d’Hébron et d’Abit furent aussi tués ; on ravagea le pays, et on extermina les habitants. Les rois du septentrion et des montagnes, commandés par le roi d’Azor, après de longs combats, perdirent leur royaume et la vie. La race des géants, qui habitait les montagnes, fut détruite. On n’épargna que les villes de Gaza, de Geth et d’Azoth. A l’orient du Jourdain, la résistance des Chananéens n’eut pas plus de succès. On détruisit tous ces peuples, parce que leurs cœurs s’étaient endurcis, ils avaient oublié le culte du vrai Dieu et combattu son peuple.

Moisez avait donné aux tribus de Ruben et de Gad, et à la demi tribu de Manassès, le pays qui se trouvait entre le Jourdain et le désert. Josué partagea aux autres tribus, le reste de la terre de Chanaan. Les lévites n’y eurent d’autre pays que quarante-huit villes et leurs faubourgs, pour y habiter et pour nourrir leurs troupeaux. Caleb reçut en propriété la montagne d’Hébron, qu’on lui promit autrefois dans le désert, lorsque, seul il s’opposa à la révolte des Israélites.

Josué consacra sa vie à la conquête de la terre promise. Lorsqu’elle fut achevée, et qu’il en eut réglé le partage, il apaisa le différend élevé entre les tribus au sujet d’un autel que les enfants de Ruben, de Gad et de Manassès, venaient d’élever sur les rives du Jourdain. Les autres tribus, qui avaient leur autel à Silo, se réunirent, et, voulurent les combattre ; mais elles déclarèrent que leur dessein était de purifier leur pays, et non d’élever autel contre autel. Phinée, fils du grand-prêtre Éléazar, reçut leur déclaration, et parvint à conclure la paix.

Josué, ayant rassemblé le peuple à Sichem, lui rappela tout ce que Dieu avait fait pour les Israélites, leur prédit la plus grande prospérité, s’ils suivaient la loi de Dieu, et les menaça des plus grands malheurs s’ils lui devenaient infidèles. Il reçut le serment d’Israël, renouvela son alliance avec le Seigneur, enterra les os de Joseph dans le tombeau d’Abraham et de Jacob, écrivit ensuite dans le livre de la loi toute l’histoire du peuple hébreu pendant le temps qu’il l’avait gouverné, et mourut âgé de cent dix ans[4]. Israël, à cette même époque, perdit aussi le grand-prêtre Éléazar, digne fils et successeur d’Aaron.

Après la mort de Josué, le Seigneur ordonna que Juda commanderait Israël. Les tribus de Siméon et de Juda vainquirent les Chananéens, en tuèrent vingt mille à Bérée, et s’emparèrent de la ville de Salem, ancienne patrie de Melchisédech, et qu’on appela depuis Jérusalem. Adonibésech, roi de ce pays, fut pris, et les Hébreux lui coupèrent les pieds et les mains ; cruelle expiation de son inhumanité contre soixante-dix rois que, dans le temps de sa puissance, il avait fait mutiler, et qu’il contraignait à se coucher à ses pieds pour manger les miettes qui tombaient de sa table.

Les deux tribus firent encore d’autres conquêtes, elles s’emparèrent de Galaa, dAscalon et de Horma. Les enfants de Jéthro s’établirent au midi d’Arad. Caleb donna sa fille Aza à Othoniel. La tribu de Joseph s’empara de Béthel. Celles de Benjamin, d’Éphraïm et de Manassès ne suivirent plus les commandements de Moïse ; elles épargnèrent les Chananéens, et les gardèrent au milieu d’elles. La guerre se prolongea et, changea de face ; les peuples, vaincus dans les plaines, se retirèrent sur les montagnes ; d’où ils faisaient de fréquentes incursions contre les Israélites.

Au bout de quelques années les Hébreux, qui avaient servi sous Moïse et sous Josué, derniers témoins des merveilles du Seigneur, ayant terminé leur carrière, les générations, qui leur succédèrent, ne gardèrent plus la même foi ni le même respect pour la loi de Dieu. Les Israélites se laissèrent corrompre par l’exemple des infidèles et par la séduction des femmes chananéennes. Beaucoup d’Hébreux quittèrent le culte du Seigneur pour adorer Astaroth et Baal. Dieu les punit et les abandonna quelque temps ; les Sidoniens, Ies Philistins les battirent, les dispersèrent et les firent captifs.

Le Seigneur, voulant les délivrer, les soumit au commandement de juges, choisis parmi les plus fidèles d’Israël. Redevenus obéissants aux lois divines, la victoire se déclarait pour eux ; mais après la mort de leurs juges, ils retombaient dans leurs égarements, dans leur idolâtrie ; et les malheurs de ce peuple indocile et léger recommençaient avec ses crimes.

Dieu résolut, pour éprouver la foi des Hébreux, de ne point exterminer encore les peuples de Chanaan ; il laissa donc subsister les Sidoniens, les Hévéens et les Philistins. Les tribus furent vaincues par Chusan, roi de Mésopotamie, qui les tint huit ans dans la captivité.

Othoniel, suscité par le Seigneur, devint le juge et le vengeur d’Israël, le délivra des mains de Chusan, et les tribus jouirent pendant quarante ans, de la paix et de la liberté. Au bout de ce temps, redevenus infidèles, les Juifs furent vaincus par Églon, roi de Moab, qui resta leur maître pendant dix-huit années. Enfin Aod, destiné à sauver le peuple hébreu, poignarda le roi Églon ; sonna de la trompette sur la montagne d’Éphraïm rassembla et souleva les tribus, combattit les Moabites, en tua dix mille, et fit jouir Israël d’une paix de quatre-vingts ans.

Samgar, son fils, lui succéda, défit les Philistins et en tua six cents de sa main avec un soc de charrue. Samgar étant mort, les enfants d’Israël retombèrent dans leur égarement, et Dieu les livra aux mains de Jabain, roi de Chanaan et d’Azor, dont Sisara commandait l’armée. Leur oppression dura vingt années.

Le peuple alors était jugé par une prophétesse nommée Débora[5] : elle fit venir Barac, de la tribu de Nephtali, et lui ordonna, au nom de Dieu, de rassembler dix mille combattants sur le mont Thabor. Elle lui dit qu’elle lui livrerait l’armée de Jabain ; mais elle lui annonça en même temps que Sisara ne tomberait pas sous ses coups, et qu’il devait périr de la main d’une femme. Barac exécuta les ordres de la prophétesse. Les troupes de Jabain furent défaites ; on les passa au fil de l’épée ; on brisa leurs chariots. Sisara s’enfuit à pied, mais comme il était entré chez un homme nommé Haber pour s’y reposer, Jaël, femme de Haber, tandis qu’il dormait, prit un des grands clous de sa tente, avec un marteau, et perça le cerveau de Sisara avec ce clou, l’enfonçant jusque dans la terre ; Sisara passa ainsi, dit l’Écriture, du sommeil naturel au sommeil de la mort[6]. Barac et Débora chantèrent un cantique pour célébrer cette victoire, et pour rappeler aux Hébreux qu’ils ne la devaient qu’à la protection du Seigneur.

Bientôt de nouvelles impiétés attirèrent de nouveaux malheurs sur Israël ; les Madianites les asservirent. Gédéon, inspiré par un ange les délivra[7]. Il renversa d’abord l’autel de Baal, que desservait son père. Il fit un sacrifice et le ciel reçut ses offrandes. Pour dissiper ses doutes sur sa mission, le Seigneur ne fit tomber la rosée que sur une toison qu’il avait étendue devant sa tente ; toute la terre qui l’environnait demeura sèche ; le second jour toute la terre fut trempée de rosée, et la toison seule n’en réçut pas une goutte.

Gédéon, ayant armé le peuple, marcha contre les Madianites ; mais le Seigneur, pour manifester sa puissance, ne voulut pas que toute cette multitude combattit. De trente mille hommes armés, Gédéon n’en garda que trois cents. Un songe vint confirmer son espoir, en lui montrant une tente de Madianites renversée par la chute d’un pain d’orge qui tombait du haut d’une montagne. S’étant donc avancé avec trois cents hommes qui portaient des trompettes et des lampes, il surprit la nuit le camp des Madianites, et y répandit, par le bruit des trompettes et la clarté des feux[8], une telle épouvante, qu’ils tournèrent leurs armes les uns contre les autres, et qu’ils s’entre-tuèrent. Ceux qui prirent la fuite furent poursuivis ; leurs princes tombèrent entre les mains de Gédéon et ils perdirent dans cette défaite cent vingt mille hommes armés.

Les Israélites voulurent donner le titre de prince à Gédéon qui le refusa ; mais, il employa les pendants d’oreilles pris aux ennemis, et qui pesaient dix-sept cents sicles d’or, et les vêtements d’écarlate du roi de Madian à se faire un éphod gracieux, trophée d’orgueil, qui devint un objet d’idolâtrie pour les Hébreux, et causa par la suite la ruine de Gédéon et de sa famille.

La victoire sur les Madianites fut suivie d’une paix de quarante années. Gédéon mourut, laissant soixante-dix enfants de ses différentes femmes et un fils d’une concubine, nommé Abimélech. Les enfants de Gédéon se livrèrent au culte de Baal, et s’allièrent avec les idolâtres. Abimélech, dévoré d’ambition, représenta aux habitants de Sichem, et aux parents de sa mère qu’ils seraient plus tranquilles et mieux gouvernés par un prince que par soixante-dix chefs. Les Sichémites se rangèrent de son parti. Il marcha contre ses soixante-dix frères, les immola tous, à l’exception de Jonathan, le plus jeune, qui se sauva. Il fut ensuite reconnu solennellement comme roi par le peuple de Sichem, et proclamé près d’un grand chêne, qui décorait cette ville. Il régna sur Israël pendant trois ans.

Excitée par Jonathan, une partie des Hébreux et même des Sichémites voulut venger la famille de Gédéon. La guerre dura longtemps, Abimélech eut d’abord l’avantage. Il s’empara de plusieurs villes ; mais, ayant enfin attaqué une tour de la ville de Tébez, une femme qui était sur la muraille fit tomber sur lui un morceau d’une meule de moulin qui lui fracassa la tête. Ce prince craignant que l’on ne sût qu’il avait été tué par une femme, se fit achever par son écuyer[9].

Tola son oncle, frère de Gédéon, lui succéda comme juge, et gouverna tranquillement Israël pendant vingt-trois ans. Après lui Jaïr de Galaad remplit, vingt-deux ans sa place, et laissa trente fils, princes de trente villes.

Les Israélites retombèrent encore dans l’idolâtrie ; et le Seigneur, irrité, les condamna à la servitude, sous la domination des Philistins et des Ammonites. Cet esclavage dura dix-huit ans. Enfin, le peuple, affligé et repentant, implora la clémence de Dieu, qui se laissa toucher par sa misère.

Les princes de Galaad ayant déclaré qu’ils se soumettraient au commandement de l’homme qui combattrait le premier les Ammonites ou les Philistins, il se trouva que Jephté, fils naturel de Galaad, qui avait été chassé par sa famille, s’était mis à la tête d’une bande d’hommes armés, qui exerçaient partout leurs brigandages. Les Hébreux le pressèrent de combattre Ammon. Il consentit pourvu qu’on se soumit à lui ; et les Israélites le reconnurent pour leur prince. Jephté tenta vainement de négocier avec les Ammonites, marcha contre eux, et promit au Seigneur de lui offrir en holocauste la première personne qui sortirait de sa maison et qui viendrait au-devant de lui lorsqu’il retournerait victorieux du pays des enfants d’Ammon. Il combattit les ennemis, les défit complètement, en tua un grand nombre, prit et saccagea à vingt de leurs villes, et revint dans ses foyers.

En approchant de Maspha, sa ville natale, il rencontra sa fille unique, qui venait au-devant de lui en dansant au son du tambour. A sa vue, Jephté déchira ses vêtements et lui apprit en pleurant le vœu qu’il avait fait[10]. Sa fille, résignée, lui répondit qu’il devait le remplir, et que sa mort était un léger sacrifice pour une aussi grande victoire. Elle le pria seulement de lui permettre d’aller deux mois sur la montagne pleurer sa virginité avec ses compagnes. Au bout de ce temps, elle revint trouver son père, qui accomplit son vœu. Depuis ce fatal événement, toutes les filles d’Israël s’assemblent une fois l’année pour pleurer pendant quatre jours la fille de Jephté de Galaad.

Bientôt après, la tribu d’Éphraïm s’étant révoltée contre Jephté, il la subjugua. Elle perdit dans cette défaite quarante-deux mille hommes qui essayèrent en vain par la fuite d’échapper au carnage. Les habitants de Galaad, qui les rencontraient, leur ordonnaient de dire schibboleth (épis) ; et comme les enfants d’Éphraïm prononçaient sibboleth, ce défaut de prononciation les faisait reconnaître et massacrer.

Jephté gouverna six ans et mourut dans la ville de Galaad. Après lui Israël eut successivement pour juges Absan, pendant sept ans ; Ahialon, pendant dix ans ; et Abdon qui gouverna pendant huit années. Israël éprouva de nouveaux malheurs et les Philistins le réduisirent quarante ans en servitude.

Il existait dans la tribu de Dan un homme nommé Manué, dont la femme était stérile. Un ange lui apparu deux fois, et lui défendit de rien manger d’impur ni de s’enivrer parce qu’elle devait accoucher d’un fils qui serait Nazaréen, et consacré à Dieu depuis son enfance jusqu’à sa mort. C’est ainsi que la naissance de Samson fut annoncée[11].

Cet enfant, protégé par le ciel, crût rapidement et devint d’une force prodigieuse. Une femme philistine lui inspira de l’amour et il surmonta la répugnance de ses parents contre ce mariage. Étant allé chercher cette femme, il rencontra un jeune lion, le déchira et le tua. En revenant chez lui il trouva un essaim d’abeilles dans la gueule du lion mort. Arrivé dans sa patrie, il promit à trente jeunes gens, qui assistaient à ses noces, de leur donner trente robes et trente tuniques, s’ils devinaient l’énigme suivante : La nourriture est sortie de celui qui mangeait, et la douceur est sortie du fort. Il exigea d’eux, en revanche, de lui donner trente robes et trente tuniques, s’ils ne pouvaient la deviner. La femme de Samson, tourmentée par la curiosité, obtint de son mari, par ses larmes et par ses importunités, le mot de l’énigme. Elle fut indiscrète, et les jeunes gens revinrent le même jour dire à Samson : Qu’y a-t-il de plus doux que le miel, et de plus fort que le lion ? Samson, irrité de la trahison de sa femme, courut à Ascalon, y tua trente hommes, dont il prit les vêtements pour les donner à ceux qui avaient expliqué son énigme. Son épouse infidèle le quitta et épousa un de ces jeunes gens.

Cette injure irrita Samson contre les Philistins. Il prit trois cents renards qu’il lia l’un à l’autre par la queue, y attacha des flambeaux, et, les ayant allumés, il chassa les renards qui coururent au travers des blés des Philistins, les brûlèrent et les détruisirent. Les Philistins, apprenant que le courroux de Samson avait été excité par la perfidie de sa femme, jetèrent dans les flammes cette épouse parjure avec Thamnath son père. Samson ne fut point satisfait de cette vengeance. Il combattit seul les Philistins, en fit un grand carnage, et se cacha ensuite dans la caverne d’Étam.

La tribu de Juda, menacée par les Philistins, ordonna d’arrêter Samson, lui reprochant de vouloir aggraver leur servitude. On le lia avec de grosses cordes, et on le conduisit aux ennemis pour le leur livrer. Mais, à l’aspect des Philistins, Samson brisa les cordes, dont il était lié, aussi facilement que le feu consume le lin. Ayant trouvé dans cet endroit une mâchoire d’âne[12] qui était à terre, il la prit, et avec cette seule arme, il mit en déroute les Philistins, et leur tua mille hommes. Ce lieu, s’appela depuis la Mâchoire. Pressé d’une grande soif après le combat, il invoqua Dieu, qui fit sortir d’une des grosses dents de cette mâchoire assez d’eau pour le désaltérer.

Israël, frappé de ces miracles et délivré par Samson, le prit pour juge ; les Juifs furent gouvernés par lui pendant vingt ans. La terreur inspirée aux Philistins par Samson les forçait non seulement à rester en paix, mais encore à respecter sa personne. Ils l’avaient voulu surprendre une fois dans la ville de Gaza ; mais Samson, entouré par tous les soldats qui cernaient la ville, se fit jour au travers de cette multitude, arracha les portes de Gaza[13] ; les chargea sur ses épaules et les porta sur le haut de la montagne où il se retira.

Les Philistins quelque temps après, ayant appris qu’il était venu dans leur ville capitale, et qu’une courtisane nommée Dalila lui inspirait de l’amour, firent de grands présents à cette femme pour l’engager à découvrir le secret de la force prodigieuse de Samson. Il résista d’abord aux demandes, aux prières de Dalila ; et, feignant ensuite de se laisser toucher, il lui dit que, si on le liait avec sept grosses cordes mouillées, il deviendrait faible comme les autres hommes. Les princes des Philistins, instruits de sa réponse, engagèrent Dalila à le lier, comme il l’avait dit. Cet ordre fut exécuté, mais quand les Philistins parurent, Samson rompit ses cordes comme un fil, et s’échappa. Il trompa encore deux fois Dalila, par des ruses semblables ; mais enfin, comme elle l’importunait sans cesse, et employait contre lui tous les genres de séduction, la fermeté de son âme s’affaiblit ; il céda et lui dit : Le rasoir n’à jamais passé sur ma tête, parce que je suis Nazaréen, c’est-à-dire, consacré à Dieu ; si l’on me rase, toute ma force m’abandonnera. Dalila rendit compte aux Philistins de sa découverte ; et comme Samson dormait un jour chez elle[14] ayant la tête sur ses genoux, elle fit couper ses cheveux par un barbier. Les Philistins parurent ; Samson réveillé voulut en vain les combattre : sa force l’avait abandonné ; le Seigneur s’était éloigné de lui. Ses ennemis le saisirent, lui arrachèrent les yeux, le menèrent à Gaza, chargé de chaînes, et l’enfermèrent dans une prison où ils lui firent tourner la meule d’un moulin.

Quelques mois après, lorsque ses cheveux commençaient à revenir, les princes, les grands et les officiers du pays se rassemblèrent dans un temple pour immoler des hosties à leur dieu Dagon, et pour y faire, des festins en réjouissance de leur triomphe. Ayant ordonné qu’on leur amenât Samson pour jouer de la harpe devant eux, son guide le plaça entre deux colonnes qui soutenaient l’édifice. Demandant alors à Dieu de lui rendre sa force pour se venger de ses ennemis, il ébranla fortement les deux colonne, et dit : Que je meure avec les Philistins ! Aussitôt le temple s’écroula[15]. Tout de qui s’y trouvait de grands et de peuple y fut écrasé ; et Samson immola beaucoup plus de Philistins en mourant qu’il n’en avait tué dans sa vie.

Pendant quelques temps les tribus d’Israël existèrent sans juges, sans princes, et dans la plus complète anarchie. Un homme d’Éphraïm, appelé Michas, s’était fait une riche idole. Un lévite corrompu consentit à en être le prêtre. Les peuples de la tribu de Dan, mécontents de leur partage, voulurent augmenter leurs possessions. Six cents hommes de cette tribu, persuadés que l’idole de Michas les protégeraient, la lui dérobèrent, s’emparèrent de la ville de L’aïs, qui appartenait aux Sidoniens, la détruisirent, et en rebâtirent une autre qu’ils appelèrent Dan. Ils y établirent l’image de leur faux dieu, dont Jonathan, petit-fils de Moïse, fut le pontife. Ainsi, tandis que l’arche sainte était à Silo, une partie infidèle des Hébreux, dressait des autels aux dieux étrangers.

D’autres désordres attirèrent de grandes calamités sur ce peuple. Un lévite d’Éphraïm s’était marié à une femme de Bethléem. Sa femme le quitta, et revint dans sa ville natale, où elle passa quatorze ans chez son père. Bientôt le lévite accourut pour se réconcilier avec elle. Il y parvint ; et, ayant consenti à rester trois jours avec son beau-père, il emmena sa femme, traversa Jérusalem, où il ne voulut pas s’arrêter parce que les Jébuséens, qui l’habitaient, étaient étrangers. Il continua sa marche jusqu’à Gabaa ; de la tribu de Benjamin où il n’arriva qu’à l’approche de la nuit. Non seulement les habitants lui refusèrent l’hospitalité, mais ils voulurent l’insulter et s’emparer de sa femme qu’ils outragèrent[16] ; elle vint expirer à la porte d’un vieillard chez lequel son mari avait été forcé de se réfugier. Le lévite, furieux, emporta dans son pays le corps de cette malheureuse victime, le coupa en douze morceaux qu’il envoya aux douze tribus pour les exciter à la vengeance.

Les tribus, s’étant rassemblées, se liguèrent contre cette ville coupable. Les enfants de Benjamin, au nombre de vingt-cinq mille, prirent le parti de Gabaa, et remportèrent deux victoires contre la ligue des autres tribus.

Phinée, petit-fils, d’Aaron, consulté par les Israélites, leur parla au nom du Seigneur et leur promit son appui. Les Benjamites et les habitants de Gabaa, tombèrent, dans une embuscade, furent battus et passés au fil de l’épée. On brûla la ville de Gabaa ; et il ne resta que six cents hommes de la tribu de Benjamin.

Tout le peuple d’Israël se rassembla ensuite à Silo pour rendre grâce au Seigneur. Les tribus y jurèrent de ne point donner leurs filles aux six cents Benjamites qui restaient. Se repentant ensuite d’un vœu qui prononçait la destruction totale d’une  tribu, ils éludèrent leurs serments et laissèrent les Benjamites enlever leurs filles au milieu d’une fête, pour en faire leurs épouses.

Les Israélites continuèrent encore à vivre sans juges, sans principes et sans gouvernement régulier.

C’est dans cet endroit que l’Écriture rapporte l’histoire de Ruth, dans le dessein de faire connaître d’avance la famille, et l’origine de David, que Dieu destinait à régner avec éclat sur son peuple, et dont la race devait donné naissance à la mère du Sauveur du monde.

Lorsque les juges gouvernaient encore Israël, il arriva dans le pays une famine, pendant laquelle un homme de la tribu de Juda, nommé Élimélech, se réfugia dans le royaume de Moabite avec sa femme Noémi, dont le nom attestait la beauté : il y mourut. Ses fils épousèrent deux filles moabites ; l’une se nommait Orpha, l’autre Ruth ; elles devinrent veuves, de sorte que Noémi, restée seule avec ses deux belles-filles, résolut de retourner au pays de Juda. Noémi proposa à ses belles-filles de demeurer dans leur pays. Orpha y consentit ; mais Ruth, ne voulant pas quitter sa belle-mère qui était vieille, malheureuse et isolée, s’attacha à son sort et la suivit à Bethléem, adoptant ainsi la patrie de Noémi pour la sienne, et quittant ses idoles pour le culte du Seigneur. Les habitants se ressouvinrent de sa beauté, et, accouraient en foule pour la voir[17] ; mais elle leur dit : Ne me nommez plus Noémi ; appelez-moi Mara ; car le Seigneur m’a remplie d’amertume.

Un des parents de la famille d’Élimélech, nommé Booz, vivait alors à Bethléem : c’était un homme riche, puissant et bienfaisant. Ruth, avec la permission de sa belle-mère, allait un jour glané dans les champs. Elle se trouva par hasard sur les terres de Booz. Celui-ci, touché de sa grâce et de sa modestie, lui permit d’y revenir, et ordonna à ses moissonneurs de laisser pour elle, derrière eux, un grande quantité d’épis. Arès lui avoir exprimé sa reconnaissance, Ruth courut en rendre compte à sa belle-mère.

La loi voulait alors qu’une jeune veuve fût épousée par un de ses parents. Noémi conseilla à Ruth de retourner dans le champ de Booz, de chercher à entrer dans sa tente, sans être vue, de l’attendre le soir, en se couchant au pied de son lit, et de lui proposer, sans détour, de la prendre pour sa femme. Elle suivit ponctuellement ce conseil. Booz, surpris, en rentrant le soir chez lui, d’y trouver cette jeune personne, se sentit attendri par sa candeur et son innocence ; et comme il était informé de sa piété filiale pour la vertueuse Noémi, et de sa conversion au culte du Seigneur, il consentit à sa demande. Ayant engagé ses parents à lui céder leurs droits sur elle ; il l’épousa : un enfant naquit de ce mariage ; on le nomma Obed. Le fils d’Obed s’appela Isaïe, et Isaïe fut le père de David.

 

 

 

 



[1] An du monde 2553. — Avant Jésus-Christ 1451.

[2] Même année 2553.

[3] Même année 2553.

[4] An du monde 2570. — Avant Jésus-Christ 1434.

[5] An du monde 2719. — Avant Jésus-Christ 1285.

[6] Même année 2719.

[7] An du monde 2759. — Avant Jésus-Christ 1245.

[8] Même année 2759.

[9] An du monde 2768. — Avant Jésus-Christ 1236.

[10] An du monde 2817. — Avant Jésus-Christ 1187.

[11] An du monde 2848. — Avant Jésus-Christ 1156.

[12] An du monde 2867. — Avant Jésus-Christ 1137.

[13] An du monde 2880. — Avant Jésus-Christ 1124.

[14] An du monde 2885. — Avant Jésus-Christ 1118.

[15] Même année.

[16] An du monde 2885. — Ayant Jésus-Christ 1119.

[17] An du monde 2808. — Avant Jésus-Christ 1196.