HISTOIRE DES JUIFS

 

CHAPITRE TROISIÈME

 

 

ABRAHAM

On nous donne la généalogie d’Abraham dans l’ordre suivant : Sem, Asphaxad, Salé, Hébert, Phaaleg, Reü, Sarug, Nachor, Tharé et Abraham.

Tharé prit avec lui Abraham son fils, Sara sa belle-fille, et Loth son petit-fils. Ils sortirent d’Ur en Chaldée pour aller dans le pays de Chanaan. Ils arrivèrent jusqu’à Haran, où ils habitèrent. Tharé y mourut à l’âge de deux cent trente-cinq ans.

Dieu apparut à Abraham. Il lui ordonna de quitter sa famille, son pays, et de venir dans le lieu où il le conduirait. Il lui promit qu’un grand peuple sortirait de lui ; que son nom serait célèbre ; qu’il le bénirait et maudirait ses ennemis, et que tous les peuples de la terre seraient bénis en lui. Abraham avait alors soixante-quinze ans. Il marcha jusqu’à Sichem qu’occupaient alors les Chananéens. Dieu lui promit de donner ce pays à sa postérité. Abraham établit ses tentes sur une montagne près de Béthel, et continua ensuite sa marche vers le midi : mais le pays qu’il occupait étant désolé par la famine, il se retira en Égypte, où, craignant que la beauté de sa femme ne lui attirât des persécuteurs, il la fit passer pour sa sœur. Le roi d’Égypte en devint amoureux, et l’enleva. C’est en vain qu’il voulut réparer ce crime par de grandes largesses : le Seigneur frappa de plaies le monarque et sa maison. Pharaon rendit Sara à Abraham, en lui reprochant sa dissimulation, et le renvoya d’Égypte avec tout ce qui lui appartenait. Abraham revint à Béthel, où il s’établit. Mais il possédait, ainsi que Loth, tant de richesses que la terre qu’ils habitaient devint insuffisante pour eux deux. Ils se séparèrent, et Loth s’établit sur les rives du Jourdain, près de Ségor, dans un pays alors très fertile et très agréable.

Avant que Dieu eût détruit Sodome et Gomorrhe, huit ou dix rois, qui se partageaient cette contrée, se firent la guerre et se battirent dans la vallée des Bois, qui depuis est devenue la mer Salée. Le roi de Sodome était du nombre des vaincus. Loth, qui habitait ses états, fut emmené prisonnier par des vainqueurs qui s’emparèrent de ses biens. A cette nouvelle, Abraham rassemble les plus braves de ses serviteurs, bat les ennemis en plusieurs rencontres, les poursuit jusqu’à Damas, leur reprend leur butin, et délivre son neveu. Le roi de Sodome sortit au-devant de lui pour le recevoir ; et Melchisedec, à la fois pontife et roi de Salem, le bénit au nom de Dieu. Abraham, pour prix de sa bénédiction, lui donna la dîme du butin qu’il avait fait, et ne voulut recevoir aucun des présents que lui offrait le roi de Sodome.

Dieu renouvela ses promesses à Abraham et lui annonça qu’il aurait un fils. La prédiction fut d’abord accomplie par la naissance d’Ismaël qu’il eut, d’Agar sa servante[1]. L’exil punit l’orgueil d’Agar. Avertie par un ange, elle alla s’humilier devant Sara. C’est à son fils Ismaël que les Arabes attribuent leur origine, et par là ils semblent justifier cette prophétie faite à Agar : Votre fils sera un homme fier et sauvage. Il lèvera la main contre tous, et tous lèveront la main contre lui ; et il dressera ses pavillons contre tous ses frères.

Abraham reçut l’ordre de faire circoncire son fils et tous les esclaves nés dans sa maison : Les anges vinrent de nouveau annoncer à Sara, qui ne pouvait le croire, qu’elle aurait un fils. Ces anges, revêtus d’une forme humaine, s’étant rendus à Sodome, furent reçus par Loth qui employa les plus grands efforts pour les mettre à l’abri des outrages dont ils étaient menacés par les infimes habitants de cette ville impie. Dieu, pour punir cette cité corrompue, fit descendre du ciel sur Sodome[2] et sur Gomorrhe, aussi perverse qu’elle, une pluie de feu.

Loth, s’étant retiré dans Ségor, eut peur d’y périr, et chercha un asile sur une montagne. Les anges avaient défendu à sa femme et à lui de porter leurs regards sur les villes proscrites qu’ils venaient de quitter. La femme de Loth désobéit : elle se retourna pour voir les flammes qui brûlaient Sodome. Dieu, pour la punir de sa curiosité, la transforma en statue de sel. Loth, arrivé sur la montagne, entra dans une caverne avec ses filles. Celles-ci, croyant la terre dépeuplée comme les villes qu’elles avaient vues réduites en cendres, commirent un crime énorme. Elles enivrèrent leur père, et furent incestueuses dans l’espoir de devenir mères. Leurs fils s’appelèrent Moab et Ammon : les Ammonites et les Moabites leur doivent leur origine.

Abraham, quelque temps après, fit encore un voyage, et se rendit à Gérara. Craignant que, dans ce pays, on n’eût peu de religion, il pensa que les habitants pourraient le tuer pour s’emparer de sa femme : il employa donc le même stratagème qui lui avait si mal réussi en Égypte, et qui n’eut pas, cette fois, un meilleur succès ; car Abimélech, croyant que Sara n’était que la sœur d’Abraham, l’enleva ; mais, averti, par un songe, de l’outrage qu’il faisait au saint patriarche, il lui reprocha son artifice ; et combla les deux époux de présents.

Touché par ses prières, Dieu guérit Abimélech, sa femme ainsi que sa servante, que, dans sa colère, il avait frappés de stérilité. Sara vit enfin s’accomplir la parole divine. Elle conçut et enfanta, dans sa vieillesse, ce fils prédit par les anges. Il fut appelé Isaac[3].

Abraham alors âgé de cent ans, reçut de Dieu l’ordre de faire circoncire Isaac ; et, depuis, les Hébreux conservèrent cet usage.

Sara supportait impatiemment la présence d’Agar et de son fils Ismaël : elle exigea qu’Abraham les bannît tous deux. Abraham résistait mais Dieu, qui destinait Isaac à être le chef de son peuple, voulut qu’Abraham cédât au désir de Sara, et lui promit en même temps qu’il ferait naître d’Ismaël une grande nation. Abraham envoya Agar et  son fils dans le désert. Tous deux étaient près de succomber à la faim, à la soif et à la fatigue ; mais la douleur d’Agar, ses prières, sa confiance en Dieu, fléchirent le Créateur, qui pourvut à leur nourriture. Ismaël devint en peu de temps un chasseur adroit, et célèbre par son habileté à tirer de l’arc. Il habitait dans le désert de Pharan ; et sa mère, depuis lui fit épouser une femme égyptienne.

Les serviteurs d’Abimélech et ceux d’Abraham eurent, dans ce temps, quelques démêlés ensemble. Abraham les termina par un traité d’alliance dont Abimélech et lui jurèrent l’observation dans un lieu nommé Bethsabée. Abraham y creusa un puits, et y planta un bois pour conserver la mémoire de ce traité, le premier dont les détails aient été consacrés dans les annales du monde. A l’occasion de cette solennité, les deux chefs se firent réciproquement des présents ; et Abraham, tranquille d’après la foi jurée, demeura longtemps dans le pays des Philistins.

Sa piété avait été jusque là récompensée par un bonheur sans mélange ; mais Dieu, voulant mettre sa foi à l’épreuve, lui ordonna de partir avec son fils, et de lui offrir en sacrifice sur une des montagnes qu’il lui indiqua. Arrivés dans ce lien, ils dressèrent un autel, le couvrirent de bois. Quelle sera la victime ? demanda Isaac, ignorant l’ordre du Seigneur, Dieu lui-même l’a désignée, répondit Abraham[4] ; et sans hésiter, attachant Isaac sur l’autel ; il étendit la main et prit le couteau pour immoler son fils : mais à l’instant un ange, arrêtant son bras, lui cria : Ne faites aucun mal à cet enfant ; car Dieu, voit maintenant à quel point vous le craignez, puisque pour lui obéir vous n’avez pas épargné votre fils unique. A ces mots, Abraham, entendant du bruit, tourna la tête, et vit un bélier qui s’était embarrassé avec ses cornes dans un buisson : l’ayant pris, il l’offrit en sacrifice à la place de son fils. L’ange du Seigneur renouvela au patriarche toutes les promesses que Dieu lui avait faites ; et lui dit : Toutes les nations de la terre seront bénies dans celui qui sortira de vous.

Bientôt, Abraham eut la douleur de perdre Sara qui mourut à l’âge de cent vingt-sept ans, à Hébron, dans le pays de Chanaan[5]. Les larmes d’Abraham coulèrent pour la première fois. Il porta le deuil de Sara, et demanda aux Chananéens de lui céder un sépulcre pour enterrer la compagne fidèle qu’il avait perdue. Ephron, l’un des enfants de Heth, voulut lui faire présent d’un champ et d’une caverne qu’il possédait, mais Abraham n’y consentit pas  et les acheta quatre cents sicles d’argent Il déposa Sara dans la caverne double du champ qui regarde Membré, près de la ville d’Hébron, au pays de Chanaan dont les habitants de Heth lui garantirent la possession.

Abraham, se voyant avancé en âge, voulut marier son fils, et fit jurer à l’intendant qui gouvernait sa maison de ne jamais laisser épouser à Isaac une Chananéenne, et d’aller lui chercher une femme dans le pays qu’habitait encore sa famille. Il lui défendit pareillement de ramener son fils dans ce pays, d’où il était sorti par la volonté de Dieu. L’intendant suivit les ordres de son maître et partit pour la Mésopotamie.

Arrivé prés de la ville de Nachor, il pria le Seigneur d’ordonner que la fille destinée par la Providence à devenir la femme d’Isaac arrivât la première dans le lieu où il s’était arrêté, et lui donnât le moyen de la reconnaître au bon accueil qu’elle lui ferait. Sa prière fut exaucée ; bientôt après il vit paraître Rébecca, fille de Bathuel, et nièce d’Abraham.

C’était une vierge parfaitement belle. Comme elle allait puiser de l’eau à une fontaine située dans cet endroit, l’intendant lui en demanda, elle lui donna à boire, et lui offrit de tirer de l’eau pour tous ses chameaux. L’intendant, pour lui marquer sa reconnaissance, lui donna des pendants d’oreilles et des bracelets d’or. Rébecca courut informer sa mère de cette rencontre et de ces offres. Laban, frère de Rébecca, vint au-devant de l’intendant et le conduisit avec tout son bagage dans la maison de Bathuel. Avant de profiter de l’hospitalité qu’on lui offrait, l’intendant s’acquitta des ordres d’Abraham, et demanda à Bathuel d’accorder pour épouse à Isaac sa fille Rébecca. Bathuel reconnut la volonté divine dans cette rencontre, et Rébecca, partit avec l’intendant pour le pays de Chanaan, où elle épousa Isaac.

Abraham, quoique vieux, se maria avec une femme, nommée Cétura. Sentant ses forces s’affaiblir, il déclara Isaac son héritier, fit des présents aux fils de ses autres femmes, et les envoya s’établir dans l’Orient. Il avait conservé, dans sa vieillesse, son bonheur et sa santé. Agé de cent soixante-quinze ans, étant parvenu, comme le dit l’Écriture, à la plénitude de ses jours, il mourut, et fut réuni à son peuple[6].

Isaac et Ismaël ses enfants le portèrent dans la caverne d’Éphrom, où ils l’enterrèrent près de Sara. Abraham florissait l’an 2148 du monde, mil huit cent cinquante-six ans avant Jésus-Christ, dans le temps où Inachus, fondait en Grèce, le royaume d’Argos.

Nous ne nous permettrons aucune réflexion sur ce qui peut paraître étrange et même inexplicable dans l’histoire d’Abraham ; la philosophie doit respecter les traditions sacrées ; elle serait imprudente si elle portait sa critique sur les livres saints. Ainsi nous nous bornerons à faire quelques observations morales sur la vie de ce grand homme, choisi pour être la tige et le père de tous les croyants. Au milieu des peuples corrompus, il conserva les mœurs antiques ; entouré de la magnificence des rois, il mena toujours une vie simple et pastorale. L’existence humaine était encore d’une très longue durée ; selon l’écriture, Noé achevait sa vie lorsque Abraham commençait la sienne, et Sem vivait encore.

Malgré les souvenirs que devaient conserver des générations si rapprochées, les lois divines étaient oubliées, sur la terre, tous les peuples se livraient l’idolâtrie ; et, pour conserver le dépôt du culte spirituel, Dieu choisit celui qui résistait à la contagion générale.

Abraham fut toujours célèbre dans l’Orient. Les Iduméens ainsi que les Hébreux le regardent comme leur père. Son dévouement fut sans bornes comme sa piété. Il sacrifia à Dieu ce qu’il avait de plus cher, les lieux de sa naissance et son fils. Abraham était compté par les Chaldéens, ses compatriotes, comme un de leurs plus savants astronomes. Quoique pasteur, il sait faire la guerre, il défendit son indépendance, et vengea ses alliés. Respecté par ses vertus, il traitait d’égal à égal avec les rois.

Nous ne pouvons avoir qu’une imparfaite connaissance des évènements de ces siècles reculés ; mais ce qui est certain, c’est que le nom d’Abraham a traversé les temps, toujours en vénération parmi les hommes.

 

 

 

 



[1] An du monde 2107. — Avant Jésus-Christ 1897.

[2] An du monde 2107. — Avant Jésus-Christ 1897.

[3] An du monde 2108. — Avant Jésus-Christ 1896.

[4] An du monde 2145. — Ayant Jésus-Christ 1859.

[5] An du monde 2145. — Avant Jésus-Christ 1859.

[6] An du monde 2183. — Avant Jésus-Christ 1821.