HISTOIRE DE LA GRÈCE

 

QUATRIÈME ÂGE DE LA GRÈCE

 

 

GUERRE CONTRE LES ROMAINS

LES Étoliens, ennemis de toute puissance qui s’opposait à leurs brigandages haïssaient les Romains depuis qu’ils dominaient dans la Grèce, et, restant en apparence alliés de Rome, ils animaient secrètement Nabis contre elle,’ l’exhortait de se venger, entretenaient des intelligences avec Antiochus, roi de Syrie, et l’invitait à porter ses armes dans la Grèce.

Nabis suivit leurs conseils, souleva les villes maritimes, et assiégea Githium. Rome envoya sur les côtes de la Laconie le préteur Acilius avec une flotte ; et les Achéens, ayant donné le commandement de leurs armées à Philopœmen déclarèrent la guerre aux Lacédémoniens[1].

Philopœmen arma quelques vaisseaux qui furent battus par ceux de Nabis : il répara bientôt cet échec, défit le tyran en bataille rangée près de Sparte, et le força à se renfermer dans la ville.

La paix étant ainsi rompue, les Étoliens suivirent leurs projets plus ouvertement, contractèrent une alliance avec Antiochus, et forcèrent le dessein de s’emparer à la fois de Démétriade, de Chalcis et de Lacédémone. Trois généraux furent chargés de cette expédition : Dioclès surprit Démétriade ; Thos fut repoussé par les habitants de Chalcis ; Alexamène crut réussir par une trahison : feignant de vouloir secourir Sparte, il y introduisit mille hommes, que Nabis reçut avec joie comme un utile secours contre les Achéens. Alexamène, sous prétexte de conférer avec lui, l’éloigna de sa troupe, le saisit brusquement, le renversa de cheval, et le fit tuer par ses soldats. Ce triomphe dû à la perfidie, fut de courte durée : tandis que les Étoliens couraient au palais pour le piller, les Spartiates se précipitèrent sur eux, les taillèrent en pièces, et vengèrent la mort de Nabis par celle d’Alexamène.

Philopœmen, profitant de cette confusion, entra avec ses troupes dans la ville, rassembla le peuple, l’engagea à reprendre ses lois, sa liberté, et à se joindre à la confédération des Achéens. Il empêcha ses troupes de commettre les excès qui suivent presque toujours la victoire, refusa un présent de cent vingt talents que lui offraient les Lacédémoniens, et se couvrit d’une gloire brillante qu’il dut plutôt à ses vertus qu’à ses armes.

Le roi de Syrie, attiré par les promesses des Étoliens, entra en Grèce, et s’empara de quelques villes. Il pouvait, en poursuivant, ses succès avec rapidité, acquérir assez d’alliés et de forces pour se mettre en état de fermer ces belles contrées aux Romains ; mais il ne profita de ses premiers avantages que pour étaler aux yeux des Grecs son luxe asiatique : perdant un temps précieux, il passa ses jours en festins et en débauches. Le consul Manius Acilius, rassemblant ses forces-, l’attaqua près des Thermopyles, tourna sa position et le battit complètement. Antiochus, vaincu, se retira en Asie, laissant ses alliés exposés aux vengeances de Rome.

Le consul conseillait aux Étoliens de se livrer à la clémence du sénat ; ceux-ci refusèrent de se soumettre. On leur demandait de livrer aux vainqueurs les portes de leur capitale, Héraclée. Cette humiliation leur parut insupportable, d’ailleurs ils avaient trop offensé les Romains pour croire à leur indulgence. Toute négociation étant rompue, le consul forma le siège d’Héraclée. Les Étoliens combattirent avec le courage du désespoir : malgré leurs efforts, Acilius prit la ville d’assaut, la livra au pillage, et força la citadelle à capituler. Le reste de la nation se renferma dans Naupacte : le consul les y bloqua, et les réduisit bientôt à la dernière extrémité. Apprenant enfin qu’Antiochus, leur dernier espoir, plus malheureux encore en Asie qu’en Europe, venait d’être totalement vaincu à Magnésie par Scipion, ils se soumirent au peuple romain qui les contraignit à payer mille talents et à livrer leurs chevaux et leurs armes.

Ce fut à peu près à cette époque que, le consul voulant s’emparer de Sparte, Philopœmen, ennemi de toute domination étrangère et haïssant autant l’ambition de Rome que celle de Philippe, se jeta, audacieusement dans cette ville, ranima le courage des citoyens, et força le consul à s’en éloigner. Mais quelque temps après, Lacédémone mit ce même Philopœmen dans la nécessité de marcher contre elle.

Les Achéens protégeaient l’indépendance des bourgs maritimes, que Sparte voulait toujours asservir. Les Spartiates croyant que les bannis rentrés, dans la ville depuis la paix, entretenaient des intelligences avec les Achéens, et favorisaient la cause des villes maritimes, proscrivirent ces émigrés, en firent mourir trente, rompirent toute alliance avec les Achéens ; et, aveuglés par leur ressentiment contre cette confédération, ils écrivirent au consul Fulvius, et lui offrirent de mettre la république dans la dépendance et sous la protection de Rome.

Les Achéens déclarèrent la guerre à Sparte, et les deux partis envoyèrent des députés à Rome pour rendre le sénat juge de ce différend. Sa décision fut ambiguë comme celle des oracles. Les Achéens l’interprétèrent en leur faveur. Philopœmen s’approcha de Sparte à la tête de son armée, et demanda le châtiment de ceux qui, au mépris du traité, venaient récemment de s’emparer du bourg maritime de Los. Les citoyens les plus distingués sortirent de la ville pour négocier ; mais, au milieu de la conférence, les bannis de Sparte, qui se trouvaient dans le camp des Achéens, se précipitèrent sur leurs concitoyens, et en massacrèrent quatre-vingt. Ce funeste événement répandit le trouble dans la ville : Philopœmen y entra presque sans résistance ; et ne regardant plus Sparte alors comme l’ornement de la Grèce mais comme un trophée de Rome, il fit démolir ses murs, licencia ses soldats mercenaires, et port a le dernier coup à cette fameuse cité en abolissant les lois de Lycurgue, qui firent si longtemps sa force.

Le sénat romain, jaloux des progrès de la confédération achéenne, prit parti pour Lacédémone, cassa le jugement des Achéens, et ordonna que Sparte entrerait dans la ligue achéenne sans payer de tribut, sans recevoir de garnison, et en conservant son indépendance.

Depuis ce moment, les Romains favorisèrent constamment tous les peuples ennemis des Achéens. A leur instigation, les Messéniens se séparèrent de la ligue, lui firent même la guerre, et s’emparèrent de Coron. Philopœmen, quoique malade et âgé de soixante-dix-huit ans, commandait encore l’armée ; il marcha vers Messène, et battit d’abord les ennemis : mais, ceux-ci ayant reçu un grand renfort, l’enveloppèrent. Les Achéens, accablé par le nombre, prirent la fuite. Philopœmen combattant à l’arrière-garde, faisait oublier sa vieillesse par des prodiges de valeur : mais son cheval tomba ; il fut blessé et pris[2]. Dinocrate, général des Messéniens, l’exposa, chargé de chaînes sur le théâtre aux yeux du peuple de Messène ; ensuite il le jeta dans une prison et le fit mourir. Lorsqu’on présenta au héros le poison qui devait terminer ses jours, il demanda au bourreau ce qu’étaient devenus les Achéens, et particulièrement un officier nommé Lycortas qu’il chérissait. On lui répondit que ses troupes, se faisant courageusement jour au travers des Messéniens, s’étaient retirées, et se trouvaient en sûreté : Eh bien ! dit-il, je meurs content, puisque l’armée achéenne est sauvée.

La mort de ce grand homme rendit les Achéens furieux, tous prirent les armes : le désir de la vengeance doublait leurs forces ils ravagèrent la Messénie, s’emparèrent de la capitale, et la contraignirent à livrer les meurtriers de Philopœmen. Ils furent lapidés auprès de son tombeau. Dinocrate prévint son supplice en se tuant.

On porta les cendres du héros à Mégalopolis. Les peuples venaient au-devant du convoi, l’armée le suivait ; et toute la Grèce en larmes semblait porter le deuil de sa gloire et de sa liberté. Cette année vit mourir trois grands hommes, Annibal, Scipion et Philopœmen.

Les Romains, profitant de la division des peuples et du despotisme insensé des rois, suivaient avec leur habileté ordinaire le projet de subjuguer entièrement les Grecs.

Philippe ne régnait plus en Macédoine ; la. fin de ses jours, la discorde qu’il avait répandue dans la Grèce divisa sa maison. Persée l’aîné de ses enfants, conçut une haine violente contre Démétrius son frère. Celui-ci, élevé par les Romains, pouvait un jour se rendre redoutable avec leur appui Persée le crut, et résolut de le perdre. Il l’accusa d’abord faussement d’avoir voulu attenter à ses jours dans une joute, et d’être venu la nuit avec des gens armés pour l’assassiner. L’innocence de Démétrius triompha de la calomnie. Persée ne se découragea point, et persécuta tellement son frère, que ce jeune prince, voulant mettre sa vie en sûreté, profita d’une absence du roi pour tenter de s’échapper. Persée accompagnait alors Philippe ; il avait placé auprès de son frère un traître qui, sous l’apparence de l’amitié, épiait ses démarches, et méditait sa perte. Par ses perfides conseils, Démétrius, dans l’intention de rendre sa fuite plus facile, écrivit au gouverneur d’une province des lettres qu’on livra au roi. Cette correspondance fut regardée comme un crime. Philippe, accablé de chagrins, affaibli par l’âgé et par les revers, et continuellement aigri par Persée, condamna Démétrius. Il périt, et son frère monta sans rivaux sur un trône ensanglanté, qu’il déshonora par sa lâcheté, comme il l’avait souillé par ses crimes.

Le nouveau roi de Macédoine, que ses flatteurs enivraient d’orgueil, se crut capable de renverser la puissance du peuple romain : il grossit son armée, envoya des émissaires dans la Grèce pour la soulever, et chercha partout des alliés. Eumène, roi de Pergame, trahit sa confiance, et découvrit ses projets à Rome. Persée, pour se venger, fit attaquer ce prince par des pirates à son retour en Asie : Eumène, blessé par eux, fut laissé sur la place comme mort. Secouru par des pécheurs, il revint à la vie, et reprit son trône, dont Attale, son frère, s’était déjà emparé sur le bruit de son trépas.

Paul-Émile, à la tête d’une armée romaine, attaqua Persée ; cet habile général enfonça la phalange macédonienne ; il la détruisit totalement, remporta une victoire complète, et conquit toute la Macédoine. Persée, qui ne savait ni vaincre, ni mourir, fut chargé de chaînes, orna le triomphe de Paul-Émile, et termina ses jours dans la captivité.

Athènes soumise aux Romains, Sparte vaincue, les Étoliens détruits, l’Asie subjuguée, la Macédoine réduite en province romaine, n’offraient plus d’obstacles à l’ambition d’un sénat maître de tant de rois et de tant de peuples. Les Achéens seuls rappelaient encore, par leurs exploits et par leur indépendance, la puissance et la liberté de la Grèce ; Rome résolut, leur ruine : elle sema d’abord la division parmi les villes de la confédération, et y acheta des partisans. Lorsqu’elle les vit désunies, et sans espoir de secours de la Macédoine, ni de l’Asie ; elle envoya des commissaires qui parlèrent en maîtres, traitèrent les Achéens comme des sujets révoltés, et firent des informations juridiques contre ceux d’entre eux qui avaient favorisé Persée par leurs conseils ou par leurs secours. Callicrate, indigne par sa bassesse du nom d’Achéen, vendit sa patrie, et dénonça tous ceux de ses concitoyens qui s’étaient le plus distingués par, leur amour pour l’indépendance. On en arrêta mille, et on les envoya à Rome : le célèbre historien Polybe était de ce nombre. Le sénat, sans les entendre, sans les juger, les exila dans plusieurs villes d’Italie. Leurs compatriotes demandèrent longtemps leur liberté : enfin, au bout de dix-sept ans, le sénat permit leur retour. La plupart étaient morts de chagrin et de misère, et trois cents seulement revirent leur patrie.

Quelques années après, la Grèce tenta un dernier effort pour recouvrer son indépendance : la liberté, semblable à une lampe qui s’éteint, y jeta une dernière lueur avant d’expirer.

Démocrite, premier magistrat des Achéens, attaqua Sparte que protégeaient les Romains, et pilla la Laconie. Rome envoya des commissaires à Corinthe pour se plaindre de cette infraction des traités. Les Grecs, irrités, reçurent avec mépris leurs remontrances. Critolaüs, général des Corinthiens, parcourait toutes les villes de la Grèce, et les excitait à combattre pour la liberté.

Le consul Metellus se trouvait alors en Macédoine. Il fit partir quatre députés pour Corinthe, et les chargea d’exhorter la ligue achéenne à ne pas s’exposer aux vengeances des Romains. Ces députés furent insultés et chassés.

Critolaüs disait hautement que, pour résister à Rome, il suffisait de le vouloir ; que tous les peuples, indignés contre sa tyrannie, n’attendaient qu’un signal, et qu’en montrant une noble audace, on serait soutenu par les rois d’Orient. Les passions croient facilement ce qu’elles désirent, et le vif regret de la liberté perdue faisait saisir avidement le plus léger espoir de délivrance.

Thèbes, l’Arcadie, l’Eubée et la plupart des Achéens embrassèrent le parti de Corinthe. Metellus proposa de nouveau la paix, avec le sacrifice de quelques villes ; on refusa de l’écouter. A la tête de son armée, il marcha contre les Grecs, les mit en déroute, et fit plus de mille prisonniers.

Critolaüs, désespéré du mauvais succès d’une guerre dont il était l’auteur, prit la fuite et se noya. Diœus le remplaça et rassembla une armée de quatorze mille hommes. Metellus, poursuivant rapidement ses avantages, passa au fil de l’épée un corps de mille Arcadiens, enta dans la ville de Thèbes, qu’il trouva abandonnée par ses habitants, et s’avança sur Corinthe, où Diœus était renfermé.

Sur ces entrefaites, Mummius arriva avec de nouveaux renforts, et prit le commandement de l’armée romaine. Trois magistrats de la ligue achéenne, et dévoués à Rome, se trouvaient dans son camp. Il les fit entrer dans la ville pour engager les Achéens à se soumettre : mais la faction de Diœus les jeta dans un cachot. Les assiégés firent ensuite une sortie vigoureuse, et forcèrent les Romains de s’éloigner.

Enflé de ce succès, Diœus offrit la bataille au consul : celui-ci, retenant l’ardeur de ses troupes, affecta une contenance timide pour enhardir l’aveugle présomption des Achéens. Ils s’avancèrent avec une confiance téméraire ; le combat eut lieu dans la partie la plus étroite de l’isthme. Le consul avait placé en embuscade sa cavalerie ; elle prit les Grecs en flanc, les mit en pleine déroute, et leur coupa la retraite.

Diœus, perdant tout espoir de liberté, courut à Mégalopolis, sa patrie, tua sa femme, mit le feu dans sa maison, et s’empoisonna.

Les Achéens, sans chef, se dispersèrent. Une grande partie des habitants de Corinthe s’échappèrent pendant la nuit. Mummius entra dans la ville et la livra au pillage. On vendit les femmes et les enfants ; on mit à part les statues et les tableaux ; toutes les maisons furent brûlées, et les murailles détruites jusqu’aux fondements. Ainsi, périt Corinthe, dans la même année qui vit détruire Carthage        

On démolit les fortifications de toutes les villes qui avaient pris part à l’insurrection. La violation du droit des gens, dans la personne des ambassadeurs, fut le prétexte, et la position importante de Corinthe, le motif réel de cette vengeance atroce.

Le sénat envoya des commissaires dans la Grèce. Ils la déclarèrent réduite en province romaine, abolirent dans toutes les cités le gouvernement populaire, et y placèrent des magistrats chargés de les gouverner par leurs anciennes lois. Cette nouvelle province reçut le nom d’Achaïe ; titre de gloire pour les Achéens, puisqu’il rappelait que ce peuple courageux avait défendu le dernier la liberté de la Grèce.

Sous la domination romaine, les villes grecques jouirent longtemps d’un profond repos. Gouvernées par leurs magistrats, elles n’eurent plus de héros, mais elles brillèrent de l’éclat plus doux des sciences, des lettres et des arts.

Lorsque, dans la suite, Mithridate souleva l’Asie et une partie de l’Europe contre Rome Archélaüs, par ses ordres, s’empara d’Athènes, et la mit sous le gouvernement d’un Athénien nommé Aristion. Sylla, charge par le sénat de combattre Mithridate, entra dans la Grèce à la tête de cinq légions. Toutes les villes lui ouvrirent leurs portes : Athènes seule, fidèle au parti de Mithridate, résista aux Romains. Sylla en forma le siège ; la hauteur des murailles et le courage des habitants arrêtèrent longtemps ses guerriers. Sylla, pour construire ses machines, coupa les arbres du Lycée ; et, comme il manqua d’argent, il pilla les temples de Delphes et d’Épidaure. De part et d’autre on combattit avec acharnement. Les sorties étaient aussi fréquentes que les assauts ; les tours et les machines de Sylla furent souvent renversées ; on employait avec succès, des deux côtés, les mines. L’une d’elles ayant fait écrouler un grand pan de muraille, Sylla ordonna un assaut général. Les Romains firent vainement des prodiges de valeur ; ils furent repoussés ; et, pendant la nuit, les Athéniens fermèrent la brèche par un nouveau mur.

Sylla convertit le siège en blocus. Une horrible famine, plus meurtrière que les armes romaines, découragea les habitants qui forcèrent Aristion à capituler.

Les députés d’Athènes, arrivés dans le camp romain, adressèrent au général un discours éloquent dans lequel ils rappelaient avec fierté la gloire de leur patrie et les exploits de leurs ancêtres. Le farouche Sylla, les interrompant, leur dit : Je ne suis pas venu avec une armée pour  écouter des harangueurs et pour entendre les Athéniens vanter leurs anciennes prouesses ; mais pour châtier des rebelles. Soumettez-vous donc, ou périssez.

La conférence étant rompue, la nuit suivante, il donna un nouvel assaut, prit la ville par escalade, l’abandonna au pillage, égorgea la plupart des habitants, fit vendre les esclaves à l’encan, et assiégea la citadelle qui se rendit faute de vivres.

Aristion et ses partisans furent mis à mort ; Sylla s’empara du Pirée, le démolit et brûla l’arsenal. Après avoir vaincu Mithridate près de Chéronée et d’Orchomène, il rangea de nouveau toute la Grèce et la Macédoine, ainsi que les villes grecques de l’Asie, sous la domination romaine.

Les Grecs, subjugués, firent encore éclater à différentes époques leur ardent amour pour la liberté. Dans le temps des guerres civiles, ils prirent le parti de Pompée contre César. Après la mort de ce dernier, bravant le courroux d’Octave, les Athéniens élevèrent des statues à Cassius.

Rome était devenue la maîtresse du monde, Athènes fut la capitale des lettrés, des talents et des arts. On y venait de toutes parts étudier les sciences et prendre des leçons de goût et d’éloquence. Cicéron et son fils se formèrent dans ses écoles. Titus et Marc-Aurèle confièrent à des maîtres grecs l’éducation de leurs enfants. On méprisait à Rome celui qui ne savait pas la langue grecque. Dans la décadence de l’empire, Basile, Grégoire, Chrysostome, puisèrent dans Athènes les lumières qu’ils répandirent sur l’église chrétienne ; et le despotisme seul des Musulmans parvint à détruire cette domination de l’esprit qui avait remplacé celle des armes.

 

TABLEAU LITTÉRAIRE DE  LA GRÈCE PENDANT LE QUATRIÈME ÂGE

PANÆTIUS, philosophe stoïcien, était né Rhodes, et vint faire ses études à Athènes. La sévérité de sa morale, la force de ses raisonnements et son érudition lui acquirent une grande réputation ; elle s’étendit au-delà de sa patrie, et il fut appelé à Rome. Le peuple romain, que les Grecs nommaient encore barbare, dans le temps de l’expédition de Pyrrhus en Italie, n’aimait que la gloire des armes, et n’admirait que les vertus fortes qui maintenaient la liberté dans l’état et conservaient le respect des lois et des mœurs. On méprisait alors à Rome la philosophie épicurienne qui corrompt l’esprit public, et on vivait dans une telle ignorance des arts que, lorsque Mummius envoya en Italie les chefs-d’œuvre des plus grands peintres et des plus habiles sculpteurs de la Grèce, il ordonna que, dans le cas où le voyage détériorerait quelques tableaux ou quelques statues, l’homme chargé de les transporter en ferait faire d’autres  à ses frais.

Les ouvrages des stoïciens furent les premiers que Rome accueillit : leur doctrine austère y obtint un plein succès parce qu’elle était conforme aux mâles vertus de ces fiers républicains.

Le philosophe Panætius introduisit un des premiers les lettres grecques dans la capitale du monde. Il devint l’ami de Lélius et de Scipion, et accompagna ce dernier dans tous ses voyages. Il avait composé un Traité des Devoirs, dont Cicéron vantait le mérite, et dont il tira parti dans ses Offices.

Longtemps après, un autre stoïcien, Épictète, illustra sa secte en Italie. Grec de naissance, esclave à la cour de Néron, et ensuite affranchi, il partagea l’honorable exil des philosophes, lors que ce farouche tyran les chassa de Rome. Il résida à Nicopolis ; Adrien le rappela en Italie. L’esclavage lui avait appris à aimer la liberté, la tyrannie à chérir la vertu, et le malheur à souffrir avec patience. Il pratiquait avec exactitude ce que les autres se contentaient souvent d’enseigner. Ses principes sublimes paraissent au-dessus de la faiblesse humaine ; mais cette faiblesse même trouve un remède salutaire dans les maximes d’Épictète. C’est dans les temps d’abattement et d’adversité qu’on les lit avec plus de plaisir et de fruit. Elles aident à supporter les coups du sort ; on se sent plus ferme après les avoir lues.

La soumission à la Providence e la nécessité de se conformer, pour être heureux, à l’ordre quelle a établi, la résignation dans l’adversité e la modération dans le bonheur tel est le but et l’esprit de sa philosophie.

DÉMÉTRIUS DE PHALÈRE. Les événements que nous avons racontés, ont fait connaître la sagesse, de son administration et l’ingratitude des Athéniens. Comme orateur, il acquit une réputation brillante ; mais son éloquence se ressentait de l’état de décadence de la Grèce. On y voyait plus d’adresse que de force, plus d’ornements que de vérités ; et il s’occupait plus de plaire à ses auditeurs que de les convaincre.

Il fut disciple de Théophraste, dont le style passait déjà pour être trop orné, mais qui se distinguait par un rare talent pour peindre les vices et les passions.

Postérieurement, d’autres orateurs, tels que Basile, Grégoire, Chrysostome, jouirent d’une grande célébrité par leur imagination brillante et par le mérite plus solide que donnait à leurs écrits la pureté de la morale chrétienne.

DENIS D’HALICARNASSE[3]. Né en Carie, il vint en Italie dans le temps de la bataille d’Actium. Il fit de savantes recherches sur l’origine du peuple romain. Son livré des 4ntiquités romaines est fort estimé. Nous lui devons une connaissance exacte des premiers temps de Rome. Il cherchait là vérité, mais il négligeait de l’orner, et il est plus cité pour son érudition que pour son éloquence. On croyait avoir perdu une partie de ses ouvrages, elle vient de se retrouver dans la Bibliothèque Ambrosienne.

DIODORE DE SICILE. Il vivait du temps de César et d’Auguste : sa Bibliothèque historique formait quarante volumes ; il ne nous en est resté que quinze. Cet ouvrage comprenait l’histoire des temps fabuleux de la Grèce, celle des Perses et des Grecs, depuis l’expédition de Xerxès jusqu’à la mort d’Alexandre j ainsi que le récit des événements qui s’étaient passés sous les successeurs du conquérant macédonien. Son style est clair, ses réflexions sont judicieuses ; mais on lui reproche d’avoir adopté légèrement les erreurs de Ctésias et les traditions des prêtres.

PLUTARQUE naquit à Chéronée en Béotie ; son esprit brillant et fécond a suffisamment vengé ses concitoyens du reproche qu’on leur faisait de manquer d’imagination. C’est peut-être de tous les auteurs grecs, celui qu’on relit à présent avec le plus de plaisir et d’utilité. Il vivait du temps de Néron, et fit plusieurs voyages en Italie, sous le règne de Vespasien. Pour mieux peindre les hommes illustres, il parcourait les différentes contrées qui les avaient vus naître.

Plutarque jouit d’une double célébrité comme philosophe et comme historien. Le temps nous a conservé une grande partie des Vies des hommes illustres et ses Œuvres morales. Son chef-d’œuvre fut le premier de ces deux ouvrages. Admirable par la simplicité du récit et par l’originalité des portraits, à la fois peintre et historien, il ne se borne pas à raconter les actions des hommes fameux ; il dessine leur physionomie, peint leur caractère fait entendre leurs paroles, donne une exacte connaissance de leurs habitudes et de leurs mœurs. Guide utile pour les jeunes amants de la gloire, il les fait vivre familièrement avec les modèles qu’ils doivent imiter. Peut-être se plait-il à faire de trop grands détours et à raconter longuement ; mais il raconte si bien qu’il attache toujours. On trouve de la bonté dans sa force, et de la grâce dans sa négligence ; ce qui lui donne un caractère dont la piquante originalité est inimitable.

Ses Œuvres morales offrent un mélange confus de beautés et de défauts, d’erreurs et de vérités, de pensées, profondes et de, préjugés populaires. C’est une mine féconde où l’on rencontre les métaux les plus précieux mêlés avec les pierres les plus communes.

Il est difficile de lire cet ouvrage de suite ; mais il est impossible de n’y pas revenir souvent. Digne des beaux jours de la Grèce, il en est, pour ainsi dire, le tableau. On y voit de la liberté, de l’anarchie, du génie, de la superstition, beaucoup d’érudition, d’inconséquences, et le mélange d’une morale sévère avec une tolérance pour quelques vices, qui serait inexplicable dans tout autre pays et dans tout autre temps que ceux où les vices déifiés trouvaient tant d’appuis sur la terre et tant d’exemples dans les cieux.

Plutarque se distingua de beaucoup de philosophes de son temps, en se faisant estimer par sa conduite comme par ses ouvrages ; et si les étrangers admiraient le savant célèbre, l’écrivain éloquent, les habitants de Chéronée chérissaient et respectaient en lui, un bon fils, un bon père, un sage magistrat et un excellent citoyen.

Arrien, Appien, Elien, Hérodien, sous le règne des empereurs, méritèrent quelque réputation comme historiens, mais dans un rang bien inférieur à celui, des écrivains dont nous venons de parler.

 

LES Grecs vivaient dans un pays enchanté, véritable image de la jeunesse de la terre. Ne respirant que pour la gloire et les plaisirs ; bercés par des fables, entourés de prestiges ; se nourrissant d’illusions ; leur imagination active les rapprochait des dieux, en donnant à ceux-ci toutes les passions humaines ; d’un autre côté, elle animait toute la matière en divinisant la nature.

S’ils avaient une décision importante à prendre, Jupiter les éclairait par un oracle ; le vol des oiseaux, leur annonçait les revers ou les succès. Marchaient-ils aux combats, Mars conduisait leurs guerriers. Couraient-ils après les voluptés Vénus et l’Amour les attendaient sous des bosquets de myrtes ; Apollon et les Muses, variant leurs plaisirs faisaient retentir les théâtres d’accents harmonieux. Cherchaient-ils le repos et l’ombrage, les Dryades épaississaient pour eux l’obscurité des forêts ; les Naïades rafraîchissaient dans une onde limpide leurs membres fatigués ; Pan veillait avec les bergers à la garde de leurs troupeaux ; Diane guidait à la chasse leurs meutes ardentes et rapides ; l’Hyménée recevait les serments des époux ; Lucine consolait les femmes dans les douleurs de l’enfantement ; d’autres divinités présidaient aux funérailles.

Les affections tendres, les passions haineuses s’entretenaient aux autels de l’Amour, de l’Hymen., de la Discorde et de la Vengeance. Rien ne se faisait dans la vie sans l’intervention de quelque divinité : aussi tout dans la Grèce était poétique, allégorique ; et tout dans les coutumes, dans les fêtes, dans les cérémonies rappelait à l’esprit comme au cœur par des images riantes, par des emblèmes ingénieux, l’alliance éternelle du ciel et de la terre.

Les époux, en se rendant au temple, marchaient couronnés de fleurs ; un prêtre leur présentait une branche de lierre, symbole de leur union ; ils offraient des sacrifices à Diane et à Minerve, pour apaiser ces divinités chastes qui ne s’étaient point soumises aux lois de l’hymen ; à Jupiter et à Junon, comme modèles des éternelles amours ; au Ciel et à la Terre, pour demander la fécondité ; aux Parques, qui décident de la durée de la vie ; aux Grâces, qui embellissent les époux ; à Vénus et à l’Amour, parce qu’ils leur devaient le bonheur.

Ils déposaient des tresses de leurs cheveux sur le tombeau des cultivateurs, afin d’honorer l’agriculture et d’encourager les travaux domestiques. Les parents des jeunes époux les unissaient ; ils se juraient fidélité, et retournaient dans leurs foyers accompagnés de chœurs de musiciens et de danseurs, La maison était illuminée et ornée de guirlandes. En allant au temple, ils avaient placé des fleurs sur leurs têtes ; au retour, on y posait une corbeille de fruits, douce image d’abondance et de prospérité.

On chantait des vers à l’honneur d’Hyménéus, jeune citoyen d’Argos, qui rendit autrefois la liberté à de jeunes Athéniennes enlevées par des corsaires, et qui reçut la main d’une de ces vierges pour prix de son courage.

On passait ensuite dans la salle de festin ; les poètes chantaient des épithalames sur la lyre. Un jeune enfant, couronné d’aubépine et de feuilles de chêne, portait un corbeille de pain, et entonnait un hymne qui finissait par ce refrain : J’ai changé mon ancien état contre un état plus  heureux.

Un chœur de jeunes danseuses, parées de myrtes, et formant des pas voluptueux, représentait les jeux, les caprices et l’ivresse de l’amour. Le père allumait un flambeau nuptial ; et conduisait sa fille chez son époux. En s’y rendant, elle portait un vase de terre destiné à cuire l’orge ; une de ses femmes tenait un crible ; et sur la porté on suspendait un instrument propre à piler des grains.

Tandis que ces emblèmes rappelaient les devoirs d’une vie laborieuse ; toutes les personnes invitées à la fête chantaient et dansaient autour de la maison. Les amis de l’époux en défendaient l’entrée. Le jour suivant on venait les féliciter par de nouveaux chants consacrés à l’Hymen.

Les mœurs de la Grèce offraient aux regards de l’étrangère deux tableaux bien opposés : en arrivant à Corinthe ou dans Athènes, il ne voyait partout que le plaisir et la volupté ; ses veux étaient éblouis par l’éclat trompeur d’une foule d’élégantes courtisanes qui répandaient sur leurs cheveux de la poudre jaune, se noircissaient les sourcils, et se fardaient les joues avec du blanc et du rouge. L’or et les pierreries éclataient sui leurs vêtements ; les guerriers célèbres, les poètes, les orateurs couronnés, déposaient à leurs pieds les palmes qu’ils avaient conquises. Les magistrats les consultaient ; elles semblaient présider aux assemblées publiques ; tout présentait l’imagé de la licence et de la corruption.

Mais si, fuyant les plaisirs, cet étranger cherchait le véritable bonheur, il devait pénétrer dans l’intérieur des maisons et des familles. Là il trouvait d’autres mœurs, un autre culte ; l’image de la Vénus pudique excitait son respect ; une tortue, placée par Phidias aux pieds de cette déesse, rappelait sans cesse à la beauté le devoir de se défendre, de rester dans ses foyers, et de ne pas prodiguer ses charmes aux regards indiscrets.

Ce n’était plus les conversations brillantes, les indécentes agaceries, les caresses perfides de Bacchis, de Lamia, de Phryné, de Laïs ; mais la pudeur mystérieuse, le vertueux amour, la douce confiance, l’activité adroite et laborieuse : là, enfin, la volupté était sage, le désir modeste, le plaisir constant, et tout était ensemble devoir et bonheur.

Les Grecs, aussi sévères pour la vertu de leurs épouses qu’indulgents pour les vices de leurs courtisanes, exigeaient qu’elles vécussent renfermées ; elles ne paraissaient qu’aux fêtes religieuses et dans les cérémonies publiques, et toujours accompagnées de femmes et d’esclaves. Le magistrat veillait à la décence de leur maintien, à la simplicité de leur parure. Si une femme commettait quelque infidélité, elle se voyait exclue, par un arrêt sévère, des fêtes publiques ; on lui fermait la porte des temples.

Si ce respect pour les vertus domestiques entretint longtemps dans la Grèce la force salutaire des mœurs républicaines, la passion des Grecs pour le théâtre et pour les courtisanes devint la principale cause de leur décadence.

Les femmes grecques semblaient étrangères à ces jeux, à ces plaisirs qu’idolâtrait le peuple, mais elles prenaient une part active aux travaux de leurs époux, à la gloire de leur patrie. Sparte surtout vit leur courage exciter celui des hommes, leur estime récompenser la vaillance, leur mépris punir la lâcheté.

Argos dut son salut à l’héroïsme d’une femme : cette ville allait tomber sous le joug des Lacédémoniens ; elle venait de perdre dans une bataille six mille hommes, l’élite de sa jeunesse ; le reste des habitants, consterné, renonçait à tout espoir de défense, et tendait les mains aux fers du vainqueur : dans ce moment une dame argienne, Télésilla, qui avait déjà illustré sa patrie par ses écrits, rassemble les femmes qu’elle croit capables de seconder ses projets ; elle leur retrace vivement les malheurs et les outrages qui les menacent, la ruine de leur cité, la honte de l’esclavage ; elle leur distribue les armes dont elle a dépouillé les temples et les maisons des particuliers ; elle court avec ses généreuses compagnes, les range sur les remparts, et repousse l’ennemi consterné de cette résistance imprévue.    

Le général lacédémonien craignant qu’on ne lui reprochât la mort de tant de femmes s’il était vainqueur, ou la honte de sa défaite s’il était vaincu, se retire, conclut un traité, et laisse aux Argiens leur territoire et leur indépendance.

On rendit les plus grands honneurs à ces vaillantes femmes ; celles qui périrent furent inhumées le long du chemin d’Argos ; on permit aux autres d’ériger une statue au dieu Mars. On plaça sur une colonne, en face du temple de Vénus, le portrait de Télésilla : on la voyait dédaignant de porter ses regards sur des livres placés à ses pieds, et fixant avec ardeur ses yeux sur un casque qu’elle semblait prête à poser sur sa tête. Enfin, pour perpétuer le souvenir de cet événement mémorable, on institua une fête annuelle, dans laquelle les femmes paraissaient habillées en hommes et les hommes en femmes.

Les législateurs de la Grèce, attentifs à fortifier tous les liens de l’état social, en prolongeaient les devoirs au-delà du tombeau ; des lois sévères commandaient impérieusement d’honorer la mémoire des morts. Dans les premiers temps on les inhumait ; l’usage de les brûler prévalut ensuite : on recueillait leurs cendres dans une urne qui était déposée dans un tombeau ; sur ce tombeau, la douleur venait répandre des larmes, semer des fleurs, et offrir des libations.

Dès qu’un citoyen mourait, on parfumait son corps ; sa tête était couronnée de fleurs et couverte d’un voile ; on plaçait dans ses mains un gâteau de miel pour apaiser Cerbère et dans sa bouche nue pièce d’argent pour fléchir Caron. Il restait exposé vingt-quatre heures aux regards de ceux qui venaient lui rendre les derniers devoirs :ses amis trouvaient à la porte un vase d’eau lustrale pour se purifier. Les hommes, vêtus de noir, précédaient le convoi en exprimant leur affliction par des chants lugubres ; les femmes, éplorées, le suivaient, faisaient retentir l’air de leurs gémissements, et coupaient des boucles de leurs cheveux pour les déposer en offrande sur la tombe. A la fin de la cérémonie, on disait un adieu éternel à l’être chéri qu’on quittait pour toujours ; et souvent ces hommages funèbres se renouvelaient au jour de la naissance de celui qu’on avait perdu.

Dans ces tristes journées, les femmes oubliaient tellement le soin de leur beauté pour se livrer à leur douleur, qu’on fut obligé de faire une loi qui leur défendait de se frapper et de déchirer leurs traits. Une autre loi déclarait incapable d’occuper les emplois publics le fils qui négligeait de rendre les derniers devoirs à son père. Plusieurs généraux furent envoyés au supplice pour avoir omis, après leur victoire, d’enterrer les morts. Les guerriers qui périssaient en défendant leur patrie recevaient de magnifiques honneurs ; une honorable inscription gravée, sur leur tombe perpétuait le souvenir de leurs noms et de leur courage ; les orateurs les plus célèbres prononçaient leur oraison funèbre.

Les Grecs s’enflammaient pour tous les genres de gloire : les troubles civils, les factions populaires, les guerres sanglantes, les invasions ennemies ne pouvaient refroidir leur passion pour les jeux publics, ils y couraient en foule, et suspendaient leurs divisions, pour s’applaudir réciproquement. Ils déposaient à la porte du stade leur vengeance et leur haine, afin de se réunir, de se confondre et de se disputer paisiblement la palme tragique celle de la lyre ou de l’histoire, et le prix de la course, de la lutte, du ceste ou du pugilat.

Les lieux où se célébraient ces jeux, semblables à un temple de la Paix qui s’élèverait au milieu d’un champ de bataille, étaient pleins de monuments dédiés à la mémoire des vainqueurs, ou consacrés par la reconnaissance : chaque ville y envoyait ses chefs-d’œuvre, et y possédait un trésor ; ils s’enrichissaient encore par les magnifiques présents des rois étrangers.

Les oracles qu’on y consultait grossissaient la foule de ceux qu’attirait l’éclat de ces fêtes. Malgré d’obscurité des oracles, malgré la vénalité bien connue des prêtres, la superstition du peuple et la politique des gouvernements entretenaient la crédulité. Les convulsions de la Pythie, ses regards égarés, ses cris plaintifs, la bouche écumante du prêtre et ses cheveux hérissés persuadaient au vulgaire qu’un dieu les agitait et dictait leurs réponses : ainsi l’on vit souvent des villes détruites et des états renversés pour un mot prononcé par un pontife corrompu ou par une vierge en délire.

En sortant de ces réunions générales de tous les peuples, les Grecs, retournant dans leurs cités, couraient aux théâtres, objet de leur passion favorite. Celui d’Athènes était immense ; il contenait trente mille personnes. On divisait l’avant-scène en deux parties ; les acteurs occupaient la plus élevée, et les chœurs la plus basse. L’orchestre restait vide ; on le destinait aux combats de poésie, de musique et de danse.

Les femmes, assises dans l’amphithéâtre, se tenaient éloignées des hommes et des courtisanes ; on réservait aux magistrats, aux généraux, aux corps, des places distinguées ; le reste se plaçait en tumulte, se promenait, disputait, faisait venir du vin, des fruits, des gâteaux, et y passait les jours et les nuits.

On représentait dans la même journée des pantomimes, des farces, des tragédies, des comédies : les acteurs portaient des masques ; d’ingénieuses machines, tournant sur des roulettes, présentaient tour à tour l’extérieur ou l’intérieur d’un édifice ; d’autres servaient à opérer la descente des dieux, l’apparition des ombres, à imiter la flamine et le bruit du tonnerre.

Les places coûtaient d’abord une drachme par tête. Périclès, qui voulait occuper les Athéniens de leurs plaisirs pour les distraire de leurs affaires, réduisit ce prix à une obole ; il finit même par distribuer de l’argent aux pauvres pour leur en faciliter l’entrée. On se livrait avec fureur à des amusements : les Grecs y assistaient aux aventures de leurs dieux, aux exploits de leurs héros, ils ne pouvaient quitter ces lieux où le génie des auteurs les plus célèbres leur retraçait sans cesse la gloire de leur patrie ; et cette passion pour le théâtre devint telle qu’on prodigua, pour la satisfaire, les trésors qu’une sage prévoyance avait destinés à l’armement des flottes et à la solde des troupes.

Un peuple si léger ne pouvait chercher que des succès brillants ; aussi les Grecs ne firent que peu de progrès dans la science du commerce, et leur marine fut toujours plus militaire que marchande : ils recevaient les denrées de tous les pays du nord, de l’est et du sud, et n’exportaient que de l’huile de leur territoire et de l’argent de leurs mines. Corinthe seule par sa position devint l’entrepôt nécessaire du commerce de l’Archipel, de la Syrie, de la Phénicie, de l’Égypte et de l’Italie. Les droits de transit qu’elle percevait fondèrent m richesse. Rhodes, plus sage et plus industrieuse, s’appliqua ait commerce, et porta dans toutes les contrées ses vins, ses bois, son miel et ses marbres précieux ; aussi les poètes grecs disaient qu’une pluie d’or y descendait du ciel ; et sa pacifique industrie la rendit plus longtemps heureuse que n’aurait pu faire l’esprit de conquête.

Les Grecs éprouvèrent un destin tout opposé. Ce peuple, jouet d’une imagination vive, fut constamment éloigné de la raison par ses passions ; paraissant doué d’une jeunesse éternelle, il ne la perdit que pour tomber dans la vieillesse sans avoir parcouru l’âge viril ; aussi Diogène, en parlant de la Grèce, disait, tenant sa lanterne à la main : Je n’ai rencontré des hommes nulle part ; mais j’ai vu des enfants à Lacédémone.

 

FIN DE L’HISTOIRE DE LA GRÈCE

 

 

 



[1] An du monde 3813.

[2] An du monde 3821 — Avant Jésus-Christ 183.

[3] An du monde 3973.