GUERRE CONTRE LES ROMAINS
LES Étoliens, ennemis de toute puissance qui s’opposait à
leurs brigandages haïssaient les Romains depuis qu’ils dominaient dans la Grèce, et, restant
en apparence alliés de Rome, ils animaient secrètement Nabis contre elle,’ l’exhortait
de se venger, entretenaient des intelligences avec Antiochus, roi de Syrie, et
l’invitait à porter ses armes dans la Grèce.
Nabis suivit leurs conseils, souleva les villes maritimes,
et assiégea Githium. Rome envoya sur les côtes de la Laconie le préteur
Acilius avec une flotte ; et les Achéens, ayant donné le commandement de
leurs armées à Philopœmen déclarèrent la guerre aux Lacédémoniens[1].
Philopœmen arma quelques vaisseaux qui furent battus par
ceux de Nabis : il répara bientôt cet échec, défit le tyran en bataille
rangée près de Sparte, et le força à se renfermer dans la ville.
La paix étant ainsi rompue, les Étoliens suivirent leurs
projets plus ouvertement, contractèrent une alliance avec Antiochus, et
forcèrent le dessein de s’emparer à la fois de Démétriade, de Chalcis et de Lacédémone.
Trois généraux furent chargés de cette expédition : Dioclès surprit Démétriade
; Thos fut repoussé par les habitants de Chalcis ; Alexamène crut réussir par
une trahison : feignant de vouloir secourir Sparte, il y introduisit mille
hommes, que Nabis reçut avec joie comme un utile secours contre les Achéens.
Alexamène, sous prétexte de conférer avec lui, l’éloigna de sa troupe, le
saisit brusquement, le renversa de cheval, et le fit tuer par ses soldats. Ce
triomphe dû à la perfidie, fut de courte durée : tandis que les Étoliens
couraient au palais pour le piller, les Spartiates se précipitèrent sur eux,
les taillèrent en pièces, et vengèrent la mort de Nabis par celle d’Alexamène.
Philopœmen, profitant de cette confusion, entra avec ses
troupes dans la ville, rassembla le peuple, l’engagea à reprendre ses lois,
sa liberté, et à se joindre à la confédération des Achéens. Il empêcha ses troupes
de commettre les excès qui suivent presque toujours la victoire, refusa un
présent de cent vingt talents que lui offraient les Lacédémoniens, et se
couvrit d’une gloire brillante qu’il dut plutôt à ses vertus qu’à ses armes.
Le roi de Syrie, attiré par les promesses des Étoliens,
entra en Grèce, et s’empara de quelques villes. Il pouvait, en poursuivant,
ses succès avec rapidité, acquérir assez d’alliés et de forces pour se mettre
en état de fermer ces belles contrées aux Romains ; mais il ne profita de ses
premiers avantages que pour étaler aux yeux des Grecs son luxe asiatique :
perdant un temps précieux, il passa ses jours en festins et en débauches. Le
consul Manius Acilius, rassemblant ses forces-, l’attaqua près des
Thermopyles, tourna sa position et le battit complètement. Antiochus, vaincu,
se retira en Asie, laissant ses alliés exposés aux vengeances de Rome.
Le consul conseillait aux Étoliens de se livrer à la
clémence du sénat ; ceux-ci refusèrent de se soumettre. On leur demandait de
livrer aux vainqueurs les portes de leur capitale, Héraclée. Cette
humiliation leur parut insupportable, d’ailleurs ils avaient trop offensé les
Romains pour croire à leur indulgence. Toute négociation étant rompue, le
consul forma le siège d’Héraclée. Les Étoliens combattirent avec le courage
du désespoir : malgré leurs efforts, Acilius prit la ville d’assaut, la livra
au pillage, et força la citadelle à capituler. Le reste de la nation se
renferma dans Naupacte : le consul les y bloqua, et les réduisit bientôt à la
dernière extrémité. Apprenant enfin qu’Antiochus, leur dernier espoir, plus
malheureux encore en Asie qu’en Europe, venait d’être totalement vaincu à
Magnésie par Scipion, ils se soumirent au peuple romain qui les contraignit à
payer mille talents et à livrer leurs chevaux et leurs armes.
Ce fut à peu près à cette époque que, le consul voulant s’emparer
de Sparte, Philopœmen, ennemi de toute domination étrangère et haïssant
autant l’ambition de Rome que celle de Philippe, se jeta, audacieusement dans
cette ville, ranima le courage des citoyens, et força le consul à s’en
éloigner. Mais quelque temps après, Lacédémone mit ce même Philopœmen dans la
nécessité de marcher contre elle.
Les Achéens protégeaient l’indépendance des bourgs
maritimes, que Sparte voulait toujours asservir. Les Spartiates croyant que
les bannis rentrés, dans la ville depuis la paix, entretenaient des intelligences
avec les Achéens, et favorisaient la cause des villes maritimes,
proscrivirent ces émigrés, en firent mourir trente, rompirent toute alliance
avec les Achéens ; et, aveuglés par leur ressentiment contre cette
confédération, ils écrivirent au consul Fulvius, et lui offrirent de mettre
la république dans la dépendance et sous la protection de Rome.
Les Achéens déclarèrent la guerre à Sparte, et les deux
partis envoyèrent des députés à Rome pour rendre le sénat juge de ce
différend. Sa décision fut ambiguë comme celle des oracles. Les Achéens l’interprétèrent
en leur faveur. Philopœmen s’approcha de Sparte à la tête de son armée, et
demanda le châtiment de ceux qui, au mépris du traité, venaient récemment de
s’emparer du bourg maritime de Los. Les citoyens les plus distingués
sortirent de la ville pour négocier ; mais, au milieu de la conférence, les
bannis de Sparte, qui se trouvaient dans le camp des Achéens, se précipitèrent
sur leurs concitoyens, et en massacrèrent quatre-vingt. Ce funeste événement
répandit le trouble dans la ville : Philopœmen y entra presque sans
résistance ; et ne regardant plus Sparte alors comme l’ornement de la Grèce mais comme un
trophée de Rome, il fit démolir ses murs, licencia ses soldats mercenaires,
et port a le dernier coup à cette fameuse cité en abolissant les lois de
Lycurgue, qui firent si longtemps sa force.
Le sénat romain, jaloux des progrès de la confédération
achéenne, prit parti pour Lacédémone, cassa le jugement des Achéens, et
ordonna que Sparte entrerait dans la ligue achéenne sans payer de tribut, sans
recevoir de garnison, et en conservant son indépendance.
Depuis ce moment, les Romains favorisèrent constamment tous
les peuples ennemis des Achéens. A leur instigation, les Messéniens se
séparèrent de la ligue, lui firent même la guerre, et s’emparèrent de Coron. Philopœmen,
quoique malade et âgé de soixante-dix-huit ans, commandait encore l’armée ;
il marcha vers Messène, et battit d’abord les ennemis : mais, ceux-ci ayant
reçu un grand renfort, l’enveloppèrent. Les Achéens, accablé par le nombre,
prirent la fuite. Philopœmen combattant à l’arrière-garde, faisait oublier sa
vieillesse par des prodiges de valeur : mais son cheval tomba ; il fut blessé
et pris[2]. Dinocrate,
général des Messéniens, l’exposa, chargé de chaînes sur le théâtre aux yeux
du peuple de Messène ; ensuite il le jeta dans une prison et le fit mourir.
Lorsqu’on présenta au héros le poison qui devait terminer ses jours, il demanda
au bourreau ce qu’étaient devenus les Achéens, et particulièrement un
officier nommé Lycortas qu’il chérissait. On lui répondit que ses troupes, se
faisant courageusement jour au travers des Messéniens, s’étaient retirées, et
se trouvaient en sûreté : Eh bien !
dit-il, je meurs content, puisque l’armée achéenne
est sauvée.
La mort de ce grand homme rendit les Achéens furieux, tous
prirent les armes : le désir de la vengeance doublait leurs forces ils ravagèrent
la Messénie,
s’emparèrent de la capitale, et la contraignirent à livrer les meurtriers de
Philopœmen. Ils furent lapidés auprès de son tombeau. Dinocrate prévint son
supplice en se tuant.
On porta les cendres du héros à Mégalopolis. Les peuples venaient
au-devant du convoi, l’armée le suivait ; et toute la Grèce en larmes
semblait porter le deuil de sa gloire et de sa liberté. Cette année vit mourir
trois grands hommes, Annibal, Scipion et Philopœmen.
Les Romains, profitant de la division des peuples et du
despotisme insensé des rois, suivaient avec leur habileté ordinaire le projet
de subjuguer entièrement les Grecs.
Philippe ne régnait plus en Macédoine ; la. fin de
ses jours, la discorde qu’il avait répandue dans la Grèce divisa sa maison.
Persée l’aîné de ses enfants, conçut une haine violente contre Démétrius son
frère. Celui-ci, élevé par les Romains, pouvait un jour se rendre redoutable
avec leur appui Persée le crut, et résolut de le perdre. Il l’accusa d’abord
faussement d’avoir voulu attenter à ses jours dans une joute, et d’être venu
la nuit avec des gens armés pour l’assassiner. L’innocence de Démétrius
triompha de la calomnie. Persée ne se découragea point, et persécuta tellement
son frère, que ce jeune prince, voulant mettre sa vie en sûreté, profita d’une
absence du roi pour tenter de s’échapper. Persée accompagnait alors Philippe
; il avait placé auprès de son frère un traître qui, sous l’apparence de l’amitié,
épiait ses démarches, et méditait sa perte. Par ses perfides conseils,
Démétrius, dans l’intention de rendre sa fuite plus facile, écrivit au
gouverneur d’une province des lettres qu’on livra au roi. Cette
correspondance fut regardée comme un crime. Philippe, accablé de chagrins,
affaibli par l’âgé et par les revers, et continuellement aigri par Persée,
condamna Démétrius. Il périt, et son frère monta sans rivaux sur un trône
ensanglanté, qu’il déshonora par sa lâcheté, comme il l’avait souillé par ses
crimes.
Le nouveau roi de Macédoine, que ses flatteurs enivraient
d’orgueil, se crut capable de renverser la puissance du peuple romain : il
grossit son armée, envoya des émissaires dans la Grèce pour la
soulever, et chercha partout des alliés. Eumène, roi de Pergame, trahit sa confiance,
et découvrit ses projets à Rome. Persée, pour se venger, fit attaquer ce
prince par des pirates à son retour en Asie : Eumène, blessé par eux, fut
laissé sur la place comme mort. Secouru par des pécheurs, il revint à la vie,
et reprit son trône, dont Attale, son frère, s’était déjà emparé sur le bruit
de son trépas.
Paul-Émile, à la tête d’une armée romaine, attaqua Persée
; cet habile général enfonça la phalange macédonienne ; il la détruisit
totalement, remporta une victoire complète, et conquit toute la Macédoine. Persée,
qui ne savait ni vaincre, ni mourir, fut chargé de chaînes, orna le triomphe
de Paul-Émile, et termina ses jours dans la captivité.
Athènes soumise aux Romains, Sparte vaincue, les Étoliens
détruits, l’Asie subjuguée, la Macédoine réduite en province romaine, n’offraient
plus d’obstacles à l’ambition d’un sénat maître de tant de rois et de tant de
peuples. Les Achéens seuls rappelaient encore, par leurs exploits et par leur
indépendance, la puissance et la liberté de la Grèce ; Rome
résolut, leur ruine : elle sema d’abord la division parmi les villes de
la confédération, et y acheta des partisans. Lorsqu’elle les vit désunies, et
sans espoir de secours de la Macédoine, ni de l’Asie ; elle envoya des
commissaires qui parlèrent en maîtres, traitèrent les Achéens comme des
sujets révoltés, et firent des informations juridiques contre ceux d’entre
eux qui avaient favorisé Persée par leurs conseils ou par leurs secours.
Callicrate, indigne par sa bassesse du nom d’Achéen, vendit sa patrie, et
dénonça tous ceux de ses concitoyens qui s’étaient le plus distingués par,
leur amour pour l’indépendance. On en arrêta mille, et on les envoya à Rome :
le célèbre historien Polybe était de ce nombre. Le sénat, sans les entendre,
sans les juger, les exila dans plusieurs villes d’Italie. Leurs compatriotes
demandèrent longtemps leur liberté : enfin, au bout de dix-sept ans, le sénat
permit leur retour. La plupart étaient morts de chagrin et de misère, et
trois cents seulement revirent leur patrie.
Quelques années après, la Grèce tenta un dernier effort pour recouvrer
son indépendance : la liberté, semblable à une lampe qui s’éteint, y jeta une
dernière lueur avant d’expirer.
Démocrite, premier magistrat des Achéens, attaqua Sparte
que protégeaient les Romains, et pilla la Laconie. Rome
envoya des commissaires à Corinthe pour se plaindre de cette infraction des
traités. Les Grecs, irrités, reçurent avec mépris leurs remontrances.
Critolaüs, général des Corinthiens, parcourait toutes les villes de la Grèce, et les
excitait à combattre pour la liberté.
Le consul Metellus se trouvait alors en Macédoine. Il fit
partir quatre députés pour Corinthe, et les chargea d’exhorter la ligue
achéenne à ne pas s’exposer aux vengeances des Romains. Ces députés furent
insultés et chassés.
Critolaüs disait hautement que, pour résister à Rome, il
suffisait de le vouloir ; que tous les peuples, indignés contre sa tyrannie,
n’attendaient qu’un signal, et qu’en montrant une noble audace, on serait
soutenu par les rois d’Orient. Les passions croient facilement ce qu’elles
désirent, et le vif regret de la liberté perdue faisait saisir avidement le
plus léger espoir de délivrance.
Thèbes, l’Arcadie, l’Eubée et la plupart des Achéens
embrassèrent le parti de Corinthe. Metellus proposa de nouveau la paix, avec
le sacrifice de quelques villes ; on refusa de l’écouter. A la tête de son
armée, il marcha contre les Grecs, les mit en déroute, et fit plus de mille
prisonniers.
Critolaüs, désespéré du mauvais succès d’une guerre dont
il était l’auteur, prit la fuite et se noya. Diœus le remplaça et rassembla
une armée de quatorze mille hommes. Metellus, poursuivant rapidement ses
avantages, passa au fil de l’épée un corps de mille Arcadiens, enta dans la
ville de Thèbes, qu’il trouva abandonnée par ses habitants, et s’avança sur
Corinthe, où Diœus était renfermé.
Sur ces entrefaites, Mummius arriva avec de nouveaux
renforts, et prit le commandement de l’armée romaine. Trois magistrats de la
ligue achéenne, et dévoués à Rome, se trouvaient dans son camp. Il les fit
entrer dans la ville pour engager les Achéens à se soumettre : mais la
faction de Diœus les jeta dans un cachot. Les assiégés firent ensuite une
sortie vigoureuse, et forcèrent les Romains de s’éloigner.
Enflé de ce succès, Diœus offrit la bataille au consul :
celui-ci, retenant l’ardeur de ses troupes, affecta une contenance timide
pour enhardir l’aveugle présomption des Achéens. Ils s’avancèrent avec une
confiance téméraire ; le combat eut lieu dans la partie la plus étroite de l’isthme.
Le consul avait placé en embuscade sa cavalerie ; elle prit les Grecs en flanc,
les mit en pleine déroute, et leur coupa la retraite.
Diœus, perdant tout espoir de liberté, courut à
Mégalopolis, sa patrie, tua sa femme, mit le feu dans sa maison, et s’empoisonna.
Les Achéens, sans chef, se dispersèrent. Une grande partie
des habitants de Corinthe s’échappèrent pendant la nuit. Mummius entra dans
la ville et la livra au pillage. On vendit les femmes et les enfants ; on mit
à part les statues et les tableaux ; toutes les maisons furent brûlées, et
les murailles détruites jusqu’aux fondements. Ainsi, périt Corinthe, dans la
même année qui vit détruire Carthage
On démolit les fortifications de toutes les villes qui
avaient pris part à l’insurrection. La violation du droit des gens, dans la personne
des ambassadeurs, fut le prétexte, et la position importante de Corinthe, le motif
réel de cette vengeance atroce.
Le sénat envoya des commissaires dans la Grèce. Ils la
déclarèrent réduite en province romaine, abolirent dans toutes les cités le
gouvernement populaire, et y placèrent des magistrats chargés de les
gouverner par leurs anciennes lois. Cette nouvelle province reçut le nom d’Achaïe ; titre de gloire pour les Achéens,
puisqu’il rappelait que ce peuple courageux avait défendu le dernier la
liberté de la Grèce.
Sous la domination romaine, les villes grecques jouirent longtemps
d’un profond repos. Gouvernées par leurs magistrats, elles n’eurent plus de
héros, mais elles brillèrent de l’éclat plus doux des sciences, des lettres
et des arts.
Lorsque, dans la suite, Mithridate souleva l’Asie et une
partie de l’Europe contre Rome Archélaüs, par ses ordres, s’empara d’Athènes,
et la mit sous le gouvernement d’un Athénien nommé Aristion. Sylla, charge
par le sénat de combattre Mithridate, entra dans la Grèce à la tête de
cinq légions. Toutes les villes lui ouvrirent leurs portes : Athènes seule,
fidèle au parti de Mithridate, résista aux Romains. Sylla en forma le
siège ; la hauteur des murailles et le courage des habitants arrêtèrent
longtemps ses guerriers. Sylla, pour construire ses machines, coupa les
arbres du Lycée ; et, comme il manqua d’argent, il pilla les temples de
Delphes et d’Épidaure. De part et d’autre on combattit avec acharnement. Les
sorties étaient aussi fréquentes que les assauts ; les tours et les machines
de Sylla furent souvent renversées ; on employait avec succès, des deux côtés,
les mines. L’une d’elles ayant fait écrouler un grand pan de muraille, Sylla ordonna
un assaut général. Les Romains firent vainement des prodiges de valeur ; ils
furent repoussés ; et, pendant la nuit, les Athéniens fermèrent la brèche par
un nouveau mur.
Sylla convertit le siège en blocus. Une horrible famine,
plus meurtrière que les armes romaines, découragea les habitants qui
forcèrent Aristion à capituler.
Les députés d’Athènes, arrivés dans le camp romain,
adressèrent au général un discours éloquent dans lequel ils rappelaient avec
fierté la gloire de leur patrie et les exploits de leurs ancêtres. Le farouche
Sylla, les interrompant, leur dit : Je ne
suis pas venu avec une armée pour
écouter des harangueurs et pour entendre les Athéniens vanter leurs
anciennes prouesses ; mais pour châtier des rebelles. Soumettez-vous donc, ou
périssez.
La conférence étant rompue, la nuit suivante, il donna un
nouvel assaut, prit la ville par escalade, l’abandonna au pillage, égorgea la
plupart des habitants, fit vendre les esclaves à l’encan, et assiégea la
citadelle qui se rendit faute de vivres.
Aristion et ses partisans furent mis à mort ; Sylla s’empara
du Pirée, le démolit et brûla l’arsenal. Après avoir vaincu Mithridate près
de Chéronée et d’Orchomène, il rangea de nouveau toute la Grèce et la Macédoine,
ainsi que les villes grecques de l’Asie, sous la domination romaine.
Les Grecs, subjugués, firent encore éclater à différentes
époques leur ardent amour pour la liberté. Dans le temps des guerres civiles,
ils prirent le parti de Pompée contre César. Après la mort de ce dernier,
bravant le courroux d’Octave, les Athéniens élevèrent des statues à Cassius.
Rome était devenue la maîtresse du monde, Athènes fut la
capitale des lettrés, des talents et des arts. On y venait de toutes parts
étudier les sciences et prendre des leçons de goût et d’éloquence. Cicéron et
son fils se formèrent dans ses écoles. Titus et Marc-Aurèle confièrent à des
maîtres grecs l’éducation de leurs enfants. On méprisait à Rome celui qui ne
savait pas la langue grecque. Dans la décadence de l’empire, Basile,
Grégoire, Chrysostome, puisèrent dans Athènes les lumières qu’ils répandirent
sur l’église chrétienne ; et le despotisme seul des Musulmans parvint à
détruire cette domination de l’esprit qui avait remplacé celle des armes.
TABLEAU LITTÉRAIRE DE LA GRÈCE PENDANT
LE QUATRIÈME ÂGE
PANÆTIUS, philosophe stoïcien, était né Rhodes, et vint
faire ses études à Athènes. La sévérité de sa morale, la force de ses raisonnements
et son érudition lui acquirent une grande réputation ; elle s’étendit au-delà
de sa patrie, et il fut appelé à Rome. Le peuple romain, que les Grecs
nommaient encore barbare, dans le temps de l’expédition de Pyrrhus en Italie,
n’aimait que la gloire des armes, et n’admirait que les vertus fortes qui
maintenaient la liberté dans l’état et conservaient le respect des lois et
des mœurs. On méprisait alors à Rome la philosophie épicurienne qui corrompt
l’esprit public, et on vivait dans une telle ignorance des arts que, lorsque
Mummius envoya en Italie les chefs-d’œuvre des plus grands peintres et des
plus habiles sculpteurs de la
Grèce, il ordonna que, dans le cas où le voyage
détériorerait quelques tableaux ou quelques statues, l’homme chargé de les
transporter en ferait faire d’autres à
ses frais.
Les ouvrages des stoïciens furent les premiers que Rome
accueillit : leur doctrine austère y obtint un plein succès parce qu’elle
était conforme aux mâles vertus de ces fiers républicains.
Le philosophe Panætius introduisit un des premiers les
lettres grecques dans la capitale du monde. Il devint l’ami de Lélius et de
Scipion, et accompagna ce dernier dans tous ses voyages. Il avait composé un
Traité des Devoirs, dont Cicéron vantait le mérite, et dont il tira parti
dans ses Offices.
Longtemps après, un autre stoïcien, Épictète, illustra sa
secte en Italie. Grec de naissance, esclave à la cour de Néron, et ensuite
affranchi, il partagea l’honorable exil des philosophes, lors que ce farouche
tyran les chassa de Rome. Il résida à Nicopolis ; Adrien le rappela en
Italie. L’esclavage lui avait appris à aimer la liberté, la tyrannie à chérir
la vertu, et le malheur à souffrir avec patience. Il pratiquait avec
exactitude ce que les autres se contentaient souvent d’enseigner. Ses
principes sublimes paraissent au-dessus de la faiblesse humaine ; mais cette
faiblesse même trouve un remède salutaire dans les maximes d’Épictète. C’est
dans les temps d’abattement et d’adversité qu’on les lit avec plus de plaisir
et de fruit. Elles aident à supporter les coups du sort ; on se sent plus
ferme après les avoir lues.
La soumission à la Providence e la nécessité de se conformer, pour
être heureux, à l’ordre quelle a établi, la résignation dans l’adversité e la
modération dans le bonheur tel est le but et l’esprit de sa philosophie.
DÉMÉTRIUS DE PHALÈRE. Les événements que nous avons
racontés, ont fait connaître la sagesse, de son administration et l’ingratitude
des Athéniens. Comme orateur, il acquit une réputation brillante ; mais son
éloquence se ressentait de l’état de décadence de la Grèce. On y voyait plus d’adresse que de force,
plus d’ornements que de vérités ; et il s’occupait plus de plaire à ses
auditeurs que de les convaincre.
Il fut disciple de Théophraste, dont le style passait déjà
pour être trop orné, mais qui se distinguait par un rare talent pour peindre
les vices et les passions.
Postérieurement, d’autres orateurs, tels que Basile,
Grégoire, Chrysostome, jouirent d’une grande célébrité par leur imagination
brillante et par le mérite plus solide que donnait à leurs écrits la pureté
de la morale chrétienne.
DENIS D’HALICARNASSE[3]. Né en Carie, il
vint en Italie dans le temps de la bataille d’Actium. Il fit de savantes
recherches sur l’origine du peuple romain. Son livré des 4ntiquités romaines
est fort estimé. Nous lui devons une connaissance exacte des premiers temps
de Rome. Il cherchait là vérité, mais il négligeait de l’orner, et il est plus
cité pour son érudition que pour son éloquence. On croyait avoir perdu une
partie de ses ouvrages, elle vient de se retrouver dans la Bibliothèque
Ambrosienne.
DIODORE DE SICILE. Il vivait du temps de César et d’Auguste
: sa Bibliothèque historique formait quarante volumes ; il ne nous en est
resté que quinze. Cet ouvrage comprenait l’histoire des temps fabuleux de la Grèce, celle des Perses
et des Grecs, depuis l’expédition de Xerxès jusqu’à la mort d’Alexandre j
ainsi que le récit des événements qui s’étaient passés sous les successeurs
du conquérant macédonien. Son style est clair, ses réflexions sont
judicieuses ; mais on lui reproche d’avoir adopté légèrement les erreurs de
Ctésias et les traditions des prêtres.
PLUTARQUE naquit à Chéronée en Béotie ; son esprit
brillant et fécond a suffisamment vengé ses concitoyens du reproche qu’on
leur faisait de manquer d’imagination. C’est peut-être de tous les auteurs
grecs, celui qu’on relit à présent avec le plus de plaisir et d’utilité. Il
vivait du temps de Néron, et fit plusieurs voyages en Italie, sous le règne
de Vespasien. Pour mieux peindre les hommes illustres, il parcourait les
différentes contrées qui les avaient vus naître.
Plutarque jouit d’une double célébrité comme philosophe et
comme historien. Le temps nous a conservé une grande partie des Vies des
hommes illustres et ses Œuvres morales. Son chef-d’œuvre fut le premier de
ces deux ouvrages. Admirable par la simplicité du récit et par l’originalité
des portraits, à la fois peintre et historien, il ne se borne pas à raconter
les actions des hommes fameux ; il dessine leur physionomie, peint leur
caractère fait entendre leurs paroles, donne une exacte connaissance de leurs
habitudes et de leurs mœurs. Guide utile pour les jeunes amants de la gloire,
il les fait vivre familièrement avec les modèles qu’ils doivent imiter. Peut-être
se plait-il à faire de trop grands détours et à raconter longuement ; mais il
raconte si bien qu’il attache toujours. On trouve de la bonté dans sa force,
et de la grâce dans sa négligence ; ce qui lui donne un caractère dont la
piquante originalité est inimitable.
Ses Œuvres morales offrent un mélange confus de beautés et
de défauts, d’erreurs et de vérités, de pensées, profondes et de, préjugés
populaires. C’est une mine féconde où l’on rencontre les métaux les plus précieux
mêlés avec les pierres les plus communes.
Il est difficile de lire cet ouvrage de suite ; mais il
est impossible de n’y pas revenir souvent. Digne des beaux jours de la Grèce, il en est,
pour ainsi dire, le tableau. On y voit de la liberté, de l’anarchie, du génie,
de la superstition, beaucoup d’érudition, d’inconséquences, et le mélange d’une
morale sévère avec une tolérance pour quelques vices, qui serait inexplicable
dans tout autre pays et dans tout autre temps que ceux où les vices déifiés
trouvaient tant d’appuis sur la terre et tant d’exemples dans les cieux.
Plutarque se distingua de beaucoup de philosophes de son
temps, en se faisant estimer par sa conduite comme par ses ouvrages ; et si les
étrangers admiraient le savant célèbre, l’écrivain éloquent, les habitants de
Chéronée chérissaient et respectaient en lui, un bon fils, un bon père, un
sage magistrat et un excellent citoyen.
Arrien, Appien, Elien, Hérodien, sous le règne des
empereurs, méritèrent quelque réputation comme historiens, mais dans un rang
bien inférieur à celui, des écrivains dont nous venons de parler.
LES Grecs vivaient dans un pays enchanté, véritable image
de la jeunesse de la terre. Ne respirant que pour la gloire et les plaisirs ;
bercés par des fables, entourés de prestiges ; se nourrissant d’illusions ;
leur imagination active les rapprochait des dieux, en donnant à ceux-ci
toutes les passions humaines ; d’un autre côté, elle animait toute la matière
en divinisant la nature.
S’ils avaient une décision importante à prendre, Jupiter
les éclairait par un oracle ; le vol des oiseaux, leur annonçait les revers
ou les succès. Marchaient-ils aux combats, Mars conduisait leurs guerriers.
Couraient-ils après les voluptés Vénus et l’Amour les attendaient sous des
bosquets de myrtes ; Apollon et les Muses, variant leurs plaisirs faisaient
retentir les théâtres d’accents harmonieux. Cherchaient-ils le repos et l’ombrage,
les Dryades épaississaient pour eux l’obscurité des forêts ; les Naïades
rafraîchissaient dans une onde limpide leurs membres fatigués ; Pan veillait
avec les bergers à la garde de leurs troupeaux ; Diane guidait à la chasse
leurs meutes ardentes et rapides ; l’Hyménée recevait les serments des époux
; Lucine consolait les femmes dans les douleurs de l’enfantement ; d’autres divinités
présidaient aux funérailles.
Les affections tendres, les passions haineuses s’entretenaient
aux autels de l’Amour, de l’Hymen., de la Discorde et de la Vengeance. Rien ne se faisait dans la vie sans
l’intervention de quelque divinité : aussi tout dans la Grèce était poétique,
allégorique ; et tout dans les coutumes, dans les fêtes, dans les cérémonies
rappelait à l’esprit comme au cœur par des images riantes, par des emblèmes
ingénieux, l’alliance éternelle du ciel et de la terre.
Les époux, en se rendant au temple, marchaient couronnés
de fleurs ; un prêtre leur présentait une branche de lierre, symbole de leur
union ; ils offraient des sacrifices à Diane et à Minerve, pour apaiser ces
divinités chastes qui ne s’étaient point soumises aux lois de l’hymen ; à
Jupiter et à Junon, comme modèles des éternelles amours ; au Ciel et à la Terre, pour demander la
fécondité ; aux Parques, qui décident de la durée de la vie ; aux Grâces, qui
embellissent les époux ; à Vénus et à l’Amour, parce qu’ils leur devaient le
bonheur.
Ils déposaient des tresses de leurs cheveux sur le tombeau
des cultivateurs, afin d’honorer l’agriculture et d’encourager les travaux domestiques.
Les parents des jeunes époux les unissaient ; ils se juraient fidélité, et
retournaient dans leurs foyers accompagnés de chœurs de musiciens et de
danseurs, La maison était illuminée et ornée de guirlandes. En allant au temple,
ils avaient placé des fleurs sur leurs têtes ; au retour, on y posait une
corbeille de fruits, douce image d’abondance et de prospérité.
On chantait des vers à l’honneur d’Hyménéus, jeune citoyen
d’Argos, qui rendit autrefois la liberté à de jeunes Athéniennes enlevées par
des corsaires, et qui reçut la main d’une de ces vierges pour prix de son
courage.
On passait ensuite dans la salle de festin ; les
poètes chantaient des épithalames sur la lyre. Un jeune enfant, couronné d’aubépine
et de feuilles de chêne, portait un corbeille de pain, et entonnait un hymne
qui finissait par ce refrain : J’ai changé mon
ancien état contre un état plus heureux.
Un chœur de jeunes danseuses, parées de myrtes, et formant
des pas voluptueux, représentait les jeux, les caprices et l’ivresse de l’amour.
Le père allumait un flambeau nuptial ; et conduisait sa fille chez son époux.
En s’y rendant, elle portait un vase de terre destiné à cuire l’orge ; une de
ses femmes tenait un crible ; et sur la porté on suspendait un instrument
propre à piler des grains.
Tandis que ces emblèmes rappelaient les devoirs d’une vie
laborieuse ; toutes les personnes invitées à la fête chantaient et dansaient autour
de la maison. Les amis de l’époux en défendaient l’entrée. Le jour suivant on
venait les féliciter par de nouveaux chants consacrés à l’Hymen.
Les mœurs de la Grèce offraient aux regards de l’étrangère deux
tableaux bien opposés : en arrivant à Corinthe ou dans Athènes, il ne voyait partout
que le plaisir et la volupté ; ses veux étaient éblouis par l’éclat trompeur
d’une foule d’élégantes courtisanes qui répandaient sur leurs cheveux de la poudre
jaune, se noircissaient les sourcils, et se fardaient les joues avec du blanc
et du rouge. L’or et les pierreries éclataient sui leurs vêtements ; les
guerriers célèbres, les poètes, les orateurs couronnés, déposaient à leurs pieds
les palmes qu’ils avaient conquises. Les magistrats les consultaient ; elles semblaient
présider aux assemblées publiques ; tout présentait l’imagé de la licence et
de la corruption.
Mais si, fuyant les plaisirs, cet étranger cherchait le
véritable bonheur, il devait pénétrer dans l’intérieur des maisons et des familles.
Là il trouvait d’autres mœurs, un autre culte ; l’image de la Vénus pudique
excitait son respect ; une tortue, placée par Phidias aux pieds de cette déesse,
rappelait sans cesse à la beauté le devoir de se défendre, de rester dans ses
foyers, et de ne pas prodiguer ses charmes aux regards indiscrets.
Ce n’était plus les conversations brillantes, les
indécentes agaceries, les caresses perfides de Bacchis, de Lamia, de Phryné,
de Laïs ; mais la pudeur mystérieuse, le vertueux amour, la douce confiance,
l’activité adroite et laborieuse : là, enfin, la volupté était sage, le désir
modeste, le plaisir constant, et tout était ensemble devoir et bonheur.
Les Grecs, aussi sévères pour la vertu de leurs épouses qu’indulgents
pour les vices de leurs courtisanes, exigeaient qu’elles vécussent renfermées
; elles ne paraissaient qu’aux fêtes religieuses et dans les cérémonies
publiques, et toujours accompagnées de femmes et d’esclaves. Le magistrat
veillait à la décence de leur maintien, à la simplicité de leur parure. Si
une femme commettait quelque infidélité, elle se voyait exclue, par un arrêt
sévère, des fêtes publiques ; on lui fermait la porte des temples.
Si ce respect pour les vertus domestiques entretint longtemps
dans la Grèce
la force salutaire des mœurs républicaines, la passion des Grecs pour le
théâtre et pour les courtisanes devint la principale cause de leur décadence.
Les femmes grecques semblaient étrangères à ces jeux, à
ces plaisirs qu’idolâtrait le peuple, mais elles prenaient une part active
aux travaux de leurs époux, à la gloire de leur patrie. Sparte surtout vit
leur courage exciter celui des hommes, leur estime récompenser la vaillance,
leur mépris punir la lâcheté.
Argos dut son salut à l’héroïsme d’une femme : cette
ville allait tomber sous le joug des Lacédémoniens ; elle venait de perdre
dans une bataille six mille hommes, l’élite de sa jeunesse ; le reste des habitants,
consterné, renonçait à tout espoir de défense, et tendait les mains aux fers
du vainqueur : dans ce moment une dame argienne, Télésilla, qui avait déjà
illustré sa patrie par ses écrits, rassemble les femmes qu’elle croit
capables de seconder ses projets ; elle leur retrace vivement les malheurs et
les outrages qui les menacent, la ruine de leur cité, la honte de l’esclavage
; elle leur distribue les armes dont elle a dépouillé les temples et les
maisons des particuliers ; elle court avec ses généreuses compagnes, les
range sur les remparts, et repousse l’ennemi consterné de cette résistance imprévue.
Le général lacédémonien craignant qu’on ne lui reprochât
la mort de tant de femmes s’il était vainqueur, ou la honte de sa défaite s’il
était vaincu, se retire, conclut un traité, et laisse aux Argiens leur
territoire et leur indépendance.
On rendit les plus grands honneurs à ces vaillantes femmes
; celles qui périrent furent inhumées le long du chemin d’Argos ; on permit
aux autres d’ériger une statue au dieu Mars. On plaça sur une colonne, en
face du temple de Vénus, le portrait de Télésilla : on la voyait dédaignant
de porter ses regards sur des livres placés à ses pieds, et fixant avec
ardeur ses yeux sur un casque qu’elle semblait prête à poser sur sa tête.
Enfin, pour perpétuer le souvenir de cet événement mémorable, on institua une
fête annuelle, dans laquelle les femmes paraissaient habillées en hommes et
les hommes en femmes.
Les législateurs de la Grèce, attentifs à fortifier tous les liens de
l’état social, en prolongeaient les devoirs au-delà du tombeau ; des lois
sévères commandaient impérieusement d’honorer la mémoire des morts. Dans les
premiers temps on les inhumait ; l’usage de les brûler prévalut ensuite : on
recueillait leurs cendres dans une urne qui était déposée dans un tombeau ;
sur ce tombeau, la douleur venait répandre des larmes, semer des fleurs, et
offrir des libations.
Dès qu’un citoyen mourait, on parfumait son corps ; sa
tête était couronnée de fleurs et couverte d’un voile ; on plaçait dans ses
mains un gâteau de miel pour apaiser Cerbère et dans sa bouche nue pièce d’argent
pour fléchir Caron. Il restait exposé vingt-quatre heures aux regards de ceux
qui venaient lui rendre les derniers devoirs :ses amis trouvaient à la porte
un vase d’eau lustrale pour se purifier. Les hommes, vêtus de noir, précédaient
le convoi en exprimant leur affliction par des chants lugubres ; les femmes,
éplorées, le suivaient, faisaient retentir l’air de leurs gémissements, et
coupaient des boucles de leurs cheveux pour les déposer en offrande sur la
tombe. A la fin de la cérémonie, on disait un adieu éternel à l’être chéri qu’on
quittait pour toujours ; et souvent ces hommages funèbres se renouvelaient au
jour de la naissance de celui qu’on avait perdu.
Dans ces tristes journées, les femmes oubliaient tellement
le soin de leur beauté pour se livrer à leur douleur, qu’on fut obligé de
faire une loi qui leur défendait de se frapper et de déchirer leurs traits.
Une autre loi déclarait incapable d’occuper les emplois publics le fils qui
négligeait de rendre les derniers devoirs à son père. Plusieurs généraux
furent envoyés au supplice pour avoir omis, après leur victoire, d’enterrer
les morts. Les guerriers qui périssaient en défendant leur patrie recevaient
de magnifiques honneurs ; une honorable inscription gravée, sur leur tombe
perpétuait le souvenir de leurs noms et de leur courage ; les orateurs les
plus célèbres prononçaient leur oraison funèbre.
Les Grecs s’enflammaient pour tous les genres de gloire :
les troubles civils, les factions populaires, les guerres sanglantes, les invasions
ennemies ne pouvaient refroidir leur passion pour les jeux publics, ils y
couraient en foule, et suspendaient leurs divisions, pour s’applaudir réciproquement.
Ils déposaient à la porte du stade leur vengeance et leur haine, afin de se
réunir, de se confondre et de se disputer paisiblement la palme tragique
celle de la lyre ou de l’histoire, et le prix de la course, de la lutte, du
ceste ou du pugilat.
Les lieux où se célébraient ces jeux, semblables à un
temple de la Paix
qui s’élèverait au milieu d’un champ de bataille, étaient pleins de monuments
dédiés à la mémoire des vainqueurs, ou consacrés par la reconnaissance :
chaque ville y envoyait ses chefs-d’œuvre, et y possédait un trésor ; ils s’enrichissaient
encore par les magnifiques présents des rois étrangers.
Les oracles qu’on y consultait grossissaient la foule de
ceux qu’attirait l’éclat de ces fêtes. Malgré d’obscurité des oracles, malgré
la vénalité bien connue des prêtres, la superstition du peuple et la
politique des gouvernements entretenaient la crédulité. Les convulsions de la Pythie, ses regards
égarés, ses cris plaintifs, la bouche écumante du prêtre et ses cheveux
hérissés persuadaient au vulgaire qu’un dieu les agitait et dictait leurs réponses
: ainsi l’on vit souvent des villes détruites et des états renversés pour un
mot prononcé par un pontife corrompu ou par une vierge en délire.
En sortant de ces réunions générales de tous les peuples,
les Grecs, retournant dans leurs cités, couraient aux théâtres, objet de leur
passion favorite. Celui d’Athènes était immense ; il contenait trente mille
personnes. On divisait l’avant-scène en deux parties ; les acteurs occupaient
la plus élevée, et les chœurs la plus basse. L’orchestre restait vide ; on le
destinait aux combats de poésie, de musique et de danse.
Les femmes, assises dans l’amphithéâtre, se tenaient éloignées
des hommes et des courtisanes ; on réservait aux magistrats, aux généraux,
aux corps, des places distinguées ; le reste se plaçait en tumulte, se
promenait, disputait, faisait venir du vin, des fruits, des gâteaux, et y
passait les jours et les nuits.
On représentait dans la même journée des pantomimes, des
farces, des tragédies, des comédies : les acteurs portaient des masques ; d’ingénieuses
machines, tournant sur des roulettes, présentaient tour à tour l’extérieur ou
l’intérieur d’un édifice ; d’autres servaient à opérer la descente des dieux,
l’apparition des ombres, à imiter la flamine et le bruit du tonnerre.
Les places coûtaient d’abord une drachme par tête.
Périclès, qui voulait occuper les Athéniens de leurs plaisirs pour les
distraire de leurs affaires, réduisit ce prix à une obole ; il finit même par
distribuer de l’argent aux pauvres pour leur en faciliter l’entrée. On se
livrait avec fureur à des amusements : les Grecs y assistaient aux aventures
de leurs dieux, aux exploits de leurs héros, ils ne pouvaient quitter ces
lieux où le génie des auteurs les plus célèbres leur retraçait sans cesse la
gloire de leur patrie ; et cette passion pour le théâtre devint telle qu’on
prodigua, pour la satisfaire, les trésors qu’une sage prévoyance avait
destinés à l’armement des flottes et à la solde des troupes.
Un peuple si léger ne pouvait chercher que des succès brillants
; aussi les Grecs ne firent que peu de progrès dans la science du commerce,
et leur marine fut toujours plus militaire que marchande : ils recevaient les
denrées de tous les pays du nord, de l’est et du sud, et n’exportaient que de
l’huile de leur territoire et de l’argent de leurs mines. Corinthe seule par sa
position devint l’entrepôt nécessaire du commerce de l’Archipel, de la Syrie, de la Phénicie, de l’Égypte
et de l’Italie. Les droits de transit qu’elle percevait fondèrent m richesse.
Rhodes, plus sage et plus industrieuse, s’appliqua ait commerce, et porta
dans toutes les contrées ses vins, ses bois, son miel et ses marbres précieux
; aussi les poètes grecs disaient qu’une pluie d’or y descendait du ciel ; et
sa pacifique industrie la rendit plus longtemps heureuse que n’aurait pu
faire l’esprit de conquête.
Les Grecs éprouvèrent un destin tout opposé. Ce peuple,
jouet d’une imagination vive, fut constamment éloigné de la raison par ses
passions ; paraissant doué d’une jeunesse éternelle, il ne la perdit que pour
tomber dans la vieillesse sans avoir parcouru l’âge viril ; aussi Diogène, en
parlant de la Grèce,
disait, tenant sa lanterne à la main : Je n’ai rencontré des hommes nulle part ; mais j’ai vu des
enfants à Lacédémone.
FIN DE L’HISTOIRE DE LA
GRÈCE
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