SUITE DE LA GUERRE
CONTRE LES PERSES.
LES Athéniens, délivrés des Perses, rebâtirent leur ville,
relevèrent leurs temples, travaillèrent avec activité à fortifier la
citadelle et à entourer Athènes de fortes murailles. Mais les Lacédémoniens
virent avec peine ces travaux. Leur vaillance et leur vertu avaient porté
tous les peuples de la Grèce à reconnaître leur supériorité et à leur
céder le commandement de la confédération ; toujours on avait nommé pour
généralissime un Spartiate
C’était assez pour l’honneur, mais non pour l’orgueil : il
est insatiable ; il, ne se contente pas d’être au-dessus ; il veut être seul.
L’éclat d’Athènes blessait Sparte, et cette fière république
espérait que sa rivale ne relèverait jamais ses murs abattus par Xerxès. Elle
envoya donc des ambassadeurs à Athènes ; ils représentèrent au sénat et au
peuple le danger de construire, hors du Péloponnèse, une forteresse qui
pourrait servir de place d’armes aux Perses, s’ils renouvelaient leur
invasion. Ils annoncèrent avec fierté l’intention de s’opposer à l’achèvement
des travaux commencés.
Thémistocle occupait alors une des premières charges de l’état
: cet adroit politique sentit que, dans la position des Athéniens, ils ne
pouvaient pas encore opposer la force à l’insolence ; il répondit avec
adresse, obtint des délais, représenta la nécessité de délibérer mûrement sur
une affaire d’une si grande importance pour Athènes et pour toute la Grèce. Il
proposa modestement de décider cette grande question à Lacédémone. Les Athéniens
nommèrent des députés. Thémistocle, nommé le premier, précéda ses collègues et
partit pour Sparte avec les ambassadeurs de cette république. Lorsqu’il y fut
arrivé, il différa de jour en jour la discussion, sous prétexte qu’il ne
pouvait rien prendre sur lui dans l’absence de ses collègues qu’il attendait,
et dont il avait secrètement fait retarder le départ.
Pendant ce temps tout le peuple d’Athènes jusqu’aux
femmes, et jusqu’aux enfants, travaillait sans relâche aux fortifications. La
nouvelle en vint à Sparte : les éphores se plaignirent de la lenteur affectée
de Thémistocle, et de l’activité des Athéniens.
Thémistocle soutint qu’ils étaient mal informés qu’ils
prenaient mal à propos l’alarme sur un faux bruit. Il leur proposa d’envoyer
des députés pour s’assurer de la vérité de ces nouvelles.
Enfin ses collègues arrivèrent ; mais les travaux étaient
achevés : alors, levant le masque, il déclara en plein sénat, qu’Athènes
avait résolu de veiller à sa sûreté ; qu’aucun des alliés ne pouvait, avec
justice, la priver de son indépendance ; que les Lacédémoniens voulaient à
tort fonder leur force sur la faiblesse des autres peuples de la Grèce ; qu’au reste
les ouvrages étaient finis, et que les Athéniens sauraient les défendre
contre tous ceux qui voudraient les attaquer.
Sparte, étonnée, se tût et n’eut d’autre résultat de ses
mauvais desseins que d’avoir dévoilé sa jalousie et son ambition.
Athènes, ayant fortifié ses ports, les remplit avec
activité, et ordonna de construire tous les ans vingt vaisseaux.
Thémistocle, qui combattait avec tant de raison les l’ambition
de Sparte, n’en avait pas une moindre pour sa patrie : il déclara au
peuple qu’il avait conçu un projet d’une haute importance, mais qu’il ne
pouvait expliquer publiquement, puisque son succès exigeait le plus profond
secret. Les Athéniens lui dirent de le confier à Aristide seul : alors
Thémistocle, le prenant à part, lui avoua que son dessein était de rendre
Athènes maîtresse de la
Grèce, en brûlant toute la flotte grecque, qui se trouvait
alors dans un port voisin. Aristide revint à l’assemblée, et dit : Rien n’est plus
utile pour Athènes que le projet de Thémistocle ; mais rien n’est plus
injuste.
Cet arrêt d’un homme vertueux suffit pour décider les
Athéniens à rejeter la proposition : Athènes alors méritait sa gloire et sa
puissance. Cependant on pourrait dire que la distinction d’Aristide n’était pas
exacte, parce que ce qui est injuste ne peut jamais être utile.
Quelque temps après Lacédémone proposa au conseil des amphictyons
d’exclure de l’alliance générale les villes qui n’avaient point contribué par
leurs secours aux victoires remportées sur les Perses. Par ce moyen la
confédération aurait été réduite à trente villes d’une médiocre puissance, et
l’exclusion d’Argos et de Thèbes aurait assuré la domination des
Lacédémoniens. Thémistocle rompit ce projet en prouvant que cette rigueur
exciterait la discorde, donnerait des alliés aux ennemis, et qu’il fallait
fortifier la confédération au lieu de l’affaiblir.
Le peuple d’Athènes inclinant toujours vers la démocratie,
voyait avec peine les privilèges que les lois assuraient à l’opulence : il
fallait avoir un revenu de cinq cents médimnes pour être éligible aux places
d’archontes. La ville était au moment de se voir la proie des dissensions
civiles ; Aristide, plus vertueux que politique, fit rendre un décret
qui accordait à tous les citoyens le droit d’être élu : cette loi, trop
populaire, préparait de longs troubles pour obtenir un calme passager.
Après avoir repoussé si glorieusement l’invasion des
Perses, les Grecs voulurent se venger des maux qu’ils avaient soufferts : leur
flotte, commandée par Pausanias de Sparte, par Aristide et par Cimon d’Athènes,
partit dans le dessein de rendre la liberté aux villes grecques de l’Asie-Mineure
; elle rencontra, près de l’île de Chypre, l’armée navale des Perses, la
battit complètement, en détruisit une partie, prit toutes les villes de la
côte d’Asie, et s’empara même de Byzance.
Dans cette dernière ville on trouva un butin immense, et
on fit beaucoup de riches satrapes prisonniers ; mais, gagné par leurs présents,
le généralissime Pausanias les laissa échapper.
Le héros de Platée ne put défendre sa vertu contre les
piéges de la fortune et de l’ambition ; et la rigide Sparte donna le
premier exemple aux Grecs de la trahison et de la cupidité.
La hauteur et les injustices de ce général excitaient les
plaintes des alliés ; ils le dépouillèrent du commandement, pour le donner à
Aristide. Ainsi la vertu d’un Athénien et la corruption d’un Spartiate firent
passer dans les mains d’Athènes l’autorité dont Lacédémone avait joui jusqu’alors
dans la Grèce.
Cependant Pausanias, qui n’était plus généralissime, mais
qui commandait encore les Lacédémoniens, irrité de l’affront qu’il avait
reçu, oublia ce qu’il devait à sa patrie, et n’écouta plus que son
ressentiment et son ambition. Il écrivit à Xerxès, et offrit de lui livrer
Sparte et toute la
Grèce s’il voulait lui accorder sa fille en mariage. Le roi
lui fit de riches présents, lui laissa l’espoir d’obtenir ce qu’il désirait,
et donna le gouvernement de l’Asie-Mineure à Artabaze ; afin de le mettre à
portée de suivre cette négociation.
Ces messages, qu’envoyait et que recevait Pausanias,
inspirèrent des soupçons. Sa hauteur avec les Grecs, le mépris qu’il montrait
pour leurs mœurs, jusqu’au point de prendre l’habillement et le faste des
Perses, présentaient un contraste choquant avec la modestie d’Aristide et de
Cimon. Une haine générale éclata contre lui ; il fut appelé à Sparte,
accusé et absous faute de preuves.
Étant retourné en Asie pour suivre ses projets, un nouvel
ordre le ramena à Lacédémone. On le mit en prison : mais son crédit était
considérable ; il était tuteur du jeune roi Plistarque, fils de Léonidas ;
les éphores, quoique, convaincus de son crime, ne purent le prouver, et se
virent contraints de lui rendre la liberté.
Sur ces entrefaites un de ses esclaves, nommé l’Argilien,
remarquant que tous ceux que son maître envoyait en Asie n’en revenaient
jamais, soupçonna qu’on les y tuait pour assurer le secret de leur mission.
Chargé à son tour par son maître d’y porter une lettre, au lieu de partir il
la remit aux éphores, et se retira à Ténare, dans le temple de Neptune.
Pausanias, apprenant que son esclave s’était réfugié dans ce temple, y
courut. Les éphores et quelques citoyens s’y tenaient cachés. L’esclave avoua
à son maître que craignant la mort, il avait ouvert la lettre. Pausanias,
voyant son secret compromis, fit beaucoup de promesses à l’Argilien pour l’engager
à le garder, le mit totalement dans sa confidence et le quitta. Les éphores
armés de toutes les preuves nécessaires rendirent un décret pour l’arrêter et
le punir. Instruit de cet ordre, il se retira dans le temple de Pallas. La
sainteté de cet asile empêchait de l’en arracher ; mais le peuple, furieux en
mura l’entrée ; on dit que sa mère y porta la première pierre. On découvrit
le toit de cet édifice, pour qu’il n’eût aucun abri, et il y mourut de faim,
exposé aux injures de l’air.
Le peuple craignait d’avoir offensé la divinité, et l’oracle
de Delphes ordonna, pour apaiser la déesse, d’ériger dans son temple une
statue à Pausanias. La lecture des lettres interceptées donna quelques soupçons
sur la fidélité de Thémistocle : il avait refusé de seconder l’entreprise
du perfide Spartiate ; mais il en avait reçu la confidence ; et les
Lacédémoniens, irrités depuis longtemps contre lui, et jaloux de sa gloire, le
discréditèrent à Athènes. Sa vanité, qui blessait ses concitoyens, seconda
ses ennemis. Il avait bâti près de sa maison un temple à Diane, et y avait
placé sa propre statue ; elle existait encore du temps de Plutarque. Il rabaissait
le mérite des autres généraux, et se vantait à tous propos de ses services.
Comme on lui reprochait un jour d’en trop parler : Athéniens, dit-il, vous vous
lassez d’entendre dire du bien de moi ; mais vous ne vous lassez pas d’en
recevoir.
Toujours opposé à Aristide, il soutenait les grands et les
riches contre le peuple, dont il s’attirait l’animadversion. Comme il s’était
montré peu scrupuleux dans l’administration des finances, on se plaisait à
vanter devant lui l’incorruptibilité d’Aristide : Je n’y vois, répondit-il, d’autre mérite que celui d’un coffre-fort qui garde ce qu’on
lui confie. — Thémistocle doit
pourtant savoir, répliquait Aristide, que
ce n’est pas un mérite commun d’avoir les mains pures et nettes.
Dans cette disposition des esprits ses ennemis obtinrent
facilement son exil. Les Lacédémoniens ne s’en contentèrent pas, et
produisirent des lettres équivoques de Pausanias qui promettait, au roi de
Perse de l’engager dans son parti.
Thémistocle écrivit avec force pour réfuter ces calomnies
; mais on donna l’ordre de le poursuivre, de l’arrêter et de le faire périr.
Il en fut instruit et se sauva d’abord à Corcyre, et de là en Épire : ne
trouvant de sûreté dans aucun de ces asiles, il eut l’audace de se réfugier
chez Admète, roi des Molosses, dont il avait autrefois combattu les intérêts.
Ce monarque était absent ; la reine l’accueillit avec
bienveillance. Il prit dans ses bras le fils du roi, s’assit près de ses
dieux domestiques, et, le voyant arriver, il se leva et lui dit qu’il venait
remettre sa vie entre ses mains.
Le généreux Admète lui accorda l’hospitalité, et refusa de
le livrer aux Athéniens. Peu de temps après, un de ses amis enleva d’Athènes
sa femme et ses enfants, et les lui amena avec une faible partie de ses biens
; le reste fut confisqué. Thémistocle dut se souvenir alors des paroles de
son père qui, en lui montrant, dans son enfance, une vieille galère brisée,
et abandonnée sur le rivage, lui dit : Voilà comme
le peuple traite ses serviteurs lorsqu’il croit n’avoir plus besoin de leurs services.
Athènes succédait alors totalement à Sparte dans le
commandement de la
Grèce. La sévérité spartiate avait rendu son joug trop
pesant ; celui d’Athènes parut d’abord plus léger. Les Lacédémoniens
voulaient trop favoriser partout l’aristocratie et dans toutes les villes
grecques le parti populaire se déclarait pour les Athéniens : les contributions
sur les alliés avaient été réglées d’une manière illégale et arbitraire ; on
établit une taxe juste et proportionnelle. Le trésor commun fut placé dans l’île
de Délos : il fallait trouver un homme intègre pour administrer les revenus
de la confédération ; tous les alliés choisirent unanimement Aristide :
éclatant et juste hommage rendu à sa probité. Aussi Plutarque disait :
Thémistocle, Cimon et Périclès ont rempli Athènes de monuments et de
richesses ; Aristide l’a remplie de vertus. La sagesse de son administration
justifia ce choix.
On ignoré le lieu, le genre et le temps de la mort de ce
grand homme ; ce qu’on sait, c’est qu’il ne laissa pas de quoi se faire
enterrer. Callias, son parent, homme très opulent, fut accusé de n’avoir pas
secouru sa pauvreté ; mais il prouva qu’Aristide avait refusé tous les dons
qu’il avait voulu lui faire. Lysimaque, son fils, fut nourri au Prytanée ; sa
fille fut dotée par l’état. Le plus beau des titres de la gloire humaine, le
surnom de juste, est resté
inséparablement attaché au nom d’Aristide.
La cour de Perse, qui avait voulu bouleverser l’Europe,
était devenue le théâtre des plus sanglantes révolutions. Les folies et les chines
de Xerxès lui aliénaient le cœur de ses sujets. Artabane, l’un des grands du
royaume, l’assassina, attribua son crime à Darius, fils de ce malheureux roi,
et le fit tuer par son frère Artaxerxés. Ce prince, découvrant la vérité et
de nouveaux complots d’Artabane s’affermit sur le trône par sa mort.
Artaxerxés hérita de la haine de son père contre les
Grecs, et ne fut pas plus heureux que lui. Il haïssait surtout Thémistocle qu’il
regardait comme le principal auteur des désastres éprouvés par les Perses en Europe
et en Asie ; et croyant qu’il pourrait être forcé de se réfugier dans quelque
pays de sa dépendance, il fit mettre partout sa tête à prix.
Cependant les Athéniens poursuivaient toujours leurs
projets de vengeance contre cet illustre proscrit, et menaçaient Admète de
lui faire la guerre s’il continuait de le protéger : Thémistocle ne voulant
pas que ce prince fût puni de sa générosité, sortit de ses états, et vint en
Éolie, où il se cacha chez un Grec, nommé Nicogène : là il apprit que le
roi de Perse avait promis deux cents talents à celui qui le tuerait ; mais il
savait que dans les extrêmes périls, il n’y a souvent de remède qu’une
extrême audace. S’étant déguisé en femme, il se rendit à Suze dans une
voiture couverte, et se fit annoncer au roi de Perse comme un Grec obscur,
mais qui voulait lui parler d’une affaire importante. Admis à l’audience, il
dit avec une noble hardiesse : Seigneur, je
suis Thémistocle ; banni par les Athéniens, je cherche un asile ou la mort ; vous
pouvez sauver un suppliant, ou faire périr un homme regardé par les Grecs
comme leur plus grand ennemi.
Le roi ne lui fit d’abord aucune réponse ; mais, dans les
transports de la joie que lui causait la possession d’un si redoutable
adversaire, on l’entendit plusieurs fois s’écrier la nuit : Enfin j’ai Thémistocle l’Athénien ! Le
lendemain il lui fit donner les deux cents talents promis à celui qui lui
livrerait sa tête, lui assura un état splendide, assigna plusieurs villes à
son entretien et à sa nourriture, lui fit épouser une des plus riches femmes
de la Perse
et le combla de faveurs.
Dans cette prospérité inattendue, Thémistocle disait
quelquefois à ses enfants, en leur faisant entrevoir les malheurs auxquels
ils auraient été exposés dans Athènes : Mes amis,
nous périssions si nous n’eussions péri.
Cimon, qui s’était formé aux vertus et à la gloire sous la
conduite d’Aristide, hérita de son crédit et administra la république. Sa
jeunesse orageuse n’avait annoncé que des vices ; ils disparurent et firent
place à tous les grandes qualités qu’on peut désirer dans un homme d’état :
on retrouva en lui le courage de Miltiade, la prudence de Thémistocle, et la
justice d’Aristide. Chef de l’armée et de la flotte athéniennes, il fit la conquête
d’Éione sur le Strymon, d’Amphipolis et d’une partie de la Thrace : il y plaça une
colonie de dix mille Athéniens. Quelques-uns de ses succès furent vivement
disputés ; car, malgré la supériorité des Lacédémoniens et des Athéniens, l’esprit
et le courage grecs se retrouvaient partout, même en servant contre leur
patrie.
Quelques Perses rivalisaient de dévouement avec les Grecs
: Bogès, gouverneur d’Éione, après une longue défense, jeta dans le Strymon
toutes les richesses de la ville, poignarda sa femme, ses enfants, et périt
dans les flammes de leur bûcher.
Cimon rapporta de Scyros à Athènes les os de Thésée, et
lui fit rendre de grands honneurs : les héros ne sont jamais mieux honorés
que par ceux qui les imitent. Cimon ne se contentait par d’illustrer sa
patrie par ses exploits ; il protégeait et encourageait les beaux-arts et les
lettres qui commençaient à faire une grande partie de la gloire d’Athènes.
Eschyle jusqu’alors avait été le premier des auteurs tragiques ; Sophocle lui
disputa la palme du théâtre. Les suffrages se partageaient entre eux ; on
prit pour juge Cimon et quelques généraux ses collègues, aussi éclairés que vaillants
: ils donnèrent le prix au jeune Sophocle. Eschyle ne put supporter cette disgrâce,
il s’exila en Sicile, et y mourut ; tant était violent chez les Athéniens l’amour
de toute espèce de triomphe.
Jusque là on avait exigé avec rigueur des alliés les
troupes qu’ils devaient fournir pour leur contingent. Cimon, plus habile que
ses prédécesseurs, ne leur demanda que de l’argent, afin qu’ils perdissent le
goût des armes : ils s’amollirent dans la paix, de sorte qu’au lieu d’alliés
ils devinrent presque sujets des Athéniens.
Cet infatigable guerrier, à la tête de deux cents voiles,
poursuivait toujours les Perses, épuisait leurs ressources, minait leurs
forces, et détachait beaucoup de villes de leur alliance : en peu de temps
il ne laissa pas au grand roi une seule possession dans l’Asie-Mineure,
depuis l’Ionie jusqu’à la
Pamphylie.
Après la prise de Sestos et de Byzance il s’était élevé
parmi les alliés une contestation sur le partage du butin et des captifs.
Cimon, plus fin que ses adversaires, leur donna le butin, et garda pour
Athènes les prisonniers. On le railla d’abord sur un partage qui semblait si
désavantageux ; mais enfin les rançons des prisonniers arrivèrent, et leur produit
surpassa tellement celui du butin qu’Athènes en retira les sommes nécessaires
pour entretenir sa flotte et son armée pendant quatre mois.
Artaxerxés, irrité de tant de revers, et décidé à tenter
un grand effort, avait rassemblé toutes ses forces maritimes composées de trois
cent cinquante voiles : elles se réunirent à l’embouchure de l’Eurymédon.
Une armée de terre les soutenait. Cimon défit la flotte, prit deux cents vaisseaux,
et en coula bas un grand nombre. Il descendit ensuite à terre, mit l’armée
des Perses en déroute, en fit un grand carnage, et rapporta un butin immense.
Apprenant en même temps qu’une flotte phénicienne de quatre-vingts voiles
arrivait de Chypre, il courut au-devant d’elle et la détruisit presque
totalement.
Après ces victoires, que la renommée égalait à celles de
Salamine et de Platée, il revint triomphant dans Athènes.
Toutes les richesses qu’il avait conquises turent
employées à l’embellissement de la ville et aux fortifications du port. L’année
suivante il marcha vers l’Hellespont, chassa les Perses de la Chersonèse, de
Thrace, et, quoique son père en eût été souverain, il la donna à Athènes. Les
habitants l’île de Thase se révoltèrent : Cimon détruisit leur flotte, et
assiégea leur ville. Ce siège dura trois ans. Les assiégés s’opiniâtraient à
la résistance ; les femmes mêmes combattaient et faisaient des cordes pour
les machines avec les tresses de leurs cheveux. La plus affreuse famine se
joignit enfin à tous les maux de la guerre : tout allait périr, et aucun
n’osait élever la voix pour la paix parce qu’une loi menaçait de la mort tout
homme qui parlerait de traiter.
Dans cette extrémité un citoyen, nommé Hégétoride, s’étant
attaché une corde au cou, proposa de capituler pour sauver le peuple : ce
courageux dévouement toucha et changea les esprits ; on capitula : les
Athéniens, épargnèrent la ville et se contentèrent de la démanteler.
Cimon enrichit encore Athènes par la conquête de toute la Thrace, très abondante en mines. Les Athéniens,
enorgueillis par toutes ces victoires, espéraient que la Macédoine serait
aussi conquise ; mais Cimon s’arrêta aux frontières de ce royaume.
L’ingratitude populaire oublie les services et n’épargne
aucune vertu pour peu qu’elle croie ses intérêts blessés : Cimon fut accusé
de s’être laissé corrompre par le roi de Macédoine, et se justifia en
rappelant la conduite d’Alexandre, qui avait été constamment amicale et
pacifique. Il représenta aux Athéniens qu’ils soulèveraient toute la terre
contre eux s’ils portaient leurs armes contre les princes et les peuples qui
ne les avaient point attaqués. Le reproche de corruption parut improbable ;
la vie entière de Cimon plaidait pour lui.
Cependant Artaxerxés, effrayé de la gloire d’Athènes,
voulait encore tenter une invasion, et détruire un peuple qui lui faisait
tant de mal. Il ordonna à Thémistocle de prendre le commandement de son armée,
et de marcher contre les Athéniens. Cet illustre citoyen résolut de mourir
pour éviter d’être ingrat ou traître ; il offrit un sacrifice solennel aux
dieux, donna un grand festin à ses amis, leur fit de touchants adieux, et s’empoisonna.
La ville de Magnésie lui éleva une statue.
Thucydide nie ce fait, et prétend que sa mort fut
naturelle. Son refus de servir contre sa patrie n’en serait que plus noble s’il
n’avait pas taché l’héroïsme de cette action par le suicide. Ce qui est
certain, c’est qu’à la fin de sa carrière Thémistocle, corrigé de son orgueil
et de sa cupidité, ne montra plus que des vertus.
Sa fille était recherchée par un citoyen pauvre et
vertueux, et par un homme opulent, mais de mauvaises mœurs ; il préféra le
mérite sans biens, à la richesse sans mérite.
L’entreprise que méditait Artaxerxés contre la Grèce, fut arrêtée
par une puissante diversion, qui donna aux Athéniens de nouveaux moyens de
vengeance.
Les Égyptiens, souffrant impatiemment le joug des Perses,
se révoltèrent et prirent pour roi Inarus, prince de Libye : Athènes envoya
au secours d’Inarus une flotte et une armée : Charitimes les commandait. Ce
général détruisit, à l’embouchure du Nil, cinquante vaisseaux perses, remonta
le fleuve, débarqua, et, s’étant joint à Inarus attaqua le prince Achéménides,
frère, d’Artaxerxés, qui était entré en Égypte à la tête de trois cent mille
hommes.
La bataille fut longue et sanglante : les Perses vaincus y
perdirent cent mille guerriers ; le reste de leur armée se réfugia dans
Memphis, et s’y défendit trois ans.’
Artaxerxés voulut en vain gagner les Lacédémoniens, et les
engager à faire la guerre aux Athéniens ; la jalousie qui existait entre ces
deus républiques ne les avait pas encore aveuglées, comme elle fit depuis,
sur leurs intérêts communs.
Le roi de Perse, renonçant pour le moment à l’espoir de
diviser les Grecs, envoya en Égypte une nouvelle armée sous les ordres d’Artabaze
et de Mégabyse. Ces généraux, plus habiles ou plus heureux que leurs
prédécesseurs, forcèrent les alliés à lever le siège de Memphis. Inarus fut
battu : les Athéniens, forcés à la retraite, se renfermèrent dans l’île de
Prosopytis, qu’entouraient deux bras du Nil. Ils s’y défendirent dix-huit
mois, et restèrent ainsi seuls en armes après que l’Égypte se fut soumise aux
Perses.
Les généraux d’Artaxerxés creusèrent des canaux et mirent
à sec les bras du Nil. Six mille Athéniens, restés sans défense, voulurent
égaler la gloire des Lacédémoniens aux Thermopyles : ils brûlèrent leurs
vaisseaux et se montrèrent décidés à subir plutôt la mort que la captivité.
Cette résolution courageuse imposa aux Perses, qui leur
permirent de retourner librement à Athènes.
Ce fut à cette époque qu’Artaxerxés fit partir Esdras pour
Jérusalem, en le chargeant d’y rétablir la loi de Moïse et le temple de
Salomon. Dans ce même temps Rome rendit un éclatant hommage aux lumières et aux
vertus de la Grèce,
en envoyant demander à l’aréopage les lois qui devaient la gouverner.
Périclès commençait alors à prendre part aux affaires
publiques ; cet homme fameux, qui donna son nom à son siècle, était destiné à
répandre, à la fois sur sa patrie le plus grand éclat et les germes de la
corruption qui causa sa décadence.
Il était fils de Xantippe, le vainqueur de Mycale, et par
sa mère il descendait de Clythéne. Son instituteur fut Anaxagore de Clazomène,
ce sage philosophe auquel on avait donné le surnom d’intelligence, parce qu’il attribuait à un seul Dieu la
création et le gouvernement du monde.
Périclès était armé de la force la plus puissante dans les
républiques, celle de l’éloquence : la sienne était si séduisante qu’on
disait que les grâces et la persuasion résidaient sur ses lèvres, et
quelquefois elle paraissait si forte qu’on la comparait à la foudre. Son rival
Thucydide, qui lutta longtemps contre lui dans les combats de la tribune,
disait : Quand j’ai renversé Périclès par terre,
son éloquence est si adroite qu’elle prouve aux assistants que c’est moi qui
suis tombé.
Jamais homme ne connut mieux son temps et son pays : avant
d’élever la voix, on tient de lui-même qu’il se disait toujours : Songe, Périclès, que tu vas parler à des hommes libres, à
des Grecs, à des Athéniens. Et il priait les dieux de le préserver
de toute inconvenance et de toute pensée contraire à la dignité et au bonheur
de sa patrie.
On trouvait dans sa jeunesse qu’il ressemblait à
Pisistrate, ce qui était d’un bon augure pour son ambition, mais très
dangereux chez un peuple jaloux de sa liberté. Cachant adroitement l’amour du
pouvoir sous les dehors de la popularité, il évita soigneusement d’abord tout
ce qui pouvait donner de l’ombrage : il parut pendant plusieurs années livré
aux plaisirs, aux lettres, aux arts et aux sciences ; et, lorsque les devoirs
de citoyen l’appelèrent à la guerre, il sut cacher son ambition tout en montrant
sa bravoure.
Ayant peu à peu gagné les affections du peuple, l’absence
de Cimon lui parut enfin une circonstance favorable pour marcher à son but : alors
il changea tout à coup de formes, devint grave, sévère, se mêla activement
des affaires publiques, évitant avec soin, d’une part, l’orgueil choquant de Thémistocle,
et de l’autre, cette familiarité qui diminue le respect. On le voyait
rarement en public. Ses amis et ses confidents se chargeaient sous sa
direction des affaires de détail : pour lui, semblable à Jupiter, il ne s’occupait
que des plus importantes ; mais alors son éloquence entraînante soumettait le
peuple à ses volontés.
On le porta rapidement aux plus hautes magistratures. La
confiance devint une habitude et se changea en obéissance, de sorte qu’au milieu
d’une république il devint presque monarque. Habile à lire au fond du cœur
des hommes, il satisfaisait le peuple par le partage des terres conquises,
payait les spectacles avec les deniers publies, amollissait les mœurs des
Athéniens pour les gouverner plus facilement, et se servait des jeux, des
arts, des talents et des plaisirs pour les éloigner des affaires.
Souffrant la licence à la comédie, il permettait sans se fâcher
qu’on le jouât sur la scène : il ôtait ainsi la liberté réelle, au peuple
dans l’administration et lui en laissait le fantôme au théâtre. Le sort ne l’avait
nommé ni archonte ni polémarque et il fallait avoir occupé ces emplois pour
être membre de l’aréopage : ne pouvant donc entrer dans ce corps auguste et
sévère, dont il redoutait l’autorité, il lui enleva peu à peu ses plus
importantes attributions, et les donna aux tribunaux inférieurs qu’il
gouvernait. Ce fut ainsi qu’il se rendit le maître de la république.
Cimon revint alors dans l’Attique, et voulut rétablir l’aristocratie
pour renverser le pouvoir populaire, qui faisait la base de l’autorité de Périclès
: mais son opposition balança seulement la puissance de son rival sans
pouvoir la détruire.
La vertu de Cimon faisait la gloire de son pays ;
mais son austérité déplaisait aux Athéniens : partisan déclaré des lois de Lycurgue,
il vantait toujours Sparte aux dépens d’Athènes, et par cette partialité il
choquait la vanité de ses concitoyens.
La république de Lacédémone éprouva dans ce temps de
grands malheurs, et se vit au moment d’une ruine totale : un affreux tremblement
de terre renversa toutes les maisons de Sparte ; il n’y en eut que cinq qui
échappèrent à ce fléau. Le sommet du mont Taygète, arraché de ses fondements,
s’écroula tomba sur la ville et l’écrasa. Les Ilotes, profitant de ce malheur
public, brisèrent leurs chaînes et prirent les armes, dans l’espoir de
détruire les habitants dispersés. Mais le roi Archidamus avait rassemblé les
citoyens ; il repoussa les Ilotes. Ceux-ci appelèrent les Messéniens qui les
appuyèrent de toutes leurs forces.
Dans ce danger pressant, les Lacédémoniens demandèrent des
secours à Athènes. Le peuple s’assembla : Éphialte, ami et confident de
Périclès, voulait qu’on refusât toute assistance et qu’on laissât périr une
république dont la seule rivalité empêchait Athènes de dominer la Grèce. Mais
le vertueux Cimon représenta avec tant de force la lâcheté de cet abandon ;
il fit sentir avec tant de sagesse qu’on ne devait pas laisser la Grèce boiteuse et Athènes sans contrepoids, qu’il
entraîna tous les suffrages. L’antique générosité l’emporta sur une politique
ambitieuse ; les secours furent accordés : Cimon marcha avec quatre mille
hommes en Laconie et délivra Sparte du pénil qui la menaçait.
Peu de temps après les Messéniens et les Ilotes recommencèrent
la guerre. Cimon entra de nouveau dans le Péloponnèse mais les Lacédémoniens,
trouvant cette fois leurs forces suffisantes pour battre seuls leurs ennemis,
prirent ombrage du secours, qu’on leur offrait, le refusèrent et les renvoyèrent
en Attique. Les Athéniens, irrités de cette injure, regardèrent Cimon comme
la cause de l’affront qu’ils avaient reçus et le bannirent pour dix ans.
Délivré d’un rival si redoutable, Périclès devint plus
puissant que jamais. Les Spartiates vainquirent leurs ennemis et subjuguèrent
totalement Ithome et la
Messénie ; Mégare, qui depuis quelque temps suivait l’influence
d’Athènes, se rangea celle de Sparte. La jalousie des deux républiques, si
utile à là gloire commune tant qu’elle n’avait été qu’une noble émulation, devint
une haine violente qui s’aigrissait de jour en jour ; chacune prévoyant une
rupture prochaine cherchait et trouvait des alliés.
Si la
Grèce avait été autrefois fatiguée de la dure autorité de
Lacédémone, elle ne l’était pas moins alors de l’ambition turbulente des
Athéniens.
Tandis que Cimon combattait les Perses, Myronide et d’autres
généraux d’Athènes attaquaient en Europe Corinthe, Épidaure, Thèbes ; ils
démolissaient Égine et brûlaient ses vaisseaux. Leurs armes avaient conquis la Thessalie, et forcé
ses habitants à rentrer sous le joug d’Oreste.
Tant qu’Athènes eut à craindre l’invasion des Perses, elle
montra toutes les vertus qui font le salut et la gloire des républiques : la
pudeur, la modestie, le désintéressement y régnaient, et les plus héroïques
travaux n’avaient d’autre but, d’autre prix que l’estime publique. On n’accorda
des statues à Harmodius et à Aristogiton qu’après leur mort ; Aristide et
Thémistocle n’obtinrent pas même une couronne de laurier. Miltiade en demanda
une après la bataille de Marathon : un simple citoyen lui répondit : Vous ne l’obtiendrez que lorsque vous aurez battu tout
seul les ennemis.
Les inscriptions destinées à perpétuer le souvenir des
victoires de Cimon donnaient de grands éloges aux troupes, mais n’en accordaient
à personne en particulier.
La défaite des Perses, en laissant aux Athéniens une
grande sécurité, leur fit perdre une partie de leurs vertus. Leur flotte
nombreuse, qui avait d’abord fait leur salut, les corrompit ensuite en
étendant leur puissance et en accroissant leurs richesses. On s’était armé
dans le principe pour défendre la liberté ; par la suite on ne combattit
que pour piller. Enfin le décret de Thémistocle, en appelant une foule d’étrangers
dans Athènes, pour en augmenter la population, y changea les mœurs en mêlant
la mollesse asiatique à la simplicité grecque.
Sparte, plus sévère, avait un peu mieux résisté à la
séduction des richesses : mais les victoires enflèrent son orgueil ; et
si elle n’égalait pas Athènes en cupidité, elle la surpassait peut-être en
ambition.
La guerre ne tarda pas à éclater entre les deux républiques.
Un corps de Lacédémoniens rencontra des troupes athéniennes à Tanagre en
Béotie, les attaqua et les battit. Cimon, quoique exilé, se trouvant près du
lieu du combat, voulut y prendre part : on refusa les services de ce
généreux citoyen. En s’éloignant, il exhorta les compagnons qu’il avait
amenés à remplir leur devoir : ils obéirent, et se firent tous tuer.
Les mobiles Athéniens, inquiets des suites de cette
guerre, commencèrent à se plaindre de Périclès et à regretter Cimon :
Périclès trop adroit pour irriter le peuple par une résistance intempestive,
fit lui-même ce qu’il ne pouvait empêcher, et provoqua le décret qui
rappelait son rival.
Cimon, de retour, et se trouvant de nouveau à la tête du
gouvernement, conçut la grande idée d’éloigner la discorde de la Grèce en occupant
ses armes contre l’ennemi commun : il envoya cinquante vaisseaux au secours d’Amyrthée,
chef d’une nouvelle révolte en Égypte, et marcha lui-même avec deux cents
voiles contre Artabaze qui était alors près de l’île de Chypre. Il attaqua l’armée
des Perses : la victoire lui fut fidèle ; il prit cent vaisseaux aux ennemis
et en détruisit un grand nombre. Étant ensuite débarqué en Cilicie, il
attaqua Mégabyse, le battit et détruisit une partie de son armée. Son projet
était de passer de là en Égypte, mais il voulut auparavant s’emparer de l’île
de Chypre : il y descendit, et assiégea Sicyone.
Cependant l’orgueil d’Artaxerxés, abaissé par tant de
défaites, s’humilia devant la fortune des Grecs, et, craignant de voir l’Asie
consumée par le fer qu’il avait voulu porter en Europe, il envoya Mégabyse et
Artabaze à Athènes pour demander la paix. L’Athénien Callias fut chargé par
les alliés de conduire cette négociation : elle fut prompte, et se termina
par un traité aussi glorieux pour les Grecs qu’humiliant pour les Perses.
La liberté fut assurée à toutes les villes de l’Asie-Mineure
: les Perses promirent qu’aucun vaisseau de leur nation ne paraîtrait sur la mer
depuis le Pont-Euxin jusqu’aux côtes de Pamphylie ; et il fut défendu à
toutes les troupes du roi de Perse d’approcher à plus de trois journées des
côtes de l’Ionie et de l’Hellespont.
Telle fut la fin de la guerre des Perses, qui avait duré
cinquante et un ans.
Tandis qu’on négociait ce traité, Cimon mourut d’une blessure
qu’il avait reçue à Sicyone. Par ses ordres ses officiers cachèrent sa mort
aux ennemis, et ramenèrent à Athènes sa flotte victorieuse, que son ombre et
son nom commandaient encore.
Périclès, délivré de ce rival, affermit de jour en jour sa
puissance, malgré les efforts de l’aristocratie que lui opposa vainement
Thucydide, beau-frère de Cimon.
Maître de l’état, il gouvernait avec beaucoup de prudence une
si nombreuse et si active population ; équipant tous les ans soixante
vaisseaux, il soudoyait et occupait un grand nombre de pauvres.
Athènes envoya plusieurs colonies dans la Chersonèse,
dans l’Archipel, en Thrace et en Italie, où ces colons bâtirent la ville de
Thurium. Protecteur éclairé des lettres, des sciences et des arts, Périclès
remplit la ville de statues, de tableaux et de monuments : sa magnificence,
son urbanité attiraient une foule d’étrangers qui venaient verser les
richesses du monde dans les murs d’Athènes.
On l’accusa enfin de tyrannie : on prétendit qu’il
prodiguait arbitrairement l’argent des étrangers pour la construction
dispendieuse de tant d’édifices publics. Périclès offrit de payer de ses deniers
tous ses monuments, pourvu qu’on inscrivît sur leurs colonnes que lui seul
les avait érigés. La vanité athénienne refusa cette offre y et laissa tomber
l’accusation.
Phidias, le plus célèbre des sculpteurs, avait fait une
statue de Pallas d’ivoire et d’or, et haute de trente-neuf pieds. L’Odéon,
théâtre immense, fut construit sur le modèle du magnifique pavillon dressé
pour Xerxès sur la montagne d’où il vit la défaite de son armée à Salamine.
Périclès, éblouissant ainsi le peuple athénien par l’éclat
qu’il répandait sur lui, ne tarda pas à triompher de l’opposition de Thucydide
; et le fit bannir par l’ostracisme. Voulant défendre de plus en plus la
domination de sa patrie, il proposa aux amphictyons un décret pour engager toutes
les villes grecques d’Europe et d’Asie à envoyer des députés à Athènes, afin
d’y délibérer sur les moyens de réparer les maux, les dommages de la guerre, et
d’y rétablir les temples détruits : Sparte aperçut le but de ce projet, et le
déjoua en faisant sentir que son exécution rendrait Athènes la capitale et la
souveraine de la Grèce.
Périclès ne tarda pas à s’apercevoir que la tranquillité
extérieure porterait l’activité des Athéniens à s’occuper de leur
administration et de leur liberté : il vit qu’il fallait les faire combattre
pour les gouverner, et qu’il devait ajouter à sa considération la gloire des armes.
L’ambition du peuple favorisait ses intentions ; il fit la guerre avec succès
en Thrace, porta la terreur sur les côtes du Péloponnèse, pénétra dans le
Pont, et menaça de ses armes l’Égypte, la Sicile et Carthage.
Une guerre qu’on appela sacrée,
éclata bientôt dans la Grèce. Sparte avait enlevé la surveillance du
temple de Delphes aux Phocéens ; Périclès les y rétablit ; l’Eubée s’était
révoltée, il y marcha et la soumit. Sparte, appuyée de l’alliance de Mégare,
attaqua l’Attique. Périclès remporta une victoire sur les Spartiates ; et
conclut ; entre Athènes et Lacédémone, une trêve qui devait durer trente ans.
Mais l’ambition et l’animosité des deux peuples ne tardèrent pas à la rompre
et à commencer cette longue et fatale guerre, appelée la guerre du Péloponnèse.
Tous les alliés d’Athènes se plaignaient de Périclès, et l’accusaient
d’employer le trésor public aux monuments dont il décorait sa patrie. Sans s’effrayer
de ces reproches, il leur opposait les succès de la confédération, et prétendait
qu’il ne devait à la
Grèce aucun compte des contributions, lorsqu’il prouvait
suffisamment que l’objet pour lequel elles avaient été levées se trouvait si
glorieusement rempli. Son éloquence terrassa ses adversaires, et son armée
triompha de ses ennemis.
Il ferma d’une
forte muraille l’isthme de Corinthe, pour le défendre des attaques des
Thraces. Partout, sous son administration (on pourrait
presque dire sous son règne), la puissance d’Athènes fut respectée.
Pour étendre sa domination il profita habilement des discordes des pays
voisins. Samos et Milet étaient en guerre : Périclès prit le parti des
Milésiens, entra deux fois dans Samos, et y établit deux fois le gouvernement
démocratique. Une flotte phénicienne, qui voulait s’opposer à cette
entreprise, fut battue et presque détruite.
Une querelle plus difficile à terminer, et dont les suites
furent plus longues et plus funestes, eut lieu entre Corcyre et Corinthe, son
ancienne métropole. Les Athéniens se déclarèrent pour Corcyre et livrèrent
aux Corinthiens plusieurs combats, dont le succès fut indécis.
La ville de Potidée était alors une colonie corinthienne.
Athènes voulut qu’elle démolît ses murs, et chassât ses magistrats nommés par
Corinthe. Une bataille eut lieu près des murs de Potidée : les Corinthiens
furent vaincus. Le sage Socrate, qui s’était couvert de gloire dans ce
combat, fit adjuger le prix de la valeur au jeune Alcibiade, dont il
présageait les hautes destinées.
Sparte, jalouse de cette victoire, embrassa la défense de
Potidée, et engagea Perdiccas, roi de Macédoine, dans son parti.
Les deux armées se rencontrèrent, et l’infanterie
macédonienne fut mise en dérouté par les Athéniens qui assiégèrent ensuite
Potidée.
Cet événement porta au plus haut point la haine de la plus
grande partie des Grecs contre Athènes : ils l’accusaient de s’attribuer
tout l’honneur de leurs triomphes communs, et lui reprochaient surtout d’attenter
à l’indépendance des autres peuples.
Corinthe, qui avait déjà déclaré l’alliance rompue, envoya
des ambassadeurs à Lacédémone pour invoquer la vengeance publique contre Les
Athéniens. On délibéra dans le sénat de Sparte, et ensuite en présence du peuple,
sur cette grande affaire, dont la décision était si importante, d’une part
pour le repos, et de l’autre pour la liberté de la Grèce.
Les Corinthiens et leurs alliés exposaient leurs griefs et
demandaient la guerre. Les députés d’Athènes rappelaient les services rendus
à la cause commune, et citaient avec orgueil leur dévouement, leur ville
abandonnée, leurs murs détruits, et les victoires de Marathon et de Salamine.
Le roi de Sparte, Archidamus, conseillait la paix, et
faisait prévoir tous les malheurs d’une longue guerre qui déchirerait la Grèce et laisserait respirer
l’ennemi commun.
Les émissaires du roi de Perse soufflaient le feu de la
discorde : l’orgueil blessé parlait pour eux ; la guerre fut résolue.
Cependant avant de combattre on envoya à Athènes des ambassadeurs qui
exigèrent que cette république remît en pleine liberté toutes les villes
grecques qui étaient sous sa domination ou sous son influence ; on demanda
particulièrement la révocation d’un décret qui interdisait à la ville de
Mégare tout commerce avec Athènes.
Les plus riches et les plus sages des Athéniens voulaient
que la république consentit à des sacrifices ; ils craignaient la ruine de
leurs propriétés en Attique, et voyaient avec effroi tous les maux que cette
guerre intestine devait attirer sur la Grèce. Mais, malgré les efforts de Thucydide et
de son parti, le système dominateur de Périclès prévalût. Il flatta la vanité
du peuple en lui rappelant ses trophées, en lui présentant un tableau
séduisant des forces militaires et de l’état des finances.
Athènes avait alors trois cents galères, trente mille
hommes de troupes, et neuf mille six cents talents, ou vingt-huit millions,
dans le trésor. Les contributions des alliés se montaient à quinze cent mille
francs par an. Il rassura les citoyens sur les ravages que l’Attique pouvait
avoir à redouter. Ce serait, disait-il,
un mal passager. Abandonnez la campagne à l’ennemi,
ne défendez que la ville ; vos flottes et vos troupes iront porter la terreur dans les foyers de vos ennemis, qui
seront obligés de rappeler leurs armées, pour se défendre contre des attaques
multipliées que la rapidité, de nos voiles dirigera de tous côtés. L’orgueil
de Sparte vaincu ne pourra vous résister, et il cessera de vous disputer l’empire
qui vous est dû, et que vous avez si glorieusement mérité.
Sur des dispositions de ses concitoyens, et chargé de répondre
pour eux, il rétorqua tous les arguments des ambassadeurs de Lacédémone, en
leur reprochant d’avoir fait peser sur la Grèce un joug bien plus dur et beaucoup moins
populaire que celui d’Athènes. Enfin il déclara qu’Athènes ne consentirait à
se départir de son autorité sur les villes qui reconnaissaient sa domination,
que si Sparte en donnait l’exemple en rendant la liberté aux Ilotes, aux
Messéniens et à toutes les villes qui gémissaient sous sa puissance.
Aucun des deux partis ne voulait sincèrement la liberté ;
Sparte et Athènes prétendaient réellement à la domination : aussi les
discours n’étaient que de vaines formes, et le glaive seul pouvait décider
cette question. La guerre fut donc définitivement déclarée.
Elle était nécessaire au repos de Périclès, comme à son
ambition ; car ses ennemis s’agitaient sans cesse pour détruire son autorité.
N’osant l’accuser directement, ils attaquèrent les objets qui lui étaient les
plus chers ; ils mirent en jugement le célèbre Phidias son ami : on lui
reprochait d’avoir dérobé une partie de l’or destiné à la statue de Minerve, et
d’avoir commis une impiété en plaçant le portrait de Périclès sur le bouclier
de Pallas. Phidias se disculpa du vol ; mais, convaincu de l’autre délit, il
fut jeté en prison et y mourut.
Anaxagore, accusé également d’impiété, savait que la
raison ne peut résister au fanatisme ; il se déroba par la fuite aux passions
du peuple.
Aspasie était également célèbre par sa beauté, par sa
science, par son esprit et par sa galanterie. Le sage Socrate disait qu’il
avait appris d’elle la rhétorique. Les plus illustres philosophes, les plus respectables
magistrats écoutaient ses leçons et suivaient ses conseils. Périclès
prétendait lui devoir son éloquence. Il l’avait épousée ; il plaida sa cause,
et quelques auteurs disent qu’il entraîna moins les juges par la force de son
discours que par la puissance des charmes d’Aspasie, qu’il fit paraître sans
voile à leurs yeux.
Athènes alors offrait le plus singulier et le plus brillant
mélange de sagesse et de folie, d’enthousiasme et d’ingratitude, de lumières
et de superstitions, de cruauté et d’urbanité, de vertus publiques et de
licence privée : on y voyait à la fois de sages politiques, des orateurs turbulents,
des guerriers vaillants et généreux, une populace insolente et timide, des
épouses pudiques et laborieuses, des courtisanes spirituelles et
corruptrices, des artistes et des poètes célèbres déchirés par une foule de
sophistes et de satiriques obscurs et envieux ; enfin, des philosophes éloquents
et sévères, entourés d’une jeunesse ardente et légère, qui n’écoutait leurs leçons
que pour orner son esprit, sans les graver dans son cœur constamment livré à
l’ambition et aux voluptés. Ainsi, à cette époque mémorable se trouvaient
réunis tous les éléments de gloire et de corruption qui annoncent à un peuple
qu’il est au faite de sa grandeur, et qu’il touche au premier degré de sa
décadence.
Parmi les principaux personnages qui illustraient alors
Athènes, était Anaxagore, l’instituteur, l’ami, le conseiller de Périclès. Il
avait renoncé à la fortune pour s’adonner à la philosophie. Ferme dans le
dogme de l’immortalité de l’âme et croyant tout soumis aux lois d’une
intelligence suprême, il regardait le ciel comme sa vraie patrie, et s’occupait
si peu de la terre, qu’il finit, à Lampsaque, ses jours dans la misère. Les
habitants de cette ville le priant de leur faire connaître ce qu’il désirait
d’eux après sa mort, il demande un jour de congé pour les jeunes gens.
Périclès l’avait laissé sans secours : l’ambition fait
oublier l’amitié. Apprenant qu’il touchait à sa fin il lui fit des offres
tardives : le philosophe répondit : Il n’est plus
temps ; vous deviez savoir que, lorsqu’on aime sa lampe, on y verse de l’huile.
Pindare, né à Thèbes, brillait alors : on le regarde comme
le premier des poètes lyriques. Horace avertit les poètes qu’on ne peut, sans
folie, prétendre l’égaler.
Le poète Eschyle, fondateur du théâtre d’Athènes, donna
aux acteurs la robe, le brodequin le cothurne, les masques. Il, posa les
règles antiques de la tragédie. Il plaça les chœurs entre les actes. On
admirait la gravité de son style. Il savait exciter la terreur, émouvoir la
pitié. Avant de chanter les héros, il les avait imités, et s’était distingué
par sa valeur à Marathon et à Salamine.
Sophocle, né à Colone, fut le rival d’Eschyle ; plus éloquent,
plus doux, plus harmonieux, on lui donna le surnom d’Abeille. Couronné vingt fois, et presque
centenaire, il mourut de joie d’un dernier succès.
Euripide de Salamine, moins hardi, moins élevé que les
deux premiers avait un style encore plus parfait et plus généralement admiré.
On comparait sa poésie à la marche noble et douce d’un fleuve, et celle de
Sophocle à la course d’un torrent. Euripide, philosophe dans ses écrits, parlait
à la raison comme à l’âme. Pendant la guerre de Sicile, quelques Athéniens captifs
obtinrent leur liberté en récitant ses vers.
Aristophane fut le plus célèbre des poètes comiques. Son
style était élégant, ses plaisanteries mordantes, ses bouffonneries
grossières. Il frondait sans crainte le gouvernement, et ridiculisait sans pudeur
sur la scène les plus graves personnages.
Hérodote d’Halicarnasse est regardé comme le père de l’histoire.
Son dialecte était l’ionique. Il composa l’histoire des Grecs, des Perses et
des Égyptiens. Trop admirateur des poètes, il mêla trop de fables à la vérité.
Son ouvrage, lu aux jeux Olympiques, excita un enthousiasme général. Thucydide
avoue qu’il en pleura d’admiration. Chacun de ses livres reçut le nom d’une
muse. Un long exil à Samos mûrit son talent : les disgrâces de la fortune
sont souvent aussi utiles à l’esprit qu’au caractère.
Thucydide, guerrier vaillant, orateur estimé, rival de Périclès,
fut banni vingt ans. Nous devons à cet exil l’histoire de la guerre du
Péloponnèse, écrite dans le dialecte attique. Cet ouvrage très estimé par son
exactitude, et très détaillé, fait mieux connaître qu’aucun autre les mœurs,
les lois et la politique du temps. Il est peut-être, trop rempli de harangues.
Mais plusieurs sont des modèles de logique et d’éloquence. Le style en est
véhément, mâle et sévère. L’histoire de Thucydide, selon l’opinion commune,
fut achevée par Théopompe et Xénophon.
Xénophon, Athénien, aussi célèbre comme historien que
comme général, dirigea la fameuse retraite des dix mille Grecs qui avaient
voulu placer le jeune Cyrus sur le trône. Son estime, trop hautement avouée
pour les lois, et pour les mœurs de Sparte, lui attira la haine des Athéniens :
il fut banni, et composa dans son exil la Cyropédie, ainsi que l’histoire
de la guerre du Péloponnèse, depuis le retour d’Alcibiade jusqu’à la bataille
de Mantinée. Cicéron dit qu’en lisant ses écrits on croit entendre les muses.
Isocrate se faisait admirer, comme orateur, par une
éloquence douce, agréable, brillante, et par une morale pure. Il introduisit
le premier la cadence et l’harmonie dans la prose : on le trouvait plus
propre à flatter l’oreille qu’à convaincre les esprits. Plutarque lui
reprochait d’arranger mieux les phrases que les affaires. Nicoclès, roi de
Chypre, le combla de présents. Il se lia imprudemment avec Philippe, roi de
Macédoine, ne pénétra pas son ambition qui devait asservir la Grèce et mourut de
chagrin après la bataille de Chéronée.
Phidias s’immortalisa par ses ouvrages. La statue de
Minerve fit sa gloire et ses malheurs. Son Jupiter Olympien, haut de soixante-pieds,
fut mis au nombre des sept merveilles du monde. Il excellait aussi dans la
peinture. Myron acquit également comme sculpteur beaucoup de gloire : sa
vache en cuivre fut son chef-d’œuvre.
Zeuxis peintre fameux se distinguait par la vivacité de
son coloris. On dit que les oiseaux venaient becqueter les raisins de ses
tableaux.
Parrhasius peintre d’Éphèse, fit illusion à Zeuxis lui-même
par un rideau si bien peint, que celui-ci lui dit de le tirer pour découvrir
le tableau.
Timante de Sicyone était célèbre par l’esprit de ses
compositions. Dans le tableau qui représentait le sacrifice d’Iphigénie, sentant
que le génie même ne pourrait exprimer la douleur d’un père qui voit immoler
sa fille, il peignit Agamemnon se couvrant la tête de son manteau.
Dans le même temps Empédocle d’Agrigente jouit par ses talents
d’une grande autorité dans sa patrie, et d’une juste estime dans la Grèce. On chantait aux jeux Olympiques ses vers
sur les devoirs de la vie civile. On raconte que, voulant passer pour un
Dieu, il disparut aux yeux de ses concitoyens, et se précipita dans les
gouffres de l’Etna. Aristote le nie, et le fait mourir tranquillement dans le
Péloponnèse. Il était de la secte de Pythagore, qui avait illustré l’Italie six
cents ans avant Jésus-Christ-
Pythagore, né à Samos, était le fils d’un sculpteur. Sa
force physique égala sa force morale ; car il fit d’abord le métier d’athlète.
Les leçons de Phérécide sur l’immortalité de l’âme le portèrent à la philosophie.
Il quitta ses biens et sa famille pour se livrer à l’étude des sciences et
des hommes. Il parcourut l’Égypte et l’Asie. La tyrannie de Polycrate lui fit
abandonner Samos. Il se fixa enfin dans la Grande Grèce, à Tarente, et surtout à Crotone.
Sa secte fut appelée l’Italique. Il eut
quatre ou cinq cents disciples qui subissaient un noviciat de deux jusqu’à
cinq ans, pendant lequel on les obligeait à observer un silence absolu. Son
éloquence était entraînante et ses mœurs fort sévères. Il pacifia les peuples
d’Italie, et réforma les mœurs dans plusieurs villes. Les magistrats écoutaient
et suivaient ses conseils avec vénération.
On prétend qu’il s’enferma longtemps dans une caverne, et
qu’il fit croire au peuple qu’il avait été dans les enfers. Il interdisait à
sa secte la nourriture des fèves ; on ignore le motif de cette singularité.
Zéleucus et Carondas, qui devinrent par la suite des législateurs
fameux, furent ses principaux disciples. Savant, pour son temps, dans les
mathématiques, il trouva les démonstrations du carré de l’hypoténuse ;
et, dans la joie de cette découverte, il offrit une hécatombe aux dieux.
On lui attribue le système de la métempsycose, c’est-à-dire
de la transmigration des âmes. Il prétendit avoir vécu dans le temps du siège
de Troie, sous le nom et les traits de cet Euphorbe qui fut blessé par
Ménélas. M. l’abbé Barthélemy croit que Pythagore n’admettait ce dogme que
comme une image symbolique des reproductions et des métamorphoses des trois
règnes de la nature. Dans son système, l’âme de l’homme était une
intelligence émanée de l’intelligence suprême, à laquelle elle se réunissait
quand elle était dégagée du corps. L’harmonie du monde lui paraissant un résultat
des proportions qui existaient entre ses parties, il attachait une grande
importance à la connaissance des nombres. Cette science lui semblait celle de
Dieu même, et le plus puissant de ses moyens pour créer et conserver ses œuvres.
Ce philosophe disait qu’il ne fallait faire la guerre qu’à
cinq choses : aux maladies du corps, à l’ignorance de l’esprit, aux passions
du cœur, aux séditions des villes, à la discorde des familles.
Il présentait sa morale sous le voile des allégories : par
exemple, pour conseiller une activité continuelle, il disait : Ne tuez jamais le coq ; pour préserver des vœux
et des serments téméraires : Ne portez pas
au doigt la bague qui vous gêne ; pour détourner d’irriter un
homme déjà en colère : N’attisez pas le feu
avec votre épée.
On croit qu’il mourut tranquillement à Métaponte, âgé de
quatre-vingt-dix ans. Il fut honoré après sa mort comme un dieu. Ses
disciples avaient tant de foi à ses paroles qu’ils se contentaient de
répondre à leurs adversaires : Le maître l’a dit.
Les Grecs firent sur lui, comme sur tous leurs grands
hommes, beaucoup de fables : on raconte qu’il parut avec une cuisse d’or aux
jeux Olympiques, qu’il possédait des secrets magiques et prédisait l’avenir ;
qu’il arrêta le vol d’un aigle, et qu’on le vit le même jour et à la même
heure à Crotone et à Métaponte.
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